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Culture & esthétique

Diane, Actéon et le professeur des collèges

Il en faut bien peu pour désarçonner les adultes à l’époque du capitalisme moderne ; même des élèves de sixième peuvent ébranler un professeur au collège. Tel est le triste panorama d’une société libérale où aucune valeur n’est considérée comme intouchable. Le détonateur de l’affaire dont on parle ici est pourtant une peinture, du 17e siècle qui plus est, et on pourrait s’imaginer que face à une œuvre d’art, c’est le respect qui prime.

Cependant, comme le capitalisme massacre l’art avec ses carrés noirs, ses lignes blanches plus ou moins blanches et ses « installations » contemporaines, la peinture est désacralisée par les nouveaux barbares.

Le tableau dont on parle ici, c’est Diane et Actéon, de Giuseppe Cesari, dit Il Cavalier d’Arpino ou Le Cavalier d’Arpin. Il date du début du 17e siècle et se trouve au Louvre. Les personnages féminins ne sont pas forcément bien représentées, le personnage masculin est lui trop formel, mais la composition est admirable et il y a un sens du mouvement.

Dans cet épisode de la mythologie gréco-romaine, en effet, Actéon tombe sur la déesse Diane en train de prendre un bain et celle-ci pour se venger le transforme en cerf. Actéon est alors dévoré par ses chiens de chasse. L’épisode est raconté dans les Métamorphoses d’Ovide (III, 138-252).

On comprend tout de suite la portée de cet épisode, qui est à la fois en défense des femmes face à la convoitise des hommes, et un témoignage de comment les déesses-mères de l’humanité première ont été intégrées dans le panorama mythologique.

De manière plus approfondie, on peut y voir une expression de la violence latente en chaque femme en raison de la soumission générale des femmes depuis l’élevage et l’agriculture. C’est tout un potentiel de rage en défense de son intimité qui s’exprime ici et c’est sans nul doute l’aspect le plus intéressant.

Au milieu du 17e siècle, le thème a été repris par Rembrandt, mais c’est forcément plus obscurci que dans la peinture italienne et, surtout, il y a une dimension photographique nuisant au propos « philosophique ».

Rembrandt, Diane et ses nymphes surprises au bain par Actéon

On trouve le même défaut, mais sans le réalisme et de manière plus anecdotique dans la peinture réalisée cent ans plus tôt par le Titien. On y retrouve par contre toute une préciosité du détail à l’italienne.

Le Titien, Diane et Actéon

Le tableau de Cesari a en tout cas été prétexte début décembre 2023 à un droit de retrait de la part des professeurs du collège Jacques-Quartier d’Issou, dans les Yvelines, en périphérie de Paris. La présentation de la peinture par un professeur de français a en effet provoqué des troubles en raison de la nudité des femmes, troubles qu’on devine liés à l’Islam sans que ce ne soit jamais dit.

Et comme le collège est rempli d’élèves livrés à eux-mêmes et de parents égocentriques pour qui leur enfant est roi, le tout dans une abandon social et une décadence culturelle, alors forcément, cela tourne au drame. Et on ne saurait être sauvé par l’idéalisme, à la fois cosmopolite et de la démesure, de pseudos gens de gauche, comme la secrétaire générale du Syndicat national des enseignements de second degré (SNES-FSU) Sophie Vénétitay, qui vient expliquer qu’à ce stade rien ne montre que c’est la religion qui pose problème.

On notera ici d’ailleurs un aspect marquant. Mahomet était un porteur de civilisation et il a amené les tribus arabes à un niveau supérieur. Pour s’opposer frontalement aux superstitions, il a toutefois été dans l’optique d’interdire tant la musique que toute représentation d’êtres vivants. Il visait en fait les cultes mystiques, le paganisme avec ses chants, ses cultes, etc.

On sait comment l’Islam a pu composer avec cela, par exemple avec les miniatures persanes qui représentent tout de même des êtres vivants, ou bien avec l’architecture islamique justement produit de la non-possibilité de développer la peinture. Inversement, ces interdictions ont été largement utilisées par l’obscurantisme de l’armée et du clergé, qui ont fini par étouffer la civilisation islamique jusqu’à son effacement.

Mais donc, au sens strict, aucun musulman ne peut, non pas simplement regarder ce tableau, mais même n’importe quel tableau représentant des êtres vivants. Pour « déradicaliser », il suffirait de cours de peinture et de cours de musique. Bien entendu, une société libérale ne peut pas mettre cela en place, car cela serait rendre « absolu » certaines valeurs.

« Sacraliser » la peinture, c’est « sacraliser » l’Histoire, c’est affirmer l’universel. Le capitalisme ne peut pas faire faire cela, car il relativise tout. L’héritage culturel n’est bon pour lui que comme base de recyclage, et son horizon c’est de toutes façons Harry Potter.

Voilà comment on se retrouve avec des élèves de 6e en révolte contre la peinture, et avec des professeurs incapables de protéger la civilisation. Les uns sont idiots façonnés par leurs parents, les réseaux sociaux et la consommation, les autres des lâches qui n’assument rien au nom du confort occidental.

Et les Français qui voient ça, choqués, mais ne valant pas mieux, vont dire à l’extrême-Droite de régler tout ça. Voilà le panorama d’une France sans dimension, sans envergure, incapable de porter encore le Socialisme.

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Politique

La « pomme rouge » et la propagande de guerre turque

Le bourrage de crâne mystico-eschatologique du régime turc emporte la Turquie vers l’Apocalypse.

En campagne pour les élections de novembre 2023, le président de la République de Turquie, Reccep Tayyib Erdoğan, a prononcé ce weekend devant une foule de plusieurs milliers de ses partisans à Konya. C’était un discours très offensif, exposant de manière très ouverte l’expansionnisme du capitalisme turc, de nature bureaucratique, qu’il incarne avec son parti, l’AKP. On traduit habituellement le nom de ce parti par « Parti de la Justice et du Développement », mais il y a aussi un jeu de mot à saisir, dans le sens où Ak signifie aussi « blanc » ou « pur », c’est-à-dire non corrompu, en langue turque.

Konya est une ville du centre de la Turquie, au cœur du dispositif politique de l’AKP dont elle est un bastion électoral, mais aussi une vitrine. La ville est en effet dirigée par l’AKP depuis le début de l’expansion de ce parti, elle a bénéficié d’investissements massifs pour la moderniser, en terme d’équipements urbains et de réseaux de transports. Par exemple, la ville a accueilli les Jeux panislamiques, rassemblant des sportifs de plus de 50 États, en août dernier et s’apprête à prendre la présidence à l’international de la CGLU, héritière de « l’Internationale des municipalités », fondée à Gand en Belgique en 1913.

Cette organisation d’orientation disons libérale-démocratique, très peu connue en France, participe de la propagande du régime turc à la promotion de ce qu’il appelle le « municipalisme islamique », qui est un des piliers de son idéologie nationale-conservatrice à dimension moderne.

Plus profondément encore, Konya occupe une place spéciale dans le folklore turco-islamique mis en place par l’État turc depuis le régime de Mustafa Kemal Atatürk, entre 1923 et 1938. Sous ce rapport, la ville est censée incarner la spécificité turque de l’islam anatolien, à travers la confrérie des « derviches tourneurs », relativement connue en France, et de la figure de Rumi, penseur islamique relativement syncrétique du Moyen Âge turc, surnommé en turc Mevlana, le maître à penser, le guide.

Mais Konya fut aussi la capitale du sultanat seljukide des Romains, fondé entre la victoire turque sur l’Empire byzantin à Mantzikert en 1071, et la conquête de l’Asie mineure par l’Ilkhanat turco-mongol de Perse au XIIIe siècle. Dans la propagande du régime turc actuel, ce sultanat est tenu pour le fondateur de l’État turc en Anatolie, sorte d’ancêtre de l’Empire ottoman et de la République de Turquie si on peut dire. D’ailleurs, la plus haute tour de la ville porte justement le nom de « Seljuk Tower », dominant de ses 163 mètres de haut un centre commercial, ce qui en somme veut absolument tout dire.

C’est donc dans ce cadre que Reccep Tayyib Erdoğan a chauffé à blanc ses partisans, n’hésitant pas à cibler ses adversaires politiques du CHP, le parti Républicain tenu pour incarner une sorte d’opposition de « gauche » aux islamistes nationaux-conservateurs de l’AKP, en les traitant ouvertement de traîtres à la patrie, de valets de l’Otan et de 5e colonne pro-PKK, alors même que l’armée turque est engagée justement dans une opération de bombardement des bases des combattants kurdes de Syrie, les YPG, alliés au PKK et considérés comme responsables de l’attentat qui a frappé Istanbul au début du mois de novembre.

Mais de manière plus significative, Reccep Tayyib Erdoğan a exposé de manière claire et ramassée l’idéologie expansionniste de son régime qu’il entend mettre en œuvre, dont voici les principaux points :

  • D’une manière générale, selon sa perspective, l’époque qui vient sera le « siècle de la Turquie » (Türkiye Yüzyılı), qui entend se tailler sa place dans le repartage du monde.
  • Cette expansion doit s’effectuer sur la base d’une politique industrielle et commerciale agressive que Reccep Tayyib Erdoğan définit par la formule : croissance par l’investissement, l’emploi, la production, les exportations, l’excédent du compte courant (yatırım, istihdam, üretim, ihracat, cari fazla yoluyla büyüme). Reccep Tayyib Erdoğan s’affirme ici absolument déterminé à poursuivre coûte que coûte cette expansion en poursuivant d’injecter encore plus de crédit et de liquidité dans l’économie turque malgré une inflation des prix ces derniers mois.
  • Cette expansion doit se manifester par la réalisation de grands travaux d’équipement, comme le monstrueux projet du Kanal Istanbul par exemple, devant relier la mer Noire à la mer méditerranée pour augmenter le trafic maritime. L’objectif est de moderniser la Turquie et la doter d’infrastructures en mesure d’en faire une puissance capitaliste complète.
  • Cette expansion doit aussi se manifester par une politique industrielle restructurant profondément l’appareil de production turc, afin de faire émerger des monopoles en mesure de s’élancer à la conquête des marchés émergents, et même de l’Europe, comme le sont par exemple Beko pour l’électroménager et comme est censé le devenir TOGG (pour « Cartel des industries automobiles de Turquie, Türkiye’nin Otomobili Girişim Grubu), présenté comme la première marque nationale automobile de Turquie, devant conquérir le marché de la voiture électrique en Europe.
  • Mais le fleuron principal de cette expansion telle que l’a présentée Reccep Tayyib Erdoğan est le secteur de la défense, devenu ainsi qu’il l’a souligné, national et indépendant à 80%, et désormais exportateur. Reccep Tayyib Erdoğan a très largement souligné le lien entre le développement de cette industrie, la croissance turque et l’expansion nationale de la Turquie, comme « puissance de l’islam », devant galvaniser les masses, les « 85 millions de turcs » que Reccep Tayyib Erdoğan veut élancer vers le futur qu’il imagine dans le cadre de l’expansion capitaliste bureaucratique turc, en faisant de la Turquie une puissance indépendante du capitalisme mondialisé, et en saisissant l’opportunité de la crise pour prendre agressivement le plus de poids possible.

