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L’affrontement politique entre Philippe Martinez et Laurent Brun

En apparence, on a deux figures syndicalistes qui n’ont rien à voir avec la politique, qu’ils récusent au nom de la charte d’Amiens. Et pourtant, le mouvement contre la réforme des retraites a passé un cap et vient de rentrer dans une seconde phase. Ces deux dirigeants syndicaux en synthétisent la nature politique.

Ils sont issus de la même culture, celle du PCF. Il ne faut donc pas chercher d’éléments culturels relevant de la gauche alternative, cherchant à modifier la vie quotidienne, dénonçant le capitalisme dans sa dimension culturelle. On est dans une logique syndicale dure, dont le parti politique, en l’occurrence le PCF, ne peut être que le prolongement.

Il y a toutefois une profonde différence entre le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, et le secrétaire Général de la Fédération CGT des Cheminots, Laurent Brun. Cette différence est la grande actualité politique des derniers jours, comme conséquence de la persistance de la grève. Cette différence provoque même des soubresauts relançant la grève.

L’Histoire avance, mais passe donc par un drôle de chemin ! Ce qui se passe est toutefois assez simple. On a d’un côté une partie de la CGT qui dit que, désormais, tout a changé, qu’il ne peut au mieux y avoir qu’un PCF social et accompagnateur de la modernité. C’est la ligne de la nouvelle génération ayant pris le pouvoir et dont Ian Brossat est le meilleur représentant (la victoire de la ligne portée par André Chassaigne au dernier congrès n’ayant pas changé grand chose à l’affaire).

Philippe Martinez reste davantage ancré dans l’histoire ouvrière, mais il est d’accord avec cette tendance. Il veut une CGT de combat, mais dans une perspective constructive.

Laurent Brun a un profil tout à fait différent. C’est un nostalgique du style du PCF des années 1980, en mode dénonciation de la soumission du travail au capital, Cuba comme référence romantique, des références à Marx pour revendiquer une identité ouvrière historique.

Concrètement, qu’est-ce que cela veut dire par rapport à la grève contre la réforme des retraites ? Cela signifie que :

→ pour Philippe Martinez, c’est une lutte sociale, devant également aider à renforcer la CGT, d’où la mise en avant de sa signature de la fameuse pétition du Journal du Dimanche portée par la gauche institutionnelle.

→ pour Laurent Brun, c’est une lutte de classe par procuration où les cheminots sont le héraut de l’ensemble des couches populaires.

Comme on le voit, c’est bien différent et depuis quelques jours, l’antagonisme entre les deux tendances s’est cristallisée de manière historique. Philippe Martinez l’avait bien senti depuis le départ, d’où sa volonté de temporiser et sa fameuse absence d’annonce à part la mobilisation du 9 janvier, il y a deux semaines.

Inversement, la Fédération CGT des Mines et de l’Énergie (dont l’héritage direct est la puissante CGT de l’ancien bastion EDF-GDF) explique par exemple le 6 janvier que pour elle la lutte doit rester interprofessionnelle et qu’elle « refuse » – le terme est même inscrit en rouge dans cette phrase elle-même en gras – « toute rencontre avec les ministères et/ou employeurs ».

Philippe Martinez aimerait clairement en terminer avec tout ça, en mode « il faut trouver une solution le plus rapidement possible », alors que les tenants de la ligne de Laurent Brun se disent que c’est précisément maintenant que tout commence.

Cela peut inspirer plein de questions, de réflexions. Qu’est-ce qui va commencer ? Est-ce de la lutte de classes ou bien la lutte des classes utilisant indirectement les partisans du courant de Laurent Brun ? Tout ce discours de combat serait-il en réalité simplement du verbiage radical masquant les intérêts corporatistes des cheminots, voire de la CGT nostalgique d’une certaine prédominance dans le monde du travail dans le passé ?

Laurent Brun est-il le vecteur d’un esprit de lutte réelle ou bien un simple acteur « syndicaliste révolutionnaire » à la française ? Le monde du travail verra-t-il vraiment un moyen d’épauler sa propre lutte dans tout cela ?

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36 jours de grève au 9 janvier 2020

Le 9 janvier 2020, cela ferait 36 jours de grève de la part des cheminots, car dans l’Éducation nationale on est en vacances et qu’il n’y a pas vraiment autre chose en mouvement, si ce n’est la RATP. Alors, la chose est simple à comprendre. Soit les cheminots sont devenus des travailleurs assumant la lutte de classe de manière déterminée, donc politique, se montrant capables de mener la plus grande grève de l’histoire de la SNCF. Soit cela va être la défaite.

