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Présidentielles brésiliennes : le succès ultra-réactionnaire de Jair Bolsonaro

Jair Bolsonaro a été élu avec un large succès à la tête de l’État brésilien. Fanatique anticommuniste, chantre de la religiosité, grand nostalgique de la dictature militaire, anti-écologiste primaire, il est un exemple de plus du grand repli nationaliste et militariste de chaque pays dans le monde.

Jair Bolsonaro a été élu ce dimanche de manière tout à fait nette, avec 55,1% des voix, soit 57,8 millions de votes, contre 44,9% soit 47 millions de voix à Fernando Haddad, qui tentait de maintenir en vie le cycle d’hégémonie du Parti des Travailleurs, qui prônait une Gauche engagée mais n’a dans les faits jamais cherché une quelconque rupture, provoquant un désenchantement profond dans la population.

Et permettant donc à quelqu’un comme Jair Bolsonaro de prendre la tête d’un mouvement de défense de la religion, de la famille et de la propriété privée, avec un véritable engouement en sa faveur. Poignardé lors d’un bain de foule durant la campagne présidentielle, il n’en est devenu que davantage la figure quasi christique du sauveur venant rétablir les valeurs originales, essentielles, d’un Brésil totalement idéalisé.

Ce n’est en effet pas un homme fort plaçant l’armée au centre du jeu qui pourra supprimer une violence sociale endémique à une société déséquilibrée socialement et paralysée économiquement, pourri par les grands propriétaires terriens qui sont d’ailleurs les grands soutiens de Jair Bolsonaro.

Un feu d’artifice a été tiré à Rio pour fêter la victoire de Jair Bolsonaro, alors que le lendemain de celle-ci, le lundi, la bourse de São Paulo connaissait un record, avec l’indice boursier Bovespo gagnant 2,4% dès l’ouverture, l’entreprise pétrolière Petrobras 3,6%, le réal prenant 1,4% face au dollar américain. Jair Bolsonaro est considéré comme l’homme adapté à la nouvelle étape.

Député depuis 28 ans, il aura de fait adhéré en tout à neuf partis différents afin de parvenir à se positionner comme l’homme de la situation, le chef autoritaire d’une énième restructuration du pays. Après la tentative d’une modernisation sociale avec le Parti des Travailleurs de Lula (désormais en prison pour corruption), qui entendait faire du Brésil une grande puissance avec l’appui de la population et à travers l’État, cela sera désormais une stratégie plus traditionnelle, par en haut, sans mobilisation de la base du pays.

Naturellement, Donald Trump s’est réjoui de cette victoire de Jair Bolsonaro et annonce un travail étroit avec lui. Marine Le Pen l’a félicité. Le parti d’Emmanuel Macron, qui est lui modernisateur – libéral, en fait par contre une cible. Une manière de résumer le monde à un affrontement entre libéraux libertaires et nationalistes ultra-réactionnaires.

On voit ainsi encore une fois ce que ne comprennent pas les libéraux. Les médias ont  ainsi largement repris en France les nombreux propos agressifs de Jair Bolsonaro, ses propos odieux sur les femmes notamment, en particulier son « Je ne te violerai pas. Tu ne le mérites même pas »  visant, en décembre 2017, Maria do Rosário, députée du Parti des travailleurs (PT), juste après qu’elle ait rendu hommage aux travaux de la Commission nationale de la vérité sur les crimes commis par la dictature militaire.

Cela est tout à fait inacceptable, mais si Jair Bolsonaro a gagné, c’est surtout parce qu’il a dit qu’un bon bandit est un bandit mort. En cela, il correspond aux attentes d’une population ne pouvant plus vivre dans l’ultra-violence caractérisant le Brésil. Jair Bolsonaro pose le principe d’un Etat de droit, ce qu’une véritable Gauche devrait faire, mais cela signifie accepter le principe de révolution, car seul un nouvel État peut réellement établir l’ordre dans un Brésil corrompu et possédé par les plus riches.

En s’entourant de généraux et en prétendant rétablir un ordre qui en réalité n’a jamais été là, Jair Bolsonaro a mis en place un romantisme capable d’ensorceler une partie majoritaire du pays.

L’avenir du Brésil s’annonce bien sombre et c’est un pays de plus qui tombe dans le giron des partisans du repli nationaliste et du militarisme. Le processus est général et correspond à la mise en place de nouveaux rapports de force, de nouvelles perspectives de guerre, pour le repartage du monde.

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Société

Avec No Society, Christophe Guilluy fait le choix du populisme

Dans son dernier livre No Society, Christophe Guilluy prolonge sa fameuse réflexion sur « la France périphérique » en dénonçant la disparition de la « classe moyenne occidentale ». Si ses constats sont très souvent justes et pertinents, il fait le choix du populisme plutôt que de la Gauche.

Christophe Guilluy est célèbre pour avoir formulé à travers plusieurs ouvrages ce qu’il appelle « la France périphérique », c’est-à-dire le fait que les classes populaires françaises vivent en périphérie des grandes métropoles modernes et dynamiques.

