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Benoît XVI sur l’Église catholique et la dégénérescence du monde moderne

Le pape « retraité » Benoît XVI a fait une longue lettre publiée au sein de l’Église catholique. Il y explique que celle-ci connaît une attaque venant de ceux qui veulent la moderniser, l’adapter à des mœurs qu’ils considère somme toute comme dégénérées. C’est toute la logique mystique d’une « révolte contre le monde moderne ».

La Gauche historique a un grand point commun avec le catholicisme, et cela la distingue de la gauche post-moderne, post-industrielle. Ce point commun, c’est l’affirmation d’une morale et de valeurs bien déterminées, d’une éthique du quotidien. Ni la Gauche historique, ni le catholicisme ne professent le libéralisme. Ni l’une, ni l’autre n’acceptent le discours libéral-libertaire de déconstruction des normes et des valeurs.

Naturellement, la Gauche historique et le catholicisme ont des visions du monde bien différentes. Mais les deux ont des valeurs et en cela, ils sont opposés à une « modernité » capitaliste faisant de l’individu, de ses caprices, de ses « choix », l’alpha et l’oméga du sens de la vie. C’est pour cette raison que l’Église catholique, comme elle professe un mysticisme, est catégoriquement contre le mariage des prêtres. On ne peut être marié qu’à l’Église comme intermédiaire avec le divin.

Cela semble incompréhensible pour une écrasante majorité de Français, catholiques ou pas. Car les Français sont libéraux et ne comprennent pas que tout ne soit pas relatif. Ils ont accepté les règles culturelles du capitalisme comme quoi tout se vaut. Or, les religions ne sont pas relatives, elles viennent de Dieu, si on accepte leur discours.

Évidemment, il n’y a pas de Dieu, donc ce qui est dit est relatif, car le produit de l’Histoire. Le christianisme a joué un rôle progressiste, le catholicisme d’abord, le protestantisme ensuite. Mais c’est du passé et aujourd’hui on n’en a plus besoin. Beaucoup de gens l’ont compris, même de ceux qui croient en les religions ! Et cette incohérence est un problème, car les religions, de leur côté, maintiennent forcément leur discours.

Pour le pape Benoît XVI, donc, la religion n’est du passé, mais un présent ininterrompu, celui de la révélation, et dans un long texte, il défend le caractère sacré des institutions religieuses. Il formule cela avec lyrisme, refusant toute modification, toute « innovation » comme le disent les musulmans :

« L’idée d’une meilleure Église, créée par nous-mêmes, est en fait une proposition du Diable, par laquelle il veut nous éloigner du Dieu vivant, à travers une logique trompeuse par laquelle nous sommes trop facilement dupés. »

Tout cela ne peut évidemment que perturber les catholiques français. « Abus sexuels, un texte troublant de Benoît XVI », dit d’ailleurs le titre d’un article à ce sujet dans La Croix, le quotidien catholique. Le sous-titre de l’article tente de désamorcer l’affaire :

« Analyse Une revue allemande a publié un texte de Benoît XVI dans lequel le pape émérite semble prendre le contre-pied du pape François sur la question des abus sexuels. »

La Croix ment ici et cherche à masquer le problème en tordant les faits. Ce n’est en effet pas une revue allemande, mais la revue du clergé catholique de Bavière et du Palatinat rhénan. Il y a donc une dimension tout à fait légale à ce texte, publié dans un cadre relevant directement de l’Église catholique romaine.

À cela s’ajoute que le texte est d’un pape « retraité », une sommité théologique. Et il a été bien précisé lors de la parution de l’article qu’il y avait l’accord du pape François pour sa sortie. Les derniers mots du texte sont d’ailleurs :

« À la fin de mes réflexions, j’aimerais remercier le pape François pour tout ce qu’il fait afin de nous montrer, de manière toujours renouvelée, la lumière de Dieu, qui encore aujourd’hui n’a pas disparu. Merci, Saint Père ! »

Il est vrai que le texte fait mal à tous ceux qui tentent de réinterpréter le catholicisme de manière libérale ; le quotidien italien le Corriere della Sera parle d’ailleurs d’un « véritable coup de poing dans l’estomac ». La Croix est même obligé de conclure l’article par un autre pieux mensonge :

« Certains vont toutefois jusqu’à mettre en doute la paternité d’un texte dans lequel ils ne reconnaissent pas la plume habituelle de l’ancien pape qui, à 92 ans la semaine prochaine, leur apparaît plus que jamais sous la coupe de son entourage. »

De tels propos sont risibles pour qui sait que Benoît XVI est l’un des plus grands théologiens catholiques de la seconde moitié du 20e siècle et qu’il a toujours défendu les mêmes positions.

