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« Exalté par l’espoir du triomphe prochain »

« — Mais comment nous décider à faire la guerre à la France, prince ? demanda Rostoptchine. Comment nous lèverions-nous contre nos maîtres, contre nos dieux ? Voyez notre jeunesse, voyez nos dames ! Les Français sont leurs idoles, Paris est leur paradis ! »

La guerre est une chose d’autant plus abominable qu’elle exalte les esprits et fait puiser en les hommes ce qu’ils ont de plus profond, de plus total, pour leur faire perdre toute raison.

Pour gagner une guerre, il faut de la ferveur, il faut des gens ayant non pas seulement compris qu’ils allaient mourir, mais qui sont eux-mêmes d’accord pour mourir, même contre leurs frères, même contre leurs amis d’hier.

Si Guerre & Paix de Léon Tolstoï est un monument de la littérature, c’est en grande partie parce qu’il décrit cela avec une finesse et une précision extraordinaire.

Un extrait, seul, n’apportera jamais la même profondeur que la lecture de ce même passage au milieu de l’ouvrage, alors que l’on connait les personnages, alors que le décor est solidement implanté et que les événements ont été déjà minutieusement décrits depuis des pages.

Cela vaut toutefois la peine, et nous le faisons ici. Cela a d’autant plus de signification à notre époque en 2024 que la France est pratiquement en guerre avec la Russie, et que c’est de cela qu’il s’agit dans ce passage.

On y voit comment un jeune officier, initialement terrorisé par sa présence sur le front, s’en trouve finalement exalté, jusqu’à souhaiter mourir par ferveur.

Que cette ferveur soit patriotique, ou bien issue d’une loyauté pour l’empereur, ou n’importe quoi d’autre, cela ne change en réalité pas grand-chose, et c’est cela qu’à voulu montrer Léon Tolstoï.

La guerre est une abomination qui se suffit à elle-même, qui s’auto-alimente, qui broie les esprits et les cœurs, qui annihile la raison. Les gens qui sous-estiment la guerre, qui ne croient pas en la guerre, ont tort, et ils se rendent finalement coupables de laisser-faire.

Au contraire, nous dénonçons la guerre ! Opposez-vous à la guerre à la Russie et lisez Guerre & Paix de Tolstoï, voilà le mot d’ordre de gauche à notre époque en France !

Voici le chapitre 10 de la 3e partie du Livre 1, d’après la traduction de Boris Schloezer. Les passages en italique sont en français dans le texte original.

À l’aube du 16, l’escadron de Dénissov, auquel appartenait Nicolas Rostov et qui faisait partie du détachement du prince Bagration, quitta son bivouac pour entrer en action, à ce qu’on disait ; ayant parcouru près d’une verste à la suite d’autres colonnes, il reçut l’ordre de s’arrêter sur la grand-route. Rostov vit passer devant lui des cosaques, le 1er et le 2e escadron de hussards, des bataillons d’infanterie avec de l’artillerie et les généraux Bagration et Dolgoroukov avec leurs aides de camp.

La peur qu’il ressentait comme toujours avant l’action, la lutte intérieure grâce à laquelle il parvenait à dominer cette peur, sa résolution de se conduire en vrai hussard au cours de ce combat, tout cela se révéla vain : l’escadron resta en réserve et Nicolas Rostov passa une journée ennuyeuse et triste. 

Vers neuf heures du matin, il entendit une fusillade quelque part devant lui et des “hourras”, vit des blessés que l’on ramenait vers l’arrière (ils n’étaient pas nombreux) et enfin, au milieu d’un détachement de cosaques, un groupe de cavaliers français. 

Le combat évidemment était terminé, un combat peu important mais victorieux. Les soldats et les officiers qui en revenaient parlaient d’une éclatante victoire, de la prise de Wischau, de tout un escadron français fait prisonnier. Le temps était clair, ensoleillé, après la forte gelée nocturne, et la gaie lumière de cette journée d’automne était en accord avec la nouvelle de la victoire que répandaient non seulement ceux qui y avaient pris part, mais aussi les visages joyeux des soldats, des officiers, des généraux, des aides de camp qui passaient devant Rostov, se rendant aux lieux du combat ou en revenant. 

Il en avait le cœur serré, lui qui avait lutté douloureusement contre la peur précédant la bataille pour ensuite passer toute cette magnifique journée dans l’inaction. 

– Rostov ! Viens ici, buvons pour nous consoler ! cria Dénissov s’installant sur le rebord de la route devant une gourde et un casse-croûte.

Des officiers formaient cercle autour de la cantine de Dénissov, mangeant et bavardant.

– En voilà encore un, dit un des officiers en désignant un dragon français à pied entre deux cosaques. 

L’un d’eux conduisait par la bride la monture du prisonnier, un grand et beau cheval français. 

– Vends-moi le cheval ! cria Dénissov au cosaque. 

– Volontiers, Votre Noblesse…

Les officiers se levèrent et entourèrent les cosaques et le prisonnier. C’était un jeune Alsacien qui s’exprimait en français avec un accent allemand. Il était rouge et haletait d’émotion. Entendant parler français autour de lui, il se mit à expliquer aux officiers en toute hâte, s’adressant tantôt à l’un, tantôt à l’autre, qu’on n’aurait jamais réussi à le faire prisonnier, que ce n’était pas de sa faute s’il avait été pris, que la faute en était au caporal qui l’avait envoyé chercher des housses, qu’il lui avait dit pourtant que les Russes étaient là. 

Et à chaque phrase, il ajoutait : Mais qu’on ne fasse pas de mal à mon petit cheval, et il caressait sa bête. On voyait qu’il ne comprenait pas très bien où il se trouvait. Tantôt il s’excusait d’avoir été pris, tantôt, supposant qu’il se trouvait devant ses chefs, voulait prouver son zèle et sa ponctualité. Il apporta avec lui à notre arrière-garde, dans toute sa fraîcheur, l’atmosphère de l’armée française qui nous était si étrangère. Les cosaques cédèrent le cheval pour deux pièces d’or, et ce fut Rostov, maintenant le plus riche des officiers, qui l’acheta.

Mais qu’on ne fasse pas de mal à mon petit cheval, dit l’Alsacien avec bonhomie à Rostov, lorsque le cheval fut remis au hussard.

Rostov rassura en souriant la dragon et lui donna de l’argent.

– Allez, allez ! dit le cosaque en touchant le bras du prisonnier pour le faire avancer. 

– L’empereur ! l’empereur ! crièrent soudain des hussards. 

Tout le monde s’affaira, se mit à courir et Rostov s’étant retourné vit approcher des cavaliers empanachés. En une minute tous avaient gagné leur place et attendaient. Rostov s’était précipité et avait sauté en selle sans savoir ce qu’il faisait. Ses regrets de n’avoir pu participer au combat, l’humeur morose où l’avait plongée l’inaction au milieu de visages trop bien connus, tout cela s’évanouit instantanément. 

Complètement submergé par la vague de bonheur que soulevait en lui l’approche du souverain, il ne pouvait plus penser à lui-même. Cette seule approche suffisait à le dédommager de sa journée perdue. Il était heureux comme un amant qui obtient le rendez-vous tant désiré. N’osant se retourner dans les rangs et ne se retournant pas, il sentait son approche dans une sorte d’extase.

Il la sentait non seulement au bruit toujours plus distinct des sabots des chevaux, mais parce qu’à mesure que les cavaliers avançaient tout autour de lui, devenait plus clair, plus joyeux, acquérait un nouveau sens, prenait un air de fête. 

Il se rapproche de Rostov, ce soleil qui répand une lumière splendide. Et voilà que Rostov se sent plongé dans son rayonnement, il entend déjà sa voix, cette voix si douce, si calme, si majestueuse et si simple à la fois. Comme il se devait et comme le pressentait Rostov, un silence de mort tomba et dans ce silence retentit la voix de l’empereur.

Les huzards de Pavlograd ? dit-il d’un ton interrogateur.

La réserve, Sire, répondit une autre voix qui parut si humaine après celle, non humaine qui avait dit : les huzards de Pavlograd ? 

