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Culture

Le LSD et « Wish you were here »

Le solipsisme est le subjectivisme absolu.

La chanson Wish you were here est très connue ; elle fait partie de l’album éponyme de septembre 1975 qui fut un très grand succès du groupe Pink Floyd. Si la chanson peut avoir différents niveaux de lecture, l’aspect principal est que cela a trait à Syd Barrett.

Celui-ci fut une figure majeure du groupe avant de sombrer dans la folie en raison de la consommation de drogues, et plus exactement de LSD, une drogue déformant très profondément la personnalité tout en l’amenant à littéralement s’écraser.

Naturellement, les consommateurs n’en ont pas l’impression, au contraire ils pensent parvenir à toucher davantage la subtilité des choses. En pratique, ils déraillent et sont ingérables, le LSD est une drogue terrifiante qui mutile l’esprit et amène les gens à devenir quelqu’un d’autre.

Quand on dit quelqu’un d’autre, on parle d’une personne avec une dimension fantômatique, une âme errante. Le LSD amène loin, ailleurs, la personne peut le sentir, mais ne parvient pas à revenir, voire ne veut pas.

C’est le solipsisme, quand on se croit le seul à exister réellement.

Syd Barrett a pour cette raison été exclu de Pink Floyd, après avoir participé au premier album, et il n’a jamais été par la suite en mesure de faire quoi que ce soit. Le groupe s’en est voulu, mais un consommateur de LSD est ailleurs, il pense maîtriser un chemin à un « autre niveau ».

C’est ce que dit la chanson en s’adressant à Syd Barrett : tu crois que tu parviens à cerner et séparer, à distinguer le paradis et l’enfer, les cieux bleus de la douleur, et ainsi de suite. C’est de la folie, on ne peut que repousser cette prétention, et en même temps on regrette cette perte, d’où le refrain Wish you were here, j’eus aimé que tu sois là.

La chanson reproche la perte de vue dialectique que provoque le LSD, cette dissociation des choses les unes des autres que prétend gérer son consommateur. Elle exprime une dignité immense, en se fondant sur une situation concrète, sur un vécu, porté jusqu’à une dimension universelle.

C’est en ce sens une oeuvre d’art, et on peut la comparer d’ailleurs à son antithèse, la chanson Shine On You Crazy Diamond présente sur le même album. C’est pareillement au sujet de Syd Barrett, mais la chanson, qui est une bonne chanson, reste une bonne chanson seulement.

C’est qu’elle perd le vécu pour esthétiser : « Souviens-toi quand tu étais jeune, tu brillais comme le soleil / Que cela brille sur toi, diamant fou / Maintenant, il y a un regard dans tes yeux, comme des trous noirs dans le ciel »… « Allez, étranger, toi légende, toi martyr, et brille ! ».

Cela parle davantage de Syd Barrett, mais en fait cela parle sur lui, et pas de lui dans sa dignité d’être qui manque pour ce qu’il est, pas pour ce qu’il est censé être.

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Culture Culture & esthétique

Iriedaily X Union Berlin, la fraîcheur et les valeurs

« Nebeneinander, miteinander, füreinander ».

Iriedaily, la marque de vêtement berlinoise à l’esprit alternatif, produit une collaboration avec l’Union Berlin, le club de football populaire de l’Est de la ville. Plus précisément, c’est une collaboration entre Iriedaily, le 1.FC Union Berlin et Adidas, l’équipementier du club, pour soutenir le projet Mellowpark.

Voici la présentation du projet.

« Bonjour les amis,

Lors du match à domicile contre le Bayer Leverkusen lors de la 30e journée, les Unioners joueront dans un maillot destiné à aider les enfants de Berlin à faire du skateboard.

Pour cette raison, le Mellowpark, un centre culturel pour les jeunes à proximité immédiate du stade « An der Alten Försterei », orne la poitrine du maillot spécial pour un jour de match.

Adidas et ses partenaires utilisent une partie du produit de la vente du maillot limité pour financer la construction d’une nouvelle skate plaza à Mellowpark.

Celle-ci sera inaugurée le dimanche 30 avril 2023, avec un événement pour tout Köpenick [le quartier de Berlin où est situé le stade].

À l’avenir, les nouveaux espaces offriront un espace pour des ateliers et des projets liés au skateboard, en particulier aux initiatives sociales du sud-est de Berlin – fidèle à la devise :

« Les uns à côté des autres, les uns avec les autres, les uns pour les autres [Soit en allemand : Nebeneinander, miteinander, füreinander] ».

Voici la vidéo, où l’on reconnaît immédiatement la touche apportée par la marque Iridaily, dans un esprit qui colle tout à fait avec celui de l’Union.

Nebeneinander, miteinander, füreinander !

Tout cela est d’une grande fraîcheur, indéniablement populaire, et surtout fortement assumé comme relavant de la Gauche historique. Il y a des usines en fond sur le maillot ! Ce n’est clairement pas à Paris que l’on verrait cela, ni même à Marseille, Saint-Étienne, Lens, Nantes, ou Saint-Ouen.

L’Union Berlin d’ailleurs lui-même un club très populaire avec une identité ouvrière et alternative entièrement assumée.

C’est clairement le feu quand cela fusionne avec le style urbain et moderne d’Iriedaily.

C’est le genre de choses que l’on veut en France ! Et agauche.org paye très cher par l’isolement le fait de promouvoir ce genre de valeurs et de style, bien loin du ronflement syndicaliste et des errements de la fausse gauche française !

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Culture

La spécificité de l’art cinématographique: fixer les faits

Se confronter à l’objet !

Nous n’avons pas eu de chance en France, puisque l’écrivain ayant le mieux compris la question du rapport à l’objet au début du 20e siècle, Drieu La Rochelle, a repoussé le marxisme pour se tourner vers le romantisme fasciste, comprenant à la fin de sa vie seulement son erreur dans son entreprise de quête de saisie d’une vie vécue absolument.

Les dernières lignes de sa nouvelle Le feu follet (1931) expriment une tentative de confrontation à l’objet, au réel, comme nulle part ailleurs alors dans la littérature française.

«  »Solange ne veut pas de moi. Solange ne m’aime pas. Solange vient de me répondre pour Dorothy. C’est bien fini. »

 »La vie n’allait pas assez vite en moi, je l’accélère. La courbe mollissait, je la redresse. Je suis un homme. Je suis maître de ma peau, je le prouve. »

« Bien calé, la nuque à la pile d’oreillers, les pieds au bois de lit, bien arc-bouté. La poitrine en avant, nue, bien exposée. On sait où l’on a le cœur.

Un revolver, c’est solide, c’est en acier. C’est un objet. Se heurter enfin à l’objet. »

Il est ici très intéressant de voir que cette démarche de Drieu La Rochelle afin d’exprimer le désarroi et la quête d’absolu en quelques lignes porte une dimension résolument cinématographique. La scène est vivante et visuelle ; elle n’est pas simplement posée et racontée, serait-ce de manière dynamique.

Le temps est capté. Andreï Tarkovski dit précisément que c’est là le mode le plus spécifique au cinéma (Le temps scellé, Cahiers du Cinéma 2004 ou bien Philippe Rey 2014) :

« Sous quelle forme le cinématographe fixe-t-il le temps ?

Je la définirais comme une forme factuelle.

Le fait peut être un événement, un geste, un objet, qui peut même être immobile, dans la seule mesure où cette immobilité existe aussi dans le cours réel du temps.

Voilà où réside la spécificité de l’art cinématographique. »

Le cinéma confronte aux faits, le cinéma fait se heurter aux objets. Cela étant, Andreï Tarkovski a dialectiquement raison et tort dans sa présentation de cette question comme étant propre au cinéma. Le réalisme est la base de tout art authentique.

La différence est que le cinéma permet de propulser le spectateur comme le témoin d’une scène, grâce à la force des images qui s’imposent d’elles-mêmes. Mais ce qu’on gagne d’un côté, on le perd d’un autre. Le roman permet ainsi d’exprimer de manière plus aiguë les processus en cours en les montrant de manière plus étendus, là où le cinéma doit y aller de manière plus nette, plus franche.

Le roman permet de prendre plus de temps et que ce soit pour parler d’un déplacement au moyen d’un transport en commun ou d’un vécu émotionnel de nature sentimentale, il peut davantage enserrer les faits.

Le théâtre, quant à lui, a l’avantage d’imposer une atmosphère ; la sculpture profite de sa forme ramassée pour se concentrer sur une seule chose.

L’art est toujours du temps fixé, mais la synthèse se fait différemment sur le plan de l’aspect principal en fonction du mode artistique.

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Culture

Ahmad Jamal (1930-2023)

Une immense figure de la musique, mais…

Né le 2 juillet 1930, l’Américain Ahmad Jamal est décédé le 16 avril 2023. La nouvelle a dès le lendemain été une grande actualité culturelle, car on a une figure majeure du jazz. Ce pianiste a joué un rôle historique, au sens où il s’est interposé avec l’idéologie dominante dans le jazz qui valorisait l’improvisation.

Lorsque le jazz s’est développé, il a en effet été directement façonné par l’expansion massive du capitalisme américain. C’était (et en fait c’est encore) une musique kilométrique où l’on suit librement, subjectivement, une ligne musicale sur laquelle on fait des variations comme bon nous semble.

Ahmad Jamal a joué un rôle fondamental, en élevant son niveau de composition, en exigeant une cohérence « spatiale » à la musique.

Ahmad Jamal est donc inconnu des larges masses, mais a joué un grand rôle historique. Miles Davis a toujours revendiqué Ahmad Jamal comme une référence fondamentale, même s’il y a quelque chose de paradoxal.

On trouve pareillement des samples de sa musique chez Kanye West, de la Soul, Nas, Arrested Development, Ice-T, Krs-one, Jay-Z… (et même Sexion d’Assaut !). Et là encore, c’est paradoxal.

Car il est une vérité, c’est qu’Ahmad Jamal est une figure incontournable de la culture musicale afro-américaine au sens le plus large possible. Ne pas passer par lui, c’est assumer le commercial et rejeter l’héritage historique qui est justement à l’opposé une référence fondamentale d’Ahmad Jamal dans toute son oeuvre.

Ahmad Jamal ne parlait d’ailleurs pas de jazz, mais de « musique classique américaine ». Lui-même avait été formé également par ailleurs à la musique classique européenne. Il a joué un rôle historique de synthèse et de développement d’un jazz qui, à rebours de sa démarche, se précipitait dans la vitesse et la virtuosité purement technique.

Ce rôle historique s’associait, forcément, à la volonté de maintenir la musique dans une orientation populaire, à rebours des expérimentations qui, comme on le sait, sont monnaie courante dans le jazz, largement frelaté par l’individualisme intellectualiste et l’avant-gardisme prétentieux.

Son premier album, à la fin des années 1950 alors qu’il dépasse à peine la vingtaine, Ahmad Jamal Trio at the Pershing : But Not For Me, s’est même vendu à un million d’exemplaires.

Le souci historique d’Ahmad Jamal, c’est qu’il n’a pas été à la hauteur de sa propre problématique.

Il a bien vu la musique comme architecture, avec une association synthétique des éléments tant de la musique que des musiciens. Mais dans une époque où le capitalisme était un obstacle fondamental à une telle démarche, il fallait une rupture, il ne l’a pas assumée.

Qui plus est, Ahmad Jamal avait une approche très dépouillée, minimaliste, ce qui bien entendu formait un contraste très fort avec les attentes du capitalisme.

Comme en plus il a appuyé ce trait, cela a donné à ses compositions une image (et un fond) « cool jazz » simpliste – sa démarche se retournant en son contraire.

Il suffit d’ailleurs de comparer le Superstition original de 1972 avec la reprise insipide d’Ahmad Jamal l’année suivante.

C’est comme si Ahmad Jamal voyait le problème du jazz, mais n’était pas en mesure d’apporter une réponse.

Le point suivant est important. Le jazz est resté à l’écart des larges masses et des avant-gardes politiques de la Gauche des années 1960-1970. Cela n’a pas été le cas, si on regarde bien, ni de la Soul, ni de la Folk, pour prendre les États-Unis.

C’est le problème du jazz : l’intellectualisme, le snobisme. On ne sort pas de l’image de la musique faite pour être bue devant un cocktail dans un petit bar sombre. Le jazz n’a pas été la musique des contestataires américains des années 1960-1970 ; les hippies n’écoutaient pas du jazz.

Ce sont les individualistes s’imaginant poètes et écrivains du Quartier Latin parisien et de la Beat generation américaine qui écoutaient du jazz.

Tous ces gens cherchaient le « beat », et écrivaient avec le « beat », et prônaient le « beat » en politique et en philosophie – qu’on pense à Sartre. Toute la « phénoménologie », c’est le culte du « beat ».

Il n’y a pas de hasard si le jazz véhicule un style hautain, individualiste, « au-dessus » de la mêlée. Avoir le style jazz, c’est s’imaginer propre et intelligent, à l’écart des gens. L’amateur de jazz reste un incompris et il adore ça. Il y a un côté dandy.

Ahmad Jamal est ici une partie de la solution et pas du problème, parce qu’il rétablit l’émotion et la mélodie comme fondamentales. Il a toujours insisté sur ce point. Niveau théorie, il est dans le juste. Mais il n’a pas réussi sa révolution.

L’histoire du jazz reste d’ailleurs à étudier, car cette forme musicale est indubitablement un produit du capitalisme, une systématisation de la logique de variété, une forme qui se prolonge jusqu’à la musique d’ascenseur et la techno comme musique kilométrique avec juste des variations, sans émotions ni mélodie.

Le rap actuel répond également parfaitement à cette démarche tout à fait en phase avec le capitalisme. Du balancé, à prétention affirmative, entièrement subjectiviste, tendant au monochrome musical. Du son – pas de la musique!

Ainsi, le jazz pourrait être autre chose – comme musique classique américaine, comme l’a formulé Ahmad Jamal. C’est ça qui attire en lui, y compris chez des gens ayant une démarche finalement opposée à la sienne. Mais on en est loin, il y a là un combat politique encore à mener pour ouvrir une étape culturelle.

Est-elle même possible ?

Car jusqu’à présent, le jazz, malgré Ahmad Jamal et d’autres, est en quelque sorte resté une anti-Soul. Si on fait écouter du jazz traditionnel à n’importe qui, il restera de marbre, tout en appréciant certains aspects. Si on fait écouter de la soul, là tout change.