Que dit-il, d’ailleurs, dans le texte, ou plutôt que rappelle-t-il ? Que les affaires de pédophilie qui ont récemment fait scandale dans l’Église romaine, où l’on s’aperçoit toujours plus que c’est une forme de violence s’exprimant de manière récurrente dans le clergé, auraient des sources extérieures à l’Église. Il ne va pas dire le contraire, puisque pour lui tous les problèmes viennent du monde matériel et toutes les solutions du monde spirituel. L’Église étant une forme spirituelle, elle est donc intouchable.

Tous les problèmes sont attribués par Benoît XVI à une dégénérescence, le monde moderne en étant son expression la plus complète. C’est pour cela qu’il faut rétablir la Gauche historique et dénoncer la décadence. Il n’y a que trois interprétations : le « monde moderne » est bien car libéral, le « monde moderne » est mauvais car dégénéré, ou bien la société capitaliste est décadente. Le libéralisme et le conservatisme sont d’ailleurs une image inversée l’un de l’autre ; seule la vision socialiste dépasse réellement le capitalisme.

Et, donc, Benoît XVI attaque la dégénérescence. D’où ses dénonciations de la « révolution sexuelle » apparue dans les années 1960, l’hypersexualisation mercantile qui s’est développée, jusqu’à la pornographie, et qui aurait contaminé des pans entiers de l’Église, dans la mesure où il y aurait des propositions de « s’adapter » au monde moderne.

Un exemple notamment mentionnée est le manifeste de Cologne de 1989, signé par des centaines de théologiens allemands, autrichiens, suisses et néerlandais. Un autre est la formation, qui n’est nullement un secret, de clubs homosexuels à l’intérieur de l’Église, menant une très importante guerre d’influence. Le pape François en a également parlé.

C’est que le conservatisme ne peut pas tenir face au libéralisme, effectivement. La religion catholique étant un mysticisme avec un clergé censé être « pur », il y a forcément une contamination par la décadence. Et effectivement, s’il y a davantage de pédophilie dans une société capitaliste en pleine décadence, alors cela se reflète d’autant plus dans une structure comme le clergé catholique avec ses mœurs anti-naturelles.

En fait, Benoît XVI a raison, sauf qu’il croit voir une dégénérescence alors que c’est une décadence, et il croit voir en l’Église quelque chose de pur qui pourrait tenir le choc, alors qu’en réalité c’est une relique du passé, condamnée à être balayée. En ce sens, l’anticléricalisme primaire résumant la pédophilie à l’Église est fondamentalement erroné. Il faut dénoncer la pédophilie en général, et bien voir qu’elle s’étend dans l’Église en particulier, de par ses mœurs mystiques par définition délirantes.

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Société

« Prier pour que les Martiens m’enlèvent sur leur planète »

Les Français ont perdu le sens de la gravité. Face aux attentats, ils ont eu un indéniable sens de l’honneur et de la démocratie, mais cela ne tient pas, cela glisse sur une société qui préfère le divertissement. Les choses importantes exigent pourtant que l’on sache se concentrer, s’investir, en des termes graves. Les gens restent pourtant trop complaisants avec eux-mêmes.

Ludres

La série des films OSS se moque allègrement de cette vieille France faussement sérieuse, en fait surtout réactionnaire, très guindé et policé, incapable de saisir des choses compliquées. Pourtant, malgré mai 1968, la France n’a pas changé, même si en apparence elle est devenue une adepte du divertissement. Le président François Hollande allant en scooter tromper sa compagne, Dieudonné faisant des sketches se moquant du génocide nazi, les youtubeurs jouant aux jeux vidéos ou racontant leurs déboires existentiels, la coupe de monde du football… Tout cela est très vain.

Et si jamais on le dit, on passe pour un rabat-joie, un puritain. Eh bien, soit, disons-le : il faut du puritanisme à la France. Et être puritain, c’est une bonne chose ; ce n’est pas être de Droite comme le pensent les libéraux se prétendant de gauche, c’est au contraire être de Gauche dans ce qu’elle est un vecteur de civilisation, de culture. Cette sainte-Alliance des catholiques et des libéraux pour dénoncer le puritanisme est une chose odieuse qu’il faut écraser, sans quoi il n’y aura jamais d’espace pour une Gauche sérieuse dans notre pays.