L’empereur arriva à la hauteur de Rostov et s’arrêta. Son visage était encore plus beau que trois jours auparavant, lors de la revue. Il rayonnait d’une telle gaieté, d’une telle jeunesse, d’une jeunesse si innocente qu’on songeait à sa vue à un enfant espiègle ; et c’était tout de même le visage empreint de majesté d’un empereur.

En parcourant des yeux l’escadron, le regard d’Alexandre rencontra par hasard celui de Rostov et s’arrêta sur lui deux, secondes, pas davantage. L’empereur comprit-il ce qui se passait dans l’âme de Rostov ? (Il avait tout compris, sembla-t-il à Rostov.) Toujours est-il que pendant deux secondes il fixa de ses yeux bleus (la lumière en coulait douce et pure) le visage de l’enseigne. Puis, soudain, il releva les sourcils, frappa brusquement son cheval du pied gauche et partit au galop.

Le jeune empereur n’avait pu résister au désir d’assister à la bataille et en dépit des objurgations des courtisans, à midi il avait dépassé la troisième colonne qu’il suivait et avait galopé vers l’avant- garde. Mais avant même qu’il eût rejoint les hussards, des aides de camp venus à sa rencontre lui avaient annoncé l’heureuse issue de la bataille.

Cette bataille s’était réduite en fait à la capture d’un escadron français, mais elle fut présentée comme une brillante victoire sur l’armée française. C’est pourquoi l’empereur et toute l’armée, surtout tant que la fumée ne se fut pas dissipée au-dessus du lieu du combat, s’imaginèrent que les Français étaient vaincus et reculaient contre leur gré.

Quelques minutes après le passage de l’empereur, la division à laquelle appartenaient les hussards de Pavlograd reçut l’ordre de se porter en avant. À Wischau même, petite ville allemande, Rostov revit encore une fois l’empereur. Sur la place de la ville où avait eu lieu une fusillade assez nourrie, gisaient quelques morts, quelques blessés qu’on n’avait pas eu le temps de relever. 

L’empereur accompagné d’une nombreuse suite civile et militaire montait encore une jument alezane demi-sang, mais ce n’était pas celle de la revue. Ayant porté à ses yeux d’un geste gracieux son face-à-main en or, il regardait, penché de côté, un soldat étendu sur le ventre, sans shako, la tête ensanglantée. 

Le soldat blessé était tellement crasseux, grossier, affreux, qu’à le voir si proche de l’empereur Rostov se sentit offusqué. Il vit les épaules légèrement voûtées d’Alexandre tressaillir comme parcourues d’un frisson glacé, il vit son pied gauche éperonner convulsivement le flanc du cheval qui, bien dressé, tourna la tête avec indifférence et ne bougea pas. Un aide de camp mit pied à terre, prit le blessé sous les bras et l’étendit sur une civière qu’on venait d’apporter. Le soldat gémit.

– Doucement, doucement ! ne peut-on faire plus doucement ? dit l’empereur qui apparemment souffrait plus que le soldat mourant, et il s’éloigna.

Rostov vit les larmes qui remplissaient ses yeux et il l’entendit dire en français à Czartoryski, tout en s’éloignant :

Quelle terrible chose que la guerre, quelle terrible chose !

Les troupes formant l’avant-garde s’établirent au-delà de Wischau, en vue des lignes de l’ennemi qui, au cours de toute cette journée, recula et céda du terrain à la moindre fusillade.

L’empereur remercia l’avant-garde, on annonça de prochaines récompenses et les hommes reçurent une double ration de vodka. Les feux des bivouacs crépitaient plus gaiement encore que la nuit précédente et les chants des soldats retentissaient. Denisov feta cette nuit-là sa promotion au grade de major, et Rostov, qui avait déjà pas mal bu, proposa à la fin du festin un toast à l’empereur, non pas “à Sa Majesté l’empereur, comme aux banquets officiels, dit-il, mais à la santé de l’homme bon, séduisant et grand. Buvons à la santé de l’empereur et à sa victoire certaine sur les Français !“.

– Si nous nous sommes bien battus jusqu’à présent, si, comme à Schængraben, nous ne nous sommes pas laissé faire par les Français, que ne ferons-nous pas maintenant qu’il est à notre tête ! Tous nous mourrons, nous mourrons pour lui avec bonheur ! Est-ce bien ainsi, messieurs ? Peut-être que je ne m’exprime pas comme il faut, j’ai beaucoup bu, mais c’est ce que je sens, et vous aussi. À la santé d’Alexandre Ier ! Hourra !

– Hourra ! crièrent les officiers enthousiasmés. 

Et le vieux capitaine Kirsten criait avec autant de ferveur et non moins sincèrement que le jeune Rostov. Quand les officiers eurent bu et cassé leurs verres, Kirsten en remplit d’autres et en manches de chemise et culotte de cheval, il s’approcha, le verre à la main, des feux de camp des soldats. Le bras levé, il se dressa majestueusement dans la lueur des feux avec sa longue moustache grise et sa poitrine blanche que laissait voir sa chemise entrouverte.

– À la santé de l’empereur, les enfants ! À notre victoire ! Hourra ! cria-t-il de sa voix martiale, la voix barytonnante d’un vieux hussard.

Les hussards attroupés autour de lui répondirent par de violentes acclamations.

Tard dans la nuit, quand tout le monde se fut dispersé, Dénissov tapota de sa courte main l’épaule de Rostov, son préféré.

– Voilà ce que c’est, dit-il. Personne de qui s’amouracher en campagne, et alors le voilà qui tombe amoureux de l’empereur !

– Dénissov, ne plaisante pas avec ça ! cria Rostov. C’est un sentiment si élevé, si admirable, si…

– Je te crois, je te crois, mon petit, et je partage, et j’approuve… 

– Non, tu ne comprends pas ! 

Et Rostov se leva et alla errer parmi les feux de camp, rêvant au bonheur de mourir non pas pour le salut de l’empereur (de cela il n’osait pas rêver), mais simplement de mourir sous ses yeux. Il était en effet amoureux du tsar, et de la gloire des armes russes, et exalté par l’espoir du triomphe prochain. 

Et il n’était pas le seul à éprouver de tels sentiments dans les jours mémorables qui précédèrent la bataille d’Austerlitz : les neuf dixièmes de l’armée russe, en ce temps-là, étaient amoureux, bien qu’avec moins de ferveur, et de leur empereur, et de la gloire des armes russes.

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Culture & esthétique

Comment lire Guerre & Paix de Tolstoï ?

C’est une œuvre majeure de la littérature mondiale, un joyau universel qu’on se doit d’avoir lu comme il faut avoir vu La flûte enchantée de Mozart.

Guerre & Paix, ou La guerre et la paix, consiste en un gigantesque tableau d’art littéraire, écrit avec une finesse marquante et beaucoup de profondeur, de relief. On en sort aussi satisfait que grandi et meilleur. Autrement dit, plus cultivé.

L’œuvre a une résonance toute particulière pour les Russes, car c’est l’une de leurs fiertés nationales, mais aussi pour les Français, car il y est beaucoup question de la France. D’ailleurs, il y a énormément de passages en français dans le texte original, les personnages étant des aristocrates parlant régulièrement le français, la langue des cours européennes de l’époque. Les éditions françaises impriment normalement ces passages en italique pour les différencier du reste qui est traduit.

Guerre & Paix est un roman historique, de type réaliste, dont le cœur de l’intrigue est la guerre de la France, à travers la figure de Napoléon, contre la Troisième coalition (l’Empire russe, l’Empire d’Autriche, le Royaume-Uni et la Suède).

On dit le cœur de l’intrigue, car c’est de cela dont il s’agit, mais on peut tout aussi bien considérer que ce n’est que prétexte ; en fin de compte, Lev Nikolaïevitch Tolstoï parle de bien plus que de cela dans son roman. Il y sonde l’âme russe, c’est bien connu, mais aussi l’Humanité en général, dans son rapport intime et particulier à la guerre, à cette horreur transcendante et bouleversante qu’est la guerre. Mais cela est fait de manière complexe, assumant toute la subtilité de la politique, jamais avec mièvrerie.

