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La vision du monde du PCF pour son centenaire: la base

La base du PCF vit séparée de ce qui se passe au niveau de la direction ; elle est nostalgique d’une socialisation de masses.

Il existe un grand décalage entre la base du PCF et les cadres. Ces derniers ont un véritable bagage idéologique, une vison du monde bien déterminée, se fondant sur une accumulation commencée dans les années 1960. La base ne comprend rien à tout cela et ne s’y intéresse pas.

La base du PCF, ce sont les restes d’une immense socialisation de masse, car en plus du PCF, il y avait toutes les structures liées à la vie quotidienne. Cellules d’entreprises, Confédération nationale des locataires, Union des femmes françaises, Mouvement de la paix, Fédération sportive et gymnique du travail, Union des étudiants communistes, UNEF, Secours populaire français, vente de l’Huma dimanche, Fête de l’Humanité, les municipalités, les comités d’entreprise, etc.

Pour des centaines de milliers de gens, le PCF a été le moyen de rencontrer son conjoint, ses amis, de partir en vacances, de se cultiver.

Pour les cadres, le PCF du passé mène jusqu’à eux, c’est-à-dire des intellectuels proposant une voie démocratique pour avancer au communisme ; pour la base, le PCF c’est un passé glorieux d’une socialisation de masses.

Cela n’a rien à voir. Par conséquent les cadres n’essaient pas de former la base, seulement de la conserver. Voici un excellent exemple avec les propos de Fabien Roussel, l’actuel dirigeant du PCF. Ses propos sont outrancièrement populistes, avec même une faute au mot « rênes » ; on est à mille lieux de la prose savamment construite et élaborée dans les publications pour les cadres.

On a ici quelque chose d’assez exemplaire d’une cassure entre les cadres et la base qui, si on y regarde bien, contient à l’arrière-plan une problématique tout à fait particulière. Lorsque se fondent les partis communistes dans les années 1920, l’Internationale Communiste avec Lénine leur dit : vous devez être composés de cadres efficaces, vous devez être un parti de masses. Mais comment être à la fois l’un et l’autre ? C’était un véritable casse-tête.

Pour le PCF, c’était encore plus vrai, car il y a eu trois moments le transformant totalement sur le plan numérique. Le premier, ce fut le mouvement antifasciste de février 1934 conduisant au Front populaire. Le PCF passa alors en quelques années d’un peu plus de 30 000 membres à plus de 230 000 !

En 1939 le PCF est interdit, il est littéralement broyé par la répression, il se reconstruit sur le tas pendant la Résistance et en 1946 il resurgit tel le phénix avec 800 000 membres ! Retombé ensuite à 250 000 membres, il profite paradoxalement de mai 1968 auquel il s’est opposé, pour atteindre 500 000 membres en 1977 !

On se doute que de telles transformations numériques exigeaient un énorme travail de formation, que le PCF n’a pas mené et il s’est produit une cassure entre les intellectuels et les manuels pour ainsi dire. Les uns pensaient, les autres faisaient. Et en décembre 2020, du côté de la base du PCF, cela donne donc ça : du kitsch culturellement rétrograde, dans un esprit nostalgique…

Rappelons… qu’on est ici dans le Pas-de-Calais, où l’alcool tue deux fois plus que la moyenne nationale ! Qu’historiquement le mouvement ouvrier met de côté l’alcool. Que dans les Hauts-de-France la jeunesse boit plus d’alcool qu’au niveau national. Bref c’est vraiment la faillite à tous les niveaux.