Et pour que cette dernière idée soit la plus claire possible, il a martelé du début à la fin de son discours la force que donne à l’expansion militariste de la Turquie un des fleurons de son appareil militaro-industriel : les drones de la firme Baykar, fondée par un de ses soutiens industriels Ôzdemir Bayraktar.

Il a notamment mis en avant le nouveau modèle, le drone KIZILELMA, qui est en fait un avion de combat sans pilote, à la puissance de feu supérieure à tous les modèles précédents.

Cet appareil a été annoncé une première fois lors de la fête islamique du Sacrifice en 2021, pour une mise en service en 2023, après donc les élections et au moment surtout où la Turquie s’apprêtera à fêter le centenaire de la fondation de la République, dont Reccep Tayyib Erdoğan entend faire le point de départ de la refondation d’une nouvelle puissance turque, dans une perspective romantico-eschatologique.

D’où le nom de ce drone, dont le président turc a répété le nom et souligné le sens mystique : Kizil Elma signifie en effet « pomme rouge » en turc, et cela est devenu un symbole ultra-nationaliste très connu en Turquie, car il recycle une vieille légende turco-islamique, où les forces militaires turques sont censés faire la conquête de la « pomme rouge », qui était le surnom de Constantinople, en ce qu’il s’y trouvait, devant l’immense basilique Sainte-Sophie, devenue aujourd’hui la mosqueée Aya Sofya, une statue équestre de l’empereur romain Justinien tenant une pomme d’or, devenu rouge avec la patine du temps, et annonçant la future conquête du monde.

Saisissant cette pomme rouge, en abattant cette statue après la prise de Constantinople en 1453, le symbole est resté comme devant annoncer la chute des autres « pomme rouge » en Occident, Vienne et Rome.

L’imaginaire semi-féodal des nationalistes turcs modernes a fait de ce symbole une métaphore de l’expansionnisme agressif de la Turquie, comme devant s’imposer au monde pour accomplir la domination islamique dont la Turquie est le meilleur agent, en ciblant de manière oblique l’Occident, tout en ne le ciblant en fait pas formellement.

De fait le régime turc piège implacablement la Turquie dans les insurmontables contradictions qui la tiraillent historiquement depuis l’effondrement tragique de l’Empire ottoman et son entrée dans le mode de production capitaliste.

Prise dans les griffes de son propre chauvinisme, exprimé par son appareil militaro-industriel porté par la crise ouverte en 2020 qui semble lui laisser un espace, la Turquie est à un tournant de son Histoire. Son régime national-conservateur l’élance d’un pas ferme et décidé dans l’Apocalypse.

En face, la France et la Grèce sont prêts à l’affronter, eux-mêmes portés par la bataille pour le repartage du monde.

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Guerre

Erdoğan/Macron: des provocations qui font monter la tension guerrière

Le président turc Recep Tayyip Erdoğan poursuit un agenda bien précis au sein de la Droite turque et il a eu dans ce cadre des propos provocateurs désignant entre autres Emmanuel Macron. Ce dernier pourrait tout à fait ignorer ces déclarations qui ne volent franchement pas haut et ne mènent pas très loin, mais il est trop content de cette porte ouverte menant à une escalade guerrière contre un ennemi stratégique.

Samedi 24 octobre, à l’occasion du 7e congrès de son parti, Recep Tayyip Erdoğan tenait un discours ultra populiste visant l’électorat musulman, y compris (et de manière spécifique) les Turcs vivants en France ou en Allemagne qui ont le droit de vote. Il a à cette occasion, parmi tout un tas de déclarations et de provocations, visé Emmanuel Macron en agitant la prétendue « islamophobie » :

« Mais quel est son problème avec les musulmans? Ce Macron a besoin de faire examiner sa santé mentale. Que préconiser d’autre face à un président qui ne comprend rien à la liberté religieuse et qui se comporte de manière discriminatoire vis-à-vis de millions de citoyens qui ne partagent pas sa foi ? »

Cela a tellement bien marché, puisqu’il y a eu du répondant en France, qu’il a réitéré ses propos dimanche 25 octobre :

« La personne qui est à la tête de la France en ce moment s’en prend sans cesse à ma personne. Qu’il se regarde d’abord lui-même. C’est vraiment un cas ! Il faut sérieusement qu’il se fasse contrôler. »

Recep Tayyip Erdoğan est en totale roue libre, en mode Donald Trump, cherchant par tous les moyens à créer de l’agitation pour faire parler de lui et mobiliser par le biais de l’islam. Il a par exemple aussi désigné « un soi-disant député aux Pays-Bas » (Geert Wilders), lui assénant de ne pas dépasser les bornes, avant de s’adresser virtuellement à lui tel un caïd : « Sais-tu seulement à qui tu as affaire ? » La veille, il critiquait l’Allemagne pour une descente de police dans une mosquée, allant jusqu’à parler de « fascisme européen » en prétendant qu’il y aurait des « attaques contre les droits des citoyens musulmans ».

C’est que l’État turc est en pleine décadence, faisant face à d’extrêmes difficultés sur le plan économique et il faut donc pour ses dirigeants attirer l’attention ailleurs, c’est-à-dire « noyer le poisson » comme le dit l’expression, ainsi qu’ouvrir des espaces pour l’agression militaire. Recep Tayyip Erdoğan joue ainsi à fond la carte de l’agitation populiste, sur le mode identitaire-religieux.

Plutôt que d’ignorer cette lamentable campagne électorale, la France répond pleinement à cela, faisant monter la sauce à son tour. Les services de l’Élysée ont répondu de manière officielle :

« Les propos du président Erdogan sont inacceptables. L’outrance et la grossièreté ne sont pas une méthode. Nous exigeons d’Erdogan qu’il change le cours de sa politique car elle est dangereuse à tous points de vue. Nous n’entrons pas dans des polémiques inutiles et n’acceptons pas les insultes.»

Le chef de la diplomatie Jean-Yves Le Drian y est allé lui aussi de sa dénonciation, fustigeant « un comportement inadmissible, à fortiori de la part d’un pays allié» et allant jusqu’à rapatrier l’ambassadeur français en Turquie « pour consultation », ce qui diplomatiquement est une signe de très importante tension, plus précisément une marque d’hostilité.

Après les grandes tensions militaires entre la France et la Turquie au sujet des eaux territoriales revendiquées par la Grèce, alors que la guerre fait rage au Nagorny-Karabakh et que les intérêts stratégiques entre la France et la Turquie s’opposent tant en Libye qu’en Syrie, on a un nouvel épisode de tensions entre les deux pays.

On est ici strictement dans ce l’Histoire n’a que trop connue : l’escalade guerrière, de la part de dirigeants cherchant à tout prix la tension comme réponse à la crise. Comme la Turquie, la France est elle aussi en crise, de plus en plus, et elle tient à maintenir son rang, ce qui la rend également agressive… Le conflit franco-turc est une sorte de petit parallèle à l’affrontement sino-américain. Le 21e siècle se précipite vers la guerre.

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Société

Enseignant d’histoire-géo assassiné par un islamiste: l’obscurité d’une époque

Un crime odieux tétanise la France, mais l’obscurantisme est plus que religieux, il est lié à la fin d’une époque.

Un meurtre barbare d’un professeur d’histoire-géographie du collège du bois d’Aulne de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), le 16 octobre 2020, et quelques mots sur Twitter comme revendication, avec la photo d’une tête coupée :

« De Abdullah, le serviteur d’Allah, à Macron, le dirigeant des infidèles, j’ai exécuté un de tes chiens de l’enfer qui a osé rabaisser Muhammad, calme ses semblables avant qu’on ne vous inflige un dur châtiment… »

C’est totalement glaçant. Le professeur avait montré une caricature de Mahomet lors d’un cours, en précisant auparavant que cela pouvait choquer et qu’il était possible de ne pas regarder si on était musulman et qu’on ne voulait pas. Son initiative prévoyante avait été prétexte d’une dénonciation par des parents d’élèves voyant à la fois une discrimination et une insulte à la religion.

En ayant une démarche laïque et non universaliste, le professeur a ouvert la boîte de Pandore. Ce fut l’engrenage d’une affaire donnant libre cours au communautarisme, puis aboutissant à un crime frappant l’opinion publique.

Les impressions sont troublées, l’émotion paralysée par la violence du crime, et dans la soirée, le président Emmanuel Macron publiait un message significatif sur Twitter, alors qu’il l’a aussi dit dans un intervention directement sur place :

« Ils ne passeront pas. »

C’est bien entendu une allusion au ¡No pasarán! des antifascistes durant la guerre d’Espagne, le mot d’ordre venant du côté communiste. Le rapprochement n’est à ce titre pas juste, car l’islamisme n’est pas un mouvement historique porté par la société, comme l’a été le fascisme, mais une aventure romantico-nihiliste à la fois cosmopolite et post-moderne.

L’Islam tel qu’on le connaît au 21e siècle est en effet, comme le judaïsme, le produit de perpétuelles reconstructions fictives d’intellectuels, de féodaux, de pétro-monarchies. Le moteur intellectuel de ces reconstructions pour l’Islam, c’est la question du califat, car sans califat, il n’y a pas de terre d’Islam, et sans terre d’Islam, pas d’Islam.

Il n’y a alors que trois options possibles. Soit on fait semblant que ce ne soit pas le cas, tout en se disant musulmans. Vient alors le risque que certains prennent au sérieux et veulent un califat. C’est le drame historique de l’Algérie, avec un FLN se voulant laïc étatiquement mais ouvertement musulman, qui a produit une société se reconnaissant dans le FIS. C’est également ce qui arrive avec la génération des islamistes français des années 1990, qui se détache d’un Islam « inconséquent ».