Prenons un exemple, qui se déroule en Meurthe-et-Moselle, à Ludres, dans une classe de CE1 de l’école primaire Jacques Prévert. Pour le spectacle de fin d’année, l’école a choisi une chanson de Guillaume Aldebert, qui s’appelle « Pour louper l’école, je ferais n’importe quoi ». On l’a compris, le choix correspond au nom de l’école, puisque Jacques Prévert était justement une sorte d’anarchiste surréaliste valorisant la « créativité » contre les normes. C’est d’ailleurs un nom couramment choisi pour les écoles, mais passons.

Les écoliers, donc, chantant cette chanson, prononcent des paroles comme : « faire le tour de la maison en pyjama pour chopper froid », « me laver à l’eau de javel », « prier pour que les Martiens m’enlèvent sur leur planète », « faire pipi sur un policier », « prendre en otage ma petite sœur », « faire sauter la salle de classe à la dynamite ». Cela va du lamentablement stupide à l’odieux ; dans tous les cas, c’est totalement décadent et indigne d’un niveau culturel réel.

Malheureusement, personne à Gauche n’a réagi et on peut même être certains qu’il y a de nombreux parents de gauche qui trouvent cela très bien, par libéralisme, jeu, incompréhension des exigences de culture et d’éducation. Les parents de droite n’ont pas hésité et prévenu l’inspection de l’éducation nationale, ainsi que le syndicat France-Police.

C’est un exemple très certainement parmi une foule d’autres. Nombre de gens de Gauche sont pourris par le libéralisme et n’ont aucune exigence culturelle, ils n’ont aucun sens de la gravité. Pour eux, la gravité c’est un truc de facho, quelque chose qui relève du passé. Ils en arrivent donc aux mêmes positions que les bobos et les hipsters, sans s’en apercevoir ou bien finalement pour l’assumer. C’est cela aussi qui explique le passage de tout un pan des votes socialistes à Emmanuel Macron.

Il est évident qu’un tel libéralisme n’est pas celui de la Gauche historique, lorsque les ouvriers donnaient le ton. Et c’est à cette Gauche-là qu’il faut revenir, ou plus exactement qu’il faut reconstituer. C’est même une urgence, car face au prolo facho, il n’y a que l’ouvrier pétri dans les certitudes du travail et des exigences de civilisation qui peut l’emporter.

Les ouvriers, eux, ne tombent jamais aussi bas dans leur esprit, leur mentalité, qu’ils en arrivent à « prier pour que les Martiens m’enlèvent sur leur planète ». D’ailleurs, ils ne prient pas, ils transforment la réalité. Et c’est cela qui change tout.

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Société

« Être trans, c’est faire la révolution à l’intérieur de soi »

Cela a été l’un des plus grands hold-ups de la « gauche » postindustrielle, post-moderne, à l’américaine : profiter de la bataille pour les droits des femmes, les droits des homosexuels, et les détourner vers la théorie du genre et une conception identitaire de l’existence.

Voilà ce que dit Paul B. Preciado dans une interview à Libération («Nos corps trans sont un acte de dissidence du système sexe-genre») :

« Être trans, c’est accepter qu’on arrive à être soi-même grâce au changement, à la mutation, au métissage. C’est faire la révolution à l’intérieur de soi. »

La boucle est ainsi bouclée et en un sens il était temps. En s’appuyant sur la philosophie existentialiste affirmant qu’on est ce qu’on choisit d’être, sur la philosophie structuraliste expliquant que le monde est composé de structures sociales, idéologiques, culturelles, morales, économiques, etc., en s’appuyant sur la philosophie désirante de Michel Foucault et Gilles Deleuze faisant du désir le sens même de l’existence, la gauche postindustrielle a diffusé des thèses ultra-libérales en abusant les gens de Gauche.

Tous les acquis de la Gauche historique ont été massacrés. L’Histoire ? Elle n’aurait aucun sens, ce serait juste des événements qu’on rapprocherait plus ou moins, arbitrairement. La lutte de classes ? Du passé, il faudrait raisonner en termes de structures, comme avec le sociologue Bourdieu, et donc « déconstruire » les préjugés. Les droits des femmes ? Inutiles, puisqu’il n’y aurait plus que des individus et que chacun se définit comme il l’entend. Les droits des gays et des lesbiennes ? Une abstraction, puisque les sexualités seraient multiples à l’infini.

Jusqu’à présent, la gauche postindustrielle n’a jamais osé formuler les choses ouvertement ainsi, et attaquaient comme « réactionnaires » les tenants de la Gauche historique pour affirmer que c’était le fond de leur démarche. Le temps a suffisamment passé cependant pour que les masques tombent et l’interview dans Libération présentent des points de vue extrêmement claires :

Qui êtes-vous, Paul B. Preciado ?