Mais c’est que la base du PCF n’est pas politique, elle est nostalgique d’une socialisation. C’est d’ailleurs le sens de la Fête de l’Huma, où on se retrouve entre « camarades » pour se goinfrer et picoler. La base du PCF est de culture syndicale, elle hyper-réactionnaire culturellement. Le PCF a été un bastion pro-chasseurs pour bloquer la tentative d’un référendum sur les animaux en septembre-octobre 2020. Cet exemple parisien en dira long aussi :

Le PCF en décembre 2020 fait ainsi face à un problème majeur. La cassure entre les cadres et la base est complète. Il n’y a rien à voir entre un Ian Brossat, élu parisien au style bourgeois assumé, et un adhérent de base basculé dans la beauferie mais s’arc-aboutant sur une socialisation passée glorieuse. Les tensions ne peuvent que devenir explosives et c’est pour cela que Fabien Roussel promet une candidature PCF pour 2022 : afin de neutraliser la base. S’il y parvient ou pas, cela va dépendre des sympathisants du PCF, qui vont faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre.

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La vision du monde du PCF pour son centenaire: les cadres

Le PCF a plusieurs visages et ici est présentée la vision du monde de ses cadres.

Il existe trois PCF aujourd’hui, dont les contours sont très délimités. Le premier PCF, c’est celui des cadres et de la direction. Ils ont une véritable vie intellectuelle, une véritable identité culturelle, avec souvent une trajectoire familiale. Ils ont leur manière bien à eux de voir les choses. Le second PCF consiste en la base, qui a une lecture romantique des choses ; le troisième tient en les sympathisants et tout ce qui s’y rattache, avec bien entendu la fête annuelle de l’Humanité comme cadre unitaire.

Voici un exemple du point de vue des cadres, qui surprendra sans doute beaucoup de monde, puisqu’il y a une dénonciation ouverte du capitalisme. Quand on pense au PCF, bien souvent, on a en tête une logique gouvernementale de conquêtes des droits sociaux, on pense aux élus, on le voit comme une sorte d’aile gauche du Parti socialiste et d’ailleurs il y a depuis plusieurs années le serpent de mer du congrès de Tours « à l’envers ».

C’est bien plus compliqué que cela comme le montre « Agir », une tentative récente d’inscrire les communistes dans une perspective par rapport aux entreprises. On y voit en effet qu’il est parlé d’affrontement de classe, de remise en cause du capitalisme et de son dépassement, tout un discours que le PCF n’a absolument nulle part… à part de manière interne.

Ce qu’il faut comprendre, c’est que le PCF est depuis les années 1960 – voire avant mais cela se discute davantage – le représentant politique de la CGT. C’est pour cela que dans la première page on lit des propos comme quoi il faut investir l’État et les entreprises, comme quoi la crise serait déjà là depuis plusieurs années. Il y a à l’arrière-plan la même conception que depuis les années 1960 comme quoi il serait possible de conquérir l’État pour permettre une démocratisation des entreprises en procédant à l’autogestion. Ayant cette perspective depuis plus de 50 ans, le PCF n’a donc pas été touché par l’effondrement du bloc de l’Est, parce qu’intellectuellement et culturellement, son centre de gravité c’est la CGT.

Deux revues expriment cette vision du monde et permettent de former des cadres. Il y a d’un côté Cause commune, qui aborde les questions politiques et sociales, il y a de l’autre Économie et politique, qui s’occupe comme son nom l’indique de l’économie, de l’économie politique. Dans les deux cas on est dans le monde universitaire, avec des intellectuels très propres sur eux (pour ne pas dire lisses), d’esprit post-marxiste et considérant que le communisme est une utopie qui vient s’installer d’elle-même si on s’y prend bien.

Ce premier PCF, on s’en doute, vit en vase clos. Il ne s’appuie pas politiquement sur le PCF du passé, qui tient pour lui seulement à des références à utiliser pour exister auprès de la base ; lui-même se considère comme un PCF prolongé, concrétisant le choix fait des les années 1960 de partir à la conquête de l’État, pour maîtriser l’économie et réaliser ainsi une « démocratie avancée ». Pour ce premier PCF, d’ailleurs, tout le passé n’aura eu qu’un seul sens : aboutir au PCF d’aujourd’hui. Ce premier PCF est pour cette raison extrêmement optimiste.

