Catégories
Politique

Statue de Colbert: la provocation fasciste de la «Brigade antinégrophobie»

En taguant « négrophobie d’État » sur le socle de la statue de Jean-Baptiste Colbert devant l’Assemblée nationale et en la maculant de peinture rouge, la « Brigade antinégrophobie » sert de provocateur fasciste afin de détourner l’attention de la crise, alors que d’intenses luttes de classe se profilent.

Le capitalisme américain se casse la figure et on en a un reflet déformé, malsain, en France. Loin de représenter une africanité passée, les « anti-négrophobie » sont à la pointe de la modernité ethno-différentialiste, avec d’ailleurs une prétendue ethnie « noire » aussi absurde que le concept de « blanc ».

Les « anti-négrophobie » argument que Jean-Baptiste Colbert, ministre de Louis XIV, est à l’initiative de l’édit de mars 1685 pour la police des îles françaises d’Amérique, surnommé vulgairement le « code noir », qui précise le statut des esclaves dans les colonies françaises. Cependant, résumer Colbert à cela n’a strictement aucun sens, et d’ailleurs le colonialisme est propre à une époque, pas à une personne.

Il suffit de lire le début de l’édit :

« LOUIS, par la grâce de Dieu, Roi de France et de Navarre : À tous, présents et à venir, SALUT. Comme nous devons également nos soins à tous les Peuples que la Divine Providence a mis sous notre obéissance, Nous avons bien voulu faire examiner en notre présence les mémoires qui nous ont été envoyés par nos Officiers de nos Îles de l’Amérique […] pour y maintenir la discipline de l’Église catholique, apostolique et romaine, pour y régler ce qui concerne l’état et la qualité des esclaves dans nos dites îles […] ».

On a un roi nommé par Dieu, qui possède des territoires et à qui tout le monde doit la soumission : c’est la monarchie absolue. Mais les « anti-négrophobie » ne sont pas là pour saisir cette question historique, ils sont là pour mettre de l’huile pour le feu.

Le comité « justice pour Adama » et la mouvance des « Indigènes de la République » en général, ont cherché avec un certain succès à surfer sur l’affaire George Floyd aux États-Unis. Maintenant que tout cela se tasse grosso modo, ils viennent en rajouter dans le chantage émotionnel.

Leur but est subjectivement de dénoncer la « négrophobie », terme ne voulant rien dire dans un pays comme la France dont la capitale est Paris. Objectivement, il s’agit de provocateurs fascistes cherchant à détourner l’attention des conditions concrètes de l’économie et du grand conflit entre les classes qui se profilent.

La « Brigade antinégrophobie » converge avec les voix qui veulent un retour à la normale, qui veulent qu’on oublie que le Covid-19 est encore là, qu’il procède d’une crise écologiste, que l’économie capitaliste va connaître une crise sans précédent.

Le but est de parler de la « lutte des races » et non de la lutte des classes, de diviser les travailleurs en faisant de questions secondaires une question principale, une obsession. Cette manière de faire jouer la couleur de peau alors qu’il faut l’unité populaire face aux restructurations capitalistes à venir rend évident le rôle politique de cette affaire. On est en train de perdre un temps fou avec ces histoires, au lieu de préparer un affrontement d’une grande brutalité qui commence à s’installer.

Il ne s’agit pas tant de considérer que la « Brigade antinégrophobie » intéresse les gens. Cependant, elle attire l’attention, elle la détourne, elle parvient relativement à faire oublier la réelle actualité, alors que déjà le Medef dit que l’économie repart. On va en réalité dans le mur et il va falloir payer la casse. Soit ce sont les bourgeois qui payent, soit ce sont les couches populaires.

La « Brigade antinégrophobie » est, avec un tel arrière-plan, clairement une partie du problème, pas une partie de la solution. C’est un outil du capitalisme pour prétendre tout changer en ne changeant rien. C’est « Babylone » cherchant à maintenir le mode de vie destructeur, c’est l’auto-défense d’un système à l’agonie.

Catégories
Politique

Le Lycée Colbert devient le Lycée Rosa Parks à Thionville: un exemple parmi d’autres

Le capitalisme a besoin d’empêcher les luttes de classe et pour cela, il faut empêcher toute analyse rationnelle de l’Histoire. C’est donc liquidation sur liquidation : tout comme il n’y a plus l’étude des mouvements littéraires en français au lycée, on supprime les références historiques.

À Thionville, il y a l’impasse Colbert et dans cette impasse, le Lycée polyvalent Colbert. Juste à côté, il y avait le Lycée Sophie Germain, qui a fusionné avec l’autre en 2019. Sophie Germain (1776-1831) est une figure des mathématiques, Colbert c’est une figure de l’époque de Louis XIV, dont il fut contrôleur général des finances (1665-1683), secrétaire d’État de la Maison du roi et secrétaire d’État de la Marine (1669-1683).

Tout cela est français et historique, cela reflète un parcours dans un pays. Ce sont des figures importantes, reflétant tout un mouvement de progrès, de civilisation. Hors de question d’accepter cela pour le capitalisme. Par conséquent, le Lycée Colbert devient le Lycée Rosa Parks, du nom de cette activiste américaine dénonçant la ségrégation, dans les années 1950, aux côtés de Martin Luther King.

Ce qui est frappant ici, c’est que le capitalisme moderne est anti-historique, alors que le capitalisme soulignait auparavant ses grandes figures. Tant Colbert que Sophie Germain ont été l’expression d’un élan capitaliste, d’un éloignement du féodalisme. Le capitalisme, à l’époque, insistait sur la question de la civilisation.

Aujourd’hui, cela a disparu. Rosa Parks devient une figure cosmopolite : Américaine, luttant dans un contexte bien précis, elle voit sa figure colonisée par un capitalisme anonymisant le monde. Même Barbie a fait une poupée à son effigie ! Il y a une petite chaîne française de restauration de hamburgers qui s’appelle Rosaparks !

On a une rue, une avenue ou une place Rosa Parks à Lyon, Caen, Nantes, Rennes, Aubervilliers, Saint-Denis, Saint-Ouen, Vitry-sur-Seine, La Courneuve, Fleury-Mérogis, Lens… Un Espace Jeunes Rosa Parks à Besançon, un Centre Rosa Parks à Strasbourg, une école élémentaire Rosa Parks à Schiltigheim, une école maternelle Rosa Parks à Rouen, un Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale Rosa Parks à Lille, une Unité d’hospitalisation Rosa Parks à Saint-Maurice, un Lycée Rosa Parks à Neuville sur Saône, un collège Rosa Parks à Marseille, etc.

Paris est évidemment le bastion de cette démarche cosmopolite : on a une gare Rosa Parks, un quartier Rosa Parks, une résidence étudiante Rosa Parks, un Centre Social et Culturel Rosa Parks, une résidence hôtelière Rosa Parks, un centre commercial Le Parks, etc.

Cette liste n’est évidemment pas du tout exhaustive et à moins d’être naïf, impossible de ne pas y voir une opération culturelle et intellectuelle. En apparence, elle vise le « vivre-ensemble ». Elle dénonce le racisme. Sauf que nous ne sommes pas aux États-Unis : là-bas, un tel nom a du sens. En France, il n’en a aucun. Il sert simplement à faire tourner à fond la machine positiviste avec une France qui planerait au-dessus du monde afin de lui donner des leçons.

Ce faisant, on amène les gens sur le terrain de l’émotion, on empêche de comprendre les spécificités historiques à la France. Ce n’est pas pour rien que, pour prendre un exemple flagrant, il puisse y avoir un nom comme Rosa Parks pour des lieux et une dénonciation du racisme en France, alors qu’en même temps tout ce qui touche le protestantisme en France est passé aux oubliettes, comme si cela n’avait jamais existé.

Les Français ont été d’un esprit colonialiste et plein de préjugés, mais pas la classe ouvrière et le racisme n’a jamais été un marqueur significatif de l’histoire française. Avec Rosa Parks, on enfonce ainsi des portes ouvertes et c’est le but. C’est une contribution à l’infantilisme, à un cosmopolitisme coincé entre McDonald’s et Coca-Cola, entre Samsung et Apple, etc.

Catégories
Politique

La lettre incendiaire de Léon Landini (PRCF) à François Ruffin

Léon Landini, figure de la Résistance qui fut également gravement torturé par les nazis est le président du PRCF, un groupe à la fois en dehors du PCF et dans le PCF, qui entend maintenir la ligne du parti d’avant son tournant que l’on pourrait qualifier de post-communiste. Le PRCF a comme modèle le PCF des années 1980 et a une influence notable dans toute une partie de la CGT. Léon Landini s’est retrouvé dans une émission sur YouTube confronté à François Ruffin et explique qu’il s’est fait piégé, notamment en raison de la faiblesse due à son âge. Dans une lettre ouverte à François Ruffin, il remet quelques points sur les « i » tout à fait nécessaires.

« Léon Landini

Officier FTP-MOI – Président de l’Amicale des Anciens FTP-MOI  des  bataillons Carmagnole-Liberté de la Région Rhône-Alpes – Interné de la Résistance – Grand Mutilé de Guerre, suite aux tortures endurées par la Gestapo  pendant mon internement.

Officier de la Légion d’Honneur – Médaille de la Résistance.

Décoré au  titre de Résistant émérite par le Gouvernement Soviétique.

Président du Pôle de Renaissance Communiste en France (Ce que je considère comme un grand honneur).

Réponse de « Landi à Ruffian »

Il s’agit de la vidéo  que tu as présentée  sur  YouTube  le 29 avril 2020

Mon état de santé me joue des tours, c’est ce qui m’a amené à répondre avec quelque retard aux sarcasmes que tu m’as adressés au cours de l’émission, à laquelle Gilles Perret  m’avait invité et qui, avec beaucoup d’égards, m’a présenté en indiquant que j’avais assassiné des soldats allemands. On m’a toujours dit que celui qui assassine est un assassin. Merci Gilles.

Au cours de cette émission, tu m’as appelé « Landi » à plusieurs reprises. Je n’ai pas apprécié, car je sais pertinemment que tu connais parfaitement mon nom, en conséquence n’aimant pas que l’on ampute volontairement mon nom, à mon tour je modifie légèrement le tien, au lieu de Ruffin  je vais t’appeler Ruffian.

J’ajouterai que de la façon dont  tu m’as traité au cours de cette émission, si je me laissais aller, c’est de bien d’autres noms que je te traiterais.

Dès le début de mon intervention, convaincu de bien faire, j’ai indiqué que : « Le programme du Conseil National de la Résistance n’a pas seulement été écrit qu’avec de l’encre, mais également avec le sang de toutes celles et tous ceux qui sont morts pour que nous puissions vivre libre dans un monde où il ferait bon vivre » et  j’ai ajouté, « que 52 de mes proches camarades sont morts sous la torture et malgré les effroyables supplices que Barbie et ses sbires leur ont fait endurer, pas un seul n’a avoué quoi que ce soit ».

À ce moment-là, tu m’as interrompu, cherchant à me mettre dans l’embarras et si possible à me ridiculiser en me posant la question suivante :

« Cela veut quand même pas dire que pour avoir de nouveaux jours heureux, il faut se faire torturer, emprisonné et mourir ».

Question idiote et offensante, posée avec la conviction et que tu allais, tenant compte de mon âge, me désarçonner et  que surpris par une pareille stupidité j’allais me mettre à bafouiller.

Tu vas te rendre compte que ce vieil homme que tu voulais ridiculiser, malgré son âge, il lui reste encore assez de verve pour répondre comme il se doit, à un petit prétentieux, qui se prend pour quelqu’un avant même d’être quelque chose.

Toutefois à cause du respect que tu devrais avoir à l’égard de celles et ceux  qui ont survécu à une telle épopée, tes offenses tu aurais dû te les garder pour toi.

Lorsque Gilles Perret m’a invité à participer à cette émission vidéo, il m’a indiqué qu’il s’agissait d’évoquer le programme du CNR et les Jours Heureux, en conséquence j’ai voulu, en préambule, et surtout en tant qu’ancien résistant, mettre en évidence ce qu’était le CNR et dire, combien ceux qui se sont battus les armes à la main y sont attachés.

Comme tu le dis « on s’est fait torturer, emprisonner et malheureusement trop souvent massacrer ».

Mais pour ton éducation, il me semble utile que tu saches que si nous avons pu supporter l’insupportable et nous sublimer à notre insu, c’est qu’en nous engageant au sein des FTP-MOI et en pratiquant la guérilla urbaine, nous savions tous que nous pouvions à tout moment passer de vie à trépas.

Nous nous battions de toutes nos forces contre l’occupant et contre les sbires qui s’étaient mis à leur service.  Notre courage émanait du fait que nous avions la conviction que s’il nous fallait mourir, nous n’allions pas mourir pour rien, et nous risquions notre vie avec la certitude qu’après la Libération, les survivants pourraient vivre heureux dans Une France Forte, Libre, Démocratique, Indépendante, et Souveraine. Ce qui ne peut être le cas en étant prisonnier d’une Union Européenne (dirigée par Berlin) alors que nous savons tous que l’UE  est antinomique du programme du CNR.

C’est à partir de tous ces combats et de tous ces sacrifices, que le programme du CNR a pu être écrit, et appliqué entre 1945 et 1947 par des ministres communistes et, seulement par des ministres communistes.

Ce sont pour toutes ces raisons que nous, anciens FTP-MOI et militants communistes, nous en revendiquons la paternité et, dès que de sombres individus cherchent à utiliser le CNR à d’autres fins que pour ce qu’il a été créé, nous montons au créneau et nous rappelons à l’ordre celles et ceux qui cherchent à l’utiliser pour se mettre en évidence, désireux apparaître pour ce qu’ils ne sont pas.

Sarkozy n’utilisait-il pas pour se mettre en valeur le nom de Guy Môquet et voici que Macron cherche à cacher toutes ses malhonnêtetés en promettant à notre peuple « Des Jours Heureux » au moment même où il est en train de détruire les derniers  conquis qu’il nous en reste.

En conclusion, je n’accepte pas au final d’avoir été utilisé comme le résistant de service qu’on écoute d’une oreille distraite pour tenter de lui faire cautionner un projet politique dont je n’avais pas été informé avant l’émission et que je ne partage pas : en utilisant le nom du CNR, tout en contournant tout ce qui fit la force du véritable, auquel nous devons les plus grandes avancées de notre histoire. Il ne peut pas y avoir de véritable nouveau CNR en contournant et en écartant les communistes et la classe ouvrière, pas de véritable nouveau CNR sans la nationalisation des banques et des entreprises stratégiques. Et surtout, pas de nouveau CNR sans rupture franche avec l’euro et l’UE.

Après cette brève mise au point, qui j’espère te servira.

Léon LANDINI.

PS : Ma fille vient de m’apprendre que tu lui as écrit, en lui disant : « Je connais un peu ton père, son parcours, ses convictions pour l’avoir interrogé durant  près de quatre heures chez lui ».  FAUX ! Tu n’es  jamais venu chez moi. J’ai l’impression que ta mémoire te joue des tours, peut être mon cher François, serait-il bon que tu consultes un psychiatre. »

Catégories
Politique

La Gauche française et les 75 ans de la victoire sur l’Allemagne nazie

Si le 8 mai est un jour férié, de dimension nationale, la victoire sur le nazisme est considérée comme un aspect essentiel du dispositif idéologique et culturel de toute une partie de la Gauche. On peut pratiquement parler de fracture et il y a une profonde réactivation du courant communiste « historique ».

Il y a 75 ans, l’Allemagne nazie capitulait face aux Alliés. La version finale de cette capitulation arriva tard le soir, ce qui fit qu’en URSS c’était déjà le 9 mai, ce qui amène une double célébration internationale, le 8 mai pour les uns, le 9 mai pour les autres. Quant aux Allemands, tout comme étrangement les Autrichiens, ils ne célébraient rien du tout, considérant la défaite de l’Allemagne nazie comme leur propre défaite.

La Gauche allemande était terriblement choquée de ce constat et une large partie des socialistes d’Allemagne décida d’ailleurs de s’unifier avec les communistes, afin de faire face à la gigantesque tâche de réforme démocratique. Cela donna l’Allemagne de l’Est, alors qu’à l’Ouest les anciens nazis occupèrent l’ensemble de l’appareil d’État et les grandes entreprises. Le fondateur des services secrets ouest-allemands, Reinhard Gehlen, qui les dirigea jusqu’en 1968, fut d’ailleurs l’un des co-planificateurs de « l’opération Barbarossa » et ensuite le responsable des services secrets dans le cadre de l’invasion de l’URSS.

En France, la Gauche profitait à l’inverse évidemment d’une profonde unanimité. Cependant, la reconnaissance du 8 mai a toujours été une bataille. Si dès 1946, il y a une commémoration annuelle, le 8 mai n’est férié qu’à partir de 1953, à la suite d’une longue lutte.

De Gaulle supprime alors le 8 mai comme jour férié en 1959. Les commémorations restent. En 1975, Valéry Giscard d’Estaing supprime les commémorations. Toutes ces décisions reposent évidemment sur les besoins de la « réconciliation » dans le cadre de la construction européenne.

En 1981, c’est alors François Mitterrand qui rétablit à la fois les commémorations du 8 mai et cette date comme jour férié. C’était inévitable de par l’esprit et la culture de la Gauche. Mais son statut est précaire. Valéry Giscard d’Estaing avait fait du 11 novembre la journée des morts de la France et c’est de nouveau le cas depuis 2012. La suppression du 8 mai est une vraie hypothèse.

La raison de cette situation est que l’Union européenne a remplacé, pour une large partie de la Gauche, le mouvement ouvrier. Si le Parti socialiste mentionne les 75 ans de la victoire au détour d’un message twitter (et le même sur facebook), son dirigeant Olivier Faure n’en parle pas. EELV ne fait pareillement qu’ un message twitter, pour ne même pas parler des 75 ans, mais de la répression sanglante des émeutes tout aussi sanglantes en Algérie française le même jour. C’est d’ailleurs un des thèmes récurrents de la « seconde gauche », violemment anti-communiste.

Du côté de ceux assumant la tradition communiste, le 8 mai est par contre sacré et ces 75 ans forment un prétexte tout particulier de réaffirmation identitaire et culturelle, particulièrement marquée cette année. Le PCF reste sobre en saluant les 75 ans, mais dénonce tout de même la ministre des armées ne saluant que les pays alliés actuellement à la France pour leur soutien à la Libération (États-Unis, Canada, Grande-Bretagne, Australie, Nouvele-Zélande), y voyant un plan pour « oublier » l’armée rouge.

Qu’en 2020 le PCF soit obligé de souligner l’importance de l’armée rouge en dit long sur la puissance de toute une tradition. On ne doit donc pas s’étonner de voir des initiatives encore plus hardies dans le cadre de ceux en « compétition » pour qu’un nouveau PCF émerge.