Ce n’est pas une simple description du phénomène périurbain mais une analyse assez précise d’un certain nombre de territoires, aux abords de ces grandes métropoles mais aussi de petites et moyennes villes, ainsi que des zones rurales.

Au fur et à mesure de ses travaux, il a présenté un panorama social-culturel assez fin de la France populaire, avec un discours très critique à l’encontre de la bourgeoisie vivant au cœur de ces grandes métropoles, une quinzaine en France.

Pour autant, sa géographie, qui est en fait plutôt une sociologie de l’espace, avait un style tout à fait universitaire, avec une démarche propre aux milieux universitaires. Il ne se présentait pas avec un programme politique ou une approche idéologique, mais comme simplement un commentateur extérieur se voulant utile, empochant l’argent de ses livres au passage.

Il a pourtant eu originellement une approche de gauche, il s’était adressé à la Gauche à ses débuts. Sauf que ses travaux ne sont pas compatibles avec le post-modernisme et les théories post-industrielles qui ont gangrené la Gauche, au Parti Socialiste puis partout ailleurs.

Il s’est donc retrouvé isolé, pour finalement être apprécié surtout d’une partie des populistes, souvent issus de la Droite, qui voyaient en lui un moyen de s’adresser aux classes populaires.

Il est évident que Marine Le Pen aurait voulu faire de Christophe Guilluy un penseur de son mouvement, et qu’elle a largement profité de sa pensée, bien qu’elle n’a pas pu le faire suffisamment.

On aurait tort pour autant de reprocher cela à Christophe Guilluy alors que, d’une part, il s’est toujours différencié du Front National devenu Rassemblement National et que, d’autre part, c’est la Gauche elle-même qui a refusé de voir les évidences qu’il décrivait.

Cependant, on peut aisément penser qu’il est déjà trop tard pour la Gauche, que Christophe Guilluy lui a échappé pour de bon. Car avec No Society, dont le sous-titre est La fin de la classe moyenne occidentale, il assume maintenant des choix politiques et une orientation idéologique.

Sa pensée n’est pas d’extrême-droite mais correspond à un courant national-républicain assez précis, qui trouve aujourd’hui écho avec une figure comme Natacha Polony et le magazine Marianne qu’elle dirige dorénavant. Le propos de No Society était déjà présenté dans le détail à Natacha Polony lors d’une émission à l’issue des élections présidentielles de 2017, sur la chaîne Paris Première, qui est pour le coup tout à fait bourgeoise et métropolitaine.

Ce courant, à défaut d’être lui-même populiste, est en tous cas largement ouvert au populisme, et sert directement le populisme. Le discours du théoricien de la « France périphérique » à propos des classes moyennes illustre tout à fait cela. Les classes moyennes sont érigées en mythe pour regretter une France d’avant, qui serait un modèle.

« C’est la situation qui prévalait durant les Trente Glorieuses, période où la plupart des strates sociales de la société, de l’ouvrier au cadre supérieur, avaient le sentiment d’être intégrées et de bénéficier des grandes mutations économiques et sociales de l’époque. »

Le constat n’est bien sûr pas faux puisqu’une grande partie des classes populaires, dont la classe ouvrière, a fait le choix de l’intégration. On peut même dire que le phénomène de « France Périphérique » qu’il a décrit relève en grande partie d’une volonté subjective propre à ce mouvement d’intégration au capitalisme, par le biais de la maison individuelle avec jardin accompagnée de ses deux automobiles par foyer.

Autrement dit, les classes populaires et la classe ouvrière en particulier ne sont pas tant exclues du cœur des grandes métropoles qu’elles les ont elles-mêmes fuit, tout comme elles ont fuit le centre des petites et moyennes villes qui se sont alors dévitalisées. La critique par exemple de la « gentrification » d’anciens quartiers populaires urbains que font les sociologues est ainsi tout à fait partielle, puisque négligeant cet aspect essentiel qu’il n’y a eu aucune résistance populaire à ce phénomène.

Il en est de même pour ce qui est des quartiers de HLM, les cités, qui ont été quitté massivement par la classe ouvrière française dans les années 1980 et 1990 à mesure qu’arrivaient des populations immigrées, mais pas après l’arrivée de ces populations immigrées.

Dans sa substance, ce mouvement remonte même aux années 1960 et 1970, où les cités HLM n’ont été considérés comme modernes et satisfaisantes que par une petite partie de la classe ouvrière, la grande majorité faisait par contre le choix, ou projetant le choix de l’habitat individuel, avec jardin et automobiles.

Le problème de l’analyse que propose Christophe Guilluy, et c’est là qu’elle sert le populisme plutôt que la Gauche, est de soutenir cette intégration au capitalisme en souhaitant qu’elle aille encore plus loin, plutôt que de la critiquer. La Gauche, en tous cas dans son essence historique, n’a jamais souhaité un compromis de classe généralisé, mais seulement des statut-quo temporaires, devant à plus ou moins long terme mener au socialisme, c’est-à-dire au pouvoir de la classe ouvrière puis à la disparition des classes sociales.

