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Société

« ouvriers » ou « classe ouvrière »  ? 

Disparue des discours politiques des années 1990-2000, les ouvriers sont réapparus, notamment en 2007 avec Nicolas Sarkozy et le « travailler plus, pour gagner plus ». Mais si les ouvriers sont là, la classe ouvrière est invisible des stratégies et des discours à Gauche, ce qui est une grande différence.

« Toute l’histoire n’a été que l’histoire des luttes de classe » disaient Marx et Engels dans le fameux Manifeste du Parti communiste. Cela signifie que les classes sociales qui s’entre-choquent sont le moteur de l’histoire. Ce n’est pas une affaire d’individus isolés, mais une production collective, indépendante des individus.

Or, il est facile de remarquer que ces catégories mêmes de collectivité historique comme « bourgeoisie », « petite-bourgeoisie », « classe ouvrière » ne fournissent plus la matière pour analyser la société. Non pas qu’il n’y aurait pas d’inégalités sociales, non pas qu’il n’y aurait pas des « bourgeois », des « ouvriers », mais plutôt le fait qu’on ne pourrait pas tout réduire à des déterminations sociales et historiques. C’est pourquoi il y aurait simplement des « défavorisés » dans leur conquête de réussite sociale.

En parlant des « ouvriers » et non pas de la classe ouvrière, on commet l’erreur de parler typiquement comme le postmodernisme et de voir les choses de manière séparée, isolée les unes des autres. Un ouvrier serait un individu, ni plus, ni moins.

C’est cela que la sociologie a réussi comme grand tour de force : nous aurions assisté à la fin de la classe ouvrière, mais non pas la fin des ouvriers. Évidemment, il serait difficile de les nier lorsqu’ils représentent plus de 6 millions de la population active et de part leur poids fondamental dans les zones rurales et périurbaines.

Cependant, la classe ouvrière n’existerait plus en tant que sujet politique. En effet, la classe ouvrière n’est plus une force organisée telle que cela a pu être le cas par exemple entre les années 1930 et 1970 par des grands partis, comme la SFIO ou le PCF. L‘étiolement de ces partis ouvriers permettrait cette annonce que la classe ouvrière a disparu.

Mais c’est là ne pas saisir c’est qu’est une classe, et donc cette classe ouvrière. Karl Marx a montré qu’une classe était d’abord un regroupement « en soi » de gens, grosso modo selon leur mode de vie. Puis ce regroupement social, objectif, se reflète dans une manière de voir les choses, une analyse de la société, des représentations, etc. Bref, la classe « pour soi », la conscience de classe.

Or, prenons par exemple un dernier sondage sur la question de la grève du 5 décembre dans les transports : 81 % des ouvriers la trouve justifiée. C’est la catégorie sociale qui se prononce le plus favorablement pour la grève. Tout comme au plus fort des gilets jaunes, ce sont plus de 60 % des ouvriers qui souhaitaient voir continuer le mouvement, sans évidemment y participer.

Les « ouvriers » ne se comportent donc pas comme des individus éparpillés, isolés, fragmentés, mais ont en commun une attitude politique et culturelle. C’est en ce sens qu’ils forment la classe ouvrière. L’existence d’une conscience de classe est alors traversée par différentes idées portées par différents partis politiques, sources médiatiques, etc.

Il est évident que la drame actuelle de la classe ouvrière est qu’elle est déformée par la dépolitisation qui ne profite qu’à l’extrême-Droite. Cela n’en fait pas moins une classe sociale qui n’existe que parce qu’elle s’oppose en permanence à la classe opposée, la bourgeoisie.

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Politique

La médiocrité petite-bourgeoise a contaminé la Gauche

La Gauche a toujours assumé la grandeur d’esprit, un regard historique plein d’ampleur, l’exigence de la raison, ainsi que le besoin d’un haut niveau de connaissances. L’ancrage social de la petite-bourgeoisie en France a amené celle-ci à faire une irruption dans la Gauche qui a anéanti tout cela, au nom d’un pragmatisme censé amener des résultats, mais ne provoquant que défaites et populisme.

Il a toujours existé en France une tradition populiste, dont l’expression la plus développée fut le syndicalisme révolutionnaire. La politique, cela ne servirait à rien, il faudrait faire simple, le plus simple possible, se mettre au niveau le plus bas, pour toucher le plus de monde possible. Vouloir une organisation avec des positions très développées serait contre-productif et même carrément nocif, car faisant triompher les intellectuels.

Malgré cette prétention syndicaliste révolutionnaire – ou syndicaliste tout court puisque le syndicalisme français vient de là – il n’a jamais existé en France de structure populaire atteignant une ampleur massive. Les syndicats actuels se veulent ainsi représentatifs de tous les travailleurs, mais leurs adhérents ne forment qu’un nombre limité. Et cela a toujours été le cas.

Qui plus est, au nom d’être en mesure de s’adresser à tous les travailleurs, cette approche réduit toute la réflexion à sa portion congrue, évitant tout « intellectualisme », mais permettant alors en réalité le succès de la médiocrité petite-bourgeoise.

Le style pastis-merguez de la CGT n’est en effet nullement populaire. Quand on s’organise en tant qu’ouvrier on fait les choses sérieusement – ou bien on ne les fait pas. Se comporter de manière dilettante est un luxe qu’aucun ouvrier ne s’accordera, ou alors il le fera dans son temps libre, et pas pour s’occuper de politique ou d’économie ou quoi que ce soit encore. C’est d’ailleurs pour cela que les ouvriers restent à l’écart de tout cela, que depuis les années 1950-1960 ils évitent la politique.

La seule grande politique ouvrière qui restait, c’était la CGT, mais dans un grand compromis avec le vécu petit-bourgeois, faisant du petit-bourgeois pavillonnaire le grand objectif d’élévation sociale des ouvriers. Seule une poignée de mouvements « gauchistes » ont essayé, avant et surtout à partir de mai 1968, de provoquer des électro-chocs, pour aller de l’avant du côté ouvrier. Comme on le sait, ce fut un échec.

Et on se retrouve maintenant avec une Gauche lessivée sur le plan des idées, avec une tradition ouvrière de cinquante années à ne rien faire, avec une petite-bourgeoisie disposant de décennies de vécu, mais n’ayant toujours pas de constance, de caractère. Ce qu’elle est vaniteuse, pourtant ! La Gauche aurait dû démolir directement les gilets jaunes, en disant : quoi, vous prétendez du jour au lendemain et sans efforts faire mieux que Léon Blum et Maurice Thorez, que Jean Jaurès et François Mitterrand, que Georges Marchais et Henri Krasucki ?

Cela ne fait pas forcément rêver, dirons certains. Peut-être, mais dans tous les cas la classe ouvrière a les dirigeants qu’elle mérite. Ceux-ci sont forcément à son image et ce n’est pas en visant un socialisme par l’intermédiaire des municipalités et des départements qu’on s’ancre dans l’Histoire.

Voilà pourquoi, alors que des défis historiques se posent en France, on va au désastre ! À moins de reconstituer la Gauche historique sur une base solide, avec des exigences de haut niveau, en imposant à la petite-bourgeoisie qu’elle soit soumise, qu’elle cesse de contaminer sa médiocrité.

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Politique

Le suicide n’est pas une forme politique

La tentative de suicide d’un jeune est une chose horrible, c’est un drame qui est une expression de désespoir. Cela ne saurait être autre chose. Y voir un caractère politique, comme avec la tentative de suicide d’un syndicaliste étudiant à Lyon, c’est accorder une valeur à l’autodestruction, ce qui est totalement étranger historiquement au mouvement ouvrier.

Le syndicalisme étudiant, en cherchant à mobiliser autour de ce drame, témoigne qu’il est définitivement passé dans le camp de la « Gauche » postmoderne et qu’il n’a aucune considération pour les classes sociales.

La Gauche a des responsabilités et il faut être absolument clair : le suicide et la grève de la faim sont des formes totalement étrangères au mouvement ouvrier. C’est une autodestruction, qui a toujours été réfuté comme étrangère au mouvement de l’Histoire. Il faut donc absolument tout faire pour éviter que des gens, par désespoir, par impression de se heurter à un mur, contourne le patient travail politique de gauche au profit d’une action autodestructrice « spectaculaire ».

En ces temps troublés, de faiblesse sur le plan des idées, ce genre d’actions est d’autant plus « fascinante », sans parler des réseaux sociaux qui en amplifie « l’écho ». Il y a donc lieu pour la Gauche de réfuter catégoriquement ce genre d’approches, d’empêcher que cela devienne une forme « acceptable ».

Il y a donc beaucoup de légèreté de la part de syndicalistes étudiants de la « Gauche » postmoderne à profiter d’un acte de désespoir pour récupérer la chose politiquement et tenter de faire du bruit au sujet de la précarité étudiante. Plusieurs jours après la tentative de suicide, ils cherchent à profiter de la juste émotion pour mobiliser. C’est là un jeu extrêmement dangereux, qui peut avoir des conséquences atroces. Intégrer un acte irrationnel comme le suicide dans un dispositif à prétention politique, c’est banaliser l’acte.

En agissant ainsi, on donne de la valeur à un tel acte, on reconnaît qu’il aurait été déclencheur, révélateur. On le reconnaît comme jouant un rôle socialement, ou sur le plan des idées. C’est une véritable catastrophe, un déni total de la raison.

Surtout que dans le peuple la règle est très claire : quand on a une famille, on ne se suicide pas. Dans le peuple on assume ses responsabilités, quitte à souffrir, toute sa vie. C’est ce que font 35% d’Argentins vivant dans le dénuement, pour qui la moindre chose est un luxe, dont 10 % qui ont basculé dans cette misère d’un coup ces dernières semaines. Et c’est ce que font des millions et des millions de personnes en France également, dans des conditions moins difficiles matériellement mais avec autant de souffrance morale.

Car la vie quotidienne dans cette société est, objectivement, un cauchemar. Et la réponse n’est jamais le suicide, toujours la lutte. La classe ouvrière ne se suicide pas. Qui dans le monde accordera un sens au suicide d’une personne jeune, qui a des parents qui peuvent l’héberger, qui a une petite amie, qui a la sécurité sociale grâce aux avantages sociaux, qui a disposé d’une bourse les années précédentes ? Qui plus est dans l’un des pays les plus riches du monde… Non ce n’est pas possible d’accorder une valeur à un tel acte. Il ne faut pas valoriser des actes aussi destructeurs ; rien ne peut en sortir de bon.

Et il ne s’agit pas de « précarité » étudiante ou de passer au 32 heures pour supprimer le chômage. C’est de toute la société qu’il s’agit, dans son rapport au travail, à la nature, à la vie elle-même. Cela va bien plus loin que de voir en la source des problèmes François Hollande. Ce dernier devait être présent à Lille et des étudiants de la « Gauche » post-moderne en ont profité pour déchirer les exemplaires de son dernier livre. Déchirer un livre ! Comment peut-on, en France, déchirer un livre ? Mais qui sont ces gens !

Il est vraiment terrible de voir comment en ce moment la France refuse la lutte des classes, comment on demande à l’État d’améliorer les choses et comment on trouve dans quelques gouvernants des bouc-émissaires. Les gilets jaunes sont un terrible exemple et les suicides « argumentés » récents  – comme celui d’une directrice de maternelle à Pantin – en sont un autre exemple, dramatique.

Il faut impérativement une sortie par en haut, ce que seuls les ouvriers peuvent apporter en rentrant dans la bataille. Sans eux, rien ne peut bloquer cette spirale du négatif.

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Réflexions Vie quotidienne

La fidélité, une valeur prolétarienne

En tant que classe sociale, le prolétariat est le vecteur d’une morale, de valeurs qui sont liées au quotidien mais aussi à toute une transmission collective, allant de la famille jusqu’aux luttes sociales en passant par les relations amicales et amoureuses. Au cœur de la transmission prolétarienne, il y a valeur cardinale qui est celle de la fidélité.

La loyauté est une valeur qui est difficile à saisir si l’on est pas soi-même issu ou lié à la classe ouvrière. Pour la bourgeoisie et la petite-bourgeoisie, elle apparaît toujours comme quelque chose de « décalé », d’un peu has been. Être moderne, ne serait-ce pas être « libre » de tous les carcans moraux, des normes ?

Cette incompréhension des classes éduquées se voit parfaitement bien lors d’une fermeture d’usine avec des reclassements à la clef ou lors d’une rénovation urbaine d’un quartier HLM délaissé. Bourgeois et petit-bourgeois se disent : « pourquoi ces gens ne sont pas contents de la modernisation ? Cette usine n’était-elle pas le vecteur d’un travail aliénant ? Ce quartier ne tombait-il pas en ruine ? ».

Pour les bourgeois, c’est la preuve du conservatisme des classes populaires, de leur réticence au « changement ». Mais, pour les prolétaires, c’est tout un monde qui s’écroule, un héritage de riches histoires, d’amitiés, d’expériences culturelles à laquelle on est fidèle.

Plus que fidèles à eux-mêmes, à leur propre personnalité, les prolétaires sont loyaux envers leur propre histoire en tant qu’histoire collective partagée dans la morosité et la joie du travail, du quartier, de la zone pavillonnaire, de la campagne. Il n’y a qu’à voir comment Mc Circulaire parle de sa campagne, en refusant le business du rap mainstream. Il y a une forme d’humilité, de respect et c’est cela la fidélité populaire.

Au cœur de la vie quotidienne, on reconnaît la loyauté prolétaire avec par exemple ces personnes qui donnent tant d’attention à leurs grands-parents car ils y voient le vecteur essentiel de la transmission d’une histoire, d’un héritage. Tout comme cela est visible dans cette parole si populaire de « respecter les anciens » ou dans cet attachement au couple amoureux, c’est-à-dire au prolongement dans le temps d’une fidélité à la fidélité elle-même.