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Décès de Jaques Jurquet, fondateur du PCMLF

Jacques Jurquet a été une importante figure politique en France et une très importante figure politique de la Gauche. Il avait fondé et dirigé le Parti Communiste Marxiste-Léniniste de France, actif en mai 1968 et durant toutes les années 1970.

Jacques Jurquet et Chou-En-Lai lors d’une visite en Chine

Jaques Jurquet, né en avril 1922 et décédé en novembre 2020, avait fait partie du PCF dans les années 1960, où il a fini par soutenir les thèses dites « pro-chinoises ». Il a fait partie du noyau dur des « marxistes-léninistes » et est devenu à ce titre le dirigeant du Parti Communiste Marxiste-Léniniste de France (PCMLF), fondé en 1967. Le PCMLF, qui a toujours rejeté le qualificatif de « maoïste », s’opposait de manière virulente à l’UJCML et à la Gauche Prolétarienne qui correspondent quant à eux à ce qu’on a appelé en France les « maos ».

Le PCMLF entendait reformer le PCF, en restant dans la même perspective et sans en modifier culturellement ou idéologiquement les fondements. Il a obtenu un certain succès et fut tout au long des années suivant immédiatement 1968, devenant l’une des principales organisations de la gauche de la Gauche, avec plusieurs milliers de membres.

Jacques Jurquet

Son élan fut cependant brisé par étapes. Déjà, le PCMLF ne supporta pas vraiment le choc de mai 1968, car il fit partie des organisations interdites. Or, au lieu de simplement changer le nom car cette interdiction n’était que symbolique, il maintint une sorte de double organisation qui l’épuisa. Qui plus est, cette sorte de clandestinité relativement fictive poussa une partie des étudiants l’ayant rejoint après 1968 à le pourrir de l’intérieur et à provoquer une importante scission, donnant le Parti Communiste Révolutionnaire (marxiste-léniniste). Le PCMLF eut toutefois l’avantage d’avoir d’excellentes relations avec la Chine populaire de Mao Zedong et avec l’Albanie d’Enver Hoxha.

Ces excellentes relations se transformèrent cependant en catastrophe. La mort de Mao Zedong en 1976 amena en effet un retournement total de situation en Chine et il était hors de question de valoriser la révolution culturelle. Jacques Jurquet modifia ses propres écrits au sujet de mai 1968, gommant ainsi la révolution culturelle tout en devenant, jusqu’à sa mort, un ardent défenseur du « socialisme chinois ».

Ce courant qui considère encore la Chine comme socialiste, tout en se revendiquant de Mao Zedong, existe encore de manière marginal, notamment avec les Éditions Prolétariennes (il est à noter que cette tendance à voir la Chine comme socialiste est également réapparue dans des courants oppositionnels du PCF ces dernières années).

Le tournant chinois de 1976 affaiblit évidemment le PCMLF, qui dut également endurer une nouvelle scission, puisqu’une partie importante, à partir de sa base de Strasbourg, se tourna à la fin des années 1970 vers l’Albanie comme modèle. Il faut ici savoir qu’après la mort de Mao Zedong, l’Albanie d’Enver Hoxha, pourtant alliée auparavant à la Chine populaire, changea entièrement de ligne, expliquant que Mao Zedong n’avait été qu’un démocrate bourgeois. Elle fut très largement suivie par les « marxistes-léninistes » en Europe, notamment en France et en Espagne.

Ce courant pro-albanais du PCMLF donna naissance en 1979 au Parti Communiste des Ouvriers de France, qui existe encore (et dont l’un des membres fut Pierre, connu pour être présent dans pratiquement toutes les manifestations parisiennes pour vendre son petit journal « Drapeau rouge » et décédé en 2017 en tombant dans un escalier du métro en quittant justement une manifestation).