Mais il y a un espace pour avancer et d’ailleurs il y a eu des avancées, dont Ahmad Jamal est un exemple majeur. Il y a une énorme possibilité musicale dans le dépassement du « jazz ».

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Culture

Comment Gims a vu l’avenir en imaginant le passé

L’avenir appartient aux peuples du tiers-monde.

De quelle couleur sera l’avenir ? Il sera coloré et c’est ça qui compte. Si aujourd’hui, les peuples du monde sont divisés, dans 200 ans, 300 ans, il n’y aura plus qu’un seul peuple mondial, et nous serons tous plutôt noir, plutôt jaune, pour autant que de telles définitions puissent alors avoir encore un sens.

Et c’est parce qu’il a vu cet avenir, sans le comprendre, que le chanteur Gims l’imagine dans le passé. Ses propos lors d’une longue interview ont été aberrants – mais dialectiquement, ils relèvent de notre drapeau, celui de la chute de l’occident. Ils sont cohérents.

Quand Gims dit que le passé c’est l’Afrique avec un très haut niveau de technologie, en réalité il parle de l’Afrique du futur, dans le socialisme. Il a compris le décalage immense entre l’énorme quantité de gens sur ce continent et la si faible qualité qui en ressort. Il sait que ce n’est pas possible. Alors il imagine cela dans le passé, mais il parle en réalité du futur.

Il suffit de relire ses propos en les mettant à l’endroit et on voit très bien que c’est l’un des nôtres.

« L’Afrique c’est Wakanda bordel. C’est le futur normalement chez nous. À l’époque de l’empire de Koush, il y avait l’électricité. Les pyramides qu’on voit là, au sommet il y a de l’or. L’or c’est le meilleur conducteur pour l’électricité. C’était des foutues antennes.

Les gens, les gens avaient l’électricité. Les gens ils arrivent pas à comprendre ça. Les Égyptiens, la science qu’ils avaient, ça dépasse l’entendement. Et les historiens le savent.

L’Afrique a peuplé l’Europe avant les Européens. On les appelait les afropéens. Ils ont été décimés par les vrais européens entre guillemets qui venaient d’Asie. On les appelait les Yamnayas, tu vois ?

50 000 ans avant les Européens, la notion de la chevalerie, on l’avait déjà. Tu retrouves aujourd’hui des tableaux qui sont classés, cachés dans des catacombes. C’est des re-nois qui sont en mode chevalier, Sir Lancelot tout ça. Bien sûr ça existait déjà. Bien sûr. C’est juste qu’il faut connaître notre histoire.

On veut nous faire croire que notre histoire elle a commencé sur négrier, genre on est en train de ramer en sueur. Non. »

Ce qu’il dit n’est pas objectivement faux et subjectivement vrai, il ne s’agit pas de faire du misérabilisme. Ce qu’il dit est objectivement vrai, mais dans le futur, exprimé de manière détournée, aliénée. Et il a subjectivement tort, car il idéalise un passé mythique, comme Kemi Seba qui est passé de l’antisémitisme au panafricanisme, toujours sans comprendre la lutte de classes.

Mais même sans la comprendre, le tiers-monde vit dans ses propos. Lorsqu’il dit que l’Afrique est pillée depuis Cortès, c’est absurde, car c’est le continent américain qui a été victime alors. Si on regarde toutefois avec des yeux révolutionnaires ce qu’il dit, on devine qu’il parle du tiers-monde.

D’ailleurs si Gims est chanteur commercial pour ados, pour faire court, il a vécu jusqu’à 18 ans dans des foyers d’accueil et des squats, il sait ce dont il parle. Ces propos tenus lors de la même interview en font foi.

« Je veux me concentrer sur le continent africain. A un million de pourcents. Un million de pourcents, je vais mettre toute ma force aujourd’hui sur l’Afrique tu vois. Et c’est ce qui me fait vibrer aujourd’hui, autant voire plus que la musique tu vois. C’est ce qui me fait vibrer, moi je suis un fan d’histoire donc, je suis un fan d’histoire, d’étymologie, de toutes ces choses-là.

Aujourd’hui je suis persuadé que l’Afrique a inspiré tout le monde, de Picasso aux grandes marques de luxe, ils ont tout pris à l’Afrique. Absolument tout. Ils ont brûlé les bibliothèques, donc on a plus d’écrit. J’ai appris il n’y a pas longtemps qu’il y avait plus grand que le mur de Berlin, c’est le mur que les Béninois ils ont fait il y a des années.

Donc on a déjà fini le jeu en vérité. Mais on a effacé notre historique, on a tout brûlé donc aujourd’hui moi mon combat c’est que je ne comprends pas je n’accepte pas qu’aujourd’hui un pays comme le Congo, comme le Mali soit dans des dans un tel niveau de précarité quant à la nourriture.

Comment on peut ne pas manger aujourd’hui en 2023 avec le gaspillage ? Tu vois Chirac il a dit un jour si l’humanité mangeait comme les Français il faudrait six planètes Terre, vous vous rendez compte le calcul ? Donc aujourd’hui je pense que c’est ce que je dois faire. Je dois me concentrer sur l’Afrique noire.

Je sais pas encore comment exactement, par quel biais, comment rentrer. Par la culture ? Par si ou par ça ? Mais il faut qu’aujourd’hui les Congolais, les Africains se lèvent. Il faut que… Tout l’argent vient d’Afrique, tout l’oseille de l’Europe vient d’Afrique, depuis l’aube des temps. Depuis Hernán Cortés.

Il faudrait juste qu’on puisse profiter un petit peu de notre argent, c’est tout. Et j’aimerais faire partie des personnages aujourd’hui, comme Sankara, comme toutes ces légendes, comme Lumumba. J’aimerais proposer quelque chose quoi. J’aimerais pas, j’ai pas envie qu’on dise c’est le gars qui a fait « sapé comme jamais ». Non je veux construire quelque chose de solide.

Il faut du cran pour dire comme il le dit je suis juste un chanteur comme plein d’autres et je veux contribuer à l’Afrique. C’est honorable. D’ailleurs le « mauvais buzz » est parti d’un grand partisan de l’occident, Tristan Mendès-France.

Il fait partie de la scène anti « complotiste ». Initialement, il y avait un vrai effort éducatif dans cette scène, surtout contre l’antisémitisme. Mais l’intellectualisme et la fréquentation des milieux universitaires l’a conduite à être totalement pro-occident, notamment pro-Ukraine bien entendu.

Tristan Mendès-France, sur son compte Twitter, s’est donc autant moqué des propos sur les pyramides que ceux, pourtant tout à fait justes, du rôle des multinationales et des grandes puissances dans la situation congolaise !

Cela veut tout dire. D’un côté le tiers-monde qui s’affirme péniblement, dans la souffrance, dans l’incohérence, de l’autre côté l’occidental repu bien à l’abri dans sa forteresse et sa rationalité linéaire.

Gims n’est pas une partie du problème, mais bien de la solution. Si vous regardez la vidéo de Rage against the machine pour la chanson Peoples of the sun, qui parle justement des Mayas et des Aztèques victimes des conquistadors avec Cortès, vous avez la même substance.

Les paroles sont bien entendu rationnelles, car Rage against the machine appartenait directement à notre camp. Ils ne romantisaient pas le passé comme Gims. Mais il y a la même charge. Celle qui fera tomber l’occident ! L’avenir est noir, il est jaune… Il est rouge !

Vérifiez, depuis 1516, les esprits attaqués et surveillés Maintenant rampent parmi les ruines de ce rêve vide
Avec leurs frontières et leurs bottes, au-dessus de nous
Nous écrasant, depuis leur métropole toxique

Mais comment allez-vous obtenir ce dont vous avez besoin?
Les mangeurs de tripes, trempés de sang reçoivent des offensives comme celles du Tet [au Vietnam]

Le cinquième coucher de soleil [aztèque, de la fin des temps] revient, il réclame
L’esprit de Cuauhtémoc [le dernier empereur aztèque], vivant et sauvage

Maintenant, faites face au funk, maintenant, faites exploser votre haut-parleur
D’un et d’un autre, Maya, Mexica
Ce vautour est venu essayer de voler ton nom
Mais maintenant tu as une arme !
Oui, c’est pour les peuples du soleil !

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L’Encyclopédie de Diderot sur la Russie et l’Ukraine

Deux articles riches d’enseignements.

L’Encyclopédie est un monument universel de la culture nationale française ; c’est une puissante contribution des Lumières. Et même si l’on ne s’intéresse pas dans le détail aux informations fournies dans les articles Russie et Ukraine, on peut en tirer des enseignements par la négative.

La propagande de guerre occidentale, en mode bourrage de crâne, insiste sur le fait que la Russie n’existe pas, que ce serait une sorte d’empire colonial asiatico-barbare. Les Russes seraient d’ailleurs des fanatiques suicidaires, avec un esprit criminel à la Dostoïevski, pour qui la vie ne compterait pas.

Ce n’est pas une plaisanterie ! Pour des Français pétris au rationalisme, c’est trop gros pour être vrai, et pourtant c’est bien le cas. Dostoïevski est présenté désormais comme l’exemple de l’âme damnée russe qu’il faudrait absolument éliminer.

C’est le fond de l’idéologie nationaliste « bandériste » en Ukraine, où le président Volodymyr Zelensky vient de demander au premier ministre Denys Chmyhal d’étudier le remplacement du mot « Russie » par celui de « Moscovie ».

Et comme la Russie serait une fiction, il faudrait la « décoloniser », la diviser en plusieurs pays. C’est tout à fait assumé de la part du régime ukrainien.

Or, l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert dit précisément tout le contraire ; elle insiste sur le fait que la Russie n’est plus la Moscovie, qu’elle est une nation se développant, sous l’impulsion de Pierre le grand (1672-1725). C’est d’ailleurs lui qui, ayant comme référence les Pays-Bas, le premier pays capitaliste, reprit ses couleurs, blanc-bleu-rouge, qui devinrent ceux du drapeau national russe (et des Slaves en général pour la plupart).

L’Encyclopédie présente également bien l’Ukraine, alors une contrée plus qu’autre chose et subissant perpétuellement les invasions, ne devant sa sortie de secours en termes de civilisation qu’en se tournant vers la Russie. De fait, c’est seulement alors que le pays se structurera réellement, alors que la reconnaissance de l’Ukraine et le développement systématique de sa langue ne se feront qu’à partir de l’instauration de l’URSS.

Tout cela contredit formellement la propagande occidentale !

L’article de l’Encyclopédie sur l’Ukraine

UKRAINE, (Géog. Mod.)​

contrée d’Europe bornée au nord par la Pologne & la Moscovie, au midi par le pays des tartares d’Oczakou, au levant par la Moscovie, & au couchant par la Moldavie.

Cette vaste contrée s’appelle autrement la petite Russie, la Russie rouge, & mieux encore la province de Kiovie ; elle est traversée par le Dnieper que les Grecs ont appellé Boristhène. La différence de ces deux noms, l’un dur à prononcer, l’autre mélodieux, sert à faire voir, avec cent autres preuves, la rudesse de tous les anciens peuples du Nord, & les graces de la langue greque.

La capitale Kiou, autrefois Kisovie, fut bâtie par les empereurs de Constantinople, qui en firent une colonie ; on y voit encore des inscriptions greques de douze cens années : c’est la seule ville qui ait quelque antiquité, dans ces pays où les hommes ont vécu tant de siecles sans bâtir des murailles. Ce fut-là que les grands ducs de Russie firent leur résidence, dans l’onzieme siecle, avant que les Tartares asservissent la Russie.

Les Ukraniens qu’on nomme Cosaques, sont un ramas d’anciens Roxelans, de Sarmates, de Tartares réunis. Cette contrée faisoit partie de l’ancienne Scythie. Il s’en faut beaucoup que Rome & Constantinople qui ont dominé sur tant de nations, soient des pays comparables pour la fertilité à celui de l’Ukraine.

La nature s’efforce d’y faire du bien aux hommes ; mais les hommes n’y ont pas secondé la nature, vivant des fruits que produit une terre aussi inculte que féconde, & vivant encore plus de rapine, amoureux à l’excès d’un bien préférable à tout, la liberté ; & cependant ayant servi tour-à-tour la Pologne & la Turquie. Enfin ils se donnerent à la Russie en 1654, sans trop se soumettre, & Pierre les a soumis.

Les autres nations sont distinguées par leurs villes & leurs bourgades. Celle-ci est partagée en dix régimens. A la tête de ces dix régimens étoit un chef élu à la pluralités des voix, nommé Hetman ou Itman.

Ce capitaine de la nation n’avoit pas le pouvoir suprème. C’est aujourd’hui un seigneur de la cour que les souverains de Russie leur donnent pour itman ; c’est un véritable gouverneur de province semblable à nos gouverneurs de ces pays d’états qui ont encore quelques privileges.

Il n’y avoit d’abord dans ce pays que des Payens & des Mahométans ; ils ont été baptisés chrétiens de la communion romaine, quand ils ont servi la Pologne, & ils sont aujourd’hui baptisés chrétiens de l’église greque, depuis qu’ils sont à la Russie. Descript. de Russie. (D. J.)

L’article de l’Encyclopédie sur la Russie

RUSSIE, (Géog. Mod.)

vaste pays qui forme un grand empire, tant en Europe qu’en Asie. La mer Glaciale borne la Russie au septentrion ; la mer du Japon la termine à l’orient ; ​la grande Tartarie est au midi, aussi bien que la mer Caspienne & la Perse ; la Pologne, la petite Tartarie, la Mingrelie, & la Géorgie, sont la borne du côté du couchant. Entrons dans les détails.

L’empire de Russie s’étend d’occident en orient, près de deux mille  lieues communes de France, & a sept cens lieues du sud au nord dans sa plus grande largeur ; il confine à la Pologne & à la mer Glaciale ; il touche à la Suede & à la Chine ; sa longueur de l’île de Dago à l’occident de la Livonie​​, jusqu’à ses bornes les plus orientales, comprend environ cent cinquante degrés ; sa largeur est de trois mille verstes du sud au nord, ce qui fait au moins six cent de nos lieues communes.

Enfin, ce qui est compris aujourd’hui sous le nom de Russie, ou des Russies, est à peu près aussi vaste que le reste de l’Europe ; mais presque tout cet empire n’est qu’un désert, au point que ​si l’on compte en Espagne (qui est le royaume de l’Europe le moins peuplé), quarante personnes par chaque mille quarré, on ne peut compter que cinq personnes en Russie dans le même espace ; tandis qu’en Angleterre, chaque mille quarré​ contient plus de deux cens habitans ; le nombre est encore plus grand en Hollande.

