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Culture

Décès de Virgil Abloh, fondateur d’Off-White

Il fut emblématique du streetwear intégrant le luxe en version art contemporain.

Le décès de l’Américain Virgil Abloh d’un cancer à 41 ans a ceci de marquant qu’il fut une figure emblématique de l’expansion capitaliste dans la mode. Le développement des forces productives a rendu accessible la production de mode à des franges bien plus larges à partir des années 1990, ce qui a amené un foisonnement d’initiatives plus ou moins réussies, plus ou moins douteuses.

Virgil Abloh forme le pic commercial de cette vague, avec sa marque incontournable Off-White mêlant le streetwear et le luxe, fondée en 2013 comme aboutissement de plus d’une décennie à jouer les rôles de conseiller en création en chef pour le rappeur Kanye West.

En clair il faut être prêt à mettre plus de 400 euros dans un pull, voire 25 000 euros pour des chaussures d’une collaboration Nike et Off-White. Louis Vuitton (ou plus précisément LVMH) y a vu son intérêt en achetant la majorité des parts de la marque et en faisant de Virgil Abloh à la fois un styliste et un directeur artistique pour homme.

Ce qui relève ici d’une forme d’art contemporain, car Virgil Abloh ne connaît rien à la mode, il a une formation dans le génie civil et dans l’architecture : c’est le prototype du « designer » surfant sur l’air du temps, la mode dans tout ce qu’elle a d’ultra-consommateur chez les couches les plus aisées de la société.

Comme dans l’art contemporain on a d’ailleurs une régularité sans faille dans les collages, les reprises, les concepts (comme marquer « pour marcher » sur des chaussures), des collaborations (Nike, Levi’s, Jimmy Choo, IKEA, Browns, Warby Parker, SSENSE, Sunglass Hut, Dr Martens, Champion, Converse, Umbro, Takashi Murakami, Heron Preston, ASAP Rocky, Byredo, Boys Noize, Le Bon Marché, Rimowa, Timberland, le musée du Louvre, le groupe les Guns N’Roses, etc.).

C’est le mélange des genres, sur un mode baroque, qu’affectionne le capitalisme ou plus exactement le turbocapitalisme. On ne peut d’ailleurs pas être un bourgeois branché et cosmopolite sans affectionner Off-White.

Virgil Abloh avait ainsi cinq millions d’abonnés sur Instagram, de par son statut d’icone de la mode et par sa mode que, justement, n’importe qui pourrait faire. C’est l’art contemporain appliqué à la mode, mais avec des marchandises « concepts » restant tout de même des vêtements qu’on peut porter.

Virgil Abloh a d’ailleurs un discours très rôdé. Il se revendique de Marcel Duchamp (avec les « ready-made » comme l’urinoir), considère qu’une oeuvre modifiée à 3% est nouvelle. Il a même eu droit à une rétrospective au musée d’Art contemporain de Chicago en 2018.

Virgil Abloh ne fut ainsi qu’un entrepreneur réussissant, par le biais du streetwear et d’un capitalisme en expansion, à toucher des adolescents et des jeunes ayant un énorme budget, chose n’existant auparavant pas. Il a accompagné la naissance d’un nouveau marché et le capitalisme a reconnu sa capacité à œuvrer au turbocapitalisme pour permettre l’expansion.

Virgil Abloh pensait récemment que le streetwear en mode luxe s’estomperait face à la mode du vintage. Il est bien entendu ensuite revenu sur ses propos afin de maintenir la crédibilité de sa propre marque.

Néanmoins, cela reflète bien le fond de sa démarche, qui n’est clairement pas celle d’un styliste, mais celle d’un consommateur ayant pris une position de « créateur », exactement comme dans l’art contemporain. D’où le côté expérimental incessant dans la production d’Off-White, les tentatives ininterrompues de déroger aux formes traditionnelles, d’ajouter des choses ou de les modifier, pour qu’il y ait en quelque sorte ces « 3% » de choses différentes amenant soit disant quelque chose de nouveau.

C’est le summum de ce que le capitalisme, en version turbo, peut proposer dans l’habillement.

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Culture

L’inacceptable créativité du streetwear de RIPNDIP

Le streetwear de RIPNDIP est créatif, la mise en avant d’un chat blanc est ultra-créative, mais le choix du décadent est inacceptable.