Le style ouvrier réside bien dans cette loyauté et l’on peut voir d’ailleurs comme des pans de la Gauche se sont brisés sur cet aspect si essentiel de la vie quotidienne. Ce fut ainsi le cas de la Gauche contestataire dans l’après mai 1968. Si des milliers de gens, d’origine petite bourgeoise, sont allés aux ouvriers, à quoi cela sert-il si c’est pour partir aussitôt qu’on est arrivé ? Quelle fidélité, quelle loyauté, quelle crédibilité ?

Car, sur ce point, les ouvriers sont, plus que tout autre, d’une exigence absolue. À ce titre, la classe ouvrière est le seul contre-feu stable à la décadence d’une bourgeoisie qui valorise la casse de tout ancrage historique ( qu’il soit individuel ou historique ). C’est là le sens du triomphe de la PMA, de sites d’adultère comme Gleeden, de l’art contemporain sonnant comme un reflet de cette grande bourgeoisie cosmopolite en complète trahison de sa propre histoire.

La fidélité est tellement essentielle aux classes populaires qu’elle a été à la base de ses décrochages dans l’Histoire. N’est-ce pas de la fidélité populaire à la nation qu’est née la commune de Paris de 1871 ? N’est-ce pas de la loyauté envers la souveraineté que s’est développée la Résistance des années 1940 ?

Au regard de l’histoire, on peut dire certainement que la fidélité est le style de vie prolétarien dans tous les aspects la vie quotidienne. Elle se réalise ensuite au plan politique dans le Parti.

En effet, dans le mouvement ouvrier, cette fidélité s’est traduite par la discipline et la loyauté envers la SFIO ou la SFIC – Parti Communiste . Être membre d’un Parti de la classe ouvrière, c’est devenir fidèle à la fidélité elle-même incarnée par la discipline partisane.

Bien sûr on peut le critiquer, car sans la critique et l’auto-critique, cela dérive vers un enlisement bureaucratique. Mais d’un autre côté, c’est aussi l’expression de ce style ouvrier car derrière la fidélité il y a la ténacité, l’abnégation, la fermeté.

C’est ce que n’ont jamais compris la bourgeoisie et la petite-bourgeoisie, y voyant là un écrasement de l’individu, tout comme elles voient aujourd’hui la liberté dans l’amour libre, la déconstruction individuelle et bannit toute cadre moral collectif. C’est la raison qui explique que la Gauche, portée par les classes moyennes de centre-ville, s’est faite laminée par le postmodernisme et ses soutiens aux luttes des marges (LGBT, « racialisme », décoloniaux…)

Le danger est qu’il y a un courant, issu des classes dominantes, qui a saisi tout cela et surfe habilement dessus : le fascisme. C’est sa mise en avant de l’ « enracinement », sa valorisation unilatérale de la « famille », de la discipline militaire, de l’honneur de la patrie. Ce n’est qu’un détournement démagogique qui vise à assécher l’élan populaire vers son émancipation.

La Gauche historique se doit de défendre cette valeur de la fidélité dans tous les aspects de la vie quotidienne. C’est une des conditions à la conquête de l’hégémonie culturelle et à la construction d’une nouvelle société démocratique, populaire. S’il y a un sens à défendre la Gauche historique, c’est bien celui-ci : ouvriers, soyez fidèles à vous-même, à votre héritage, celui du Socialisme, du mouvement ouvrier, du drapeau rouge, de ses générations qui ont combattu pour l’émancipation.

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Politique

Jean-Luc Mélenchon, grand ennemi de la Gauche historique

Jean-Luc Mélenchon lance une grande offensive, qui se résume à une thèse très simple : il n’y a pas de classes, mais le peuple et l’oligarchie. L’actualité mondiale, c’est selon lui le « dégagisme » non-violent menant à une « assemblée constituante », ce qui forme une « révolution citoyenne ».

Le point de vue de Jean-Luc Mélenchon relève du bonapartisme social, qui en bien des points est proche du fascisme de par son refus de la conscience, des classes, du programme politique et sa valorisation du nationalisme, du mythe mobilisateur.

Voici le noyau de la thèse de Jean-Luc Mélenchon :

Jean-Luc Mélenchon a également écrit un très long article, présenté par lui comme le plus long qu’il ait écrit. Il y résume notamment son point de vue populiste en présentant ce qu’il considère comme les caractéristiques communes d’un dégagisme se développant dans les différents pays du monde. En voici les traits marquants :

« Le peuple nouvel acteur, la gauche disqualifiée c’est le diagnostic que j’ai posé noir sur blanc il y a près de 15 ans. »

« La théorie de l’ère du peuple et de la révolution citoyenne nous définit ce « peuple » comme l’ensemble de ceux qui ont besoin d’accéder aux réseaux collectifs pour produire et reproduire leur existence matérielle. Évidemment, ces réseaux sont de natures différentes et le fait qu’ils soient publics ou privés impacte directement leur mode d’accès. »

« Dans le déroulé de l’action, des caractéristiques communes surgissent. Elles ont un sens. Elles définissent « qui est là » et « que voulons-nous ». Il faut donc scruter les cortèges dans la rue pour lire le message. Partout le drapeau national fleurit dans les cortèges. C’est l’emblème de ralliement. »

« Une autre caractéristique identifiante de chacun de ces mouvements est l’affichage de leur connexion avec les évènements similaires dans le monde. Il s’y donne à voir une forme de légitimité universelle qui conforte celle déjà donnée par le drapeau national. On retrouve donc partout des gilets jaunes sur le dos de certains manifestants.

Mais aussi de façon tout aussi significative des emblèmes de culture contestataire universelle comme ces masques de Dalí, sur le mode de « La Casa de papel ». C’est une référence parlante que celle à la série Netflix dont la première saison est emblématique d’un message politique anti capitaliste de type non violent.

Une évocation typique des aspirations de la classe moyenne qui peut se payer l’abonnement à Netflix et y puiser une référence politique conforme à ses manières d’être sociales. Le maquillage du clown sans foi ni loi de « Joker » fait lui aussi son apparition désormais et on l’a signalé à Hong-Kong ou Beyrouth.

Car la volonté de non-violence est partout présente aux premiers pas des révolutions citoyennes. Elle lui donne un formidable liant. »

Ainsi, Jean-Luc Mélenchon veut que les classes populaires soient à la remorque des « classes moyennes ». La Gauche historique affirme le contraire et pour cause : c’est la classe ouvrière qui fait l’histoire, pas une petite-bourgeoisie qui un jour est du côté du peuple, un autre jour du côté des puissants.

Jean-Luc Mélenchon vise par ce populisme à empêcher que la classe ouvrière ne retrouve ses fondamentaux. C’est totalement vain. L’Histoire ne s’arrêtera pas.

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Société

La prolétarisation de l’Ouest de la France depuis 1968

Si la Gauche a oublié une chose fondamentale, c’est bien l’existence de la classe ouvrière. De sujet central il y a encore quarante ans, elle a été effacée progressivement de toute intervention stratégique à gauche. Amorcé dans les années 1980, ce lessivage idéologique a trouvé sa consécration dans la décennie 1990. Pourtant, si l’on regarde une dynamique sociale comme celle de l’Ouest de la France, il est frappant de constater que ce sont justement les ouvriers qui ont massivement investi la région depuis 1968.

En France, les ouvriers représentent 20,15 % (5 395 209 personnes) de la population active (2019). Dans tous les pays de l’Ouest (Bretagne, Normandie, Pays de la Loire), leur part est partout plus élevée que la moyenne nationale, avec même des niveaux très hauts en Mayenne (31, 3%), en Vendée (31%) ou dans l’Orne (31%). Ces départements font même partie des quatre premiers endroits en termes de concentration ouvrière.

La progression des effectifs ouvriers est vérifiée partout, mais cela se fait en ligne discontinue avec une progression surtout jusqu’en 1999 puis une stagnation ensuite, ce qui est peu étonnant compte tenu des cycles d’accumulation du capital.

Bien que le premier département ouvrier de l’Ouest, la Seine-Maritime, a vu son nombre d’ouvriers baisser depuis 1968, contrairement à la Vendée qui a vu une très forte hausse entre 1968 et 1999 (environ 38 400 ouvriers en plus). Malgré une relative baisse depuis 1999, la Loire-Atlantique est également un département qui s’est ouvriérisé (29 000 ouvriers en plus).

Prenons par exemple la petite ville des Herbiers en Vendée. Elle s’est littéralement transformée. Avec presque 4 000 habitants en 1946, elle en compte maintenant 15 972. De 4 000 agriculteurs, 0 cadres et 880 ouvriers en 1968, on est passé à 108 agriculteurs, 660 cadres et 1 797 ouvriers. Avec environ 5 % de chômage (contre environ 9 % en France), la zone d’emploi structurée autour de 22 petites villes rurales concentre plus de 40 % d’emplois ouvriers boostés par la construction navale. Cela est similaire du côté de la zone d’emploi de Cholet avec 32,6 % d’emplois ouvriers.

Alors que s’est-il passé entre 1960 et 2010 ?

Avec une conflictualité intense dans les grands bastions ouvriers dans les bastions métallurgiques (région parisienne, Rhône, Est), les industriels optèrent dès la fin des années 1950 une stratégie de contournement, dite de la « décentralisation productive ».

L’objectif : éclater les unités de production, modifier la composition de classe, trop compactée et générant une culture d’atelier trop rétive aux ordres d’en haut. C’est ainsi, par exemple, qu’est fondé en 1961 l’usine de PSA-La Janais à Chartres-de-Bretagne, dans la périphérie de Rennes, mais aussi Renault à Cléon (Seine-Maritime) en 1958.

Cela entraînera logiquement l’éclosion de myriades de petites unités de sous-traitance métallurgiques, comme par exemple Faurecia (siège automobiles) implanté à Caligny (850 salariés) dans l’Orne ou Cooper Standard à Vitré (850 salariés) et à Rennes (devenu Continental en 2018).

C’était là un très bon coup politique puisque tout en sapant les collectifs ouvriers historiques, la « décentralisation productive » offrait une réponse à l’exode rural massif vidant les campagnes de l’Ouest en ces années. Le mouvement de mai 1968 accompagna cette tendance en la modernisant, notamment par la grande revendication de « vivre et travailler au pays ».

Soulignons à ce titre que le mouvement de prolétarisation des campagnes de l’Ouest entre 1968 et 1990 a trouvé a s’exprimer politiquement dans le P.S.U (Parti Socialiste Unifiée) et ce courant « chrétien de gauche ». Ce sont ces courants qui seront par là suite à la tête de la modernisation sociale et économique au cours des années 1980.

Mais ce n’est pas que ces secteurs industriels « traditionnels » qui expliquent la prolétarisation de l’Ouest, car cela est finalement extérieur à la région. Il est ici impossible de ne pas voir comment l’Ouest s’est transformé de l’intérieur pour devenir la zone agroalimentaire stratégique de France.

Résultat de la politique gaulliste de centralisation de l’agriculture en 1960-1962, les agriculteurs ont littéralement fondu depuis 1968. Cela correspond bien évidemment à la recomposition du capital, à sa concentration dans des grands monopoles de la distribution (comme E.Leclerc, puis Intermarché, dont les fondateurs sont originaires de Bretagne, ou encore Super U, extrêmement implanté dans les campagnes de l’Ouest).

Fait notable, il n’y avait aucun agriculteurs au chômage en 1968, et en 1999, sur 13 départements, il y a en avait encore 9 qui comptaient plus de 10 000 agriculteurs. En 2015, il n’y en a plus un seul. Malgré ses tentatives syndicales, la paysannerie n’a pu échapper à son sort inéluctable dans le capitalisme : devenir salarié.

En décembre 2006, l’industrie agroalimentaire est ainsi le principal employeur de Bretagne, avec une augmentation de 12 000 emplois entre 1989 et 2006, soit une augmentation de 22 % contre seulement à peine 1 % en France. L’agroalimentaire concentre ainsi 65 % des emplois industriels de la région, ce qui est 2,3 fois plus élevé qu’en France. Et dans cette industrie, c’est évidemment la production de viande et de poisson qui s’envole, avec plus de 10 % de progression entre 2001 et 2005.

Ainsi, c’est à Lamballe-Armor (16 653 habitants) que se situe sûrement l’un des plus gigantesques abattoirs, la Cooperl Arc Atlantique. La « Coop » c’est plus de 7 000 employés pour 5 800 000 cochons abattus et 13 millions de consommateurs dans le monde : un empire local qui domine toute la vie sociale et économique.

Mais on aurait pu citer aussi Socopa Viandes (propriété du monopole Bigard-Charal) et ses quatre usines (Moutauban-sur-Bretagne, Quimperlé, Chateauneuf-du-Faon, Guingamp) concentrant plus de 2 500 salariés. Mais aussi, Jean Rozé à Vitré (1 400 salariés), Fleury Michon en Vendée et ses 3 000 employés… À cela s’ajoute évidemment de multiples bases logistiques et son lot de chauffeurs, magasiniers, préparateurs de commandes, etc.

L’Ouest est l’illustration de l’ancrage absolu du capitalisme français, ayant transformé des régions anciennement paysannes en de vastes zones ouvrières où s’accumule et se reproduit le capital. La classe ouvrière est encerclée par l’ennui pavillonnaire et la monotonie du travail, tout cela sur fond d’une pollution chronique (dont le phénomène des algues vertes est une expression parmi d’autres).