Soit on l’assume, mais on dit que c’est trop tôt : c’est le salafisme, le quiétisme, le repli sur une vie communautaire fermée. C’est le fameux « séparatisme » dénoncé début octobre 2020 par le gouvernement.

Soit on l’assume et on part, afin de pouvoir devenir un « véritable » être humain, dans une perspective de retour aux sources totalement romantique et esthétisée, comme les images de la vidéo de propagande « Réputation » de fin septembre 2020 le montrent.

Ce « romantisme » est cependant carbonisé depuis l’effondrement de l’État islamique, qui a littéralement grillé cette proposition délirante de « retour » en terre « pure ». Ne restent d’ailleurs concrètement plus que « l’Émirat islamique d’Afghanistan », qui relève à l’arrière-plan du nationalisme pachtoune, ou encore le Hayat Tahrir al-Sham (Organisation de Libération du Levant) qui relève d’une problématique entièrement syrienne et se place dans l’orbite turque.

Les théologiens islamistes puristes sont d’ailleurs horrifiés par ce qu’ils qualifient de « fusionnisme », même si concrètement les reliquats des groupes de l’État islamique s’appuient également sur différentes questions locales, surtout en Afrique, avec par exemple justement une première action en Tanzanie à la mi-octobre 2020.

Tout cela pour dire que l’islamisme est dans un cul-de-sac et que l’Islam est coincé dans sa proposition universaliste. De toutes façons quand on voit les joueurs du Paris Saint-Germain faire des publicités pour les paris sportifs alors que le club appartient au Qatar, l’un des deux grands financiers de l’islamisme (l’autre étant l’Arabie Saoudite), on voit bien que plus rien ne tient.

Le meurtre d’un professeur de Conflans-Sainte-Honorine a d’ailleurs été revendiqué par un jeune né à Moscou et se définissant comme « Tchétchène ». On est ici dans une sorte de nationalisme mêlé d’islamisme, tout comme d’ailleurs l’Islam turc. L’horizon universel / universaliste (pseudo universel / pseudo universaliste) a clairement disparu à la suite de l’effondrement du califat, alors qu’Al-Qaïda avec sa ligne de guérilla islamique alter-mondialiste ne s’est par ailleurs jamais remis de cette concurrence pro-califat.

L’islamisme n’est qu’un débris de l’Islam qui n’est lui-même qu’un débris d’une époque dépassée et s’effondrant sur elle-même. L’humanité n’a plus besoin des religions, de la spiritualité et de tous ces déplacement dans un ciel imaginaire des réalités terrestres, naturelles. Ceux qui s’obstinent à vouloir parler de Dieu ne visent plus qu’à nier le besoin de collectivisme, la réalité naturelle et notamment celle des animaux, la compassion pour toute vie.

C’est la fin d’une civilisation, qui s’enfonce dans l’obscurité, tout simplement, alors que s’ouvre une nouvelle époque : universelle, athée, naturelle, collectiviste.

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Guerre

La Turquie célèbre le traité de Lausanne par une prière musulmane à la Hagia Sophia

Le 24 juillet 1923, le Traité de Lausanne scellait le sort de l’Empire ottoman, démantelé et donnant, pour l’Anatolie, la Turquie. Le 24 juillet 2020 le président turc a retransformé en mosquée le musée de la Hagia Sophia, une ancienne basilique devenu mosquée puis musée.

On parle beaucoup du régime « libéral », voir « démocratique » de la Turquie de Mustapha Kemal. Mais rien que son surnom, Atatürk, le « père des Turcs », en dit long sur un régime qui, en réalité, est né sur le sang des Arméniens de Turquie et dans l’oppression des Kurdes, avec en toile de fond une absence de réforme agraire. La Turquie a ainsi été « laïque » mais surtout un pays dominé en toile de fond par l’armée et entièrement vassalisé par les États-Unis qui en a fait une plaque tournante de l’OTAN.

La Gauche a été pourchassée, ses militants torturés, enlevés et tués, emprisonnés, alors que des coups d’État militaire nombreux venaient rétablir « l’ordre » le cas échéant. Le régime de Recep Tayyip Erdogan a ceci de différent qu’il est religieux, mais c’est un simple aléa historique. C’est que pour justifier l’expansionnisme turc, seule la référence à l’empire ottoman est valable.

Rappelons qu’historiquement cet empire a soumis les populations arabes pendant de longs siècles (ainsi que de nombreux peuples européens). Il a été un concurrent des puissances européennes, faisant deux fois le siège de Vienne. Les fameux croissants viennois sont une référence à la victoire sur l’envahisseur musulman, l’empire ottoman étant en effet le « califat », dont l’effondrement en 1918 a donné naissance à l’islamisme.

Et lorsque le Traité de Lausanne a été mis en place en 1923, le sultan l’a accepté, mais pas « Atatürk ». Recep Tayyip Erdogan est ainsi dans le prolongement d’un régime laïc pour qui toutes les langues du monde viennent du turc et autres fadaises ultra-nationalistes.

Recep Tayyip Erdogan va simplement plus loin qu’Atatürk, car la situation est différente. Lorsqu’Atatürk fait en 1934 un musée de la Hagia Sophia à Istanbul, il en avait besoin pour en faire un symbole d’unité nationale. La Hagia Sophia (soit Sainte Sophie ou Sagesse de Dieu) est une basilique du VIe siècle établi par l’Église catholique orthodoxe ; elle avait ensuite été transformée en mosquée à la chute de Constantinople en 1453.

En la « neutralisant », Atatürk appuyait une « modernité » étatique. En en refaisant une mosquée, Recep Tayyip Erdogan prolonge cette modernité jusqu’à l’expansionnisme. Fini de se tourner vers l’intérieur pour écraser les incessantes rébellions de la Gauche ou des nombreuses minorités, dont principalement les Kurdes. Désormais, la Turquie se tourne vers l’extérieur.

C’est pour cela qu’elle a appuyé l’État islamique, c’est pour cela qu’elle a mené une provocation extrêmement grave envers des bateaux de guerre français, alors qu’en même temps elle appuie les provocations azéries contre l’Arménie, où la tension est devenu extrême.

C’est pour cela aussi qu’elle a envoyé un navire de forage sur les côtes de Chypre, une manière de s’approprier un territoire marin, ce qui rend la Grèce folle de rage. D’ailleurs, alors que la Hagia Sophia redevenait une mosquée, toutes les cloches des églises grecques ont sonné. Le chef de l’Église en Grèce, l’ultra-réactionnaire archevêque Iéronymos, a qualifié la transformation « d’acte impie souillant » et a affirmé qu’«  aujourd’hui est un jour de deuil pour toute la chrétienté ».

On notera que le nom du navire de forage est « Fatih ». C’est le nom du quartier d’Istanbul où il y a la Hagia Sophia, car il englobe la partie historique de Constantinople, justement conquis par Mehmet le conquérant (soit en turc Mehmed Fatih).

Comme on le voit on est dans la symbolique à tous les niveaux, une symbolique outrancière, néo-féodale, qui va avec l’augmentation de 16 % cette année du budget de la Défense turque et l’augmentation de 335 % en dix ans de l’autorité des Affaires religieuses.

On va vers la guerre, à grande vitesse, et la Grèce n’attend que cela, car elle est également aux mains des militaires. Il faut se souvenir ici que le gouvernement de Gauche d’Aléxis Tsípras (du parti Syriza), qui a duré de 2015 à 2019, avait comme allié un petit parti nationaliste, symbole de la soumission à l’armée.

De toutes manières, tout le monde partout se prépare à la guerre : le capitalisme à bout de souffle implique des tentatives de sortie de crise par l’expansion. On a ici à l’horizon un affrontement gréco-turc, avec un soutien sans doute direct de la France et de la Russie à la Grèce. La politique de la canonnière est de retour.

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Société

L’affaire Mila, ou la déconnexion des identitaires musulmans et LGBT

La France est divisée en deux : il y a ceux qui consomment stupidement et ceux qui tentent de se forger une identité fictive, forcément romantique et agressive. L’affaire Mila est exemplaire de la bulle identitaire côtoyant la banalité d’un quotidien capitaliste où il ne se passe strictement rien.

Les gens sérieux regardent l’affaire Mila de haut, avec dédain, même. Interrogée à la télévision dimanche, Ségolène Royal a ainsi eu des propos très sensés :

« Critiquer une religion, ça n’empêche pas d’avoir du respect, ça n’empêche pas d’avoir de l’éducation, de la connaissance, d’être intelligent par rapport à ce qu’on dit. Une adolescente, qui est peut-être encore en crise d’adolescence, si elle avait dit la même chose sur son enseignant, sur ses parents, sur sa voisine, sur sa copine, qu’est-ce qu’on aurait dit ? On aurait dit simplement : « un peu de respect » ».

Ségolène Royal a évidemment une approche dédaigneuse, mais le fond est vrai : tout est une question de niveau culturel, de niveau de conscience. Qui veut une société réellement démocratique, avec le peuple assumant la politique, toute la politique, sait quel est le titanesque travail de conscientisation à mener…

Inversement, l’affaire Mila est passionnante pour les donneurs de leçons d’ultra-gauche (qui sont souvent des profs), pour les identitaires anti-musulmans et les identitaires musulmans. Tous ces gens cultivent leurs aigreurs et, il faut bien le dire, leur marginalité. La société n’en a effectivement rien à faire de leurs élucubrations.

Rappelons les propos de Mila, prononcés dans une « story » Instagram (soit une vidéo éphémère mais publique) :

« Je déteste la religion. Le Coran est une religion de haine, l’islam c’est de la merde, je dis ce que je pense ! Je ne suis pas raciste. On ne peut pas être raciste envers une religion. J’ai dit ce que j’en pensais, vous n’allez pas me le faire regretter. Votre religion, c’est de la merde, votre Dieu, je lui mets un doigt dans le trou du cul, merci, au revoir. »

Voici une capture vidéo de ce message éphémère :


C’est brutal, mais bon il faut ne pas avoir été en couple pour ne pas savoir ce qu’on est capable de se jeter à la tête. Surtout en France, pays du psychodrame où on considère que mener sa petite dramaturgie est un signe de bonne santé.