La marque RIPNDIP est l’exemple même de comment la richesse matérielle permet de réaliser plein de choses, d’exprimer sa créativité, mais comment en même temps il dévie vers le superficiel. C’est une sorte de règle : des gens intelligents et créatifs disposent subitement de moyens, ils font des choses très bien, comme la série Disney The Mandalorian, puis cela tourne à la catastrophe parce qu’il faut obéir par opportunisme au mauvais goût, au culte superficiel de l’apparence remarquable et remarquée.

RIPDNIP est ici un immense gâchis. La marque été mise en place en Floride en 2009, par un skateur évidemment, Ryan O’Connor. Il a fabriqué des t-shirts sérigraphiés dans le garage de sa mère pour aller les vendre lui-même. Le nom choisi correspond à une expression voulant dire faire du skate dans un endroit où il y a la police et des vigiles, puis s’enfuir rapidement avant de se faire attraper. Mais le cœur de la marque, c’est en réalité un chat blanc, dénomme « Lord Nermal » et prétexte à une série de variations de thèmes.

Si l’on omet la vulgarité du chat dans la pose insultante, qui se veut une blague sur les habits puisqu’on ne le voit faire le geste qu’en abaissant une partie de ceux-ci, il y a une véritable créativité oscillant entre le mignon et le délirant, faisant qu’on peut y retrouver son compte, surtout que la marque est chère, mais relativement accessible.

Le côté délirant, et c’est ça qui est marquant, procède régulièrement d’une sorte de récupération / détournement de figures pop, au profit de Lord Nermal. Un nombre incalculables de choses y passe, pour le pire et le meilleur.

Le problème, c’est que la tendance au délirant a tendance à l’emporter pour de plus en plus un grand n’importe quoi, dont à la limite on peut s’écarter, du moins le pense-t-on…

Car, business et décadence oblige, RIPNDIP cumule l’apologie du cannabis et des drogues psychédéliques, les poses sexistes prenant comme prétexte qu’à l’intérieur de Lord Nermal il y aurait un extra-terrestre aux commandes. Il y a même parfois une étiquette disant que si l’habit est vraiment trop sale, il faut le confier à sa mère ou sa petite amie et aller faire du skate! Inacceptable !

On l’aura compris, fini les skateparks, même si c’est la référence à l’arrière-plan, on est passé dans la même approche que la marque Supreme : on produit tout et n’importe quoi, du beau au laid, du vulgaire au chic, du très léché au total à l’arrache, du rideau de douche au sac à dos au réveil-matin, etc.

Bref, c’est raté pour un avoir un chat blanc sur ses habits, car RIPNDIP promeut trop quelque chose de finalement malsain, visant le public aliéné cherchant à un streetwear pour se faire remarquer, dans une optique égocentrique anti-culturelle. C’est exemplaire d’un gâchis à la fois opportuniste, simpliste, sexiste, anti-vegan, alors que le potentiel était énorme de faire de Lord Nermal quelque chose de formidablement sympathique, éclairant plein d’aspects de la vie quotidienne de manière décalée et positive.

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Société Vie quotidienne

Ragwear, un streetwear vegan normal et donc classe

La marque allemande Ragwear est à la fois ouverte et exigeante ; elle réussit à ouvrir un chemin pour le moins incontournable.

Ragwear est une marque allemande qui est assez proche de l’esprit d’iriedaily, mais sans la prétention alternative, ce qui amène paradoxalement un style beaucoup plus grand public et accessible, avec un esprit même peut-être plus authentique, parce que plus simple, plus neutre, sans agressivité.

Fondée en 1997 sur une base streetwear liée à la culture skate, la marque s’est aperçue des conditions terribles qu’implique la production de denim en Afrique en termes de conditions de travail et de pollution de l’eau. Elle a alors tout changé et en 2007 elle est devenue une marque strictement vegan accordant une place essentielle au refus de polluer.

Comme chez Iriedaily, on a pareillement sur Facebook les photos des travailleurs chinois produisant les habits ainsi que des lieux de travail, des employés, mais chez Ragwear on a également régulièrement des photos d’animaux, avec également des appels aux dons, la marque parrainant également une vache arrivée dans un refuge spécialisé pour vaches, etc. On est davantage dans une modernité vegan que dans un style branché urbain comme fin en soi.

Cela implique bien entendu un style moins tranché, moins cassant sur le plan graphique, mais de ce fait quelque chose de moins masculin urbain. La touche féminine est marquée et il est intéressant de savoir que les designers se trouvent à Prague, ce qui joue certainement sur le côté neutre et fleuri.