Du côté du Parti Communiste Révolutionnaire de France (PCRF), il y a une Déclaration internationale de Partis communistes pour le 8 mai, qui a d’ailleurs été également signé par le Pôle de Renaissance Communiste en France (PRCF), qui a de son côté organisé un débat vidéo avec l’historienne Annie Lacroix-Riz. Il y a aussi un article saluant « les libérateurs au drapeau rouge » et dénonçant l’interprétation historique de la seconde guerre mondiale de l’Union Européenne (voir «L’Importance de la mémoire européenne pour l’avenir de l’Europe», un texte contre la Gauche).

Mais en fait le PCF a signé également cette déclaration, ce qui est très intéressant ou marquant ou surprenant, comme on le voudra, car il est parlé de l’URSS comme d’un « Etat socialiste », ainsi que du « peuple héroïque soviétique et à l’Armée rouge, dirigée par le Parti communiste, dont la contribution, écrite dans des pages héroïques telles que les batailles de Moscou, de Léningrad et de Stalingrad ».

Cette notion de batailles décisives est précisément battu en brèche par les maoïstes du PCF(mlm) qui ont de leur côté publié un dossier sur « la grande guerre patriotique », comme l’URSS appelle de son côté la seconde guerre mondiale, insistant sur « l’art opérationnel » élaboré alors.

Et dans la déclaration internationale, signé par une soixantaine de partis dans le monde, on lit le même genre de discours que chez le PCF(mlm), puisqu’il est affirmé que « les secteurs les plus réactionnaires et agressifs de l’impérialisme voient de plus en plus le fascisme et la guerre comme une « sortie » de l’aggravation de la crise du système capitaliste ».

C’est là un retour en forces des thèses communistes « historiques », avec tout une gamme de rapports à Staline : un peu (PRCF), beaucoup (PCRF), à la folie (PCFmlm), pas du tout (PCF). D’ailleurs, les autres courants ne parlent pas des 75 ans de la victoire sur le nazisme, soit par désintérêt (les maoïstes « post » Staline, les anarchistes), soit par rejet historique de la Résistance (Lutte Ouvrière ne dit rien, le NPA porte quant à lui un regard très critique).

A-t-on ici un renouveau historique du Communisme comme mouvement, ou un simple rappel formel des fondamentaux ? L’avenir le dira.

Catégories
Politique

«Déclaration internationale de Partis communistes pour le 8 mai»

Cette déclaration a été signée, pour faire simple, par ce qui reste du mouvement communiste se définissant positivement par rapport à l’URSS dans les années 1980. En France, elle a été signé par le PCF (qui ne le diffuse apparemment pas), par le PCRF (issu de l’URCF, une scission de gauche du PCF des années 1990) et par le PRCF (la gauche du PCF, très liée aux tendances les plus contestataires de la CGT).

« Déclaration internationale de Partis communistes pour le 8 mai

Au nom de la liberté, de la paix et de la vérité,

Contre le fascisme et la guerre !

La victoire sur le fascisme nazi pendant la Seconde Guerre mondiale est un événement majeur de l’Histoire, dont le souvenir doit être préservé et défendu face aux tentatives répétées de falsification historique visant à nous faire oublier le rôle décisif joué par l’Union soviétique des Républiques socialistes, par les communistes et par les antifascistes du monde entier.

Généré par le capitalisme, le fascisme nazi était la manifestation la plus violente et terroriste du capital monopoliste. Il était responsable du déclenchement de cette guerre d’agression et de pillage qui a fait près de 75 millions de morts, dont environ 27 millions de citoyens soviétiques, et des souffrances et horreurs incommensurables des camps de concentration nazis. Les peuples ne peuvent pas non plus oublier les pages sombres, comme les bombardements atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki par les États-Unis, sans aucune justification militaire, qui représentaient une démonstration de puissance et de leurs ambitions hégémoniques mondiales.

La Seconde Guerre mondiale (1939-1945) est le résultat de contradictions inter-impérialistes de plus en plus aiguës et, en même temps, de l’intention de détruire le premier État socialiste, l’URSS, qui s’est notamment exprimée dans le soutien et la connivence entre le Royaume-Uni, la France et les États-Unis, avec le réarmement et l’ambition expansionniste de l’Allemagne nazie.

En commémorant le 75ème anniversaire de la Victoire historique du 8 mai 1945, les partis communistes et ouvriers soussignés, certains de relayer les sentiments et les aspirations des travailleurs et des peuples du monde entier :

- rendent hommage à tous ceux qui ont donné leur vie sur les champs de bataille contre les hordes nazies-fascistes et en particulier à l’héroïsme des mouvements de résistance et des combattants antifascistes, ainsi qu’au peuple héroïque soviétique et à l’Armée rouge, dirigée par le Parti communiste, dont la contribution, écrite dans des pages héroïques telles que les batailles de Moscou, de Léningrad et de Stalingrad, a été décisive pour la victoire sur la barbarie ;

- considèrent que la victoire sur l’Allemagne nazie et ses alliés dans le Pacte anti-Komintern a été réalisée grâce à la contribution décisive de l’URSS, à la nature de classe du pouvoir soviétique avec la participation des masses populaires, au rôle de premier plan du Parti communiste, à la supériorité affichée par le système socialiste. Cette victoire est un énorme héritage historique du mouvement révolutionnaire.

- mettent en valeur les avancées remarquables dans l’émancipation sociale et nationale des travailleurs et des peuples, avancées rendues possibles par la victoire et l’avancement des forces du progrès social et de la paix, étendant la sphère du socialisme dans les pays d’Europe, d’Asie et d’Amérique latine ; cette victoire a créé les conditions pour l’avancée du mouvement ouvrier dans les pays capitalistes, le développement rapide du mouvement de libération nationale et la liquidation des empires coloniaux qui en a résulté ;

- dénoncent et condamnent les campagnes visant à minimiser, déformer et même nier le rôle de l’URSS et des communistes dans la défaite du fascisme nazi et aussi à blâmer injustement et faussement l’Union soviétique pour avoir déclenché la Seconde Guerre mondiale, à supprimer les responsabilités du grand capital et des gouvernements à son service dans la promotion et la montée du fascisme et dans le déclenchement de la guerre, à blanchir et réhabiliter le fascisme, tout en détruisant les monuments et la mémoire de l’armée soviétique libératrice, en promouvant l’anticommunisme et en criminalisant les communistes et d’autres antifascistes ;

- dénoncent et condamnent les résolutions anticommunistes de l’UE et la falsification historique calomnieuse qui tente d’assimiler le socialisme au monstre fasciste ;

- soulignent que les secteurs les plus réactionnaires et agressifs de l’impérialisme voient de plus en plus le fascisme et la guerre comme une « sortie » de l’aggravation de la crise du système capitaliste, dont le caractère inhumain devient particulièrement évident lorsque, même face à la très grave épidémie de Covid-19, l’impérialisme, les États-Unis, l’OTAN, l’UE et ses puissances capitalistes alliées, poursuivent une politique criminelle de blocus et d’agression contre les pays et les peuples ;

- considèrent que la lutte pour la paix, le progrès social et le socialisme sont indissociables, et s’engagent à rechercher une action commune plus forte de la classe ouvrière, des travailleurs et des peuples du monde, des forces politiques engagées dansla lutte contre le fascisme et contre l’impérialisme, contre les agressions impérialistes et la guerre.

La situation à laquelle sont confrontés les travailleurs et les peuples du monde souligne l’importance de renforcer la lutte contre l’impérialisme, pour la souveraineté des peuples et l’indépendance des États, pour les droits des travailleurs et des peuples. Il faut dépasser de manière révolutionnaire le système capitaliste, un système qui engendre le fascisme, la guerre, les injustices, les dangers et les contradictions du présent. Comme il y a 75 ans, c’est aujourd’hui la lutte des communistes et de tous ceux qui sont confrontés à l’exploitation et à l’oppression capitalistes qui ouvrira la voie à l’avenir pour l’humanité.

Communist Party of Armenia
Communist Party of Australia
Party of Labour of Austria
Communist Party of Bangladesh
Communist Party of Belarus
Communist Party of Belgium
Communist Party of Brazil
Communist Party of Britain
New Communist Party of Britain
Communist Party of Canada
Communist Party of Chile
Colombian Communist Party
Socialist Worker’s Party of Croatia
Communist Party of Cuba
Communist Party of Bohemia and Moravia
The Progressive Party of the Working People – AKEL
Communist Party in Denmark
Egyptian Communist Party
Communist Party of Finland
French Communist Party
Pole of Communist Revival in France
Communist Revolutionary Party of France
Unified Communist Party of Georgia
German Communist Party
Communist Party of Greece
Hungarian Worker’s Party
Communist Party of India (Marxist)
Communist Party of India
Tudeh Party of Iran
Iraqi Communist Party
Communist Party of Ireland
Workers’ Party of Ireland
Communist Party of Israel
Italian Communist Party
Party of the Communist Refoundation – European Left (Italy)
Workers’ Party of Korea
Communist Party of Luxembourg
Communist Party of Malta
Popular Socialist Party – National Political Association (México)
Communist Party of Mexico
New Communist Party of the Netherlands
New Communist Party of Aotearoa (New Zealand)
Communist Party of Macedonia
Communist Party of Norway
Communist Party of Pakistan
Palestinian Communist Party
Paraguayan Communist Party
Peruan Communist Party
Philippine Communist Party (PKP – 1930)
Portuguese Communist Party
Communist Party of the Russian Federation
Union of Communist Parties – CPSU
Communist Party of the Soviet Union
New Communist Party of Yugoslavia
Communist of Serbia
South African Communist Party
Communist Party of Spain
Communist Party of the Peoples of Spain
Communists of Catalonia
Galizan People’s Union
Communist Party of the Workers of Spain
Galician Nationalist Bloc
Communist Party of Sri Lanka
Sudanese Communist Party
Communist Party of Swaziland
Communist Party (Switzerland)
Syrian Communist Party
Communist Party of Turkey
Communist Party of Ukraine
Communist Party USA
Communist Party of Venezuela »

Catégories
Écologie

Corse: il y a 60 ans s’affirmait la bataille démocratique et populaire contre la base nucléaire de l’Argentella

Il y a 60 ans, le 2 mai 1960, un grand rassemblement populaire avait lieu à Ponte-Novo pour s’opposer au projet de base nucléaire de l’Argentella, entre Calvi et Galeria. La vigueur du mouvement démocratique Corse fit alors rapidement plier l’État français, confronté à une vague massive, marquant profondément l’île sur le plan politique et culturel. Cela contribua directement à l’affirmation de la conscience nationale dans les années suivantes et à une sensibilité écologiste marquée.

La bataille contre la base nucléaire de l’Argentella avait commencée dès le 20 avril 1960 avec des comités de défense contre le projet se lançant à Ajaccio, Bastia, Corte, Marseille et Paris. Les appels à la mobilisation se multiplièrent alors, moins d’une semaine après la visite à Ajaccio du ministre délégué Pierre Guillaumat et du haut-commissaire à l’énergie atomique annonçant une base d’expérimentations nucléaires souterraines.

Il s’agissait de pratiquer des explosions chimiques et nucléaires en bénéficiant des qualités de résistance de la roche locale censée absorber les effets. Les masses corses vécurent cela comme une véritable agression de type coloniale, menaçant directement leur environnement. Une bombe expérimentale (quatre fois la puissance de celle d’Hiroshima), venait d’ailleurs d’être larguée le 13 février 1960 dans le Sahara.

Face à la pression, le premier ministre Michel Debré dût se justifier dès le 23 avril en prétendant que les expérimentations n’étaient pas dangereuses, ce qui ne fit qu’attiser la colère de la population nullement dupe et profondément méfiantes face à l’horreur nucléaire.

De nombreux rassemblements très vigoureux eurent lieu dans la foulée, jusqu’à ce grand rassemblement populaire du 2 mai 1960. Le jour même, en raison du succès de la manifestation, le Préfet fut contraint d’annoncer un premier recul en disant que le projet n’était toujours pas acté officiellement.

La mobilisation franchit alors un nouveau cap, avec des mots d’ordre de grève lancés dans toute la Corse. Même les gaullistes corses s’opposèrent au projet, tellement le refus populaire était massif et incontournable. Le gouvernement annonça alors son recul, face à une contestation d’une grande ampleure et d’une grande détermination prévue pour le 14 juin sur le site même de l’Argentella.

En quelques semaines, le peuple de Corse fit donc littéralement plier le régime antidémocratique de la Ve République du Général de Gaulle. La capitulation de l’État français ne conduisit toutefois pas à un véritable recul, mais simplement à un détournement… La base fut reportée à l’autre bout du monde, sur l’atoll de Mururoa et la France se couvrit d’une honte immense quelques années plus tard en pratiquant ses essais nucléaires, aux conséquences immenses sur la population locale et bien entendu la nature pendant des années.

En Corse par contre, la victoire démocratique et populaire conte la base nucléaire de l’Argentella eu un retentissement immense. La conscience nationale, avec une grande dimension populaire, put s’affirmer à grande échelle. Cela marqua la conscience écologiste du mouvement démocratique corse avec de nombreuses combats écologistes, depuis l’affaire des boues rouges (conduisant à une grève générale, des attaques contre la préfecture, etc.) dans les années 1970, jusqu’à l’explosion plus récente de la villa de Pierre Ferracci, construite en toute illégalité dans une baie naturelle protégée.

Catégories
Société

Le Coran des historiens: une œuvre académique loin du peuple

Le Coran des historiens est un ouvrage récent synthétisant à travers des milliers de pages le travail de dizaines de chercheurs sur l’origine du livre sacré de l’islam. Sur le plan de la science, la sortie de cette édition critique est un événement d’une grande importance, malgré toutes les limites de la démarche académique et loin du peuple des auteurs.

« La tradition islamique n’est que peu crédible pour expliquer les origines du Coran »

C’est ainsi que le grand spécialiste de l’histoire du Coran, Mohamad-Ali Amir-Moezzi pose très frontalement le cadre qui a amené son équipe de plus de trente spécialistes à produire une nouvelle édition critique synthétisant les connaissances acquises jusqu’à notre époque sur la formation de ce texte.

En effet, il y a une question qu’on se pose forcément si on est de gauche et que l’on a l’occasion de discuter avec des personnes affirmant croire en la tradition islamique sur le plan religieux : comment est-il possible qu’en 2020 des personnes vivant dans un pays comme la France depuis leur naissance, puissent franchement voir comme un fait véritable que le Coran puisse avoir été révélé par un Ange selon un modèle divin éternellement conservé au Ciel ?

Cela est pourtant un dogme défendu de manière fanatique par les islamistes bien entendu, mais aussi assez largement accepté comme tel par la plupart des musulmans. Ce qui se joue derrière cet aspect, c’est la question du rapport à la science. Or, refuser les avancées de la science, c’est tenter de refuser le mouvement même de la vie. Et donc ce qui relie la pratique et la vie quotidienne d’une part, où naissent les besoins et les interrogations, à la théorie qui leur donne forme et les met à la portée du plus grand nombre d’autre part. Il n’est simplement aujourd’hui plus possible de croire ou d’enseigner que le Coran aurait été un texte révélé selon les termes de la tradition islamique sans verser dans la superstition la plus complète ou se contorsionner dans des subtilités frisant l’hypocrisie, ni plus ni moins.

Bien sûr, ce n’est pas en disant cela que l’on abolit la religion. Et au fond, il ne s’agit pas de considérer non plus qu’en raison de cela, l’islam serait une chose qui n’a aucune valeur historique, qui serait de bout en bout un simple projet réactionnaire et irrationnel. Mais ce n’est pas là la démarche de ces historiens. Au contraire, leurs travaux et cette production relèvent d’une réalisation scientifique sur le plan de la critique qui participe à considérer l’héritage de l’islam comme un bien commun concernant l’ensemble de l’Humanité. Ici spécifiquement, le Coran est remis à sa place dans ses héritages et ses apports. C’est déjà un coup porté autant aux islamistes qu’aux nationalistes racistes.

Formellement, l’œuvre se présente comme un livre organisé en quatre volumes. Le dernier étant la compilation de la vaste bibliographie disponible sur le sujet, le premier une introduction à l’histoire de la formation du texte du Coran en croisant toutes les sources et toutes les disciplines pertinentes. Le Coran est ensuite édité, traduit et commenté, chapitre par chapitre, c’est-à-dire selon le terme issu de la langue arabe, sourate par sourate.

Le prix de vente témoigne de cette volonté de mettre à la portée d’un large public ce travail : pour moins de 60€ (toutefois sans le volume sur la bibliographie vendu séparément pour 30€), ce qui est accessible à pratiquement toutes les bibliothèques, médiathèques ou centres de documentation scolaire par exemple.

Reste que malgré toutes les prétentions de Mohamad-Ali Amir-Moezzi, lui-même professeur à l’INALCO, la démarche n’a pas de dimension populaire ou démocratique. En quelque sorte, on est là face une réaction à celle du refus du mouvement par les islamistes, mais en sens inverse : il y a la volonté d’affirmer la théorie, mais sans aucun lien avec la pratique, sans connaissance sérieuse de la base populaire de notre pays.

Sur la forme, l’ouvrage a été annoncé lors d’un événement annuel concernant essentiellement les professeurs d’Histoire-Géographie et les universitaires liés à ces disciplines : les rencontres de Blois. Le grand public, même cultivé, a largement ignoré la sortie de ce travail, malgré son ampleur. Il faut dire aussi qu’il est sorti chez les éditions Cerf, une célèbre maison d’édition catholique. Depuis 2013, cette entreprise a été reprise en main par le théologien Jean-François Colisomo, sur une ligne de rupture avec l’esprit d’origine qui se voulait d’un catholicisme de gauche. Après avoir renvoyé plus de la moitié des employés pour restructurer l’entreprise, Jean-François Colisomo a fait le choix d’assumer désormais un soutien ouvert à l’hebdomadaire réactionnaire Valeurs Actuelles et de privilégier des choix éditoriaux médiatiquement rentables.

Pour conserver une certaine ouverture, de son point de vue, les éditions Cerf éditent aussi certains auteurs dits de gauche, comme Chantal Mouffe, chantre du « populisme de gauche », ce qui est déjà tout dire, ou Clémentine Autain. Dans ce cadre, il est tout de même au bas mot très problématique pour une œuvre qui se voulait scientifiquement impeccable de choisir un tel éditeur.

Mais plus profondément, sur le fond, on reste surtout et finalement sur un lourd travail d’érudition, malgré la première partie qui se propose de poser un cadre. Cela reste confus, touffu, dense et pas forcément accessible malgré ce qui est affiché. Non pas que le peuple ne pourrait pas comprendre cet ouvrage, le peuple peut tout. Mais ces savants n’ont tout simplement pas de relais populaires, pas même dans le cadre des institutions. L’éducation nationale par exemple, sans rejeter la possibilité de s’y intéresser, n’a pas réagit, n’a manifesté aucun intérêt particulier pour ce travail et n’a bien entendu rien engagé pour en assurer sa diffusion ou l’intégrer à son dispositif de formation.