Le PCMLF avait de son côté assumé la légalité complète en 1978 en devenant le PCML, puis en 1985 le Parti pour une Alternative Communiste (PAC), qui disparut rapidement. Jacques Jurquet continua ses activités sociales et politiques à Marseille ; on trouvera sa biographie (détaillée mais formelle) sur le Maîtron en ligne.

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Dégradations visant la tombe de Karl Marx à Londres

La tombe de Karl Marx a connu deux séries de violentes dégradations, dans une optique violemment opposée à l’idée de socialisme. Si cela n’étonne pas en soi, cela rappelle que le rejet de la Gauche s’assume toujours plus ouvertement dans tous les pays, sous une forme très radicale appelant ni plus ni moins à sa liquidation.

La tombe de Karl Marx, avec une sorte de petit monument financé par le Parti Communiste de Grande-Bretagne et inauguré en 1956, se situe à Londres, où il a longtemps habité, ayant dû fuir l’Allemagne. Elle est dans un cimetière du nord de la ville, le Highgate cemetery ; le corps de Karl Marx y repose avec celui de sa femme Jenny, ainsi que trois autres membres de sa famille.

En 1975, une association a pris en charge le maintien de ce cimetière de 15 hectares et de 53 000 tombes, dont l’entrée à la section Est, avec la tombe de Karl Marx, est désormais payante pour financer les frais d’entretien, alors que la section ouest est fermée au public à part pour quelques visites guidées, formant une sorte de petit paradis pour la Nature qui y a repris ses droits.

La tombe de Karl Marx en est la plus marquante politiquement, bien entendu, et elle a connu plusieurs actes de dégradations, et même deux tentative d’attaques à l’explosif, en 1965 et en 1970. Deux récentes dégradations, une dans la première semaine de février 2019, une à la mi-février, ont marqué les esprits. La première a consisté en une attaque au marteau, la seconde en des slogans écrits à la peinture rouge : « doctrine de haine », « architecte de génocide, de terreur et d’oppression », « meurtre de masse », « idéologie de la famine », « mémorial à l’holocauste bolchevik 1917-1953 », « 66 000 000 de morts ».

Pour trouver une dénonciation aussi brutale dans son style, il faut se tourner vers l’Ukraine, où tout ce qui relève du socialisme de près ou de loin est criminalisé de manière virulente, alors que l’État polonais aimerait bien faire de même. Car on n’est pas ici dans un simple refus, ou bien une dénonciation, on est dans une dynamique violente visant la Gauche et cherchant à obtenir sa liquidation. L’anti-socialisme, l’anti-communisme, le rejet de tout ce qui relève de la Gauche historique est particulièrement virulent, et ce dans tous les pays.

Cela ne vient pas que de la Droite ; ainsi, si l’on regarde bien, ni le PS, ni le PCF, ni LFI, ni Génération-s ne se revendiquent de Karl Marx, voire même ne s’en sont jamais revendiqués ; au mieux le considèrent-ils aujourd’hui comme dépassé, mais utile pour l’inspiration. Ainsi, la Gauche française a en général une orientation favorable à Karl Marx dans une approche très romantique. Karl Marx n’est pas lu, mais il symbolise la « critique du capitalisme » ; on ne le lit pas – de toutes façons c’est trop long, trop « dogmatique » et puis l’économie politique c’est bon pour les Allemands, pas les Français – mais on a tout de même certains de ses livres.

Il y a là une certaine schizophrénie française, qui ne date pas d’hier puisque déjà la SFIO d’avant 1914 n’était pas une réelle social-démocratie, mais un conglomérat de courants divers et variés, ayant déjà cette lecture amour-haine de Karl Marx. Rien n’a bien changé depuis ce temps-là. Le problème est évidemment que Karl Marx, qu’on le lise ou pas, représente quelque chose de très puissant historiquement, au-delà de ses idées mêmes, puisqu’il est celui qui a mis en place la première Internationale dans sa forme socialiste.