Cela interpellera forcément, parce qu’on sort clairement de la course au bizarre ou au grotesque qui est le pendant de la compétition au sein du streetwear, puisque le principe sous-jacent est de se faire remarquer en ville. C’est toute la difficulté de la question du style alors que le capitalisme corrompt les designers et les gens en général, imposant une fuit effrénée dans le remarquable. Ragwear se sort de cette problématique par un côté clairement tourné vers les gens normaux et par un souci fondamental : celui d’être sympathique et du bon côté.

Ragwear produit des t-shirts manches longues et courtes, des chemises, des sweatshirts, des blousons, des robes, des hauts et des pantalons ; on notera que son site dispose d’une version en français, ce qui est valable pour les sympathiques articles du magazine.

La marque mérite clairement d’être connue en France et il est évident qu’elle le sera, parce qu’elle propose ce qui est tout à fait dans l’air du temps. L’exigence posée par Ragwear correspond à quelque chose de tout à fait populaire : simple et vegan, urbain mais sans pousser à une distinction artificielle. Ce qui est classe, somme toute.

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Culture

La nouvelle esthétique Puma, colorée et posée

Puma et Adidas ont été fondés par deux frères et historiquement Puma a toujours été dans l’ombre d’Adidas, en étant considéré comme assez intéressant, mais manquant de mise en perspective, alors qu’Adidas a su se forger une identité et vraiment décliner ses produits. Le fait que les deux frères se soient brouillés et que Puma soit à la remorque a donné à cette dernière une image de « looser », amenant son déclin complet dans les années 1990, alors que s’affirmaient Nike et Reebok.

La marque chercha alors à s’en sortir dans les 2000 en se tournant vers une approche lifestyle en tentant de se diriger vers le luxe, avec d’ailleurs Pinault-Printemps-Redoute qui racheta la marque en 2007. Ce fut pareillement un échec. Il y eut alors une nouvelle réorientation, cette fois réussi, en s’appuyant sur le sport pour l’étirer jusqu’au lifestyle. C’était là ni plus ni moins que puiser dans l’approche populaire et Puma a alors mené une véritable révolution et trouvé son propre style.

Cela se veut populaire, mais en même temps extrêmement stylé, à l’image de la vidéo réalisée pour le club (populaire historiquement) de Manchester City. Là où l’extraordinaire vidéo Nike x Liverpool s’assume dans la fraîcheur populaire et l’immédiateté liverpudlienne, la vidéo propose une démarche propre et conquérante avec une prétention toute mancunienne.

Puma, c’est froid mais stylé, coloré mais posé, dynamique mais calé, populaire mais sophistiqué, pratique mais esthétisé. Il y a ici une tentative de suivre une exigence populaire dans le streetwear qui est extrêmement poussée.

Il y a chez Puma un mélange de côté décontracté et en même temps assez strict, mêlé à d’énormes influences années 1970. Impossible de ne pas faire le parallèle avec l’évolution de Lacoste, sauf que Puma peut y parvenir sans sombrer dans le baroque, car c’est sa tradition.

Ce qui est ici très intéressant, c’est que Puma va directement dans la voie de la socialisation. Puma, ce n’est pas une marque de sport, ni même de streetwear stylé. C’est une esthétique, exactement comme dans le Socialisme il y aura de multiples esthétiques proposés qu’on pourra trouver pour s’épanouir. Puma, c’est déjà des robes, des maillots de bains, des soutiens-gorges, des sous-vêtements, des leggings, des chaussettes, des polos, des sacs à dos, des lunettes de soleil, des casquettes, des montres, des pantalons, des gants, des bonnets, etc. etc.

En soi, toutes les grandes marques le font, mais Puma y parvient particulièrement, avec réellement sa patte. En ce sens, la marque s’est révolutionnée et elle n’y est parvenue qu’en allant dans le sens de la socialisation. On nationalise et c’est bon !

Il va de soi que le style Puma n’est pas français. Il y a un côté chargé, pour ne pas dire bigarré, avec des couleurs orientées pastel ou fluo (très années 1970-1980) qui ne correspondent pas à l’esprit français dans la mode. Cela n’est pas une critique bien entendu, mais il va de soi qu’on a un certain mélange allemand voire scandinave de classe avec un surplus de motifs géométriques ou colorés, un peu comme pour Irie Daily même si la marque est elle vraiment berlinoise dans son style.