La grève a commencé le 5 décembre et en disant que la prochaine mobilisation aura lieu le 9, l’intersyndicale a visé haut… ou plutôt très bas. Car il faut être bien naïf pour croire que les syndicats veulent et peuvent mener une lutte politique. À un moment donné en effet, les choses tournent politique qu’on le veuille ou non. Et les syndicats français sont une fin en soi.

Il faut bien le dire tout de même ! C’est tout de même fou que les anarchistes, qui font n’importe quoi mais sont parfois des garde-fous, courent derrière les syndicats, alors qu’ils sont censés être contre l’État et que l’État en France ne se conçoit pas sans syndicat, et inversement.

Alors évidemment, il y a la fiction comme quoi les syndicats sont indépendants, que l’État ne fait qu’encadrer les rapports patronat-syndicat, etc. C’est toutefois une fiction bien pratique pour tout le monde, mais dans les faits c’est ridicule. Le vaste secteur public est un levier puissant de corruption des syndicats et d’arrimage à l’État, transformant les syndicats dans les entreprises – quand ils y existent, ce qui est rare – en un simple prolongement.

Tout le monde sait bien que les hauts responsables syndicaux sont des bureaucrates et des beaufs, des gens rêvant de cogérer l’État ou bien de gérer en bon bourgeois leur vie privée. La mentalité de ces gens-là est étriquée, ils s’imaginent que parce qu’ils servent un peu les gens tout leur est permis à côté.

Outrancier ? Il suffit pourtant de regarder : est-ce que les gens suivent les syndicats ? Non. Ils disent : la cause est juste. Ils ne bougent pas pour autant. Personne ne veut être à la remorque des syndicats, car tout le monde les connaît… ou bien personne ne veut les connaître. Le cœur des syndicats, ce sont donc les secteurs et les grosses entreprises où les syndicats jouent un rôle d’encadrement particulièrement avancé des travailleurs.

Quelques revendications sont satisfaites, cela s’arrête là. Est-il besoin de se rappeler de la position des syndicats en mai 1968 ? Ils étaient tous contre ! Cela veut tout de même tout dire. Les syndicalistes sont incrustés dans le capitalisme. Leur hargne actuelle tient surtout à leur peur de perdre une certaine présence aidée par les régimes spéciaux.

Donc les grévistes de la SNCF vont dans le mur à moins d’un électro-choc. La problématique est un paradoxe : si la grève de la SNCF tenait 36 jours, ce serait de la lutte de classe. Mais il faudrait que ce soit de la lutte de classe pour tenir 36 jours !

Dans l’état actuel, les grévistes sont donc partis pour se faire poignarder dans le dos et avec la date du 9 janvier, c’est un simple constat qui est déjà fait par certains. Parce que bon, 36 jours de grève, cela demande une combativité que les gens n’ont pas, tout simplement. 36 jours de grève, même sur une base discutable, c’est de toutes façons de la lutte des classes.

Cela demande une organisation énorme, une détermination politique. Que les grévistes n’ont pas pour l’instant, qui prétend le contraire ment, en cherchant à former un mythe mobilisateur, typique du syndicalisme français. Il y a d’ailleurs un article intéressant du Monde, dont le titre veut tout dire :

« Je soutiens la mobilisation contre la réforme des retraites, mais faire grève ne pénaliserait que moi »

L’une des personnes interrogées dit la chose suivante :

« En théorie, tout le monde a le droit de grève en France mais, en pratique, les gens qui ont la possibilité de faire grève sont de plus en plus rares »

Cette phrase, rigoureusement pathétique, est ridicule : comme si les innombrables grèves qui ont eu lieu en France, à la fin du 19e siècle et dans les années 1920-1930, auraient été évidentes, à une époque sans sécurité sociale, de répression brutale et de conditions de vie générales autrement bien plus ardues !

Et comme elle est ridicule, elle est criminelle, de par ses conséquences. Un peuple qui n’assume pas le combat pour ses droits, qui n’assume pas la Démocratie, est un peuple prêt à se livrer au fascisme. Un peuple qui n’est prêt à aucun sacrifice n’est qu’un assemblage d’individus repliés sur eux-mêmes, prêts à tout opportunisme.