En 2024, alors que la France assume pratiquement ouvertement son intention de faire la guerre à la Russie, et que la Russie assume encore plus ouvertement de tuer en priorité tous les soldats français qui se dresseraient sur son chemin, le roman a une résonance encore plus particulière. Il faut lire ou relire Guerre & Paix de Tolstoï !

Seulement voilà, ce n’est pas une œuvre facile à aborder. D’abord quantitativement : pour une édition classique en français, c’est grosso modo deux milles pages ! Mais aussi qualitativement, car la lecture de ce livre demande un certain effort, particulièrement pour suivre la longue et précise suite de personnages qui se succèdent et s’entremêlent, tout cela au milieu de beaucoup d’autres qui ne font que passer.

Il faut donc trouver une méthode. La première chose, c’est d’assumer l’effort. Il faudra pour lire ce livre de la concentration. Le plus souvent, on sera porté par l’intrigue et les pages se succéderont avec délice. Mais parfois, on se retrouvera plusieurs minutes sur la même page, car il aura fallu réfléchir un peu plus en profondeur ou relire plusieurs fois, pour s’y retrouver, quitte à aller chercher ailleurs des informations, du vocabulaire.

Une fois cela su et assumé, c’est bien plus facile.

La seconde chose à faire, en tous cas pour la plupart des gens, c’est de dresser au fur et à mesure une liste précise et rigoureuse des protagonistes, d’autant plus qu’ils changent souvent d’appellation (qu’ils soient désignés avec ou sans le nom de famille, ou bien par un des nombreux diminutifs typiquement russes). Seuls les lecteurs les plus aguerris peuvent s’en dispenser. Nous allons proposer ici un exemple pour les premières pages.

Mais avant cela, une présentation de l’intrigue et du contexte historique est nécessaire.

En juin 1805, l’aristocratie mondaine de Saint-Pétersbourg (capitale de l’Empire) est obnubilée par Napoléon, devenu « Empereur ». La guerre est de toutes les conversations, avec en arrière plan la question de la révolution démocratique bourgeoise française qui chamboule l’élite russe et les émigrés français qui se sont réfugiés dans le pays.

Le monde change littéralement de base à cette époque, des centaines d’années d’Histoire féodale européenne étant renversées par la modernité bourgeoise.

On suivra d’abord quelques mondanités, dans la capitale puis à Moscou. La deuxième partie du Livre 1 (au bout d’un peu moins de 200 pages) sera ensuite consacrée au front, avec bientôt la fameuse bataille d’Austerlitz.

Les premières lignes servent à introduire quelques principaux protagonistes, au moyen d’une soirée organisée chez elle par Anna Pavlovna Schérer (favorite de l’impératrice).

Voici le début de la liste des personnages à connaître dans un premier temps, et à garder sous la main, par exemple sur une feuille cartonnée qui fera office de marque-page.

  • Le Prince Basile Kouraguine, très installé dans le monde. Il a trois enfants, jeunes adultes.
  • Anatole Kouraguine (fils du Prince Basile), intenable.
  • Hippolyte Kouraguine (fils du Prince Basile), mondain.
  • Hélène Kouraguine (fille du Prince Basile), mondaine et courtisée.
  • Pierre, fils illégitime du Comte Cyrille Vladimirovitch Bézoukhov (mourant), personnage principal du roman, souvent considéré comme la « voix » de Tolstoï lui-même. Il est hébergé par le Prince Basile à Saint-Pétersbourg.
  • André Bolkonski, proche de Pierre, s’apprête à partir au front comme aide du camp du Général Koutouzov (figure historique réelle).
  • Lise Meinen, femme d’André Bolkonski, enceinte.
  • Princesse Anna Mikhaïlovna Droubetskoï, ancienne du monde, cherche à placer son fils Boris.
  • Boris Droubetskoï, jeune adulte, se place habilement dans la société moscovite.
  • La famille Rostov avec le père le Comte Ilia, la mère la Comtesse Natalia Rostov, née Chinchine, les enfants Véra, Natacha et Nicolas, ainsi que leur cousine Sonia.

C’est normalement une très bonne base, pour appréhender l’œuvre confortablement, en mettant de côté beaucoup de personnages relativement secondaires. Cela dépendra de chacun, mais on peut considérer que cette liste suffira pour les deux cents premières pages.

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Guerre

« Tolstoïevski »

Le nationalisme ukrainien, encore et toujours plus.

Il a déjà été parlé de comment le nationalisme ukrainien a particulièrement ciblé Dostoïevski. Néanmoins, Tolstoï fait toujours partie de cette cible, au point qu’on a maintenant même le concept de « Tolstoïevski ».

Il a été mis en avant par Andriy Melnyk, le numéro 2 des Affaires étrangères du régime ukrainien. Il avait été auparavant ambassadeur d’Ukraine en Allemagne de 2015 à 2022, mais il a dû partir car vraiment ses discours ultra-nationalistes ukrainiens rendaient sa position trop délicate par rapport à l’opinion publique allemande.

L’occasion a été une interview accordée le 6 avril au média ukrainien RBC. Il dit la chose suivante : oui, l’Allemagne nous soutient. Mais il y a un problème de fond, c’est que dans le dispositif culturel et idéologique allemand, la Russie existe.

Il faut que ça change, sinon l’Allemagne ne s’engagera jamais à fond pour le régime ukrainien.

Il faut bien saisir ici que pour le régime ukrainien, la Russie n’existe pas. Selon le nationalisme ukrainien, la Russie serait un empire maléfique dominé par la « Moscovie » criminelle. D’où l’intérêt du nationalisme ukrainien pour la superpuissance américaine dans sa guerre contre la Russie.

L’objectif, assumé, est la partition de la Russie en plusieurs entités.

Andriy Melnyk reprend donc le discours sur la Russie qui serait par nature criminelle, assassine, à l’instar de Dostoïevski. Tolstoï est devenu de plus en plus cité, il est désormais officialisé, mis au même niveau que Dostoïevski.

Voici donc son propos, qui fantasme d’ailleurs beaucoup sur les relations des classes dominantes allemandes avec la Russie : avant 1945, c’est le racisme anti-slave le plus brutal qui prédominait, dans l’esprit prussien. Ce n’est pas pour rien que les nazis voulaient exterminer tous les Slaves.

« D’autre part, les relations de l’Allemagne avec la Russie ont une histoire particulière qui remonte à la guerre froide ou à l’étroite coopération entre la Première et la Seconde Guerre mondiale.

– Jusqu’à l’époque de la Prusse ?

– Du moins de Frédéric le Grand, qui doit son salut à Catherine II. Pas étonnant que son portrait ait été accroché dans son appartement (…).

Je suis déjà silencieux sur les liens dynastiques les plus étroits entre les deux nations, les Allemands sont toujours fiers de leur contribution à l’établissement de l’État russe, et pas seulement sous Catherine, qui était une princesse allemande. 

Mais le fondement principal est la culture, la proximité idéologique. 

Les Allemands, malgré cette guerre barbare de la Russie, adorent toujours la musique classique, la littérature, le ballet, l’art russes, ils maintiennent une vision romantique des Russes en tant que grande nation culturelle, croient en un « bon » Russe, non seulement en Navalny, mais en un sorte d’image collective de Tolstoïevski.

Bien sûr, quand les Allemands ont vu toutes les atrocités que les Russes commettent en Ukraine, ils ont eu un véritable choc. Pour eux, il s’agit d’un test de résistance à la barbarie, qu’ils n’ont pas connu depuis la Seconde Guerre mondiale.

Bien sûr, la majorité de la société allemande condamne cette terrible cruauté, car il ne peut en être autrement parmi les peuples civilisés. 