La Gauche en France a très bien vu ce phénomène d’intégration au capitalisme par le repli en périphérie, qu’elle n’a pas apprécié ; il est évident que cette « classe moyenne » périphérique relève bien plus de l’aliénation que de l’émancipation.

Le panorama social-culturel qui en résulte, avec la télévision, les autoroutes et les centres commerciaux, est absolument désastreux. Cela signifie ni plus ni moins que la soumission complète au capitalisme, avec des rapports sociaux presque entièrement soumis aux grands groupes capitalistes et leurs franchises, organisant la vie des gens de bout en bout.

Cela va de pair avec une démarche insoutenable par rapport à la nature et aux rapports naturels, ainsi qu’une domination féroce des pays pauvres, ce que l’on appelle l’impérialisme.

Christophe Guilluy ne reconnaît d’ailleurs qu’un aspect de cette domination impérialiste, avec l’immigration. Mais cela ne suffit pas, car on ne peut pas évoquer ce phénomène de la classe moyenne occidentale, avec comme il l’explique les ouvriers et les employés portant l’american way of life ou l’european way of life, sans comprendre qu’il n’est permit que par une division du travail à l’échelle internationale provoquant elle-même la désintégration de ce modèle.

Critiquer la fermeture des usines en Europe ou aux États-Unis est insuffisant, et donc populiste, si ce n’est pas pour remettre en cause le mode de production lui-même. La fermeture des usines n’est pas un phénomène allant à l’encontre du way of life des classes moyennes mais en est précisément le produit. Autrement dit, jamais il n’aurait pu y avoir une telle intégration des classes populaires à la société de consommation sans le made in China, et c’est ce made in China qui en retour bouleverse le modèle économique qui l’a engendré.

Il est absurde de prétendre comme le fait Christophe Guilluy que Donald Trump ne serait qu’une expression du mouvement réel des classes populaires américaines, alors que c’est précisément l’inverse qui est vrai.

« Ce soft power des classes populaires, qui porte la vague populiste en contraignant politiques et médias à aborder des thématiques interdites, contribue à un retour au mouvement réel de la société, celui de la majorité. »

La propre du populisme est de ne faire qu’une critique en surface du capitalisme, sur des aspects partiels, en proposant le repli comme dynamique et la réaction comme expression culturelle. Donald Trump ne représente pas l’expression autonome des classes populaires, mais leur amertume, ou en tous cas l’amertume d’une partie d’entre elles face à leur prolétarisation ou leur ré-prolétarisation.

On ne peut qu’être d’accord avec Christophe Guilluy quand il explique que « les années 1980 seront marquées par l’émergence de Canal +, quintessence de l’idéologie libérale-libertaire dominante. »

Mais sa démarche ne sert que le populisme quand il critique le cosmopolitisme et l’inconsistance de cette bourgeoisie moderne et libérale des grandes métropoles sans critiquer la bourgeoisie en tant que telle, ni l’accumulation du capital en tant que telle.

Du point de vue des classes populaires, et surtout de l’intérêt objectif de la classe ouvrière, le richissime Donald Trump ne vaut pas mieux qu’Hillary Clinton. En l’occurrence, en France, on considère même au contraire que ce que représente Marine Le Pen amène à court terme une perspective pire que celle portée par Emmanuel Macron. C’est pour cela que la Gauche n’a pas hésité à voter contre Marine Le Pen au second tour des élections présidentielles en 2017.

Que la bourgeoisie moderne et libérale des grandes métropoles se serve de cela est une évidence, ce n’est pas nouveau. Mais l’inverse est encore plus vrai, la critique de l’antifascisme fait perdre beaucoup de temps aux classes populaires en embrouillant leurs conceptions.

Il est ainsi très grave d’écrire :

« Présenté comme « populiste » (lire « fasciste ») par les classes dominantes, ce mouvement, conduit par une majorité, est au contraire fondamentalement démocratique. »

La critique du fascisme, et donc du populisme, a été théorisé par la classe ouvrière elle-même, jamais par les classes dominantes qui ne font que s’en servir partiellement, et seulement pour une partie d’entre elles d’ailleurs. C’est par essence une critique populaire et démocratique, et certainement pas l’inverse. Le populisme est par contre un détournement réactionnaire de questions démocratiques, en prétendant représenter les classes populaires alors qu’il ne fait que les enfoncer dans des conceptions erronées et des valeurs arriérées.

L’horizon défendu dans No Society est ainsi absolument détestable quand on est à Gauche.

Ce qui est expliqué finalement, noir sur blanc, c’est que la bourgeoisie ne devrait plus s’isoler dans les « citadelles » que sont les grandes métropoles mais devraient tendre la main aux classes populaires, pour que tout continue comme avant.

La crise endémique du mode de production capitaliste est bien sûr niée, au profit d’une grande illusion quant à la possibilité d’intégration à long terme de la population au capitalisme.