Là est d’ailleurs la grande difficulté de porter du Puma, il y a un savant équilibre entre le strict et l’esthétisé, ce qui fait que cela peut plaire, mais qu’on se dit : je ne pourrais pas le porter. Et ce qui est valable pour tel habit Puma n’est pas valable pour tel autre. En tout cas, il faut souligner qu’au niveau des prix c’est tout à fait accessible et d’autant plus lors des promotions. On est dans une production de masse et c’est là aussi qu’on voit tout un changement d’époque. Quelle qualité accessible ! Il n’y a qu’à pousser et le monde est nôtre, avec une esthétique populaire de masse et de haut niveau !

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Société Vie quotidienne

Iriedaily, le style berlinois

Une employée d’Iriedaily qui sert de prétexte à montrer une des productions de la marque, avec à l’arrière-plan une voiture de police qui brûle lors de la manifestation de 10 000 personnes contre l’inauguration de la Banque Centrale Européenne à Francfort en 2015 et une photo montrant un rassemblement « autonome anti-impérialiste » en Allemagne dans les années 1980… On l’aura compris, Iriedaily est une marque allemande, mieux encore de Berlin, mieux encore de Kreuzberg.

Inconnu (pour l’instant) en France, Iriedaily a pourtant déjà atteint un certain niveau dans le streetwear, puisqu’elle est distribuée dans une quinzaine de pays, à travers 400 magasins.

Le style est très berlinois, avec un esprit club chatoyant associé à une vraie dimension pratique, une approche rentre-dedans mais recherchée, ce qui fait qu’on est assez loin du côté carré – cadré français, même si on reconnaîtra pourtant une certaine patte française du début des années 1980 avec le côté coloré, géométrique, street art.

Iriedaily est née sur le tas, en 1994, d’un petit groupe pratiquant la sérigraphie (par exemple pour la tournée allemande de Bad religion) et d’un Français, Jaybo aka Monk, qui a vécu la vie de la bohème artistique le menant à s’installer à Berlin en 1986 et qui est devenu le chef designer d’Iriedaily.

On devine l’arrière-plan alternatif et d’ailleurs Iriedaily a son origine dans le quartier de Kreuzberg, le bastion des autonomes allemands durant toutes les années 1980. « Irie » signifie d’ailleurs plaisant en anglais jamaïcain, « daily » voulant dire quotidien, journalier, et « iriedaily ! » est une salutation amicale rasta.

L’entreprise – car c’en est une – n’hésite pas à donner la liste de ses fournisseurs en Chine et au Portugal, ainsi qu’à présenter les photos des ouvriers dans les lieux où sont produits ses marchandises pour montrer qu’elle ne cache rien et qu’elle est à la pointe du « fair wear ». Elle produit des t-shirts antinazis dont les fonds vont à des associations, elle insiste sur le sens des responsabilités sociales, il y a une affirmation de la nécessité de faire du durable, pratiquement tous ses produits sont vegans, etc.

Le style, par son approche berlinoise, est très différent de la démarche française et il y a lieu de se demander dans quelle mesure une certaine dimension féministe ne joue pas, si la différence ne tient pas tant, au fond, au style profondément différent entre la berlinoise et la parisienne.

Iriedaily est une marque qui vaut le coup d’être connu, surtout tant qu’il y a encore le fond alternatif et que le côté bobo ne l’a pas emporté, même s’il est déjà présent évidemment puisque l’entreprise est somme toute un refuge pour vivre de manière pas trop affreuse dans un capitalisme insupportable.

Il est tout à fait plaisant d’avoir une marque permettant des vêtements s’appuyant sur des matières durables, vegans, par une marque fournissant un salaire parmi les moins pires possibles aux ouvriers. C’est déjà ça, même si on ne peut pas s’y arrêter.

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Culture

Liverpool FC x Nike: «Tell us never»

Le peuple dit qu’il peut tout changer, car lui seul est en mesure de le faire. La vidéo de Nike pour/avec le club de football de Liverpool reflète un changement d’époque : le peuple s’impose, partout.

Il y avait le « yes we can » de Barack Obama, qui était un idéalisme américain tout à fait caricatural. Le « Tell us never » de Nike dans sa collaboration avec le club de football de Liverpool est bien différent. On y voit en effet, en quelque sorte, la classe ouvrière dire qu’elle a un mode de vie qui lui est propre et qu’elle est capable d’apporter un débordement, un saut en qualité.