Mais malgré tout cela, tant au niveau public qu’au niveau des élites politiques en Allemagne, il est entendu que la Russie en tant que grande puissance, en tant que facteur de la politique internationale – même malgré cette guerre – n’ira nulle part, personne croit qu’il va s’effondrer. Les Allemands ne croient même pas qu’il y aura une réinitialisation sérieuse au sein de la Fédération de Russie. »

Ce discours n’a rien de nouveau : c’est la ligne de l’effacement de la culture russe prônée par le régime ukrainien. Nous avons parlé de l’appel en ce sens fait par le ministre ukrainien de la culture Oleksandr Tkachenko.

Ce qui est par contre notable, c’est la surenchère permanente, la conceptualisation au service d’une narration pour nier la Russie et légitimer son dépeçage. C’est là qu’on voit très bien comment le régime ukrainien est totalement au service de la ligne américaine de conquête pour le repartage du monde.

Le régime ukrainien ne représente en rien les intérêts ukrainiens ; il est un appareil au service de la superpuissance américaine par l’intermédiaire d’une fiction nationale inventée par le nationalisme ukrainien. Et le pays, devenu zombie, court ainsi à sa perte.

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Culture

Ce qu’est l’âme russe

Une introduction efficace et peut-être simple.

Les peuples slaves se caractérisent par un certain flottement de l’âme et chez les Russes, cela prend une tournure très prononcée. La découvrir, la redécouvrir est toujours un plaisir, et une nécessité alors que l’incessant bourrage de crâne occidental explique que la Russie n’existerait pas.

Le passage peut-être le plus représentatif de cette âme russe se situe dans le fameux roman de Léon Tolstoï, Guerre et paix, paru entre 1864 et 1869.

Nous sommes à la campagne et, après avoir entendu une mélodie, de manière irrépressible, un vieil aristocrate se met à la guitare, et une jeune aristocrate se met à danser.

Voici une scène d’une version filmée de 1966 et l’extrait de Guerre et paix.

Mais le génie national russe de ce passage de Guerre et paix ne tient pas seulement au contenu. De manière admirable, Léon Tolstoï s’abstient de décrire la danse. C’est un choix, un choix russe : la pudeur dans l’émotion pourtant montrée. C’est cela, l’âme russe.

https://rutube.ru/video/3124b48526de283aeff6603122728689/

« C’est mon cocher Mitka qui joue : aussi lui en ai-je acheté une excellente, cette musique me plaît ! » Il était d’habitude qu’au retour de la chasse, Mitka se livrât à ses fantaisies musicales, pendant que le « petit oncle » l’écoutait avec bonheur.

– C’est vraiment très joli, dit Nicolas avec une feinte indifférence, comme s’il était honteux d’avouer qu’il trouvait du charme à cette musique.

– Comment, très joli ? s’écria Natacha d’un ton de reproche, mais c’est charmant, mais c’est ravissant ! » Et en effet la chanson qu’elle écoutait lui semblait la plus idéale des mélodies, tout comme les champignons, le miel et les confitures d’Anicialui avaient paru être les meilleurs qu’elle eût jamais mangés !

« Encore, encore, je t’en prie, » dit Natacha, lorsque la
« balalaïka » se tut. Mitka l’accorda et reprit de nouveau la Barina, avec variations et changements de ton. L’oncle, la tête légèrement inclinée, un vague sourire sur les lèvres, écoutait religieusement.

Le motif revint une centaine de fois sous les doigts exercés du musicien, et les cordes répétèrent à satiété les mêmes notes, sans fatiguer les oreilles de l’auditoire, qui ne cessait de les redemander. Anicia Fédorovna écoutait aussi, appuyée contre le linteau de la porte :

« Faites attention, mademoiselle, dit-elle avec un sourire
qui rappelait celui de son maître. Il joue très bien !

– Voilà une mesure manquée, s’écria tout à coup le « petit
oncle » en faisant un geste énergique. Ces notes-là doivent être plus vivement… enlevées, affaire sûre, marche !

– Sauriez-vous jouer de la balalaïka ? demanda Natacha
surprise.

– Aniciouchka !… – et le « petit oncle » sourit malicieusement. – Vois un peu si les cordes de la guitare y sont toutes, il y a si longtemps que je ne l’ai eue entre les mains. »

Anicia exécuta cet ordre avec une visible satisfaction, et lui apporta la guitare.

La prenant avec soin, il souffla dessus pour en enlever
quelques grains de poussière, et en tendit les cordes de ses doigts osseux ; puis, s’asseyant bien à son aise, et arrondissant d’une façon un peu théâtrale son coude gauche, il saisit le manche de l’instrument, cligna de l’œil à Anicia Fédorovna, et, pinçant un accord plein et sonore, commença, sans la moindre hésitation, à improviser sur le thème d’une chanson très populaire.

Le rythme en était lent, mais le refrain exprimait une gaieté si douce, si discrète, la gaieté d’Anicia, qu’il pénétra jusqu’au cœur de Nicolas et de Natacha… et leur cœur chanta à l’unisson !

Anicia, dont la figure rayonnait, rougit, se cacha la figure dans son mouchoir et quitta le cabinet en souriant toujours ; le « petit oncle » continuait avec précision et avec aplomb à moduler ses cadences et ses variations, et son regard vaguement inspiré se portait vers la place qu’elle avait occupée.

Un léger sourire flottait sous sa moustache grise, et s’accentuait vivement, lorsqu’il accélérait la mesure, que la chanson redoublait d’entrain, et qu’une corde criait aux passages difficiles.

« Ravissant, ravissant !… » Et Natacha, sautant de sa place,
entoura le « petit oncle » de ses bras et l’embrassa : « Nicolas, Nicolas ! » ajouta-t-elle en se retournant vers son frère, comme pour lui faire partager sa surprise.

Mais le « petit oncle » avait recommencé à jouer. Anicia
Fédorovna et plusieurs autres gens de la maison montrèrent leurs figures dans l’entrebâillement de la porte, pendant qu’il attaquait le : « Là-bas, là-bas, derrière la source fraîche, la jeune fille m’a dit : attends ! », et, brisant un accord, il remua légèrement les épaules.

« Eh bien, eh bien après ! » dit Natacha d’un ton si suppliant, que sa vie semblait dépendre de ce qui allait suivre.

Le « petit oncle » se leva ; on aurait dit qu’il y avait en lui deux hommes différents, dont l’un répondait par un grave sourire à la naïve et pressante invitation à la danse exécutée par l’autre, par le musicien :

« En avant, ma nièce ! s’écria-t-il tout à coup, et Natacha,
se débarrassant vivement de son châle, s’élança au milieu de la chambre, posa ses mains sur ses hanches et attendit, en imprimant à ses épaules un balancement imperceptible.

Comment, par quel procédé inconnu cette petite comtesse, élevée par une émigrée française, avait-elle pu et su s’assimiler, sous la seule impression de son air natal, ces mouvements, inimitables et indescriptibles de l’enfant du peuple, si vrais, si typiques, si russes en un mot, et que le fameux pas du châle de Ioghel [dont les bals étaient les plus fameux] aurait dû depuis longtemps lui avoir fait oublier ?

Lorsqu’on la vit se préparer à répondre au signal, avec ses yeux pétillants de malice et son air souriant et assuré, la défiance involontaire de Nicolas et du reste de l’auditoire s’envola comme par enchantement ; il n’y avait plus à en douter, elle justifierait leur attente, et ils pouvaient hardiment l’admirer !

Elle mit une telle perfection à tout ce qu’elle avait à faire,
qu’Anicia Fédorovna, après lui avoir aussitôt donné le petit mouchoir, complètement indispensable à ses attitudes, se mit à rire de bon cœur et à s’attendrir en même temps, pendant qu’elle suivait des yeux les pas et les gestes de cette fine et gracieuse créature.

C’est que Natacha, si supérieure à cette jeune comtesse élevée dans le velours et la soie, savait si bien comprendre et exprimer non seulement ce qu’elle, Anicia, comprenait et sentait, mais encore tout ce qui faisait aussi battre le cœur de son père, de sa mère, de tous les siens, en un mot et pour mieux dire, tout cœur véritablement russe !

« Bravo, petite comtesse, affaire sûre, marche ! s’écria le
« petit oncle » à la fin de la danse… Il ne te manque plus qu’un beau garçon pour mari !
– Mais pas du tout, il est tout choisi, dit Nicolas.
– Ah bah ! » reprit le vieux, stupéfait.