Pourtant, sur le plan des consciences, il y a un retard réel puisque le poids de la mentalité paysanne, de la culture « terroir » est omniprésente, mais dans une forme « modernisée » sur fond de prégnance de l’état d’esprit « catholique de gauche ». C’est en ce sens qu’il faut comprendre la réticence, bien qu’affaiblie ces dernières années, à Marine Le Pen.

Il reste un poids certain des anciens courants des années 1970 avec un Parti socialiste qui atteint des scores relativement élevés dans la 5e circonscription de Vendée, les 1eres circonscriptions du Finistère, de l’Orne et de Mayenne. Sans parler de la Seine-Maritime qui a envoyé aux élections législatives de 2017, 3 élus PCF et un PS.

L’Ouest revêt donc une importance toute particulière pour la Gauche, celle qui se place dans la filiation des combats ouvriers de Fougères ou des sardinières de Douarnenez élisant en 1921 l’un des premiers maires communistes de France.

Ouest-prolétarisation
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Société

Mondiaux d’athlétisme au Qatar: «Les forçats du stade», tribune du sénateur PCF Eric Bocquet

Voici une tribune publiée par le sénateur PCF du Nord Eric Bocquet. Il critique vertement les championnats du monde d’athlétisme s’étant déroulés au Qatar, ainsi que la Coupe du monde de football qui y est prévue en 2022, en citant Karl Marx !

« Les forçats du stade

Les championnats du monde d’athlétisme au Qatar, simplement inhumains !

Une fois n’est pas coutume, nous allons parler sport. Non pas des résultats mais plutôt de ses coulisses. Je voudrais évoquer ici les championnats du monde d’athlétisme qui se sont déroulés au Qatar, à Doha.

C’est un évènement planétaire dans le domaine du sport mais force est de constater qu’on en parle beaucoup plus à propos des polémiques qu’il suscite que des performances qui y sont réalisées. Et pour cause.

Pour le marathon féminin, il y avait 68 participantes, pas moins de 28 ont abandonné l’épreuve. La raison : la chaleur insoutenable et le niveau élevé de l’humidité qui rendaient l’air irrespirable, de 37 à 42° la journée et minimum 30° le soir, température ressentie 35°. Tout simplement inhumain.

Le champion du monde français du 50 km marche, Yohann DINIZ recordman mondial du décathlon contraint, lui aussi, d’arrêter l’épreuve. Il dira de cette compétition : « C’est une catastrophe ! ».

Par ailleurs, un stade de 46 000 places, à peine rempli au quart avec 2 000 invités ! Il n’y a personne dans les tribunes.

Les performances réalisées par les athlètes qui résistent ne sont pas à leur niveau habituel. Oui, ces mondiaux sont une catastrophe sportive, humaine et sociale. Elle est aussi une catastrophe écologique avec ce stade ouvert, climatisé qui consomme autant d’énergie qu’une ville de 20 000 habitants.

Ce système du fric atteint ici ses propres limites dans le comble de l’absurdité et du cynisme. Arrêtez-ça !

La coupe du monde de football aura lieu en 2022 au Qatar par la volonté de… La justice enquête. L’Eldorado qatari construit des stades, des autoroutes, un métro pour accueillir l’évènement. Le PIB par habitant est le plus élevé du monde, 110 000 dollars par an. Deux millions d’habitants.

Les forçats qui construisent les stades, eux, touchent 180 euros, travaillent 11 heures par jour, sous les mêmes températures, 6 jours par semaine. Ils meurent d’accidents cardio-vasculaires et d’accidents du travail. Ils sont Indiens ou Népalais, prolétaires sacrifiés sur l’autel du football.

Je n’ai regardé aucune retransmission des épreuves, au-dessus de mes forces, dégouté ! Jamais cette phrase de Marx n’a été illustrée de manière aussi flagrante, le capitalisme, c’est l’exploitation de l’homme par l’homme, et, en l’occurrence, de la nature aussi.

Dépassé le marxisme ? Ah bon ! »

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Politique

Municipales: la situation compliquée de la Gauche à Saint-Nazaire

Saint-Nazaire en Loire-Atlantique est une ville industrielle-portuaire de 70 000 habitants, fortement marquée par son identité ouvrière. La municipalité est à Gauche depuis la première moitié du siècle dernier. Le premier maire SFIO (ancêtre du Parti socialiste) François Blancho y a été élu en 1925, c’était un ouvrier soudeur-ajusteur. La ville pourrait cependant basculer aux prochaines élections.

L’actuel maire de Saint-Nazaire, le socialiste David Samzun, est candidat à sa propre succession. Il a déjà présenté un projet autour de 202 propositions, élaborées par son équipe qu’il dit composée d’environ 300 personnes.

Problème : le Bureau national du Parti socialiste a gelé son investiture, c’est-à-dire qu’officiellement il ne le soutient plus suite à une affaire ayant déchiré le conseil municipal. Une autre liste sera donc présentée par Gaëlle Bénizé-Thual, elle aussi élue municipale socialiste (mais plus dans la majorité), avec un appel au rassemblement de la Gauche et de l’écologie.

Cette dernière n’a pas ouvertement le soutien du Parti socialiste, en tous cas pour l’instant. Le PS a cependant été très ferme à l’encontre du maire sortant David Samzun. Suite à la dénonciation par des femmes du conseil municipal d’une ambiance générale sexiste, ainsi qu’une plainte pour harcèlement, qui n’a pas donné lieu, le Bureau national du PS avait envoyé sur place une délégation composée notamment de l’ancienne ministre aux Droits des femmes Laurence Rossignol.

> Lire également : Démission de Laurianne Deniaud à Saint-Nazaire : « la loyauté ne suffit plus à justifier l’injustifiable »

Bien que des figures socialistes locales avaient critiqué cette décision, le premier secrétaire Olivier Faure avait pleinement assumé de geler l’investiture de David Samzun, quitte à se couper de la municipalité en rappelant les valeurs, « au-delà de nos intérêts électoraux ». Il avait été considéré que :

« Il y a un certain nombre d’indices qui laissent à penser que s’est développée une culture sexiste, basée sur des stéréotypes de genres dépassés, créant un climat particulier marqué par une sexualisation importante. »

La Gauche se retrouve donc dans une situation très compliquée et pourrait tout simplement perdre la ville. Dans l’actuel conseil municipal, elle compte en tout 38 élus (divisés) contre 5 pour le Centre, 3 pour la Droite et 3 pour l’extrême-Droite. Le Rassemblement national (anciennement FN), qui avait fait son entrée pour la première fois au conseil municipal, ne cesse d’élargir sa base électorale à Saint-Nazaire et dans les communes environnantes.

Aux élections européennes, la Gauche à Saint-Nazaire avait connu un revers conforme au score national avec 23,79% (5 552 voix) pour LREM, 17,44% (4 071 voix) pour les Verts et 15,13% (3 531 voix) pour le Rassemblement national. La liste soutenue par le PS avait obtenu 10,07% (2 350 voix) et celle de la France insoumise 7,43% (1 733 voix).

Il y a donc un enjeu important pour la Gauche, tant localement que nationalement, à conserver ce bastion ouvrier afin qu’il ne bascule pas du côté d’Emmanuel Macron, ou pire de l’extrême-Droite, ce qui semble toutefois peu probable. Le RN pourrait en tous cas largement se renforcer au conseil municipal en profitant de la division de la Gauche.

Dans un récent communiqué, le PCF local a appelé de manière constructive et lucide « au « tous ensemble » pour gagner dès le premier tour des élections » :

« Une majorité municipale de gauche dans notre ville ne change pas la société ni le monde mais elle contribue à agir pour une société plus saine, plus humaine, plus solidaire et plus fraternelle et plus démocratique.

On ne doit pas jouer avec la vie quotidienne de ceux qui travaillent, qui peinent, ou qui souffrent chaque jour. La pesante actualité de la majorité municipale depuis de nombreux mois nécessite de reconstruire un fonctionnement démocratique, respectueux des différentes sensibilités politiques de gauche, sans hégémonie.

Le mouvement des Gilets Jaunes a confirmé qu’il n’y aura pas de solution à l’urgence climatique sans solution à l’urgence sociale ni développement de nouvelles formes de démocratie.

Les élections municipales de mars prochain peuvent être aussi un moment fort à Saint-Nazaire de soutien aux mobilisations contre la politique Macron (santé, école, retraites, moyens pour les collectivités, accueil des réfugiés, …) »

Cependant, au vu des démarches en cours, il semble difficilement envisageable que ce processus ait lieu à moins de six mois de l’échéance. Les électeurs de gauche risquent donc de se retrouver coincés entre le choix de la continuité et celui des valeurs, à moins qu’ils ne s’abstiennent ou partent voir ailleurs.

Le choix des personnes les plus marquées à Gauche à Saint-Nazaire ira probablement à la liste menée par Gaëlle Bénizé-Thual si elle arrive à impulser une dynamique de campagne, car les comportements anti-démocratiques qui ont été dénoncés sont inacceptables.

Il ne faut pas sous-estimer cependant le fait que beaucoup seront convaincus par les arguments de David Samzun, bénéficiant de son bilan et dénonçant un opportunisme politique de la part de ses opposants issus de la Gauche.

La situation semble donc inextricable, à moins peut-être que le maire sortant opte pour une démarche d’ouverture et d’autocritique. C’est ce que lui suggère récemment une longue lettre de la section locale de la Ligue des Droits de l’Homme, qui s’inquiète de voir la Gauche perde la ville au profit de l’extrême-Droite ou du libéralisme :

« Vous n’avez pas mal réagi, vous n’avez pas commis une faute, vous n’avez pas manqué de sensibilité mais vous avez manqué d’écoute et surtout de prise en compte de la complexité. Ce qui conduit aujourd’hui au constat que ceux qui en font les frais sont ceux qui ont parlé. En ce sens, vous n’avez pas conduit une action d’apaisement et encore moins d’émancipation.

Le risque est fort, comme a pu le dire un élu, que cet éclatement conduise à une bipolarisation lors des prochaines échéances électorales. Cet élu aurait pu rajouter que la crainte que nous pouvons avoir est que le prochain municipe ne conduira pas une politique sociale aussi forte, aussi ambitieuse que la vôtre. Entre un parti politique qui sélectionne ses pauvres et une force politique largement inspirée du libéralisme qui pose la responsabilité individuelle comme cause majeure de la pauvreté, on peut craindre évidemment un durcissement des aides aux plus vulnérables. Vous savez bien que tout cela ne conduira ni à la justice sociale ni à l’avancée des droits.

La Ligue des Droits de l’Homme, forte de ses convictions, respectueuse des principes du droit français, souhaite que le combat contre les injustices et pour l’égalité des droits reste prioritaire dans une période où nos concitoyens ont encore plus besoin d’une action publique basée avant tout sur l’intérêt général et la justice sociale. »

Notons pour finir de compléter ce panorama local très riche que Les Verts, qui avaient lancé cet été un vague « Appel écologiste et citoyen – Saint-Nazaire 2020 », ne semblent pas pour l’instant présenter de liste. Mais rien n’est figé, tant on sait que la direction nationale d’EELV souhaite avoir des listes indépendantes par rapport à la Gauche dans un grand nombre de municipalités.

Pour ajouter à la division, La France insoumise, Génération-s et le NPA ont décidé de présenter une liste, « Saint-Nazaire en Commun (e) ». Cette liste « vraiment de gauche » semble surtout faire acte de présence, avec un projet qui serait à « construire ».

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Écologie

5 000 personnes manifestent à Rouen où la confusion et l’inquiétude règnent encore

Ce sont 4 000 à 5 000 personnes qui se sont rassemblées sous la pluie hier à Rouen, pour réclamer des comptes alors que l’État a largement faillit dans sa gestion de l’accident de l’usine Lubrizol et que les inquiétudes sanitaires et écologiques sont de plus en plus grandes.

5 000 personnes, c’est à la fois beaucoup et en même temps très peu, car la situation est vraiment terrible à Rouen. L’odeur est toujours très forte dans l’agglomération et aucune information n’est en mesure de rassurer la population. C’est qu’au fond, personne n’est dupe et croit qu’il puisse ne pas y avoir de conséquences après un tel incendie.

La communication est difficile à interpréter car les informations sont nombreuses et diffuses. Ce sont en tous cas 5 253 tonnes de produits chimiques qui ont brûlé ce 26 septembre selon le chiffre officiel, alors forcément que cela laisse des traces et pas seulement celles qui sont visibles. Il faudra peut-être du temps aux personnes ayant les connaissances pour interpréter la longue liste de données dévoilée par la Préfecture sous la pression de la population.

En attendant, cela ne suffit pas, car ce qui compte n’est pas seulement ce qui est analysé maintenant, mais aussi ce qui peut ne pas être analysé, volontairement ou non. Il faut, comme l’a réclamé Corinne Lepage, qu’un état des lieux d’urgence de la situation soit fait sous la supervision d’une expertise indépendante. Elle a déposé pour cela un référé pour le compte de l’association Respire, réclamant la nomination de cet expert par la justice.

L’enjeu est évident et sera déterminant pour l’avenir, comme elle l’a expliqué à Paris-Normandie :

« Pour moi l’urgence actuelle, c’est d’une part la question de l’environnement et d’autre part, la question des éléments de preuve que chacun peut accumuler pour le futur. D’où l’idée de cet état des lieux d’urgence par un expert, une procédure qui n’est pas faite pour chercher des responsabilités ou des causes, mais pour faire un constat à un moment donné.

De quels éléments dispose-t-on ? Quelles analyses sont faites où à faire ?, etc. Ce que l’on entend par preuves, ce sont aussi des photos authentifiées, des prélèvements que les uns et les autres peuvent faire. Que des choses factuelles et qui seront discutées de manière contradictoire.