Dis : « jamais » [cela ne pourra être fait] et la réponse est : « C’est déjà fait ».
(tell us « never », it’s already done.)

https://www.youtube.com/watch?v=c4AimVVtoBQ

C’est là le reflet de la collision entre un capitalisme toujours plus de masse et la culture de masse. Le peuple s’impose à travers les interstices d’une consommation se voulant aliénante, mais obligée de coller à la réalité populaire. La contradiction est explosive et on lit déjà l’avenir, avec un peuple coloré dans son style et stylé dans ses couleurs.

De fait, il n’y a qu’à socialiser Nike et on a déjà une base solide. Le capitalisme touche vraiment à sa fin, il est déjà hors-jeu.

Il suffit d’ailleurs de comparer cette vidéo de très haut niveau à la campagne d’affiches délirante, d’une esthétique très fasciste, que Nike avait réalisé en 1998 lors de la coupe du monde de football en France, avec sa « république populaire du football ». La Mairie de Paris avait d’ailleurs interdit ces affiches faisant la promotion du Nike Park établi sur le Parvis de la Défense (Adidas étant également le sponsor de la coupe du monde, cela a dû joué).

Il est évident, cependant, qu’une telle vidéo s’appuie sur la particularité du club de Liverpool, qui assume directement sa dimension populaire. Paradoxalement, ce n’est pas forcément le cas de clubs éminemment populaires comme le Racing Club de Lens, par exemple, et ce même pour les organisations de supporters, qui ne jouent pas au sens strict de manière ouverte sur cette dimension.

On a une démarche localiste de soutien, mais cela ne s’élève pas à une dimension populaire, ouvrière, alors que dans le fond c’est pourtant évident. On a là un refus de faire de la politique, en quelque sorte, même indirectement. Il y a bien entendu l’erreur inverse, avec d’autres clubs se voulant de gauche de manière assumée, de manière forcée et donc folklorique (l’AS Livorno en Italie, Hapoel Tel Aviv, Sankt-Pauli à Hambourg, etc.).

Rares sont les clubs se revendiquant de la classe ouvrière en tant que telle, en se fondant sur une réelle tradition. Cela se lit dans les détails ; sur le site de Schalke 04, par exemple, au lieu de « bonjour », on a l’expression des mineurs : « Glück auf ! » (soit « à la chance »). On a également le symbole des mineurs sur les annonces des prochaines rencontres.

Et de manière encore plus intelligente, sur le logo de son magasin en ligne, le caddie est remplacé… par une berline de mine. Subtile, fin, populaire !

Le sweat shirt « Love your hood » (soit en anglais « aime là d’où tu viens ») est pareillement une affirmation de l’identité ouvrière (et en promo ici à trente euros).

Le club de l’Union de Berlin s’assume pareillement ouvrier (Nous de l’Est nous allons toujours de l’avant / Épaule contre épaule pour l’Union de fer / Durs sont les temps et dure est l’équipe / Aussi gagnons avec l’Union de fer (…) Qui ne se laisse pas acheter par l’Ouest ? / Union de fer, Union de fer). Mais c’est surtout le Rapid de Vienne qui se pose dans cette perspective avec le plus de netteté, avec une définition officielle comme un « club ouvrier », le club appartenant indirectement au Parti socialiste avec même un contrôle de l’identité du club par les ultras.

On voit ici évidemment comment la Gauche historique est capable d’insuffler des véritables valeurs, parce qu’elle se situe dans un prolongement. La démarche de Liverpool FC repose ainsi clairement sur les fondements de la Gauche historique, en l’occurrence du Labour Party britannique en général et de son identité locale en particulier. Cela a ses limites, mais c’est vrai, c’est authentique et c’est donc cent fois plus radical que les revendications folkloriques « de gauche », qui sont décalées de tout contenu populaire et ne satisfont que des petits-bourgeois en mal d’aventure identitaire.

Le peuple n’aime pas parader, il aime la vérité, il manifeste.

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Burberry, un bon exemple de la tendance aux masses

Marque aristocratique bornée, Burberry’s est devenue Burberry, une marque se plaçant sur le marché mondial du vêtement de luxe ou quasi, et est un bon exemple de mondialisation qui tombera dans les mains des masses.