Au reste, nous appellions autrefois la Russie du nom de Moscovie, parce que la ville de Moscou, capitale de cet empire, étoit la résidence des grands ducs de Russie ; aujourd’hui l’ancien nom de Russie a prévalu.

Ce vaste empire est partagé en seize grands gouvernemens, dont plusieurs renferment des provinces immenses & presque inhabitées.

La province la plus voisine de nos climats, est celle de la Livonie, une des plus fertiles du nord, & qui étoit payenne au XII. siecle. Le roi de Suede, Gustave Adolphe, la conquit ; mais le czar Pierre l’a reprise sur les Suédois.​

Plus au nord se trouve le gouvernement de Rével & de l’Estonie, & cette province est encore une des conquêtes de Pierre.

Plus haut en montant au nord est la province d’Arcangel, pays entierement nouveau pour les nations méridionales de l’Europe, mais dont les Anglois découvrirent le port en 1533. & y commercerent, sans payer aucuns droits, jusqu’au tems où Pierre le grand a ouvert la mer Baltique à ses états.

A l’occident d’Arcangel, & dans son gouvernement, est la Laponie russe, troisieme partie de cette contrée ; les deux autres appartiennent à la Suede & au Danemarck ; c’est un très-grand pays, qui occupe environ huit degrés de longitude, & qui s’étend en latitude du cercle polaire au cap nord.​22​

Les Lapons moscovites sont aujourd’hui censés de l’église grecque ; mais ceux qui errent vers les montagnes septentrionales du cap nord, se contentent d’adorer un Dieu, sous quelques formes grossieres ; ancien usage de tous les peuples nomades.

Cette espece d’homme, peu nombreuse, a très peu d’idées, & ils sont heureux de n’en avoir pas davantage ; car alors ils auroient de nouveaux besoins qu’ils ne pourroient satisfaire ; ils vivent contens & sans maladies, en ne buvant guere que de l’eau dans le climat le plus froid, & arrivent à une longue vieillesse.

La coutume qu’on leur imputoit de prier les étrangers de faire à leurs femmes & à leurs filles l’honneur de s’approcher d’elles, vient probablement du sentiment de la supériorité qu’ils reconnoissoient dans ces étrangers, en voulant qu’ils pussent servir à corriger les défauts de leur race. C’étoit un usage établi chez les peuples vertueux de Lacédémone ; un époux prioit un jeune homme bien fait, de lui donner de beaux enfans qu’il pût adopter.

La jalousie & les lois empêchent les autres hommes de donner leurs femmes ; mais les Lapons étoient presque sans lois, & probablement n’étoient point jaloux.

Quand on a remonté la Dwina du nord au sud, on arrive au milieu des terres à Moskow, capitale de la province de l’empire de Russie, appellée la Moscovie, Voyez Moskow​.

A l’occident du duché de Moskow, est celui de Smolensko, partie de l’ancienne ​Sarmatie européenne ; les duchés de Moscovie & de Smolensko composoient la Russie blanche proprement dite.

Entre Petersbourg & Smolensko, est la province & gouvernement de Novogorod. On dit que c’est dans ce pays que les anciens Slaves, ou Slavons, firent leur premier établissement ; mais d’où venoient ces Slaves, dont la langue s’est étendue dans le nord-est de l’Europe ? Sla signifie un chef, & esclave, appartenant au chef.

Tout ce qu’on sait de ces anciens Slaves, c’est qu’ils étoient des conquérans. Ils bâtirent la ville de Novogorod la grande, située sur une riviere navigable dès sa source, laquelle jouit longtems d’un florissant commerce, & fut une puissante alliée des villes anséatiques.

Le czar Ivan Basilovitz (en russe Iwan Wassiliewitsch) la conquit en 1467, & en emporta toutes les richesses, qui contribuerent à la magnificence de la cour de Moskow, presque inconnue jusqu’alors.

Au midi de la province de Smolensko, se trouve la province de Kiovie, qui est la petite Russie, la Russie rouge, ou l’Ukraine, traversée par le Dnieper, que les Grecs ont appellé Boristhène.

La différence de ces deux noms, l’un dur à prononcer, l’autre mélodieux, sert à faire voir, avec cent autres preuves, la rudesse de tous les anciens peuples du nord, & les graces de la langue grecque.

La capitale Kiou, autrefois Kiovie, fut bâtie par les empereurs de Constantinople, qui en firent une colonie : on y voit encore des inscriptions grecques de douze cens années ; c’est la seule ville qui ait quelque antiquité, dans ces pays où les hommes ont vêcu tant de siecles, sans bâtir des murailles. Ce fut-là que les grands ducs de Russie firent leur résidence dans l’onzieme siecle, avant que les Tartares asservissent la Russie.

Si vous remontez au nord-est de la province de Kiovie, entre ​le Boristhene & le Tanais​​, c’est le gouvernement de Belgorod qui se présente : il étoit aussi grand que celui de Kiovie. C’est une des plus fertiles provinces de la Russie ; c’est elle qui fournit à la Pologne une quantité prodigieuse de ce gros bétail qu’on connoît sous le nom de bœufs de l’Ukraine. Ces deux provinces sont à l’abri des incursions des petits Tartares par des lignes qui s’étendent du Boristhene au Tanaïs, garnies de forts & de redoutes.

Remontez encore au nord, passez le Tanaïs, vous​​entrez dans le gouvernement de ​Véronise, qui s’étend jusqu’au bord des ​palus Méotides​. Vous trouvez ensuite le gouvernement de ​Nischgorod​fertile en grains, & traversé par le Volga.

De cette province, vous entrez au midi dans le royaume ou gouvernement d’Astracan. Ce royaume qui commence au quarante-troisieme degré & demi de latitude, & finit vers le cinquantieme, est une partie de l’ancien Capshak​, conquis par Gengiskan, & ensuite par Tamerlan ; ces tartares dominerent jusqu’à Moscou.

Le czar Jean Basilides​, petit-fils d’Ivan Basiliovitz, & le plus grand conquérant d’entre les Russes, délivra son pays du joug tartare, au seisieme siecle, & ajouta le royaume d’Astracan à ses autres conquêtes en 1554.

​Au-delà du Volga & du ​Jaïk, vers le septentrion, est le royaume de Casan, qui, comme Astracan, tomba dans le partage d’un fils de Gengis-kan, & ensuite d’un fils de Tamerlan, conquis de même par Jean Basilide ; il est encore peuplé de beaucoup de tartares mahométans. Cette grande contrée s’étend jusqu’à la Sibérie ; il est constant qu’elle a été florissante & riche autrefois ; elle a conservé encore quelque reste d’opulence. Une province de ce royaume appellée ​la grande Permie, ensuite le Solikam, étoit l’entrepôt des marchandises de la Perse, & des fourrures de Tartarie​.

Des frontieres des provinces d’Arcangel, de Resan​, d’Astracan, s’étend à l’orient la Sibérie, avec les terres ultérieures jusqu’à la mer du Japon. Là sont les Samoyedes, la contrée des Ostiaks le long du fleuve Oby, les Burates​, peuples qu’on n’a pas encore rendus chrétiens.

Enfin la derniere province est le Kamshatka, le pays le plus oriental du continent. Les habitans étoient absolument sans religion quand on l’a découvert. Le nord de cette contrée fournit aussi de belles fourrures ; les habitans s’en revêtoient l’hiver, & marchoient nuds l’été.​

Voila les seize gouvernemens de la Russie, celui de Livonie, de Revel ou d’Estonie, d’Ingrie, de Vibourg, d’Arcangel, de Laponie russe, de Moscovie, de Smolensko, de Novogorod, de Kiovie, de Belgorod, de Véronise, de Nitschgorod, d’Astracan, de Casan & de Sibérie.

Ces gouvernemens composent en général la domination de la Russie, depuis la Finlande à la mer du Japon. Toutes les grandes parties de cet empire ont été unies en divers tems, comme dans tous les autres royaumes du monde ; des Scythes, des Huns, des ​Massagetes​50​, des Slavons, des Cimbres, des ​Getes,​ des Sarmates, sont aujourd’hui les sujets des czars ; les Russes proprement dits, sont les anciens ​Roxelans​ ou Slavons.

La population du vaste empire de Russie est, comme je l’ai dit, la moindre qu’il y ait dans le monde, à proportion de son étendue. ​Par un dénombrement de la capitation qui a été faite en 1747, il s’est trouvé six millions six cens quarante mille mâles ; & comme dans ce dénombrement les filles & les femmes n’y sont pas comprises, non plus que les ecclésiastiques, qui sont au nombre de deux cens mille ames, & l’état militaire qui monte à trois cens mille hommes, M. de Voltaire juge que le total des habitans de la Russie doit aller à vingt-quatre millions d’habitans ​​; ​mais il faut se défier de tous les dénombremens d’un pays que demandent par besoin les souverains, parce que pour leur plaire, on a grand soin de multiplier, d’exagérer, de doubler le nombre de leurs sujets.

Il est très-vraissemblable que la Russie n’a pas douze millions d’habitans​, & qu’​elle a été plus peuplée qu’aujourd’hui, dans le tems que la petite-vérole venue du fond de l’Arabie, & ​l’autre venue d’Amérique​, n’avoient pas encore fait de ravages dans ces​ climats où elles se sont enracinées.

Ces deux fléaux, par qui le monde est plus dépeuplé que par la guerre, sont dûs, l’un à Mahomet, l’autre à Christophe Colomb. La peste, originaire d’Afrique, approchoit rarement des contrées du septentrion. Enfin les peuples du nord, depuis les Sarmates jusqu’aux Tartares, qui sont au-delà de la grande muraille, ayant inondé le monde de leurs irruptions, cette ancienne pépiniere d’hommes doit avoir étrangement diminué.

Dans cette vaste étendue de pays que renferme la Russie, on compte environ 7400 moines, & 5600 religieuses, malgré le soin que prit Pierre le grand de le réduire à un plus petit nombre ; soin digne d’un législateur dans un empire où ce qui manque principalement c’est l’espece humaine.

Ces treize mille personnes cloitrées & perdues pour l’état, ont soixante-douze mille serfs pour cultiver leurs terres, & c’est évidemment beaucoup trop ; rien ne fait mieux voir combien les anciens abus sont difficiles à déraciner.

Avant le czar Pierre, les usages, les vêtemens, les mœurs en Russie, avoient toujours plus tenu de l’Asie que de l’Europe chrétienne ; telle étoit l’ancienne coutume de recevoir les tributs des peuples en denrées, de défrayer les ambassadeurs dans leurs routes & dans leur séjour, & celle de ne se présenter ni dans l’église, ni devant le trône avec une épée, coutume orientale opposée à notre usage ridicule & barbare, d’aller parler à Dieu, au roi, à ses amis & aux femmes avec une longue arme offensive qui descend au bas des jambes.

L’habit long dans les jours de cérémonie, étoit bien plus noble que le vêtement court des nations occidentales de l’Europe. Une tunique doublée de pelisse, avec une longue simarre enrichie de pierreries dans les jours solemnels, & ces especes de hauts turbans qui élevoient la taille, étoient plus imposans aux yeux, que les perruques & le juste-au-corps, & plus convenables aux climats froids.

Cet ancien vêtement de tous les peuples paroît seulement moins fait pour la guerre, & moins commode pour les travaux ; mais presque tous les autres usages étoient grossiers.

Le gouvernement ressembloit à celui des Turcs par la milice des strelits, qui, comme celle des janissaires, disposa quelquefois du trône, & troubla l’état presque toujours autant qu’il le soutint. Ces strelits étoient au nombre de quarante mille hommes.

Ceux qui étoient dispersés dans les provinces, subsistoient de brigandages ; ceux de Moskou vivoient en bourgeois, trafiquoient, ne servoient point, & poussoient à l’excès l’insolence. Pour établir l’ordre en Russie, il falloit les casser, rien n’étoit ni plus nécessaire, ni plus dangereux.

Quant au titre de czar, il se peut qu’il vienne des tzars ou thcars, du royaume de Casan. Lorsque le souverain de Russie, Jean ou Ivan Basilides eut, au seizieme siecle, conquis ce royaume subjugué par son aïeul, mais perdu ensuite, il en prit le titre qui est demeuré à ses successeurs.

Avant Ivan Basilides, les maîtres de la Russie portoient le nom de velikiknés, grand prince, grand seigneur, grand chef, que les nations chrétiennes traduisent par celui de grand-duc. 

Le czar Michel Frédérovits prit avec l’ambassade holstenoise, les titres de grand seigneur & grand knés, conservateur de toutes les Russies, prince de Volodimer, Moskou, Novogorod, &c. tzar de Casan, tzar d’Astracan, tzar de Sibérie​62​. Ce nom des tzars étoit donc le titre de ces princes orientaux ; il étoit donc vraissemblable qu’il dérivât plutôt des tshas de Perse, que des césars de Rome, dont probablement les tzars sibériens n’avoient jamais entendu parler sur les bords du ​fleuve Oby.

Un titre tel qu’il soit, n’est rien, si ceux qui le portent ne sont grands par eux-mêmes. Le nom d’empereur, qui ne signifioit que général d’armée, devint​​le nom des maîtres de la république romaine. On le donne aujourd’hui aux souverains des Russes à plus juste titre qu’à aucun autre potentat, si on considere l’étendue & la puissance de leur domination.

La religion de l’état fut toujours, depuis le onzieme siecle, celle qu’on nomme grecque, par opposition à la latine ; mais il y avoit plus de pays mahométans & de payens que de chrétiens. La Sibérie jusqu’à la Chine étoit idolâtre ; & dans plus d’une province toute espece de religion étoit inconnue.

​L’ingénieur Perri​ & le ​baron de Stralemberg​, qui ont été si long-tems en Russie, disent qu’ils ont trouvé plus de probité dans les payens que dans les autres ; ce n’est pas le paganisme qui les rendoit plus vertueux ; mais menant une vie pastorale, éloignés du commerce des hommes, & vivant comme dans ces tems qu’on appelle le premier âge du monde, exempts de grandes passions, ils étoient nécessairement plus gens de bien.

Le Christianisme ne fut reçu que très-tard dans la Russie, ainsi que dans tous les autres pays du nord. On prétend qu’une princesse nommée Olha, l’y introduisit à la fin du dixieme siecle, comme ​Clotilde, niece d’un prince arien, le fit recevoir chez les Francs​ ; la femme d’un ​Micislas, duc de Pologne​, chez les Polonois, & la sœur de l’empereur Henri II. chez les Hongrois.