La question de l’identité ne m’intéresse pas. Je ne me sens ni espagnol, ni français, ni catholique, ni homme… Ce qui m’intéresse, c’est la critique des normes sexuelles, de genre, raciales, patriotiques. Ce qui est le plus urgent n’est pas de défendre ce que nous sommes, homme ou femme, hétérosexuel ou homosexuel, mais de le rejeter, de se désidentifier de la coercition politique qui nous force à désirer la norme et à la reproduire. Comme le genre, la nation n’existe pas en dehors des pratiques collectives, qui l’imaginent et la construisent. Ce que je vois aujourd’hui, ce ne sont pas des identités, mais des rapports de pouvoir qui construisent le sexe, la sexualité, la race, la classe, le corps valide. Arrêtons de nous focaliser sur les identités, parlons plutôt des technologies de pouvoir, remettons en cause l’architecture politique et juridique du colonialisme patriarcal, de la différence des sexes et de la hiérarchie raciale, de la famille et de l’Etat-nation

L’auteur de ces propos s’est même installé à Athènes, ville qui serait elle-même en « transition ». C’est conforme aux propos tenus, qui sont une négation de toute la réalité sociale, culturelle, nationale, biologique, au profit d’une aventure individuelle et encore fondée uniquement sur sa propre conscience, dans l’esprit de Descartes.

Seulement, la Gauche historique ne se revendique pas de Descartes ni de Thomas d’Aquin, pas plus que de Maïmonide, Ghazali ou bien l’imam Khomeini. Elle se revendique de l’humanisme et de la Renaissance, des philosophes matérialistes des Lumières, des premiers utopistes socialistes, tout cela formant l’arrière-plan du mouvement ouvrier. Et là il n’y a pas d’esprit qui se balade au-dessus de la réalité et fait ses choix comme on fait du shopping.

« Mon genre est non-binaire »

Car c’est bien de shopping qu’il s’agit. L’ultra-libéralisme affirme qu’on peut et qu’on doit tout choisir : sa vie, son emploi, son sexe, son genre, son identité, sa nationalité, ses origines, sa personnalité, son appartenance ethnique, son type de sexualité, son type de couple, etc.

C’est totalement irréaliste d’un côté, cela s’oppose aux principes du déterminisme de l’autre. Et le déterminisme est la base de l’affirmation de la lutte des classes : sans la philosophie du déterminisme, il n’y a plus de classes, donc plus de luttes de classes, donc plus besoin de la Gauche historique.

Et c’est là l’objectif de la Gauche post-industrielle, qui veut se débarrasser du mouvement ouvrier, de la classe ouvrière, du Socialisme, des ouvriers eux-mêmes, de tous ces concepts pour elle dépassés, surannés, vieillis, d’un autre temps. C’est là même son objectif prioritaire, car la Gauche post-industrielle est née dans les universités américaines et diffusée en Europe par l’intermédiaire de l’Angleterre, en étant financée massivement par ces institutions éducatives du supérieur.

Si les universités américaines financent de telles personnes, ce n’est pas pour rien, c’est parce qu’il y a convergence d’intérêts, que ces gens se mettent au service de l’ultra-libéralisme. Il faut donc choisir : soit ces gens, soit le mouvement ouvrier avec la Gauche historique !

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Réflexions

La disparition de la retenue dans l’intimité

L’ultra-libéralisme fait tomber toutes les frontières, toutes les limites, tous les principes, toutes les politesses. L’intimité disparaît ainsi également : le capitalisme a besoin d’individus, pas de personnes, de personnalités.

Echo et Narcisse, John Willian Waterhouse, 1903

L’irruption de la pornographie, du voyeurisme, de l’exhibitionnisme… est désormais une chose tout à fait acquise dans les mentalités françaises. Il y a évidemment un grand décalage entre les générations plus âgées et des jeunes pétris de la culture Instagram. Cependant, le triomphe de Facebook a suffi à exprimer le culte de l’ego qui était déjà solidement installé dans les esprits. Faire de sa vie une pièce de théâtre, un film, un show, ou plus exactement la présenter telle quelle, est une norme.

Naturellement, cela implique une fuite en avant pour se faire remarquer, d’où les phénomènes les plus extrêmes et les démarches les plus grotesques pour apparaître comme différent, au-dessus du lot, unique, totalement à part. Ce qui est ici frappant, c’est que ce n’est jamais par la culture qu’il est cherché à se distinguer, car cela prend trop de temps dans une société capitaliste qui exige de la rapidité, toujours plus de rapidité. Il faut que tout se déroule de manière courte, pour recommencer tout de suite après.