Pour l’instant, la grève n’est qu’un assemblage de gens aux intérêts communs, de type corporatiste. Si le tout ne se transcende pas et ne parvient pas à la lutte des classes, ce sera le désenchantement.

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Écologie

Appel : « Sauvons le train Perpignan – Rungis »

Voici l’appel à sauvegarder la ligne de train fret Perpignan – Rungis, initié par le PCF et soutenu par différentes personnes ou élus de gauche et verts :

> Pour rejoindre l’appel : sauverleperpignanrungis.wordpress.com/contact

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Politique

Bilan des 8-9 avril et CGT cheminots : la logique actuelle du groupe SNCF

La grève des cheminots maintient son cap et bien entendu difficile d’avoir des chiffres suffisamment précis et corrects. Hier 9 avril, le taux de grévistes étaient de 24.9%, mais de 43 % si l’on ne prend que les gens s’occupant des trains, avec 13 212 cheminots présents aux assemblées générales, soit 2000 de plus que le 4 avril.

Chez les conducteurs la grève concerne 75% du personnel (74% la semaine passée), chez les contrôleurs 71% (contre 77%), chez les aiguilleurs 35% (contre 46%).

4 000 cheminots se sont également réunis sur l’esplanade des Invalides à Paris, 500 cheminots à Lille, 250 à Fougères, 500 à Dijon, 300 à Nancy.

Avant-hier 8 avril, un dimanche les chiffres ne sont pas clairs, mais il semble bien que la mobilisation ait été d’environ 35 %.

Pour rebondir également sur la question de la nature de la SNCF – secteur public ou multinationale? – abordée ici dans un article à l’occasion de la tribune de Bernard Thibault, voici la position de la fédération CGT des cheminots.

Ce long article est tiré d’un document intitulé « ensemble pour le fer » (ici en pdf), publié début mars 2018 et consistant en rapport « sur l’avenir du Service Public ferroviaire et contre le statu quo libéral ».

Il dit, de manière paradoxale, longuement la même chose que l’article publié sur agauche.org, à savoir que la SNCF n’est plus un secteur public que pour « l’imaginaire collectif », qu’il s’agit d’une structure clairement capitaliste dans son organisation…

Tout en expliquant en même temps et finalement, dans l’esprit de Bernard Thibault, qu’il y a « un abandon des obligations et missions de service public », alors qu’il a été dit précédemment que cela ne ressemble plus du tout à un secteur public !

Il y a là une incohérence qui est tout à fait révélatrice de l’ambivalence de la position de toute une gauche, qui voit le libéralisme marcher de manière triomphale, mais est hostile à la confrontation, vivant dans une nostalgie de l’Etat-providence et d’un capitalisme n’ayant pas connu d’accélération (ce qui était pourtant inévitable).

LA LOGIQUE ACTUELLE DU GROUPE SNCF

La SNCF emploie des agents (les cheminots) sous un statut social particulier afin d’assurer un service public de transport pour répondre aux besoins de la Nation et des usagers. Dans l’imaginaire collectif, la « vieille dame » est toujours envisagée comme une compagnie ferroviaire d’Etat, voire une administration de l’Etat.

Cette représentation ignore les restructurations intervenues depuis une vingtaine d’années. Derrière la façade de l’opérateur public réputé intégré, se déploie un groupe commercial internationalisé, formé de plus d’un millier de filiales de droit commun, dont certaines de taille imposante comme Geodis, numéro un français du transport routier et de la logistique, ou Keolis, un des leaders mondiaux des transports urbains.

Ces Sociétés Anonymes, au capital parfois ouvert à des investisseurs privés, agissent aussi bien dans le mode ferroviaire (Thalys, Eurostar, VFLI, Systra, Akiem…) que dans des modes concurrents, tels le camion (Geodis Calberson), l’autocar (Ouibus), le covoiturage (IDvroom) ou la 16 location de voiture (Ouicar).

La SNCF détient également des firmes spécialisées dans l’immobilier, la gestion de parkings et même les drones.

Le projet du groupe SNCF ambitionne de réaliser 42.8 milliards de chiffre d’affaires en 2025, dont 50% aux activités à l’international.

On constate ainsi que l’EPIC SNCF sert de banque pour financer le développement des filiales routières en France ainsi que l’expansion à l’international. La SNCF a racheté par exemple l’activité messagerie du groupe international routier GIRAUD.