S’il n’appelle pas directement à céder au populisme, le propos de Christophe Guilluy dans No Society ne sert en dernière analyse que la diffusion de celui-ci. Ce thème des classes moyennes est d’ailleurs un thème tout a fait classique du pré-fascisme en France, dont le populisme actuel n’est qu’une expression moderne.

Eric Zemmour ne dit de toutes façons, au fond, pas autre chose que lui et Natacha Polony à propos des classes moyennes et du regret d’une France d’avant, pacifiée et intégrée, sans lutte de classe, sans contestation de la bourgeoisie. Le populisme n’est, dans cette perspective, qu’un moyen de capter les classes populaires pour les dévier de leur intérêt propre.

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Les outrances du populiste et grossier Jean-Luc Mélenchon

Jean-Luc Mélenchon est un personnage insupportable quand on est à Gauche. Ses dernières outrances, tout à fait réfléchies et mises en scène, reflètent son style grossier et populiste, faisant du coup de sang une expression politique en soi.


Que le mouvement La France Insoumise soit l’objet d’une manœuvre politique, c’est incontestable, tout comme cela l’était dans l’affaire visant François Fillon. N’importe quelle perquisition et n’importe quelle décision de Justice sont, par nature, politiques.

Quelle que soit la façon dont sont organisés les pouvoirs dans un pays, cela répond à un choix qui est fait par des individus, dans un cadre législatif donné mais aussi dans un contexte politique particulier, en fonction des rapports de force.

En l’occurrence, les perquisitions ont été autorisées par un procureur qui par définition est un représentant du pouvoir exécutif, subordonné au ministre de la Justice. Il n’est d’ailleurs pas habituel qu’un procureur autorise une perquisition chez un député en pleine enquête préliminaire alors qu’il n’y a pas l’ouverture d’une information judiciaire.

Surtout que sur le fond, nous ne sommes pas dans une affaire de corruption d’une ampleur phénoménale relevant d’une urgence absolue, mais dans un soupçon d’arrangements qui sont détestables mais tout à fait traditionnels pour la classe politique bourgeoise.

Est-ce à dire pour autant que « nous ne sommes plus dans un État démocratique normal », comme l’a fait le tribun Jean-Luc Mélechon avant de crier « résistance », poings vers le ciel ?

Bien sûr que non, on est ici en pleine légalité, dans le fonctionnement tout à fait normal de la République française. Elle n’est pas une entité neutre et abstraite mais une infrastructure servant des choix et des actions politiques, suivant les intérêts de ceux qui sont au pouvoir et des gens qu’ils représentent.

Seulement, pour dire et comprendre cela, il faut avoir un contenu. Il faut des principes, des références culturelles et idéologiques qui font que, de toutes manières, on est à la base dans le camp du peuple et de la classe ouvrière, qu’on a jamais prétendu à de quelconques illusions à propos de la « Justice » ou de la République.

Tel n’est pas le cas de Jean-Luc Mélenchon qui s’imagine au-dessus du reste de la population, exigeant un traitement de faveur par les institutions :

« Je ne suis pas un passant dans la rue, je suis le président d’un groupe parlementaire »

Il se présente comme un républicain « ultra », allant jusqu’à se prétendre « sacré » parce que député de cette même République. Cela est complètement artificiel mais peu importe car pour lui seule l’attitude compte. D’ailleurs, il a dit cela pendant qu’il se filmait en direct lors de la perquisition et s’est mis à hurler :

« Ne me touchez pas monsieur, vous n’avez pas le droit de me toucher. Personne ne me touche, ma personne est sacrée ! »

Sauf que, on voit bien sur la vidéo qu’il ne se fait violenter mais simplement bousculer légèrement par une personne passant dans un petit couloir, alors que lui s’agite dans tous les sens téléphone à la main en pleine perquisition. C’est-à-dire que le député de la France Insoumise cherchait à mettre en scène les choses, dramatisant le tout de manière ridicule.

L’épisode s’est poursuivi de manière encore plus grotesque devant le siège de son mouvement. Cela lui retombe naturellement sur le coin de la figure avec de nombreuses moqueries sur internet et le parquet de Paris a ouvert une enquête pour « menaces ou actes d’intimidation contre l’autorité judiciaire » et « violences sur personnes dépositaires de l’autorité publique ».

Le procureur général auprès de la cour d’appel de Paris, Catherine Champrenault, s’est même exprimé à la radio, ce qui n’est pas du tout une chose habituelle, pour enfoncer Jean-Luc Mélenchon. Elle a dénoncé « un coup de force » et s’est même justifiée en expliquant que s’il « était arrivé tout seul et calmement, il n’y aurait eu aucun problème pour qu’il accède aux locaux de son parti », ajoutant qu’il « a voulu rentrer en force ».

On a même un policier qui aurait porté plainte, tandis-qu’une syndicaliste (unité SGP Police FO) a expliqué à la télévision :

« J’ai de la colère car lors de cette perquisition, j’ai vu du mépris de classe face aux ouvriers de la police nationale […] Le contraire de ce à quoi nous a habitués monsieur Mélenchon. »

Cet épisode de la Police prouve d’ailleurs encore une fois l’inconsistance de Jean-Luc Mélenchon puisqu’il s’en est pris à des agents de Police avant de le regretter quelques heures après en disant qu’ils ne faisaient que leur travail… pour finalement critiquer le site Médiapart en disant qu’ils sont « pire que les flics » !