Mais tout cela tient justement au cadre académique des institutions qui organisent, et bornent, la science dans notre pays. C’est précisément un problème culturel pour le formuler avec exactitude. C’est un exemple parmi d’autres que les institutions culturelles et éducatives de notre pays ne sont pas à la hauteur des besoins. Pire, qu’elles sont même de plus en plus des entraves à ceux-ci.

Il y a là une contradiction gigantesque, un gouffre, entre le maintien de croyances superstitieuses comme celle de la révélation coranique et tout ce que cela entraîne d’une part, et d’autre part le niveau toujours plus haut des connaissances et des capacités scientifiques de notre époque, ici par exemple sur l’histoire du Coran.

Mais plus que la valeur d’un livre, si utile et sérieux soit-il, c’est justement le dépassement de cette contradiction et la rupture avec ce cadre borné qui sera décisif. Et c’est l’appui à ce mouvement qui est la tâche historique de la Gauche.

Il est inévitable qu’entre les besoins et les capacités populaires qui progressent toujours davantage et l’accumulation des connaissances qui s’organisent toujours plus, le mouvement même qui porte la science trouve son chemin, rompant avec tous les obstacles et dépassant chaque contradiction, vers un cadre culturel plus démocratique et populaire.

Catégories
Culture

France culture et son complot sur les statues grecques

Les thèses de la « Gauche » post-moderne ont largement conquis les institutions : c’est là une expression d’inculture, de décadence, de subjectivisme le plus farfelu. France Culture en a donné l’exemple avec une affirmation complotiste : il existerait un plan machiavélique raciste pour faire croire « depuis 2000 ans » que les statues grecques sont de couleur blanche…

 

Au départ, la « Gauche » post-moderne prétendait corriger les choses, supprimer des préjugés, transformer les points de vues, etc. C’était là un masque pour se donner une image démocratique. En réalité, c’était là le fer de lance de l’ultra-libéralisme, qui relativise par définition absolument tout. Cela se voit de plus en plus, car la grande relecture du passé a déjà commencé.

Ainsi, France Culture a appelé à… « déconstruire le mythe de la Grèce blanche », au moyen d’une petite vidéo de quelques minutes. Avec une argumentation effectivement typique des philosophes de la « French Theory », de la théorie du « genre », etc. Les propos suivants ont même dû être modifiées de la présentation sur Twitter quelques heures après la publication, afin d’apparaître plus « mesuré » :

« On vous ment. Depuis 2000 ans : non, les statues grecques n’étaient pas blanches, mais de toutes les couleurs. L’Histoire nous l’a caché pour promouvoir le blanc comme idéal d’un Occident fantasmé, contre les couleurs symboles d’altérité et de métissage »

Le misérable qui intervient dans la vidéo ose tenir les propos suivants, qui révulseront tout être épris de culture :

« [voix off:] Pourtant, aucune trace de ce fait historique ni dans nos musées, ni dans notre imaginaire de ce « berceau de l’Occident ». Cette Antiquité colorée au mieux n’est pas connue et au pire rejetée comme kitsch, vulgaire. C’est le résultat de 2 000 ans d’une histoire qui place le blanc au cœur de ses valeurs et rejette l”’impur”, le bigarré, le métissage des couleurs.

[Philippe Jockey:] « Employons des grands mots, en effet, c’est un rejet de l’Autre, que l’on voit apparaître dès les textes de Pline l’Ancien, jusqu’aux pires excès de la Seconde Guerre mondiale. À chaque fois, c’est l’autre qui est en jeu, le rejet des couleurs de l’autre. » »

Philippe Jockey croit donc qu’on est dans un monde tellement décadent qu’il peut assimiler Pline l’Ancien à l’extermination industrielle des nazis. Faut-il que les post-modernes se croient à ce point tout permis pour oser une telle assimilation. En 2014, France Culture parle de la modernité de Pline l’ancien. Il est présenté comme « un écrivain, naturaliste romain qui a marqué l’histoire de la science et de l’érudition ». En 2019, c’est un des avatars d’Adolf Hitler !

Mais on aurait tort de croire à une mauvaise blague. C’est toute une idéologie à laquelle on a affaire ici et qui affirme l’impossibilité de la totalité, de l’unité, de l’harmonie. Ce qu’exprime Philippe Jockey, historien, historien de l’art et archéologue français – donc très éduqué – c’est l’idéologie ultra-libérale de la différence absolue, de la dis-harmonie, de la différence absolue entre chaque chose.

Cela correspond à la grande offensive post-moderne dans le domaine historique, après avoir obtenu une hégémonie complète dans le domaine des idées. France culture nous présente ainsi le « complot » de la suprématie blanche de la manière suivante, en faisant s’effondrer toute son approche avec la dernière phrase, sans s’en apercevoir :

« À la Renaissance, on déterre les copies romaines, qu’on copie à nouveau pour diffuser en Europe l’idéal antique, contre le bariolage médiéval et le chatoiement oriental, à nouveau grâce aux plâtres blancs. Elisabeth Le Breton, conservatrice au département des Antiquités grecques, étrusques et romaines du Musée du Louvre, analyse ce phénomène, alors que commence une superbe exposition à la Villa Médicis à Rome, consacrée aux copies en plâtres du XVIe au XXe siècle, « Une Antiquité moderne » : « 16 siècles après l’Antiquité romaine, de nouveau, une technique : le moulage, et le plâtre comme matériau, vont s’imposer pour l’appropriation de ces modèles. Ce sont des pièces blanches qui vont en résulter. Ce que les Français vont voir à Rome à la Renaissance, ce sont des pièces qui seront blanches. »

Puis ce sera le fondateur même de l’histoire de l’art, Winckelmann, qui posera, en 1764, le blanc des Grecs comme un summum de l’art.

Philippe Jockey poursuit l’exploration de ces siècles de blanchiment : « Une fois que l’Histoire de l’art donne son socle intellectuel et esthétique à cette idéologie, vont se développer ces académies des beaux arts qui au XIXe siècle vont multiplier les moulages, qui font que tout jeune artiste, spécialisé ou non dans la sculpture se trouve face à des moulages blancs de sculptures autrefois polychromes. »

Le blanc antique deviendra même un argument politique en 1830 quand la nation grecque s’émancipe du joug ottoman, et se “purifie” de ses couleurs vives : « On débarrasse Athènes et tous les autres sites des monuments postérieurs à l’Antiquité classique, et on en profite aussi pour se débarrasser de tout ce qui n’est pas blanc. Donc la blancheur, là aussi, se construit encore comme un idéal en référence à cette Grèce classique rêvée, idéalisée qui n’a jamais réellement existé que dans la tête de ces gens-là. »

Dans les années 1930, l’idéologie de la blancheur se radicalise encore quand l’écrivain xénophobe Charles Maurras fait “l’éloge de la blanche Athènes” posant ainsi un jalon dans l’exaltation antique reprise par les régimes fascistes et nazis. « On va appuyer le mythe de l’homme supérieur, de l’aryen, sur cette idéologie blanche. »

Avec 1968, on commence à prendre en compte les couleurs grâce aux nouvelles techniques d’investigation de la matière, et au retournement culturel. « Là, c’est une révolution, une révolution militante, c’est-à-dire qu’on affirme de manières idéologiquement très forte la couleur, la polychromie de la sculpture grecque, comme on la refusait pendant des siècles. »

Aujourd’hui, quelques musées commencent à proposer des copies en plâtres colorés ou des reproductions virtuelles, à côté des originaux antiques. »

Ben ouais gros malins, on allait pas barioler de couleurs des statues antiques ! Alors qu’en plus le blanc soulignait la plastique de ces statues, leur beauté harmonieuse – mais c’est précisément cela que veulent torpiller les barbares que sont les tenants de l’idéologie post-moderne. Ils veulent détruire le classicisme, ils veulent remettre en cause l’universalité des Lumières. Seule la Gauche historique peut contrer cette manœuvre de destruction !

Catégories
Société

Le maréchal Juin n’a pas été un antinazi

La dégradation d’un monument au maréchal Juin lors de « l’anniversaire » de la première manifestation des gilets jaunes est stupide. Mais le définir comme un antinazi car il a dirigé l’armée française aux côtés des Alliés est totalement faux.

Alphonse Juin est resté une figure de « l’État français » de Pétain jusqu’au bout, avant de changer de camp au moment du grand renversement des rapport de force sur le front occidental de la Seconde Guerre mondiale.

Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’État auprès du ministère des Armées, a condamné en les termes suivants la dégradation du monument en l’honneur du maréchal Juin :

« Écœurée et scandalisée par cette nouvelle dégradation des symboles de notre Mémoire nationale. Le Maréchal Juin et tous ses soldats ont combattu le nazisme et se sont battus pour notre liberté. Aucune cause ne justifie de tels actes, aucune. »

Le souci dans cette affirmation, c’est qu’Alphonse Juin a combattu les Allemands, certainement pas le nazisme, et encore l’a-t-il fait très tardivement. C’est même la grande figure de ces hauts cadres de l’État français de Pétain qui, à partir de 1943, changent de camp. Ce n’est pas la conviction qui les a poussé à cela, mais la défaite de l’Allemagne nazie.

Il suffit de regarder l’évolution d’Alphonse Juin. En 1938, il est général de brigade. Lors de la défaite française de 1940, il est emprisonné par les Allemands. L’État subordonné à Pétain le nomme alors général de division et parvient à obtenir sa libération en juin 1941.

C’est un pétainiste, on pense même à lui pour le ministère de la guerre ! Finalement en juillet il devient adjoint au général commandant supérieur des troupes du Maroc et en novembre général de corps d’armée, commandant en chef des forces d’Afrique du Nord.

À ce titre, il est en étroit rapport avec l’armée allemande, avec qui bien entendu il entre relativement en conflit, puisque sa ligne est comme celle de Pétain. L’idée est de profiter de la situation pour la France, autant que possible, tout en acceptant donc de se subordonner à l’Allemagne nazie. Il cherche à préserver « l’empire français » coûte que coûte.

Lors du débarquement allié en Afrique du Nord, il s’y oppose donc. Il est même arrêté par des résistants, mais parvient à s’en libérer. Il s’oppose aux Américains mais comme parallèlement l’État français de Pétain est finalement balayé par les Allemands, il accepte de rejoindre les Alliés.

De Gaulle le nomme alors à la tête du corps expéditionnaire français en Italie, regroupant 112 000 soldats. Il gère avec succès la bataille de Monte-Cassino et il devient en 1944 le chef d’état major et ce jusqu’en 1947 ! Il entre dans Paris aux côtés de De Gaulle et sera le seul général de la Seconde Guerre mondiale à être nommé maréchal.

Le souci, cela avait évidemment été le procès du maréchal Pétain. De Gaulle fait en sorte de l’envoyer en Allemagne pour éviter qu’il ne soit présent et ne le soutienne. Cela n’empêchera pas Alphonse Juin d’écrire un message en sa faveur !

Il est ensuite résident général au Maroc de 1947 à 1951, puis de 1951 à 1956, commandant en chef du secteur Centre-Europe de l’OTAN. Il est même nommé à l’Académie française en 1953 !

Et de 1954 à sa mort en 1967, il est président du Comité de patronage de la Revue Défense nationale, tout comme il est à partir de 1955 président d’honneur de la Société nationale des anciens et des amis de la gendarmerie.

Avec un tel parcours, le jour où un régime de Gauche existera en France, il va de soi que ce personnage passera à la trappe. Il est l’exemple même du militaire au service de la France capitaliste, sans états d’âme, sans morale aucune. Il n’a jamais été un combattant du nazisme – quelqu’un qui négocie avec quelqu’un comme Goering pour savoir comment placer des soldats est un collaborateur. Il symbolise également toute la continuité du pétainisme dans l’appareil d’État français.

Catégories
Culture

Gauche historique contre post-modernes il y a 30 ans

À l’occasion de la mort de Gilles Bertin, il a été parlé de la bande dessinée « Z craignos », un très réussi portrait des ambiances branchées, alternatives, rebelles du Paris du début de la fin des années 1970 et du début des années 1980. Un épisode particulier montre que la problématique Gauche historique / post-modernes ne date pas d’hier.

L’idée est simple. Z craignos est un petit-bourgeois sensible et philosophe, qui se balade dans différents milieux et en tire des conséquences d’ordre moral et intellectuel, voire esthétique. Il veut bien participer à quelque chose, mais il veut être convaincu. Il ne l’est finalement jamais.

Ici, il va à un concert alternatif, intitulé No New York, qu’on devine dans l’esprit no wave expérimental de l’époque avec son côté post-new wave, post-punk, post-disco, etc. Le chanteur commence d’ailleurs à attraper quelqu’un par les cheveux dans le public. On doit être ici en 1979-1980.

La chanson présentée ici date de 1979 et anticipe cette démarche syncrétique, intellectualisante dont les Talking Heads, XTC ou Wire sont des exemples fameux (et incontournables dans la culture musicale). Voici la chanson dans ses deux versions : celle avec le groupe newyorkais et celle en solo, plus rythmée.

Ce qui se passe alors est justement un portrait du conflit entre la Gauche historique et les post-modernes. Deux groupes se font en effet face, tous deux relevant du mouvement autonome, des gens révolutionnaires mais ne se pliant pas à la culture conservatrice prédominante en France et acceptée par le PS et le PCF. On parle beaucoup de violences policières en ce moment. Mais ce n’était strictement rien par rapport à la chape de plomb des années Giscard…

Les gens désignés ici comme « ex maos libertaires » criant offensive autonomie – en réalité Au-to-no-mie et o-ffen-sive ! – sont les adeptes de la Gauche historique. Ils se situent dans le prolongement des années 1960 et de la Gauche prolétarienne pour une part, ainsi que de la mouvance communiste libertaire tournée vers les travailleurs, d’autre part. Cette mouvance veut des ouvriers en grève, des mouvements de masse associées à une guérilla, la révolution, etc.

L’autre groupe est quant à lui organisé autour de la revue Marge, qui appelle à la révolte individuelle, valorise les prostituées, les toxicomanes, les délinquants, les travestis, etc. C’est la marge qui porterait la vérité grâce à la transgression. Cette mouvance est appelée l’autonomie désirante. C’est le grand ancêtre des post-modernes et son influence dans l’histoire des idées a été importante en France.

Forcément, la rencontre entre les deux groupes tourne très mal.

On notera par ailleurs que la mouvance de l’autonomie offensive a très vite disparu, dès 1982 (Action Directe en est largement issue), laissant l’hégémonie totale à la mouvance rebelle-criminelle caractérisant alors l’autonomie française.

L’auteur Jean Rouzaud – qui a un regard extérieur mais a très bien ressenti les choses et en dresse un très bon portrait – nous amène alors dans la troisième grande famille de la Gauche non institutionnelle d’alors : les zadistes…

Évidemment avant cela ne s’appelait pas encore les zadistes. Mais la tradition était déjà là, puisqu’elle vient des années 1960-1970, notamment avec le mouvement anti-militariste dans le Larzac et l’installation en communautés, « le retour à la terre » comme dans la Drôme, etc.

Comme quoi, malgré les prétentions des uns et des autres, rien n’a été inventé! C’est pratiquement les mêmes lignes de fraction qu’auparavant. Sauf que cette fois, cela ne concerne plus quelques mouvances, mais des pans entiers de la Gauche. Les thèses ultra-individualistes de la revue Marge sont pratiquement celles, pour beaucoup, de l’État français aujourd’hui…

Catégories
Politique

Il y a trente ans, la chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989

Le mur de Berlin qui s’est effondré il y a trente ans le 9 novembre 1989 signifiait la réunification tant attendue de l’Allemagne. La déchirure qu’avait connu ce pays se terminait enfin, pour la plus grande joie de la population. Que certains comme Jean-Luc Mélenchon y voient une « annexion » reflète une incompréhension complète de l’histoire allemande et en particulier de la ville de Berlin.

Pour comprendre le sens de la chute du mur de Berlin, il faut retracer ce qui s’est passé depuis 1945. Cette année-là ne fut pas du tout perçue par les Allemands comme celle de la libération, mais bien comme une défaite. Les communistes étaient horrifiés par la mentalité dominant la quasi totalité des gens.

Ils accentuèrent alors encore plus leur volonté d’unité avec les socialistes et proposèrent directement une fusion. Les socialistes étaient en grande partie d’accord, mais ils se méfiaient des communistes et exigeaient que cela devait prendre du temps.

Les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France ne voulaient évidemment pas en entendre parler. Ils appuyèrent donc la droite des socialistes, qui firent scission. Il y avait alors deux centres : un à Berlin avec Otto Grotewohl, l’autre à Hanovre avec Kurt Schumacher.

La pression de la guerre froide précipita la tendance. Dans la zone contrôlée par les soviétiques, les socialistes s’unifièrent avec les communistes, alors qu’à l’ouest sous l’égide de Kurt Schumacher les socialistes mirent en place un SPD très violemment anti-communiste, le parti communiste se faisant rapidement interdire, avec des interdictions massives d’emploi pour eux dans la fonction publique.

Au départ, l’Allemagne de l’Est ne cessa d’appeler à l’unification de l’Allemagne. Mais avec la « coexistence pacifique » finissant par triompher, cela fut abandonné. L’hymne à l’est, Auferstanden aus Ruinen (en français « Ressuscitée des ruines »), perdit ses paroles qui soulignaient l’unité allemande. Le régime est-allemand ne se définit plus alors comme la partie démocratique de l’Allemagne, mais pratiquement comme un autre pays. Le traité fondamental RFA-RDA entérine cette coupure entre deux États, pratiquement deux pays.

Il faut toutefois comprendre qu’il y avait Berlin-Ouest et qu’au cours de ce processus, cela posait problème à la ligne nouvelle de la RDA, car affirmer un pays nouveau est une chose, posséder une enclave sur son propre territoire en est une autre.

Il faut souligner ici que Berlin-Ouest ne relevait officiellement pas de la RFA. Dans les faits, c’était bien le cas, mais officiellement c’était une sorte d’entité autonome. En murant Berlin-Ouest en 1961, la RDA coule pour ainsi dire dans le béton cette entité autonome, afin d’être en mesure d’affirmer le caractère désormais national de la RDA.

C’était là totalement vain. Toutefois, la population encadrée par un État satellite d’une URSS surpuissante et conquérante dans les années 1970 et 1980 ne fut pas en mesure de s’y opposer. Seuls deux courants politiques s’y opposèrent.

Il y eut ainsi le KPD/ML, une organisation ouest-allemande se revendiquant de Mao Zedong qui créa des sections à l’Est et appela à l’unification. Ces sections furent écrasées au bout de quelques années.

Il y eut surtout les néo-nazis, dont la mouvance explose parallèlement à l’affirmation de la RDA comme étant pratiquement une nation. Pour cette raison, à la tombée du mur, la violence néo-nazie en Allemagne de l’est fut immense et d’une brutalité extrêmement forte. Ces derniers jours en Allemagne, il y eu une très importante vague de messages sur Twitter, très largement médiatisée, traitant des #baseballschlaegerjahre (les années des frappeurs à la batte de baseball).