C’est-à-dire que si le président du tribunal nomme cet expert, la procédure sera opposable à l’État et à Lubrizol. Nous serons donc trois parties. Cette nomination peut être décidée dans la semaine. En tout cas, si le président n’en veut pas, il faudra qu’il le dise rapidement et nous ferons autre chose. »

La démarche de Corinne Lepage est peut-être partielle, cantonnée à l’aspect judiciaire dont ont peut douter de la fiabilité démocratique. En attendant, c’est la moindre des choses, car sans ça il n’y a rien et la population pourrait se retrouver au dépourvu si les risques redoutés sont avérés.

Si l’on résume la situation à Rouen, voici les principaux points qui apparaissent, la liste n’étant bien sûr pas exhaustive :

– sur 1000 fûts encore présents sur le site, 160 présentent un grand risque et devront être évacués précautionneusement car pouvant dégager de l’hydrogène sulfuré ;

– les pompages dans la Seine, sur le site et aux alentour ne sont pas du tout terminés et il n’y a pas de communication précise sur l’impact écologique et l’estimation du temps que cela va prendre ;

– les odeurs persisteront tant que les pompages ne seront pas terminés ;

– aucune fibre d’amiante n’apparaîtrait sur les surfaces et dans l’air le niveau serait extrêmement faible, inférieur aux seuils d’alerte ;

– il y a une inquiétude sur la question des HAP (Hydrocarbures Aromatique polycyclique, qui proviennent de la manipulation de solvants ou de la combustion d’hydrocarbures), sans que des réponses soient apportées à ce propos ;

– le Plans de prévention Lubrizol des risques technologiques n’avait apparemment pas envisagé le risque d’un tel incendie de l’usine ;

– il n’y a pas eu d’alarme dans la ville pour prévenir la population au moment de l’incendie, alors qu’il existe pourtant un protocole de confinement qui aurait du être appliqué immédiatement ;

– les pompiers avaient un équipement apparemment non-satisfaisant et ont largement été victimes de maux après leur intervention ;

– il n’y a pas eu de communication cohérente et semblant fiable pour un protocole de nettoyage des habitations, des lieux publics et des espaces naturels, que ce soit pour les particuliers ou les collectivités ;

– il y a de nombreux témoignages dans la population concernant des maux de ventre et des vomissements, ainsi qu’un témoignage d’un syndicat de police évoquant plusieurs policiers malades suite à leur intervention sur l’incendie ;

– l’agriculture et les élevages dans la zone du nuage sont entièrement impactés, tout comme les jardins et potagers des particuliers et associations ;

– des oiseaux et poissons ont été retrouvés morts après l’incendie et son immense nuage ;

– il y a une l’inquiétude des apiculteurs amateurs alors que les abeilles butinent actuellement dans la zone du nuage et mangeront cet hiver leur miel qui sera potentiellement pollué et peut-être nocif pour elles ;

– il y a une absence de compétence collective et indépendante, populaire, pour estimer la situation et organiser une expression démocratique massive après cet incendie.

On constate ainsi à Rouen, mais ce serait presque partout la même chose en France malheureusement, une grande désorganisation de la société civile, complètement atomisée et à la merci de l’État qui ballade tout le monde avec ses informations et ses non-informations.

C’est là bien évidement une grande faillite de la Gauche, qui dans une grande agglomération industrielle comme Rouen devrait être à la pointe et extrêmement bien organisée, sous l’égide de la classe ouvrière.

C’est à la classe ouvrière justement de mener le mouvement démocratique et populaire contre l’État et les industriels incapables d’assurer la sécurité. La classe ouvrière, quand elle s’exprime, sait de quoi elle parle. Elle dispose de la raison et du sens de l’intérêt collectif indispensable pour changer les choses, comme l’illustre très bien cet interview par France 3 Normandie d’un ouvrier ayant travaillé pour Lubrisol :

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Politique

Neuf syndicalistes de l’usine PSA de Poissy condamnés à de la prison avec sursis

La cour d’appel de Versailles a condamnés à trois mois de prison avec sursis neuf militants CGT de l’usine PSA de Poissy ce vendredi 28 juin 2019. Le tribunal a reconnu des faits de « violence en réunion » à l’encontre d’un chef de l’usine.

Dès le début de l’affaire, la CGT avait dénoncé une manœuvre d’intimidation à l’encontre des syndicalistes. Dans un communiqué de 2017 après le procès en première instance, la CGT PSA avait dénoncé « une Justice aux ordre de Peugeot », considérant une politique générale de répression.

Il est reproché aux syndicalistes d’avoir violenté un responsables, alors qu’ils venaient simplement défendre les droits d’un des leurs, en retour d’arrêt de travail. Une quinzaine de minutes de discussion dans le bureau d’un manager par des gens en colère est donc considéré comme une violence telle qu’elle mérite la prison…

C’est que du point de vue de la bourgeoisie, des ouvriers qui s’organisent pour affirmer leurs intérêts, c’est forcément quelque-chose de violent. La bourgeoisie est terrorisée à l’idée que la classe ouvrière se soulève et s’organise. C’est pour cela qu’elle doit frapper fort, en isolant, en faisant peur, en tentant d’enrayer toutes tentative d’expression consciente et organisée de la classe ouvrière.

Quand on sait avec quelle violence le management broie les salariés dans les entreprises et particulièrement en ce qui concerne les opérateurs dans les usines, on ne peut qu’être révolté d’une telle situation.

Les neufs syndicalistes ont décidé en concertation avec leur avocat de se pourvoir en cassation.

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Politique

8 000 personnes contre les suppressions d’emplois par General Electric à Belfort

Huit mille personnes manifestaient hier à Belfort contre les destructions d’emploi par le groupe General Electric dans un groupement d’usine qui est un bastion de la classe ouvrière. Des centaines d’emplois doivent être détruits alors que le groupe General Electric avait promis d’en créer lors du rachat de la branche énergie d’Alstom.

Cette situation provoque de la colère et de l’écœurement forcément, avec un sentiment de « gâchis industriel », alors que la classe ouvrière est piétinée tant dans ses traditions que socialement, en étant tout simplement laissé sur le carreau par le capitalisme.

Voici la pétition lancée par l’intersyndicale (CFE-CGC, Sud et CGT) qui exprime ce point de vue :

[ Pour signer la pétition, suivre ce lien ]

« Stop au massacre de notre industrie par General Electric : 1000 emplois délocalisés hors de Belfort

Contrairement aux promesses de GENERAL ELECTRIC en 2015 de création de 1000 emplois en France, lors du rachat de la branche énergie d’ALSTOM, GENERAL ELECTRIC n’a fait que de détruire l’emploi industriel en France :

  • Fermeture de l’activité solaire à Belfort
  • Fermeture de l’activité chaudière à Massy
  • Plan de licenciement dans l’activité hydroélectrique à Grenoble
  • Depuis début 2019 : Plus de 700 emplois sont concernés par des plans de rupture conventionnelle collective, plan senior et licenciement économiques dans les activités charbon, nucléaire, éolien, réseaux électriques, conversion de puissance et fonctions supports dans toute la France, dont plus de 200 personnes à Belfort

Le 28 mai 2019, 2 jours après les élections européennes, General Electric annonce un nouveau plan de plus de 1000 suppressions d’emplois supplémentaires à Belfort :

  • Près 50% des effectifs de l’entité « Turbine à gaz » qui compte près 1900 salariés
    Ingénierie délocalisée en Inde, Mexique et Pologne
    Production délocalisée aux Etats-Unis et en Hongrie
  • La fermeture du centre partagé qui compte plus de 200 salariés, créé depuis 2015
    Délocalisation en Hongrie

Le projet est présenté comme une adaptation au marché qui s’apprête pourtant à rebondir. En réalité il s’agira de la dernière étape avant la fermeture complète de l’entité « Turbine à gaz » à Belfort.

L’Etat français a donné son accord en 2015 pour le rachat de la branche Energie d’ALSTOM par GENERAL ELECTRIC pour un développement de l’emploi industriel en France.

Aujourd’hui, devant le désastre industriel engendré par ce rachat , nous demandons à l’état français de stopper ce plan massif de délocalisation d’activités hors de France et de travailler avec les organisations syndicales sur leurs propositions de développement de filières industrielles d’avenir sur notre territoire.

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1/ Nous avons déjà atteint la taille critique :

Le marché de la Turbine à gaz se segmente en 2 Marchés distincts, avec des turbines différentes, des clients différents et des dynamiques de marché différentes :

  • Le marché 60 Hz dont les turbines sont réalisées aux Etats-Unis représente 25% du marché mondial (US, Brésil, Arabie saoudite, Taiwan et une partie du Japon)
    Ce marché s’est effondré de 50% en 2018 comparé à la moyenne des 5 années précédentes
  • Le marché 50 Hz dont les turbines sont réalisées à Belfort représente 75% du marché mondial (Europe, Afrique, Asie, Moyen-Orient, Amérique du Sud)
    Ce marché a baissé de 20% en 2018 comparé à la moyenne des 5 dernières années
  • Or nos effectifs ont déjà baisser de près de 30% :
    250 salariés ont quitté l’entreprise depuis le 1er janvier 2018
    plusieurs centaines de sous-traitants travaillant dans nos murs ou sur des plateformes dans le territoire de Belfort ont été remerciés

2/ Le marché de la turbine à gaz a de l’avenir :

  • la filière « turbine à gaz » a représenté 90% des profits, pour 75% des CA et 50% des effectifs de la branche Energie de GE dans le monde
  • rebond du marché d’après l’agence internationale de l’Energie et repris par GE : un doublement des capacités d’ici 2040
    pour remplacer le nucléaire
    pour remplacer le charbon qui produit 3 fois plus de CO2
    pour la stabilité et la flexibilité des réseaux électriques avec la montée en puissance des énergies renouvelables, intermittentes par nature (130 MM€ de fonds débloqués par l’Europe), en attendant de moyens de stockage massif d’énergie techniquement et économiquement viables, car une turbine à gaz peut s’allumer et s’éteindre en moins 5 minutes pour absorber le demande d’électricité
    des turbines à l’hydrogène qui ne produise pas de CO2, pourrait être adossé à des champs éolien ou photovoltaïque

3/ La situation financière de l’entité « Turbine à gaz » de General Electric de Belfort est artificiellement en déficit :

  • 1999-2014 Belfort centre mondial 50 Hz : plus de 3 MM€ dividendes remontées au groupe
  • depuis le rachat d’ALSTOM : l’ex-entité suisse ALSTOM devient centre de décision à la place de Belfort
    les responsables mondiaux de Belfort sont virés
    les bénéfices sont logés en Suisse et remplissent les caisses publiques suisses alors que la valeur ajoutée est créé en France
    En 2017, année record de production, la situation financière de l’entité française passe de plusieurs centaines de millions de bénéfices à une situation déficitaire
    Belfort, plus important site au monde de GE, n’héberge aucun membre des équipes mondiales de direction et devient un sous-traitant des US et de la Suisse
  • Pour chaque turbine 9HA fabriquée à Belfort, la marge affectée à l’entité légale est inférieure aux droits à la technologies payés à GE => plus on fabrique, plus on est en déficit
  • Belfort doit redevenir centre mondial 50 Hz dans l’intérêt de GE et de Belfort

4/ Le gouvernement doit faire respecter l’accord signé avec GE le 4 novembre 2014 dont voici des extraits :

3.4. Les quartiers généraux européens actuels de GE pour les activités turbines à gaz de grande taille à usage industriel de 50 Hz demeureront à Belfort.

3.5. Les équipes de la direction mondiale des activités mentionnées aux Articles 3.1 à 3.4, de même que celles en charge de la direction opérationnelle des quartiers généraux correspondants, seront situées en France, et, dans le cadre de l’organisation matricielle mondiale de GE, seront

respectivement responsables de ces activités et des opérations de quartiers généraux y afférentes, qui incluront notamment :

– les fonctions corporate de chaque activité ;

– la stratégie de fabrication ;

– le marketing et le développement produits ;

– la supervision des activités commerciales, y compris les offres ;

– la stratégie en matière de chaîne d’approvisionnement (supply chain) ; ainsi que

– les activités R&D et recherche et développement appliquée spécifique à chaque activité.

3.6. Les engagements énoncés dans le présent Article 3 resteront en vigueur pendant une durée de dix (10) ans à compter de la date de réalisation l’Opération. »

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Guerre

Le communiqué de la CGT refusant de charger des armes au port de Marseille-Fos

Il a beaucoup été question ces derniers jours des dockers refusant de charger des armes sur un navire à destination de l’Arabie Saoudite.

Il y a d’abord eu une alerte en provenance des dockers du Havre, puis c’est au port de Gêne en Italie que le chargement a été refusé, avant que ce soit au Grand Port Maritime de Marseille-Fos.

Voici le communiqué de la CGT des Dockers de ce port, qui rappel à juste titre les fondamentaux du mouvement ouvrier, et donc de la Gauche, concernant la guerre :

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Politique

Les Gilets jaunes ou l’absence de surface de la Gauche

La mobilisation des Gilets jaunes reflète la non-existence d’une base militante à Gauche. Il n’y a tout simplement plus de surface sociale et culturelle qui fasse écho à la Gauche politique ; tout au plus y a-t-il des réseaux syndicaux.

gilets jaunes

La Gauche est née comme mouvement ouvrier, c’est-à-dire comme mouvement politique se fondant sur les ouvriers et leurs intérêts, prenant le travail salarié comme base de son identité.