Natacha répondit d’un signe de tête avec un joyeux sourire : « Et comme il est bien », ajouta-t-elle. »

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Culture

Ilya Répine serait maintenant ukrainien!

C’est « l’effacement » de la Russie.

Le régime ukrainien ne fait pas que détruire les monuments à Pouchkine et dénoncer Dostoïevski comme l’expression d’une âme russe damnée, monstrueuse, criminelle. Il ne cesse également de réécrire l’Histoire pour s’approprier certains artistes.

Le peintre Kazimir Malévitch est ainsi par exemple considéré comme ukrainien, ce qui est bien ridicule, et on a désormais droit au comble de l’absurde : le peintre Ilya Répine serait ukrainien.

Ilya Répine, Procession religieuse dans la province de Koursk, 1883

Rien qu’avec cette information, l’opinion publique russe serait directement favorable à une intervention militaire. Parce que là, on touche tout de même au cœur même de la culture russe.

Pour preuve, du 5 octobre 2021 au 23 janvier 2022, il y a eu à Paris une rétrospective sur ce peintre. Cette exposition au Petit Palais avait été dénommée… « Ilya Répine ( 1844-1930), Peindre l’âme russe ».

Il est bien parlé de l’âme russe, pas de l’âme ukrainienne. L’exposition a été un grand succès d’ailleurs, avec 100 000 visiteurs, qui ont sans doute été étonnés de découvrir ce peintre de la plus haute qualité.

C’est que les « ambulants », ces fabuleux peintres réalistes russes de la fin du 19e siècle, sont malheureusement inconnus chez nous. Ils forment par ailleurs le noyau historique, avec la littérature russe de la même époque, du style artistique « réaliste socialiste » de l’URSS.

On parle ici d’artistes d’orientation démocratique, d’où le fameux tableau d’Ilya Répine sur les Cosaques, présentés de manière romantique comme épris de liberté. Les nationalistes ukrainiens aimeraient bien récupérer le peintre et donc ce tableau pour en faire un outil de leur idéologie mortifère, ethnique-patriarcale.

Ilya Répine, Les Cosaques zaporogues écrivant une lettre au sultan de Turquie, 1891

Comme il se doit, c’est la superpuissance américaine qui est en première ligne pour épauler la réécriture du régime ukrainien. C’est ainsi le Metropolitan Museum of Art de New York qui a, à la mi-février 2023, décidé de faire d’Ilya Répine un « Ukrainien ».

La raison est qu’il serait né dans ce qui est l’Ukraine actuelle et que son père était cosaque. Ce qui est un raccourci complet et on pourrait très bien inverser la proposition et dire que par conséquent, la zone concernée est russe.

Si on commence en effet comme ça, on nie les mélanges, les synthèses et on bascule dans le nihilisme nationaliste. Qu’on pense au drame yougoslave !

Sur sa lancée, le « Met » a transformé le peintre russe d’origine arménienne Ivan Aïvazovski en Ukrainien. On parle ici d’un peintre, par ailleurs d’une très grande renommée, qui est enterré dans le jardin d’une église arménienne et a été peintre de l’état-major de la Marine russe !

Mais comme il est né en Crimée, et que la Crimée est censée être ukrainienne, alors il est ukrainien ! Sidérant !

Ivan Aïvazovski, La neuvième vague, 1850
Ivan Aïvazovski, La Création ou Le Chaos, 1841

Il a été fait pareil avec Arkhip Kouïndji. Comme il est né à Marioupol, et que Marioupol est censé être l’Ukraine, alors il est ukrainien, même si sa famille relève des Grecs de la région !

Tout cela est un raccourci ignoble, qui fait fi des mélanges, des synthèses propres à cette partie du monde. Parce que justement, si l’on prend les peintures d’Arkhip Kouïndji, lui-même dans la perspective des Ambulants… on retrouve l’Ukraine.

Les peintures de ce non-ukrainien sont indéniablement, résolument, absolument d’esprit national ukrainien…

Arkhip Kouïndji, Nuit ukrainienne, 1876

On y retrouve ce côté lancinant, cette profondeur de champ s’étalant dans une candeur qui se permet de traîner son regard comme un vague à l’âme. C’est russe, et en même temps pas du tout, car cela se répand bien trop dans la complaisance sentimentale pour le moment, il n’y a pas cette inquiétude russe qui recherche des « pointes »…

Arkhip Kouïndji, Le Dniepr le matin, 1881

Si l’on veut, les Finlandais ont trop regardé les lacs, les Ukrainiens ont trop regardé les steppes et les champs, les Russes ont trop regardé les forêts.

Arkhip Kouïndji, Soir en Ukraine, 1878

Faisons une comparaison pour cerner la différence. Voici un tableau d’Ilya Répine, Tolstoï dans un champ de labour, de 1887. Il faut regarder le côté incisif, l’intensité, la pointe.

Maintenant regardons Arkhip Kouïndji, Le chemin des tchoumaks à Marioupol, de 1875. Il n’y a pas ce côté incisif russe. C’est ukrainien. C’est très proche, mais il y a une nuance, une différence.

Les Russes et les Ukrainiens expriment l’âme, mais les Russes font ressortir une pointe, que les Ukrainiens préfèrent gommer. Ou, si l’on veut, les Russes parlent beaucoup mais ne disent rien (qui relève de l’âme, intime), les Ukrainiens ne disent rien mais parlent beaucoup (ils disent indirectement).

Mais il va de soi qu’il ne faut pas attendre des nationalistes ukrainiens, ces barbares, la moindre réflexion esthétique sur la peinture ukrainienne. Ces monstres sont dans la destruction.

Car Arkhip Kouïndji peut ne pas être ukrainien et contribuer ou relever de la peinture ukrainienne. Les choses sont compliquées… l’humanité se mélange… et c’est très bien ainsi.

Le nationalisme est unilatéral et simplificateur, il empêche de saisir les synthèses historiques. Ce n’est tout de même pas pour rien que les Russes et les Ukrainiens soient si proches, tout comme les Allemands et les Autrichiens, les Indiens et les Pakistanais, etc.

Dans mille ans, il n’y aura plus de nations, plus de « couleurs de peau », on sera tous mélangé, dans une grande synthèse mondiale qui d’ailleurs continuera de manière ininterrompue.

La réécriture de l’Histoire procédant à des séparations, à l’individualisation, est une expression à la fois de la décadence de la bourgeoisie, de la décomposition des valeurs, du redécoupage du monde entre puissances.

Il faut la combattre.

Il est évident que toutes ces redéfinitions de peintres obéissent à l’objectif impérialiste de destruction de la Russie, de son futur découpage en mini-États vassalisés. C’est un processus à la fois insidieux et ouvert. La National Gallery de Londres avait déjà en avril 2022 renommé un tableau du peintre Edgar Degas, les « danseuses russes » devenant ukrainiennes.

On notera par ailleurs que la Tate Gallery de Londres considère Ilya Répine comme un peintre russe né ukrainien.

Tout cela est de la fiction. Et c’était la force de l’URSS jusqu’aux années 1950 de réfuter ce type de fiction, permettant l’unité populaire, que ce soit pour l’Ukraine et la Russie ou dans le Caucase.

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Guerre

Guerre en Ukraine : le  directeur du renseignement militaire français viré comme un malpropre

Ce qui se passe est bien français.

© DRM

Au lieu de faire des mugs à en-tête, les dirigeants de la direction du Renseignement militaire auraient dû lire Agauche.org sur l’Ukraine. Mais ils l’ont forcément fait, car c’est leur travail que de tout lire, et il n’y avait pas grand monde, pour ne pas dire personne, pour en parler, surtout dès avril 2021, pour annoncer qui plus est que la guerre était inévitable.

Cette guerre, le général Vidaud n’y a toutefois pas cru, et il vient de se faire éjecter pour cela de son poste de chef de la direction militaire, sept mois seulement après sa nomination. La presse parle de « briefings insuffisants » et d’un « manque de maîtrise des sujets », en clair : il n’a pas suivi correctement la tendance à la guerre et a été dépassé.