Pour avoir un équivalent, il suffit d’imaginer une petite ville, avec des cités dortoirs comme on en a en France et au lieu qu’il y ait des groupes de « racaille » formés de déclassés semi-criminels, il y avait des gangs néo-nazis quadrillant ce territoire formant une « zone nationale libérée ».

Il a fallu une énorme mobilisation antifasciste pour y mettre relativement un terme. Il est toutefois considéré que les succès à l’est de l’AFD reposent en bonne partie sur toute une génération d’anciens jeunes néo-nazis arrivés à l’âge adulte et servant de base populaire « sérieuse » à ce mouvement.

C’est l’un des sous-produits ignobles de la séparation de l’Allemagne, cette horreur qui a défiguré un pays et un peuple, comme il défigure encore le peuple coréen aujourd’hui. On ne peut pas couper un peuple en deux. La chute du mur de Berlin était en ce sens inévitable et c’était une affirmation démocratique inévitable.

Catégories
Politique

«L’Importance de la mémoire européenne pour l’avenir de l’Europe», un texte contre la Gauche

Le 19 septembre 2019, le Parlement européen a adopté un texte dénommé l’«Importance de la mémoire européenne pour l’avenir de l’Europe». Il y est expliqué que l’origine de la Seconde Guerre mondiale serait… le pacte germano-soviétique.

Le texte adopté par le Parlement européen avec peu de votants a néanmoins été porté par de grands groupes : le Groupe du Parti populaire européen (PPE), Renew Europe (RE) auquel appartient La République En Marche, l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates au Parlement européen (S&D) qui regroupe les socialistes, le groupe Conservateurs et réformistes européens (CRE).

Il :

« souligne que la Seconde Guerre mondiale, conflit le plus dévastateur de l’histoire de l’Europe, a été déclenchée comme conséquence immédiate du tristement célèbre pacte de non-agression germano-soviétique du 23 août 1939, également connu sous le nom de pacte Molotov-Ribbentrop, et de ses protocoles secrets, dans le cadre desquels deux régimes totalitaires ayant tous deux l’objectif de conquérir le monde se partageaient l’Europe en deux sphères d’influence »

Il va de soi que c’est tout simplement ridicule. Aucun historien ne niera que toute la dynamique de la Seconde Guerre mondiale repose sur les expansionnismes allemand et japonais. L’URSS a d’ailleurs beaucoup souffert lors de l’invasion allemande, après avoir tenté désespérément de former un glacis pour établir une grande distance à la suite du refus de la France et de la Grande-Bretagne de former un bloc anti-nazi.

Cependant, ce qui compte ce n’est pas tant ici la mémoire que l’avenir. Adopté sans attirer l’attention, ce texte est d’une très grande importance à la fois culturelle et légale pour les années à venir. Déjà, il reflète les courants les plus fanatiques de la Droite des pays de l’Est européen, qui vouent une haine la plus complète pour tout ce qui est socialiste, communiste ou lié en général à l’histoire du mouvement ouvrier.

> Lire également : Le projet de loi visant à interdire le communisme en Pologne

Des pays comme la République tchèque, la Pologne, la Lettonie, la Hongrie… sont des bases fanatiques des courants conservateurs, pour qui la Gauche ne doit tout simplement pas exister. Pour cette raison le texte :

« se dit préoccupé par le fait que des symboles de régimes totalitaires continuent à être utilisés dans les espaces publics et à des fins commerciales, tout en rappelant qu’un certain nombre de pays européens ont interdit l’utilisation de symboles nazis et communistes ».

Il va de soi ici que ce sont les symboles communistes qui sont visés : l’objectif est de faire en sorte que le moindre « marteau et faucille » soient purement et simplement interdits. Pour la forme, il est demandé que la symbolique nazie soit interdite, mais il va de soi que les croix gammées ne courent pas les rues en Europe, étant bien souvent déjà interdites par ailleurs.

Ce à quoi il faut s’attendre, c’est à une interdiction du « stalinisme » dans les pays de l’Union européenne, ce que le texte réclame et ce qu’il obtiendra, car l’objectif à l’arrière-plan est d’empêcher toute révolte ouvrière et l’émergence de la Gauche, alors que « progressistes » et nationalistes se disputent le pouvoir.

Catégories
Nouvel ordre Politique

L’Appel de Stockholm (1950)

Le 18 mars 1950, le Congrès mondial des partisans de la paix, impulsé par les communistes, lançait l’Appel de Stockholm, un manifeste pour la paix qui eut un retentissement énorme. Il faisait suite à une dynamique mondiale importante dans toute la Gauche européenne, avec le Congrès mondial des intellectuels pour la paix à Wrocław en Pologne en 1948 puis les Assises pour la paix et la liberté à Paris.

En France, 14 millions de personnes signèrent la pétition liée à l’Appel de Stockholm, ainsi que 560 millions de personnes dans toute l’Europe. Ce fut un moment important pour la Gauche, marquant l’émergence d’un mouvement de masse en faveur de la paix, à l’époque où les États-Unis lançaient la construction de la bombe H.

C’est de cette époque et de cette dynamique que provient la fameuse colombe comme symbole de la paix, dessinée par Pablo Picasso. Le premier signataire de l’Appel fut le scientifique communiste français Frédéric Joliot-Curie, en tant que Président du Congrès mondial des partisans de la paix.

« APPEL

Nous exigeons l’interdiction absolue de l’arme atomique, arme d’épouvante et d’extermination massive des populations.

Nous exigeons l’établissement d’un rigoureux contrôle international pour assurer l’application de cette mesure d’interdiction.

Nous considérons que le gouvernement qui, le premier, utiliserait, contre n’importe quel pays, l’arme atomique, commettrait un crime contre l’humanité et serait à traiter comme criminel de guerre.

Nous appelons tous les hommes de bonne volonté dans le monde à signer cet appel.

— Stockholm, 19 mars 1950 »

Catégories
Politique

Le plan Marshall et Fabien Roussel, secrétaire national du PCF

Fabien Roussel n’est pas très connu, mais depuis la fin de l’année 2018, c’est le dirigeant du PCF, c’est-à-dire son secrétaire national. À l’occasion de la campagne actuelle contre les violences mortelles contre des femmes par leurs conjoints, il a employé de manière favorable l’expression « plan Marshall ». Cela en dit très long, parce que toute l’identité du PCF est pourtant issue de l’opposition totale au plan Marshall après 1945…

Le plan Marshall fût un outil américain d’une utilité énorme pour ce pays. Les États-Unis étaient en surproduction dès avant la seconde Guerre mondiale. Le Plan Marshall consiste alors à dire : on vous prête de l’argent, car vous n’avez plus rien à cause des destructions, mais il faut acheter américain. Vous rembourserez plus tard.

On l’aura compris, c’est une vente à crédit et, forcément, les pays voulant garder leur indépendance on dit non. Les autres ont dit oui, considérant que la perte de l’indépendance, au moins relativement du moins, valait mieux que le risque communiste.

Ainsi, à part le PCF, farouchement opposé au plan Marshall, tout le monde a dit oui, socialistes y compris. Cela a même servi de détonateur à la sortie de toute une fraction de la CGT, qui donna la CGT – Force Ouvrière, qui existe encore comme on le sait et clame toujours qu’il est né comme syndicat dans le rejet du communisme et la poursuite du syndicat anti-politique, dans la tradition de la charte d’Amiens.

En rejetant le plan Marshall, le PCF et la CGT se sont isolés politiquement, ils ont assumé un haut niveau de conflit, d’ailleurs l’opposition aux Américains allait amener des batailles dures, voire très violentes en France. Fabien Roussel ne peut pas ne pas le savoir.

Son tweet réclament un plan Marshall est donc lunaire. C’est une insulte à tout ce qu’a été le PCF :

« 100 femmes assassinées par leur conjoint dps le debut de l’année. Le #PCF est avec les assos féministes pour un vrai plan Marshall de lutte ctre les violences et la création d’unités spéciales (police, justice, medecins) d’accueil des femmes ds ts les départements! #Grenelle »

Pourquoi emploie-t-il une telle expression ? Déjà, par décadence totale au sein du PCF, qui ne cesse donc de perdre ses valeurs, au point d’être totalement délavé. Mais ensuite, aussi par cynisme. Car l’emploi à tort et à travers par les médias et certains politiques des expressions « Grenelle » et « plan Marshall » n’est rien d’autre qu’une opération de communication sur le dos de la cause des femmes.

On sait que Twitter force à résumer, conceptualiser au maximum, mais là c’est l’absence de respect sans commune mesure… On prétend vouloir des « plans d’urgence », ce qui ne veut strictement rien dire, car c’est le contenu qui compte. Les accords de Grenelle issus de mai 1968 ne sont pas un plan d’urgence, mais des acquis arrachés. Quant au plan Marshall, c’est une manœuvre américaine. Quel rapport avec la mise en place réelle d’un soutien aux femmes ?

On voit que le problème, ce sont ici les réseaux sociaux, mais surtout la consommation politique. Car le mouvement « #metoo » ou « youth for climate » avec Greta Thunberg, ainsi que toutes ces choses qui ne sont que des bulles montées de toutes pièces, sont aux antipodes de l’organisation démocratique du peuple sur des valeurs. Ce qu’a pourtant été capable de réaliser la Gauche historique à une autre époque. Et ce dont nous avons besoin aujourd’hui.

Catégories
Politique

Léon Blum, Pour être socialiste (1919)

Il y a 100 ans, le dirigeant de la SFIO Léon Blum publiait cet article destiné aux jeunes, qui est un classique pour la Gauche en France.

« Pour être socialiste

À mon Fils,

Jeunes filles et jeunes gens qui lirez ces quelques pages, je ne vous demande que ceci : lisez avec une entière foi dans la sincérité de l’homme qui s’adresse à vous, lisez avec une attention dégagée des préjugés qui vous enserrent sans doute depuis votre enfance, lisez en laissant se former en vous l’appel de vos consciences dont les rigueurs de la vie n’ont pas encore faussé la voix, lisez avec vos yeux frais et votre esprit libre.

De quoi est né le socialisme ?

Voilà longtemps que les hommes travaillent, souffrent et pensent sur cette terre. Leurs efforts accumulés par les siècles ont créé peu à peu une moralité universelle, ont constitué comme un patrimoine commun de sentiments que chacun de nous porte en soi dès sa naissance, que chacun de vous peut retrouver en lui-même. Nous naissons avec le sentiment de l’égalité, avec le sentiment de la justice, avec le sentiment de la solidarité humaine. Nous savons, avant d’avoir rien appris, et par un instinct qui est l’héritage de nos ancêtres, que nous apparaissons tous en ce monde égaux, avec le même droit à la vie, avec le même droit au bonheur, avec le même droit de jouir des richesses indivises de la nature et de la société. Nous savons qu’il doit exister un rapport permanent, équitable entre nos droits et nos devoirs, entre notre travail et notre bien-être. Nous sentons que notre bonheur n’est pas indépendant de celui des autres hommes, de même que notre travail demeurerait vain sans le leur, mais que leurs souffrances et leurs misères sont les nôtres, que toute injustice qui les atteint doit nous blesser. Nous sentons que la vertu véritable, celle qui procure la pleine satisfaction du cœur, c’est de savoir sacrifier fût-ce notre intérêt présent et notre profit égoïste, au bonheur commun et à la justice future, et que là sont les formes authentiques de cette fraternité que nous enseignaient les religions, de l’immortalité qu’elles nous ont promise.

De quoi est né le socialisme ? De la révolte de tous ces sentiments blessés par la vie, méconnus par la société. Le socialisme est né de la conscience de l’égalité humaine, alors que la société où nous vivons est tout entière fondée sur le privilège. Il est né de la compassion et de la colère que suscitent en tout cœur honnête ces spectacles intolérables : la misère, le chômage, le froid, la faim, alors que la terre, comme l’a dit un poète, produit assez de pain pour nourrir tous les enfants des hommes, alors que la subsistance et le bien-être de chaque créature vivante devraient être assurés par son travail, alors que la vie de chaque homme devrait être garantie par tous les autres. Il est né du contraste, à la fois scandaleux et désolant, entre le faste des uns et le dénuement des autres, entre le labeur accablant et la paresse insolente. Il n’est pas, comme on l’a dit tant de fois, le produit de l’envie, qui est le plus bas des mobiles humains, mais de la justice et de la pitié, qui sont les plus nobles.

Je n’entends pas soutenir, vous le comprenez bien, que tous les sentiments généreux et désintéressés de l’âme humaine ne se sont manifestés dans le monde qu’avec les doctrines socialistes. Ils sont plus anciens, s’ils ne sont pas éternels. L’instinct de justice, de solidarité, de moralité humaine qui trouve aujourd’hui son expression dans le socialisme a, tout le long de l’histoire, revêtu d’autres formes et porté d’autres noms. C’est cet instinct qui a fait la force des religions modernes, puisque toutes, à leur naissance, dans leur première phase de prosélytisme populaire, se sont tour à tour adressées à lui. Un encyclopédiste du XVIIIe siècle, un jacobin de la Convention, un démocrate de 1830 étaient probablement mus par les mêmes sentiments qui font aujourd’hui le ressort et la force vive de notre action. Mais – là est le point essentiel – la foi socialiste est la seule forme de cet instinct universel qui réponde exactement aux conditions actuelles de la vie sociale, de la vie économique. Toutes les autres ont été dépassées par le cours des temps. Toutes les autres sont discordantes et retardataires. Que ceux qui s’y obstinaient de bonne foi le comprennent et viennent à nous.

Le socialisme est donc une morale et presque une religion, autant qu’une doctrine. Il est, je le répète, l’application exacte à l’état présent de la société de ces sentiments généraux et universels sur lesquels les morales et les religions se sont successivement fondées. Sa doctrine est économique plutôt que politique. Pourquoi ? Parce que l’analyse de l’histoire – analyse que chacun de nous peut vérifier et confirmer par son expérience quotidienne – établit précisément que les faits économiques, c’est-à-dire les formes de la propriété, les phénomènes de production, d’échange et de distribution de denrées, dominent de plus en plus l’évolution des sociétés modernes, gouvernent de plus en plus leurs institutions et leurs rapports politiques.

Sa doctrine a pour principe initial ce qu’on appelle la lutte des classes. Pourquoi ? Parce qu’en effet, le caractère essentiel des sociétés modernes, considérées du point de vue économique, est la division progressive en deux classes des individus qui les composent : d’une part, les possédants, ceux qui détiennent le capital et les moyens de production créés par la nature ou par le labeur accumulé des siècles ; d’autre part, les prolétaires, ceux dont la propriété consiste uniquement dans leur force personnelle de travail, dans leur vie et dans leurs bras. Concentration progressive des capitaux et des instruments de travail entre les mains des possédants, accroissement progressif du nomb21re des prolétaires, tel est le trait dominant de l’évolution économique depuis un siècle et demi, c’est-à-dire depuis que la science a multiplié l’emprise des hommes sur les richesses et les puissances naturelles. Obligation impérieuse pour le prolétaire de travailler au service et au profit du capital, de devenir le salarié d’un patron, telle est la conséquence inéluctable de cette évolution.

Pourquoi est-on socialiste ?

On est socialiste à partir du moment où l’on a considéré ce fait essentiel : le patronat et le salariat s’engendrant l’un l’autre et s’opposant l’un à l’autre, à partir du moment où l’on se refuse à accepter ce fait comme nécessaire et éternel, à partir du moment où l’on a cessé de dire : “ Bah !, c’est l’ordre des choses ; il en a toujours été ainsi, et nous n’y changerons rien ”, à partir du moment où l’on a senti que ce soi-disant ordre des choses était en contradiction flagrante avec la volonté de justice, d’égalité, de solidarité qui vit en nous.

Est-il vrai d’ailleurs qu’il en ait toujours été ainsi, toujours et partout ? Non, l’effort séculaire des hommes pour vivre en société, pour exploiter en commun le patrimoine des richesses naturelles a déjà connu d’autres formes dans l’histoire. Le salariat lui-même présentait des caractères moins définis aux temps de l’artisanat, du petit négoce et de la petite industrie. Sa généralité comme ses conditions actuelles, datent des progrès du machinisme et du développement des sociétés anonymes de capitaux. Il est vrai qu’il est devenu aujourd’hui la loi commune. Mais c’est cette loi que ni notre raison ni notre cœur n’acceptent plus.

Vous êtes le fils d’un salarié, ouvrier, employé, journalier agricole. Sauf hasard providentiel, votre destinée est de demeurer toute votre vie un salarié. Voilà, tout à côté de vous, dans la rue voisine, le fils d’un possédant, d’un détenteur de capitaux. À moins de circonstances extraordinaires, il restera sa vie entière, directement ou indirectement, un patron. Vous travaillerez pour lui, pour l’entreprise qu’il dirige, ou bien pour l’entreprise où il a placé ses fonds et dont il a mis les titres dans son tiroir. Le produit de votre travail servira pour une part à vous nourrir, vous et les vôtres, mais pour le surplus, à constituer ses profits. Ce salaire, tant qu’il a été le maître absolu, il l’a comprimé, maintenu à un taux dérisoire et inhumain, pour accroître à la fois ses débouchés et ses bénéfices. Il a dû le relever peu à peu depuis que vos camarades et vous, groupés pour votre défense commune, lui avez fait sentir, de temps en temps, la menace de votre force, depuis aussi que, sous l’influence des penseurs et des hommes d’action socialistes, l’opinion publique s’est entr’ouverte aux idées de progrès et d’équité. Cependant, votre salaire ne représentera jamais la valeur entière de votre travail. Toujours, quoi qu’il arrive, une part de cette valeur sera perçue, retenue au profit du capital que l’autre possédait à sa naissance et que vous ne possédiez pas. Il en sera ainsi pendant toute sa vie, et pendant toute la vôtre.

Pourquoi ? Est-ce juste ? Et cela peut-il durer ?

Que disaient, il y a cent trente ans, les hommes de la Révolution française ? Ils disaient : fils de noble, fils de bourgeois, fils de serf ou de manant, les hommes naissent tous libres, tous égaux, pétris du même limon, de la même argile. La société doit consacrer leur égalité naturelle. Plus de distinction tirée de leur origine, de ce qui précède leur venue au monde, de ce qui devance la manifestation de leur utilité personnelle…

Les hommes de la Révolution avaient cru achever leur œuvre en confondant tous les ordres de l’ancienne société. Ils ne se doutaient pas que, dans la société moderne, la même iniquité reparaîtrait, sous une forme moins supportable encore, par la formation et la distinction des classes. Ils ne se doutaient pas qu’il nous faudrait reprendre, après eux, sur nouveaux frais, leur tâche révolutionnaire. Fils de possédant ou fils de prolétaire, les hommes naissent tous libres, tous égaux. Pourquoi la société livre-t-elle les uns aux autres, asservit-elle les uns aux autres, exploite-t- elle le travail des uns au profit des autres ?

