Le site Médiapart organisait hier soir un débat entre différentes forces liées à la Gauche suite aux élections européennes. La première moitié de l’émission était consacrée à la question de l’unité politique à Gauche et sa reconstruction ; en voici un long résumé, dans le but d’aider à analyser les choses.
Étaient invités Manon Aubry pour la France insoumise, Guillaume Balas pour Génération-s, Ian Brossat pour le PCF, David Cormand pour Europe écologie-Les verts et Raphaël Glucksmann pour Place publique (et indirectement, le Parti socialiste). Il y a eu environs un millier de personnes (Facebook + Youtube) suivant le débat en direct, qui est maintenant disponible ici.
Pour Manon Aubry, les débats sur la Gauche seraient trop « théoriques » et ne concernent pas les gens, ni elle-même, quoi qu’elle s’est contre-dite plus tard en expliquant qu’elle se sentait de gauche et que c’est important pour elle.
À l’inverse, David Cormand a tout de suite assumé la nécessité d’analyser les choses et de se poser la question du rassemblement des forces issues de la Gauche. Il pense cependant, lui aussi, que la Gauche est dépassée et qu’il faut redéfinir les choses. Le clivage se fait selon lui sur la question de l’écologie, parce qu’il ne faudrait plus des « imaginaires politiques héritiers du 20e siècle » mais un nouveau champ de bataille.
Pour les trois autres, Raphaël Glucksmann, Ian Brossat et Guillaume Balas, il faut au contraire assumer le terme de « Gauche » et aller à l’unité, contre le libéralisme et l’extrême-droite.
Il y a par contre une différence entre Raphaël Glucksmann qui considère que la Gauche a un vivier en France, qu’il faut ranimer, et Ian Brossat qui pense qu’il y a un risque imminent de disparition de la Gauche. Guillaume Balas dit pour sa part que la question est plus large que celle de la Gauche elle-même, avec un risque de disparition non pas simplement de la Gauche, mais de l’esprit même des Lumières et de la « société démocratique ».
Beaucoup de temps a été passé à reprocher à Jean-Luc Mélenchon d’avoir rejeté la Gauche après le premier tour à l’élection présidentielle de 2017. Le thème de l’hégémonie d’une force politique sur les autres a alors été longuement abordé.
Il a été introduit par David Cormand qui explique que Jean-Luc Mélenchon a voulu être hégémonique en exhortant les autres forces à le rejoindre unilatéralement, alors que ce n’est jamais ce qu’a fait le Parti socialiste historiquement. Il a fait la différence entre l’hégémonie politique et le leadership politique, qui sert à inculquer une dynamique de rassemblement sans écraser les autres forces.
C’est précisément ce qu’il propose de faire avec les Verts, avec une nouvelle organisation qui devrait être proposée bientôt. Il se tourne pour cela vers la Gauche, tout en expliquant qu’il ne suffit pas d’être la Gauche « amendée de l’écologie ».
C’est au contraire ce que dit Raphaël Glucksmann, qui pense justement qu’il faut réécrire le clivage Gauche / Droite par le prisme de l’écologie, mais en assumant ce clivage, cela d’autant plus que la Droite assume d’être de droite.
Guillaume Balas semblait plutôt d’accord avec David Cormand et cette idée qu’EELV avait en ce moment « la main » pour non-pas être hégémonique mais insuffler un leadership autour d’une nouvelle définition des choses, unitaire, autour de l’écologie.
Sur la question de l’unité elle-même entre les différentes forces liées à la Gauche, tous n’étaient pas d’accord. Si Raphaël Glucksmann semble être le plus « pragmatique » et a un discours tendant à dire qu’il faudrait rassembler depuis les Verts jusqu’à la France insoumise, tant Manon Aubry que les trois autres semblaient d’accord pour dire que ce n’est pas vraiment possible.