Seulement voilà, là où c’est intéressant, c’est que le général en question n’était pas un stratège, mais ce que l’armée française produit de « mieux » : des hommes de coups de main. C’est par exemple lui qui, au Mali, a dirigé la liquidation le 3 juin 2020, d’Abdelmalek Droukdal, chef d’Al Qaïda au Maghreb islamique. Voici comment le Renseignement militaire français présentait encore hier son directeur :

Saint-Cyrien de la promotion « général Callies » (86-89), le général de corps d’armée Éric Vidaud choisit, à la fin de sa scolarité, de servir dans les troupes de marine, spécialité infanterie. A la sortie de son école d’application, il est affecté au 1er régiment de parachutistes d’infanterie de marine (1er RPIMa) à Bayonne en 1990.

Il est breveté de l’enseignement militaire supérieur et obtient également le Master of Business of Administration (MBA) d’HEC pendant la période 2000 et 2002.

Détaché à la direction du Trésor au sein du ministère des Finances, il est chargé de la politique économique en Afrique de l’Ouest et du suivi du franc CFA de 2004 à 2006. Il est affecté à l’État-major de l’armée de Terre (EMAT) en charge des relations parlementaires pour l’armée de Terre tout en étant auditeur de l’Institut des hautes études de l’entreprise (IHEE) pendant les deux années suivantes.

En 2008, il prend le commandement du 1er RPIMa.

De septembre 2010 à juin 2011, il est auditeur de la 60e session du Centre des hautes études militaires et de la 63e session de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN).

En juillet 2011, il devient directeur des opérations au Commandement des opérations spéciales (COS). Il est ensuite affecté au cabinet du ministre de la Défense au poste de chef du bureau réservé d’octobre 2012 à septembre 2017.

Promu général de brigade en 2017, il devient le commandant supérieur des forces armées dans la zone sud de l’océan Indien (FAZSOI) et commandant de la base de défense de La Réunion-Mayotte.

En juillet 2019, il prend la direction du Commandement des opérations spéciales (COS).

Il est nommé directeur du renseignement militaire à compter du 1er septembre 2021, élevé le même jour aux rang et appellation de général de corps d’armée.

Le général de corps d’armée Éric Vidaud a été engagé à plusieurs reprises en opérations extérieures dans les Balkans, en Somalie, en République Centrafricaine, au Congo Brazzaville, en République de Côte d’Ivoire, en Haïti et en Afghanistan.

Officier de la Légion d’Honneur, commandeur de l’ordre national du Mérite, le général de corps d’armée Éric Vidaud est titulaire de la croix de la valeur militaire avec cinq citations.

On chercherait en vain une dimension stratégique. Le type est un homme de main, un de ces baroudeurs à la française, dont l’heure de « gloire » fut la guerre d’Algérie. Donc on le choisit.C’est tout à fait représentatif de l’armée française. D’ailleurs, qu’est-ce que raconte le chef d’état-major des armées Thierry Burkhard au quotidien Le Monde après le déclenchement de l’invasion de l’Ukraine par la Russie ? Que :

« Les Américains disaient que les Russes allaient attaquer, ils avaient raison. Nos services pensaient plutôt que la conquête de l’Ukraine aurait un coût monstrueux et que les Russes avaient d’autres options. »

C’est là encore exemplaire de la mentalité du baroudeur, qui organise un coup, et qui calcule de manière comptable si ce coup est rentable ou pas. C’est la quintessence de l’esprit militaire français, et on reconnaît que le théoricien militaire de l’armée française, c’est Napoléon, avec l’ingéniosité pour les batailles « décisives ».

L’exemple suprême peut-être de la démarche est racontée par Tolstoï dans son fameux roman Guerre et paix. Devant en 1805 prendre un long pont contrôlé par les Autrichiens, Lannes et Murat y vont les mains dans les poches, faisant croire qu’un armistice est signé. Les soldats français suivent pareillement, l’air de rien mais en réalité enlevant les explosifs et prenant le contrôle du pont.

De la subtilité et du panache… Le rêve du soldat français. D’ailleurs, qui est pressenti pour prendre la tête du Renseignement militaire ? Le général Jacques de Montgros, un parachutiste qui a été en Bosnie, au Rwanda, au Tchad, en en République centrafricaine, en Afghanistan… C’est totalement à rebours par exemple de la Defense Intelligence Agency américaine, dont les directeurs sont non pas des baroudeurs, mais des analystes.

C’est à la fois révélateur et riche d’enseignement. Parce que ce sont ces gens-là qui vont diriger la guerre dans laquelle nous précipite la grande bourgeoisie française. Il faut savoir comment ils fonctionnent, car il faudra triompher d’eux !

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Culture Culture & esthétique

Sans mémoire, une existence toute en illusions: le rôle de l’art

C’est la question de la vie intérieure qui doit primer.

Ce qui est très intéressant lorsqu’on s’intéresse à la question des arts et des lettres, c’est qu’on peut voir que la Russie a apporté une immense contribution, dans absolument tous les domaines. Que ce soit en peinture, en musique, en danse, en architecture, en sculpture, en littérature… on retrouve d’importantes figures.

Et ce qui est significatif, c’est qu’il existe dans ce pays, historiquement, une profonde continuité dans cette expression artistique. C’est-à-dire que l’irruption de la modernité telle qu’elle a eu lieu plus à l’ouest – avec l’impressionnisme, l’expressionnisme, etc. – n’y a pas eu lieu, à part avec une cubisme et un futurisme qui n’ont pas duré et qui, de toutes façons, étaient eux-même très « russe ».

Pourquoi? Parce que lorsque Kazimir Malevitch fait son carré blanc sur fond blanc, il est en quête d’absolu, d’une vie intérieure puissante. Lorsque les constructivistes, avec à leur tête Alexandre Rodtschenko par la suite photographe renommé, parlent d’organiser le monde, ils le font au nom d’une vie intérieure consciente.

Il y a, dans tous les cas, une obsession russe pour la vie intérieure. En France, deux noms reviennent souvent ici : Tolstoï et Dostoïevski. Mais il suffit de regarder la définition de l’écrivain chez Staline (aidé comme on le sait de Maxime Gorki) pour voir la même préoccupation fondamentale :

« L’écrivain est un ingénieur des âmes. »

Et cette définition est en fait même rapporté à l’artiste en général. Il y a le mot âme, c’est flagrant ; on sait pourtant que les communistes sont athées, alors quel est le sens de ce mot? C’est un équivalent de « vie intérieure ». Et qu’est-ce que la vie intérieure? C’est la reconnaissance de ce qu’on a vécu, comme un assemblage d’expériences, de sensations, de considérations, de réflexions.

Il s’agit alors d’accorder un sens à cela, d’y mettre de l’ordre. Seulement, comment peut-on le faire s’il n’y a pas la mémoire de son propre vécu?

Que peut faire une personne vivant de manière ininterrompue dans un présent sans cesse renouvelé? Et c’est précisément ce que propose ou plutôt impose le capitalisme. Présent vingt-quatre heures sur vingt-quatre, il interdit toute pause, toute introspection. On est dans un egotrip permanent et toujours remis en avant par une consommation ou une autre. Un nouvel habit, une nouvel épisode d’une série, une nouvelle relation sexuelle, un « nouveau » corps, etc.

Andreï Tarkovski a raison quand il dit que :

« Privé de mémoire, l’être humain devient le prisonnier d’une existence toute en illusions. Il est alors incapable de faire un lien entre lui et le monde, et il est condamné à la folie. »

Le temps scellé (Cahiers du Cinéma 2004 ou bien Philippe Rey 2014)

L’artiste ne saurait donc échapper à une considération approfondie sur la question de ce qui va être tiré de son œuvre, en termes de mémoire. Il doit être capable de produire une œuvre qui s’inscrive dans la vie de tout un chacun, qui possède ainsi une nature particulière s’adressant à chacun en particulier, et en même temps dispose d’une portée universelle pour s’adresser à tous.