On nous répondra : la société distribue à chacun de ses membres le rôle, la tâche qui convient à ses facultés. Il faut bien que l’un commande et que l’autre obéisse, que l’un dirige et que l’autre exécute, que l’un travaille de son cerveau, l’autre de ses bras. Il existe nécessairement comme une hiérarchie d’emplois sociaux, auxquels une société policée pourvoit selon la différence des aptitudes, c’est-à-dire de l’intelligence et de la culture. Soit, il faut des hommes pour toutes les tâches, et il serait absurde que chacun d’eux prétendît à diriger les autres. Mais où trouverons-nous l’assurance que le fils du possédant en fût plus digne que le fils du prolétaire ? Quand donc a-t-on mesuré contradictoirement leurs aptitudes, c’est-à-dire leur intelligence et leur culture ? L’un est plus instruit que l’autre ? C’est qu’un premier privilège, une première distinction arbitraire les a séparés, dès que leur conscience s’éveillait à la vie. Les fils de possédants ont eu leurs écoles à eux, où l’instruction n’a pour ainsi dire pas de fin, où le plus médiocre esprit, à force de temps et de sollicitude, finit par usurper un semblant de connaissances. Les fils de prolétaires ont les leurs, où l’étude est limitée dans ses programmes et dans sa durée, et que les plus aptes doivent quitter bien vite pour apporter à leur famille un complément de subsistance, pour entrer à leur tour dans la servitude du travail salarié.

Si l’on prétend réserver aux plus dignes les emplois de direction et de commandement, qu’on commence donc par donner à tous la partie égale ! Que l’instruction soit commune entre tous les enfants, semblable pour tous, qu’elle devienne entre eux un moyen de sélection exacte… et alors nous verrons bien à qui le prix du mérite reviendra. Que de degré en degré l’école nationale retienne vers les cultures supérieures et les hauts emplois sociaux ceux qui s’en montreront les plus dignes, ceux-là seuls, fussent-ils fils de possédants. Ce jour-là, nous pourrons constater dans quelle classe de la société la sève humaine monte avec le plus de vivacité et de fraîcheur. D’ici là, on aura justifié un privilège par un autre, rien de plus.

On nous répondra encore, comme dans les livres de morale : il ne tient qu’aux fils d’ouvriers. Qu’ils soient laborieux, sobres, économes, qu’ils appliquent toute leur force à leur travail, qu’ils acquièrent la confiance de ceux qui les emploient et, peu à peu d’échelon en échelon, ils pourront devenir à leur tour patrons ou propriétaires. Il n’existe plus, dans notre société actuelle, de caste fermée dont l’entrée soit interdite. Parmi les patrons d’aujourd’hui combien sont fils de prolétaires, combien ont débuté dans la vie sans privilège héréditaire du capital, avec le seul don de leur énergie et de leur intelligence … je le concède encore. Il est vrai que, parmi les patrons d’aujourd’hui, et quelquefois parmi les plus puissants, tous ne le sont pas par droit de naissance. Les sociétés modernes font une terrible consommation d’hommes. Il y a chez elles disette de talents tout comme il y aura un jour pénurie de charbon. Elles ne peuvent s’embarrasser sur le choix ou discuter sur l’origine,

Réfléchissez cependant. Si les enfants d’ouvriers et de paysans étaient tous également sobres, économes, laborieux, pourraient-ils devenir tous, en récompense de leurs vertus, patrons ou propriétaires ? N’est-il pas évident que la classe privilégiée est, par sa nature même, une sorte d’oligarchie, une classe à effectif nécessairement limité ? L’un ou l’autre d’entre vous, par son mérite ou sa bonne fortune, pourra peut-être un jour franchir la barrière ; mais elle ne saurait s’ouvrir à tous. On disait jadis, après l’abolition des lois qui réservaient aux gens de “ sang bleu ” tous les grades militaires, que chaque soldat portait dans sa giberne le bâton de maréchal de France. Que voulait-on dire par là ? Qu’aucun obstacle légal n’empêchait plus un soldat de parvenir au grade suprême, et de même, il n’y a pas d’impossibilité légale à ce que le petit apprenti devienne un jour le chef de la grande usine. Mais à quoi se réduit sa chance ? Combien y a-t-il de soldats qui, de leur giberne, doivent faire sortir le bâton de maréchal ?

La véritable égalité

Que prouveraient d’ailleurs ces élévations isolées ? Si les privilégiés d’aujourd’hui sont nés un peu partout, les privilèges n’en sont ni moins iniques, ni moins odieux. S’il n’existe plus entre les classes de cloisons étanches, si leurs limites sont indécises, elles n’en sont pas moins ennemies. Il se produit des échanges entre elles. Qui le nie ? Mais dans le hasard de ces échanges nous ne pouvons voir que des accidents, non pas le jeu normal d’une loi. Qu’un ouvrier accède à la bourgeoisie, c’est un miracle. Qu’un bourgeois retombe au travail manuel, c’est une catastrophe. Tel patron est le fils d’un ouvrier ou d’un paysan, je le veux bien. Mais que seront ses enfants à lui ? des fils de bourgeois comme les autres. La bourgeoisie aura pompé un peu de sang jeune, voilà tout.

Là n’est pas la véritable égalité. Quand bien même dans la société présente – et cela n’est ni vrai ni possible – il existerait une harmonie entre les privilèges sociaux et les qualités individuelles, si ceux qui commandent étaient les plus dignes du commandement, si les plus riches étaient les plus dignes de la fortune ; rappelez-vous ceci : que le capital se transmet indéfiniment alors que nulle qualité du corps et de l’esprit n’est nécessairement héréditaire. Avec chaque génération, le classement humain recommence sur nouveaux frais. Le fils de l’homme le plus intelligent peut être un sot, le fils de l’homme le plus énergique peut être un faible. S’ils n’apportent pas ces tares en naissant, le luxe et la paresse peuvent promptement les en affliger. Quel droit peuvent-ils revendiquer au privilège social sinon leur droit de naissance ? Ils le recueilleront pourtant dans leur héritage, comme un dauphin de France recueillait jadis la couronne de droit divin, comme l’aîné d’un noble recueillait les titres et les terres de sa maison. La société actuelle n’interdit pas à l’ouvrier, au paysan de conquérir parfois les hautes dignités capitalistes, mais renvoie-t-elle leurs enfants à l’atelier ou à la terre, quand ils ne sont bons, comme il arrive, qu’à conduire la charrue ou qu’à manier le marteau ?

La véritable égalité consiste dans le juste rapport de chaque individu d’où qu’il soit né, avec sa tâche sociale. Certes, le socialiste ne nie pas cette donnée brutale : l’inégalité naturelle, l’inégalité de la force, de la santé, de l’intelligence entre les individus. Il n’entend pas faire passer sur eux le rouleau compresseur pour les réduire tous au même niveau, pour les confondre tous dans une sorte de moyenne humaine. La tâche qu’il veut assumer est plus lourde cent fois que celle de la société actuelle, puisqu’il veut exploiter au mieux cette terre, tirer le plus riche rendement des ressources delà nature et de l’industrie, les produire avec la moindre dépense de travail humain, les répartir selon le juste équilibre des besoins. Donc, plus encore que la société actuelle, et parce que son œuvre comportera des besognes de direction plus complexes, il attache du prix à l’intelligence et à la science. Nous comprenons clairement, nous socialistes, que nous n’accomplirons l’œuvre immense qui nous est remise par le destin, qu’en plaçant chaque travailleur à son poste exact de travail, à celui que lui assignent ses facultés propres, judicieusement reconnues et cultivées par l’éducation commune. Mais ces affectations nécessaires, nous les réglerons par la seule considération des aptitudes personnelles, au lieu de les abandonner follement, comme le régime bourgeois, aux accidents de la naissance. D’ailleurs, dans cette répartition des tâches, nous n’entendons introduire aucune idée de hiérarchie et de subordination.

Nous ne séparerons pas à nouveau l’unité sociale en castes mouvantes mais tranchées. Meilleurs ou pires, plus forts ou plus faibles, tous les travailleurs nous apparaissent égaux et solidaires devant le même devoir. La bonne distribution du travail commun exige qu’entre eux le commandement revienne aux plus dignes, mais il leur sera remis pour le profit commun non pour leur honneur et leur profit personnel. Notre but n’est pas du tout de rémunérer leur mérite qui est l’ouvrage de la nature et de l’effort accumulé de la civilisation, mais de l’utiliser dans l’intérêt de la collectivité tout entière. Ils ne seront pas à proprement parler, des chefs, mais des travailleurs comme les autres, associés, assemblés dans la même œuvre avec leurs frères de travail, chacun peinant à son poste, tous s’efforçant vers le même objet, qui est l’égal bien- être et le bonheur commun des hommes.

De quoi est fait le capital ?

Ainsi, par une révolution semblable à celle qu’ont accomplie nos pères, nous installerons la raison et la justice là où règnent aujourd’hui le privilège et le hasard. Dans la République du Travail, point de distinctions sociales, mais seulement des répartitions professionnelles. Ces affectations auront pour fondement unique l’aptitude personnelle, propre à chaque individu, naissant et s’éteignant avec lui. La société présente au contraire repose essentiellement sur la division en classes : classe des possédants, classe des prolétaires, et cette division a bien pour principe le capital, puisqu’elle apparaît avec la possession du capital, puisqu’elle se transmet et se perpétue, comme vous l’avez vu, avec le capital lui-même.

Il est temps ici de retourner en arrière et d’envisager de plus près ce mot dont nous nous sommes déjà servis tant de fois. Le capital qu’est-ce donc que ce talisman magique dont la présence ou l’absence transforme notre condition, notre état, notre vie entière ? Comment se présente-t-il à nous, quelle est son origine ou sa raison d’être, de quoi est-il fait ?

Si je dis de mon voisin qu’il est un riche capitaliste, cela signifie qu’il est propriétaire de terres et d’usines, qu’il possède ce qu’on appelle aujourd’hui des valeurs mobilières – actions de sociétés ou rentes sur un État, – qu’il a de grosses sommes placées chez son banquier ou chez son notaire et beaucoup de billets de banque ou d’or dans son tiroir. L’or et les billets de banque ne sont pas des richesses réelles, ce sont des monnaies, c’est-à-dire des valeurs fictives, imaginées dans un état lointain de la civilisation pour représenter les denrées et marchandises de toute espèce, pour en faciliter l’échange et la conservation. Les métaux précieux et le numéraire sont, dans le régime actuel, les moyens de paiement universellement adoptés, mais ils ne sont par eux-mêmes d’aucune utilité sociale. Il est aisé de concevoir une société parvenue à un haut degré de culture et de civilisation, où la monnaie ne serait cependant pas employée. Il suffirait d’adopter, entre les hommes, une autre façon de distribuer les produits de leur travail et les richesses naturelles. Si nous faisons, par l’imagination, l’effort de supprimer tout l’or et tous les billets existant sur cette terre, les intérêts privés d’une multitude d’hommes en seront momentanément bouleversés, mais, dans son ensemble, la richesse totale du monde n’en sera aucunement diminuée. Car, considérée en elle-même, la monnaie ne satisfait à aucun des besoins des hommes. Ce n’est pas avec de l’or qu’on mange, qu’on se chauffe ou qu’on se vêt, qu’on bâtit ou qu’on construit une machine. Nous en sommes venus, peu à peu, à considérer l’or comme le signe représentatif de toutes les valeurs, mais il n’est pas par lui-même une valeur, si ce n’est pour les rares industries qui l’emploient comme matière première. Un compte dans une banque n’est pas autre chose qu’une certaine quantité de monnaie mise en dépôt et que le dépositaire s’engage à nous représenter sur notre demande. Les rentes ou les actions ne sont pas autre chose que des monnaies à valeur variable et productrices de revenu annuel. À l’origine du compte, il y a un versement de numéraire. À l’origine du titre de rente ou de l’action, il y a une opération de placement, c’est-à-dire l’échange de la valeur mobilière contre une certaine quantité d’or ou de billets. Toute cette première catégorie de capitaux ne représente donc, sous une forme simple ou compliquée, directe ou indirecte, que la monnaie et ses divers modes de transformation.

Nous pourrions en rechercher ensemble l’origine, et nous nous convaincrions aisément que dans l’immense majorité des cas la possession du numéraire, sous ses multiples formes, ne correspond nullement au travail personnel de l’homme qui le détient, que cette valeur a été créée, avant lui, en dehors de lui, par le travail des autres hommes. Mais je préfère insister sur le21 fait essentiel, à savoir qu’il s’agit uniquement ici d’une valeur imaginaire, d’une valeur de convention, que, nous autres hommes, jouons avec la monnaie comme on voit les enfants jouer avec des jetons ou des cailloux, et qu’on pourrait la supprimer d’un trait de plume sans que la consistance vraie du monde fût changée, sans que la somme des richesses réelles qu’il engendre pour les besoins des hommes fût diminuée d’un morceau de pain. On nous a mainte et mainte fois affirmé que, même sous cette première forme, le capital était indispensable à la vie des sociétés. À quelle fonction vitale des sociétés serait-il donc nécessaire ? Parler ainsi, comme on le fait chaque jour, c’est commettre une confusion puérile entre les capitaux eux-mêmes et les produits ou marchandises de toute espèce que, dans l’économie actuelle, ils représentent et permettent seuls d’acquérir. Les capitaux ne sont pas nécessaires, et ne peuvent le sembler qu’en vertu d’une fiction, d’une convention universelle. Ce n’est pas, je le répète, avec de l’argent que l’on monte une usine ou que l’on rend une terre productrice, c’est avec des matériaux ou des outils que l’argent n’a pas créés et qui existeraient sans lui. Ce n’est pas en réalité avec l’argent qu’on paie des salaires, c’est avec des denrées de toute sorte qu’on échange aujourd’hui contre l’argent, mais qui sont produites sans lui, et qui pourraient être réparties par un autre moyen. Si vous voulez apprécier l’importance relative du travail et des capitaux d’échange, songez qu’on pourrait retirer du monde, sans l’appauvrir, toutes ses richesses monnayées, alors qu’on n’en saurait retirer, sans paralyser sa vie, un seul jour du travail unanime des hommes. Cependant la possession de ce signe conventionnel, de ce simulacre, assure aux heureux élus, comme dans les contes de fées, tous les bienfaits et la satisfaction de tous les vœux : le droit de ne pas participer par le travail au labeur commun du monde, le droit de prélever un large tribut sur ce que produit le travail des autres, le droit de faire fleurir leur paresse et leur faste sur le surmenage et la misère de la multitude. Nos yeux et notre esprit sont accoutumés à ce spectacle ; nous en sommes venus à le juger naturel. Si nous en trouvions le tableau dans quelque récit d’explorateur, ou dans les visions imaginaires d’un Rabelais ou d’un Swift, son absurdité nous saisirait autant que son injustice.

J’en viens à la seconde classe de capitaux : la terre, son sol et son sous-sol, les forces qu’elle recèle, les bâtiments qui la couvrent, les engins de toute sorte dont l’industrie humaine l’a peuplée. Ici, c’est autre chose. Ce capital est réel. Il représente notre vrai patrimoine, notre vraie richesse. Il n’est pas moins indispensable à notre vie que le travail, puisque c’est à lui que le travail s’applique, c’est lui que le travail fait valoir. Ces richesses communes de la terre sont la condition même de notre existence ; aussi le labeur continu des hommes les a-t-il en partie créées, en partie aménagées : et si l’avenir peut nous promettre de plus en plus de bien-être, de plus en plus de confort et de sécurité, c’est par leur exploitation plus exacte et plus savante. Mais, s’il en est ainsi, comment concevoir que ce qui est nécessaire à la totalité des hommes demeure la propriété exclusive de quelques-uns ? Où sont leurs titres ? Le capital utile du monde est, pour une part, le don gratuit de la nature, d’autre part, l’héritage du travail séculaire de l’humanité, car toutes les générations qui se sont succédé sur cette terre y ont tour à tour ajouté leur part. N’avons-nous pas tous la même vocation aux richesses naturelles ? N’en sommes-nous pas tous, en naissant, propriétaires égaux et indivis comme de l’air et de la lumière ? N’y avons-nous pas tous le même droit, contre le même devoir, — le devoir de les entretenir et de les accroître dans la mesure de nos forces. Quel jour, pour reprendre le mot d’un poète, avons-nous, comme Esaü, vendu notre part de l’héritage ? Et tout ce qu’a incorporé à la nature, depuis des centaines et des milliers de siècles, depuis que l’homme a paru sur cette terre, le travail accumulé des générations, comment une poignée d’individus s’arrogerait-elle le pouvoir d’en détenir, à elle seule, le profit et l’usage ? C’est à tous les hommes que doit revenir le bien créé par tous les hommes. C’est la collectivité présente qui est la seule héritière légitime de la collectivité indéfinie du passé. La nécessité commune, l’origine commune, voilà ce qui justifie doublement la communauté du capital, en tant que le capital représente l’ensemble des richesses naturelles et des moyens de production.

Il y a dans cette vérité quelque chose d’éclatant et de nécessaire, et l’on n’en peut plus détacher ses yeux dès qu’on l’a clairement saisie une fois. Pourtant, il est naturel qu’elle ait longtemps échappé à l’intelligence humaine. Durant de longs siècles, le travail humain s’est poursuivi dans un état de dissémination extrême et d’ignorance réciproque. Courbé sur sa tâche isolée, n’apercevant rien de celle qu’accomplissaient ailleurs les autres hommes, n’employant guère à son effort particulier que sa propre force, le travailleur adaptait, ajoutait à sa personne son instrument de travail. Le petit champ que le paysan cultive, le marteau du forgeron, le métier du tisserand leur semblaient comme un prolongement de leurs bras. Cet aspect individualiste du travail semblait ainsi justifier, ou même engendrer la propriété individuelle. Mais, depuis cent cinquante ans, les grandes industries et les grandes agglomérations d’hommes se sont formées. L’exploitation des richesses naturelles n’est plus remise à l’effort morcelé des individus. Les besoins accrus du monde ne peuvent plus être satisfaits, la population multipliée du monde ne peut plus subsister par la totalisation de tâches distinctes et indépendantes. Les moyens de production sur lesquels repose l’existence de l’univers moderne se séparent de plus en plus de la personne qui les manie pour s’ajuster dans un ensemble organisé.

L’univers a pris de plus en plus la figure d’une usine immense et unique dont tous les rouages solidaires concourent à une même fin. Chaque jour nous voyons se resserrer ces liens de dépendance mutuelle entre les espèces multiples de moyens de travail et de travailleurs. L’économie d’autrefois les abandonnait chacune à son libre jeu, à son initiative autonome. L’économie d’aujourd’hui les assemble, bon gré mal gré, dans des combinaisons et des disciplines collectives. Bientôt, les nécessités mêmes de la vie du monde obligeront de soumettre à des directions d’ensemble – non seulement nationales mais universelles -les fabrications et les cultures, la distribution des matières premières et la répartition des produits. Il le faudra pour parer à la disette des produits, à l’insuffisance de la main-d’œuvre ; il le faudra pour assurer l’équilibre entre la production globale du monde, et la croissance continue de la population et des besoins. Le capitalisme lui-même sous la pression de cette nécessité, avait dû s’orienter, pendant les vingt années qui ont précédé la guerre, vers l’organisation centralisée de l’industrie. Mais ce corps unique, dont dépendra ainsi la vie du monde, qui donc a qualité pour en régler les fonctions essentielles, qui donc doit recueillir le fruit de son activité universelle ? Quelques privilégiés ? Non certes, la collectivité entière et universelle des hommes. Et ainsi, les formes collectives de la production moderne viennent ajouter une justification de plus, imposer comme une nécessité de plus, aux formes collectives de la propriété.