Les egos s’expriment donc surtout par l’axe du vêtement, où le combo Louis Vuitton x Supreme représente le nec plus ultra, la sexualité ou la présentation de son intimité. Il faut se souvenir ici de ce qui s’est dit en France au moment de l’arrivée de la téléréalité. Cela ne marcherait pas, c’est juste anecdotique, la France n’est pas l’Allemagne ou les Pays-Bas ou l’Angleterre, avec leur goût pour le trash. Et pourtant, la digue a bien cédé ; la télé-réalité est désormais incontournable à la télévision, et pas seulement, puisque avec internet, les possibilités d’exhibition sont très faciles, que ce soit avec des vidéos en ligne ou que l’on s’envoie au moyen des smartphones.

Les mœurs ont naturellement été radicalement modifiées par tout cela et il existe ici une différence très marquée entre les générations. Celles nées à partir de 2000, qui n’ont jamais connu aucun cadre normatif un tant soit peu serré, représentent la tendance la plus franche, l’avant-garde pour ainsi dire du libéralisme. Elles acceptent tout, ne refusent rien, faisant de chaque acte quelque chose qui ne doit pas être évalué par la morale, l’histoire, la philosophie, mais simplement par l’envie ou l’utilité. La seule opposition à cette démarche est au mieux religieuse.

Le retour en force des religions s’appuie beaucoup sur cette question de l’intimité. Les religions qui ont du succès sont des variantes ascétiques, anti-exhibitionnistes, des religions historiques. Il y a ainsi l’évangélisme, comme variante du protestantisme, le salafisme, comme variante de l’Islam, les Loubavitch, comme variante du judaïsme. Elles insistent particulièrement sur la défense de l’intimité. Elles n’insistent nullement sur son développement, sur l’affirmation de la personnalité, comme figure rationnelle, sensible, éduquée et ouverte à la nature. Bien au contraire, elles réduisent l’intimité à une chose non seulement privée, mais également tellement unique qu’elle doit être radicalement séparée de tout.

Le levier des religions est ainsi encore l’ego, tout autant que la critique de l’exhibitionnisme, de la pornographie, du voyeurisme. Les religions ne dépassent pas ces formes décadentes, elles les évitent, en s’appuyant tout comme celles-ci sur le ressort de l’ego. Avec les religions, on n’a pas des gens refusant le voyeurisme, mais l’évitant, se disant qu’ils valent mieux que ça. Or, ce dont on a besoin, c’est bien d’un rejet de exhibitionnisme, du voyeurisme, de la pornographie.

Cependant, et malheureusement, beaucoup de gens de gauche sont ici imprégnés de libéralisme. Ils pensent qu’il n’est pas besoin de combattre cela, car finalement chacun aurait le droit de faire ce qu’il veut, même si c’est erroné. Tout serait une question de points de vue, et par conséquent mieux vaut discuter, faire évoluer les points de vue. C’est là ne pas comprendre la dynamique à l’arrière-plan : celle du capitalisme qui a besoin d’individus faisant sauter toutes les frontières, pour élargir le marché.

C’est exactement comme les gens cherchant à faire évoluer les points de vue au sujet de l’achat de 4×4 ou bien de viande. Ils ratent ce qui se déroule à l’arrière-plan : une intense activité du capitalisme pour trouver de nouvelles choses à vendre, de nouvelles choses qui puissent être achetées. Le capitalisme trouve d’ailleurs très bien qu’il y ait de nouveaux consommateurs de vélos ou d’alimentation végétalienne. Du moment qu’il y a des consommations nouvelles, que les consommations rentrent en compétition, tout cela est très bon.

Même les religions ne présentent pas un obstacle, car il y en a plusieurs, qui se concurrencent, et qui concurrencent la disparition de l’intimité, ce qui renforce d’autant l’esprit de concurrence, de diversification, de choix de consommation possibles. Voilà pourquoi il faut il considérer l’exhibitionnisme, la pornographie, le voyeurisme non pas simplement comme des phénomènes, mais comme des réalités idéologiques, vecteurs d’agression contre la personnalité, visant à la déformer pour la façonner en fonction des besoins du marché.

La retenue dans l’intimité est une valeur qu’il est par conséquent essentiel de protéger, à tout prix, car elle est la base de l’intégrité, psychique et physique, de chaque personne qui ne veut pas se voir réduit au statut d’individu, aliéné, formé par le marché, disponible pour la consommation.