C’est le cas en France aussi, mais il est un mal qui a commencé dès le départ et qui a persisté : l’absence de surface. Le mouvement ouvrier a été d’une taille immense en Allemagne, en Angleterre, dans le Nord de l’Europe et à l’Est, voire même au Sud. Mais en France, il a toujours été minoritaire.

Les socialistes des années 1910 étaient insignifiants numériquement (mais pas du tout électoralement), la CGT était minoritaire. Il en va de même pour les socialistes et les communistes des années 1920 et s’il n’y avait eu le Front populaire, puis la Résistance, il en aurait été de même. Même mai 1968 n’a pas apporté de flux massif.

Aujourd’hui, les gains du Front populaire et de la Résistance – le PCF est le premier parti de France après la guerre – se sont évaporés. Il n’y a plus de regroupements socialistes et communistes dans les usines et les entreprises, il n’y a plus systématiquement de groupes locaux actifs et ancrés dans la population, il n’y a plus de base sympathisante relativement volontaire, il n’y a pareillement plus de syndicat étudiant de masse et militant dans les universités.

L’existence des Gilets jaunes témoignent de cette absence de surface. D’abord, parce que leur populisme montre bien que sur le plan des idées, les Français sont arriérés et bon pour le fascisme s’ils continuent comme cela. Fonctionner à coups de raccourcis et sur le mode du coup de gueule, dans le rejet de toute réflexion politique et de perspective à moyen terme, sans parler de la question d’envergure, ce n’est juste pas possible.

Politiquement, les Gilets jaunes, c’est Donald Trump sans les millions.

Et à l’inverse, les Gilets jaunes expriment aussi la libération d’une lutte sociale des carcans d’une Gauche qui a trahi la lutte sociale au nom du ministérialisme. Les Gilets jaunes sont le prix populaire à payer pour les trahisons institutionnelles de la base populaire.

Socialement, les Gilets jaunes, c’est la revanche sociale anarchiste sur les ministres.

Nous voilà donc ramenés, en quelque sorte, à la fin du 19e siècle, à un moment où la Gauche n’existe pas, est d’une faiblesse inouïe, dispersée et incohérente. N’existe alors que des ministres progressistes élus sur une base de modernité laïque, et des courants anarchistes anti-ministérialistes, comme les syndicalistes et les bombistes (comme Ravachol, Emile Henry, etc.).

Aujourd’hui, on a à peu près pareil, avec d’un côté les ministres progressistes d’Emmanuel Macron présentant la modernité turbo-capitaliste comme le progrès, de l’autre des syndicalistes jouant la carte du forcing (comme avec les cheminots) et une frange anarchiste surfant sur l’esprit zadiste.

Mais il n’y a pas de Gauche politique, il n’y a pas de surface de la Gauche. Il y a des débris passant qui dans le camp postindustriel, qui dans le camp de l’Union Européenne, mais jamais dans celui de la classe ouvrière et de l’histoire du mouvement ouvrier.

Car il ne s’agit pas de reconstituer la Gauche d’il y a peu, ce n’est pas possible : il faut comprendre pourquoi à la base même – et la réponse est dans la prédominance des syndicats, leur indépendance – la Gauche politique n’a pas été capable en France d’avoir un véritable niveau idéologique et un véritable ancrage populaire dans tout le pays.

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Politique

Les Gilets Jaunes, aussi une réaffirmation de la centralité ouvrière

Si le mouvement des gilets jaunes a été déterminé par les artisans, commerçants indépendants, etc., il a charrié avec lui une vraie vigueur ouvrière. Cela correspond à toute une réaffirmation historique, replaçant la classe ouvrière comme élément central de toute orientation conséquente.

Gilets jaunes

Les Gilets Jaunes sont l’expression de la contradiction ville-campagne. C’est une crise objective du mode de vie de la population vivant et travaillant en dehors des grandes villes. En ce sens, si le mouvement est largement dirigé socialement et idéologiquement par la petite-bourgeoisie, notamment les commerçants, artisans, indépendants, etc., il est indéniable qu’une partie de la classe ouvrière a été absorbée dans la dynamique.

La naissance de la gauche moderne s’est faite avec la formation du mouvement ouvrier. À partir de 1789-1793, les courants de gauche puisent leur dynamique dans la mobilisation des classes populaires et c’est au XIXe siècle que la classe ouvrière, délimitée par un mode de vie précis, devient centrale pour la Gauche.

Des années 1930 aux années 1970, la classe ouvrière se trouvent à l’avant-poste de la contestation sociale et politique. La SFIC et la CGT-U (puis CGT) parviennent à organiser les parties les plus avancées de la classe dans des interventions historiques déterminantes.

Sans les ouvriers organisés, pas de conquêtes sociales en 1936. Sans les ouvriers organisés, pas de résistance armée en 1942-1944. Sans les ouvriers organisés, pas de lutte anti-coloniale dans les années 1950. Sans les ouvriers organisés, pas d’offensive réelle dans les années 1970.

En bref, la classe ouvrière est depuis l’avènement du capitalisme, la classe motrice de l’Histoire. Ce n’est pas une vue gauchiste de l’esprit mais un fait historique. Ce réalisme politique était tellement acquis dans les années 1968 que ce ne sont pas moins de 3 000 militants révolutionnaires d’extraction non ouvrière qui ont effectué une rupture sociale pour s’établir en « zone ouvrière ».

Mais cet acquis majeur de la Gauche depuis le XIXe siècle a toujours plus reflué à partir des années 1980. En cause, notamment, l’enfermement dans une logique syndicale des militants « établis » broyés sous le poids de la restructuration sociale et le grand lessivage idéologique des années Mitterrand.

Il s’en est suivi une grande période où la classe ouvrière fut qualifiée de « dépassée », voire au pire « morte ». La lutte des classes a bien évidemment continué, mais la Gauche, toujours plus aliénée dans les milieux universitaires et intellectuels des grandes villes, s’est séparé de la classe ouvrière. La stratégique « centralité ouvrière » a été jeté par dessus bords.

Cette transformation politique et idéologique explique d’ailleurs pourquoi l’extrême-gauche a loupé la grande rébellion de novembre 2005. Justement, cette grande rébellion a failli, entre autres, à cause de l’absence d’unité organique de la classe ouvrière et unifier le peuple c’est le rôle historique de la Gauche.

Avec ce mouvement des gilets jaunes, la Gauche se retrouve face à ses propres errements politiques et idéologiques depuis 30 ans. Elle s’aperçoit que la classe ouvrière existe toujours, mais elle la retrouve largement façonnée par le dernier cycle d’accumulation capitaliste, celui de l’industrialisation des campagnes, de la flexibilité sociale, de la production à flux-tendu avec ses zones industrielles éclatées, de l’accès des ouvriers à la propriété individuelle, etc.

C’est une classe ouvrière enfermée dans le rêve pavillonnaire, individualisée par la voiture et le supermarché, désabusée par l’ennui culturel des zones rurbaines. Le rond-point devient la cristallisation du mouvement, lieu représentatif du cycle capitaliste basé sur la centralité de la logistique routière, du flux-tendu. C’est une classe qui n’est plus dans la banlieue très proche, mais est concentrée dans la misère pavillonnaire à plusieurs dizaines de kilomètres de la ville.

En ce sens, et ce sens seulement, les gilets jaunes comportement un aspect positif. C’est le fait que les ouvriers se remettent au centre du processus politique mais non pas de manière passive comme vivier électoral (comme avec Sarkozy et son « travailler plus ») mais comme acteur collectif dans l’histoire.

Ce « retour » de la centralité ouvrière intervient toutefois dans un moment où il est « trop tard » pour que la Gauche puisse intervenir de manière constructive dans le mouvement.

Elle paye le prix de son éloignement social, spatial, et idéologique et faire une « auto-critique » ne peut se faire par un rattachement hâtif et opportuniste dans le mouvement.
Cette auto-critique, elle devait avoir lieu en novembre 2005, là où la jeunesse ouvrière de tout le pays s’est insurgée contre l’ordre établi mais s’est retrouvée isolée des zones pavillonnaires.

Or, entre novembre 2005 et novembre 2018, c’est une décennie d’inlassable montée du fascisme à laquelle nous avons assisté. C’est l’essor de la propagande de l’Internet avec l’extrême-droite qui a saisi le coche culturel lorsque l’extrême-gauche, par romantisme absurde, l’a rejeté au nom de la « vie réelle ». C’est la décennie de la « fachosphère ».

Pourtant la révolte des gilets Jaunes aurait dû être une étape nouvelle et supérieure de la rébellion de novembre 2005. La « centralité ouvrière » des années 1960-1970, principe essentiellement gauchiste, se retrouve dans les années 2010 sous hégémonie fasciste. Les gilets jaunes démontrent sans faille la mise en branle spontanée des masses populaires et rappellent à la Gauche ce qu’elle avait largement oublié : l’histoire est faite par les grandes forces populaires.

Il n’empêche pas que cela doit alerter les forces progressistes sincères de l’impasse de la gauche postmoderne, dépendante de la petite-bourgeoisie culturelle des grandes villes, tout autant que de l’absurdité du syndicalisme. La classe ouvrière montre ici qu’elle conserve une mémoire de classe comme en atteste les référence (erronées) à Mai 68 alors qu’il a été souvent dit que la mémoire ouvrière n’existait pas à propos de ce mouvement.

L’avenir appartient à la Gauche qui saisit cette centralité ouvrière dans toutes ses dimensions car l’hégémonie fasciste qui actuellement bloque tout n’est qu’un détour temporaire dans la bataille inéluctable pour le Socialisme.

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Société

Avec No Society, Christophe Guilluy fait le choix du populisme

Dans son dernier livre No Society, Christophe Guilluy prolonge sa fameuse réflexion sur « la France périphérique » en dénonçant la disparition de la « classe moyenne occidentale ». Si ses constats sont très souvent justes et pertinents, il fait le choix du populisme plutôt que de la Gauche.

Christophe Guilluy est célèbre pour avoir formulé à travers plusieurs ouvrages ce qu’il appelle « la France périphérique », c’est-à-dire le fait que les classes populaires françaises vivent en périphérie des grandes métropoles modernes et dynamiques.

Ce n’est pas une simple description du phénomène périurbain mais une analyse assez précise d’un certain nombre de territoires, aux abords de ces grandes métropoles mais aussi de petites et moyennes villes, ainsi que des zones rurales.

Au fur et à mesure de ses travaux, il a présenté un panorama social-culturel assez fin de la France populaire, avec un discours très critique à l’encontre de la bourgeoisie vivant au cœur de ces grandes métropoles, une quinzaine en France.

Pour autant, sa géographie, qui est en fait plutôt une sociologie de l’espace, avait un style tout à fait universitaire, avec une démarche propre aux milieux universitaires. Il ne se présentait pas avec un programme politique ou une approche idéologique, mais comme simplement un commentateur extérieur se voulant utile, empochant l’argent de ses livres au passage.

Il a pourtant eu originellement une approche de gauche, il s’était adressé à la Gauche à ses débuts. Sauf que ses travaux ne sont pas compatibles avec le post-modernisme et les théories post-industrielles qui ont gangrené la Gauche, au Parti Socialiste puis partout ailleurs.

Il s’est donc retrouvé isolé, pour finalement être apprécié surtout d’une partie des populistes, souvent issus de la Droite, qui voyaient en lui un moyen de s’adresser aux classes populaires.

Il est évident que Marine Le Pen aurait voulu faire de Christophe Guilluy un penseur de son mouvement, et qu’elle a largement profité de sa pensée, bien qu’elle n’a pas pu le faire suffisamment.

On aurait tort pour autant de reprocher cela à Christophe Guilluy alors que, d’une part, il s’est toujours différencié du Front National devenu Rassemblement National et que, d’autre part, c’est la Gauche elle-même qui a refusé de voir les évidences qu’il décrivait.

Cependant, on peut aisément penser qu’il est déjà trop tard pour la Gauche, que Christophe Guilluy lui a échappé pour de bon. Car avec No Society, dont le sous-titre est La fin de la classe moyenne occidentale, il assume maintenant des choix politiques et une orientation idéologique.

Sa pensée n’est pas d’extrême-droite mais correspond à un courant national-républicain assez précis, qui trouve aujourd’hui écho avec une figure comme Natacha Polony et le magazine Marianne qu’elle dirige dorénavant. Le propos de No Society était déjà présenté dans le détail à Natacha Polony lors d’une émission à l’issue des élections présidentielles de 2017, sur la chaîne Paris Première, qui est pour le coup tout à fait bourgeoise et métropolitaine.

Ce courant, à défaut d’être lui-même populiste, est en tous cas largement ouvert au populisme, et sert directement le populisme. Le discours du théoricien de la « France périphérique » à propos des classes moyennes illustre tout à fait cela. Les classes moyennes sont érigées en mythe pour regretter une France d’avant, qui serait un modèle.

« C’est la situation qui prévalait durant les Trente Glorieuses, période où la plupart des strates sociales de la société, de l’ouvrier au cadre supérieur, avaient le sentiment d’être intégrées et de bénéficier des grandes mutations économiques et sociales de l’époque. »

Le constat n’est bien sûr pas faux puisqu’une grande partie des classes populaires, dont la classe ouvrière, a fait le choix de l’intégration. On peut même dire que le phénomène de « France Périphérique » qu’il a décrit relève en grande partie d’une volonté subjective propre à ce mouvement d’intégration au capitalisme, par le biais de la maison individuelle avec jardin accompagnée de ses deux automobiles par foyer.