Ian Brossat reproche une certaine trahison de la part de Jean-Luc Mélenchon, Guillaume Balas a dit en quelque sorte qu’il avait très peu de points commun avec la France insoumise et David Cormand a expliqué dans le détail en quoi il pensait que Jean-Luc Mélenchon représentait un populisme.
Sur le plan idéologique, il a expliqué que pour lui ce populisme revient à céder à l’urgence en simplifiant les débats et que les raccourcis ne mènent jamais à rien de bon. Il faut au contraire assumer une sorte de romantisme politique, autrement dit de grandes idées, en remobilisant par l’imaginaire, en l’occurrence via l’écologie.
Sur le plan plus politique, et donc la question précise de l’unité, il a pointé du doigt le risque lié au fait que les stratégies hégémoniques fonctionnent dans un premier temps et permettent un gros score. Seulement, cela n’est pas suffisant pour prendre le pouvoir d’État et Guillaume Balas a rappelé que seul ce pouvoir est à même de changer les choses. Il sont d’accord tous les deux pour dire qu’il faut pour cela nécessairement des alliances.
David Cormand est très lucide sur la portée relative du « gros » score de Yannick Jadot et sur le fait que cela a été permis avec le même genre de stratégie « hégémonique » et presque populiste, rejetant la Gauche et la Droite, alors qu’il faudra pour prendre le pouvoir, faire des alliances et éviter le populisme.
Tant Ian Brossat que Guillaume Balas et Raphaël Glucksmann semblaient d’accord sur ces points, contrairement à Manon Aubry. Selon elle, la France insoumise serait déjà une stratégie d’alliance en elle-même, qu’il faudrait rejoindre et ne pas faire de politique « politicienne » entre les « appareils ».
Selon elle, quoi qu’on veuille, l’électorat est dépolitisé et il faudrait alors se faire une raison en assumant un discours dépolitisé – le populisme donc. Elle a également justifié son rejet des alliances par le fait que François Hollande avait trahi, et qu’il était impossible de se lier au Parti socialiste.
Raphaël Glucksmann a expliqué que ce n’était pas la question, et que d’ailleurs tous étaient d’accord pour dire que François Hollande avait en quelque sorte trahi la Gauche : il faudrait justement s’allier pour éviter cela, mais sur des bases claires et solides. Ils pointent tous les cinq du doigt le régime antidémocratique de la Ve République qui permet ce genre de revirement.
Raphaël Glucksmann pense également que la faiblesse de toutes les organisations est en fait une sorte de chance, qui permettrait de se mettre d’accord humblement pour aller à l’unité. Guillaume Balas a expliqué pour sa part que, s’il faut assumer les divergences, celles-ci sont relativement minimes et sans commune mesure avec les divergences qu’avaient le PCF et le PS à l’époque du programme commun.
On finira pour conclure sur ce qui n’a pas été dit : si tout le monde était d’accord, sauf Manon Aubry, sur la nécessité des alliances pour la Gauche, personne n’a parlé de la base, des bases militantes et culturelles de la Gauche, qui devraient selon nous être au cœur de la reconstruction de la Gauche.
Aucune de ces cinq personnes n’a assumé par contre la notion de Socialisme, ni même la lutte des classes ou la centralité de la classe ouvrière, pourtant essentielles dans la définition de la Gauche historiquement. Tous ces gens relèvent d’une manière ou d’une autre du post-modernisme et d’une Gauche post-industrielle, voir d’une post-Gauche dans les cas de Manon Aubry et de David Cormand. Si le libéralisme est rejeté économiquement par tous, il est assumé par tous sur le plan des valeurs et les questions sociétales, avec le thème de la défense de l’immigration comme totem commun, qui a fait l’objet d’une longue discussion par la suite.
Seul Raphaël Glucksmann a fait un rappel historique en disant que la Gauche, d’abord issue du républicanisme contre la monarchie, puis des radicaux contre les réactionnaires, a un héritage lié au Socialisme par l’apport de Karl Marx, mais sans assumer lui-même cet héritage lié au marxisme.