L’activité historique de transport ferroviaire de marchandises s’est peu à peu délitée au sein de SNCF GÉODIS, dont la vocation principale est le transport routier.

En fait, les centaines de millions d’euros investis dans des sociétés étrangères (logistique OHL aux USA pour 717 millions, bus ATE en Australie pour 113 millions…) font augmenter la taille du Groupe et son chiffre d’affaires, mais ne dégagent quasiment aucune marge, voire sont sources de pertes (-29,3 millions pour Keolis Boston en 2015).

Ces investissements constituent en vérité un sacrifice de l’entreprise publique de service public SNCF pour lui substituer un groupe international de mobilités, dans lequel l’activité ferroviaire publique française est appelée à devenir minoritaire. En d’autres termes, c’est un détournement des moyens normalement dévolus au service public au service d’un groupe à dominante privée.

A ce jour, les filiales réalisent la moitié des 32 milliards de chiffre d’affaires annuel du groupe SNCF.

Leurs effectifs progressent régulièrement alors que le nombre de cheminots embauchés par les établissements publics (EPIC) décline depuis quinze ans (environ 145 000 cheminots sur 280 000 salariés au niveau du groupe).

La perspective d’une extension de l’ouverture à la concurrence du rail concernant le transport intérieur de voyageurs – le fret étant libéralisé depuis mars 2006 – risque de porter un nouveau coup aux EPIC au bénéfice de sociétés privées, fussent-elles incluses dans le groupe SNCF.

Symbole de cette stratégie, SNCF Mobilités vient de sous-traiter l’exploitation d’un nouveau tram-train, dont elle est directement attributaire et circulant sur le Réseau Ferré National en Seine-Saint-Denis, à une filiale majoritairement contrôlée par Kéolis (Transkéo).

La SNCF envisage ainsi sa politique de groupe non pas sous l’angle d’une complémentarité utile (Transports urbains-Transport ferroviaire de proximité), mais en organisant la concurrence de l’EPIC par ses filiales et en encourageant le dumping social. L’infrastructure ferroviaire n’est pas épargnée par cette intrusion des intérêts privés dans la sphère publique. Sur ce terrain, les géants du BTP sont à l’offensive, décidés à tirer profit du programme de modernisation du réseau ferré et des 46 milliards de travaux prévus sur la prochaine décennie.

Les groupes de la construction se positionnent non seulement sur les phases de régénération de lignes, mais aussi, plus durablement, sur la maintenance ou l’exploitation de pans entiers du rail français. Ils se saisissent des contrats en Partenariat Public-Privé (PPP), comme dans le cas de la Ligne à Grande Vitesse Tours-Bordeaux, ou de contrats de partenariats industriels portant sur de gros chantiers, comme la rénovation des caténaires de la ligne C du RER.

En toute discrétion, Vinci, Eiffage et quelques autres héritent de la conception et de la réalisation de missions entières, entraînant, au détriment de SNCF Réseau, des transferts massifs de charges de travail, de technologies, de compétences et, au final, d’emplois potentiellement dévolus aux cheminots.

D’aucuns présentent cet effacement de la propriété et maîtrise publiques d’un Etablissement de l’Etat comme un gage de meilleure performance.

Pour les 17 tenants de « l’Asset Management », la valorisation des actifs devient la seule manière d’être d’une entreprise efficace. C’est oublier un peu vite que dans le régime de la propriété lucrative (celui de la Société Anonyme), la recherche d’efficacité se focalise sur la survaleur attendue par les détenteurs du Capital, ceux-là même qui prélèvent leur tribut sur le travail, notamment à travers la vente des marchandises produites. Ces exigences conditionnent les choix de gestion.

Dans les faits, le recul des biens et investissements publics s’accompagne de surcoûts financiers virant parfois au fiasco, et d’une dégradation, qualitative et quantitative, du service public rendu et des conditions d’emploi des cheminots.

La dilution de l’EPIC dans un groupe « champion » mondial des services de mobilités et de logistique s’accompagne d’un abandon des obligations et missions de service public comme cadre de référence autour de la réponse aux besoins pour tous les citoyens sur tout le territoire.

Le groupe est cimenté sur des valeurs uniquement commerciales et autour d’un objectif prioritaire de compétitivité, notion qui renvoie directement à des impératifs d’adaptation à la concurrence.