Autrement dit, les classes populaires et la classe ouvrière en particulier ne sont pas tant exclues du cœur des grandes métropoles qu’elles les ont elles-mêmes fuit, tout comme elles ont fuit le centre des petites et moyennes villes qui se sont alors dévitalisées. La critique par exemple de la « gentrification » d’anciens quartiers populaires urbains que font les sociologues est ainsi tout à fait partielle, puisque négligeant cet aspect essentiel qu’il n’y a eu aucune résistance populaire à ce phénomène.

Il en est de même pour ce qui est des quartiers de HLM, les cités, qui ont été quitté massivement par la classe ouvrière française dans les années 1980 et 1990 à mesure qu’arrivaient des populations immigrées, mais pas après l’arrivée de ces populations immigrées.

Dans sa substance, ce mouvement remonte même aux années 1960 et 1970, où les cités HLM n’ont été considérés comme modernes et satisfaisantes que par une petite partie de la classe ouvrière, la grande majorité faisait par contre le choix, ou projetant le choix de l’habitat individuel, avec jardin et automobiles.

Le problème de l’analyse que propose Christophe Guilluy, et c’est là qu’elle sert le populisme plutôt que la Gauche, est de soutenir cette intégration au capitalisme en souhaitant qu’elle aille encore plus loin, plutôt que de la critiquer. La Gauche, en tous cas dans son essence historique, n’a jamais souhaité un compromis de classe généralisé, mais seulement des statut-quo temporaires, devant à plus ou moins long terme mener au socialisme, c’est-à-dire au pouvoir de la classe ouvrière puis à la disparition des classes sociales.

La Gauche en France a très bien vu ce phénomène d’intégration au capitalisme par le repli en périphérie, qu’elle n’a pas apprécié ; il est évident que cette « classe moyenne » périphérique relève bien plus de l’aliénation que de l’émancipation.

Le panorama social-culturel qui en résulte, avec la télévision, les autoroutes et les centres commerciaux, est absolument désastreux. Cela signifie ni plus ni moins que la soumission complète au capitalisme, avec des rapports sociaux presque entièrement soumis aux grands groupes capitalistes et leurs franchises, organisant la vie des gens de bout en bout.

Cela va de pair avec une démarche insoutenable par rapport à la nature et aux rapports naturels, ainsi qu’une domination féroce des pays pauvres, ce que l’on appelle l’impérialisme.

Christophe Guilluy ne reconnaît d’ailleurs qu’un aspect de cette domination impérialiste, avec l’immigration. Mais cela ne suffit pas, car on ne peut pas évoquer ce phénomène de la classe moyenne occidentale, avec comme il l’explique les ouvriers et les employés portant l’american way of life ou l’european way of life, sans comprendre qu’il n’est permit que par une division du travail à l’échelle internationale provoquant elle-même la désintégration de ce modèle.

Critiquer la fermeture des usines en Europe ou aux États-Unis est insuffisant, et donc populiste, si ce n’est pas pour remettre en cause le mode de production lui-même. La fermeture des usines n’est pas un phénomène allant à l’encontre du way of life des classes moyennes mais en est précisément le produit. Autrement dit, jamais il n’aurait pu y avoir une telle intégration des classes populaires à la société de consommation sans le made in China, et c’est ce made in China qui en retour bouleverse le modèle économique qui l’a engendré.

Il est absurde de prétendre comme le fait Christophe Guilluy que Donald Trump ne serait qu’une expression du mouvement réel des classes populaires américaines, alors que c’est précisément l’inverse qui est vrai.

« Ce soft power des classes populaires, qui porte la vague populiste en contraignant politiques et médias à aborder des thématiques interdites, contribue à un retour au mouvement réel de la société, celui de la majorité. »

La propre du populisme est de ne faire qu’une critique en surface du capitalisme, sur des aspects partiels, en proposant le repli comme dynamique et la réaction comme expression culturelle. Donald Trump ne représente pas l’expression autonome des classes populaires, mais leur amertume, ou en tous cas l’amertume d’une partie d’entre elles face à leur prolétarisation ou leur ré-prolétarisation.

On ne peut qu’être d’accord avec Christophe Guilluy quand il explique que « les années 1980 seront marquées par l’émergence de Canal +, quintessence de l’idéologie libérale-libertaire dominante. »

Mais sa démarche ne sert que le populisme quand il critique le cosmopolitisme et l’inconsistance de cette bourgeoisie moderne et libérale des grandes métropoles sans critiquer la bourgeoisie en tant que telle, ni l’accumulation du capital en tant que telle.

Du point de vue des classes populaires, et surtout de l’intérêt objectif de la classe ouvrière, le richissime Donald Trump ne vaut pas mieux qu’Hillary Clinton. En l’occurrence, en France, on considère même au contraire que ce que représente Marine Le Pen amène à court terme une perspective pire que celle portée par Emmanuel Macron. C’est pour cela que la Gauche n’a pas hésité à voter contre Marine Le Pen au second tour des élections présidentielles en 2017.

Que la bourgeoisie moderne et libérale des grandes métropoles se serve de cela est une évidence, ce n’est pas nouveau. Mais l’inverse est encore plus vrai, la critique de l’antifascisme fait perdre beaucoup de temps aux classes populaires en embrouillant leurs conceptions.

Il est ainsi très grave d’écrire :

« Présenté comme « populiste » (lire « fasciste ») par les classes dominantes, ce mouvement, conduit par une majorité, est au contraire fondamentalement démocratique. »

La critique du fascisme, et donc du populisme, a été théorisé par la classe ouvrière elle-même, jamais par les classes dominantes qui ne font que s’en servir partiellement, et seulement pour une partie d’entre elles d’ailleurs. C’est par essence une critique populaire et démocratique, et certainement pas l’inverse. Le populisme est par contre un détournement réactionnaire de questions démocratiques, en prétendant représenter les classes populaires alors qu’il ne fait que les enfoncer dans des conceptions erronées et des valeurs arriérées.

L’horizon défendu dans No Society est ainsi absolument détestable quand on est à Gauche.

Ce qui est expliqué finalement, noir sur blanc, c’est que la bourgeoisie ne devrait plus s’isoler dans les « citadelles » que sont les grandes métropoles mais devraient tendre la main aux classes populaires, pour que tout continue comme avant.

La crise endémique du mode de production capitaliste est bien sûr niée, au profit d’une grande illusion quant à la possibilité d’intégration à long terme de la population au capitalisme.

S’il n’appelle pas directement à céder au populisme, le propos de Christophe Guilluy dans No Society ne sert en dernière analyse que la diffusion de celui-ci. Ce thème des classes moyennes est d’ailleurs un thème tout a fait classique du pré-fascisme en France, dont le populisme actuel n’est qu’une expression moderne.

Eric Zemmour ne dit de toutes façons, au fond, pas autre chose que lui et Natacha Polony à propos des classes moyennes et du regret d’une France d’avant, pacifiée et intégrée, sans lutte de classe, sans contestation de la bourgeoisie. Le populisme n’est, dans cette perspective, qu’un moyen de capter les classes populaires pour les dévier de leur intérêt propre.

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Politique

Emmanuel Maurel et le mouvement ouvrier

Emmanuel Maurel a quitté le Parti Socialiste pour fonder un nouveau parti. Fustigeant les erreurs de son camp, il fait souvent référence au mouvement ouvrier et aux classes populaires pour s’en revendiquer. Qu’en est-il vraiment ?

Emmanuel Maurel

Le mois dernier dans un entretien vidéo au Figaro, Emmanuel Maurel expliquait :

« je suis sur une position traditionnelle du mouvement ouvrier sur l’immigration »

Ces mots sont très importants car presque plus personne à Gauche ne se revendique du mouvement ouvrier. De la même manière, lors de la campagne pour la direction du Parti Socialiste, il avait expliqué que sa ligne était d’unifier la gauche et de :

« reconquérir le cœur des ouvriers, le cœur de la France qui se lève tôt et que l’on n’entend pas »

On peut bien-sûr penser que ce ne sont que des mots, et que de toutes manières il est bien étrange de parler de la classe ouvrière quand on a été au Parti Socialiste si longtemps, tellement ce parti est devenu celui de la bourgeoisie moderniste et libérale des centre-villes des grandes métropoles.

Mais cela n’est pas suffisant. Rien que dans le nord de la France, et particulièrement dans le département du Nord, il existe une filiation très forte entre cette organisation et ce qui reste du mouvement ouvrier.

Emmanuel Maurel est une figure intellectuelle de gauche typique. C’est quelqu’un de très cultivé, aimant la politique et le débat d’idée, qui veut être proche du peuple et répondre à ses aspirations. Seulement, il n’est pas quelqu’un reconnaissant le marxisme et pensant que la classe ouvrière puisse elle-même s’organiser pour conquérir le pouvoir.

S’il a été au Parti Socialiste, c’est parce qu’il ne considère pas les choses en termes de classes sociales et d’idéologies qui leur sont afférentes, mais en termes de politique simplement. La question serait celle des bons ou des mauvais choix politiques.

C’est pourquoi il a été capable la semaine dernière de quitter son parti en plein débat et échéance électorale interne, alors que cette façon de faire est insupportable si l’on considère au contraire que les principes sont ce qui doit primer.

> Lire également : Emmanuel Maurel et Marie-Noëlle Lienemann torpillent le Parti Socialiste

Son « mentor », dont il a écrit une biographie, est Jean Poperen. Ancien membre du Parti Communiste, exclu en 1959 après avoir eu d’importantes responsabilités internationales, ce dernier est devenu un figure socialiste en France, particulièrement en ce qui concerne la question de l’unité de la Gauche.

Tant que le Parti Socialiste était la force la plus importante à Gauche, il était logique pour Emmanuel Maurel d’en faire partie. Il considère par contre que le Parti Socialiste a échoué sur le plan politique avec François Hollande, alors qu’il était majoritaire quasiment partout en 2012.

Il quitte donc le Parti Socialiste en voulant le refonder sur de nouvelles bases. La présidence d’Emmanuel Macron incarne pour lui l’aboutissement des erreurs récentes de son camp :

« nous lui avons fait la courte échelle […] C’est notre créature et aujourd’hui, on s’en mord les doigts. »

Quand Emmanuel Maurel explique qu’il s’était « engagé pour défendre les intérêts des gens modestes, mais aussi des stratégies de rassemblement des forces populaires », alors qu’aujourd’hui « le PS ne correspond plus à l’idée [qu’il se] fait du socialisme », ce n’est pas une critique idéologique. Simplement le regret d’une mauvaise orientation politique.

De ce point de vue, on ne peut pas considérer qu’il fasse partie du mouvement ouvrier. Sa critique n’est pas celle du mode de production, mais des « capitalistes qui se défient des règles ».

Il est par contre un homme politique de gauche ayant compris l’importance de la question ouvrière et ne cédant pas aux positions postmodernes et postindustrielles. C’est pour cela qu’il considère que « la question économique et sociale reste centrale » par rapport aux questions identitaires et républicaines.

C’est pour cela également qu’il défend une ligne intermédiaire par rapport à l’Union Européenne, n’appelant pas à en sortir mais par contre à « désobéir » aux directives qu’il rejette (sur l’austérité budgétaire, les travailleurs détachés, etc.)

C’est là encore un choix très étrange, très « politique », ne correspondant pas aux choix nets et tranchés, idéologiques, qui sont traditionnellement ceux du mouvement ouvrier.

Emmanuel Maurel ne fait pas parti du mouvement ouvrier car le « fil rouge » du parti qu’il souhaite créer sera « la république sociale, une maison de la Gauche républicaine », et que cette approche « républicaine » n’est pas celle de la classe ouvrière.

Son crédo n’est pas celui de la lutte de classe mais la bataille électorale. Il a déjà souvent à la bouche le mot « 2022 » et tout le monde aura compris qu’il se construit sur mesure un tremplin pour les élections présidentielles de 2022, misant tout autant sur l’éparpillement des forces de la Gauche que sur les dynamiques politiques existantes ici et là.

S’il peut être une figure sympathique et ayant une démarche positive sur un certain nombre de sujets, ses alliances avec le Mouvement Républicain et Citoyen à la ligne sociale-gaulliste, ou bien à la France Insoumise et le populisme social-chauvin de Jean-Luc Mélenchon, ne s’inscrivent pas dans la tradition et l’intérêt du mouvement ouvrier.

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Politique

CGT : Philippe Martinez a tort d’assimiler les migrants aux ouvriers

En publiant une tribune dans le quotidien Le Monde, le secrétaire général de la CGT Philippe Martinez s’adresse à la bourgeoisie « de gauche » et lui apporte son soutien quant à l’utilisation des migrants comme thème électoral.

Philippe Martinez CGT

Le secrétaire général de la CGT Philippe Martinez a publié une tribune dans Le Monde. Mais les ouvriers ne lisent pas Le Monde. Et sur internet, l’article est en accès payant. Est-ce normal ? Absolument pas, et cela d’autant plus qu’il parle au nom de la CGT elle-même :

« La CGT, présente au cœur des entreprises et des services, forte de son expérience en faveur des travailleurs migrants, tient à rétablir un certain nombre de vérités. »

Mais c’est qu’il ne s’adresse pas aux ouvriers, seulement aux bourgeois « de gauche ». Et il leur parle d’immigration justement, avec un discours très similaire au « manifeste pour l’accueil des migrants », publié parallèlement par Politis, Regards et Mediapart.

Selon lui, pareillement, les migrations sont incontournables :

« Le fait migratoire est un phénomène incontournable, stable et continu dans l’histoire de l’humanité. Prétendre que l’on peut stopper ou maîtriser les mouvements migratoires est un leurre politicien et une posture idéologique. Les plus hauts murs n’empêcheront jamais des personnes de fuir, au péril de leur vie, la guerre, la misère économique ou les persécutions. »

Il est sans nul doute très grave qu’un dirigeant syndical mette en avant le thème des migrants dans une optique électoraliste, avec les élections européennes en ligne de mire… Il agit ici de manière bien nette en faveur de la Gauche post-industrielle, post-moderne qui a besoin de « nouveaux sujets » à défendre… Du moment qu’il ne s’agit pas des ouvriers.