Les anarchistes ont publié une liste sans fin d’ouvrages dénonçant ce « coup de force » de Karl Marx, exprimant une nostalgie pour l’époque où l’anarchisme aurait pu, aurait dû prendre les commandes du mouvement ouvrier. Mais à part eux en France, personne ne s’intéresse à cette question, qui fait pourtant de Karl Marx, comme le montrent les dégradations, la première grande figure historique du socialisme, du mouvement ouvrier social-démocrate.

Cela signifie que la Gauche française ne pourra pas faire l’économie d’un choix à ce sujet ; il faudra bien qu’elle assume Karl Marx ou non, mais elle ne pourra pas éternellement contourner cette question. Rien que la question « les ouvriers sont-ils exploités dans le capitalisme ? » exige une réponse, qui ne peut être que positive ou négative, sans nuances. Soit la théorie de la « plus-value » de Karl Marx est juste, soit elle est fausse.

Et cette question ne sera pas, vue la situation, posée par la Gauche ; elle sera posée par la Droite, qui voudra aller toujours plus loin et exiger toujours plus de « renoncement » de la part de la Gauche. Un jour il sera demandé franchement l’anti-socialisme, l’anti-communisme. C’est absolument inévitable. Il ne faut d’ailleurs pas se voiler la face et beaucoup de gens dans le PS, le PCF, aimeraient bien se débarrasser des termes socialiste et communiste. Génération-s et la France Insoumise l’ont déjà fait et ce n’est pas pour rien.

La protection du patrimoine historique du mouvement ouvrier prendra ainsi inéluctablement dans un certain temps une tournure brutale, posant d’immenses problèmes à Gauche, mais, espérons-le, traçant également des perspectives plus claires.

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Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht, assassinés il y a cent ans

Il y a cent ans, le 15 janvier 1919, Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht étaient tués en raison de leur rôle de dirigeants dans la révolution spartakiste en Allemagne. Le fait que les socialistes soient à la tête de la répression d’un insurrection de socialistes devenus communistes allait avoir des conséquences historiques dramatiques en Allemagne.

Karl Liebknecht, Rosa Luxembourg

Rosa Luxembourg est une figure relativement connue en France, et souvent très appréciée par les gens de Gauche. Ils y voient une figure historique de premier ordre, avec il est vrai souvent beaucoup de romantisme. Ils négligent souvent le fait qu’elle a été une des principales figures du mouvement ouvrier allemand, en tant que l’une des dirigeantes de la social-démocratie.

Ce qu’on retient surtout d’elle, c’est son opposition à la guerre de 1914, puis son soutien à la révolution russe. On sait aussi qu’elle a formé un Parti Communiste « spartakiste » et que les événements ont été terribles pour elle, puisqu’elle a été assassinée par des regroupements paramilitaires d’extrême-droite, les corps-francs, sur ordre des socialistes à la tête de la république venant d’être fondée, Philipp Scheidemann, Friedrich Ebert, Gustav Noske.

Ce dernier est connu pour avoir déclaré, après avoir dirigé l’écrasement des spartakistes à Berlin :

« Il faut que quelqu’un fasse le chien sanguinaire : je n’ai pas peur des responsabilités. »

Rosa Luxembourg est donc un symbole d’engagement et de fidélité à ses idéaux, et c’est bien pour cela que les communistes ont voué une haine farouche à la direction du parti socialiste allemand, le SPD, qui d’ailleurs le lui rendait bien.

Le problème est que cette confrontation produisait le blocage de l’unité des socialistes et des communistes face à la menace fasciste. Les socialistes et les communistes connurent alors bien souvent les camps nazis, et ce n’est qu’à partir de 1935-1936 qu’un esprit d’unité réapparaît, du côté communiste d’abord. Cela ira jusqu’à la fusion des socialistes et des communistes en Allemagne de l’Est après 1945, les communistes se faisant rapidement interdire à l’ouest.