C’est le sort des femmes d’être sensibles aux persuasions des ministres de la religion, & de persuader les autres hommes.

Cette princesse Olha, ajoute-t-on, se fit baptiser à Constantinople. On l’appella Helene ; & dès qu’elle fut chrétienne, ​l’empereur Jean Zimiscés ne manqua pas d’en être amoureux. Apparemment qu’elle étoit veuve. Elle ne voulut point de l’empereur.

L’exemple de la princesse Olha ou Olga ne fit pas d’abord un grand nombre de prosélites ; son fils qui regna longtems, ne pensa point du tout comme sa mere ; mais son petit-fils ​Volodimer,​ né d’une concubine, ayant assassiné son frere pour régner, & ayant recherché l’alliance de ​l’empereur de Constantinople Basile​, ne l’obtint qu’à condition qu’il se feroit baptiser ; c’est à cette époque de l’année 987, que la religion grecque commença en effet à s’établir en Russie.​

Le patriarche Photius, si célebre par son érudition immense, par ses querelles avec l’Eglise romaine & par ses malheurs, envoya baptiser Volodimer, pour ajouter à son patriarchat cette partie du monde.

Volodimer acheva donc l’ouvrage commencé par son aïeule. Un grec fut premier métropolitain de Russie, ou patriarche. C’est de-là que les Russes ont adopté dans leur langue un alphabet tiré en partie du grec. Ils y auroient gagné si le fond de leur langue qui est la slavone, n’étoit toujours demeuré le même, à quelques mots près qui concernent leur liturgie & leur hiérarchie. ​

Un des patriarches grecs, nommé Jérémie, ayant un procès au divan, & étant venu à Moscou demander des secours, renonça enfin à sa prétention sur les églises russes, & sacra patriarche l’archevêque de Novogorod nommé Job, en 1588.

Depuis ce tems, l’église russe fut aussi indépendante que son empire. Le patriarche de Russie fut dès-lors sacré par les évêques russes, non par le patriarche de Constantinople ; il eut rang dans l’église grecque après celui de Jérusalem ; mais il fut en effet le seul patriarche libre & puissant, & par conséquent le seul réel.

Ceux de Jérusalem, de Constantinople, d’Antioche, d’Alexandrie, ne sont que les chefs mercenaires & avilis d’une église esclave des Turcs. Ceux même d’Antioche & de Jérusalem ne sont plus regardés comme patriarches, & n’ont pas plus de crédit que les rabins des synagogues établies en Turquie.

Il n’y a dans un si vaste empire que vingt-huit sieges épiscopaux, & du tems de Pierre I. on n’en comp-​toit que vingt-deux ; l’église russe étoit alors si peu instruite, que le czar Frédor, frere de Pierre le grand, fut le premier qui introduisit le plein chant chez elle.

Frédor, & sur-tout Pierre, admirent indifféremment dans leurs armées & dans leurs conseils ceux du rite grec, latin, luthérien, calviniste ; ils laisserent à chacun la liberté de servir Dieu suivant sa conscience, pourvu que l’état fût bien servi.

Il n’y avoit dans cet empire de deux mille lieues de longueur aucune église latine. Seulement lorsque Pierre eut établi de nouvelles manufactures dans Astracan, il y eut environ soixante familles catholiques dirigées par des capucins ; mais quand les jésuites voulurent s’introduire dans ses états, il les en chassa par un édit au mois d’Avril 1718. Il souffroit les capucins comme des moines sans conséquence, & regardoit les jésuites comme des politiques dangereux.

L’Eglise grecque est flattée de se voir étendue dans un empire de deux mille lieues, tandis que la romaine n’a pas la moitié de ce terrein en Europe. Ceux du rite grec ont voulu sur-tout conserver dans tous les tems leur égalité avec ceux du rite latin, & ont toujours craint le zele de l’église de Rome, qu’ils ont pris pour de l’ambition, parce qu’en effet l’église romaine, très-resserrée dans notre hémisphere, & se disant universelle, a voulu remplir ce grand titre.

Il n’y a jamais eu en Russie d’établissement pour les Juifs, comme ils en ont dans tant d’états de l’Europe, depuis Constantinople jusqu’à Rome.

Les Russes ont toujours fait leur commerce par eux-mêmes, & par les nations établies chez eux. De toutes les églises grecques la leur est la seule qui ne voie pas des synagogues à côté de ses temples.

La Russie qui doit à Pierre le grand sa grande influence dans les affaires de l’Europe, n’en avoit aucune depuis qu’elle étoit chrétienne.

On la voit auparavant faire sur la mer Noire ce que les Normands faisoient sur nos côtes maritimes de l’Océan, armer, du tems d’Héraclius quarante mille petites barques, se présenter pour assiéger Constantinople, imposer un tribut aux césars grecs.

Mais le grand knés Volodimer occupé du soin d’introduire chez lui le Christianisme, & fatigué des troubles intestins de sa maison, affoiblit encore ses états en les partageant entre ses enfans.

Ils furent presque tous la proie des Tartares, qui asservirent la Russie pendant deux cens années. Ivan Basilides la délivra & l’aggrandit, mais après lui ​les guerres civiles la ruinerent.

Il s’en falloit beaucoup avant Pierre le grand que la Russie fût aussi puissante, qu’elle eût autant de terres cultivées, autant de sujets, autant de revenus que de nos jours ; elle n’avoit rien dans la Livonie, & le peu de commerce que l’on faisoit à Astracan étoit desavantageux.

Les Russes se nourrissoient fort mal ; leurs mets favoris n’étoient que des concombres & des melons d’Astracan, qu’ils faisoient confire pendant l’été avec de l’eau, de la farine & du sel, cependant ​les coutumes asiatiques commençoient déja à s’introduire chez cette nation.

Pour marier un czar, on faisoit venir à la cour les plus belles filles des provinces ; la grande maîtresse de la cour les recevoit chez elles, les logeoit séparément, & les faisoit manger toutes ensemble. Le czar les voyoit, ou sous un nom emprunté, ou sans déguisement.

Le jour du mariage étoit fixé, sans que le choix fût encore connu ; & le jour marqué, on présentoit un habit de nôces a celle sur qui le choix secret étoit tombé : on distribuoit d’autres habits aux prétendantes, qui s’en retournoient chez elles. Il y eut quatre exemples de pareils mariages.​

​Dès ce tems-là, les femmes russes surent se mettre du rouge, se peindre les sourcils, ou s’en former d’artificiels ​; elles prirent du goût à porter des pierreries, à se parer, à se vétir d’étoffes précieuses ;​​​c’est ainsi que la barbarie commençoit à finir chez ces peuples, par conséquent Pierre leur souverain n’eut pas tant de peine à policer sa nation, que quelques auteurs ont voulu nous le persuader.

Alexis Mikaelovitz avoit déja commencé d’​annoncer l’influence que la Russie devoit avoir un jour dans l’Europe chrétienne. Il envoya des ambassadeurs au pape, & à presque tous les grands souverains de l’Europe, excepté à la France, alliée des Turcs, pour tâcher de former une ligue contre la Porte ottomane. Ses ambassadeurs ne réussirent cependant dans Rome, qu’à ne point baiser les piés du pape, & n’obtinrent ailleurs que des vœux impuissans.

Le même czar Alexis proposa d’unir, en 1676, ses vastes états à la Pologne, ​comme les Jagellons y avoient joint la Lithuanie ; mais plus son offre étoit grande, moins elle fut acceptée. Il étoit très-digne de ce nouveau royaume, par la maniere dont il gouvernoit les siens.

C’est lui qui le premier fit rédiger un code de lois, quoiqu’imparfait ; il introduisit des manufactures de toiles & de soie, qui, à la vérité, ne se soutinrent pas, mais qu’il eut le mérite d’établir.

Il peupla des déserts vers le Volga & la Kama, de familles lithuaniennes, polonoises & tartares, prises dans ses guerres ; tous les prisonniers auparavant étoient esclaves de ceux auxquels ils tomboient en partage ; Alexis en fit des cultivateurs : il mit autant qu’il put la discipline dans ses armées.

Il appella les arts utiles dans ses états : ​il y fit venir de Hollande, à grands frais, le constructeur Bothler, avec des charpentiers & des matelots, pour bâtir des frégates & des navires.

Enfin, il ébaucha, il prépara l’ouvrage que Pierre a perfectionné. Il transmit à ce fils tout son génie, mais plus développé, plus vigoureux, & plus éclairé par les voyages.

Sous le regne de Pierre, le peuple russe qui tient à l’Europe, & qui vit dans les grandes villes, est devenu civilisé, commerçant, curieux des arts & des sciences, aimant les spectacles, & les nouveautés ingénieuses. Le grand homme qui a fait ces changemens, est heureusement né dans le tems favorable pour les produire.

Il a introduit dans ses états les arts qui étoient tout perfectionnés chez ses voisins ; & il est arrivé que ces arts ont fait plus de progrés en 50 ans chez ses sujets, déja disposés à les goûter, que partout ailleurs, dans l’espace de trois ou quatre siecles ; cependant ils n’y ont pas encore jetté de si profondes racines, que quelque intervalle de barbarie, ne puisse ruiner ce bel édifice commencé dans un empire dépeuplé, despotique, & où la nature ne répandra jamais ses bénignes influences.

Dans l’état qu’il est aujourd’hui, ​la nation russe est la seule qui trafique par terre avec la Chine ; le profit de ce commerce est pour ​les épingles de l’impératrice​104​. La caravane qui se rend de Pétersbourg à Pékin, emploie trois ans en voyage & au retour.

Aussitôt qu’elle arrive à Pékin, les marchands sont renfermés dans un caravancerai, & les Chinois prennent leur tems pour y apporter le rebut de leurs marchandises qu’ils sont obligés de prendre, parce qu’ils n’ont point la liberté du choix.

Ces marchandises se vendent à Pétersbourg à l’enchere, dans une grande salle du ​palais italien ; l’impératrice assiste en personne à cette vente ; cette souveraine fait elle-même des offres, & il est permis au moindre particulier d’encherir sur elle ; aussi le fait-on, & chacun s’empresse d’acheter à très-haut prix.

Outre le bénéfice de ces ventes publiques, la cour fait le commerce de la rhubarbe, du sel, ​des cendres, de la bierre, de l’eau-de-vie, &c. L’état tire encore un gros revenu des épiceries, des cabarets, & des bains publics, dont l’usage est aussi fréquent parmi les Russes que chez les Turcs.

Les revenus du souverain de Russie se tirent de la capitation, de certains monopoles, des douanes, des ports, des péages, & des domaines de la couronne. Ils ne montent pas cependant au-delà de ​treize millions de roubles, (soixante-cinq millions de notre monnoie). Avec ces revenus, la Russie peut faire la guerre aux Turcs, mais elle ne sauroit, sans recevoir des subsides, la faire en Europe ; ses fonds n’y suffiroient pas : la paie du militaire est très-modique dans cet empire.

Le soldat russe n’a point par jour le tiers de la paie de l’allemand, ni même du françois ; lorsqu’il sort de son pays, il ne peut subsister sans augmentation de paye ; & ce sont les puissances alliées de la Russie, qui fournissent chérement cette augmentation.

La couronne de Russie est héréditaire, les filles peuvent succéder, & le souverain a un pouvoir absolu sur tous ses sujets, sans rendre compte de sa conduite à personne. L’air de la plus grande partie de la Russie est extrément froid, les neiges & les glaces y regnent la meilleure partie de l’année​ ; ​le grain qu’on y seme n’y meurit jamais bien, excepté du côté de la Pologne, où on fait la récolte trois mois après la semaille. Il n’y croît point de vin, mais beaucoup de lin.​

Ses principales rivieres sont le Volga, le Don, le Dnieper & le Dwina. Ses lacs donnent du poisson en abondance. Les forêts sont pleines de gibier, & de bêtes fauves.​ ​Le commerce des Russes est avantageux à la France, utile à la Hollande, & défavorable à l’Angleterre.

Il consiste en martres, zibelines, hermines, & autres fourrures, cuirs de bœufs appellés cuirs de Russie, lin, chanvre, suif, goudron, cire, poix-résine, savon, poisson salé, &c.​

Extrait de la ​description de la Russie, par M. de Voltaire. Geneve, 1759​116​. in-8°. tom. I.​117​ Voyez aussi description de l’empire de Russie, par Perri, Amsterd. 1720, 2. vol. in-12.​118​ & la description historiq. de l’empire russien, traduit de l’allemand, du baron de Stralemberg​119​​, Holl. 1757, 2. vol. in-12. (Le chevalier de Jaucourt.)

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Ce qu’est l’âme russe

Une introduction efficace et peut-être simple.

Les peuples slaves se caractérisent par un certain flottement de l’âme et chez les Russes, cela prend une tournure très prononcée. La découvrir, la redécouvrir est toujours un plaisir, et une nécessité alors que l’incessant bourrage de crâne occidental explique que la Russie n’existerait pas.

Le passage peut-être le plus représentatif de cette âme russe se situe dans le fameux roman de Léon Tolstoï, Guerre et paix, paru entre 1864 et 1869.

Nous sommes à la campagne et, après avoir entendu une mélodie, de manière irrépressible, un vieil aristocrate se met à la guitare, et une jeune aristocrate se met à danser.

Voici une scène d’une version filmée de 1966 et l’extrait de Guerre et paix.

Mais le génie national russe de ce passage de Guerre et paix ne tient pas seulement au contenu. De manière admirable, Léon Tolstoï s’abstient de décrire la danse. C’est un choix, un choix russe : la pudeur dans l’émotion pourtant montrée. C’est cela, l’âme russe.

« C’est mon cocher Mitka qui joue : aussi lui en ai-je acheté une excellente, cette musique me plaît ! » Il était d’habitude qu’au retour de la chasse, Mitka se livrât à ses fantaisies musicales, pendant que le « petit oncle » l’écoutait avec bonheur.

– C’est vraiment très joli, dit Nicolas avec une feinte indifférence, comme s’il était honteux d’avouer qu’il trouvait du charme à cette musique.

– Comment, très joli ? s’écria Natacha d’un ton de reproche, mais c’est charmant, mais c’est ravissant ! » Et en effet la chanson qu’elle écoutait lui semblait la plus idéale des mélodies, tout comme les champignons, le miel et les confitures d’Anicialui avaient paru être les meilleurs qu’elle eût jamais mangés !