Autrement dit, l’artiste doit inscrire son œuvre dans l’Histoire, pour être capable de toucher chaque histoire personnelle des gens confrontés à son œuvre. Il doit établir un lien authentique avec la réalité, celle que tout le monde vit, sans quoi son œuvre ne serait qu’un fantasme.

La capacité du capitalisme est de proposer un nombre immense d’œuvres fantasmés à des gens fantasmant, multipliant les marchés. Ce faisant, le capitalisme tue la possibilité d’une œuvre universelle, d’une œuvre classique, d’un chef d’œuvre. Le relativisme tue l’universel et démolit le temps en le fragmentant en autant de « durées » perçues individuellement.

La course à la subjectivité massacre le monde objectif. L’artiste doit s’y opposer, pour exister en tant qu’artiste, pour s’arracher à la négation du réel, pour porter une œuvre dans un cadre historique. Réfléchir à ce qu’on retenir de son œuvre, à ce qui sera naturellement retenu, est donc essentiel.

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Guerre

Mobilisation nationale ukrainienne face aux avancées russes

Le régime ukrainien tente d’encaisser le choc.

L’offensive russe du 24 février 2022 a été particulièrement ciblée, l’armée disposant d’un très haut niveau technologique sur le plan des missiles et des avions pour bombarder. Elle a visé principalement le quartier-général des forces militaires, le quartier-général de la Garde nationale, 72 installations militaires, 11 aéroports militaires, la base navale d’Ochakovo, 18 radars S-300 et Buk-M1.

L’offensive n’a pas concerné tant le Donbass, même s’il y a eu des affrontements et une avancée de plusieurs kilomètres, que le nord de l’Ukraine (notamment depuis le Biélorussie) que le sud (depuis la Crimée). Dans ce dernier cas, l’offensive russe a bien réussi, rencontrant plus de difficultés au nord.

Il y a également la question de Kiev. La grande rumeur de la soirée de l’invasion, c’est que le président ukrainien Volodymyr Zelensky était particulièrement ciblé. Dans l’après-midi, la rumeur voulait que l’armée russe avait pris le contrôle de l’aéroport près de Kiev, que le président ukrainien s’était vu accorder un sauf-conduit et que deux avions turcs l’attendaient pour le transporter.

En tout cas, dans la matinée du 25 février, Kiev elle-même était atteinte par l’armée russe, avec une présence attestée dans un quartier de Kiev (Obolon), le ministre ukrainien des Affaires étrangères en appelant la population (« Nous demandons aux citoyens de nous informer des mouvements ennemis, faites des cocktails molotov, neutralisez l’occupant! »).

On notera dans la périphérie de Kiev ce tank russe avec un drapeau… soviétique. Il ne faut pas fantasmer outre-mesure dessus (jusqu’à faire de la Russie une URSS dégénérée comme fait la gauche du PCF), mais il est évident que la culture soviétique, au sens le plus large, transpire également dans tous les aspects de la question russo-ukrainienne.

L’offensive russe a donc été frappante, mais pas réellement massive. Rien à voir avec une sorte d’invasion russe au moyen d’hommes massés quantitativement, comme on le fantasme souvent en pensant à la Russie. On au contraire une précision militaire de la plus haute finesse, dont on appréciera l’esprit historique en lisant Guerre et paix de Tolstoï.

Cela obéit à deux principes : officiellement, c’est une « opération de démilitarisation » et il ne faut pas donner une impression d’invasion. Même si, naturellement, cela se transformera à un moment en « libération », avec la mise en place d’un nouveau régime.

Il faudra alors sans doute que reste un petit Etat ukrainien, afin que sa situation soit un « boulet » pour l’Union Européenne, qui aura un pays ultra-pauvre dans les mains (la partie ouest étant la plus pauvre en Ukraine historiquement), et un boulet pour l’OTAN, qui ne pourra pas intégrer un pays dont une partie est occupée par un autre (car cela impliquerait directement la guerre).

De plus, il faut une guerre un peu prolongée, afin de massacrer l’armée ukrainienne et tous les groupements ultra-nationalistes pour s’en débarrasser pour la suite.

Tout le monde a compris ainsi que le régime ukrainien était condamné, dans tous les cas. Celui-ci a décrété la mobilisation nationale le 24 au soir, le président Volodymyr Zelensky déclarant notamment :

« J’ai demandé à 27 dirigeants européens si l’Ukraine serait dans l’OTAN… Tout le monde a peur, personne ne répond. »

Sergueï Lavrov, le chef de la diplomatie russe, a répondu également de la manière suivante le 25 février 2021 aux tentatives de négociation de la part de l’Ukraine :

« Nous sommes prêts à des négociations, à n’importe quel moment, dès que les forces armées ukrainiennes entendront notre appel et déposeront les armes. »

C’est que l’Ukraine n’a été qu’un jouet pour la superpuissance américaine et l’OTAN, et du point de vue occidental, tant mieux si on peut avoir une Russie s’enfonçant dans la guerre, si on peut avoir prétexte pour des sanctions massives. Le régime ukrainien a une énorme responsabilité dans l’incapacité à assurer la défense nationale, ce qui met en jeu l’existence même de la nation ukrainienne dont la Russie compte se débarrasser pour en faire une « petite Russie », appendice avec les Russes blancs (les Biélorusses) de la Grande Russie.

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Guerre

Ukraine : ballet diplomatique franco-allemand à Kiev, Moscou et Washington

La France et l’Allemagne espèrent parvenir à se placer.

La photographie officielle de la rencontre le 7 février 2022 entre le président russe Vladimir Poutine et le président français Emmanuel Macron à Moscou ne laissera pas d’étonner en raison de la longueur de la table. Il ne faut pas y voir malice : lorsque le premier ministre hongrois Viktor Orbán est venu à Moscou le 1er février 2022, il a trinqué avec Vladimir Poutine à plusieurs mètres de distance. C’est pour souligner la nécessité de la distanciation physique, dans un pays où le régime a du mal à faire vacciner.

D’ailleurs, la Russie est toujours très polie avec la France. Les médias et le ministère des affaires étrangères n’attaquent jamais la France, alors qu’ils ne se gênent pas pour se moquer des Etats-Unis, du Royaume-Uni, etc., et ce de manière parfois grotesque. Lorsque des navires russes se font « accompagner » par la marine française parce qu’ils passent proche de la France, le ton entre les interlocuteurs est toujours fort courtois également.

La Russie souligne absolument toujours que la France est dans l’OTAN, mais qu’elle n’est jamais agressive avec la Russie et qu’elle a des tendances à l’indépendance… Rappelons ici que trois candidats majeurs à la présidentielle de 2022 sont d’ailleurs ouvertement tournés vers la Russie et non l’OTAN : Marine Le Pen, Eric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon.

Rappelons aussi que si le Français moyen prend les Russes pour des alcooliques ou des call-girls, les gens éduqués ont un respect extrêmement profond pour la Russie, connue pour être un pays d’une grande histoire, d’une grande culture, d’un grand intellect. On ne peut pas s’intéresser à la littérature, la musique, la physique, les mathématiques, le cinéma, le théâtre, la danse, la peinture… sans savoir qu’il y a un énorme apport russe, sans compter que dans bien d’autres domaines la Russie préserve ses connaissances (notamment en chimie et en biologie).

Lorsque Dmytro Kuleba, le ministre ukrainien des affaires étrangères, écrit une tribune dans le Figaro le 17 janvier 2022 (« Pour résister à Poutine, l’Ukraine a besoin de la France« ), il est ainsi obligé de prendre malgré sa haine de la Russie des précautions oratoires extrêmes :

« Je suis bien conscient qu’une partie de l’élite intellectuelle française a encore des attachements particuliers à la Russie.

Certains sont charmés par la culture russe, de Tolstoï au ballet du Bolchoï. D’autres sont américano-sceptiques et considèrent la relation avec la Russie comme une alternative. D’autres encore proposent un pari géopolitique: s’engager davantage avec la Russie pour l’empêcher de se rapprocher de la Chine.