Il faut rappeler ici que la particularité des socialistes allemands (ou autrichiens) alors, était qu’ils assumaient de vouloir le socialisme tout autant que les communistes, qu’ils se revendiquaient encore du marxisme. De plus, les socialistes étaient encore soutenus par une large partie des ouvriers. C’était un débat à l’intérieur du mouvement ouvrier.

Et il y a beaucoup d’actualité, somme toute, dans cette problématique, ce conflit entre les pragmatiques ou « réalistes » d’un côté, les purs et les durs de l’autre, qui se veulent tout aussi réalistes d’ailleurs. Il est vrai que François Hollande n’a pas écrasé d’insurrection et que Benoît Hamon n’est pas Rosa Luxembourg, et que si on a beaucoup de gens pragmatiques à gauche (quand ils ne sont pas passés chez Emmanuel Macron), on a peu de révolutionnaires.

Toutefois, la question de l’unité de la Gauche dans son ensemble est la même que de par le passé. Comment concilier la Gauche disant qu’il faut influer sur les mesures gouvernementales et la Gauche disant que sans affrontement rien n’est possible ? On connaît la réponse de Jean Jaurès : dire oui à tout, quitte à faire semblant. François Mitterrand a fait de même. Le résultat a toujours été l’amertume et l’effondrement de la Gauche face aux valeurs hégémoniques de la Droite.

On peut dire qu’une telle conciliation n’est pas possible dans le cadre d’un capitalisme disposant d’un État très fort, car dans ce cas-là, la récupération par le système est inéluctable. La fusion des socialistes et communistes après 1945 en Allemagne, ainsi que dans d’autres pays, n’a pu avoir lieu que parce que l’État s’était effondré, il fallait repartir sur une base saine. Or, quand il y a le capitalisme et qu’il y a un État à son service, rien n’est sain, naturellement.

Mais quand le capitalisme connaît une crise au point qu’il est terriblement agressif, que l’État à son service devient Fascisme, alors là il y a une ouverture pour l’unité générale de la Gauche. Ce serait cependant terrible de dire qu’il faille une telle expérience pour en arriver là, surtout que l’Histoire a déjà enseigné cela. Mais malheureusement, la Gauche française est si peu structurée, si faible, que les leçons risquent d’être à réapprendre…

Rosa Luxembourg

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Eugen Heilig – rassemblement illégal du Parti Communiste d’Allemagne, Berlin, 1932

Eugen Heilig est méconnu en France, il est pourtant un personnage important pour l’histoire de la photographie et l’histoire du mouvement ouvrier en général. Cette photographie en est un témoignage subtil.

Eugen Heilig

Sobrement titrée « rassemblement illégal du Parti Communiste d’Allemagne, Berlin, 1932. », la photographie n’est pas spectaculaire. Il émane néanmoins de cette foule une tension dramatique et même une certaine gravité. Cette sensation, le spectateur la doit à la qualité du travail de Heilig.

La composition est soignée. Si bien que, en dépit du fait que le cliché fût pris sur le vif, on peut affirmer qu’il n’y eut que peu de place pour la spontanéité lors de la prise de vue.

Ainsi, l’immeuble faisant face au spectateur est strictement parallèle au plan-film. Cela donne une rectitude parfaite à l’ensemble. Les bâtiments situés sur la partie droite de l’image forment une répétition de motifs et guident le regard vers le centre de l’image. Cet effet de recentrement est accentué par la ligne diagonale formée par les corniches de ces mêmes-immeubles. Le cadrage est pensé pour amener de la lisibilité à une scène qui pourrait sans cela paraître chaotique.