La différence, c’est bien sûr la portée identitaire de la question. Mila est lesbienne, elle a tenu ses propos en réponse à la critique selon laquelle elle serait raciste pour avoir rejeté quelqu’un la draguant lourdement (et avoir précisé un peu avant que le style « reubeu » ce n’était pas son genre), en réponse les identitaires musulmans la menacent de manière ultra-violente, elle ne peut plus aller à l’école en conséquence, etc.

C’est donc une passion et à ce titre passionnant. Mais cela n’est rien du tout en réalité et c’est simplement un fait-divers typique de gens idiots s’attardant sur des choses idiotes, par profond goût pour l’idiotie.

Bien sûr, pour les gens ayant à l’esprit la fantasmagorie selon laquelle les musulmans sont traqués, pourchassés en France, c’est un signe. Pour les autres ayant à l’esprit la fantasmagorie selon laquelle l’islam est conquérant, c’est un signe. Pour les gens ayant à l’esprit la fantasmagorie selon laquelle les LGBT seraient rejetés ou haïs en France, c’est un signe.

Mais ce n’est un signe de rien du tout à part pour ceux ayant basculé dans le romantisme identitaire pour se distinguer de l’anonymat universel de la consommation capitaliste. Cela n’empêche pas que madame X fasse ses courses à Louis Vuitton, que monsieur Z achète des actions, que madame Y aille à l’usine et que monsieur V se demande comment il va faire pour acheter la prochaine Playstation vu son prix.

Non, parce qu’on ne va tout de même pas s’imaginer que c’est un épisode de la lutte des classes, et puis quoi encore ! C’est simplement une expression de la décadence du capitalisme et des gens qui l’acceptent. Il y a ceux qui l’acceptent passivement, qui vaquent à leurs occupations, et ceux qui l’acceptent activement en s’imaginant rebelles et qui pratiquent des orgies de vulgarité pour satisfaire leur quête réactionnaire d’identité.

L’effondrement de la culture, voilà ce que représente l’affaire Mila. C’est exemplaire du triomphe de la futilité, de l’agressivité identitaire, du fanatisme identitaire contre telle chose, pour telle chose, et jamais, jamais de réflexion, d’effort intellectuel prolongé, et toujours sa petite personne mise en avant, toujours…

La société capitaliste est un échec complet, toujours plus !

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Le Coran des historiens: une œuvre académique loin du peuple

Le Coran des historiens est un ouvrage récent synthétisant à travers des milliers de pages le travail de dizaines de chercheurs sur l’origine du livre sacré de l’islam. Sur le plan de la science, la sortie de cette édition critique est un événement d’une grande importance, malgré toutes les limites de la démarche académique et loin du peuple des auteurs.

« La tradition islamique n’est que peu crédible pour expliquer les origines du Coran »

C’est ainsi que le grand spécialiste de l’histoire du Coran, Mohamad-Ali Amir-Moezzi pose très frontalement le cadre qui a amené son équipe de plus de trente spécialistes à produire une nouvelle édition critique synthétisant les connaissances acquises jusqu’à notre époque sur la formation de ce texte.

En effet, il y a une question qu’on se pose forcément si on est de gauche et que l’on a l’occasion de discuter avec des personnes affirmant croire en la tradition islamique sur le plan religieux : comment est-il possible qu’en 2020 des personnes vivant dans un pays comme la France depuis leur naissance, puissent franchement voir comme un fait véritable que le Coran puisse avoir été révélé par un Ange selon un modèle divin éternellement conservé au Ciel ?

Cela est pourtant un dogme défendu de manière fanatique par les islamistes bien entendu, mais aussi assez largement accepté comme tel par la plupart des musulmans. Ce qui se joue derrière cet aspect, c’est la question du rapport à la science. Or, refuser les avancées de la science, c’est tenter de refuser le mouvement même de la vie. Et donc ce qui relie la pratique et la vie quotidienne d’une part, où naissent les besoins et les interrogations, à la théorie qui leur donne forme et les met à la portée du plus grand nombre d’autre part. Il n’est simplement aujourd’hui plus possible de croire ou d’enseigner que le Coran aurait été un texte révélé selon les termes de la tradition islamique sans verser dans la superstition la plus complète ou se contorsionner dans des subtilités frisant l’hypocrisie, ni plus ni moins.

Bien sûr, ce n’est pas en disant cela que l’on abolit la religion. Et au fond, il ne s’agit pas de considérer non plus qu’en raison de cela, l’islam serait une chose qui n’a aucune valeur historique, qui serait de bout en bout un simple projet réactionnaire et irrationnel. Mais ce n’est pas là la démarche de ces historiens. Au contraire, leurs travaux et cette production relèvent d’une réalisation scientifique sur le plan de la critique qui participe à considérer l’héritage de l’islam comme un bien commun concernant l’ensemble de l’Humanité. Ici spécifiquement, le Coran est remis à sa place dans ses héritages et ses apports. C’est déjà un coup porté autant aux islamistes qu’aux nationalistes racistes.

Formellement, l’œuvre se présente comme un livre organisé en quatre volumes. Le dernier étant la compilation de la vaste bibliographie disponible sur le sujet, le premier une introduction à l’histoire de la formation du texte du Coran en croisant toutes les sources et toutes les disciplines pertinentes. Le Coran est ensuite édité, traduit et commenté, chapitre par chapitre, c’est-à-dire selon le terme issu de la langue arabe, sourate par sourate.

Le prix de vente témoigne de cette volonté de mettre à la portée d’un large public ce travail : pour moins de 60€ (toutefois sans le volume sur la bibliographie vendu séparément pour 30€), ce qui est accessible à pratiquement toutes les bibliothèques, médiathèques ou centres de documentation scolaire par exemple.

Reste que malgré toutes les prétentions de Mohamad-Ali Amir-Moezzi, lui-même professeur à l’INALCO, la démarche n’a pas de dimension populaire ou démocratique. En quelque sorte, on est là face une réaction à celle du refus du mouvement par les islamistes, mais en sens inverse : il y a la volonté d’affirmer la théorie, mais sans aucun lien avec la pratique, sans connaissance sérieuse de la base populaire de notre pays.

Sur la forme, l’ouvrage a été annoncé lors d’un événement annuel concernant essentiellement les professeurs d’Histoire-Géographie et les universitaires liés à ces disciplines : les rencontres de Blois. Le grand public, même cultivé, a largement ignoré la sortie de ce travail, malgré son ampleur. Il faut dire aussi qu’il est sorti chez les éditions Cerf, une célèbre maison d’édition catholique. Depuis 2013, cette entreprise a été reprise en main par le théologien Jean-François Colisomo, sur une ligne de rupture avec l’esprit d’origine qui se voulait d’un catholicisme de gauche. Après avoir renvoyé plus de la moitié des employés pour restructurer l’entreprise, Jean-François Colisomo a fait le choix d’assumer désormais un soutien ouvert à l’hebdomadaire réactionnaire Valeurs Actuelles et de privilégier des choix éditoriaux médiatiquement rentables.

Pour conserver une certaine ouverture, de son point de vue, les éditions Cerf éditent aussi certains auteurs dits de gauche, comme Chantal Mouffe, chantre du « populisme de gauche », ce qui est déjà tout dire, ou Clémentine Autain. Dans ce cadre, il est tout de même au bas mot très problématique pour une œuvre qui se voulait scientifiquement impeccable de choisir un tel éditeur.

Mais plus profondément, sur le fond, on reste surtout et finalement sur un lourd travail d’érudition, malgré la première partie qui se propose de poser un cadre. Cela reste confus, touffu, dense et pas forcément accessible malgré ce qui est affiché. Non pas que le peuple ne pourrait pas comprendre cet ouvrage, le peuple peut tout. Mais ces savants n’ont tout simplement pas de relais populaires, pas même dans le cadre des institutions. L’éducation nationale par exemple, sans rejeter la possibilité de s’y intéresser, n’a pas réagit, n’a manifesté aucun intérêt particulier pour ce travail et n’a bien entendu rien engagé pour en assurer sa diffusion ou l’intégrer à son dispositif de formation.

Mais tout cela tient justement au cadre académique des institutions qui organisent, et bornent, la science dans notre pays. C’est précisément un problème culturel pour le formuler avec exactitude. C’est un exemple parmi d’autres que les institutions culturelles et éducatives de notre pays ne sont pas à la hauteur des besoins. Pire, qu’elles sont même de plus en plus des entraves à ceux-ci.

Il y a là une contradiction gigantesque, un gouffre, entre le maintien de croyances superstitieuses comme celle de la révélation coranique et tout ce que cela entraîne d’une part, et d’autre part le niveau toujours plus haut des connaissances et des capacités scientifiques de notre époque, ici par exemple sur l’histoire du Coran.

Mais plus que la valeur d’un livre, si utile et sérieux soit-il, c’est justement le dépassement de cette contradiction et la rupture avec ce cadre borné qui sera décisif. Et c’est l’appui à ce mouvement qui est la tâche historique de la Gauche.

Il est inévitable qu’entre les besoins et les capacités populaires qui progressent toujours davantage et l’accumulation des connaissances qui s’organisent toujours plus, le mouvement même qui porte la science trouve son chemin, rompant avec tous les obstacles et dépassant chaque contradiction, vers un cadre culturel plus démocratique et populaire.

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La manifestation parisienne du 10 novembre 2019 contre «l’islamophobie»

Le battage médiatique a été très intense avant la manifestation et la grande majorité des structures de gauche ont appelé à se mobiliser. Pourtant, tout comme pour la manifestation en faveur des Kurdes de Syrie faisant face à la Turquie, la mobilisation a été faible, avec 13 000 personnes. Et surtout, elle a été totalement parisienne, dans un mélange de bobos de gauche et de petits-bourgeois musulmans cherchant à s’incruster socialement dans le panorama bourgeois. Cela n’a rien à voir avec la Gauche.

Bras dessus bras dessous, très contents d’eux, toujours prompts à poser : telle était l’attitude des gens issus de la Gauche présents à la manifestation contre « l’islamophobie », ce concept flou visant à présenter en général la religion musulmane comme une victime. C’est ici la rencontre de l’Islam politique et d’une Gauche ne raisonnant plus en termes de capitalisme ou de classe, mais en terme d’individus avec des droits. L’extrême-Droite rêvait d’un islamo-gauchisme, les courants post-modernes de la Gauche ont exaucé ses vœux.