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Société

Madame de Staël : aux sources du féminisme libéral, borné et insuffisant

Anne-Louise-Germaine Necker (1766-1817), connue sous le nom de Madame de Staël, est une grande figure à portée universelle de la littérature de notre pays. Son succès vient de ce que sa vie comme ses œuvres reflètent parfaitement la situation historique de la bourgeoisie en France, à son époque.

Madame de Staël illustre précisément les insuffisances du féminisme bourgeois tel qu’il s’est constitué, et qui reste prévalent dans certains aspects de la culture dite « féministe ».

Le carriérisme, l’individualisme, la promotion du « mérite » et du « talent », tout cela est posé clairement dans ses œuvres, bornant historiquement le mouvement d’émancipation des femmes. La bourgeoisie a incontestablement réussi à porter et promouvoir ce féminisme, mais jusqu’à un certain point.

Madame de Staël est un auteur entre deux mondes, deux époques pour mieux dire. La première est celle de l’élan des Lumières, à laquelle elle se rattache directement. Elle ne cessa toute sa vie durant de promouvoir les idées d’émancipation libérale portées par la Révolution de 1789. De celle-ci, elle tenta à la fin de sa vie de synthétiser d’ailleurs son analyse, dans un ouvrage, Considérations sur la Révolution, resté inachevé. Dans ce livre et dans ses œuvres précédentes, elle formule son attachement à une République modérée, rejetant la tyrannie de la Terreur et de la dictature de Bonaparte, tout comme les tentations réactionnaires.

A ce titre, elle est comme la dernière auteur des Lumières. Elle manifeste ce qui est désormais un regret : la « dérive » de la Révolution vers la tyrannie et vers l’exil. Mais aussi l’incapacité d’avoir pu trouver un moyen terme entre sa culture aristocratique et les exigences nouvelles de la bourgeoisie, dont le dynamisme implacable et les valeurs alors émancipatrices et incontournables la fascinent. Madame de Staël, sans vouloir le retour de l’Ancien Régime, regrette néanmoins la brutalité et la radicalité de sa disparition en cours, dont elle a été un témoin particulièrement attentif.

Elle est aussi un auteur d’avant-garde, annonçant dans le domaine des Lettres le nouvel élan qui s’ouvre après l’effondrement de l’Empire napoléonien. On lui doit notamment la généralisation du terme « littérature » en remplacement de celui de « Belles Lettres » et surtout l’introduction en France du terme « romantisme » avec tout un programme culturel de grande envergure.

Il s’agissait alors de définir un nouveau style à la mesure des « leçons » de la Révolution pour faire face aux exigences de la nouvelle période, retrouver et affirmer l’esprit révolutionnaire et ses espoirs pour forger un monde à la mesure de ceux-ci. Mais cette fois cela devait se faire sans l’enthousiasme, sans l’élan populaire qui avait accompagné la grande révolution bourgeoise, considéré par Madame de Staël comme la source de ses échecs et, pire encore, de ses « excès ».

Une émancipation, mais sans portée démocratique donc. La liberté, mais mesurée, limitée, bornée. La base contemporaine du libéralisme était ici déjà assumée.

> Lire aussi : Simone Veil au Panthéon : une figure de la Droite

La liberté, l’émancipation, pour Madame de Staël, c’est donc clairement et avant tout une affaire individuelle. La personne humaine est ramenée au statut de l’individu et de son existence. C’est par cette démarche qu’elle est amenée à s’intéresser aux femmes, mais sous le rapport de leur exceptionnalité, de leur singularité, c’est-à-dire de leurs « talents », et même plus précisément de leurs « talents » intellectuels. En l’occurrence, il s’agit donc de présenter la question féminine depuis son propre point de vue.

« Dès qu’une femme est signalée comme une personne distinguée, le public en général est prévenu contre elle. Le vulgaire en juge jamais que d’après certaines règles communes, auxquelles on peut se tenir sans s’aventurer. Tout ce qui ressort de ce cours habituel déplaît d’abord à ceux qui considèrent la routine de la vie comme la sauvegarde de la médiocrité. Un homme supérieur déjà les effarouche ; mais un femme supérieure, s’éloignant encore plus du chemin frayé, doit étonner, et par conséquent importuner davantage. Néanmoins, un homme distingué ayant presque toujours une carrière importante à parcourir, ses talents peuvent devenir utiles aux intérêts de ceux même qui attachent le moins de prix aux charmes de la pensée. L’homme de génie peut devenir un homme puissant, et, sous ce rapport, les envieux et les sots le ménagent ; mais une femme spirituelle n’est appelée à leur offrir que ce qui les intéresse le moins, des idées nouvelles ou des sentiments élevés : sa célébrité n’est qu’un bruit fatiguant pour eux.