Ce genre de retournement renvoie au récent épisode marseillais où il avait traité Emmanuel Macron de xénophobe le matin (ce qui est absurde) avant de faire la causette avec lui et de ne pas assumer du tout ses propos le soir même.

Tout cela est l’expression d’un populisme des plus outranciers, capable de dire tout et son contraire selon l’opportunité, sans aucune analyse ni réflexion de fond. On a d’ailleurs exactement la même attitude vis-à-vis des médias, avec un épisode particulièrement hallucinant à propos de l’émission Quotidien. Il l’accuse d’avoir directement fourni des images à la police, alors que sur ces mêmes images en l’entend haranguer « laissez la presse faire son travail ! Filmez tout ! »

Le leader de la France Insoumise parle de liberté de la presse quand cela l’arrange mais insulte littéralement les journalistes et appelle à les « pourrir » quand ils ne vont pas dans son sens. Les propos qu’il a tenus à l’encontre de France Info sont à ce titre très rudes, relevant bien plus d’un style d’extrême-droite que d’une attitude de gauche :

« [Ils] ont l’air de ce qu’ils sont, c’est-à-dire d’abrutis, et tous les autres ont suivi sans réfléchir ».

On peut même penser que ce genre de propos dans la bouche de Marine Le Pen auraient fait le tour de l’Europe, tellement ce n’est pas une façon de faire et de dire !

Jean-Luc Mélenchon a largement surjoué la surprise et l’offuscation ces derniers jours, alors qu’il savait très bien les choses qui lui sont reprochées. Les mots du procureur de la République de Paris pour justifier l’ouverture d’une enquête préliminaire avaient été tout à fait explicites. Ils laissaient présager ce genre de suite :

«Les surfacturations dénoncées [par la Commission des comptes de campagne] tendent à faire sérieusement suspecter l’existence de manœuvres délibérées destinées à tromper l’organe de contrôle aux fins d’obtenir des remboursements sans cause.»

Jean-Luc Mélenchon se présente à longueur de journée comme un représentant du peuple contre ce qu’il appelle une « oligarchie », mais il se retrouve maintenant accusé d’avoir les mêmes pratiques que les gens qu’il prétend dénoncer.

C’est un retournement de situation terrible, et on peut aisément penser que cela va l’affaiblir durablement. Ce qu’on ne regrettera pas, bien entendu. Jean-Luc Mélenchon est un personnage très grossier, imbu de lui-même, qui n’a rien à voir ni de près ni de loin avec les valeurs et les principes de la Gauche qui sont défendues ici.

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Faut-il une « désintox » pour l’affiche d’Emmanuel Macron en SS?

Qu’est-ce que la vérité, comment la comprendre ? Est-ce une chose en mouvement, ou une chose statique ? En voici un exemple bien parlant…

Car il existe une mode depuis quelques années dans les milieux journalistiques, visant à prôner un stop à « l’intox », à se lancer dans une dénonciation du complotisme. S’il peut s’agir parfois d’un vrai souci de rationalisme, bien souvent c’est un mépris des gens, du peuple en général, considéré comme trop idiot, trop inculte.

Les gens auraient besoin d’une enquête journalistique, faite par quelqu’un de diplômé, qui maîtriserait ses émotions par rapport au bon populo… Seul le journaliste sait ! Seul le journaliste comprend ! Le monde est statique, les bas peuple versatile !

Affiche Emmanuel Macron SSL’affaire de l’affiche représentant Emmanuel Macron en SS lors de la marée humaine de samedi dernier a justement été un thème de cette campagne de « désintoxication » ces derniers jours ; elle en révèle parfaitement les limites que l’on doit qualifier, sans aucun doute, de petites-bourgeoises intellectuelles.

En effet, à force de à prétendre une neutralité qui n’existe pas, en prétendant à une objectivité froide qui n’a jamais existé, on finit forcément par se prendre les pieds dans le tapis.

En l’occurrence, il est expliqué que l’insigne sur le bras d’Emmanuel Macron ne serait pas un drapeau israélien, mais bien l’insigne de destruction de blindés présent sur l’original.

Affiche Emmanuel Macron SS - image originaleComme sur la photo originale, le logo est le même, qu’il n’a pas été changé, il y a une « désintox » de faite, par exemple par Conspiracy Watch – Observatoire du conspirationnisme, Jean-Paul Lilienfeld, etc.

Quelle naïveté ! Quelle pseudo objectivité !

Car, quand on étudie une chose, on doit la regarder dans son mouvement, dans sa réalité, en tant que processus. On ne peut pas voir les choses statiquement.

Il faut voir comment l’image a été transformée, dans quel but. Il faut regarder quelles sont les valeurs de la personne qui l’a transformée. Il faut délimiter dans quelle mesure cette personne a conscience de ses propres valeurs.