« Encore, encore, je t’en prie, » dit Natacha, lorsque la
« balalaïka » se tut. Mitka l’accorda et reprit de nouveau la Barina, avec variations et changements de ton. L’oncle, la tête légèrement inclinée, un vague sourire sur les lèvres, écoutait religieusement.

Le motif revint une centaine de fois sous les doigts exercés du musicien, et les cordes répétèrent à satiété les mêmes notes, sans fatiguer les oreilles de l’auditoire, qui ne cessait de les redemander. Anicia Fédorovna écoutait aussi, appuyée contre le linteau de la porte :

« Faites attention, mademoiselle, dit-elle avec un sourire
qui rappelait celui de son maître. Il joue très bien !

– Voilà une mesure manquée, s’écria tout à coup le « petit
oncle » en faisant un geste énergique. Ces notes-là doivent être plus vivement… enlevées, affaire sûre, marche !

– Sauriez-vous jouer de la balalaïka ? demanda Natacha
surprise.

– Aniciouchka !… – et le « petit oncle » sourit malicieusement. – Vois un peu si les cordes de la guitare y sont toutes, il y a si longtemps que je ne l’ai eue entre les mains. »

Anicia exécuta cet ordre avec une visible satisfaction, et lui apporta la guitare.

La prenant avec soin, il souffla dessus pour en enlever
quelques grains de poussière, et en tendit les cordes de ses doigts osseux ; puis, s’asseyant bien à son aise, et arrondissant d’une façon un peu théâtrale son coude gauche, il saisit le manche de l’instrument, cligna de l’œil à Anicia Fédorovna, et, pinçant un accord plein et sonore, commença, sans la moindre hésitation, à improviser sur le thème d’une chanson très populaire.

Le rythme en était lent, mais le refrain exprimait une gaieté si douce, si discrète, la gaieté d’Anicia, qu’il pénétra jusqu’au cœur de Nicolas et de Natacha… et leur cœur chanta à l’unisson !

Anicia, dont la figure rayonnait, rougit, se cacha la figure dans son mouchoir et quitta le cabinet en souriant toujours ; le « petit oncle » continuait avec précision et avec aplomb à moduler ses cadences et ses variations, et son regard vaguement inspiré se portait vers la place qu’elle avait occupée.

Un léger sourire flottait sous sa moustache grise, et s’accentuait vivement, lorsqu’il accélérait la mesure, que la chanson redoublait d’entrain, et qu’une corde criait aux passages difficiles.

« Ravissant, ravissant !… » Et Natacha, sautant de sa place,
entoura le « petit oncle » de ses bras et l’embrassa : « Nicolas, Nicolas ! » ajouta-t-elle en se retournant vers son frère, comme pour lui faire partager sa surprise.

Mais le « petit oncle » avait recommencé à jouer. Anicia
Fédorovna et plusieurs autres gens de la maison montrèrent leurs figures dans l’entrebâillement de la porte, pendant qu’il attaquait le : « Là-bas, là-bas, derrière la source fraîche, la jeune fille m’a dit : attends ! », et, brisant un accord, il remua légèrement les épaules.

« Eh bien, eh bien après ! » dit Natacha d’un ton si suppliant, que sa vie semblait dépendre de ce qui allait suivre.

Le « petit oncle » se leva ; on aurait dit qu’il y avait en lui deux hommes différents, dont l’un répondait par un grave sourire à la naïve et pressante invitation à la danse exécutée par l’autre, par le musicien :

« En avant, ma nièce ! s’écria-t-il tout à coup, et Natacha,
se débarrassant vivement de son châle, s’élança au milieu de la chambre, posa ses mains sur ses hanches et attendit, en imprimant à ses épaules un balancement imperceptible.

Comment, par quel procédé inconnu cette petite comtesse, élevée par une émigrée française, avait-elle pu et su s’assimiler, sous la seule impression de son air natal, ces mouvements, inimitables et indescriptibles de l’enfant du peuple, si vrais, si typiques, si russes en un mot, et que le fameux pas du châle de Ioghel [dont les bals étaient les plus fameux] aurait dû depuis longtemps lui avoir fait oublier ?

Lorsqu’on la vit se préparer à répondre au signal, avec ses yeux pétillants de malice et son air souriant et assuré, la défiance involontaire de Nicolas et du reste de l’auditoire s’envola comme par enchantement ; il n’y avait plus à en douter, elle justifierait leur attente, et ils pouvaient hardiment l’admirer !

Elle mit une telle perfection à tout ce qu’elle avait à faire,
qu’Anicia Fédorovna, après lui avoir aussitôt donné le petit mouchoir, complètement indispensable à ses attitudes, se mit à rire de bon cœur et à s’attendrir en même temps, pendant qu’elle suivait des yeux les pas et les gestes de cette fine et gracieuse créature.

C’est que Natacha, si supérieure à cette jeune comtesse élevée dans le velours et la soie, savait si bien comprendre et exprimer non seulement ce qu’elle, Anicia, comprenait et sentait, mais encore tout ce qui faisait aussi battre le cœur de son père, de sa mère, de tous les siens, en un mot et pour mieux dire, tout cœur véritablement russe !

« Bravo, petite comtesse, affaire sûre, marche ! s’écria le
« petit oncle » à la fin de la danse… Il ne te manque plus qu’un beau garçon pour mari !
– Mais pas du tout, il est tout choisi, dit Nicolas.
– Ah bah ! » reprit le vieux, stupéfait.

Natacha répondit d’un signe de tête avec un joyeux sourire : « Et comme il est bien », ajouta-t-elle. »

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Culture

La situation de la musique classique russe en France

La musique classique russe a-t-elle été « effacée » en France ?

La légende de Sadko, qui a notamment inspiré un opéra de Nikolaï Rimski-Korsakov, ici dans une peinture de 1876 d‘Ilia Répine, peintre russe majeur désormais « effacé » et transformé en peintre ukrainien

« Cadences » est une petite revue gratuite, d’une trentaine de pages. En voici sa définition :

« CADENCES est le magazine sur l’actualité des concerts de musique classique, opéra, musique baroque, musique contemporaine à Paris et en Ile-de-France.

Il est aujourd’hui l’outil préféré des mélomanes parisiens avec son agenda des concerts, ses dossiers musicologiques et ses interviews d’artistes. »

Tirant à 50 000 exemplaires, on peut trouver cette revue dans les lieux concernés. Elle est très sérieuse, de haut niveau. C’est tout à fait parfait pour voir si la propagande de guerre a réussi à pénétrer la Culture ou non.

Regardons le numéro 361-362 de février mars 2023 (disponible ici en pdf), afin de voir comment la culture russe y a été effacée, ou non.

Sur la couverture est annoncé un article intitulé « Rachmaninov L’oeuvre pour piano ». Pages 4 et 5, on trouve un article au sujet de la Symphonie n°5 de Prokofiev, qualifiée de « grandiose ». Les premières lignes soulignent qu’il l’a composée en Union Soviétique, en 1944. Et on lit :

« Sans doute a-t-il été sensible aux sirènes du régime soviétique qui lui offre les conditions lui permettant de se consacrer pleinement à la composition. De fait, son activité créatrice reste intense après son retour et son inspiration ne faiblit pas.

Si son style s’est quelque peu assagi par rapport aux audaces des années 1910 et 1920, il produit plusieurs chefs-d’œuvre : le Second Concerto pour violon, le ballet Roméo et Juliette, le célèbre conte Pierre et le Loup, la musique pour le film d’Eisenstein Alexandre Nevski. »

Rien de plus objectif.

Page 6 est présenté un concert d’un pianiste russo-lituanien, Lukas Geniusas, jouant Schubert et Rachmaninov. Page 9 est annoncé un concert du grand pianiste ukrainien Vadym Kholodenko jouant Schubert et Prokofiev.

Pages 12 et 13 on a un article sur « Rachmaninov magicien du piano », soulignant l’importance de ce compositeur, alors que le très grand pianiste russe Nikolaï Luganski en proposait en début d’année une intégrale à Paris. Il y a un regain vers ce compositeur, Rachmaninov étant la pièce maîtresse de la « seconde vague » de la musique classique russe.

Page 28 est présenté la sortie d’œuvres pour piano d’Alexandre Scriabine, par Vincent Lardenet, « le plus grand des scriabiniens actuels ».

Constatons quelques autres choses : le lac des cygnes de Tchaïkovski est joué à l’opéra royal du château de Versailles, la pianiste russe Olga Pashchenko (dont le nom est ukrainien par ailleurs) joue à la Cité de la musique, Prokofiev est joué à la Philarmonie, le pianiste russe Mikhaïl Pletnev joue à la Philarmonique de Radio France, l’illustre pianiste Ievgueni Kissine (d’origine russe et devenu israélien) joue notamment du Rachmaninov au Théâtre des Champs-Élysées…

Rien n’a donc été abîmé. La propagande de guerre, le bourrage de crâne… n’ont pas fonctionné. L’effacement d’une partie de la culture mondiale au nom d’intérêts impérialistes n’a pas eu lieu.

C’est une joie. Et une preuve que la défense de la culture est toujours le véritable fondement de la civilisation. La préservation de ce qui a de la valeur transcende les préjugés et met à l’écart le nationalisme, les sordides manipulations.

Ce non-effacement de la musique russe est une contribution réelle au refus de l’auto-destruction du monde et une haute expression du besoin existentiel de la paix universelle, de l’unité du monde pour la Culture.

Quand on admire la danse des chevaliers au Bolchoï, on fait partie de l’humanité toute entière – comme avec toute œuvre culturelle de grande valeur de chaque pays du monde.

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Culture Culture & esthétique

Un film ne se décide pas au montage

L’abstraction n’est jamais l’aspect principal d’une oeuvre.

Il est bien connu qu’une des principales tendances erronées chez les artistes, c’est de chercher des recettes miracles. Le problème est que dans le cinéma capitaliste, cette tendance erronée est valorisée et même survalorisée.

Il y a tellement une surproduction de marchandises dans ce secteur capitaliste qu’on a droit à une machinerie reproduisant des recettes à n’en plus pouvoir.

Cela se voit tant avec les suites des films et avec la généralisation des séries. Une fois qu’une base est trouvée, et celle-ci a toujours sa dignité, on décline non stop, jusqu’à ce que le public cesse de consommer, écœuré.

Le capitalisme recommence alors avec autre chose. Et rien de cela ne serait possible sans des cinéastes qui vendent leur âme, acceptant de manière volontaire de produire et surtout de re-produire.

Il est flagrant ici comment le capitalisme produit, et reproduit, comment le capital ce n’est pas que la production, mais la reproduction de capital, la reproduction de marchandises.

Et la clef ici, c’est la question du montage : c’est toujours le capitalisme qui formate les choses, décide des marchandises, et il le fait au montage, dans la délimitation finale du produit.

Voici inversement comment il faut concevoir les choses. Andreï Tarkovski nous parle du montage, dans Le temps scellé (Cahiers du Cinéma 2004 ou bien Philippe Rey 2014). Il ne critique pas le montage dans le capitalisme, mais une approche convergeant avec le principe général du montage comme « décision finale », détermination finale d’un film.

« Aucun élément d’un film ne peut trouver de sens pris isolément: l’œuvre d’art est le film considéré dans son ensemble.

Ses composantes ne peuvent être séparées artificiellement que pour quelque discussion théorique.

Je ne peux être d’accord avec ceux qui prétendent que le montage est l’élément déterminant du film. Autrement dit, que le film serait créé sur une table de montage, comme l’affirmaient dans les années 1920 les partisans du « cinéma de montage », Koulechov et Eisenstein.

On dit souvent, à juste titre, que tout plan nécessite un montage, c’est-à-dire une sélection, un assemblage et un ajustement d’éléments.

Mais l’image cinématographique naît pendant le tournage et elle n’existe qu’à l’intérieur du plan. C’est pourquoi en tournant je suis si attentif à l’écoulement du temps dans le plan, pour essayer de le fixer et de le reproduire avec précision.

Le montage articule ainsi des plans déjà remplis par le temps, pour assembler le film en un organisme vivant et unifié, dont les artères contiennent ce temps aux rythmes divers qui lui donne la vie.

L’idée des partisans du « cinéma de montage » (le montage assemble deux concepts pour en engendrer un troisième, un nouveau) me semble totalement contraire à la nature même du cinéma.

Car un jeu de concepts ne peut être le but ultime de l’art, tout comme son essence ne se trouve pas dans un assemblage arbitraire.

L’image est liée au concret, au matériel, pour atteindre, par des voies mystérieuses, à l’au-delà de l’esprit. Et c’est peut-être à cela que pensait Pouchkine quand il disait :  »la poésie doit être un peu bête ». »

Tarkovski oppose, à une pseudo-dialectique en réalité vrai formalisme, une reconnaissance de la complexité du réel, complexité déterminant en dernier ressort ce que doit être le montage.

Les plans tournés ne sont pas des éléments bruts au service d’une mécanique raffinée que serait le montage. Bien au contraire, le montage n’est que le support des plans tournés.

C’est comme lorsqu’on écrit un roman ou qu’on peint un tableau. Il n’y a pas un plan de montage et des applications tentées dans la pratique pour aboutir au montage. Aucune production artistique ne se réalise ainsi, de manière mécanique, froide, suivant un plan linéaire établi bien à l’avance.

Il y a au contraire un rapport interne entre ce qu’on porte lors de la production artistique, en tant qu’être sensible, dans une activité artistique directe, et l’agencement final concluant l’œuvre pour qu’elle forme un tout cohérent et complet.

Dans ce rapport interne, ce n’est jamais la dimension formelle qui prime, mais la reconnaissance du réel dans sa dimension inépuisable.

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Culture

Ilya Répine serait maintenant ukrainien!

C’est « l’effacement » de la Russie.

Le régime ukrainien ne fait pas que détruire les monuments à Pouchkine et dénoncer Dostoïevski comme l’expression d’une âme russe damnée, monstrueuse, criminelle. Il ne cesse également de réécrire l’Histoire pour s’approprier certains artistes.

Le peintre Kazimir Malévitch est ainsi par exemple considéré comme ukrainien, ce qui est bien ridicule, et on a désormais droit au comble de l’absurde : le peintre Ilya Répine serait ukrainien.

Ilya Répine, Procession religieuse dans la province de Koursk, 1883

Rien qu’avec cette information, l’opinion publique russe serait directement favorable à une intervention militaire. Parce que là, on touche tout de même au cœur même de la culture russe.

Pour preuve, du 5 octobre 2021 au 23 janvier 2022, il y a eu à Paris une rétrospective sur ce peintre. Cette exposition au Petit Palais avait été dénommée… « Ilya Répine ( 1844-1930), Peindre l’âme russe ».