Réaliser la fraternité comme l’égalité

Le bien des hommes appartient collectivement à tous les hommes ; le travail des hommes – des vivants et des morts – doit profiter collectivement à tous les hommes. Chacun doit son plein travail à l’œuvre commune ; chacun doit recueillir sa part du travail commun. En ces quelques formules si simples tient l’essentiel de la pensée socialiste. Notre doctrine est donc celle qui peut réaliser la fraternité comme l’égalité. Qui peut la contester ou la combattre ? Ceux qui ne veulent pas la comprendre ou ceux qu’elle lèse dans leurs intérêts. Ceux dont elle ferait tomber les privilèges, ceux dont elle ferait cesser l’usurpation. Usurpation consacrée par la loi, protégée par toutes les puissances de propagande et de contrainte, perpétuée par toutes les formes de l’héritage social, mais qui, toujours contraire à la raison et à la justice, se trouve aujourd’hui en contradiction manifeste avec la moralité générale de ce monde, avec les lois et les besoins généraux de la production. La propriété, dans la légalité capitaliste, c’est l’absorption totale et éternelle de la chose appropriée, c’est le droit d’en user à son gré, de la transformer, de la transmettre, de la détruire. Le propriétaire d’un stock de blé peut le brûler, s’il lui plaît, quand le pain manque à la ville voisine. Le propriétaire d’une usine peut la laisser chômer, s’il lui plaît, quand des outils de première nécessité manquent à l’industrie ou à la culture. Peu importe l’intérêt commun, la chose est à lui. Le jeu de la concentration, de la capitalisation, de l’héritage pourra rassembler dans les mains d’une centaine d’hommes, à la rigueur dans les mains d’un seul – Wells a fait ce rêve – toute la propriété utile du monde. Peu importe l’esclavage universel, la propriété reste sacrée… Peut-être, mais c’est l’instinct de conservation qui doit alors, à lui seul, légitimer la révolte. Songeons que la propriété individuelle a déjà subi quelques atteintes, que le progrès matériel et moral des sociétés a déjà arraché au propriétaire quelques-uns de ses attributs séculaires. Un Romain était propriétaire de ses enfants comme de ses animaux de somme ; il pouvait les vendre ou les tuer. Un planteur des Antilles était propriétaire de ses esclaves comme de ses champs de canne à sucre. Mais la conscience humaine a élevé son cri et ces formes de la propriété sont tombées. D’autres tomberont à leur tour, qui sont nées de la même conception déviée et exorbitante du droit. Ce que nous disons aujourd’hui, c’est qu’un homme ne peut demeurer maître absolu, maître unique, maître éternel par sa descendance, de ce que la collectivité des hommes a jadis recueilli ou créé, de ce qui conditionne aujourd’hui la vie collective des hommes. Et nous avons proclamé le socialisme, quand nous avons dit cela.

Vous entendez d’ici les répliques intéressées ou sceptiques. Quoi, nous disent les railleurs, pour justifier le socialisme, ce sont les lois économiques, les nécessités de la production que vous invoquez ! Touchant paradoxe ! Mais vous savez bien que les hommes n’ont pas naturellement le goût du travail. Pourquoi travaille-t-on ? Pour gagner de l’argent, pour épargner, pour transmettre à ses enfants le fruit de son épargne. Quand vous aurez supprimé ces deux stimulants de la paresse humaine, le désir du gain et l’héritage, vous aurez tout bonnement rejeté l’animal humain à son apathie atavique. Il ne travaillera plus que pour satisfaire à ses besoins élémentaires, ou bien il ne travaillera plus que par contrainte. État de production indéfiniment raréfiée, ou bien état de travaux forcés et de chiourme, votre cité socialiste aboutira nécessairement à l’un ou à l’autre. Choisissez… Il faut bien que je suppose ce langage. On vous l’a tenu, ou vous l’avez entendu tenir. Il faut bien aussi que j’y réponde, quelque découragement que l’on éprouve à chasser sans cesse devant soi l’éternelle sottise, l’éternelle routine, l’éternelle incrédulité. Où a-t-on pris qu’un célibataire, qu’un homme ou qu’une femme sans enfants fussent moins actifs, moins industrieux, moins âpres au gain, qu’un père de famille ? Que chacun regarde près de lui, et vérifie. J’ai vu souvent que la charge de famille obligeait un homme à un travail excessif, surmenant, pauvrement rémunéré. Je n’ai jamais vu que le défaut d’enfants détournât l’homme d’un effort utile et fît d’un travailleur un oisif.

La vérité est, tout simplement, que, par un secret instinct de moralité, nous sommes moins honteux de rapporter à nos enfants qu’à nous-mêmes notre appétit personnel de lucre. Il arrive que des bourgeois Prennent plus tôt le temps de “ se retirer des affaires ” comme ils disent, parce que leur fortune acquise, médiocre pour de nombreux enfants, suffit au contraire à leur ménage stérile. Mais, qu’ils vendent leur fonds de commerce ou ferment leur boutique, de quelle activité utile cette retraite prématurée prive-t-elle la société ? Non, il n’est pas vrai que la transmission héréditaire, signe et moyen de l’usurpation capitaliste, soit l’agent indispensable de la prospérité sociale… L’appât du gain, l’envie de gagner de l’argent ? c’est autre chose. Si nous considérons autour de nous la mêlée des hommes, elle paraît dirigée, en effet, par ce mobile unique. Gagner de l’argent, c’est le véritable idéal humain, le seul que proclame et qu’essaie de réaliser une société pervertie. Conquérir pour notre compte la plus large part des privilèges que l’argent représente ou permet d’acquérir, c’est le programme de vie que le spectacle contemporain nous propose. Tout nous appelle à cette lutte : l’opinion et la morale, qui devraient la flétrir, l’exaltent, et il faut une sorte d’héroïsme pour se soustraire volontairement à la contagion. C’est le sentiment moteur aujourd’hui, ne perdons pas notre peine à le contester. Mais où prend-on le droit de conclure que l’humanité n’en puisse pas connaître d’autre ? Le sophisme est là.

J’ai pour ma part une vue moins désespérée ou moins méprisante de l’humanité. Je crois, je suis sûr, vous êtes sûrs comme moi, que des mobiles d’une autre sorte peuvent pousser les hommes à surmonter leur indolence naturelle. Et d’abord, est-on si sûr que l’indolence leur soit naturelle ? Est-ce qu’au contraire, parmi les données naturelles du problème, j’entends celles qui nous sont fournies par la nature, nous n’avons pas le droit de poser le goût du travail ? L’homme aime déployer son activité, employer sa force. Quand il esquive la tâche, c’est que la société l’avait astreint à un labeur autre que celui où son tempérament propre le destinait. Ce désaccord, nous l’éviterons sans doute, nous qui plaçons à la base même de l’économie sociale la recherche de l’affinité entre le travail et le travailleur. C’est au contraire le loisir prolongé qui ennuie et qui accable, et, peut-être, dans la société future, aurons-nous plus de peine à occuper le loisir que le travail. Voilà la vérité, et, pour s’en convaincre, il suffit de s’éloigner quelque peu du spectacle présent des choses. Il suffit de s’élever par la pensée au-dessus du misérable niveau des mœurs actuelles, mœurs qui sont le produit direct, et non la cause, de notre régime social.

Faisons cet effort. Considérons si c’est ou non l’appât du gain qui provoque les grands témoignages du travail humain, qui suscite les grandes tâches de l’histoire. Est-ce l’appât du gain qui a édifié les temples de l’Acropole ou les cathédrales gothiques ? Est-ce l’appât du gain qui a inspiré les grands ouvriers de la Renaissance, les grands constructeurs d’idées du XVIIIe siècle ?… Si la littérature et l’art sont devenus aujourd’hui métier et marchandise, c’est que la contagion du lucre a gagné l’écrivain et l’artiste, mais on ne nous citera pas une belle œuvre, dans aucun temps, que son auteur ait conçue dans un esprit mercantile. Est-ce l’appât du gain qui incite le savant à la méditation, à la découverte, est-ce pour “ gagner de l’argent ” qu’ont travaillé un Newton, un Lavoisier, un Ampère, un Pasteur ? L’invention pratique, le perfectionnement industriel ne sont pas dus davantage à l’espoir du profit, mais à un besoin intime de recherche et de trouvaille qui puise en lui-même sa satisfaction. Vous ne trouverez pas une tâche vraiment utile à l’humanité dont l’origine ne soit désintéressée…

En revanche, nous voyons autour de nous quelle sorte d’activité le désir du gain provoque. C’est pour gagner de l’argent qu’on lance une affaire, qu’on monte une maison de banque, de courtage ou de commerce, qu’on achète et qu’on revend, qu’on agiote et qu’on spécule. Le désir du gain forme et entretient cette écume, cette fermentation putride que nous voyons s’étaler à la surface de la vie économique. La société actuelle est peuplée de hardis aventuriers, lancés à la conquête de l’or, et qui, par tous les moyens, essaient de dévier à leur bénéfice le courant des capitaux. Mais de quelle richesse réelle leur audace a-t-elle jamais accru le monde ? En quoi la société se trouvera-t-elle appauvrie quand nous l’aurons nettoyée de toutes ces initiatives parasitaires ? Elles déplacent arbitrairement la richesse, elles ne la créent pas. Vous trouverez le symbole de cette fausse activité dans un mouvement de hausse ou de baisse à la Bourse, qui fait passer dans la poche des uns l’argent des autres, mais qui ne modifie pas d’un sou le capital foncier du monde. En la supprimant, nous aurons mis fin à des exactions individuelles, nous n’aurons attenté à aucune utilité collective. Nous n’aurons pas altéré ou ralenti la vie sociale, nous l’aurons assainie au contraire, nous l’aurons guérie d’une maladie, d’une infection.

Consacrer son travail à l’intérêt collectif

S’il était vrai que pour fournir sa contribution pleine de travail, l’homme eût à surmonter une inclination naturelle, il serait donc faux, en tout cas, que le désir du gain fût le mobile indispensable de cet effort. L’homme peut déployer cet effort, et il l’a fait, par la vertu des mobiles moraux. Il peut le faire par application désintéressée à l’œuvre entreprise, par fidélité à une discipline consentie, par dévouement à un idéal commun, par don de sa raison et de son âme à une grande foi. Considérez d’ailleurs les tâches qu’impose à l’humanité l’état présent du monde, et demandez-vous si c’est l’appétit égoïste du lucre qui peut nous mettre en état de les remplir. Le profit capitaliste, quoi qu’on fasse, ne sera jamais que l’apanage d’une oligarchie – je ne veux pas dire d’une élite – et l’humanité ne résoudra les problèmes de vie ou de mort posés devant elle par les circonstances, que grâce à l’effort concerté de tous les travailleurs. Elle ne les résoudra que si chaque travailleur détient en lui-même la claire conscience de consacrer son travail à l’intérêt collectif, qui comprend nécessairement son intérêt propre, au lieu de l’offrir en tribut à cette oligarchie privilégiée. Elle ne les résoudra que si une foi commune élève les travailleurs au-dessus des fins égoïstes, exalte leur vaillance, rassérène leur âme blessée par tant de souffrances et de misères. Cette foi, nous seuls la proposons aujourd’hui, nous seuls pouvons la créer, et la créer indistinctement chez tous les hommes. J’ajoute que nous seuls pouvons en placer les moyens et la récompense dès cette vie même, dès cette vie terrestre, et non dans le recul indéfini d’une immortalité.

Mais, si vous le voulez bien, retournons l’argument, reprenons l’offensive. Recherchons, dans la société actuelle, les effets et les incidences d’un travail vraiment créateur. Je suppose que, demain, un inventeur imagine quelque outillage nouveau qui bouleverse la technique d’une des grandes industries directrices, la métallurgie ou le tissage, qui réduise dans une proportion considérable la main-d’œuvre et le prix de revient. Il y a d’abord bien des chances pour que cet inventeur méconnu, comme tant d’autres, meure dans le désespoir et la misère. De vains appels aux capitalistes, qui seuls aujourd’hui peuvent mettre en œuvre de nouveaux procédés mécaniques, auront épuisé sa patience, abrégé sa vie ; puis, quelques années plus tard, une société financière exploitera ses brevets acquis à vil prix et en recueillera le bénéfice immense. Mais admettons que, par une exception providentielle, lui— même ait pu faire valoir sa découverte. Je vois bien le profit qu’il en retirera lui-même : nous aurons sur la terre un milliardaire de plus. Quel profit en recueillera la collectivité ?

En attendant que l’industrie universelle se soit adaptée aux procédés nouveaux, des centaines d’usines seront condamnées au chômage. Le déplacement de la main-d’œuvre déterminera une baisse générale des salaires ; la masse des produits jetés sur le marché provoquera les troubles économiques les plus complexes. Verrons-nous du moins le consommateur profiter de la réduction des prix de revient ? Pas le moins du monde ; il n’en profitera que dans une mesure dérisoire. Les prix de vente ne seront abaissés que de la quotité nécessaire pour étouffer les concurrences, et notre inventeur empochera le surplus. Une crise universelle d’une part ; de l’autre une immense fortune individuelle, c’est-à-dire éternellement transmissible. Tel est le bilan. Est-ce qu’il ne révolte pas la raison ?

Notre inventeur viendra nous répliquer : “ Ma fortune est cependant bien à moi : je l’ai gagnée ; elle est le fruit de ma découverte, le produit de mon travail. ” Mais est-il vrai que sa découverte soit bien à lui ? Le même homme l’aurait-il menée à terme, vivant seul dans une île déserte, ou naissant dans quelque tribu sauvage de l’Océanie ? Ne suppose-t-elle pas, au contraire, tout l’actif préalable au travail humain ? N’est-elle pas pour le moins, le résultat d’une collaboration, d’une coïncidence entre son génie individuel et l’effort collectif de la civilisation ? La collectivité devrait donc, pour le moins, recueillir sa part du bénéfice. Pourquoi s’en trouve-t-elle frustrée, non seulement au profit de l’inventeur lui-même, mais de ses descendants jusqu’à la dernière génération ?… Et cet exemple ne vous fait-il pas toucher du doigt l’injustice foncière qui gît à la racine même des modes actuels de la propriété ?

Il est arrivé parfois dans l’histoire que les masses ouvrières s’insurgeassent contre les progrès du machinisme qui les privaient momentanément de leur gagne-pain. Et l’on nous désignait, avec une pitié insultante, l’égarement de ces travailleurs dressés contre la science et le progrès. Ils avaient tort contre la science et le progrès. Ils avaient raison contre la société capitaliste. Était-ce leur faute si un progrès de la civilisation collective, qui devrait raisonnablement se traduire par un accroissement du bien-être collectif, n’engendrait pour eux que la misère et la famine ?À mesure que l’outillage humain se perfectionne, à mesure que la science, œuvre commune des hommes, étend son empire sur les forces naturelles, quel devrait être le résultat ? L’augmentation de la somme des produits dont chacun dispose, la diminution de la somme de travail que chacun doit. Chaque pas en avant de la civilisation devrait ainsi se traduire par un bénéfice unanime, universel, et il se traduit au contraire par une nouvelle rupture d’équilibre entre ceux qui possèdent et ceux qui travaillent. Nous concevons, nous, une société qui, comme le sens du mot l’impose, fasse vraiment des associés de tous les individus qu’elle englobe, qui fasse profiter chaque homme du travail de tous, qui les fasse profiter tous de chaque extension de l’industrie et de la science.

De grands penseurs ont attendu de la science le renouvellement des sociétés humaines. Comme les ouvriers révoltés devant la machine ils avaient raison et ils avaient tort. La science accroît et accroîtra sans mesure le rendement du travail, mais, si le pacte social demeure vicié dans son essence par une clause inique, en accroissant les richesses, nous n’aurons fait qu’accroître l’iniquité. Nous aurons multiplié les prélèvements du capital sur le travail, nous aurons multiplié la divergence entre les profits du capitaliste et les salaires du travailleur. Si la règle du partage est injuste, l’injustice augmentera avec la masse des produits à partager… C’est avec le socialisme que la science deviendra vraiment bienfaitrice, et l’on peut dire en ce sens que socialisme et science sont vraiment le complément l’un de l’autre. La science développe les richesses de l’humanité ; le socialisme en assurera l’exploitation rationnelle et la distribution équitable. Chaque découverte de la science, quel que soit le domaine particulier où elle se manifeste, se trouvera en quelque sort étalée sur l’ensemble du corps social pour déterminer en lui une amélioration : augmentation du bien-être si la somme des denrées est augmentée, augmentation du loisir si la somme du travail nécessaire pour les produire est réduite. Inversement, l’instauration du régime socialiste implique comme un appel ardent et constant au secours de la science. En utilisant aussitôt, pour le bien commun, chaque conquête de la science, nous en provoquerons incessamment de nouvelles ; sans cesse nous mettrons au point son programme de recherches, tout en développant autour d’elle l’atmosphère de désintéressement et de confiance dont elle a besoin.

C’est ainsi que le socialisme seul, résolvant cette contradiction mortelle, peut replacer la société déviée sur la véritable route du progrès. Je me garderai bien de tracer un tableau paradisiaque de l’état de choses qu’il veut créer. Je sais trop que, dans ce monde, la nature elle-même introduit des causes irréductibles de souffrance. Nous ne supprimerons pas la maladie, la mort des enfants, l’amour malheureux, mais, à côté de ces misères naturelles, il en est d’autres qui sont le produit d’un mauvais état social et qui peuvent disparaître avec lui. Imaginez le groupement humain, une fois débarrassé de ces entraves artificielles. Supposez que, par une sélection judicieuse, tous les individus se trouvent distribués dans les divers quartiers de l’activité sociale ; supposez que chacun, sans exception, donne à la société chaque jour quelques heures de travail utile, j’entends du travail qu’il aime, car l’intérêt commun concorde ici, comme en toutes choses, avec les conditions du bonheur personnel. Supposez que, dans l’univers entier, la production soit organisée de façon à obtenir le meilleur rendement des ressources naturelles, chaque terroir ou chaque groupe fabriquant ou cultivant ce qu’il peut créer avec le plus d’abondance, de perfection ou d’économie, toute concurrence nationale ou internationale supprimée, les méthodes et les outils les plus récents venant sans cesse au service du travail. Supposez que tout le travail humain soit ordonné comme une usine unique, où la tâche particulière de chaque atelier, de chaque ouvrier vient s’assembler dans un programme d’ensemble constamment revisé selon les ressources et les besoins. Supposez que ce programme se limite aux productions vraiment utiles, et ne gaspille plus tant d’activité laborieuse pour satisfaire – ou même pour créer – des besoins factices, des modes d’un jour. Ne croyez-vous pas que cet effort discipliné suffirait pour assurer à chaque homme ce que l’humanité lui doit de naissance : le bien-être, sinon le bonheur ? N’y a-t-il pas place pour tous sous le soleil ? Le travail commun ne peut-il pas assurer à chacun une nourriture abondante, des vêtements commodes, un logement spacieux et sain, le libre usage de toutes les ressources et de tout l’outillage collectifs ?