Il faut regarder les valeurs de la société à un moment donné, en saisir les codes.

Affiche Emmanuel Macron SS - image originaleFaisons ainsi les choses sérieusement, en s’aidant d’une image présentant les images côte à côte, en faisant attention parce que l’image connaît une autre variante.

Déjà un travail sérieux aurait en effet été de trouver la source directe de ces images. Il s’agit d’une entreprise proposant des tenues de western, de Batman, de nazis, etc. Ce n’est nullement une photographie historique.

Donc, le logo SS a été changé par celui d’en marche, la tête de mort par « EM » (pour Emmanuel Macron ou En marche). L’aigle avec la croix gammée a été remplacée par « $$ », pour SS avec une allusion aux dollars (même pas à l’euro donc).

Une des épaulettes a été modifiée avec le symbole de l’entreprise Vinci. Sur l’avant-bas gauche, l’inscription « Götz von Berlichingen » a été remplacé par MEDEF. Götz von Berlichingen est un chevalier allemand ayant pris le parti des paysans révoltés à l’époque de Martin Luther, avant de finalement les trahir. Son nom a été employé pour nommer une division d’infanterie mécanisée de la Waffen-SS, la 17e Panzergrenadier Division SS.

La croix de fer (ici nazie), très connu en France, a été enlevé, pas les trois autres insignes nazis.

Affiche Emmanuel Macron SS et image originale

Affiche Emmanuel Macron SS, détail tankEt il y a donc, sur le côté gauche, sur le bras droit près de l’épaule, l’insigne de destruction des blindés, mis en place par Adolf Hitler en 1942.

Sur la photo ayant servi au montage, la couleur de cet insigne est déjà bleu, ce qui est une erreur historique de la part de ceux qui ont refait le costume.

Mais la question n’est pas là. La question est : est-ce que la personne qui a fait le montage a sciemment laissé cet insigne bleu comme une allusion au drapeau israélien, ou bien n’a pas touché en général les insignes secondaires?

Voilà la véritable question, parce que l’image a été retouchée de manière professionnelle ; il est évident que chaque aspect de ce qui a été touché ou pas a été pensé.

Et cette question demande une réponse politique, pas une réponse de journaliste. Il n’y a pas de pseudo objectivité qui tienne ici.

D’ailleurs, il ne faut pas être idiot. Le fait de déguiser Emmanuel Macron en nazi montre bien que la personne qui a fait le photomontage ne connaît rien à la Shoah et dispose d’une mentalité particulièrement malsaine.

N’importe qui voyant l’assimilation d’Emmanuel Macron non seulement au grand capital (ce qui est vrai en partie) mais également aux dollars devine aussi très bien la mentalité du photomontage : on a ici affaire à un anticapitalisme “antiimpérialiste” qui s’est largement développé ces dernières années, avec Jean-Luc Mélenchon, Alain Soral, l’ultra-gauche, le GUD, etc.

On n’a pas ici affaire à la Gauche historique. Partant de là, il est évident que l’insigne sur le côté est une allusion au drapeau israélien. Il est inévitable que le fait de l’avoir laissé sur le côté, avec sa forme et sa couleur bleue, ferait penser au drapeau israélien.

Il y a tellement ce genre d’allusions ces derniers temps qu’il n’y a pas de hasard. Pas de hasard… si l’on prend un point de vue politique.

Et le point de vue politique se moque de savoir si le choix est objectif ou subjectif. Historiquement, tout le monde a saisi cela comme une allusion. Politiquement, il y a donc responsabilité.

Ce que les partisans de la « désintox » ne prennent pas, en raison de leur « objectivité » froide, apolitique… les amenant à capituler devant cette affiche.

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Retour critique sur la «marée humaine» du 26 mai 2018

La France connaît une vague de populisme sans précédent, un populisme qui est en train de balayer la Gauche dans toutes ses valeurs historiques, si ce n’est déjà fait.

C’est l’alliance de l’esprit individualiste et du corporatisme, avec un sens aigu de la paranoïa, un goût assumé pour les simplifications et les explications délirantes.

A chaque fois qu’on lit les discours anarchistes ou de la France Insoumise, on croit que la France est à deux doigts de l’insurrection, que la police matraque, torture et tue, que l’apartheid aurait été instauré, qu’il n’y aurait plus de droits sociaux.

La photographie suivante du 26 mai 2018, où Emmanuel Macron est présenté comme un SS, avec les « S » utilisant le logo du dollar, témoigne tout à fait de cela ; c’est le prolongement populiste de la pendaison de l’effigie d’Emmanuel Macron, de la mise au feu de sa marionnette, lors de précédentes manifestations.

Ce relativisme des crimes nazis est inacceptable ; il reflète bien d’une hystérie de gens des couches sociales intermédiaires utilisant un discours outrancier pour prétendre être les victimes absolues et les vrais protagonistes de l’Histoire.

On remarquera aussi ce qui semble bien être le drapeau israélien sur le bras droit, une allusion désormais classique dans la mouvance d’ultra-gauche et de la France Insoumise, avec cet antisémitisme classique comme socialisme des imbéciles.