De la littérature, II, 4. »

Ce passage, d’une de ses principales œuvres, date de 1800. Les féministes  libérales de 2018, du type de celles que promeut Laurence Parisot avec l’association Jamais Sans Elles, pourraient presque le reprendre à leur compte sans en retrancher une ligne.

Ce serait toutefois un anachronisme injuste de faire de Madame Staël un genre d’auteur post-moderne avant l’heure. Et la récupération qu’en fait quelqu’un comme Laurence Parisot qui n’hésite pas à la citer dans ses tweets, est une chose abusive, forcée par rapport au libéralisme décadent d’aujourd’hui. Déjà parce qu’elle n’affirme pas l’individu au point de nier la société. Malgré sa morgue aristocratique à l’égard du « vulgaire », elle cherche encore à affirmer l’individu comme relevant du bien commun, dont il faut défendre la dignité face aux méfaits de l’ignorance et des injustices. Quelques lignes avant ce passage, elle oppose à l’oppression patriarcale que subissent les femmes de son époque un temps où l’émancipation générale l’emportera :

« Il arrivera, je le crois, une époque quelconque, où des législateurs philosophes donneront une attention sérieuse à l’éducation que les femmes doivent recevoir, aux lois civiles qui les protègent, aux devoirs qu’il faut leur imposer, au bonheur qui peut leur être garanti ; mais dans l’état actuel, elles ne sont pour la plupart, ni dans l’ordre de la nature, ni dans l’ordre de la société. Ce qui réussit aux unes perd les autres.

De la littérature, II, 4. »

Ensuite, comme on le voit aussi dans cet extrait, l’œuvre de Madame de Staël porte encore un horizon, à défaut d’une perspective progressiste. Plus encore, elle saisit les limites de l’émancipation féminine sur une base libérale et individuelle qui ne peut amener une émancipation collective. Simplement, l’époque trouble alors la couche intellectuelle de la bourgeoisie à laquelle elle se rattache et la réalité se heurte à ses propres contradictions. La littérature, comme espace d’expression, permet justement de poursuivre un élan, de déterminer un horizon, au moins sur la forme, mais traduisant néanmoins ce trouble.

Madame de Staël porte donc toutes les contradictions de son époque, et celle de sa classe. Elle illustre l’inévitable reflux de la révolution bourgeoise, ses insuffisances, son repli grandissant sur l’individu et ses aspirations, exprimant encore alors sa dignité, son combat contre les forces de la réaction encore tenaces, et aussi peut-être face à ce nouveau monde qui ne s’annonce pas si libre, pas si lumineux, pas avant un lointain futur abstrait et indéterminé. Elle affirmera ensuite en 1807 dans Corinne ou l’Italie sa perception de l’émancipation féminine (et non féministe) individuelle, mais pleine de contradictions, concernant les femmes, c’est-à-dire les femmes de son milieu. L’horizon culturel et collectif recule lui aussi dans l’abstraction avec De l’Allemagne, essai paru en 1810 dans lequel Madame de Staël propose d’affirmer le romantisme comme nouvelle esthétique pouvant souder les aspirations populaires à l’élan intellectuel de la bourgeoisie, sous la forme d’une mythologie constituant un esprit national, face au classicisme forcé défendu alors par le régime bonapartiste.

Madame de Staël annonce donc déjà en quelque sorte le ratatinement de la bourgeoisie, mais à un moment où celle-ci est encore en mesure de maintenir son élan, au prix d’un recul dans l’abstraction et le repli individuel de plus en plus net. Sa lecture doit nous permettre aujourd’hui d’éclairer ce que fut l’élan émancipateur de la bourgeoisie, notamment ici concernant le féminisme.

L’esprit individuel, le carriérisme, l’affirmation de son « mérite » comme femme entreprenante même au prix de l’aliénation des autres, renvoyées finalement dans une sorte de « patriarcat » abstrait qui serait l’esprit jaloux et médiocre du « vulgaire » contre la distinction de soi et de ses « talents » .