Je ne veux décevoir personne. Mais la Russie d’aujourd’hui n’est pas un contrepoids entre les Etats-Unis et la Chine. Et elle a aussi bien peu à voir avec le ballet et la littérature russes. A la frontière ukrainienne aujourd’hui, on ne voit ni ballerines ni poètes ! »

Par contre, pour en revenir plus directement à la rencontre, Emmanuel Macron n’a pas échappé au style de Vladimir Poutine qui est de préférer ce qui n’est pas matinal. La discussion a eu lieu pendant cinq heures et la conférence de presse commune a commencé autour de 23 heures en France, soit 1 heure du matin à Moscou. Mais enfin, tout a été cordial, constructif comme on dit en diplomatie, ce que Vladimir Poutine a joliment tourné de la manière suivante en disant d’Emmanuel Macron :

« Je crois que certaines de ses idées, certaines propositions dont il est trop tôt encore de parler, peuvent servir de base pour nos démarches communes ultérieures. »

On en saura pas plus, alors que par contre Emmanuel Macron est parti directement pour Kiev pour discuter de ces dites propositions avec le président ukrainien Volodymir Zelensky. Pour quel résultat, là est la question, mais on comprend tout lorsqu’on sait que le 7 février il y a eu également le chancelier allemand Olaf Scholf à Washington pour rencontrer le président Joe Biden, rencontre qui avait été repoussée jusque-là du côté allemand. Et le même jour encore, la ministre allemande des affaires étrangères Annalena Baerbock était à Kiev. Elle n’a pas pu rencontrer le président ukrainien, qui avait un agenda trop chargé officiellement ; en réalité, l’Allemagne a mauvaise presse en Ukraine de par son rôle de « médiateur ».

Car l’Allemagne n’a pas seulement besoin du gaz russe et donc du gazoduc Nord Stream 2. L’Allemagne, qui est la 4e puissance économique mondiale (derrière les Etats-Unis, la Chine et le Japon),  a besoin de la Russie comme alliée pour faire contrepoids à la superpuissance américaine et son appendice qu’est le Royaume-Uni, ainsi qu’à la Chine.

Il y a la même tentation de beaucoup en France, bien que ces derniers mois Emmanuel Macron et le gouvernement français aient été entièrement pro-américain, avant ces derniers jours et une sorte de recentrage. C’est là très important, car cela va être un aspect important voire principal pour l’élection présidentielle à venir. La tendance à la guerre l’emporte partout.

En effet, depuis 2014, l’Union Européenne a fourni 17 milliards d’euros à l’Ukraine, dont 90% en prêt. Depuis six mois, la superpuissance américaine et quelques autres ont fourni… mille tonnes de matériel militaire, pour un total de 1,5 milliards de dollars. L’Ukraine est devenue une sorte de colonie occidentale.

Autrement dit, la superpuissance américaine a donné naissance à un mouvement d’entraînement à une conquête de l’Est passant aussi par le prisme de l’Union Européenne et de l’OTAN, deux entités désormais s’assimilant l’une à l’autre, l’Ukraine étant une nouvelle tête de pont pour l’objectif final : faire tomber la Russie.

Cette dernière, n’ayant pas la capacité d’avoir une proposition générale par manque de puissance, pratique donc comme la Chine une stratégie visant à bousculer très grandement les choses. Comme dit fort justement (dans le numéro 18 de Crise), les Etats-Unis visent l’asphyxie, les challengers chinois et russe visent au délitement pour s’affirmer.

La France et l’Allemagne aimeraient bien pouvoir se placer dans tout cela, mais comment faire au mieux du point de vue de l’expansion capitaliste? Conquérir le butin russe est tentant mais subordonne à la superpuissance américaine, au Royaume-Uni (qui vise clairement le port d’Odessa sur la Mer Noire d’ailleurs), inversement choisir la Russie impliquerait une rupture avec la superpuissance américaine lourde de conséquences…

En même temps, une guerre en Ukraine aurait des conséquences dévastatrices sur le plan de l’instabilité régionale, ainsi qu’un impact ravageur sur l’économie.

Tel est le capitalisme en crise : ce qui a l’air solide peut s’avérer plus que fragile par un retournement rapide de situation, tout devient précaire dans ses fondements, c’est la course permanente…

Et ce n’est que le début d’un processus catastrophique. Qui se déroule, soulignons le encore une fois, dans l’indifférence la plus générale en France, y compris des gens ayant un certain niveau de conscience sociale. Le poison de la vie quotidienne capitaliste a anéanti pratiquement tous les esprits, pour ne pas dire tous. Le réveil de ce sommeil hypnotique par le bruit de la guerre va s’avérer particulièrement brutal.

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Culture Culture & esthétique

Une oeuvre d’art, c’est une idée et son expression imagée

A condition de correspondre au réel.

L’oeuvre d’art est portée par un artiste, qui sait qu’il transporte quelque chose de particulier, qu’il a besoin de fournir une activité véhiculant quelque chose lui échappant. Or, tout le monde est artiste, car tout le monde est sensible et peut s’exprimer de manière approfondie dans un domaine artistique, grâce à la richesse matérielle acquise par l’humanité.

Cette richesse cependant est fournie dans un cadre capitaliste et les gens se perdent dans des nombrilismes cryptiques ou des réalisations commerciales insipides, oscillant entre ces deux pôles par incapacité de faire des efforts vers une réelle émotion esthétique.

L’art a ce privilège en effet de combiner l’esthétique, au sens de quelque chose de très développé intellectuellement, culturellement, avec l’émotion. C’est unique dans l’humanité avec peut-être l’amour, lorsqu’il est authentique, car alors il découle quelque chose de l’amour : pas seulement des enfants, mais tout une atmosphère, un environnement, un milieu, quelque chose de vraiment artistique… Aucun amour réel n’est statique, improductif ; tout amour réel irradie, donne naissance, et ce de manière naturelle.

Dans l’art toutefois, rien ne découle jamais naturellement, à part bien sûr chez les produits capitalistes s’imaginant que dessiner un trait blanc sur un fond blanc et y ajouter des tâches serait une véritable expression d’une vie intérieure en réalité asséchée, pervertie, démolie. Car l’artiste doit faire des efforts de composition pour agencer sa production, alors que dans l’amour cette composition est naturelle. Et lui vise directement l’esthétique car il sait que son oeuvre doit allier ce qu’il porte, comme idée, avec une capacité à se concrétiser dans une image parlante à tous.

Dans Le temps scellé (Cahiers du Cinéma 2004 ou bien Philippe Rey 2014), Andreï Tarkovski dit à juste titre que :

« ‘Le politique exclut l’artistique, car pour convaincre il a besoin d’être unilatéral!’ (Tolstoï)

En effet, l’image artistique, pour être crédible, ne peut être unilatérale, car pour prétendre à la vérité, elle doit pouvoir unir en elle les contradictions dialectiques inhérentes à la réalité.

Il n’est donc guère étonnant que même des critiques d’art professionnels ne parviennent pas à déceler une différence entre l’idée d’une oeuvre et son essence poétique.

C’est qu’une idée n’existe pas en art en de hors de son expression imagée. Et l’image existe comme une appréhension volontaire de la réalité, mêlée aux tendances et à la vision du monde qui sont celles de l’artiste. »

Et comme il est difficile de parvenir à une expression imagée ! Quels efforts intérieurs déchirants cela exige, car il faut relier sa vie intérieure à la réalité, les faire interagir, tenir le choc de cette confrontation entre son moi et la société, la nature… C’est ce parcours qui permet de donner naissance à une véritable oeuvre d’art, et pas à un simple prolongement d’un point de vue ou d’une émotion fugace et purement individuelle.

C’est pour cela que le capitalisme c’est forcément des montagnes de pseudos créations artistiques d’egos boursouflés étalant sans efforts leurs nombrilismes et d’autres montagnes de productions capitalistes ultra-léchées et totalement commerciales. Et le véritable artiste, s’il sait éviter ces deux montagnes, vit exilé dans la vallée de la production artistique, sachant qu’en y marchant, en la traversant, il est dans le réel, et que s’il y reste, il est même dans l’Histoire.