La seule exception à l’esprit à la fois allègre et niais ayant prédominé fut Benoît Hamon, dont on comprend le manque d’emballement, au point de venir à la manifestation l’Équipe à la main (ouvert à la page 29, l’article traitant de la défaite de l’aviron bayonnais contre Pau – rappelons que l’origine de l’appel à manifester est l’attentat d’une personne âgée raciste contre une mosquée à Bayonne). Que fait-il dans cette galère?

À cette posture générale bobo de gauche battant le pavé parisien s’est ajoutée une petite-bourgeoisie musulmane clairement revendicative sur un mode identitaire. L’ancien directeur exécutif du Collectif contre l’islamophobie en France Marwan Muhammad n’a pas eu de mal à faire scander « Allahu Akbar » à la foule à la fin de la manifestation. On n’a d’ailleurs pas échappé à des comparaisons délirantes avec la persécution des Juifs par l’Allemagne nazie.

Cela a bien entendu fait scandale, car nous sommes en France et il y a une connaissance de l’histoire qui n’est pas nulle. La conscience morale est réelle, contrairement aux affirmations délirantes comme quoi les musulmans de France seraient harcelés, pourchassés, etc.

Esther Benbassa, sénatrice EELV et une grande figure de l’ultra-libéralisme dans les mœurs, s’est faite littéralement détruire pour avoir cautionné cette utilisation d’une étoile jaune en version « musulman ». Elle prétend n’avoir rien vu et que de toutes façons ce n’est pas grave, voire une allusion positive contre l’antisémitisme, etc. C’est là un relativisme inévitable de la part de gens sans valeurs.

On n’a pas échappé non plus à une action au nom des FEMEN, celles-ci niant par contre toute manifestation. Cela a bien entendu provoqué tout un remue-ménage dans le cortège, pour une revendication en faveur de la laïcité qui, d’ailleurs, a perdu son sens.

La manifestation du 10 novembre 2019 a en effet rappelé une chose que trop de monde a oublié dans une France endormie. La laïcité n’a été qu’un compromis entre la moitié de la France farouchement opposé aux religions et l’autre moitié favorable au catholicisme. Or, un compromis n’est pas fait pour durer, il est prétexte à la lutte pour un nouveau rapport de force. La marche du 10 novembre 2019 a ainsi à la fois été tout à fait religieuse, tout en se prétendant entièrement laïque.

Faut-il avoir perdu l’esprit pour participer à une telle chose quand on se dit de gauche ?

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La manifestation du 10 novembre est une erreur, quasiment une faute

La manifestation « contre l’islamophobie » du 10 novembre 2019 n’aidera pas la lutte contre le racisme et ne fera pas disparaître les préjugés au sujet de l’islam. On ne combat pas le feu par le feu, mais par l’eau de la connaissance, de la raison, du savoir, de l’érudition. Et par la loi. Au lieu de cela, la manifestation du 10 novembre joue à une sorte de bataille de positions typique de la Gauche anglo-saxonne.

Le Taj Mahal, fleuron de l’architecture islamique en Inde

Dans le monde du travail, on travaille. Même si on a des préjugés sur la personne à côté de soi, on est obligé de les gommer, parce qu’il faut bien aller de l’avant. Ce n’est pas simplement pour ne pas se faire licencier, c’est aussi par respect de l’outil de travail. Et parce que la haine, c’est fatiguant. La haine est un luxe. Il faut disposer d’un certain patrimoine – pas trop sans quoi on s’assagit – ou au contraire être un déclassé.

Les gens n’ont donc pas la haine. Ils ne sont ni des lumpens, ni des racailles, ni des petits-bourgeois enragés. Ils sont les gens. C’est pour cela qu’il n’ont pas suivi les gilets jaunes, tout en les comprenant. Les gens ont leur vie et ils ne peuvent pas se permettre de la jeter à la poubelle. Partir à l’aventure est un luxe, réservé aux couches plus aisées.

La manifestation du 10 novembre est donc une erreur. Car les gens ne sont pas racistes. Ils ne peuvent pas être racistes. Le peuple est l’avenir de la société, il ne peut être ni raciste, ni antisémite, ni réactionnaire. Il y a bien sûr des racistes, des antisémites, des réactionnaires, des gens incapables de placer l’islam dans son contexte historique et culturel. Mais ce n’est pas le peuple. Ce sont des gens qui se trompent, qui fautent.

Une fascinante affiche soviétique de 1947 appelant à rejoindre la société du croissant rouge et de la croix rouge

C’est comme si on disait : tel conducteur à 7 heures du matin manque d’écraser les gens, car c’est un idiot, un sauvage. C’est vrai en un certain sens pour son comportement, son attitude. Cependant le fond du problème, c’est que c’est un travailleur épuisé, aliéné. Voilà le fond véritable de la question.

Le peuple le sait, car il sait ce que c’est que de vivre dans une société épuisante, suffocante. Il n’en a par conséquent rien à faire que quelqu’un préfère le pop corn salé ou sucré, qu’il se passionne pour la mécanique, l’Inde ou voit le port du voile comme une sorte d’abri dans un monde en décomposition.

Inversement, ceux qui tremblent pour leur petite propriété ont besoin de boucs-émissaires et ils mentent. Dans la vie quotidienne, ils sont obligés de faire comme tout le monde, mais parallèlement, schizophrènes, ils diffusent une peur panique à travers des thèses complotistes, dont le « grand remplacement » est devenu le grand fourre-tout. Le petit-bourgeois a peur de perdre son bien, d’être « remplacé ». Il critiquerait bien les riches qui sont ses ennemis justement, mais il a envie d’être riche lui-même… donc il ne le fait pas.

Attention toutefois, le petit-bourgeois ment, mais les gens aussi. Ils savent très bien que leurs fuites ont un côté mensonger. Les musulmans n’ont pas le droit d’écouter de la musique. L’immense majorité le fait quand même, ce qui n’a aucun sens. On voit bien ici que la religion est une culture, un refuge et nullement une entité religieuse bien déterminée, comme le pensent les religieux et les anti-religieux primaires.

Une image appelant à participer à la lutte contre le harcèlement anti-musulman présenté ici comme « islamophobe », proposé par le site musulman Saphirnews. Au-delà de l’intention, l’approche est au sens strict « islamophobe » car la représentation d’être vivants est fondamentalement interdite dans la religion musulmane…

La manifestation du 10 novembre est ainsi une erreur, quasiment une faute. Elle prend au sérieux des choses qui ne le sont pas. Elle accepte de se placer sur le terrain des racistes et des religieux, ce qui est une grossière erreur. C’est exactement la même erreur qui avait faite lors de l’interdiction du port du voile à l’école.

Il aurait fallu tout simplement permettre des discussions au cas par cas, dans l’esprit que tout cela concerne la vie du peuple, avec sa richesse, ses exigences et ses incohérences, etc. Au lieu de cela on a eu une loi qui a été une vraie boîte de Pandore. La preuve en est que ce sont des militants d’une organisation d’extrême-gauche qui ont provoqué toute cette affaire du port du voile à l’école, en ruant dans les brancards. Cette même organisation se retrouve à manifester désormais le 10 novembre

Il n’y a pas de barrières ethniques, religieuses ou communautaires dans le monde du travail.

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Communiqué de la Gauche républicaine et socialiste (GRS) qui ne s’associe pas à l’appel pour la marche contre «l’islamophobie» dimanche 10 novembre

Voici le communiqué de la Gauche républicaine et socialiste (GRS), le parti fondé par Marie-Noëlle Lienemann et Emmanuel Maurel après leur départ du Parti socialiste. GRS est proche de la France insoumise et de Jean-Luc Mélenchon, mais on constate ici une divergence de fond sur un sujet important. Alors que beaucoup de membres de La France insoumise critiquaient encore il y a quelque temps la notion d’« islamophobie », voilà qu’ils ont totalement cédé par opportunisme. Tel n’est pas le cas de la Gauche républicaine et socialiste, qui reste ferme sur ses principes.

« LA GAUCHE RÉPUBLICAINE ET SOCIALISTE NE S’ASSOCIERA PAS À L’APPEL RÉDIGÉ EN VUE DE LA MANIFESTATION DU 10 NOVEMBRE PROCHAIN

La Gauche Républicaine et Socialiste (GRS) dénonce tous les racismes, et notamment ceux qui prennent pour prétexte la religion. Elle condamne fermement l’attitude de l’élu d’extrême droite qui s’en est pris à une mère, devant son enfant, alors qu’elle n’avait enfreint aucune loi ni règlement.Le dénigrement, la discrimination et l’hostilité à l’encontre de nos compatriotes de confession musulmane en cours dans certains milieux, partis et médias sont intolérables.

La République française doit s’y opposer de toutes ses forces, en faisant vivre ses principes de Liberté, d’Égalité et de Fraternité. Elle doit aussi poursuivre sans relâche et punir avec la plus extrême sévérité les criminels qui attentent à la liberté de culte et à la vie des croyants, comme cela s’est produit à Bayonne le 28 octobre dernier.

Des intellectuels progressistes, des formations politiques et des organisations de défense des Droits de l’Homme ont voulu alerter l’opinion sur le grave danger que courrait notre pays en s’abandonnant de nouveau, malgré les enseignements de l’Histoire, au poison des guerres de religion. Nous partageons leur indignation et nous leur témoignons notre fidèle amitié.

Mais la GRS ne peut s’associer à l’appel rédigé en vue de la manifestation organisée le 10 novembre prochain. Des formulations avec lesquelles nous sommes en profond désaccord y donnent à croire que la critique d’une religion serait assimilable, en tant que telle, à du racisme. Nous ne pensons pas, en particulier, que soient « liberticides » les lois de 2004 sur l’interdiction du port de signes religieux ostensibles à l’école ; et de 2010 sur l’interdiction de se couvrir le visage dans l’espace public.

Comme l’écrasante majorité des Français, la GRS soutient ces lois. Elle relève enfin que parmi ceux qui manifesteront dimanche, certaines personnalités et organisations portent un programme de régression de la laïcité, visant à instaurer une primauté de la foi sur la loi et un statut de la femme incompatibles avec les valeurs de notre République.