Il est bien parlé de l’âme russe, pas de l’âme ukrainienne. L’exposition a été un grand succès d’ailleurs, avec 100 000 visiteurs, qui ont sans doute été étonnés de découvrir ce peintre de la plus haute qualité.

C’est que les « ambulants », ces fabuleux peintres réalistes russes de la fin du 19e siècle, sont malheureusement inconnus chez nous. Ils forment par ailleurs le noyau historique, avec la littérature russe de la même époque, du style artistique « réaliste socialiste » de l’URSS.

On parle ici d’artistes d’orientation démocratique, d’où le fameux tableau d’Ilya Répine sur les Cosaques, présentés de manière romantique comme épris de liberté. Les nationalistes ukrainiens aimeraient bien récupérer le peintre et donc ce tableau pour en faire un outil de leur idéologie mortifère, ethnique-patriarcale.

Ilya Répine, Les Cosaques zaporogues écrivant une lettre au sultan de Turquie, 1891

Comme il se doit, c’est la superpuissance américaine qui est en première ligne pour épauler la réécriture du régime ukrainien. C’est ainsi le Metropolitan Museum of Art de New York qui a, à la mi-février 2023, décidé de faire d’Ilya Répine un « Ukrainien ».

La raison est qu’il serait né dans ce qui est l’Ukraine actuelle et que son père était cosaque. Ce qui est un raccourci complet et on pourrait très bien inverser la proposition et dire que par conséquent, la zone concernée est russe.

Si on commence en effet comme ça, on nie les mélanges, les synthèses et on bascule dans le nihilisme nationaliste. Qu’on pense au drame yougoslave !

Sur sa lancée, le « Met » a transformé le peintre russe d’origine arménienne Ivan Aïvazovski en Ukrainien. On parle ici d’un peintre, par ailleurs d’une très grande renommée, qui est enterré dans le jardin d’une église arménienne et a été peintre de l’état-major de la Marine russe !

Mais comme il est né en Crimée, et que la Crimée est censée être ukrainienne, alors il est ukrainien ! Sidérant !

Ivan Aïvazovski, La neuvième vague, 1850
Ivan Aïvazovski, La Création ou Le Chaos, 1841

Il a été fait pareil avec Arkhip Kouïndji. Comme il est né à Marioupol, et que Marioupol est censé être l’Ukraine, alors il est ukrainien, même si sa famille relève des Grecs de la région !

Tout cela est un raccourci ignoble, qui fait fi des mélanges, des synthèses propres à cette partie du monde. Parce que justement, si l’on prend les peintures d’Arkhip Kouïndji, lui-même dans la perspective des Ambulants… on retrouve l’Ukraine.

Les peintures de ce non-ukrainien sont indéniablement, résolument, absolument d’esprit national ukrainien…

Arkhip Kouïndji, Nuit ukrainienne, 1876

On y retrouve ce côté lancinant, cette profondeur de champ s’étalant dans une candeur qui se permet de traîner son regard comme un vague à l’âme. C’est russe, et en même temps pas du tout, car cela se répand bien trop dans la complaisance sentimentale pour le moment, il n’y a pas cette inquiétude russe qui recherche des « pointes »…

Arkhip Kouïndji, Le Dniepr le matin, 1881

Si l’on veut, les Finlandais ont trop regardé les lacs, les Ukrainiens ont trop regardé les steppes et les champs, les Russes ont trop regardé les forêts.

Arkhip Kouïndji, Soir en Ukraine, 1878

Faisons une comparaison pour cerner la différence. Voici un tableau d’Ilya Répine, Tolstoï dans un champ de labour, de 1887. Il faut regarder le côté incisif, l’intensité, la pointe.

Maintenant regardons Arkhip Kouïndji, Le chemin des tchoumaks à Marioupol, de 1875. Il n’y a pas ce côté incisif russe. C’est ukrainien. C’est très proche, mais il y a une nuance, une différence.

Les Russes et les Ukrainiens expriment l’âme, mais les Russes font ressortir une pointe, que les Ukrainiens préfèrent gommer. Ou, si l’on veut, les Russes parlent beaucoup mais ne disent rien (qui relève de l’âme, intime), les Ukrainiens ne disent rien mais parlent beaucoup (ils disent indirectement).

Mais il va de soi qu’il ne faut pas attendre des nationalistes ukrainiens, ces barbares, la moindre réflexion esthétique sur la peinture ukrainienne. Ces monstres sont dans la destruction.

Car Arkhip Kouïndji peut ne pas être ukrainien et contribuer ou relever de la peinture ukrainienne. Les choses sont compliquées… l’humanité se mélange… et c’est très bien ainsi.

Le nationalisme est unilatéral et simplificateur, il empêche de saisir les synthèses historiques. Ce n’est tout de même pas pour rien que les Russes et les Ukrainiens soient si proches, tout comme les Allemands et les Autrichiens, les Indiens et les Pakistanais, etc.

Dans mille ans, il n’y aura plus de nations, plus de « couleurs de peau », on sera tous mélangé, dans une grande synthèse mondiale qui d’ailleurs continuera de manière ininterrompue.

La réécriture de l’Histoire procédant à des séparations, à l’individualisation, est une expression à la fois de la décadence de la bourgeoisie, de la décomposition des valeurs, du redécoupage du monde entre puissances.

Il faut la combattre.

Il est évident que toutes ces redéfinitions de peintres obéissent à l’objectif impérialiste de destruction de la Russie, de son futur découpage en mini-États vassalisés. C’est un processus à la fois insidieux et ouvert. La National Gallery de Londres avait déjà en avril 2022 renommé un tableau du peintre Edgar Degas, les « danseuses russes » devenant ukrainiennes.

On notera par ailleurs que la Tate Gallery de Londres considère Ilya Répine comme un peintre russe né ukrainien.

Tout cela est de la fiction. Et c’était la force de l’URSS jusqu’aux années 1950 de réfuter ce type de fiction, permettant l’unité populaire, que ce soit pour l’Ukraine et la Russie ou dans le Caucase.

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Culture

Protégeons Dostoïevski et l’âme russe des bandéristes!

Sauvons les des barbares !

Illustration du conte Vassilissa-la-très-belle par Ivan Bilibine au début du 20e siècle

Le régime ukrainien est totalement fanatique et son obsession nationaliste, qui suit l’idéologie de Stepan Bandera, sert directement les intérêts occidentaux, dans la mesure où la Russie est dévalorisée, dénoncée, condamnée.

Le grand symbole de cette condamnation, c’est Fiodor Dostoïevski (1821-1881). Car si le régime ukrainien démolit la statue de Catherine de Russie à Odessa, s’il détruit tous les monuments à Alexandre Pouchkine, s’il détruit par millions des ouvrages en russe ou considérés comme pro-russe, il a surtout fait de cet auteur le symbole du mal absolu.

Pourquoi cet immense auteur de la seconde moitié du 19e siècle est-il la cible principale ? Fiodor Dostoïevski est très connu en France ; il est l’auteur de romans marquants : Les frères Karamazov, L’idiot, Le joueur, les démons et bien entendu Crime et châtiment.

Et c’est pour cet ouvrage, considéré en France comme un immense classique, que Dostoïevski est dénoncé, condamné.

On y trouverait de manière exemplaire ce qui fait l’âme russe : un esprit tourmenté par l’absolu, à la fois idiot et obsessionnel, tourné naturellement vers le crime.

Cette âme russe serait non européenne et devrait pour cette raison être anéantie. Les Russes seraient des monstres. C’est le discours officiel du régime ukrainien.

Ces considérations fascistes sont parfaitement résumées dans un ignoble article du site ultra anti-russe desk-russie.eu.

« En ce qui concerne la réaction du peuple russe face à la guerre, une composante de la mentalité russe que les non-Russes peuvent avoir du mal à saisir est la valeur remarquablement faible accordée à la vie humaine, et ce de manière stable au cours de l’histoire, bien que cette histoire ait été violente et traumatisante depuis plusieurs siècles.

Cela va à l’encontre de la célèbre image de la « larme d’enfant » de Dostoïevski, souvent invoquée mais jamais appliquée dans la vie réelle, par laquelle Ivan Karamazov médite sur l’essence de la compassion [comme quoi si Dieu existait il ne tolérerait pas la souffrance des enfants].

On constate dans la société russe l’absence fondamentale d’un niveau normal de solidarité entre les hommes et d’instinct de survie, deux choses que les Occidentaux éclairés considèrent si facilement comme allant de soi. »

Ces propos sont fascistes et totalement typiques. Ils appellent à la destruction de la Russie, qui fabriquerait des Russes inhumains. Et on remarque comment Dostoïevski est visé, systématiquement, comme grand symbole de cette « âme russe » satanique.

L’important site américain Big Think fait de Dostoïevski le grand inspirateur du conflit armé Russie-Ukraine. Le site Ukrainer.net présente pareillement Dostoïesvki comme « la raison de la guerre ».

L’important site britannique Times Literary Supplement a publié un appel qui a obtenu un certain écho : écrit par la romancière ukrainienne Oksana Zabuzhko, elle dénonce la Russie et évidemment surtout Dostoïevsky.

Elle affirme que l’écrivain Milan Kundera avait eu raison de rejeter la littérature russe de la littérature européenne ainsi que de rejeter Dostoïevski pour son « culte des émotions et son dédain complet de la rationalité ». Elle explique que l’intervention de la Russie contre l’Ukraine doit beaucoup au « Dostoïevskisme » (qui serait « l’explosion d’un mal pur, condensé »).

Le philosophe très à la mode Slavoj Zizek voit les choses de la même manière : Dostoïevski est surestimé comme écrivain, la menace qu’il présente est sous-estimée et il faudrait dénazifier la Russie.

L’important magazine américain Foreign Policy, qui traite des affaires étrangères et a été fondé par Samuel Huntingdon, auteur du livre « Le choc des civilisations », parle d’une logique impériale dans l’ensemble de la littérature russe, avec évidemment Dostoïevski.

Lorsque le pape, en août 2022, a valorisé Dostoïevski, en raison de la dimension existentielle soulignée dans ses romans, l’ambassadeur ukrainien au Vatican Andrii Yurash l’a immédiatement dénoncé. Car selon lui, la Russie est criminelle avec ses bombes, non pas malgré Dostoïevski, mais en raison de Dostoïevski !

Tetyana Ogarkova et Volodymyr Yermolenko, deux figures de la propagande intellectualo-médiatique ukrainienne, expliquent tranquillement au très important site littéraire Lit Hub que Crime et châtiment, ce serait l’apologie du crime et l’absence de sentiment, ce qui serait totalement russe!

Le site officiel de l’Ukraine présente Dostoïevski comme un inspirateur du « rashisme » (le « racisme russe exterminateur », un concept fantasmagorique du nationalisme ukrainien).

La rue Dostoïevski à Kiev a été renommé rue… Andy Warhol.

La professeur de littérature russe à l’université du Kansas aux États-Unis, Ani Kokobobo, appelle à lire Dostoïevski de manière « critique », reflétant les exigences d’une « lecture post-coloniale » de la Russie qu’elle appelle de tous ses voeux.

La société nord-américaine Dostoïevski, regroupant les chercheurs s’intéressant à cet auteur, le dénonce directement :

« Ce regroupement de nationalisme et d’impérialisme théorisé par Dostoïevski, en particulier dans son journalisme, est profondément impliqué dans l’invasion actuelle et sa base idéologique. »

Quel bourrage de crâne ! Quelle volonté d’effacer la Russie pour satisfaire le repartage du monde du point de vue occidental ! Quelle haine propagandiste contre l’âme russe !

Quel autre réponse possible que d’aller lire et relire Crime et châtiment ?

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« I know it’s over »

Ce qui est vrai est vrai.

C’est une chanson puissante, où est exprimé un désarroi fondamental, une situation puissamment contradictoire, et cela passe par un appel plein d’ampleur à la figure absolue : celle de la mère.

« Je sais que c’est fini – je m’accroche toujours / Je ne sais pas où d’autre je peux aller / Oh Mère, je peux sentir le sol tomber sur ma tête / Regarde, la mer veut m’emporter / Le couteau veut me trancher / Penses-tu que tu puisses m’aider ? »

Tout est fini, en effet. La raison de tout cela, c’est qu’une femme va se marier, avec un homme qu’elle n’aime pas, clairement pas, c’est un idiot qui plus est, un type grossier, elle est simplement là parce qu’elle a besoin de lui.

Elle a refusé de chercher plus loin, d’être vraiment elle-même. Elle avait pourtant un rapport réel avec quelqu’un d’autre, un rapport vrai, où tout était possible, nécessaire même, mais qu’elle a trahi. D’où la plainte dans la chanson de celui qui a été abandonné en cours de route :

« Je sais que c’est fini /
Et ça n’a jamais vraiment commencé /
Mais dans mon coeur c’était si réel »

Et là, la chanson constate que, si on prend les gens comme ils sont, authentiquement, vraiment, alors on se retrouve seul, malgré qu’on soit marrant, ou malin, ou divertissant, ou justement pour cela.

Parce que les gens trouvent ça très bien, mais n’en ont rien à faire au fond, ils ont leurs petits calculs, ils ont leurs intérêts en tête. Aussi préfèrent-ils se débarrasser de tout, en riant de tout, en haïssant, alors qu’il faut de la force pour être prévenant et gentil.

Ce qui est la condition pour rester soi-même. Il n’y a pas d’authenticité sans empathie, sans compassion, y compris avec soi-même, car ce dont il s’agit, c’est d’assumer ses propres sentiments, non pas de les fuir.

D’où l’accusation finale :

« L’amour est naturel et réel / Mais pas pour toi, mon amour / Pas ce soir, mon amour / L’amour est naturel et réel / Mais pas pour des gens comme toi et moi, mon amour »

Et le leitmotiv, car que reste-il à quelqu’un qu’on a arraché à la vérité sentimentale, si ce n’est de se tourner vers la figure de la mère ?

« Oh Mère, je peux sentir le sol tomber sur ma tête »

La version live de cette chanson des Smiths de 1986 ne laissera certaines personnes pas intactes et les marquera nécessairement à vie, comme l’une des choses les plus fortes qui soient.

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Culture

« Blue Monday »

Quand on décide de ne plus participer.

La chanson Blue Monday de New Order eut un succès magistral à sa sortie en mars 1983 ; cela correspondait à un mouvement historique venant de la disco, passant par la hi-nrg (soit une disco « froide ») pour aller dans le sens de la techno.