Le dossier se conclut de la manière suivante :

DÉVELOPPER LE SERVICE PUBLIC SNCF

Enfin, il faut capitaliser en termes de service public l’expérience acquise par les régions politiques pour ancrer encore plus le ferroviaire comme colonne vertébrale de l’organisation d’un service public des transports en proximité tout en s’appuyant sur la cohérence nationale de la SNCF.

Pour la CGT, il faut une nouvelle étape de conventions, l’État doit être présent en tant que financeur principal et garant de la cohérence nationale et la SNCF doit être représentée au double titre de l’infra et de l’exploitant.

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Succès de la grève des cheminots du 4 avril 2018 et tribune de Bernard Thibault

Le second jour du premier moment de grève des cheminots a été un succès encore une fois. S’il y a eu un peu moins de grévistes que la veille, avec 29,7 % contre 33,9 %, il y avait cependant davantage d’aiguilleurs que la veille (46 % au lieu de 39%), ainsi que davantage de contrôleurs (77 % au lieu de 69%).

La part de conducteurs reste grosso modo stable (74 %, 77 % la veille) et l’impact est tellement significatif que même pour la reprise du travail, la désorganisation est importante (seulement 3 transiliens et TER sur 4, 3 Intercités sur 5, 3 RER C sur 5, 1 RER E sur 2).

Un fait important a également été la publication dans Le Monde d’une tribune (payante) de Bernard Thibault, qui a été secrétaire général de la Fédération CGT des cheminots de 1993 à 1999, puis général de la CGT de 1999 à 2013.

Hier, l’article d’agauche.org soulignait le manque d’envergure sociale des revendications des cheminots de la CGT, au sens où tout était étroitement corporatiste, avec une dimension « on sait mieux gérer que les autres ».

La tribune de Bernard Thibault aborde directement cette question, le titre étant par ailleurs « La grève des cheminots porte l’intérêt général », alors que la conclusion est extrêmement lyrique, avec les cheminots présentés comme une sorte d’avant-garde des droits sociaux :

« Accuser les cheminots d’être responsables du désastre des politiques publiques est un comble. Cette humiliation a la réponse qu’elle mérite. Il est à leur honneur de poursuivre l’action de leurs prédécesseurs pour une certaine idée du service public et des droits sociaux pour les générations futures.

Il est des grèves qui portent l’intérêt général, d’où jaillit la lumière, et ce n’est pas en cet anniversaire de celles de 1968 qu’on pourra nous dire le contraire. »

Il faut cependant rappeler ici qu’en 1968, la CGT a été contre le mouvement de contestation et a cherché à tout prix à ce qu’il soit étouffé, participant en première ligne avec l’État pour qu’il y ait des négociations salariales et que le mouvement soit enterré.

Le résultat est bien connu : l’isolement fatal de la gauche voulant changer le monde, le raz-de-marée électorale de la part de la droite.

Bernard Thibault se moque bien de cela, puisque son objectif est en réalité de faire un chantage disant : aucune revendication n’est possible si un bastion du service public tombe.

Sauf qu’il dit en même temps que « la SNCF appartient à la nation » et qu’il s’agit d’une « multinationale qui possède près de 1 300 filiales dans le monde ». Et c’est là que tous les problèmes se révèlent au grand jour.

Car la SNCF est un groupe qui consiste ni plus ni moins qu’en du capitalisme d’État. De par son organisation, ses méthodes, ses objectifs, ses perspectives à l’échelle mondiale, etc., il s’agit de capitalisme tout ce qu’il y a de plus classique.

Que ce groupe, né en 1937-1938, ait profité de l’élan social de 1945, puis de l’intégration de la CGT au projet d’un État-providence fort, tout le monde le sait. Que cela ait pu profiter aux salariés de la SNCF, tant mieux.

Mais à un moment, il faut voir les choses en face et on ne peut pas dire en même temps qu’il s’agit d’une multinationale et d’un secteur public.

C’est pourtant ce qu’ont fait tant le Parti socialiste et le Parti communiste français depuis longtemps, c’est vrai. Cependant, c’était là une faillite intellectuelle, morale et culturelle sur le plan des idées de gauche, et en 2018 une telle incohérence est une bombe à retardement.