Le dispositif de prise de vue, à tout le moins le boîtier photographique, est tourné comme on l’a dit à l’exacte perpendiculaire du bâtiment d’en face. Il est disposé de manière à surplomber la foule. L’objectif est placé précisément à la hauteur de la tête du tribun. L’image de son corps ne souffre ainsi d’aucune déformation. Une grande profondeur de champ permet de percevoir un grand nombre de détails.

Mais alors, si la prise de vue bénéficie d’un tel soin, pourquoi le personnage central -et avec lui presque tout le premier plan- nous tournent-ils le dos ?

Eugen Heilig

La réponse à cette question est à rechercher en dehors des considérations formelles ou techniques.

Le rassemblement photographié est politique, ces gens sont communistes. Le titre nous l’indique. Les drapeaux situés à l’arrière plan et le poing serré levé au dessus de l’épaule du tribun le confirment.

Or, la prise de vue date de 1932, à la belle saison à en juger par les tenues légères des personnages et le feuillage des arbres.

Cette période est celle d’une agitation intense en Allemagne. En particulier à Berlin où, à côté des sociaux-démocrates du SPD qui ont choisi de s’organiser à part, et contre les nazis du NSDAP, les communistes du KPD livrent un combat résolu. Les communistes subissent la répression de la part des pouvoirs publics du fait des grèves et des agitations de rue qu’ils mènent. Le KPD créera cette année l’Antifascistische Aktion et s’imposera par les élections de juillet comme la troisième force politique du pays. Ne pas montrer les visages, c’est sûrement protéger des camarades contre le renseignement policier en cas de saisie des photographies.

Dans ce contexte de tension historique entre mouvements politiques antagonistes qui tiraillent la société et d’apprêté à déchirer l’ordre bourgeois, on comprend la gravité qui se lit sur les visages dans la foule. On est loin de l’enthousiasme du 14 juillet 1936 parisien de Willy Ronis

La bataille contre le fascisme et pour la création d’un état socialiste en Allemagne mobilise des volontaires dans tous les secteurs de la société. Eugen Heilig est membre du KPD depuis 1922.

Au delà de ses qualités techniques et artistiques, sa photographie doit permettre de comprendre les enjeux de l’époque. Aujourd’hui encore, elle fait le job. Cette image est un document précieux.

C’est que Eugen Heilig saisit l’importance du réalisme, non seulement en tant que recherche formelle comme pouvait le faire August Sander mais aussi comme démarche globale de production des oeuvres. Dans ce sens, il inscrit son travail dans le courant Arbeiterfotografie qui consiste dans la documentation photographique de la vie de la classe ouvrière. Depuis 1926, il édite dans ce sens la revue Der Arbeiter-Fotograf (le photographe ouvrier).

Dans le sillage des figures de proue de ce mouvement – dont Heilig est une des plus marquantes – ce sont bientôt des centaines d’ouvriers qui vont se grouper pour animer des clubs, dans toute la république de Weimar, exposant le point de vue de la classe ouvrière sur la société allemande.

Cette photographie est un parti pris artistique, politique et historique tout à la fois.

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La chanson « La jeune garde »

La chanson « La jeune garde » relève du patrimoine ouvrier français, avec ses qualités mais également ses grandes limites. Elle est encore connue, parfois, dans certains milieux ayant conservé une tradition relevant, il est vrai, plus du folklore qu’autre chose.

Elle est née en 1910 (ou en 1912 selon les sources) comme Chanson des jeunes gardes, avec un texte de Gaston Montéhus (en fait Gaston Mardochée Brunswick, 1872 – 1952) et un arrangement musical de Saint-Gilles (pseudonyme d’une personne morte en 1960).

Son succès repose sur la dynamique d’une opposition : d’un côté il s’agit d’une mise en garde aux ennemis de la Gauche, de l’autre d’un appel à former une jeunesse sur ses gardes.

Voici les paroles (le premier couplet manque dans la version ci-dessus).