On retrouve d’ailleurs, dans le même mensonge que le « manifeste pour l’accueil des migrants », l’assimilation par Philippe Martinez des concepts de migrants à ceux de réfugiés, ce qui est honteux.

Lire également : Le « Manifeste pour l’accueil des migrants » : antipopulaire par excellence

Cela aboutit inévitablement à un populisme tout à fait erroné, qui fournit des armes à l’extrême-droite dans les rangs ouvriers. Car le secrétaire général de la CGT Philippe Martinez assimile les migrants à des ouvriers.

« Nous ne faisons pas face à une invasion de migrants et notre pays doit accueillir humainement et dignement ceux qui fuient leurs pays. Cela se nomme la fraternité.

Ces salariés font partie intégrante de la classe ouvrière ! »

Or, c’est totalement erroné, car même en admettant que des migrants aillent à l’usine – ce qui ne sera que rarement le cas – cela n’en ferait pas des ouvriers pour autant : formellement, ce serait le cas, mais leur existence serait tout de même coupée encore de la classe ouvrière, de ses traditions. C’est d’ailleurs là l’intérêt de l’immigration pour le patronat.

Ce qui est d’ailleurs valable ici pour les migrants l’est pour toute personne ayant une origine non ouvrière et basculant dans la classe ouvrière : il faut du temps pour prendre ses marques, ses repères, absorber les valeurs ouvrières. D’où les perpétuelles restructurations organisées par le capitalisme pour empêcher la reconnaissance entre ouvriers, l’émergence d’une pensée commune, l’organisation commune.

> Lire également : La lettre de Georges Marchais suite à l’expulsion des maliens du foyer de Vitry

D’où l’immigration, non seulement dans les usines, mais en général, et notamment dans les quartiers populaires. Il en va d’une main d’œuvre bon marché, mais également avec un faible niveau de conscience politique, une coupure avec les réalités du pays. Il faut alors de nombreuses années, voire une vie afin qu’une connexion se fasse.

Cela, la Gauche l’a toujours su… quand elle avait des idéaux, ou plus exactement un idéal : l’instauration du socialisme ! Philippe Martinez est coupé de cette tradition. Mais qu’attendre d’un chef syndical, dans un pays où tous les syndicats se revendiquent de la charte d’Amiens de 1906 qui rejette tout débat politique, réduisant les syndicats à des organes traitant les choses sans envergure, simplement localement, ou par branches, divisant la classe ouvrière et le peuple ?

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Politique

Aurélie Filipetti ou la trahison de la classe ouvrière

Grand espoir de la Gauche, Aurélie Filippetti abandonne la politique : aujourd’hui sort son roman « Les idéaux ». Ce qui est grave, c’est qu’elle pense avoir fait quelque chose, alors qu’elle n’a jamais été qu’un potentiel : sa vie jusqu’à présent n’a été qu’un parcours doré dans les plus hautes instances de l’État français, aux antipodes de la classe ouvrière.


Aurélie Filipetti est à l’origine une femme du peuple. Elle vient de la Moselle, son père était un mineur devenu maire PCF d’Audun-le-Tiche ; sa famille est issue de l’immigration antifasciste italienne fuyant le régime de Mussolini. Son grand-père résistant a d’ailleurs été arrêté par la Gestapo et est mort dans le camp de concentration de Bergen-Belsen, juste après la libération.

Elle en parle dans son roman de 2003 Les Derniers jours de la classe ouvrière, valorisant ses origines sociales tout en ayant un vécu l’en éloignant toujours davantage. Elle fait en effet des études au lycée préparatoire à Metz, pour aller à l’École normale supérieure de Fontenay-Saint-Cloud et devenir agrégé de lettres classiques, ce qui est une des formations les plus conservatrices et traditionnelles qui soit.

Juste après elle adhère aux Verts, qui est un parti typique des centre-villes, en 1999. Dès 2001 elle est membre du cabinet du ministre Verts Yves Cochet, qui s’occupe de l’environnement, ainsi que conseillère municipale dans l’ultra-chic cinquième arrondissement de Paris. En 2003, elle est membre du secrétariat exécutif et porte-parole des Verts-Paris, pour rejoindre du jour au lendemain, en 2006, l’équipe de campagne de Ségolène Royal qui se présente aux présidentielles de 2007.

Elle devient député de Moselle, porte-parole du courant de Ségolène Royal dans le Parti socialiste (« L’Espoir à gauche »), soutient François Hollande en 2011, rejoint son équipe de campagne, en devient le ministre de la culture et de la communication. C’est là un parcours classiquement opportuniste.


Aurélie Filipetti a pourtant une certaine aura à Gauche, en raison de son opposition à François Hollande : en 2014, elle refuse de participer au gouvernement de Manuel Valls et rejoint les députés dits « frondeurs ». Elle soutient dans la foulée Arnaud Montebourg aux primaires ouvertes lancées par le Parti socialiste, puis rejoint le vainqueur Benoît Hamon.

L’histoire s’arrête là ! Car dans la foulée, Aurélie Filipetti perd son mandat de député de la Moselle en 2017, ne recevant que 11,8 % des voix, ce qui est un échec complet pour quelqu’un revendiquant un ancrage historique social et culturel. Elle devient alors professeur à Sciences Po Paris, ce qui nous ramène dans la haute bourgeoisie, puis chroniqueuse pour l’émission On refait le monde de Marc-Olivier Fogiel sur RTL.


Preuve de cet ancrage dans la haute bourgeoisie et l’esprit bourgeois parisien, Aurélie Filipetti a accordé à l’occasion de la sortie de son roman une longue interview aux Inrockuptibles, une revue représentant pratiquement par essence la bourgeoisie parisienne friquée mais se voulant de gauche.

On y découvre que le roman est autobiographique, et qu’elle confond l’histoire de la Gauche avec son propre vécu. Elle n’hésite pas à assimiler sa propre individualité à la Gauche elle-même :

« C’est vrai que quelque chose s’est effondré. Depuis 2007, j’ai vécu dix ans dans le milieu parlementaire, et ça s’est joué là. Surtout ce qui s’est passé en 2017, où tout ce que représentait le socle du fonctionnement du monde politique traditionnel a tout à coup volé en éclats.

Ce n’est pas une révolution, car au fond on assiste au retour du même. Malgré tout, les partis se sont autodétruits de l’intérieur et très rapidement, très brutalement, sans que cela soit prévisible. Qu’est-ce qui fait qu’un monde qu’on croyait très solide disparaît aussi rapidement ?

Bref, j’ai vu l’effondrement d’un certain idéal, d’où le titre [de son roman sortant aujourd’hui]. Mon premier roman s’intitulait Les Derniers Jours de la classe ouvrière, celui-ci c’est un peu « Les Derniers Jours de la classe politique » (sourire).

J’ai vu l’effondrement des usines sidérurgiques de Lorraine, et plus tard, la gauche y a fermé les derniers fours alors que j’étais au gouvernement, ce qui est d’une terrible ironie pour moi. »

Aurélie Filipetti a tellement fait de son parcours un fétiche qu’elle ne conçoit pas que la Gauche a existé avant elle, que sa base est la classe ouvrière qui, d’ailleurs, selon elle, n’existe plus. Pour elle, la Gauche, ce sont des gens ayant fait de hautes études devant participer aux institutions dans un esprit social, sans se faire corrompre.

D’où ses vains reproches à François Hollande comme quoi il serait fasciné par la haute bourgeoisie, ou encore sa critique des grandes écoles permettant aux bourgeois d’intégrer l’appareil d’État. C’est à croire qu’Aurélie Filipetti ne sait pas que cela se passe ainsi depuis plus depuis la fin du 19e siècle et l’organisation moderne de l’État français !

Et quand l’interview se conclut par un appel à la libre-circulation des personnes, à un retour à l’esprit de la Révolution française, on ne peut que voir qu’Aurélie Filipetti a entièrement rompu avec la classe ouvrière.

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Politique

La lettre de Georges Marchais suite à l’expulsion des maliens du foyer de Vitry

Dans l’Humanité du 7 janvier 1981, le secrétaire général du Parti communiste français George Marchais publiait une lettre ouverte qui fera grand bruit et qui est encore régulièrement citée à notre époque. Il y parlait d’immigration, la présentant sous un regard particulièrement critique.

C’est un exemple montrant comment le PCF a changé depuis, s’éloignant toujours plus de sa base ouvrière. Aujourd’hui, il a adopté la même position que l’Église catholique ou que les anarchistes au sujet des migrations.

En 1980, cela n’était bien sûr pas le cas. C’est que, malgré sa perspective nouvelle allant dans le sens de la soumission à François Mitterrand pour le « leadership » à Gauche, le PCF possédait encore une base ouvrière très forte. Il avait de nombreux liens avec la tradition historique du mouvement ouvrier, l’empêchant de se précipiter dans l’acceptation des phénomènes propres au capitalisme.

La lettre ouverte de George Marchais était une réponse au Recteur de la Mosquée de Paris, qui accusait, avec d’autres, le PCF de racisme.

Cela faisait suite à la fameuse expulsion de Maliens d’un foyer de Vitry-sur-Seine, en banlieue parisienne, deux semaines plus tôt. Il était évident à l’époque que la bourgeoisie manœuvrait pour concentrer un nombre important d’immigrés dans les quartiers ouvriers. Les municipalités communistes étaient particulièrement ciblées et entendaient ne pas se laisser faire.

Dans ce contexte, l’installation en catimini des Maliens au moment des fêtes de Noël avait été vécu comme une provocation insupportable. Ce qui s’était passé est simple : des militants communistes de la ville sont aller déloger de manière virulente les migrants, en leur expliquant qu’ils ne pouvaient pas décemment occuper un lieu qui ne leur était pas destiné.

Car, et cela a son importance, ces derniers venaient de Saint-Maur, qui était du point de vue des ouvriers de Vitry, une ville bourgeoise qui se débarrassait de « ses » Maliens. George Marchais expliqua ensuite dans sa lettre ouverte que le foyer de Vitry était en rénovation et que le mairie le destinait à des travailleurs français.

Le journal communiste local Le Travailleur présentait les choses ainsi :

« Les manifestants étaient là non seulement pour crier leur colère, mais pour mettre devant leurs responsabilités le préfet et le maire de Saint-Maur. Ainsi, avec un bulldozer, ils condamnèrent les grilles du foyer, qui n’auraient jamais dû être ouvertes ; l’eau, le gaz, l’électricité furent coupés… Guy Poussy, notamment, s’est adressé à eux (les Maliens), malgré l’hostilité violente du chef de tribu, pour les appeler à faire preuve de dignité : ‘Vous ne pouvez accepter de prendre des logements qui étaient réservés à de jeunes travailleurs français. Vous êtes de Saint-Maur. Vous devez donc agir avec nous pour être relogés à Saint-Maur. Vous n’avez pas d’autre choix’. »

La manipulation des autorités était donc grossière, et visait directement à diviser le peuple par le racisme, tout en utilisant les migrants pour affaiblir la classe ouvrière française.

Quarante ans après, il est évident que cela a en grande partie fonctionné. La fameuse banlieue rouge ceinturant Paris a été cassé. Il en est de même pour beaucoup de villes françaises où les cités HLM sorties de terre étaient ou étaient en train de devenir des bastions de la classe ouvrière.

Le Parti communiste ne faisait que se défendre, il avait bien vu que la bourgeoisie fabriquait sciemment des ghettos et que les traditions de la classe ouvrière étaient visées.

Cela a en grande partie contribué à l’effondrement du PCF, qui est passé en moins de vingt ans de la plus grande force de gauche, à plus grand chose.

La question de l’immigration a marqué un tournant dans les traditions de la Gauche française. Cette dernière a de plus en plus fait directement le jeu du capitalisme en soutenant ouvertement l’immigration, au prétexte de soutenir les travailleurs immigrés et lutter contre le racisme.

Cela n’a pas commencé en 1980-1981, mais justement cet épisode de Vitry, puis la lettre ouverte de George Marchais, ont marqué un tournant. Cela a permis d’unifier une grande partie de la Gauche et de l’extrême-gauche autour de la critique du PCF et de la défense unilatérale et libérale de l’immigration.

La Gauche a alors cessé d’être de gauche, pour être de plus en plus libérale sur le plan des valeurs, abandonnant toujours plus la classe ouvrière et les petites gens sur les questions économiques.

Le résultat à notre époque est simple. La sociale-démocratie a pris le chemin du capitalisme le plus assumé, avec des personnalités au pouvoir comme François Mitterrand, Lionel Jospin, puis François Hollande.

Les dirigeants des forces historiques de la Gauche qui n’assument pas aussi ouvertement le capitalisme, mais ne le refusent pas pour autant, sont surtout des postmodernes et postindustriels n’ayant pas grand chose à voire avec le socialisme et la classe ouvrière.

Le thème de l’immigration est pour eux un moyen de se prétendre social, tout en refusant de se tourner vers la classe ouvrière. Cela est bien sûr le cas aussi au PCF, avec une figure comme Ian Brossat comme chef de file aux prochaines élections.

La question des réfugiés est alors prise en otage de manière odieuse par ces gens qui mélangent tout et n’importe quoi, prétextant que n’importe quel jeune homme abandonnant son village dans l’espoir d’un avenir meilleur en France serait à mettre sur le même plan qu’une personne fuyant son pays dans lequel elle est persécutée pour ses idées.