C’est là en rupture avec toutes les valeurs historiques de la Gauche, et on ne s’étonnera donc pas que Jean-Luc Mélenchon, dans une interview accordée à Libération, récuse le terme de gauche.

– Pourquoi ne voulez-vous plus revendiquer le mot «gauche» ?

Il a été tellement faussé par la période Hollande…

– L’enjeu n’est-il pas alors de le réinvestir ?

Il est réinvesti par les contenus que nous mettons sur la table : planification écologique, Constituante, partage des richesses. Les idées sont des matières vivantes, elles deviennent des forces matérielles si les gens s’en emparent. Tant que le mot «gauche» signifiera «la bande à Hollande», il repoussera plus qu’il n’agrégera.

– Le mot «gauche» ne se réduit pas à Hollande ! Pour beaucoup de gens, la gauche, ça veut encore dire quelque chose…

Je suis un homme issu de la gauche. Tout notre groupe parlementaire de même. Parmi les responsables politiques, je suis sûrement celui qui a le plus écrit sur l’idée de gauche et qui l’a le plus nourrie. Je n’ai jamais dit que ça ne voulait plus rien dire !

Mais dans le combat que nous menons, il faut laisser de côté la fausse monnaie. La gauche, ça n’a jamais été la politique de l’offre ou la soumission aux traités libéraux de l’Union européenne. L’enjeu majeur de 1789 à aujourd’hui, c’est la souveraineté politique du peuple. Le mot «gauche» est né de cela ! Notre stratégie révolutionnaire, c’est la révolution citoyenne par la Constituante.

La Gauche, c’est le mouvement ouvrier, et certainement pas François Hollande… On ne raye pas plus de cent ans d’histoire, d’expériences, de lerçons comme cela! Jean-Luc Mélenchon est un démolisseur, un liquidateur, un fossoyeur.

Et il est terrible qu’il y a une capitulation face à lui, comme en témoigne la très longue liste des soutiens à son initiative de prétendue marée humaine :

Alternative et autogestion – Alternative libertaire – EPEIS -ATTAC – Climat social – Collectif des Associations Citoyennes – Collectif National pour les Droits des Femmes – Collectif La Fête à Macron – CGT – Coordination nationale de défense des hôpitaux et maternités de proximité – Convergence nationale de défense des services publics – DIDF – DIEM25 – Droit au Logement – Ecologie sociale – EELV – Les effronté.es – Ensemble – Femmes Egalité – Fondation Copernic – France Insoumise – Gauche Démocratique et Sociale – MJCF – Mouvement Ecolo – Mouvement National des Chômeurs et Précaires – Nouvelle Donne – NPA – PCF – PG – Parti Ouvrier Indépendant Démocratique – PCOF – PCRF – République et Socialisme – Résistance Sociale – Snesup-FSU – Solidaires  – Syndicat des Avocats de France  – Syndicat de la Magistrature – UEC – UNEF – Union Nationale Lycéenne (ont également appelé la FCPE et la FSU)

Mais de cela, tout le monde se fout, à part les gens liés aux syndicats et à leur corporatisme, ou bien à une sorte de romantisme anarchiste totalement hors sol. Le résultat est ainsi très clair pour la pseudo marée humaine.

La police a compté 21 000 personnes à Paris, le cabinet Occurrence travaillant pour des médias institutionnels en a dénombré 31 700, la CGT 80 000.

A l’échelle du pays, la CGT a revendiqué 250 000 personnes, le ministère de l’intérieur en a compté 93 315 (on remarquera le souci de précision).

En clair, la population française a totalement boudé cette pseudo révolte, ayant très bien compris de quoi il en retournait. Malgré le printemps et la grève des cheminots, la sauce ne prend pas, car personne n’est dupe : c’est le populisme et le corporatisme qui sont à l’oeuvre.

Ainsi que, ne l’oublions pas, le néo-libéralisme culturel, que cette photo de la sénatrice Esther Benbassa résume parfaitement. La nouvelle pseudo gauche prend entièrement l’ancienne Gauche à contre-pied sur le plan des valeurs culturelles.

C’est à cause de cela que de jeunes ouvriers vont chez les nazis, s’imaginant que la Gauche ce serait juste un néo-libéralisme où chacun peut faire ce qu’il veut, sans responsabilités ni devoirs, sans morale ni valeurs.

Une autre photographie est également emblématique : celle où un manifestant tient une pancarte où il est écrit qu’un poulet serait mieux grillé. C’est bien entendu une allusion aux policiers, avec un goût sinistrement morbide.

Cet anarchisme de pacotille – très ironique quand on voit la drapeau d’air France, depuis quand un travailleur assume le drapeau de son entreprise ? – prêterait au mieux à sourire (cela ne sera pas notre cas) si désormais la condition animale n’était connue de tous.

Culturellement, là aussi on voit bien la faillite morale et intellectuelle, au profit de la posture.