Tout cela est posé dans les œuvres de Madame de Staël et le féminisme bourgeois n’a fait depuis que poursuivre cette voie jusqu’à la décadence et l’effondrement toujours plus profond de toutes les valeurs collectives. Le fait même que Madame de Staël ne porte à proprement parler aucune revendication politique, mais se borne à ce que l’on appellerait aujourd’hui  ses « expériences » et son « parcours individuel » face aux « oppressions » , illustre la dimension bornée et insuffisante de sa proposition.

Cela doit appuyer en regard la nécessité aujourd’hui de dépasser ces insuffisances, d’affirmer un féminisme populaire, authentiquement démocratique, visant à l’émancipation de toutes les femmes et ciblant concrètement, matériellement, le patriarcat.

Il revient à la Gauche de notre époque de produire une culture authentiquement féministe, conforme aux exigences actuelles et dépassant le niveau et la base de celui de Madame de Staël.

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Société

Légalisation du MMA : non !

Le côté positif de le la présidence d’Emmanuel Macron est que le libéralisme est de plus en plus franc et assumé. Le libéralisme serait devenu le véritable progrès et compte bien ajuster la société à ses besoins : après la question de la libéralisation du cannabis, voici celle du MMA (Mixed Martial Arts).

mma ufcLe MMA est un sport de combat qui se veut complet puisqu’il comporte des frappes, des projections au sol, des étranglements, etc. En clair : très peu de règles, et beaucoup de coups sont permis. Notamment frapper un adversaire au sol. A cela s’ajoute le peu de protections…

Aujourd’hui les compétitions sont interdites en France, mais de plus en plus de clubs proposent des entraînements. Et le nombre de pratiquant et de combattants augment de même. Les combattants français se retrouvent dans cette position étrange où ils peuvent s’entraîner dans leurs clubs, en France, mais sont obligés d’aller à l’étranger pour participer à des rencontres amateurs ou professionnelles.

La pression est donc de plus en plus forte pour légaliser cette pratique. Surtout que certaines français se sont faits ou se font un nom dans la discipline. Comme Cyrille Diabaté, ancien champion de boxe thaï et de kick boxing, qui participera assez tardivement (à plus de 35 ans) à des combats de l’UFC (Ultimate Fighting Championship, plus importe ligue mondiale de MMA). Ou encore le lensois Tom Duquesnoy qui a commencé à combattre à l’UFC en 2017 à tout juste 23 ans.

Mais les choses pourraient bien changer si l’on en croit les acteurs français de la discipline : un rapport serait prévu pour septembre ou octobre afin de structurer, et donc légaliser petit à petit le MMA en France. Surtout que l’actuelle ministre des sports, Laura Flessel, défend la pratique…

« Il y a plus en plus de pratiquants, il faut encadrer pour le bien de tous »

De même que le cannabis devrait être légalisé pour le bien des consommateurs, le MMA devrait l’être aussi afin de garantir des entraîneurs compétents et de garantir l’intégrité physique des combattants lors de rencontres.

MMA combattant au solAu lieu de dire « on n’arrête cette fuite en avant » et de recadrer toutes les disciplines, quitte à en interdire, nous devrions accepter de voir le principe même de civilisation reculer petit à petit. Le libéralisme voudrait tout faire accepter : s’il y a une demande, il faut une offre en conséquence. Pourquoi se priver d’un nouveau marché ?

On nous parlera de responsabilité individuelle, d’information, de choix, etc. Mais de tels arguments n’ont rien de social-démocrates, ils n’ont rien à voir avec le mouvement ouvrier. Il y a des principes et une morale à appliquer dans tous les aspects de la vie, et le sport doit en faire partie intégrante.

Une discipline pas si violente que ça ?

mma ufcUn des principaux arguments anti-MMA est sa violence : combat dans une cage, coups au sol autorisés, peu de protections… En réponse, les pro-MMA répondent que les diversité des techniques autorisées et la plus courte durée des combats font que le MMA est moins violent et risqué qu’un combat professionnel de boxe anglaise. Partant de là, si la boxe anglaise est autorisée pourquoi pas le MMA ?

Parce qu’en 2018, une discipline qui autorise des frappes au sol et des étranglements est une discipline barbare, point. Parce que la recherche du sensationnel, du KO, de la vitesse et de l’esprit de guerrier qui ont pris place dans d’autres disciplines ne doit pas être une prétexte pour continuer à s’enfoncer toujours plus dans le glauque !

N’importe quelle personne un minimum progressiste et qui n’a pas été broyée par la culture dominante ne peut qu’être horrifiée à l’idée d’envoyer des personnes s’affronter de la sorte dans une cage fermée. Nous ne pouvons accepter une sorte de combat de gladiateurs des temps modernes.

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