Militante pour une République en actes, émancipatrice partout et pour toutes et tous, la GRS appelle la gauche et les républicains sincères à mener le double combat qu’impose la situation :

• Contre toutes les tentatives d’imposer à la République des statuts particuliers bafouant ses principes, dont l’islam politique est l’une des indiscutables manifestations,

• Pour le respect dû à chacune et chacun d’entre nous, quelle que soit son origine, son genre, son orientation sexuelle, ses opinions ou sa religion. »

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Lutte ouvrière capitule finalement devant le concept d’«islamophobie»

Accepter ou refuser tel ou tel concept a un sens. Lutte Ouvrière, l’organisation d’Arlette Laguiller et de Nathalie Arthaud, a été ainsi très clair sur le concept d’« islamophobie » : elle le rejette comme un outil culturel de forces réactionnaires, elle condamne l’extrême-Gauche complaisante et populiste. C’était en 2017. À l’occasion de la manifestation du 10 novembre 2019, elle a fini par s’aligner et capituler sur le plan des idées, de la culture.

Nathalie Arthaud utilise donc le concept d’« islamophobie », de manière assumée. En février 2017, sa revue internationale Lutte des classes publiait un article à charge contre ce terme: Le piège de la «lutte contre l’islamophobie».

Y était dénoncé la galaxie utilisant ce terme comme vecteur d’une démarche religieuse et – surprise – on trouve justement les signataires de l’appel pour la manifestation du 10 novembre auquel souscrit finalement Lutte Ouvrière. Voici ce qu’on y lit :

La galaxie de l’anti-islamophobie

Depuis plusieurs années, une galaxie de groupes se donnant pour objectif la « lutte contre l’islamophobie » se développent et prennent diverses initiatives. Certains, comme l’UOIF (Union des organisations islamiques de France) ou PSM (Participation et spiritualité musulmanes), sont ouvertement des associations de prosélytisme religieux. D’autres se défendent d’être des organisations religieuses et se cachent derrière des revendications d’égalité, de lutte contre le racisme et contre l’islamophobie. C’est le cas du CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France), de Mamans toutes égales, du Collectif une école pour toutes, Féministes pour l’égalité, et plus récemment d’Alcir (Association de lutte contre l’islamophobie et les racismes). Le Parti des indigènes de la République (PIR) est aussi à ranger dans cette galaxie.

Depuis l’attentat contre Charlie hebdo, en janvier 2015, les initiatives de ces groupes se sont multipliées : rassemblement anti-islamophobie le 18 janvier 2015 à Paris ; meeting contre l’islamophobie et le climat de guerre sécuritaire le 6 mars 2015 à Saint-Denis ; Marche de la dignité et contre le racisme organisée par le PIR le 31 octobre 2015 ; meeting à Saint-Denis contre l’état d’urgence le 11 décembre 2015, ou encore, le 21 septembre dernier, le meeting d’Alcir baptisé « Pour un printemps de la liberté, de l’égalité et de la fraternité », organisé dans le 20e arrondissement de Paris.

Ces différentes initiatives ne prêtent pas forcément à la critique. Le rassemblement du 18 janvier 2015 était une réponse à une manifestation d’extrême droite organisée le même jour pour « expulser tous les islamistes ». Et organiser des réunions contre l’état d’urgence ou marcher contre le racisme peut sembler juste. La question est de savoir qui organise ces initiatives, quelles idées s’y expriment, et ce que des militants qui se disent d’extrême gauche y font et y disent.

Ces rassemblements ont tous été en réalité des tribunes pour des organisations islamistes et communautaristes.

Lors du rassemblement du 18 janvier 2015, des jeunes brandissent des drapeaux algériens, turcs, marocains, des panneaux portant des sourates du Coran, et une grande banderole : « Touche pas à mon prophète ».

Le meeting du 6 mars 2015 était coorganisé par l’UOIF. Celui du 11 décembre faisait, lui aussi, la part plus que belle aux militants religieux. Certes, des laïcs (journalistes du Monde diplomatique ou représentante du Syndicat de la magistrature) s’y sont exprimés, mais en partageant la tribune avec Tariq Ramadan, Ismahane Chouder, porte-parole de PSM, ou Marwan Muhammad, porte-parole du CCIF.

On retrouve les mêmes parmi les signataires de l’appel pour le meeting d’Alcir du 21 septembre 2016. Le nom des porte-parole des associations et groupes religieux musulmans figure sur l’affiche, ornée d’une photo d’une femme voilée drapée… dans un drapeau bleu-blanc-rouge.

Parmi les signataires de cet appel on trouve le NPA, qui a appelé à ce meeting sur son site, avec cette affiche puant le patriotisme et le républicanisme.

Ces différentes initiatives se sont faites avec la participation ou le soutien de groupes ou partis de gauche (Attac, Ensemble, EELV) ou d’extrême gauche (anarchistes libertaires, antifas, NPA). Et le 18 décembre 2016 encore, a eu lieu une conférence internationale contre l’islamophobie et la xénophobie, à Saint-Denis, à laquelle appelaient conjointement le Parti des indigènes de la République et le NPA, et dont l’appel était signé par Olivier Besancenot et Tariq Ramadan.

Le même article dénonce la complaisance avec ces forces présentées comme réactionnaire…

La complaisance de l’extrême gauche

Une partie de la « gauche de la gauche » organise avec ce milieu réactionnaire toutes sortes d’initiatives, leur ouvre ses colonnes ou discute doctement avec eux de leurs positions.

Ce n’est pas par accident. Il y a longtemps que la LCR, et plus encore le NPA, se refusent à critiquer clairement le voile, et font preuve vis-à-vis de l’islam d’une bonne dose de démagogie. On se souvient de l’affaire de la candidate voilée du NPA dans le Vaucluse, en 2011. Se refusant à affirmer sans ambages le caractère oppressif du voile et de ses divers avatars vestimentaires, des membres de ce parti sont allés par exemple, en août dernier, jusqu’à organiser dans le cadre de leur université d’été une manifestation pour défendre le droit des femmes à porter le burkini, aux cris de « Trop couvertes ou pas assez, c’est aux femmes de décider ». On n’est, on le voit, pas très loin du féminisme décolonial.

Le NPA a déclaré, à la suite d’une réunion de sa direction nationale les 17 et 18 septembre dernier, que « le NPA, ses militants, ses porte-parole et son candidat seront au cœur de l’action contre le racisme et l’islamophobie ». Un communiqué du 16 octobre appelle à « faire de la lutte contre l’islamophobie une véritable priorité ».

Cela n’a rien de fortuit, de la part d’un courant qui a pour habitude d’épouser les idées d’autres courants, dans l’espoir de gagner l’oreille de telle ou telle fraction de la jeunesse, de la petite bourgeoisie intellectuelle ou du monde du travail. Autrement dit : tentons d’attirer les jeunes des banlieues à nous… en nous rangeant derrière des organisations qui, elles, disent ce que ces jeunes veulent entendre, quelque réactionnaires que soient leurs idées.

Cet opportunisme est une vieille tradition d’une partie du mouvement trotskyste, la même qui l’a conduite, dans le passé, à soutenir sans s’en démarquer les nationalistes des pays colonisés, comme le FLN algérien, ou certains courants staliniens, à trouver des vertus aux associations les plus réformistes, comme Attac, ou à faire les yeux doux aux décroissants.

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Les réactions à l’appel pour le 10 novembre contre «l’islamophobie»

L’appel à une marche ce dimanche 10 novembre 2019 contre « l’islamophobie » génère beaucoup de remous à Gauche. Il y a en effet de nombreuses réticences à l’offensive de la « Gauche » post-moderne alliée aux courants politiques musulmans à visée culturelle et aux courants « décoloniaux ». Voici un aperçu des réactions les plus significatives.

La réaction la plus marquante a été celle du Parti socialiste mardi 5 novembre, à l’issue de son Bureau National. De part sa tradition, à la fois institutionnelle et de gauche, le PS ne pouvait en effet pas se joindre à un appel ayant une dimension communautaire et religieuse aussi évidente.

Il y a également des personnalités qui se sont particulièrement exprimées sur le sujet, comme le socialiste Amine El-Khatmi, élu PS d’Avignon. Engagé depuis longtemps contre la montée de l’islamisme et du communautarisme, il fait partie des personnes lucides sur le mot « islamophobie », qu’il sait être « imposé dans le débat public par les islamistes ».

Il a eu des propos très appuyés au sujet de la marche de dimanche :

« Lorsqu’une partie de la Gauche va manifester avec des islamistes autour d’un mot d’ordre, l’islamophobie, qui est le refus d’une critique de la religion : oui, je le dis, c’est une trahison. De l’esprit « Charlie », de l’esprit du 11 janvier 2015 et plus que ça encore, c’est la trahison des combats historiques de la Gauche pour l’émancipation des individus, pour la liberté de conscience, pour le droit aux citoyens de s’élever de l’assignation à résidence identitaire. »

Ce discours incarne largement le sentiment des gens liés à la Gauche historique en France, avec bien sûr des nuances suivant les courants. Mais ce n’est pas celui de la « Gauche » post-moderne, hégémonique dans la direction des organisations, qui ne veut plus de la Gauche historique et préfère une alliance avec des courants politiques musulmans.

> Lire également : L’appel «anti-islamophobie» pour le 10 novembre de la Gauche post-moderne

Cette contradiction génère de nombreuses tensions, visibles au PCF notamment. Sa direction, qui est plus que poreuse au post-modernisme, acceptant l’écriture inclusive ou la question des « trans », a donc dû prendre des pincettes sur le sujet.

Le premier secrétaire du PCF Fabien Roussel n’a ainsi pas signé l’appel, pour ne pas engager l’organisation, en se contentant d’expliquer benoîtement qu’il ne s’y était « pas retrouvé ». L’appel a cependant été largement diffusé dans le PCF et ce sont des personnalités individuelles qui se sont chargées de le signer et même de le défendre.

C’est le cas de Ian Brossat, évidemment, mais aussi des députés Stéphane Peu et Elsa Faucillon, qui assume jusqu’au bout l’appel à marcher contre « l’islamophobie » :

« Face aux pressions, nous ne devons pas céder mais serrer les coudes pour soutenir nos concitoyens de confession musulmane »

Les réticences des gens de gauche face à cet appel révèle aussi un opportunisme grossier de la part de certaines personnalités l’ayant signé, mais feignant ensuite de n’avoir pas bien compris ce qu’ils signaient. C’est le cas Yannick Jadot (EELV), d’Adrien Quatennens (LFI) ou encore de François Ruffin (LFI) qui explique de manière grotesque n’avoir pas porté une attention suffisante au texte car il était avec ses enfants en Belgique « en train de manger des frites et des gaufres » et que de toutes manières, il ne sera pas là dimanche car il a « foot »…

Caroline de Haas pour sa part a demandé à ce que sa signature soit retirée de l’appel, mais elle se rendra quand-même à la marche dimanche pour en profiter.