Ce populisme, cette négation du contenu, est intolérable et montre bien la nécessité d’en revenir aux fondamentaux du mouvement ouvrier.

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Politique

François Ruffin ou le populisme assumé

Le Parti Communiste Français (PCF) tente de se maintenir coûte que coûte malgré les coups de boutoir de la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon. Pour ce faire a été notamment mis en place « une revue d’action politique du PCF », qui a comme nom « Cause commune« .

Il s’agit d’une revue d’intellectuels post-post-marxistes, c’est-à-dire relativement jeunes, coupés de toute tradition historique, mais saupoudrant leurs remarques de références à Karl Marx, à Octobre 1917, sans jamais de lien avec un quelconque contenu, mais afin de s’approprier une image de « gauche de la gauche ».

Son dernier numéro est consacré au populisme, une idéologie qui est revendiquée par la France Insoumise et notamment par François Ruffin dans une interview reproduite ici. C’est l’ancien dirigeant trotskyste Ni définition pertinente, ni projet d’avenir pour la gauche« .

C’est que le PCF est d’accord pour ne pas vouloir un retour aux fondamentaux – ce que nous, nous trouverons au contraire juste – mais il se considère comme post-mouvement ouvrier, pas comme une rupture totale avec le passé comme la France Insoumise et avec elle François Ruffin.

Fakir se revendique du « populisme de gauche » mais, si l’on en croit un entretien de 2016, bien avant d’avoir lu Chantal Mouffe. Par quel chemin y parvenez-vous ?

Je me souviens l’éditorial de Serge July dans Libé le lendemain du référendum de 2005 sur le traité de Rome. Amer devant la victoire du « non », il parle d’« épidémie de populisme ». À ce moment, pour moi, « populiste » renvoyait au « prix du roman populiste » qui récompense une œuvre qui « préfère les gens du peuple comme personnages et les milieux populaires comme décors à condition qu’il s’en dégage une authentique humanité ».

Populiste était pour moi un mot noble, pas une injure. Par ailleurs, ce mot décrivait parfaitement bien l’idée que je me faisais de mon activité de journaliste : peindre les vies populaires avec empathie. Chez Serge July, le mot servait à dénoncer, à condamner le peuple pour n’avoir pas été assez rationnel.

D’où l’idée chez moi de retourner le stigmate et de ne pas faire de ce mot un épouvantail. Voilà pourquoi avec Fakir, on n’a pas hésité à se dire « populistes », en précisant que nous étions populistes de gauche. Preuve au passage que le populisme n’élimine pas le clivage gauche-droite.

Qu’est-ce que le populisme pour vous ?

Le populisme, c’est d’abord une pratique. Une histoire. Chez les Whirlpool, certains ouvriers disent du mal des « assistés », etc. Il existe un clivage entre « nous », les ouvriers, et « eux », les assistés. Pratiquer le populisme, c’est leur proposer un autre adversaire.

Il s’agit pour moi de reconstruire un autre « nous ». Le « nous » des simples, des gens, des petits, etc. Cela fonctionnait ainsi avant les années 1980. Mais après, on a commencé à nous dire que cette manière de voir était archaïque, dépassée, etc. Au contraire, il faut y revenir, revenir au conflit entre les petits et les gros.

Et les classes sociales dans tout ça ?

Parler du peuple n’empêche pas de parler de classe. S’il faut parler de peuple, il faut aussi avoir conscience de sa diversité sociologique interne. Pour conquérir l’hégémonie, il faut réussir à dépasser deux divorces au sein du peuple.

Pour le dire vite, le divorce entre les « profs » et les « prolos », les deux cœurs sociologiques de la gauche. Et le divorce dans les milieux populaires entre enfants d’immigrés et enfants d’ouvriers des campagnes.

Parler de « peuple », abstraitement, ne risque-t-il pas de contribuer à rendre invisibles les classes populaires ?

La faible représentation des classes populaires est un problème général. Il n’y a qu’à regarder la composition des différents partis ou mouvements à gauche. C’est un problème de fond : comment rend-on la parole et un rôle aux classes populaires ? Comment fait-on monter des ouvriers, des aides-soignantes, etc., en responsabilité ?

Est-ce qu’il faut recréer des écoles de parti ? Compter sur la formation syndicale ? Je n’ai pas de recette toute faite. Juste, accuser le « populisme » de les rendre invisibles, ça me paraît à côté de la plaque.

Chantal Mouffe dit vouloir rénover la social-démocratie. Partagez-vous cet objectif ?

Je lis les livres de Chantal Mouffe. J’y prends des choses, mais pas tout. En ce qui concerne la social-démocratie, ce n’est pas pour moi un mot à dénigrer.

Le problème, c’est qu’il est revendiqué par des gens qui ne sont ni sociaux ni démocrates. Jaurès parle d’un « réformisme révolutionnaire », ce qui me va bien. Mais il manque évidemment la préoccupation écologique.

*François Ruffin est député (FI) de la Somme et rédacteur en chef de Fakir.

Entretien réalisé par Florian Gulli.

Cause commune n° 3 – janvier/février 2018