Si Bernard Thibault disait : la SNCF devrait être un secteur public, il serait cohérent. Mais ni lui ni la CGT ne le font et ne veulent le faire, car cela serait révéler leur effroyable compromission historique. Ils ont participé à la naissance d’un monstre, au moyen de l’État, qui inévitablement sera repris par la suite par le capitalisme de la manière la plus directe…

Vu ainsi, il n’est pas vrai de dire que « la grève des cheminots porte l’intérêt général », il faudrait dire qu’elle le pourrait… si on passait du corporatisme à la lutte des classes, de la défense d’acquis au sein d’un capitalisme d’État en voie de privatisation à celui d’acquis en général face au capitalisme.

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Succès de la grève des cheminots du 3 avril 2018 et étroitesse d’esprit syndicale

La grève d’hier a été un succès certain à la SNCF. Les grévistes ont été de 77 % chez les conducteurs, 69 % chez les contrôleurs, 39 % chez les aiguilleurs, 40 % chez les agents d’escales et du matériel.

C’est une expression de capacité de lutte significative. Et le fait que les cheminots aient déposé dix-huit préavis de deux jours (avec une grève de deux jours sur cinq), témoigne d’une combativité certaine, ce qui rassure ceux et celles n’osant pas lutter mais éprouvant de la sympathie.

Il y a ainsi un frémissement social certain, un esprit de recomposition élémentaire mais réel.

Au point qu’il y a nettement un bloc réactionnaire qui apparaît et voit en la lutte des cheminots le symbole de la lutte des classes, la boîte de Pandore de la confrontation sociale. Le premier ministre Edouard Philippe s’est donc posé en défenseur de « ceux qui veulent aller travailler veulent continuer à bénéficier de leur liberté constitutionnelle d’aller et venir ».

Il est vrai ici que, malheureusement, le gouvernement est aidé par l’esprit étroitement corporatiste de la Fédération CGT des cheminots, qui ne sort pas de l’esprit de collaboration avec les institutions, dans l’esprit de la CGT depuis les années 1950.

Voici par exemple les positions de la Fédération sur la lutte actuelle ; on y retrouve une mentalité nullement de gauche mais ayant tout à voir avec un esprit néo-gaulliste de cogestion, avec la revendication d’une meilleure efficacité au service de l’économie et du pays, etc.

Ce n’est certainement pas avec cela que les gens vont sympathiser avec la lutte et accepter que leur vie quotidienne ou leur capacité à aller travailler soient perturbés au plus haut point…

L’incapacité à formuler les choses autrement que de manière étroite, corporatiste – au final, syndical – est révélateur de l’absence de réflexion réelle sur ce qu’est la lutte de classes au sens réel du terme… Ou plus exactement de comment la CGT, comme déjà en 1968, n’entend que vouloir participer à la gestion, sans vouloir en rien changer la vie.

DETTE ET FINANCEMENT

La dette du système ferroviaire doit être reprise par l’Etat sans contrepartie. Elle est de sa responsabilité. Des financements pérennes doivent être apportés pour assurer le développement du service public ferroviaire (marchandises et voyageurs).

C e q u e l a C G T p r o p o s e :

• Création d’un pôle financier public pour donner la priorité à l’emploi, à la création de richesses dans les territoires et à la préservation de l’environnement, et non plus à la recherche de la rentabilité des capitaux. • Création d’une Caisse d’Amortissement de la Dette Ferroviaire de l’Etat (CADEFE) afin de libérer le système ferroviaire de ce poids (1,7 Md€ d’intérêts par an).

• Nationalisation des autoroutes et utilisation des profits pour alimenter la CADEFE.

• Mise en œuvre de l’Eco Taxe poids lourds. Ces nouvelles ressources financières permettraient également d’apurer la dette.

• L’utilisation de la Taxe Intérieure de Consommation sur les Produits Energétiques (TICPE) pour le financement des infrastructures de tous les transports (routes, voies navigables, ferroviaire – 6Mds consacrés pour le réseau ferré national-).

• La création d’un Versement Transport Régional (VTR) additionnel qui permettrait de doter les régions d’une ressource provenant du secteur économique, principal bénéficiaire du système des transports régionaux.

• Arrêt des Partenariats Public-Privé (PPP) qui ne servent que l’intérêt de groupes du BTP (Vinci, Bouygues, Eiffage).

RELANCE DU TRANSPORT DE MARCHANDISE S PAR FER

Le Fret ferroviaire SNCF ne doit pas être filialisé. Une véritable politique de relance et de report modal doit être décidée, appuyée par des moyens, notamment pour répondre aux enjeux environnementaux et ne pas laisser dépérir l’activité à petit feu.

