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Les gilets jaunes ou la permanence du sorélianisme en France

On ne soulignera jamais assez la nature philosophique des gilets jaunes, le caractère anti-politique de leur style. À l’arrière-plan, on a la démarche de Nietzsche, Sorel, Bergson.

Le fait que les gilets jaunes se soient maintenus si longtemps et aient formé leur propre culture exige de rappeler un point fondamental, que la Gauche historique a très bien connu à ses débuts. Il faut se rappeler que le mouvement socialiste (dont une partie deviendra communiste) a été confronté à l’origine à un très puissant mouvement anarchiste. Une partie de ce mouvement a consisté en les anarchistes « bombistes » (comme Ravachol), partisans de la propagande par le fait. Une autre partie a consisté en les syndicalistes révolutionnaires.

C’est cela qui a produit l’approche irrationnelle développée par Georges Sorel, dans Les réflexions sur la violence. Les avancées contestataires, subversives, ne pourraient pas s’appuyer sur la raison. Cette dernière ne pourrait pas établir quelque chose de solide, de fort. Georges Sorel raisonne en termes de résultats, en termes pragmatiques ; pour changer les attitudes, il faut une mobilisation au-delà de la raison :

« Le langage ne saurait suffire pour produire de tels résultats d’une manière assurée ; il faut faire appel à des ensembles d’images capables d’évoquer en bloc et par la seule intuition, avant toute analyse réfléchie ».

Georges Sorel était un syndicaliste révolutionnaire et son intuition reposait sur le vécu des ouvriers dans le capitalisme. Voici la citation en entier :

« Le langage ne saurait suffire pour produire de tels résultats d’une manière assurée ; il faut faire appel à des ensembles d’images capables d’évoquer en bloc et par la seule intuition, avant toute analyse réfléchie, la masse des sentiments qui correspondent aux diverses manifestations de la guerre engagée par la socialisme contre la société moderne. »

Il suffit de remplacer les sentiments du « socialisme » (d’ailleurs ici « spontané », syndicaliste) par n’importe quoi d’autre et on aura quelque chose qui ne fasse même plus semblant d’être de gauche. Le personnage historique le plus connu qui a repris Sorel est d’ailleurs Mussolini. Son anti-marxisme l’a fait adopter ce principe de la « mobilisation » autour d’un mythe, la dignité du mouvement reposant non pas sur l’objectif, mais sur la mobilisation elle-même. Du moment qu’on bouge, on se transcende.

Les gilets jaunes ne voient pas les choses autrement. En se mobilisant, ils pensent en soi déjà gagner, comme si l’engagement de leur existence dans quelque chose suffisait à assurer la victoire que, il faut le noter, eux-mêmes seraient bien incapables de définir. Les revendications ne comptent pas tant que le style des revendications, la démarche est une fin en soi.

Les gilets jaunes sont bien en ce sens un mouvement réactionnaire, de type fasciste, car philosophiquement nietzschéen, sorélien, bergsonien. C’est l’idée qui transporterait la vitalité dans la réalité.

On ne peut évidemment rien faire du tout avec de telles personnes. Même elles ne peuvent rien faire avec elles-mêmes. C’est pour cela que les gilets jaunes sont de moins en moins. À un moment, les gens en faisant partie se lassent, ils cessent d’être auto-intoxiqués, auto-hypnotisés. Ils passent à autre chose, ils abandonnent leurs propres croyances. Par contre, et c’est là le problème de fond, leur style reste. Leur démarche a fasciné, leur style a marqué les esprits. C’est une véritable école anti-politique qui s’est développé.

À cela s’ajoutent les anarchistes, qui les ont rejoint, justement par convergence anti-politique. Le mélange gilets jaunes – anarchistes des black blocks a été une véritable école de formation, produisant une démarche au style qu’on connaît historiquement : c’est celui des SA, des chemises noires. C’est le style du mouvement « élémentaire », partisan du coup de poing, du coup de force.

Comment la Gauche, déjà si faible, va-t-elle être en mesure de faire face si une telle démarche élémentaire réapparaît à moyen terme ? La Gauche historique allemande et italienne avaient échoués malgré sa force. Alors une Gauche française faible, sabotée par les courants post-modernes, post-industriels, post-historiques, post-nationaux ?

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Gilets jaunes : la capitulation de la Gauche devant le spontanéisme

Le mouvement ouvrier a toujours exigé la primauté de la conscience et de l’organisation. La croyance en le spontanéisme et en un vitalisme populaire n’a jamais abouti qu’au fascisme. Aussi, le populisme d’une partie de la Gauche pour les Gilets jaunes est littéralement suicidaire.