Vues chimériques, nous dira-t-on. Mais où donc est la chimère ? Nous venons de voir, pendant cinq ans, l’humanité se plier à une discipline de destruction et de mort. Ne pourra-t-elle accepter une discipline de création et de vie ? Pendant cinq ans toute l’activité des hommes s’est trouvée réellement ordonnée sur un plan commun, vers un but unique. Nous voulons faire pour l’avantage commun ce qui s’est fait pour la misère commune ; au profit de tous, ce qui s’est fait au profit de quelques-uns. Si nous avions disposé pendant cinq ans, à notre guise et sans conteste, de toutes les puissances du travail, de toutes les richesses de la terre> doutez-vous que nous eussions ordonné le monde selon nos chimères ?… Vues misérables, viendra-t-on nous dire encore ! Théories qui n’invoquent et ne veulent satisfaire en l’homme que l’appétit purement matériel !… Ce serait déjà beaucoup que les satisfaire. Ce serait quelque chose d’avoir purgé la société des maux qui la déshonorent, et qu’un cœur pitoyable, un esprit droit ne peuvent contempler sans révolte et sans honte : la misère, la faim, tout leur lamentable cortège de maladies, d’abêtissements, de dégradations. Mais il n’est pas vrai que nous nous adressions à l’animal humain, à la bête humaine. Nous nous adressons, vous l’avez vu, à ce qu’il y a de plus pur, de plus élevé dans l’homme : l’esprit de justice, d’égalité, de fraternité. Dans l’esclave opprimé, nous voulons susciter cette moralité nouvelle qui s’éveille avec la liberté.

La liberté du corps entraîne celle du cœur et de l’esprit. En brisant la servitude du travail, nous entendons briser toutes les servitudes. Le socialisme transformera, renouvellera la condition de la femme, la condition de l’enfant, la vie passionnelle, la vie de famille. Il comporte comme une libération, comme une épuration universelles. En créant et en organisant le loisir pour tous les travailleurs – loisir vrai où l’activité persiste, et non pas repos accablé après le surmenage d’un labeur excessif, – il permettra l’accession de tous aux plus nobles occupations humaines ; il ouvrira tout grands à tous les trésors de la science, des lettres, de l’art. Je me rappelle ce mot profond d’un philosophe : “ Tout dans l’arbre veut être fleur… ” Dans l’humanité aussi tout aspire à la floraison, au plus riche épanouissement de l’esprit et de l’âme. Cet instinct, refoulé jusqu’au tréfonds de la conscience par toutes les contraintes, par toutes les misères sociales, c’est le socialisme qui saura lui rendre sa force et sa splendeur.

Guerre et capitalisme

Vous l’avez remarqué sans doute : je suis arrivé au terme de ces quelques pages sans vous parler de l’événement formidable dont nous nous dégageons à peine et dont l’ombre pèse encore sur nous. Je n’ai tiré de la guerre que des arguments accessoires ; je n’y ai fait que de rares et indirectes allusions.

J’aurais pu y puiser au contraire les moyens essentiels de ma preuve. Il m’eût été facile de vous montrer qu’entre le capitalisme et la guerre il existe comme un rapport de connexion nécessaire, que ces deux puissances de mal naissent l’une de l’autre et ne disparaîtront que l’une avec l’autre. Poursuivant l’analyse, j’aurais pu vous faire saisir, dans le déroulement même de la guerre, l’opposition croissante des intérêts capitalistes avec l’intérêt commun, la nécessité croissante des méthodes d’organisation collective. J’aurais pu vous montrer l’incapacité du capitalisme à résoudre les problèmes écrasants que la guerre lui a légués.

Son impuissance éclate à tous les yeux. Nous le voyons plier peu à peu sous le poids des charges qu’il a lui-même accumulées. Nul ne peut plus douter qu’en laissant déclencher cette guerre, il ait signé, à plus ou moins long terme, son arrêt de déchéance et de mort… Mais je ne suis pas entré dans ces développements que semblaient pourtant imposer les circonstances. Je vous ai parlé comme je l’aurais fait avant la guerre. C’est à dessein.

La guerre a projeté comme un éclairage brutal et soudain sur les vices essentiels de la société bourgeoise. Elle a déchiré soudain le voile sur la réalité des choses. Mais cette réalité préexistait à la guerre, et c’est pourquoi nous étions socialistes avant la guerre. Nous ne voulons pas faire de vous des socialistes de pur sentiment. Il nous faut autre chose qu’une commotion de révolte contre le spectacle affreux que le genre humain vient de subir. Il nous faut votre adhésion réfléchie, totale. Aussi me suis-je appliqué à vous montrer, non pas les arguments actuels du socialisme mais ses raisons fondamentales, celles qui n’étaient pas moins vraies aujourd’hui qu’hier et qui resteront vraies demain, jusqu’à la transformation inévitable.

Ce qui est exact, c’est que la guerre aura hâté singulièrement le moment où les idées maîtresses du socialisme doivent s’incorporer à la conscience universelle… N’est-ce pas étrange ? L’humanité ne s’élève que lentement au niveau de certaines idées, si claires cependant, si impérieuses, qu’il semblait qu’elles dussent s’imposer aussitôt à toute raison. Les quelques races dont nous connaissons l’histoire ont développé des germes d’une richesse et d’une perfection telles que rien de plus grand ne paraîtra jamais sous le ciel. Et cependant que de vérités sont devenues essentielles, élémentaires pour nous, que ces grands hommes n’avaient jamais aperçu ! Un Platon n’a même pas soupçonné la barbarie, l’effroyable iniquité du droit de conquête et de l’esclavage. Un Rabelais, un Pascal n’ont même pas entrevu les principes moraux et politiques que la Révolution française a publiés dans le monde et que la raison humaine ne discutera plus. Si la question s’était posée devant eux, ils l’eussent résolue comme nous. Mais elle ne se posait pas ; elle ne pouvait pas se poser encore… Puis il semble soudain qu’à un moment déterminé de l’histoire, l’intelligence des hommes acquière comme un sens nouveau.

Il en est ainsi du socialisme. Nulle vérité plus évidente dès qu’on l’a une fois conçue. Le seul étonnement, c’est qu’on puisse la contester et qu’on ait pu la méconnaître, c’est que tant de grands esprits aient pu passer à côté d’elle sans l’entrevoir, comme jadis les navigateurs, sans s’en rendre compte, passaient à côté des continents inconnus. Mais aujourd’hui nous avons touché la terre nouvelle. La guerre aura devancé l’heure où, pour tous les hommes, pour tous ceux du moins qui ne refusent pas obstinément d’ouvrir les yeux, le monde apparaîtra sous un aspect imprévu, s’illuminera d’une lueur inconnue et inévitable.

Ce jour-là, l’humanité ne comprendra plus comment elle a pu entretenir autour d’elle, des siècles durant, tant de mensonges et d’erreurs absurdes. Laissez-moi user encore d’une comparaison. Il y a deux cents ans, les chirurgiens ont pratiqué pour la première fois l’opération de la cataracte, et rendu la vue à des ave21ugles nés. On a pu comparer alors l’idée qu’ils se faisaient du monde dans leur nuit, et celle que leur fournissait la vue restituée. Ils avaient cru se représenter, par ouï-dire, à travers leurs sensations incomplètes, ce qu’est exactement la lumière, ce qu’est une fleur, ce qu’est un visage humain. Mais au contraire, ils ne se représentaient rien d’exact. Ils avaient vécu dans un monde d’illusions étranges et mensongères qui ne s’étaient dissipées pour eux qu’avec les ténèbres qui les entouraient. Ils ne saisissaient la réalité du monde qu’une fois la taie arrachée de leurs yeux. Le socialisme, une fois conçu, produit en nous la même révolution spirituelle. C’est la taie arrachée de notre intelligence. Pour la première fois la réalité de l’univers social nous apparaît, et nous nous rendons compte que, jusqu’alors, nous avions vécu dans le préjugé, dans la routine absurde, dans le mensonge, dans la nuit.

C’est à cette tâche de délivrance que nous vous convions, jeunes gens. Pour vous-mêmes d’abord, puis pour ceux qui vous entourent et que vous pourrez persuader. Vous êtes l’espoir, vous êtes la vie qui vient, la sève qui monte ; de vous va dépendre le sort prochain de l’humanité. Réfléchissez, examinez. Vous êtes à l’instant des choix décisifs, puisque c’est à votre âge que la pensée et l’action s’aiguillent pour le reste de l’existence. C’est à la fin de la jeunesse et dans tous les premiers moments de l’âge mûr, pendant ce court intervalle de quelques années, que toutes les pensées fécondes de la vie se formulent, que les résolutions efficaces d’action se fixent en nous.

L’alternative capitale vous est donc offerte. Irez-vous du côté de l’avenir ou du côté du passé, du côté de l’iniquité ou du côté de l’égalité, du côté de l’égoïsme ou du côté de la fraternité ? Vous ne pourrez pas rester neutres ; il faut vous prononcer, il faut choisir… Eh bien ! vous vous rangerez avec la justice, avec la vérité, avec la vie. Vous ne ferez pas de bas calcul ; le défaut de votre âge est le choix aventureux plutôt que le calcul mercenaire. Vous écouterez l’appel généreux et chaud de votre cœur… Et si vous surpreniez, autour de vous, la tentation vile d’aller du côté du plus fort, à ces égoïstes imprudents que la force elle-même, en un jour peut-être prochain, sera au service de la justice…

Léon Blum »

Catégories
Culture

Aux Hésitants par l’auteur progressiste Bertolt Brecht

Bertolt Brecht est un poète, dramaturge, metteur en scène, écrivain allemand progressiste. Il est connu en France pour ses oeuvres Grand’Peur et misère du IIIe Reich, L’opéra de quat’sous et La mère.


Brecht a été un contemporain de la montée du fascisme, il voyait dans quelle direction allait les choses, après une analyse sérieuse de la situation. Nous vivons une chose semblable à celle qu’a vécu Bertolt Brecht dans les années 1920 et 1930, à la différence près qu’à l’époque la Gauche était sincère, assumait le Socialisme et que la jeunesse osait lutter.

C’est en 1933 que Brecht écrit le poème Aux hésitants (An den schwankenden).

C’est un véritable hymne à l’engagement, à l’optimisme mais aussi à la critique. Il essaie d’y expliquer l’échec de la lutte contre le fascisme en Allemagne de la sorte : le Front populaire ne s’est jamais réalisé en Allemagne…

« Aux Hésitants

Tu dis:
Pour nous les choses prennent un mauvais pli.
Les ténèbres montent. Les forces diminuent.
Maintenant, après toutes ces années de travail,
Nous sommes dans une situation plus difficile qu’au début.

Et l’ennemi se dresse plus fort qu’autrefois
On dirait que ses forces ont grandi. Il paraît désormais invincible.
Nous avons commis des erreurs, nous ne pouvons plus le nier.
Nous sommes moins nombreux.
Nos mots sont en désordre. Une partie de nos paroles
L’ennemi les a tordues jusqu’à les rendre méconnaissables.

Qu’est-ce qui est faux dans ce que nous avons dit,
Une partie ou bien le tout?
Sur qui pouvons-nous compter? Sommes-nous des rescapés, rejetés
d’un fleuve plein de vie? Serons-nous dépassés
ne comprenant plus le monde et n’étant plus compris de lui?

Aurons-nous besoin de chance?
Voilà ce que tu demandes. N’attends
pas d’autre réponse que la tienne.

(traduction d’Olivier Favier)

An den schwankenden

Du sagst:
Es steht schlecht um unsere Sache.
Die Finsternis nimmt zu. Die Kräfte nehmen ab.
Jetzt, nachdem wir so viele Jahre gearbeitet haben,
Sind wir in schwierigerer Lage als am Anfang.

Der Feind aber steht stärker da denn jemals.
Seine Kräfte scheinen gewachsen. Er hat ein unbesiegliches Aussehen angenommen.
Wir aber haben Fehler gemacht, es ist nicht mehr zu leugnen.
Unsere Zahl schwindet hin.
Unsere Parolen sind in Unordnung. Einen Teil unserer Wörter
Hat der Feind verdreht bis zur Unkenntlichkeit.

Was ist jetzt falsch von dem, was wir gesagt haben,
Einiges oder alles?
Auf wen rechnen wir noch? Sind wir Übriggebliebene, herausgeschleudert
Aus dem lebendigen Fluß? Werden wir zurückbleiben
Keinen mehr verstehend und von keinem verstanden?

Müssen wir Glück haben?

So fragst du. Erwarte
Keine andere Antwort als die deine. »

Catégories
Politique

Le projet de loi visant à interdire le communisme en Pologne

Les réactionnaires polonais au pouvoir ont modifié le code pénal le 13 juin 2019 pour rendre illégal le communisme, au même titre que le fascisme et le nazisme. 

À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, la Pologne est une Démocratie populaire, c’est-à-dire qu’une coalition composée majoritairement de partis de gauche gouverne le pays.

En 1946 est organisé un référendum pour une réforme du pays ; c’est le vote du « 3x Tak » c’est-à-dire « 3 fois oui » : oui à la Suppression du Sénat, oui à la réforme économique et agraire et oui au report des frontières polonaise à l’Ouest sur la Baltique, sur l’Oder et la Neisse. La Gauche fait la campagne pour le « 3 fois oui », c’est une victoire populaire sans précédent: 68% des votes sont pour le « 3 fois oui » !

Deux ans après, le Parti Socialiste Polonais et le Parti Ouvrier Polonais (le parti communiste) fusionnent pour créer le Parti Ouvrier Unifié Polonais, c’est une nouvelle victoire !

En 1952, le 22 juillet, est adoptée la constitution de la République Populaire de Pologne dont le premier article est :

« Article 1.

1. La République Populaire de Pologne est un État de Démocratie populaire.

2. Le pouvoir dans la République Populaire de Pologne appartient au peuple travailleur des villes et des campagnes. »

Les réactionnaires ont subi trois coups durs entre 1944 et 1952 : la victoire du « 3 fois oui », la possibilité de l’union de la gauche par une volonté de servir le peuple polonais et la proclamation de la République Populaire par le Président Bierut le 22 juillet 1952.

Si après la mort de ce dernier la situation se dégrade dans le pays, passant d’une Démocratie populaire à une tyrannie antisémite bureaucratique – avec notamment les purges d’esprit pogrommiste de mars 1968, la prise de pouvoir par les nationalistes puis les militaires polonais, malgré des accords avec l’Église, les réactionnaires et la Droite en général ne s’est jamais remise de la victoire de la Gauche polonaise à l’époque.

Si aujourd’hui celle-ci ne représente pas grand chose en Pologne, le gouvernement réactionnaire du PiS (droit et justice) a peur du résurgence de la Gauche et s’attaque donc à l’une de ses deux composantes majeures historique : les communistes.

Les réactionnaires polonais ont donc modifié modifié l’article 256 du code pénal rendant désormais illégal le communisme, au même titre que le fascisme ou le nazisme (la loi polonaise fait une différence entre fascisme et nazisme).

« Article 256 :

§ 1. Toute personne faisant la promotion d’un régime nazi, communiste, fasciste ou d’un tout autre régime totalitaire ou incite à la haine sur fond racial […] s’expose à une peine de privation de liberté qui peut aller jusqu’à 3 ans.

§ 1a. À la même peine sont soumises les personnes qui propagent publiquement une idéologie nazi, communiste, fasciste ou une idéologie appelant à la violence ayant comme but d’influencer la vie politique ou la vie sociale.

§ 2. La même peine est appliquée à quiconque, dans le but de diffuser, produit, enregistre ou importe, acquiert, vend, offre, stocke, conserve, présente, transporte ou transmet un objet imprimé, enregistrant ou autre contenant le contenu. spécifié au § 1 ou 1a ou qui est porteur du symbolisme totalitaire nazi, communiste, fasciste ou autre, utilisé de manière à propager le contenu spécifié au § 1 ou 1a. »

On notera aussi que le mot communiste est mis entre nazisme et fascisme, comme pour les séparer, pour dire que finalement le communisme est la même chose que le fascisme et le nazisme. C’est évidemment fait exprès, l’influence de l’Église catholique romaine a aidé à propager une vision de la « théorie du fer à cheval » qui voudrait que les « extrêmes se rejoignent ».

Or, rien qu’au niveau historique c’est bien évidemment faux. Pour ne rester qu’en Pologne, les premiers résistants étaient communistes et ce sont eux qui ont participé en grand nombre à la libération du pays du fascisme. Par ailleurs, les juifs étaient persécutés à la fois par les nazis, les groupes résistants proto-fascistes comme les Narodowe Sily Zbrojne et les nationalistes (même si il y avait une partie non négligeable de sociaux-démocrates, le groupe était sur une ligne nationaliste) qui voyaient en eux des traîtres ayant collaborés avec les « komuch » (appellation péjorative pour dire communiste) avant et au début de la guerre.

Les seuls à avoir eu une attitude irréprochable pendant la guerre antifasciste était donc les communistes.

La Gauche polonaise à l’heure actuelle n’assume pas de réel projet…

Ensemble (Razem) se réfère uniquement par folklore à Marx, mais sont sur une ligne sociale-libérale.

Le Parti socialiste polonais (Polska Partia Socjalistyczna) a deux lignes antagonistes en son sein : l’une à Gauche et l’une sur une ligne anticommuniste voyant l’Armia Krajowa comme des héros. Mais la ligne à Gauche est sur une ligne post-1989, alors elle voit la fin de la Pologne Populaire comme une chose positive (hors dans la réalité ce n’était plus le cas).

Il y a aussi le site lancé récemment par « Camarade Michal » odrodzenie (renaissance), qui se veut de la Gauche historique, mais est en réalité dans une logique non claire et donne la parole à la fois à des nationaux-bolchéviques sur son site et sa page YouTube, ainsi qu’à des personnes comme Bruno Drweski, qui est un chargé de cours à l’INALCO franco-polonais apparaissant sur Russia Today et présent à l’université d’été de l’Union populaire républicaine de François Asselineau à Annecy il y a quelques années.

Enfin, il y a les différents groupes communistes polonais, qui n’assument pas un réel discours communiste…

Alors bien sûr il y a de temps en temps des positions qui sont intéressantes, mais peu de choses sérieuses sont amenées par la Gauche polonaise. Elle n’est pas écoutée et tournée en ridicule.

À noter qu’il y a tout de même des projets qui veulent ramener une Gauche historique comme la page Facebook gérée par l’historien polonais Piotr Ciszewski « Historia Czerwona » (Histoire Rouge) et le site Naprzod (En avant ! ), qui publie des documents de la Gauche historique et qui s’affiche pour un Front populaire.