Nous somm’s la jeune France
Nous somm’s les gars de l’avenir,
El’vés dans la souffrance, oui, nous saurons vaincre ou mourir ;
Nous travaillons pour la bonn’cause,
Pour délivrer le genre humain ,
Tant pis, si notre sang arrose
Les pavés sur notre chemin

[refrain] Prenez garde ! prenez garde !
Vous les sabreurs, les bourgeois, les gavés, et les curés
V’là la jeun’garde v’là la jeun’garde qui descend sur le pavé,
C’est la lutte final’ qui commence
C’est la revanche de tous les meurt de faim,
C’est la révolution qui s’avance,
C’est la bataille contre les coquins,
Prenez garde ! prenez garde !
V’là la jeun’garde !

Enfants de la misère,
De forc’ nous somm’s les révoltés,
Nous vengerons nos mères
Que des brigands ont exploitées ;
Nous ne voulons plus de famine
A qui travaille il faut des biens,
Demain nous prendrons les usines
Nous somm’s des homm’s et non des chiens

Nous n’ voulons plus de guerre
Car nous aimons l’humanité,
Tous les hommes sont nos frères
Nous clamons la fraternité,
La République universelle,
Tyrans et rois tous au tombeau !
Tant pis si la lutte est cruelle
Après la pluie le temps est beau.

On voit aisément le ton qui est, somme toute, très XIXe siècle, avec un fond culturel éminemment républicaniste et syndicaliste.

Utilisée d’ailleurs initialement par les jeunesses de la Section Française de l’Internationale Ouvrière (SFIO) avant la première guerre mondiale, elle devint pour cette raison, après le congrès de Tours de 1920, une chanson tant par des jeunesses liées au Parti Communiste – Section Française de l’Internationale Communiste que de celles liées à la « vieille maison ».

Sa période de gloire date d’ailleurs du Front populaire ; les communistes changeront cependant le « Nous sommes la jeune France » en « Nous sommes la jeune garde ».

Deux couplets s’ajoutèrent par la suite.

Quelles que soient vos livrées,
Tendez vous la main prolétaires.
Si vous fraternisez,
Vous serez maîtres de la terre.
Brisons le joug capitaliste,
Et bâtissons dans l’monde entier,
Les États-Unis Socialistes,
La seule patrie des opprimés.

Pour que le peuple bouge,
Nous descendrons sur les boulevards.
La jeune Garde Rouge
Fera trembler tous les richards !
Nous les enfants de Lénine
Par la faucille et le marteau
Et nous bâtirons sur vos ruines
Le communisme, ordre nouveau !

La chanson a toutefois relativement perdu sa valeur, se maintenant uniquement par un esprit folklorique qu’on peut librement trouver ridicule ou pathétique.

Voici ainsi une vidéo du Parti socialiste du Bas-Rhin lors du premier mai de 2009, puis une chorale à la fête de l’Humanité en 2016, et enfin la version la plus connue de la chanson, avec une image de Castro et Guevara qui ne doit pas étonner, puisque la chanson fut largement appréciée par les Jeunesses Communistes Révolutionnaires, dont le trotskisme se voulait également en quelque sorte guévarisme.

Vu comme cela, ça ne donne pas envie et cela révèle beaucoup de choses sur les faiblesses des traditions de la gauche française. Tout repose ici sur un symbolisme dont le manque de consistance est patent.

Il est à noter que la chanson a eu son importance en Espagne. Reprise par la Jeunesse Communiste, elle devint l’hymne des Juventudes Socialistas Unificadas après l’unification des jeunesses du Parti Communiste d’Espagne et du Parti Socialiste Ouvrier Espagnol en mars 1936.

Le texte est plus volontaire, puisque c’est « le bourgeois insatiable et cruel » qui est mis en garde, avec la fin de l’exploitation annoncée par l’appropriation des usines.

La chanson « La jeune garde » fait partie du patrimoine, mais le maintien de son existence en France reflète un fétichisme d’une affirmation purement symbolique de la lutte.