Gilets jaunes

Que l’ultra-gauche ait participé ici et là aux initiatives des Gilets jaunes, c’est dans l’ordre des choses. La croyance en une sorte de vitalité populaire spontanée amène à soutenir tout ce qui bouge, sans être trop regardant.

Que le regroupement d’extrême-droite Bastion social parvienne à largement s’y impliquer à Lyon, avec notamment le mot d’ordre « à bas les voleurs ! », c’est tout autant dans l’ordre des choses. Le fascisme se veut un mouvement de contestation par la base, au-delà des classes, contre les parasites. La jacquerie anti-taxe des Gilets jaunes est parfaitement adéquate pour cela.

Mais qu’une large partie de la Gauche capitule de même devant les Gilets jaunes, c’est inacceptable. Que l’on soutienne le mouvement n’est pas ici la question, car c’est une lutte. Mais il y a une différence entre soutenir pour apporter des valeurs et combattre les tendances négatives, et soutenir de manière unilatérale.

C’est bien la peine que Lutte Ouvrière souligne de manière régulière – et à juste titre –  l’importance des ouvriers, pour se précipiter dans le soutien aux Gilets jaunes, sans en critiquer aucune des modalités d’expression, résolument petit-bourgeois et non liés à aucune question de la production dans le capitalisme.

Pareillement, quel intérêt a le Nouveau Parti Anticapitaliste, si ce n’est la volonté de surfer sur la vague, de trouver cela très bien de manière unilatérale, de considérer les Gilets jaunes comme un mouvement social tout à fait comme il faut, etc. ? Les Gilets jaunes représentent tout sauf un « mouvement social » traditionnel et d’ailleurs cela n’a aucun sens d’appeler à ce que les associations et les syndicats suivent le mouvement. L’ancêtre du NPA, la Ligue Communiste Révolutionnaire, faisait des mouvements sociaux la base de son activité, mais désormais tout est différent.

Ces deux exemples sont très importants, même si Lutte Ouvrière et le NPA sont depuis longtemps bien plus d’ultra-gauche que de Gauche. Car ils montrent que des gens sérieux, tournés vers les ouvriers ou vers les « mouvements sociaux », sont dépassés par les Gilets jaunes. Ils ne comprennent pas la nature de ce mouvement, ils n’ont aucune clef pour l’interpréter.

Et la raison pour cela est qu’ils ne comprennent pas ce qu’est le fascisme. Ce que dit Jean-Luc Mélenchon sur son blog est d’ailleurs absolument terrifiant, le type ne comprend rien au fascisme, il soutient ouvertement la démarche fasciste sans même s’en apercevoir.

Ses explications suite à la manifestation parisienne de samedi, où il y voit un show sur les Champs-Élysées mis en place par le gouvernement, en arrivent à trouver tout à fait juste le pire des populismes.

« Tout ce qui se passe est hors norme. C’est pourquoi la réplique manipulatoire traditionnelle est complètement décalée par rapport au niveau de conscience populaire. C’est donc pour nous un important succès car des millions de gens ont été une fois de plus instruits en masse des stratégies médiatico-politiques du régime macroniste. L’identification du parti médiatique se fait à échelle de masse. Le mépris et le dégoût qui vont avec de même.

L’autre succès est naturellement le niveau de mobilisation et l’élévation du niveau de conscience qui s’est exprimé partout dans les mots d’ordre et les propos tenus face caméra ou dans les meetings improvisés. Les commentateurs n’attachent pas d’importance au fait que le mot d’ordre « Macron démission » soit un refrain partout. C’est pourtant un slogan qui est très rare dans l’histoire des mouvements sociaux du pays. À vrai dire, je ne crois pas qu’il ait de précédent. Même Hollande y échappa. Rien ne décrit mieux l’isolement du pouvoir actuel et sa perte de légitimité que ce slogan omniprésent. »

Voir en le slogan « Macron démission » quelque chose de positif, c’est tomber au niveau de l’ultra-gauche ou du fascisme. C’est réfuter la primauté de la théorie, avec le principe des valeurs positives, d’un projet rationnel, d’une organisation méthodique. C’est s’imaginer que « tout ce qui bouge est rouge », alors qu’à une époque de dépression du capitalisme, comme on peut le voir partout, l’agitation sociale est plus que poreuse au corporatisme, au populisme, au social-impérialisme.

Les Gilets jaunes révèlent ici de grandes faiblesses concernant la compréhension de ce qu’est le fascisme !