Opportunisme également, mais dans l’autre sens : Eric Coquerel de la France insoumise explique qu’il a changé d’avis sur le terme « islamophobie », qu’il rejetait avant, qu’il assume maintenant. Selon lui, la critique de l’alliance avec des courants musulmans politiques serait un « universalisme abstrait » et :

« le risque de dérive communautariste, c’est-à-dire la capacité d’une communauté de subordonner les lois de notre République aux lois d’une religion ou de ses intérêts particuliers, n’a pas aujourd’hui de réalité de masse. »

Jean-Luc Mélenchon pour sa part « persiste et signe » sur l’appel, car « il faut savoir faire bloc quand l’essentiel est en jeu». Il en profite également pour lancer une petite pic propre à satisfaire les antisémites, expliquant qu’il soutient l’appel :

« pour ce qu’il y a dans le texte et pas en raison de ceux dont je découvre ensuite qu’ils l’ont également signé. Sinon, je n’aurais jamais signé de texte dans le passé avec Bernard-Henri Lévy ni avec le Crif ».

David Cormand, dirigeant d’EELV, ne regrette « pas du tout » d’avoir signé l’appel avec lequel il n’a « aucun problème », se disant même surpris par « la fébrilité » de certains. C’est peu ou proue la même chose chez Génération-s, qui prétend que :

« Il y a une attaque continue et extrêmement violente contre les populations musulmanes en France et Génération.s sera présent dimanche »

Clémentine Autain, figure du post-modernisme en France, est en première ligne pour défendre l’appel et combattre la Gauche historique :

« Nous devons être là car il y a une responsabilité de la gauche. J’appelle à ce que les forces progressistes y soient les plus nombreuses possible, parce que c’est nous qui donnerons le la ! »

Elle justifie cela par des propos grandiloquents, d’un populisme outrancier :

« Si on continue comme ça, on va vers la guerre civile ! »

« Nous traversons une période dangereuse, dans laquelle les musulmans sont la cible d’une haine qui met en jeu les valeurs républicaines »

Enfin, du côté des organisateurs, il y a eu des réactions très virulentes aux critiques venues de la Gauche, notamment de la part de Madjid Messaoudene, élu de Saint-Denis :

«  Il y a une tentative de sabotage de la part de la fachosphère et de la gauche, on en prend note : les polémiques du RN sont reprises par le PS ».

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Le Parti socialiste ne participera pas à la manifestation du 10 novembre contre l’«islamophobie»

Voici la résolution du Bureau National du Parti socialiste expliquant pourquoi il ne prendra pas part à la manifestation du 10 novembre contre l’« islamophobie » :

« Résolution adoptée au Bureau National du 5 novembre 2019

L’attentat perpétré il y a quelques jours à la mosquée de Bayonne est un acte odieux contre nos concitoyennes et concitoyens de confession musulmane et donc contre la République.

La parole raciste à l’encontre des Françaises et Français de confession musulmane s’est libérée, facilitant les passages à l’acte. Des insultes quotidiennes à l’attentat de Bayonne, nos compatriotes sont la cible de l’extrême droite identitaire. Nous condamnons toutes celles et tous ceux qui arment par leurs discours la haine à leur encontre.

Il appartient à la République toute entière de se dresser contre les paroles, les actes et les promoteurs de haine à l’encontre des musulmans.

Pour autant, le Parti socialiste ne participera pas à la manifestation du 10 novembre.

Nous ne voulons pas nous associer à certains des initiateurs de l’appel. Nous ne nous reconnaissons pas dans ses mots d’ordre qui présentent les lois laïques en vigueur comme «liberticides».

Nous nous reconnaissons au contraire dans la France républicaine où la laïcité garantit la liberté de conscience et la liberté religieuse à chacune et chacun, comme le droit de critiquer les religions.

Le combat contre la haine des musulmans doit être celui de la République toute entière, nous appelons l’ensemble des organisations républicaines à se retrouver pour porter ensemble ce combat. »

 

> Lire également : L’appel «anti-islamophobie» pour le 10 novembre de la Gauche post-moderne

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L’appel «anti-islamophobie» pour le 10 novembre de la Gauche post-moderne

L’appel « anti-islamophobie » publié dans Libération est un véritable modèle du genre, puisque ses mots ont été choisis de manière extrêmement précise afin de satisfaire tant l’Islam politique que le libéralisme anti-universaliste de la Gauche post-moderne.

C’est à croire que la société flotte au-dessus du capitalisme, qu’il n’y a pas de bourgeoisie qui entend diviser pour régner. On a un « racisme » abstrait » visant « les musulmans » comme si ceux-ci formaient une communauté déterminée, unifiée.

À la bourse on achète des actions. Pour la Gauche post-moderne, la société fonctionne pareil. Il y a des acheteurs et des vendeurs, qui sont les individus tous différents les uns des autres. Mais tous participent à une grande bourse aux idées. Le but est de gagner des parts de marché. C’est là, on le reconnaîtra aisément, la conception sociale de la Gauche américaine, qui n’a jamais connu la Gauche historique.

La Gauche post-moderne française a adopté cette démarche. En ce sens, le quotidien Libération s’est donnée comme habitude depuis quelques temps de publier régulièrement des tribunes. Le Monde l’a toujours fait de temps en temps, mais Libération connaît une crise très profonde et cherche à s’en sortir. Sa méthode est de se placer comme plaque tournante d’une Gauche post-moderne, sociale mais ultra-libérale dans les mœurs. C’est à ce titre qu’on a la tribune « Le 10 novembre, à Paris, nous dirons STOP à l’islamophobie ! », qui appelle à un rassemblement à Paris.

Le texte, ci-dessous en annexe, a d’autant plus d’importance qu’il rassemble la Gauche post-moderne dans ce qui consiste en une grande offensive. Il s’agit très clairement de procéder à une cristallisation politique qui a de nombreux précédents dans d’autres pays, telles la Grande-Bretagne et la Belgique. Il s’agit de briser la Gauche historique au moyen d’une alliance de la Gauche post-moderne et des courants politiques musulmans à visée culturelle, ainsi que des courants « décoloniaux » entre les deux.

Il suffit pour s’en convaincre de voir les signataires initiaux de la tribune :

Madjid Messaoudene (élu de Saint-Denis), la Plateforme L.e.s. Musulmans; Le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA); le Comité Adama; le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF); l’Union communiste libertaire (UCL); l’Union nationale des étudiants de France (Unef), Taha Bouhafs (journaliste).

Le NPA et l’Union communiste libertaire sont farouchement post-modernes, tout comme Madjid Messaoudene et Taha Bouhafs. La direction de l’Union nationale des étudiants de France est ouvertement sur cette ligne. Le Comité Adama se veut quant à lui d’esprit décolonial. Le Collectif contre l’islamophobie en France et la Plateforme L.e.s. Musulmans sont très clairement des structures relevant de l’Islam politique.

Et les appuis à cette initiative sont très puissants, puisqu’on retrouve pas moins que Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, ainsi que Jean-Luc Mélenchon et l’ensemble du groupe parlementaire La France Insoumise. Il y a aussi David Cormand, secrétaire National d’EELV. Impossible de ne pas voir là qu’il y a donc une démarche politique très claire. Le secrétaire général de la CGT Philippe Martinez, en signant cette tribune, met d’ailleurs très clairement les pieds dans le plat, puisqu’il est censé être sur une position de réserve.

Un autre qui met les pieds dans le plat, c’est Benoît Hamon. Que Génération-s signe l’appel est plus ou moins dans l’ordre des choses. Mais Benoît Hamon était censé être en retrait. Passe encore, dira-t-on, mais il y a un souci plus grave et, on peut le dire, hautement symbolique.

En effet, lorsque le réactionnaire Alain Finkielkraut avait été insulté par des gilets jaunes, le journaliste Taha Bouhafs avait accusé celui-ci d’être un « sale sioniste », sur Twitter. Benoît Hamon, qui vient de la gauche historique, avait alors posté un message très construit, très juste :

« Je combats les idées réactionnaires et radicales d’Alain #Finkielkraut. Mais je condamne sans aucune réserve ceux qui l’ont conspué, insulté et traité d’un « sale sioniste » qui voulait dire « sale juif ». Et laissez la Palestine en dehors de cette violence antisémite gratuite. »

Ce à quoi Taha Bouhafs a répondu avec un message ignoble digne de Dieudonné et Alain Soral :

« C’est bientôt le dîner du CRIF [Conseil représentatif des institutions juives de France], et t’as pas envie d’être privé de petits fours. »

Alors comment est-ce que Benoît Hamon peut signer une tribune lancée par un tel personnage ? Non seulement, il y a une éventuelle allusion aux chambres à gaz, mais en plus il le présente comme soumis au CRIF, comme si cette structure jouait un rôle majeur dans la politique française.

Ah, mais il faut ici faire de la politique. Et malheureusement Benoît Hamon, en basculant dans la gauche post-moderne ouverte, a perdu le fil. Il veut juste bien faire.

Mais il ne s’agit pas de bien faire et de dire abstraitement : on est contre le racisme, la haine des musulmans est condamnable. Il s’agit d’avoir une lecture politique authentique : qui cherche à diviser le peuple, et pourquoi ? Et cela, seule la Gauche historique est capable de le faire, car elle sait que tout cela n’a qu’un but : empêcher l’émergence d’une conscience socialiste.

Voici la tribune, publiée dans Libération.

« Tribune. Depuis bien trop longtemps, les musulmanes et les musulmans en France sont la cible de discours venant parfois de «responsables» politiques, d’invectives et de polémiques relayés par certains médias, participant ainsi à leur stigmatisation grandissante.

Depuis des années, la dignité des musulmanes et des musulmans est jetée en pâture, désignée à la vindicte des groupes les plus racistes qui occupent désormais l’espace politique et médiatique français, sans que soit prise la mesure de la gravité de la situation.

Depuis des années, les actes qui les visent s’intensifient : qu’il s’agisse de discriminations, de projets ou de lois liberticides, d’agressions physiques de femmes portant le foulard, d’attaques contre des mosquées ou des imams, allant même jusqu’à la tentative de meurtre.

L’attentat contre la mosquée de Bayonne le 28 octobre, en est la manifestation la plus récente et les services de l’Etat savent que la menace terroriste contre les lieux de culte musulmans est grande.