Burberry est l’exemple même d’un changement radical d’époque, et c’est bon signe. À l’origine, c’est une marque entièrement tournée vers les couches sociales supérieures anglaises, dénommée Burberry’s. Mais le capitalisme s’est « mondialisé » et à partir de 2002 avec son entrée en Bourse, l’entreprise traditionnelle s’est transformée en marque à visée mondiale. Cela va dans le bon sens : il n’y aura plus qu’à nationaliser pour mettre au service des masses.

En attendant, c’est totalement inaccessible car les prix se veulent « luxe » (disons que c’est juste en-dessous le vrai luxe, mais extrêmement cher). Et pourtant vue l’approche, on voit déjà que les masses s’approprieront inévitablement la marque, qu’elle ne peut continuer dans sa lancée qu’en devenant au service des masses.

Il est évident que la bourgeoisie traditionnelle s’efface, disparaît, se liquide elle-même dans le capitalisme ayant atteint un niveau incroyable. Cela produit bien entendu des réactionnaires regrettant le passé et des LGBT fascinés par le turbocapitalisme, mais surtout des possibilités énormes pour une société qui, tournée vers le Socialisme, aurait des moyens énormes de satisfaire les exigences culturelles populaires.

Ce qui est frappant avec Burberry, c’est comment le style anglais apporte une puissante contribution avec son côté chic légèrement dégradé par des symboles cependant parfaitement harmonieux. C’est en fait la direction que Lacoste a tendance à prendre et qu’il faudrait que cette marque ne prenne en fait surtout pas, car ce n’est pas du tout dans sa matrice. Quand Lacoste essaie de faire de l’anglais, cela rate totalement, alors que la même chose fait par Burberry cela aurait fonctionné.

En même temps on ne peut pas s’étonner que des producteurs d’habits, dans un cadre capitaliste, échappent à un esprit de perdition, de décadence, de désorientation générale. Avec le fameux coup de piocher, comme ici pour Lacoste avec de « l’inspiration » chez Fila et Gosha Rubshinskiy. Cela fait totalement tâche au milieu du minimalisme efficace du reste, mais bon ce qui compte c’est l’expansion à coups de n’importe quoi.

On ne peut que rêver, pour l’instant, de ce que donneront Burberry et Lacoste quand ces marques seront socialisées. En tout cas elles le seront, car les masses veulent le style qui exprime le rapport à la vie réelle, concrète : life deluxe for all.

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La mode techwear et d’inspiration militaire

Un militaire doit pouvoir se mouvoir de manière aisée et la streetwear profite de plus en plus de cette approche pour aboutir à des vêtements forcément très sombres car cherchant avant tout à se focaliser sur la silhouette.

La récupération, au sens le plus large possible, de la « silhouette » militaire accompagne bien entendu le principe toujours plus marquant comme quoi les habits doivent être adaptés à sa morphologie. Avec l’énorme choix disponible désormais, impossible d’être habillé comme un sac à patates, ou alors c’est un choix, un no-look qui peut avoir sa validité.

Il va de soi également qu’il faut procéder à des contournements et il y a ici une contradiction explosive. Car les pantalons de Stone Island ont du style, mais à 300 euros, ce n’est juste pas possible. Et pourtant… Dans les faits, rien qu’avec cette question de l’accès aux habits stylés il devrait déjà y avoir une rébellion de la jeunesse prônant le socialisme !

Stone Island reprend d’ailleurs, comme d’autres marques ayant compris le principe comme Fila bien sûr, le principe du backpack. Un sac à dos c’est trop gros, un backpack souple et moins gros comme il en existe chez les militaires, c’est par contre tout à fait convainquant.

Il est bien entendu inévitable ici de parler de GR-Uniforma, un projet parallèle du Russe Gosha Rubchinskiy, qui va avec un groupe de musique.

https://soundcloud.com/user-636996411/hardcore

Le travail réalisé avec Diesel est très réussi car il ne donne pas un ton trop « militaro », ce qui est tout de même le gros travers possible de cette approche (et qui donne les habits de type warcore).

Tout cela est entièrement inaccessible de par les prix. Pourtant on ne fera pas croire que cette belle veste d’Yves Saint-Laurent ne pourrait pas être produit en masse et vendu autre chose que 2000 euros…

L’approche d’Yves Saint-Laurent est en tout cas à rebours de l’approche puisant dans le « militaire » et il faut regarder vers la techwear pour avoir un esprit plus conforme à la démarche. L’idée est simple : l’habit fait le moine, non pas dans une logique esthétique, mais dans une démarche utilitariste (isolement thermique, résistance à l’eau, poches nombreuses, respiration).