Blue Monday était emblématique de ce tournant où le matériel permettait de systématiser la musique électronique. La chanson est incontournable et est relativement proche de Confusion datant d’août 1983, dont la vidéo est très réussie avec son portrait du New York dansant prolétarien. Formidable !

Blue Monday a cependant eu un gigantesque succès en raison également de ses paroles, donc dans les pays anglophones ou bien où l’anglais est relativement maîtrisé.

C’est que la chanson raconte comme un homme rencontre une femme et comment cela correspond entre eux. Tout est là entre eux.

Elle décide toutefois de ne jamais faire le pas pourtant dans l’ordre des choses, tout en maintenant leur relation, la précipitant dans l’ambivalence.

Il lui reproche alors de se sentir mal et de le savoir, sans pour autant ne rien faire, et à la fin de la chanson son cœur « grandit froidement » alors qu’il a décidé de s’en éloigner.

Le titre de la chanson résume cette démarche de rupture, sans que personne n’y ait rien compris, et pour cause, cela vient d’une expression allemande. Le « Blauer Montag », c’est quand on décide de ne pas aller travailler le lundi, parce que trop c’est trop et que l’exploitation salariée, il y en a assez.

C’est une expression très connue en Allemagne, associée historiquement à la rébellion contre le salariat capitaliste, mais cela n’existe pas en anglais, donc personne n’y a rien compris, et New Order ne l’a jamais expliquée, même si la pochette de la version remixée de 1995 contient les termes « Blauer » et « Montag ».

Ce thème de la grève sentimentale, pour ainsi dire, se retrouve dans Confusion, où il est reproché à la personne avec qui cela correspond de n’apporter que de la confusion sans en rien prendre en compte les effets vécus, si douloureux. Résultat : le départ, le renversement de situation, trop c’est trop.

Il y a là une accusation romantique d’anti-romantisme : mais comment peut-on ne pas être à la hauteur de soi-même, de ses sentiments, alors que l’autre est là matériellement et qu’on le sait, et que tout est là?

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Culture Planète et animaux

« Vegan for the animals »

« Vegan pour les animaux »

La Gauche historique a pour principe de célébrer : ce qui est bien, constructeur, positif ; c’est le sens de la vie, on le salue. Par opposition, ce qui est mal, erroné, négatif, est dénoncé.

Alors que le nouvelle année va commencer, il est certainement juste de saluer la sortie par le groupe Earth Crisis de deux nouvelles chansons sur un mini album de quatre chansons, « Vegan for the animals ».

Ce mini-album, sorti en octobre 2022, est notable car le groupe Earth Crisis s’est monté aux États-Unis en 1989. On parle ici de gens qui sont vegans depuis cette date et qui n’ont jamais lâché le flambeau.

Ce n’est pas rien, c’est même énormément. On parle ici d’un engagement réel et prolongé. Le nom du groupe vient d’ailleurs d’un album du groupe de reggae Steel Pulse, où l’on voit ce qui les mettait en rage : les deux blocs s’affrontant pour le contrôle du monde, le KKK, la famine en Afrique… Il y a aussi le pape, le Vietnam, la répression anti-populaire…

C’est là quelque chose de marquant, car on est dans la loyauté, l’engagement impliquant toute son existence.

On est à l’opposé de la narration capitaliste d’idées « nouvelles » à rapidement consommer. C’est particulièrement vrai pour la question animale, récupérée et démolie par le capitalisme « végétalien » dans les années 2010 et les opportunistes comme Aymeric Caron en France.

Earth Crisis est, si l’on veut, une preuve historique que les idées révolutionnaires sont portées par des démarches révolutionnaires… Le capitalisme cherche à récupérer et réécrire l’Histoire, il faut y faire face!

Le groupe Earth Crisis est par ailleurs très connu dans la scène punk hardcore, étant pour simplifier l’un des premiers groupes à mêler le metal au punk avec un son « hardcore ». Cette approche deviendra par la suite très commune, donnant un son lourd qu’on est pas obligé d’aimer bien sûr.

Et Earth Crisis fait surtout partie de la scène punk « positive » dite straight edge, qui refuse les drogues, l’alcool, les rapports sexuels hors couple.

Le mouvement prônant une discipline morale et culturelle pour tenir le choc face à une société décadente a eu un grand impact dans les années 1990 aux États-Unis et particulièrement en Suède. Le straight edge était alors systématiquement lié au végétarisme puis au véganisme.

Youth of Today en concert
Earth Crisis en concert

Earth Crisis était le pilier de cette culture « vegan straight edge« , Leur principale chanson, Firestorm, parle ainsi d’une tempête qui va venir pour débarrasser par la violence la société du trafic de drogues.

Le groupe prônait par ailleurs la violence comme solution révolutionnaire en général, notamment contre la vivisection et en faveur de la protection de la Nature. Cette scène musicale et activiste exprime une rupture culturelle majeure au coeur de la superpuissance américaine, se confrontant directement à la terreur de la consommation et faisant de la question animale la clef morale.

Les chansons sur le mini-album sont d’ailleurs « vegan for the animals » qui appelle à devenir vegan et à aller à la victoire, « Through A River Of Blood » qui dénonce la vivisection comme un massacre, « Smash Or Be Smashed » qui appelle à l’auto-discipline pour faire face à un monde qui est en guerre contre la Nature, avec toutefois les êtres humains se prenant pour des « néo-dieux » comme dit dans « Fate of the Neo-gods ».

Tout cela est méritoire, et exemplaire. On parle toujours de bonnes résolutions pour le nouvel an : il y a ici de quoi s’inspirer.

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Culture

« Last Night I Dreamt that Somebody Loved Me »

Une chanson à rebours de l’anti-romantisme caractérisant la société capitaliste.

Il faut être vrai, il faut être authentique, et dans le capitalisme les relations humaines sont déformées, aliénées, perverties. Les réseaux sociaux représentent d’ailleurs la quintessence de la manipulation, de l’écrasement de l’être humain. C’est l’ego contre l’émotion.

La chanson « Last night I dreamt that somebody loved me » des Smiths en 1987 est en ce sens un manifeste, un drapeau. Notre drapeau ! Oui, il faut toujours « être malade » comme le formule une chanson des Smiths, oui il faut refuser de « grandir » et de se comporter comme un « adulte » c’est-à-dire en conformité complète avec les intérêts du capital.

Qui met la romance de côté dans sa vie met sa propre vie de côté !

Last night I dreamt
That somebody loved me
No hope – no harm
Just another false alarm

Last night I felt
Real arms around me
No hope – no harm
Just another false alarm

So, tell me how long
Before the last one?
And tell me how long
Before the right one?

This story is old
– I KNOW
But it goes on
This story is old
– I KNOW
But it goes on

La nuit dernière j’ai rêvé
Que quelqu’un m’aimait
Pas d’espoir – pas de dommage
Juste une autre fausse alerte

La nuit dernière, j’ai ressenti
De vrais bras autour de moi
Pas d’espoir – pas de dommage
Juste une autre fausse alerte

Alors, dis-moi combien de temps
Avant le dernier ?
Et dis-moi combien de temps
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C’est une vieille histoire
– JE SAIS
Mais elle continue
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Culture

Casse-noisette pour Noël

Un classique, incontournable de ce fait.

Le ballet Casse-noisette devient depuis une cinquantaine d’années un des marqueurs majeurs de la période de Noël, et plusieurs de ses mélodies sont désormais très connues, étant admirablement bien calibrées en 1892 par le compositeur russe Tchaïkovski, que le régime ukrainien souhaite qu’on interdise.

L’humanité regarde et écoute avec admiration ce ballet, profondément marquée notamment par six extraits, que voici.

L’oeuvre est admirable, en ceci qu’elle est admirablement complexe et pourtant parfaitement lisible. Cela foisonne, mais on ne perd jamais le fil ; la complexité est massive, et tout reste simple.

C’est également la caractéristique du conte à l’origine, écrit par Ernst Theodor Amadeus (E.T.A.) Hoffmann en 1816, dont il existe une version française adaptée-simplifiée par Alexandre Dumas en 1838.

Voilà ainsi la véritable origine du succès de cette oeuvre à l’occasion de Noël, même si le conte se déroule précisément à cette période : c’est le foisonement lisible, la multitude des choses restant simple. Une richesse matérielle, mais simple : soit littéralement une allégorie du communisme.

« Mais alors il s’éleva de tous côtés un bruit de fous rires et de sifflements, et l’on entendit bientôt trotter et courir derrière les murailles comme des milliers de petits pieds, et mille petites lumières brillèrent à travers les fentes du parquet.

Mais ce n’étaient pas des lumières : c’étaient de petits yeux flamboyants, et Marie remarqua que des souris paraissaient de tous côtés. Bientôt tout autour de la chambre on courait au trot, au trot, au galop, au galop !

Des amas de souris de plus en plus distinctes couraient çà et là ventre à terre, et se plaçaient à la fin en rang et par compagnie, comme Fritz le faisait faire à ses soldats quand ils devaient aller à la bataille.

Cela parut très-amusant à Marie ; et comme elle n’éprouvait pas contre les souris l’espèce d’horreur qu’elles inspirent aux enfants, elle commençait à reprendre courage, lorsque tout à coup elle entendit des sifflements si effroyables et si aigus, qu’elle sentit un frisson lui parcourir le corps.

Mais qu’aperçut-elle ?

Juste à ses pieds tourbillonnèrent, comme mus par un pouvoir souterrain, du sable, de la chaux et des éclats de briques, et sept têtes de souris, ornées chacune d’une couronne étincelante, sortirent du plancher en poussant des sifflements affreux. Bientôt un corps, auquel appartenaient les sept têtes, s’agita avec violence et parvint à s’élancer dans la chambre.

Toute l’armée salua trois fois d’acclamations violentes la grosse souris ornée de sept couronnes, et se mit aussitôt en mouvement au trot, au trot, au galop, au galop ! vers l’armoire et vers Marie, qui se tenait encore placée près du vitrage.

Le cœur de Marie battit si fort, qu’elle crut qu’il allait s’échapper de sa poitrine, et qu’alors elle mourrait ; mais il lui sembla que son sang se figeait dans ses veines, et, à demi évanouie, elle chancela en reculant.

Et alors Klirr, klirr, prr !…

La vitre de l’armoire tomba brisée en morceaux sous la pression de son coude. Elle éprouva un moment une poignante douleur au bras gauche ; mais en même temps elle se sentit le cœur moins oppressé.

Elle n’entendit plus ni cris ni sifflements ; tout était devenu tranquille, et elle crut que les souris, effrayées du bruit de la vitre brisée, s’étaient réfugiées dans leurs trous. Mais tout à coup des rumeurs étranges s’élevèrent de l’armoire placée derrière elle, et de petites voix disaient :

— Éveillons-nous, éveillons-nous ! Au combat, au combat cette nuit ! Éveillons-nous, au combat !

Et alors un doux et gracieux bruit de clochettes résonna harmonieusement.

— Ah ! c’est mon jeu de cloches ! s’écria Marie toute joyeuse.

Et elle sauta de côté.

Elle vit que l’armoire s’éclairait et se remplissait de mouvement. De petites poupées couraient l’une sur l’autre et faisaient de l’escrime avec leurs bras.

Tout à coup Casse-Noisette se leva, jeta sa couverture loin de lui, se dressa sur le lit à pieds joints, et s’écria d’une voix retentissante :

— Knack, knack, knack ! souris au bivouac vaut à peine une claque ! Quel micmac dans le sac ! Cric crac !…

Puis il tira son petit sabre, l’agita en l’air et s’écria :

— Chers vassaux, frères et amis ! voulez-vous me venir en aide dans la bataille acharnée ?

Aussitôt trois Scaramouches, un Pantalon, quatre ramoneurs, deux joueurs de guitare et un tambour s’écrièrent :

— Oui, maître, nous vous viendrons fidèlement en aide ; avec vous nous marcherons au combat, à la victoire ou à la mort !

Et ils se précipitèrent au-devant de Casse-Noisette, qui se lança hardiment du rayon en bas.

Les autres avaient pu se jeter sans péril, car, outre que leurs riches habits étaient de drap et de soie, leur corps était rembourré de coton ; mais le pauvre Casse-Noisette se serait cassé bras et jambes, car il tombait de deux pieds de haut, et son corps était délicat comme s’il eût été de bois de tilleul, si mademoiselle Claire ne s’était élancée du canapé et n’avait reçu dans ses bras tendres le héros tenant son glaive à la main. »

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Culture Culture & esthétique

Le cinéma montre le concret particulier à travers l’universel

Et inversement.

Toute situation a beau être particulière, on sait qu’elle repose sur une nombre très importants d’aspects, tous reliés les uns aux autres et à plein d’autres choses plus ou moins éloignés de la situation.

Un film peut montrer des enfants en train de jouer dans un parc : ils sont reliés à un parent regardant la scène, à un autre au travail et non présent, et donc non montré. Pour le cinéma c’est dès lors secondaire si l’on présente la scène en tant que tel ; dans un roman, cela eut pu être mentionné.

Il n’en reste pas moins que la scène particulière contient en fait elle-même une quantité inépuisable d’aspects, sans quoi elle ne porterait pas l’universel et serait « unique », c’est-à-dire une abstraction, une idée « pure » comme Platon en concevait (dans son imaginaire).

En fait, le cinéma doit d’un savoir aller au plus proche du concret, avec sa particularité, son intériorité personnelle.

Andreï Tarkovski nous dit, dans Le temps scellé (Cahiers du Cinéma 2004 ou bien Philippe Rey 2014) :

« Le cinéma exige du réalisateur et du scénariste de vastes connaissances, adaptées à chaque cas particulier.

En ce sens, l’auteur du film doit avoir quelque chose en commun avec le scénariste – psychologue et le psychiatre.

Car la plasticité d’un film dépend d’une façon décisive de l’état concret d’un personnage mis en rapport avec une situation tout aussi concrète.

C’est par cette connaissance de la vérité de l’état intérieur qu’un scénariste peut et doit influencer un réalisateur dans sa mise en scène. »

Et Andreï Tarkovski de présenter comme suit ce qui s’associe à ce mouvement vers le concret : le rapport intrinsèque entre le particulier, par définition délimité, et l’universel, par définition inépuisable.

Après avoir présenté une scène d’un film, il évalue comme suit la réussite de l’entreprise :

« La mise en scène est ici déterminée par l’état psychologique des personnages à cet instant précis, et révèle la complexité de leurs relations.