Avec une gauche polonaise qui s’affirmerait plus et n’étant ni dans un délire passéiste, ni dans le libéralisme, le gouvernement polonais ne pourrait faire passer ce genre de loi.

Alors la Gauche polonaise connaît des problématiques semblables à celles  d’en France…

Il faut aussi noter que cette loi visant à interdire le communisme s’inscrit dans toute la logique antisémite du judéo-bolchévisme.

Il faut bien sûr soutenir les campagnes de solidarité lancée par les différents partis de Gauche pour que le communisme ne soit pas interdit en Pologne.

En France, il y a le groupe PRCF (une scission du PCF) qui est à l’origine d’un appel à une mobilisation contre la criminalisation du communisme en Pologne.

Catégories
Société

Le pasteur Oberlin et le libéralisme

Reconnaître la dignité de l’œuvre du pasteur Oberlin (1740-1826) est une nécessité pour saisir à la fois la dimension historiquement progressiste du libéralisme et ses limites historiques. C’est cet héritage qui justifie encore la base populaire du libéralisme dans notre pays, mais de manière erronée désormais, celui-ci étant finalement incapable d’assumer et de pousser au bout les exigences démocratiques populaires.

"Le pasteur travaillant sur un chemin"

Le pasteur Jean-Frédéric (Johann Friedrich en allemand) Oberlin est une importante figure des Lumières et du libéralisme de la fin du XVIIIe siècle en Alsace, qui a une véritable dimension universelle.

Comme luthérien, il est bien entendu davantage connu en Allemagne, en Suisse ou même aux États-Unis d’Amérique, où son nom a été donné de manière significative à une grande école supérieure : le Oberlin College. Elle fut fondée dans la ville du même nom dans l’État de l’Ohio, qui se voulait dès l’origine un laboratoire du progrès et de l’universalité telle que portée par la bourgeoisie libérale. Cette école élitiste sur une base bourgeoise ouverte fut notamment la première à admettre et diplômer des femmes, puis des Américains descendants d’Africains dès les années 1830. Cela est d’autant plus remarquable que le pasteur Oberlin est mort en 1826. Son œuvre a donc très rapidement reçu un écho d’une grande envergure, en ce qu’elle porte dans la situation d’alors une incontestable dimension populaire et progressiste.

Le pasteur Oberlin est d’abord un ferme disciple ascétique et mystique du christianisme luthérien, partisan dès son plus jeune âge d’une stricte morale stoïcienne, prônant une frugalité exemplaire, une haute exigence morale et un grand niveau de dévouement pour le service aux autres.

Formé au Gymnase protestant de Strasbourg, il y obtient sa maîtrise en théologie à 23 ans, avec une solide éducation pratique à la médecine, à la botanique et à l’agriculture acquise par son expérience extra-scolaire. Il se signale de par ses qualités morales auprès du pasteur Stuber, qui lui offre son poste de pasteur dans une vallée isolée des Vosges alsaciennes, au Ban-de-la-Roche.

Ce secteur constitue une zone particulièrement arriérée encore sous l’emprise d’un féodalisme attardé, regroupant autour du petit bourg de Waldersbach quelques pauvres hameaux de protestants qui sont venus y chercher refuges par vagues successives suite aux persécutions des guerres de religions du XVI-XVIIe siècle, puis de la conquête française. Avant Oberlin, il n’y avait d’ailleurs même pas de route qui reliait de manière permanente ce fond de vallée au reste du monde, dont il était coupé de par ses denses forêts ou ses landes impropres à l’agriculture.

Le secteur faisait donc figure jusque là de zone de relégation. Mais avec le pasteur Stuber et surtout le pasteur Oberlin, cette zone acquiert la dimension d’un front pionnier, d’une terre d’expérience où déployer la puissante dynamique progressiste qui anime alors les libéraux éclairés comme le sont ces deux religieux.

Arrivé au sein de la communauté, le pasteur Oberlin y impose rapidement son autorité de part son dynamisme et sa capacité à répondre aux besoins des masses de ce secteur. On le voit déployer une activité tout azimut, ouvrant des routes, développant les activités agricoles et même industrielles avec l’appui du Président de la confédération helvétique Jean-Luc Legrand, qui investit en 1813 d’importants capitaux pour installer un atelier de production de rubans de soie employant près de 400 personnes dans le hameau de Fouday.

En l’espace de quelques années, le secteur sort de son arriération féodale pour passer à l’avant-garde de la société industrielle d’alors. Cet élan de modernisation libérale s’est accompagné d’un important effort d’éducation populaire qui fait gagner, plus encore que le reste, les masses du Ban-de-la-Roche à l’action du pasteur Oberlin.

Dès son arrivée, il mobilise en effet les énergies jusque là isolées, de certaines femmes dans les communautés villageoises qui assumaient l’éducation collective des enfants. La tâche étant déconsidérée par sa dimension domestique et soumise aux exigences du patriarcat. Celui-ci exigeait d’arracher aussitôt que possible ces femmes à leurs œuvres, pour les mettre à disposition des arrangements conjugaux nécessaires à la reproduction des liens établis dans le cadre de la société féodale locale. Le pasteur Oberlin a brisé ce rapport dès que possible et a établi cette fonction d’éducatrice de la jeunesse dans une dimension collective et officielle reconnu et rétribuée sous le terme de « conductrices de la tendre jeunesse ».

De l’invisibilité des rapports féodaux où ces femmes étaient de simples domestiques mises de côté pour une tâche somme toute subalterne, les voilà considérées comme des fonctionnaires rendant un service public contre une rétribution collective. De brillantes femmes vont donc appuyer l’action éducative d’Oberlin : comme Sarah Banzet et Louise Scheppler en particulier, que l’on considère comme les fondatrices de l’école maternelle moderne.

Dans le même ordre d’idées, la construction des bâtiments scolaires, de leur ameublement que la question de l’équipement pédagogique font l’objet d’une réflexion approfondie. Par exemple, la connaissance du monde est travaillée avec les enfants par des séries de cartes à manipuler et emboîtées à différentes échelles. Une grande place est accordée à la découverte par les jeux collectifs, l’exploration et l’expérience sensible. Oberlin constitue donc une dense documentation pédagogique, appuyée sur des collections d’objets remarquables à valeurs didactique, produit par les idées et l’expérience de son groupe.

En réalité, les pratiques des femmes de la vallée rencontrent au-delà d’Oberlin lui-même, les idées pédagogiques des grands penseurs Johann Coménius et aussi de Jan Hus, qui guident sa pensée et qui sont ici mises en œuvres de manière prolongée. Le programme scolaire est donc pensé de manière curriculaire et rationnelle, mais surtout, en rupture avec la base féodale entretenue jusque-là : il s’agit d’élever à la raison en brisant les superstitions et le carcan féodal des familles patriarcales. Outre les écoles, le pasteur fonde aussi une bibliothèque publique prêtant des livres à tous et il anime des cours d’éducation et de culture générale à destination des adultes.

L’expérience du Ban-de-la-Roche menée par Oberlin a donc une grande valeur historique. Il est bienvenu qu’un musée lui soit dédié à Waldersbach, rassemblant ses archives et les présentant dans un cadre accessible et ludique. Bien entendu, il faut souligner nécessairement aussi la dimension mystique et irrationnelle du pasteur, qui a toujours cherché à rattacher son œuvre à la religion, produisant à côté de ses remarquables innovations pédagogiques des cartes délirantes sur la géographie sainte du ciel et de l’âme.

De même, il était persuadé que les portraits qu’il pouvait réaliser par projection d’ombres révélaient les secrets de l’âme ou de la personnalité de quelqu’un. Sans doute a-t-on là immédiatement posé toutes les contradictions d’une personne qui entend assumer la rationalité, mais cherche néanmoins à le faire dans le cadre d’une religion. D’où la fuite en avant dans le mysticisme et l’incapacité au bout du compte à assumer la Raison complètement.

Ne pouvant dépasser Dieu et la foi, le pasteur Oberlin a fini par céder à l’irrationnel pour lequel il a toujours laissé un espace. L’industrialisation dans le cadre libéral aussi s’est vite aussi heurté aux besoins populaires locaux : la question du travail des enfants, de l’exploitation ouvrière, de celle de la nature aussi. De même, l’hypocrisie de l’encadrement moral religieux finalement, gêné par les excès et les brutalités du développement capitaliste, fourniront bien vite des sujets de contradictions. Le nouveau cadre capitaliste confrontant l’essor impulsé ici de manière remarquablement progressiste par le libéralisme, aux nouvelles exigences démocratiques toujours plus grandes et pressantes qu’il produit dialectiquement.

Il y a donc lieu de reconnaître toute la dignité de cette expérience historique. Cependant, il faut le faire non dans la perspective d’en faire un modèle, mais en considérer aussi toutes les limites, toutes les insuffisances. La figure du pasteur Oberlin illustre en effet tout aussi bien d’une part la nécessité de briser par les progrès de l’éducation et de l’industrie collective ce qui reste de réactionnaire, de féodal, dans notre pays, que d’autre part les limites du libéralisme pour accomplir cette exigence historique qui mène à la démocratie que le libéralisme est historiquement incapable de porter jusqu’au bout.

Catégories
Culture

Nuit et Brouillard de Alain Resnais (1956)

Nuit et Brouillard est un film documentaire d’Alain Resnais sorti en 1956. Il s’agit d’un film de commande du Comité d’histoire de la Seconde Guerre mondiale, dont l’objectif est de documenter, d’effectuer des recherches, de rassembler des témoignages ayant trait à la Seconde Guerre mondiale.

Nuit et brouillard

Le documentaire est réalisé pour marquer les dix ans de la libération des camps de concentration et d’extermination.

D’une durée de 32 minutes, il vise à marquer les esprits par une succession d’images d’archives, que ce soit photos ou vidéos, de la déportation, de la vie et de la mort dans les camps. Sont également intercalées quelques séquences filmées en couleur des camps à l’époque de la réalisation du film, contrastant par le vert éclatant de l’herbe qui a repoussé là où s’est tenu un des actes les plus barbares de l’histoire de l’Humanité.

Par dessus ces images, la voix off de Michel Bouquet déclame un texte de l’écrivain Jean Cayrol.

Le titre fait directement référence au nom des directives du Troisième Reich visant à faire disparaître, dans le plus grand secret, par la déportation en Allemagne, toutes personnes représentant une menace. C’est devenu, par extension, le nom donné par les nazis aux déportés dans les camps, les NN pour Nacht und Nebel.

Nuit et brouillard

Le film présente un certains nombre de limites, pour certains inhérente à l’époque à laquelle il a été réalisé.

Beaucoup ont pu lui reprocher un manque de rigueur, dans les chiffres, ou dans la présentation des images d’archives, on ne sait jamais s’il s’agit d’un camp d’extermination ou de concentration.

Cependant c’est passé à côté de l’objectif, de l’approche du film qui n’est pas de documenter les images qui sont présentées, mais d’en faire une œuvre révélant, par l’image, l’horreur et la barbarie nazi. Et c’est en cela qu’il est d’une grande valeur.

Loin de la représentation d’un système nazi totalement fou et psychotique, le régime du Troisième Reich apparaît au contraire comme un ensemble rationnel, dont les camps sont le prolongement industriel de son idéologie et où les officiers, les surveillants, les kapos, se sont organisés, avec leur famille, une vie presque normal, au beau milieu de la barbarie.

En plus de l’horreur des images des victimes, c’est ce contraste avec la froideur des nazis, tout à leur tâche, qui marque, qui choque.

Comme cette courte séquence au procès de Nuremberg où tous déclarent calmement qu’ils ne sont pas responsables.

Nuit et brouillard

Un autre point important, qui peut apparaître comme un parti pris, mais qui relève aussi de son époque est que le mot « juif » n’est prononcé qu’une seule fois sur l’ensemble du documentaire. Chaque déporté est fondu dans un grand ensemble, victime de la même barbarie. Ce n’est qu’un peu plus tard, dans les années 1970 que l’accent sera mis sur les spécificité de la Shoah et de l’idéologie dont elle découle, avec en son centre l’antisémitisme.

Si cette approche se comprend au vu de l’angle pris par Alain Resnais, il n’en demeure pas moins une réelle limite dans la compréhension de l’horreur nazi.

Il représente ainsi une œuvre importante, d’une valeur certaine, mais qui évidemment est loin de se suffire pour représenter l’ampleur de la barbarie de ces années.

Notons quelques autres films documentaires de grande qualité et dont l’approche totalement différentes se complète bien :

  • Shoah, de Claude Lanzmann (1985), rassemblant une très grande quantité de témoignages sur près de dix heures.

  • De Nuremberg à Nuremberg, de Frédéric Rossif (1988) portant davantage sur le contexte politique du régime nazi.

  • Le Chagrin et la Pitié, de Marcel Ophuls (1971) présentant la vie dans la ville de Clermont-Ferrand de 1940 à 1944, et plus généralement en Auvergne.

Il est évidemment primordiale de poursuivre l’effort de recherche, de documentation, d’éducation ayant trait à la Seconde Guerre mondiale et à la barbarie nazi. L’Histoire de l’Humanité ne s’écrit jamais en ligne droite, et les démons d’hier peuvent toujours ressurgir dans le présent ou le futur tant que leur source n’aura pas été tari.

C’est le sens de la fameuse citation :  « Le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde », approximative traduction d’une réplique de la pièce de théâtre La Résistible Ascension d’Arturo Ui, de Bertold Brecht  : « Der Schoß ist fruchtbar noch, aus dem das kroch. »

Et c’est aussi en ce sens que ce termine Nuit et Brouillard, avec ce fort monologue :

« Neuf millions de morts hantent ce paysage.

Qui de nous veille de cet étrange observatoire, pour nous avertir de la venue des nouveaux bourreaux ? Ont-ils vraiment un autre visage que le nôtre ? Quelque part parmi nous il reste des kapos chanceux, des chefs récupérés, des dénonciateurs inconnus…

Il y a tous ceux qui n’y croyaient pas, ou seulement de temps en temps.

Il y a nous qui regardons sincèrement ces ruines comme si le vieux monstre concentrationnaire était mort sous les décombres, qui feignons de reprendre espoir devant cette image qui s’éloigne, comme si on guérissait de la peste concentrationnaire, nous qui feignons de croire que tout cela est d’un seul temps et d’un seul pays, et qui ne pensons pas à regarder autour de nous, et qui n’entendons pas qu’on crie sans fin. »

Voici pour finir quelques extraits du film et le témoignage d’un survivant des camps, Alain Stanké  :

Catégories
Politique

Les 150 ans de la démocratie directe suisse

Les gilets jaunes ont comme leitmotiv le référendum d’initiative citoyenne (RIC), qu’ils considèrent comme la panacée pour résoudre les problèmes liés à la domination d’une « caste » technocratique. Ce 18 avril 2019, on célèbre justement les 150 ans de la démocratique directe à Zurich, ce qui a ouvert la voie au « style » référendaire à la suisse. C’est l’occasion de voir que ce que demandent les gilets jaunes n’est pas original, ni par ailleurs conforme aux exigences populaires.

Le 18 avril 1869, ce fut à Zurich le triomphe des populistes, comme Johann Caspar Sieber, qui entendaient réduire le parlement à une sorte de commission préparatoire. 60 % des voix se portèrent sur une réforme constitutionnelle, établissant le référendum comme base des décisions, supprimant donc la démocratie représentative pour la remplacer par ce qui sera par la suite appelé la « démocratie directe ».

Quelques années plus tard, la Suisse dans son ensemble effectuait un pas décisif dans cette direction ; rappelons qu’il s’agit d’une confédération, avec donc une très importante décentralisation. Mais c’est là justement le problème : comment le peuple peut-il s’exprimer dans son ensemble, si on le découpe en tranches ? Ou bien faut-il alors rejeter le principe de la souveraineté populaire à l’échelle nationale ?

Cette problématique a également beaucoup marqué le mouvement ouvrier, par exemple avec l’opposition entre Rosa Luxembourg et Lénine en 1917. Rosa Luxembourg était pour le maintien d’élections et d’un parlement, alors que Lénine était pour le pouvoir des soviets, c’est-à-dire des comités populaires organisés à la base.

Le système suisse, qui s’est ensuite également développé surtout dans l’Ouest américain sous l’impulsion des « populistes », n’a évidemment rien à voir avec les soviets. Il correspond en fait au rêve anarchiste de décentralisation absolue, où des individus décident de ce qui leur semble individuellement le plus adéquat. De nombreux penseurs socialistes utopiques en furent d’ailleurs une source idéologique locale.

À partir donc du 18 avril 1869, à Zurich, 5 000 citoyens peuvent appeler à un vote pour modifier une loi ou la constitution. Toute modification de la constitution ou des lois exige également un référendum, tout comme les dépenses supérieures à 250 000 francs suisses. La composition du gouvernement et les conseils communaux sont pareillement élus directement.

De manière très intéressante par rapport aux gilets jaunes, Zurich mit également en place une banque cantonale, pour faciliter l’obtention de crédits. Le parallèle est ici flagrant. Dans une même perspective, les impôts deviennent désormais progressifs, avec les riches devant payer davantage.

L’objectif est ici de souder la communauté, sur une base libérale solidaire, et de mettre de côté les patriciens, c’est-à-dire les capitalistes fortement développés et exerçant une pression conservatrice très forte. Leur grande figure était Alfred Escher, qui fut responsable du conseil d‘État, président du conseil d’administration du Crédit Suisse, président de la direction de différentes sociétés de chemins de fer, etc.

Il s’agissait ni plus ni moins que d’empêcher que les grands capitalistes fassent passer les institutions et l’administration sous leur coupe. C’est un peu la même chose avec l’opposition entre républicains et démocrates aux États-Unis. Mais c’est uniquement un conflit entre riches et ceux qui vont le devenir, tout comme Emmanuel Macron représente la nouvelle vague de riches contre l’ancienne.

Et il n’y a aucune expression politique populaire ni aux États-Unis ni en Suisse, car les bourgeois nouveaux combattent les bourgeois du passé en mobilisant le peuple contre ceux-ci, les accusant de tous les maux dans les institutions et l’administration. Comme en plus le système est particulièrement décentralisé, les mentalités se réduisent à des perspectives locales, empêchant toute envergure dans le raisonnement.

Impossible surtout de voir des classes sociales dans un tel découpage localiste, dans ces considérations individuelles et cette volonté de chasser les anciens pour mettre des nouveaux, sans qu’il n’y ait aucune considération sur le contenu. Tout serait une question de personnes, de nouvelles personnes contre les anciennes personnes.

C’est la raison pour laquelle la Gauche historique ne peut pas accepter cette logique populiste. La Gauche historique raisonne en termes de parti politique avec un programme établi par ses membres, avec une fonction d’avant-garde pour exprimer les intérêts du peuple. Le populisme propose lui un remplacement formel d’individus pour que le « système » se remette à fonctionner.