C e q u e l a C G T p r o p o s e :

• Préservation et modernisation des emprises ferroviaires. La SNCF doit s’appuyer sur son groupe, pour se mettre au service de cette ambition.

• Développement des ports qui doit s’appuyer sur davantage d’acheminements ferroviaires.

• Pour la distribution urbaine, il faut s’intéresser aux acheminements en amont et définir les infrastructures nécessaires (hôtels logistiques, plateformes intermodales ou Cross-Dock…).

• Internalisation des coûts externes propres à chaque mode (supportés par la collectivité) par une tarification du fret à son juste coût. La CGT se prononce pour une Tarification Sociale Obligatoire (TSO).

• Conditionnement des aides publiques aux entreprises industrielles et de service à l’utilisation d’un mode de transport vertueux.

STATUT DE L’ENTREPRISE

La SNCF doit rester sous statut d’EPIC, propriété de la Nation et non objet de tractation et de spéculation financière.

C e q u e l a C G T p r o p o s e :

• Regroupement de SNCF Réseau, SNCF Mobilités et l’EPIC SNCF (dit « de tête ») au sein d’un seul EPIC SNCF en veillant à la séparation comptable entre l’opérateur et le gestionnaire de l’infrastructure, seule obligation imposée par les textes européens.

ORGANISATION DE LA PRODUCTION Une réorganisation complète de la production doit mettre fin au cloisonnement par activités, réactiver une véritable coopération opérationnelle entre les cheminots et assurer le retour à la qualité de service qu’exigent les usagers.

C e q u e l a C G T p r o p o s e :

• Une entreprise unique et des établissements multi-activités (voyageurs grandes lignes/proximité et Fret le cas échéant) décloisonnés au sens des activités, mais reposant sur la reconnaissance des métiers, garants de la qualité et de la sécurité. Ils doivent être renforcés dans l’animation, les qualifications, les formations…

• La mutualisation des moyens, des personnels et des informations, source d’efficacité.

RÉ INTERNALISATION DES CHARGES DE TRAVAIL

C e q u e l a C G T p r o p o s e :

• Les activités externalisées doivent être réintégrées (charge de travail et les personnels qui en ont la charge) dans le triple objectif de mettre fin au surcoût de la soustraitance, d’améliorer le statut social des salariés et de regagner la maîtrise complète de la production pour en assurer la qualité et la sécurité.

OUVERTURE A LA CONCURRENCE

La concurrence est un mauvais système qui se base uniquement sur le dumping social, qui n’est pas adapté aux contraintes techniques de l’exploitation ferroviaire et qui ne permettra pas de développer le service public ferroviaire. La situation de Fret SNCF, libéralisée depuis 10 ans, est significative d’une dégradation de la qualité de service du transport de voyageurs annoncée si la concurrence se mettait en place.

C e q u e l a C G T p r o p o s e :

• L’Etat doit transposer les dispositions du 4e paquet ferroviaire dans le droit national en décidant de l’attribution directe de l’exploitation des services ferroviaires à la SNCF sur l’ensemble du réseau ferré national. Cette décision est conforme à l’article 5 – paragraphe 4 bis du règlement Obligations de Service Public (OSP) qui prévoit des exceptions à la mise en concurrence en regard des caractéristiques structurelles géographiques, de la complexité du réseau, ainsi que de la qualité de service et d’un meilleur rapport coût-efficacité.

DROITS SOCIAUX DES CHEMINOTS/GARANTIES SOCIALES

Le statut doit être confirmé comme la règle, y compris pour les futurs embauchés. Il doit être amélioré ainsi que les droits des contractuels. Les droits des cheminots font partie intégrante de l’équilibre entre droits et devoirs liés au service public. Ils doivent être préservés. Une véritable augmentation générale des salaires et pensions doit être annoncée.

C e q u e l a C G T p r o p o s e :

• Maintien et amélioration du statut dans le cadre d’une SNCF intégrée et publique. Admission au statut de tous les personnels de la SNCF qui remplissent les conditions.

• Liées à la Convention Collective Nationale de la branche ferroviaire, les garanties sociales doivent être revues à la hausse, pour que le patronat ne puisse pas renforcer le dumping social entre l’entreprise publique et les entreprises ferroviaires privées. Les voies ferrées d’intérêt local et la restauration ferroviaire doivent y être intégrées.