Le réalisateur, dans sa mise en scène, doit aussi tenir compte de cet état psychologique, de la dynamique intérieure de la situation, et tout rapporter à la vérité, au fait observé dans ce qu’il a d’unique.

La mise en scène réussit à unir l’aspect concret au sens multiple propre à la vérité authentique. »

Une scène est donc unique mais porte le caractère multiple du réel, c’est ce qui fait qu’on peut l’admettre, la reconnaître. Qui échoue à cela échoue dans le cinéma à sortir de l’apparence formelle. Il y a échec à accorder un simple supplément d’âme qui devient, de manière qualitative, l’apport de la vie elle-même, dans toute sa richesse.

Une vraie scène de cinéma porte toute la vie, tout en ne montrant qu’un simple détail, même banal. Il ne s’agit pas ici de forcer les choses et de réaliser une sorte de poésie cinématographique, ou de cinéma poétique. Andreï Tarkovski en critique avec des mots très justes le côté forcé, cryptique :

« C’est un cinéma [le « cinéma poétique »] qui, dans ses images, s’éloigne des faits concrets dont la vie réelle offre le tableau, et qui revendique pourtant une cohérence dans la construction.

Il y a là un risque pour le cinéma de s’éloigner de sa vraie nature.

Le « cinéma poétique » appelle le symbole, l’allégorie et d’autres figures qui n’ont rien à voir avec la richesse d’images propres au cinéma. »

Parvenir à la richesse inépuisable d’une situation particulière, la montrer en la découvrant sans tricher avec les faits, tel est un défi du cinéaste.

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Culture

L’essentiel du travail du réalisateur : sculpter dans le temps

Le cinéma allonge la vie.

Le cinéma est une forme artistique exceptionnelle, en ce qu’il parvient à synthétiser en un temps restreint, aisément accessible et marquant en raison de la primauté de la vue, une vie entière ou une partie significative de cette vie.

C’est du moins ce que devrait être le cinéma et ce qu’il n’est pas, puisque dans le capitalisme le cinéma montre des simulacres de vie, des moments faussement puissants de la vie, qu’il hache et compartimente les éléments clefs de la vie.

Le cinéma, dans le capitalisme, est racoleur, stupide, grossier, répétitif, totalement convenu et ainsi rassurant tout en manipulant les esprits à coups d’éléments « hors du commun » pour jouer sur les émotions.

Finalement, on retrouve là tous les éléments de la consommation capitaliste, mais particulièrement ramassés : le cinéma dans le capitalisme s’assimile à la télévision, avec une consommation passive et répétitive, une absence de profondeur où le spectateur meuble sa vie de manière fictive par procuration.

Le vrai cinéma présente lui la vie réelle de gens réels – il assume la réalité, il part et arrive au réalisme. D’où sa réelle profondeur psychologique s’appuyant sur une authenticité psychique.

Cette dimension réaliste du cinéma repose sur la réalité naturelle de l’être humain. Le cinéma n’est pas une abstraction culturelle produit par la technique, la technologie. Il est une expression artistique synthétique profitant de l’élévation des moyens de production permettant une élaboration plus perfectionnée.

Voici la manière avec laquelle Andreï Tarkovski expose cette réalité du travail artistique, de la formation d’une oeuvre, dans son rapport aux masses, dans Le temps scellé (Cahiers du Cinéma 2004 ou bien Philippe Rey 2014):

« Qu’est-ce qui conduit les gens au cinéma ? Pourquoi entrer dans une salle obscure où, deux heures durant, est projeté un jeu d’ombres sur un écran ?

Un besoin de distraction, une sorte de drogue ? Il y a certes des trusts et des organismes de loisirs dans le monde qui exploitent le cinéma et la télévision comme n’importe quelle autre forme de spectacle. Mais l’important n’est pas là.

Il faut partir du principe de base du cinématographe qui a quelque chose à voir avec le besoin qu’éprouve l’homme de maîtriser, de connaître le monde.

Je crois que la motivation principale d’une personne qui va au cinéma est une recherche du temps : du temps perdu, du temps négligé, du temps à retrouver.

Elle y va pour chercher une expérience de vie, parce que le cinéma, comme aucun autre art, élargit, enrichit, concentre l’expérience humaine.

Plus qu’enrichie, son expérience est rallongée, rallongée considérablement.

Voilà où réside le véritable pouvoir du cinéma, et non dans les stars, les aventures ou la distraction. Et c’est aussi pourquoi, au cinéma, le public est davantage un témoin qu’un spectateur.

Quel est alors l’essentiel du travail d’un réalisateur ?

De sculpter dans le temps. »

Il est évident que dans le capitalisme, les cinéastes ne sculptent pas dans le temps, bien au contraire : ils trichent avec le temps, ils le manipulent en apparence pour prétendre qu’il se passe quelque chose. Alors que tout ce qu’il y a à l’écran du cinéma capitaliste est vide, vide de sens, vide de signification, vide d’émotion, simplement manipulation, et trahison de la nature humaine.

Le Socialisme rétablira les fondements réels du cinéma et, à rebours d’une surproduction délirante strictement équivalente à la surproduction capitaliste de marchandises, permettra aux oeuvres vraies d’être produites et vues par les masses. Et sans aristocratisme aucun, mais en refusant que le cinéma soit occupé par des gens uniquement désireux de l’occuper pour s’occuper eux-mêmes, sur la base de leur subjectivisme.

Le Socialisme coupera les vivres et fera obstacle au subjectivisme, à l’individualisme, aux démarches faisant le jeu de la surproduction capitaliste noyant les consciences humaines, les êtres humains dans leur réalité émotionnelle !

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Culture

Le cycle des tendances culturelles selon Jeff Mills

La réédition du disque « Cycle 30 » porte une réflexion et une mise en pratique.

Jeff Mills est ce qu’on peut appeler un des pionniers de la musique Techno venue de Detroit aux États-Unis. Si l’utilisation des machines pour créer de la musique remonte à la fin des années 1970, le style Techno, son nom, son identité est entériné véritablement en 1988 avec la compilation Techno! The New Dance Sound Of Detroit après une décennie d’expérimentations notamment autour du groupe Cybotron.

C’est tout un mouvement qui naît des cendres de la crise de l’automobile. Dans cette grande ville industrielle en désolation, la jeunesse se tourne alors vers les machines, promesse du renouveau.

Né en 1964, Jeff Mills est considéré comme faisant partie de la deuxième vague et il a la particularité d’être toujours là et productif en 2022. Depuis la fondation du label Underground Resistance (UR) en 1989 et le début de sa notoriété en tant que producteur, son travail a toujours été soutenu par une véritable réflexion.

Ainsi le contenu d’Underground Resistance était très politisé et antagoniste, revendiquant le fait d’être quelque chose à part, ne montrant jamais son visage et refusant toute absorption par les grandes maisons de disques.

Pour les membres de ce label, la musique est donc dès le départ une expression relevant forcément d’un mouvement historique, politique, culturel de quelque chose de plus grand, de quasiment cosmique dans le cas de Jeff Mills.

C’est ce qui marque aussi les productions de son label Axis Record créé en 1992 et toujours actif. Résolument tourné vers le futur, très ouvert à de nombreuses influences, il n’a pas cessé de regarder vers les astres.

Jeff Mills aura tenu le fil de sa démarche, sans jamais renoncer à la créativité, et en évitant plutôt brillamment de tomber dans les pièges de la standardisation.

En 1994, il sort un disque emblématique de sa réflexion : Cycle 30. Imprimé en 300 exemplaires en 2022 pour les 30 ans du label, le disque est accompagné d’une longue explication de cette théorie.

Ce chiffre 30 n’est pas un hasard puisqu’il représente pour lui un cycle pour les tendances musicales.

À l’origine, le musicien ayant connu cet incroyable et stimulant bouleversement de la musique électronique, s’est posé la question que toute personne impliquée culturellement dans une scène se pose : comment expliquer ces vagues qui déferlent et vous changent tout un paysage musical, graphique, vestimentaire… Et surtout, quand sera la prochaine ? Peut-on la prévoir ? Peut-on la provoquer ?

Se rendant compte que chaque nouvelle tendance de la culture comporte des éléments d’une ancienne tendance formant ainsi une sorte de cycle, Jeff Mills se penche donc sur les mouvements artistiques de ce début des années 1990 et ceux passés dont voici sa synthèse :

« Les décennies 1930, 1960 et 1990 sont apparues comme les plus fructueuses en termes de progrès, mais les décennies 1920, 1950 et 1980 ont été plus propices à la contemplation et à la formulation d’hypothèses. »

Il cherche ensuite à ancrer ces cycles dans des raisons historiques. Il remarque ainsi que les grandes séquences historiques auraient eu des « réponses créatives » :

« La première guerre mondiale/la grippe espagnole des années 1910, la deuxième guerre mondiale/la fin de l’ère industrielle des années 1940. La guerre froide, la guerre du Vietnam, le mouvement hippie et la conception de l’ordinateur individuel dans les années 1960. Chaque situation a contribué à repousser les limites psychologiques et sociales de la théorie de la réflexion à propos du fait de créer jusqu’à la concrétiser matériellement. »

On peut d’ailleurs noter ici une formulation ne faisant pas de séparation entre ce qui relève de la guerre elle-même, de ses conséquences et de sa critique issue du peuple.

Voici donc pour ce qui est de l’idée générale qui a porté l’album cycle 30 à son origine en tant que mise en pratique ou une tentative de refléter une démarche productive.

Dans le contenu l’album cycle 30 est composé d’une face A qui se présente comme une collection de boucle Techno, elles sont au nombre de huit. Sur un vinyle classique, les sillons forment une spirale et le disque a un début et une fin avec plusieurs pistes se succédant. Sur cette face les huit sillons sont strictement parallèles, les boucles se jouent donc à l’infini.

« Chaque boucle représente toutes les 30 années dans le passé et le futur. À partir du bord extérieur du vinyle, les boucles sont plus raffinées dans leur texture et à mesure qu’elles se rapprochent du trou central (et à travers l’horizon des événements jusqu’au point d’infini – le trou central de la broche du vinyle), les boucles deviennent plus primitives et plus dures. »

Sur la face B, trois titres : Man from the Futur qui aborde la connaissance du passé pour prévoir l’avenir ; Vertical qui «  fait référence à l’idée que la réalité ne passe pas d’un moment à l’autre, mais qu’elle s’accumule et est plus ou moins un processus d’empilement d’informations » ; et Utopia qui affirme les aspirations profondes de l’humain pour l’harmonie, pour atteindre, en ses propres termes « un royaume de perfection et de divinité ». Pour lui, « ce sont les nombreuses interprétations de ce souhait (de ce à quoi ressemble l’Utopie) qui créent les débats, les problèmes, les conflits et les solutions qui ont poussé, et parfois traîné l’humanité en avant. »

L’absence criante d’Utopie de nos jours rend pertinente la réimpression de ce disque, d’autant plus que l’Histoire est de retour. La théorie de Jeff Mills serait-elle sur le point de se vérifier ?

En tout cas on ne peut pas accuser le moine de la Techno de ne pas avoir essayé de participer à l’émergence du nouveau pendant ces dernières années, il a toujours renouvelé ses collaborations, tentant des fusions entre Techno et musique classique ou entre Techno et Afrobeat. Comme avec « Blue Potential », collaboration avec l’orchestre philarmonique de Montpellier ou celle avec le gigantesque batteur Tony Allen juste avant son décès pour l’album « Tomorrow Come the Harvest ».

Mais malheureusement en art comme en politique, il ne suffit pas d’être fidèle à ses principes : rien ne peut se faire sans la conjoncture de l’Histoire, et la base pour ne pas rater le train c’est de faire comme s’il pouvait passer à tout moment.

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Playlist son et mélodie

Le 21e siècle est lancé.

Si on porte son attention sur l’évolution de la musique depuis 20 ans, on peut voir un phénomène qui se produit en deux temps : l’alliance du son et de la mélodie.

Les progrès technologiques ont permis une démocratisation de l’accès à la musique. Jusqu’au MP3, c’était le temps des vinyls et des cassettes audio. Si on ne voulait ou pouvait pas acheter, il fallait trouver quelqu’un qui avait ce qu’on cherchait pour procéder à une fastidieuse copie.

Encore fallait-il trouver une telle personne, et encore fallait-il vouloir chercher. Et comment découvrir les choses qui plus est, dans un tel parcours semé d’embûches?

Cela forçait à chercher, d’où une petite minorité très pointue musicalement, même s’il faut relativiser car les productions musicales n’étaient pas encore complètement formatées par les majors.

Par la suite les majors ont dominé et le MP3 a amené un goinfrage de musique sans précédent, débouchant sur le culte du « son » qui caractérise largement la jeunesse des années 2010. On n’écoute plus de la musique, mais du son. C’est un arrière-plan écouté en bruit de fond.

Ce qui est intéressant en ce début des années 2000, c’est de voir comment la démocratisation technologique a fait émergé des talents qui, élevant le niveau, réaffirment la mélodie, la combinant à un son travaillé.

La mélodie gagne en envergure avec le son, le son y gagne une âme. Le processus est loin d’être terminé, mais il a déjà des marqueurs, dont la playlist suivante se veut une tentative de témoignage.

On notera que les femmes sont à la pointe, souvent dans une tonalité jazzy de la recherche de complexité ; cependant, ce sont des figures tourmentées – décadentes – consommatrices comme Travis Scott et la formation Migos qui ont joué un incontournable rôle historique (particulièrement contradictoire) en élevant puissamment la qualité et la complexité sonique.

Pour l’instant, c’est en effet le côté électro qui est le vecteur de la combinaison son et mélodie.

Voici la playlist en lecture automatique, suivie de la tracklist :

1. Fazerdaze – Winter (2022)
2. Kilo Kish – Obsessed (2017)
3. Yaya Bey – Keisha (2022)
4. KeiyaA – I! Gits! Weary! (2020)
5. SZA – Babylon (2014)
6. Amber Mark – Conexão (2018)
7. Yaya Bey – Reprise (2022)
8. Robert Glasper Experiment – « Fever » featuring Hindi Zahra (2022)
9. Bruno Mars, Anderson .Paak, Silk Sonic – Leave the Door Open (2021)
10. Amber Mark – Love me right (2018)
11. Pharrell Williams, Travis Scott – Down In Atlanta (2022)
12. M.I.A. – Bad Girls (2012)
13. Travis Scott – SICKO MODE ft. Drake (2018)
14. Migos – Roadrunner (2021)
15. Travis Scott – Skyfall ft. Young Thug (2014)