C’est ici très subtil car d’un côté c’est totalement stupide et sans âme, et donc très conforme au capitalisme. En même temps, il y a une dimension de raccrochage au réel. On est dans le direct, comme dans les vêtements de type militaire.

La marque Acronym, ultra-élitiste et se voulant confidentielle, réalise des choses très poussées, ce qui est encore une fois une sacrée preuve de la nécessité de socialiser tout cela et de rendre cela accessible. C’est à la limite du cyberpunk, Demobaza ayant franchi entièrement le pas dans un style étrange, décadent comme le capitalisme mais en même temps ample et c’est un aspect que l’Orient a largement travaillé, mais qui manque encore largement en France ou dans les pays occidentaux en général.

Le travail d’Isaora est déjà plus conventionnel.

L’une des marques historiques est C.P. Company, qui en 1988 a produit la première veste dont le prolongement forme une cagoule. Là on a une approche italienne donc forcément quelque chose de très haut niveau, assez dans l’esprit streetwear des paninari milanais des années 1980 (et qu’on retrouve chez le claviériste des Pet Shop Boys).

Ce qui aboutit à deux critiques, l’une allant avec l’autre et disqualifiant l’ensemble de l’approche, tout en soulignant qu’il faut la dépasser et profiter de ses apports. Déjà, il y a un culte du ton monochrome, parfois le kaki mais dans la techwear le noir est littéralement monopoliste. Il y a une dimension très élitiste-réactionnaire dans cette limitation.

Ce qui amène à la seconde critique : les femmes sont ostensiblement exclus de l’approche. Il est clairement montré qu’il n’y a rien pour elle, la dimension patriarcale-urbaine, limite à la Mad Max mais en mode grand bourgeois des centre-villes. C’est clairement décadent.

On peut dire en fait qu’en ce qui concerne ce phénomène, quand cela tend au streetwear c’est l’expression d’une tendance positive, alors que l’exclusivisme en est la dimension négative.

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Nike, un tournant populaire vers le streetwear

C’est un retournement qui reflète une vraie tendance de fond. Nike a abandonné le fait d’être une marque de sport se prolongeant dans le streetwear, pour devenir une marque de streetwear tendant vers le sport.

Les exemples parlent d’eux-mêmes. C’en est totalement fini du raccourci, efficace dans son fond, voulant qu’Adidas puise dans les années 1980 et Nike dans les années 1990, qu’Adidas c’est plus l’esprit hip hop, Nike l’esprit rap, bref que Nike représente un certain minimalisme et une certaine approche un peu pointue, un peu sèche.

Fini d’ailleurs l’idée qu’on peut s’habiller aisément en Nike pour être à l’aise : de par les coupes proposées, mieux vaut avoir fait du sport déjà avant de se procurer ces vêtements censés être de sport. Nike, c’est désormais pour les gens affûtés et branchés. On est passé du monochrome à la couleur.

Les productions pour le Paris Saint-Germain, club qu’on n’est nullement obligé d’apprécier mais qui profite de la culture parisienne, sont une réussite incroyable, avec même une robe. On est là dans une modernisation des habits qui profite de l’élan populaire de la consommation streetwear.

Le maillot de l’équipe de football féminine des Portland Thorns montre bien comment Nike a évolué vers une complexité réelle et les couleurs du coupe-vent et de la brassière de sport témoignent de la culture streetwear assumé.

Même quand Nike décline son approche originelle « unie », on a une coupe particulièrement travaillée, comme ce débardeur de training et ce body d’entraînement de yoga. On voit très bien qu’on a passé ici un cap historique et que Nike s’adresse de manière très approfondie au peuple en général, avec une capacité de ciblages précis (et exigeants vu ce qu’il faut pour pouvoir porter tout ça). Nike est bon pour être nationalisé à l’échelle mondiale et servir la culture populaire.

Quand une entreprise est capable d’atteindre une telle multiplicité dans son approche, c’est qu’elle devenue une sorte de vaste monopole aux immenses ramifications, capable de refléter le peuple. C’est un gâchis terrible que la dimension capitaliste l’emporte et vienne déformer tout cela.