De manière coloniale, ils se moquent littéralement du fait que l’immigration, et en l’occurrence, l’émigration, a contribué et contribue encore largement à maintenir des pays dans le sous-développement et la dépendance face aux grandes puissances.

Cela ne les intéresse pas de voir que l’immigration est utilisé par la bourgeoisie pour servir le capitalisme et casser les traditions ouvrières.

Cette lettre ouverte de George Marchais, malgré tout ce qu’on pourrait lui reprocher sur le plan culturel et sur le plan idéologique, a donc le mérite de rappeler des principes essentiels de la Gauche.

C’est un document très intéressant à connaître dans son intégralité, et pas simplement par des citations souvent tronquées et manipulées, dans un sens ou dans un autre.

« Monsieur le Recteur,

Vous m’avez envoyé un télégramme me demandant de condamner le maire communiste de Vitry et mettant en cause la politique de mon parti sur l’immigration. Ce message a été rendu public avant même que j’ai pu en prendre connaissance. C’est pourquoi je vous adresse cette lettre ouverte.

Tenant compte de la charge que vous occupez, je tiens d’abord à vous confirmer ma position, celle de mon parti, sur la religion. Je respecte, nous respectons la religion musulmane à l’égal de toutes les autres. Je sais que des centaines de milliers de travailleurs de mon pays professent l’Islam, qui est l’une des branches vivantes sur l’arbre millénaire de la civilisation.

Je me fais une règle de ne jamais intervenir dans des questions religieuses qui relèvent de la seule conscience des personnes ou des communautés. C’est donc seulement parce que vous avez adopté une position politique sur une question qui nous concerne que je prends la liberté de vous envoyer aujourd’hui, cette mise au point.

L’idéal communiste est effectivement opposé, comme vous voulez bien le reconnaître, à toute discrimination raciale ou religieuse.

Nous pensons que tous les travailleurs sont frères, indépendamment du pays où ils sont nés, de la couleur de leur peau, des croyances, de la culture, des valeurs ou des coutumes auxquelles ils sont attachés. Qu’ils s’appellent Mohamed, Kemal ou Jacques, Moussa, Mody ou Pierre, tous ont un droit égal à la vie, à la dignité, à la liberté.

Nous nous appliquons à nous-mêmes cette loi d’égalité. Tous les travailleurs immigrés, musulmans ou non, membres du Parti communiste français, ont dans ce parti les mêmes droits et mêmes devoirs que leurs camarades français.

Nul plus que nous en France n’a combattu le colonialisme. Pour ne parler que du Maghreb, dès la fondation de notre parti, nous luttions contre la guerre du Rif. Et, plus récemment, nous avons milité pour la constitution du Maroc et de la Tunisise en États indépendants ; nous nous sommes opposés à la guerre menée contre le peuple algérien par les capitalistes français et leurs politiciens, avec la férocité de leurs tortures, de leurs camps, de leurs massacres, de leurs dévastations.

Aujourd’hui, je m’honore d’entretenir de bonnes relations avec les dirigeants du mouvement de libération nationale. Je me suis rendu plusieurs fois en Algérie. J’ai parcouru l’Afrique. Et j’ai l’intention de développer encore cette action.

Je me suis particulièrement réjoui d’avoir contribué, l’été dernier, au nom du Comité de défense des libertés et des droits de l’homme, à la libération d’Abderrazak Ghorbal, le dirigeant syndicaliste tunisien. Avec ce comité, j’espère bien finir par obtenir justice pour Moussa Konaté, travailleur malien persécuté par l’arbitraire policier de M. Giscard d’Estaing.

En France même, c’est la CGT et nous qui combattons énergiquement la politique des patrons et du gouvernement, la surexploitation, les atteintes à la dignité, les brimades et les discriminations odieuses qui frappent les travailleurs immigrés. Nous le ferons toujours. C’est ce que j’ai réaffirmé, en juillet 1980, en m’adressant aux travailleurs immigrés de l’usine Renault à Flins.

Au vu de ces réalités, puis-je vous rappeler cette belle parole : « le feu de l’hospitalité luit pour le voyageur qui distingue la flamme » ?

Pour la clarté, sur le sujet dont parle votre télégramme, il me faut en premier lieu rétablir la vérité des événements.

Votre message fait état d’une « décision précipitée et irréfléchie » que le maire communiste de Vitry aurait prise à l’encontre de travailleurs immigrés maliens. Voilà une condamnation bien hâtive. De fait, l’histoire réelle est inverse. C’est un dimanche, avant-veille de fête, au moment même où les communistes étaient réunis au Bourget pour le soixantième anniversaire de leur parti, qu’un autre maire — non pas communiste, mais giscardien celui-là — a déclenché l’affaire en prenant la révoltante décision de chasser les immigrés maliens de sa ville de Saint-Maur et de les refouler clandestinement sur Vitry.

Pour parvenir à ses fins, cet individu n’a pas hésité à faire forcer — à l’insu du maire de Vitry et sans accord de la commission de sécurité — les issues murées d’un foyer au sujet duquel les négociations étaient officiellement engagées en vue d’y loger de jeunes travailleurs français.

Permettez-moi de vous le dire : comment se fait-il que vous n’ayez pas pris position contre le maire de Saint-Maur ? Je n’ose croire que c’est parce qu’il est un ami intime du président de la République française, qu’il a reçu deux fois en trois ans dans sa mairie. Il me faut bien constater toutefois, avec étonnement, que vous avez été plus prompt à organiser une manifestation contre un maire communiste qu’à prendre à partie les responsables des souffrances des immigrés en France, MM. Giscard d’Estaing, Stoléru ou le président du CNPF.

Aux côtés de la droite et de l’extrême-droite, avec les dirigeants socialistes, la CFDT, la FEN et des groupuscules, vous vous trouvez, je le déplore, au cœur d’une opération politicienne anticommuniste qui prend les immigrés comme prétexte et ne peut en définitive que leur nuire.

Je vous déclare nettement : oui, la vérité des faits me conduit à approuver, sans réserve, la riposte de mon ami Paul Mercieca, maire de Vitry, à l’agression raciste du maire giscardien de Saint-Maur. Plus généralement, j’approuve son refus de laisser s’accroître dans sa commune le nombre, déjà élevé, de travailleurs immigrés.

Cette approbation ne contredit pas l’idéal communiste. Au contraire.

La présence en France de près de quatre millions et demi de travailleurs immigrés et de membres de leurs familles, la poursuite de l’immigration posent aujourd’hui de graves problèmes.

Il faut les regarder en face et prendre rapidement les mesures indispensables. Ce qui nous guide, c’est la communauté d’intérêts, la solidarité des travailleurs français et des travailleurs immigrés. Tout le contraire de la haine et de la rupture.

Certains — qui défendent par ailleurs le droit de vivre au pays pour les Bretons ou les Occitans — prétendent que l’immigration massive de travailleurs est une nécessité, voire un bienfait du monde contemporain. Non, c’est une conséquence du régime capitaliste, de l’impérialisme.

Des millions d’hommes sont contraints au cruel exil en terre étrangère, loin de leur ciel et de leur peuple, parce qu’ils n’ont pas de travail chez eux. Dans beaucoup de leurs pays la colonisation, le développement inégal propre au capitalisme ont laissé des traces profondes ; même dans ceux d’entre eux qui s’engagent sur la voie d’un développement socialiste elles peuvent subsister pendant de nombreuses années.

Ou bien encore les capitalistes qui dominent certains pays exportateurs de main-d’œuvre ne veulent pas ou ne peuvent pas résoudre les problèmes économiques et sociaux de leurs peuples et préfèrent tirer des profits immédiats de l’immigration, tout en affaiblissant par ces départs la classe ouvrière ; ainsi au Portugal ou en Turquie, malgré la lutte des forces les plus conscientes.

Quant aux patrons et au gouvernement français, ils recourent à l’immigration massive, comme on pratiquait autrefois la traite des Noirs, pour se procurer une main-d’œuvre d’esclaves modernes, surexploitée et sous-payée. Cette main d’œuvre leur permet de réaliser des profits plus gros et d’exercer une pression plus forte sur les salaires, les conditions de travail et de vie, les droits de l’ensemble des travailleurs de France, immigrés ou non.

Cette politique est contraire tant aux intérêts des travailleurs immigrés et de la plupart de leurs nations d’origine qu’aux intérêts des travailleurs français et de la France. Dans la crise actuelle, elle constitue pour les patrons et le gouvernement un moyen d’aggraver le chômage, les bas salaires, les mauvaises conditions de travail, la répression contre tous les travailleurs, aussi bien immigrés que français.

C’est pourquoi nous disons : il faut arrêter l’immigration, sous peine de jeter de nouveaux travailleurs au chômage. À cet égard MM. Giscard d’Estaing et Stoléru font le contraire de ce qu’ils disent : ils contribuent à l’entrée clandestine organisée de travailleurs dépourvus de droits et soumis à une exploitation honteuse et inhumaine.

Je précise bien : il faut stopper l’immigration officielle et clandestine, mais non chasser par la force les travailleurs immigrés déjà présents en France, comme l’a fait le chancelier Helmut Schmidt en Allemagne fédérale.

Nous disons également : il faut donner aux travailleurs immigrés les mêmes droits sociaux qu’à leurs camarades français. Nos propositions en ce sens sont les plus avancées qui soient.

Et nous disons encore : il faut instituer un nouvel ordre économique et politique mondial.

Il faut une coopération fondée non sur les exigences de profits des trusts et sur des conceptions colonialistes, mais sur des rapports équitables correspondant en priorité aux besoins d’emploi et de développement de la France et des peuples du tiers monde. Cette question, vous ne pouvez l’ignorer, me tient particulièrement à cœur.

En même temps et dans le même esprit nous disons : il faut résoudre d’importants problèmes posés dans la vie locale française par l’immigration.

En effet, M. Giscard d’Estaing et les patrons refusent les immigrés dans de nombreuses communes ou les en rejettent pour les concentrer dans certaines villes, et surtout dans les villes dirigées par les communistes. Ainsi se trouvent entassés dans ce qu’il faut bien appeler des ghettos, des travailleurs et des familles aux traditions, aux langues, aux façons de vivre différentes.

Cela crée des tensions, et parfois des heurts entre immigrés des divers pays. Cela rend difficiles leurs relations avec les Français.

Quand la concentration devient très importante — ce qui n’a rien à voir, soit dit au passage, avec la notion non scientifique et raciste d’un prétendu « seuil de tolérance » dont nous ne parlons jamais — la crise du logement s’aggrave ; les HLM font cruellement défaut et de nombreuses familles françaises ne peuvent y accéder. Les charges d’aide sociale nécessaire pour les familles immigrées plongées dans la misère deviennent insupportables pour les budgets des communes peuplées d’ouvriers et d’employés.

L’enseignement est incapable de faire face et les retards scolaires augmentent chez les enfants, tant immigrés que français. Les dépenses de santé s’élèvent.

Les élus communistes, dans le cadre de leurs droits et de leurs moyens, multiplient les efforts pour résoudre ces problèmes difficiles au bénéfice de tous. Mais la cote d’alerte est atteinte : il n’est plus possible de trouver des solutions suffisantes si on ne met pas fin à la situation intolérable que la politique raciste du patronat et du gouvernement a créée.

C’est pourquoi nous exigeons une répartition équitable des travailleurs immigrés entre toutes les communes.

Parler à ce propos d’électoralisme, c’est nous faire injure. Notre position ne date pas d’aujourd’hui. Dès octobre 1969, quand j’étais chargé de l’immigration à la direction du Parti communiste français, les maires communistes de la région parisienne et les élus communistes de Paris ont adopté, sur ma proposition, une déclaration dénonçant la concentration des travailleurs immigrés dans certaines villes et demandant une répartition équilibrée.

Si elles avaient été appliquées par le pouvoir, ces mesures, pour lesquelles nous n’avons cessé de lutter, auraient permis d’éviter les difficultés actuelles.

Encore un mot sur le racisme. Rien ne nous est plus étranger que ce préjugé antiscientifique, inhumain, immoral. Non, il n’existe pas de races d’élite et de races inférieures.

Ne partagez-vous pas l’indignation qui me soulève quand je considère les activités malfaisantes des passeurs, des trafiquants, des marchands de sommeil qui entassent des immigrés dans des conditions violant toutes les règles d’hygiène, de sécurité, de voisinage et que M. Stoléru laisse agir sans entraves comme les négriers d’autrefois ? Ce sont des délinquants qu’il faut réprimer.

Et n’éprouvez-vous pas le même dégoût que moi à la lecture d’une « petite annonce » comme celle que le journal «Libération» publiait récemment sous le titre : « Immigrés sex service », et que la décence m’interdit de reproduire ? Comme j’aimerais que nous soyons, chacun au nom de notre idéal respectif, du même côté contre des gens capables de bassesses aussi abominables, et, j’ose le dire, d’une telle barbarie !

Tout ce que la morale humaine réprouve avec force, l’inégalité, l’injustice, le mépris, la cruauté, nous le repoussons, nous le combattons. C’est pourquoi, dans les entreprises et les cités, nous invitons les travailleurs immigrés et français non pas à se combattre entre eux, mais à unir leurs forces contre leurs vrais ennemis communs, les exploiteurs et ceux qui les servent.

Nous les appelons à tracer ensemble le sillon, à l’élargir sans cesse, pour libérer tous les hommes et toutes les femmes de la servitude et de la haine. C’est le sens de notre lutte pour la justice. De très nombreux prolétaires musulmans la comprennent et la soutiennent.

Veuillez agréer, Monsieur le Recteur, mes salutations.

Georges Marchais. »