Il a fallu que cette violence jaillisse aux yeux de tous, à travers l’humiliation d’une maman et de son enfant par un élu RN au conseil général de Bourgogne-Franche-Comté, pour que tout le monde réalise ce que des associations, des universitaires, des personnalités, des syndicats, militants et au-delà, des habitants, dénoncent à juste titre depuis des années : l’islamophobie en France est une réalité. Quel que soit le nom qu’on lui donne, il ne s’agit plus ici de débats d’idées ou de critique des religions mais d’une forme de racisme explicite qui vise des personnes en raison de leur foi. Il faut aujourd’hui s’unir et se donner les moyens de la combattre, afin que plus jamais, les musulmanes et les musulmans ne puissent faire l’objet de tels traitements.

Puisque les discours et déclarations d’intention ne suffisent plus, parce que l’heure est grave : le 10 novembre à Paris nous marcherons pour dire :

– STOP aux discours racistes qui se déversent sur nos écrans à longueur de journée, dans l’indifférence générale et le silence complice des institutions étatiques chargées de lutter contre le racisme.

– STOP aux discriminations qui visent des femmes portant le foulard, provoquant leur exclusion progressive de toutes les sphères de la société.

– STOP aux violences et aux agressions contre les musulmanes et les musulmans, qui se retrouvent progressivement déshumanisés et stigmatisés, faisant d’eux des terroristes potentiels ou des ennemis de l’intérieur.

– STOP aux délations abusives jusqu’au plus haut niveau de l’Etat contre des musulmans dont le seul tort serait l’appartenance réelle ou supposée à une religion.

– STOP à ces dispositifs de surveillance de masse qui conduisent à une criminalisation pure et simple de la pratique religieuse.

Les conséquences, notamment pour des salariés licenciés et des familles déstabilisées, sont désastreuses et ne peuvent plus être tolérées. Cette criminalisation se fait au détriment des libertés fondamentales et des principes les plus élémentaires d’égalité censés guider notre pays.

Nous, musulmans ou non, disons STOP à l’islamophobie et nous serons nombreux pour le dire ensemble le 10 novembre prochain à Paris.

Nous appelons toutes les organisations, toutes les associations, tous les collectifs, toutes les fédérations de parents d’élèves, tous les partis politiques, toutes les personnalités, tous les médias, toutes les personnes solidaires à se joindre à cet appel solennel et à répondre présent à la marche du 10 novembre prochain.

Il en va des libertés fondamentales de tous. Il en va de la dignité et de l’intégrité de millions de concitoyens. Il en va de notre unité à tous, contre le racisme sous toutes ses formes qui, aujourd’hui, menace une nouvelle fois la France.

Un appel initié par Madjid Messaoudene (élu de Saint-Denis), la Plateforme L.e.s. Musulmans; Le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA); le Comité Adama; le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF); l’Union communiste libertaire (UCL); l’Union nationale des étudiants de France (Unef), Taha Bouhafs (journaliste). Premiers signataires: Action Antifasciste Paris Banlieue (AFA); Arié Alimi , avocat; Pouria Amirshahi , directeur de publication de Politis; Manon Aubry, eurodéputée; Étienne Balibar , universitaire; Ludivine Bantigny, historienne; Yassine, Belattar, humoriste; Esther Benbassa, sénatrice EE-LV de Paris; Olivier Besancenot, NPA; Saïd Bouamama, sociologue; Leïla Chaibi, eurodéputée LFI; André Chassaigne, député, président du groupe GDR; David Cormand, secrétaire National d’EE-LV; Laurence De Cock, enseignante; Caroline De Haas, militante féministe; Vikash Dhorasoo, ancien de joueur de foot, parrain d’Oxfam et président de Tatane; Rokhaya Diallo, journaliste et réalisatrice ; Pierre Jacquemain , rédacteur en chef de Regards; Éric Fassin, sociologue; Elsa Faucillon, députée PCF; Fédération syndicale unitaire (FSU); Fianso, artiste; Front uni des immigrations et des quartiers populaires (FUIQP); Geneviève Garrigos, féministe, militante des Droits humains; Vincent Geisser, politologue; Alain Gresh, journaliste; Nora Hamadi, journaliste; Benoît Hamon, Génération.s; Yannick Jadot (député europééen EELV); Mathilde Larrère, historienne; Mathieu Longatte (Bonjour Tristesse); Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT; Jean-Luc Mélenchon et l’ensemble du groupe parlementaire La France Insoumise; Marwan Muhammad, auteur et statisticien; Younous Omarjee, eurodéputé; Stéphane Peu, député PCF; Edwy Plenel, journaliste; Maryam Pougetoux et Mélanie Luce, Unef; Jérôme Rodrigues, gilet jaune; Julien Salingue, docteur en science politique; Pierre Serne (porte-parole de Génération.s); Michèle Sibony et l’Union juive française pour la paix (UJFP); Laura Slimani, élue de Rouen, direction nationale de Génération.s; Azzédine Taibi, maire PCF de Stains; Sylvie Tissot, sociologue; Aida Touihri, journaliste; Assa Traoré, comité Adama; Aurélie Trouvé, porte-parole d’Attac; Union syndicale Solidaires; Dominique Vidal, journaliste et historien.

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La question du califat et la mort d’Abou Bakr al-Baghdadi

Le chef de l’État islamique Abou Bakr al-Baghdadi a été tué dans une opération américaine en Syrie ce 26 octobre 2019. Cela met un terme à une intense querelle idéologique au sein de l’État islamique quant aux raisons de l’échec. C’est que la question du calife est absolument fondamentale en Islam. L’échec du califat pose un problème théologique de la plus grande ampleur et forme un défi dont la religion musulmane ne peut pas se relever.

Il est vraiment étrange de voir comment les commentateurs empêtrés dans leur confort bourgeois sont incapables de saisir la portée de la religion, alors que de manière formelle ils sont pourtant très cultivés.

Le professeur à Sciences Po-Paris Jean-Pierre Filiu, connu pour ses analyses à l’emporte-pièce, raconte ainsi au sujet de la mort du calife de l’État islamique que :

« Il n’est pas cependant certain qu’une telle perte symbolique affecte fondamentalement la direction opérationnelle de Daesh, depuis longtemps aux mains de professionnels aguerris. »

Amélie M. Chelly, « docteure en sociologie religieuse et politique, spécialiste du monde iranien, de l’islam chiite, et plus largement des phénomènes de politisation de l’islam (des Frères musulmans à Daesh) », dit la même chose :

« Les grands chefs qui ordonnent les combats sont des anciens de l’armée irakienne et des Tchétchènes qui possèdent donc de grandes compétences stratégiques et des rôles décisionnaires. Baghdadi était l’incarnation d’une idéologie, mais sa disparition physique ne l’entache en rien. Elle ne va donc pas mourir avec lui, mais continuer de vivre. »

Une telle analyse ne tient pas debout une seule seconde et elle montre que les « experts » ne comprennent vraiment rien à la question de l’Islam politique. Disons plutôt les experts français, car les experts américains ont une lecture bien plus pertinente.

C’est que le principe est le suivant. Le Coran a une sourate (4, 59) qui dit :

« Ô les croyants! Obéissez à Allah, et obéissez au Messager et à ceux d’entre vous qui détiennent le commandement.

Puis, si vous vous disputez en quoi que ce soit, renvoyez-le à Allah et au Messager, si vous croyez en Allah et au Jour dernier. Ce sera bien mieux et de meilleure interprétation (et aboutissement). »

Cela implique une soumission politique à un dirigeant musulman, qui ne doit plus être dirigeant s’il sort du cadre exigé par la religion. Rappelons ici que par religion il faut entendre un système à la fois moral et juridique, impliquant tous les aspects de la vie.

Le catholicisme a été obligé de capituler dans sa prétention à être ainsi, mais l’Islam de par l’appui par des formes féodales jusqu’à aujourd’hui, maintient cette orientation.

Cela implique que, quand on est musulman, on doit se soumettre à un dirigeant, grosso modo appelé calife en raison de la tradition. Certains pensent que ce n’est pas un « calife » en tant que tel, mais le principe est le même.

Cette situation permet d’être musulman et cette situation seulement. On appelle alors cela Dar al-Islam, le « domaine de la soumission à Dieu ». Dans le cas contraire, on est dans le Dar al-Harb, le « domaine de la guerre ».

Les attentats meurtriers et fanatiques de l’État islamique correspondent à cette opposition. Un musulman ne peut pas vivre, selon l’Islam, en terres non musulmanes. Il doit partir ou combattre. L’État islamique considère donc les musulmans en terres non musulmanes comme non réellement musulmans.

Al-Qaïda considère les choses pareillement, mais à une lecture par étapes et considère qu’on ne peut pas les rejeter en bloc comme l’État islamique l’a fait. Mais c’est l’État islamique qui l’a totalement emporté dans l’Islam radical, car il a assumé la formation d’un domaine « pur » politiquement et donc moralement, forcément avec un calife.

La mort du calife, qui avait pris le nom d’Ibrahim, pose donc un défi monumental à l’Islam. Soit il reconnaît que l’établissement d’un califat est impossible, mais alors il abandonne la prétention à une morale totale et il connaît le même phénomène d’intégration dans la société que le catholicisme.

Soit il garde l’utopie du califat, mais alors il est obligé d’évaluer l’expérience de l’État islamique et alors cela va renforcer tous les courants de l’Islam politique (des frères musulmans à Al Qaïda), provoquant une communautarisation et une sectarisation accompagnée de factionnalisme agressif.

Il faut bien saisir que la question n’est pas religieuse. Il ne s’agit pas de savoir si on peut prier comme musulman ou pas, mais bien de vivre entièrement la morale musulmane dans tous les actes du quotidien.

C’est là où la Gauche doit intervenir. Elle doit proposer son propre système moral, complet, aussi complet que l’Islam. En montrant que ce dernier n’est qu’une révolte romantique, féodale, contre le capitalisme.

Une telle tâche est impossible à une gauche libérale dans les mœurs, bien entendu. Seule la Gauche historique le peut, en disant par exemple : oui, il faut refuser la destruction du principe du couple par l’ultra-libéralisme, mais pas en adoptant une lecture féodal de celui-ci. Oui, la superficialité de la société de consommation doit être combattue, mais pas au profit d’un rigorisme sectaire-religieux.

Et il faut décliner cela dans tous les domaines. Sinon le monde s’effondrera dans un grand affrontement entre les décadents post-modernes et les illuminés pro-féodaux…