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La guerre entre la Turquie et la France (soutenant la Grèce) se fait chaque jour plus menaçante

Le régime turc est dans une perspective guerrière ultra-agressive. En face, la France soutient la Grèce et pousse elle-même à la guerre en s’érigeant comme le gendarme de la Méditerranée.

Lors des célébrations du Jour de la victoire dimanche 30 août 2020, une fête nationale turque marquant une victoire militaire contre la Grèce en 1922, Recep Tayyip Erdoğan a tenu des propos particulièrement agressifs. Il assumait ouvertement la possibilité de faire la guerre en raison du litige concernant les eaux territoriales en Méditerranée orientale :

« Lorsqu’il s’agit de combattre, nous n’hésitons pas à donner des martyrs […] La question est la suivante : ceux qui s’érigent contre nous en Méditerranée et (au Proche-Orient) sont-ils prêts aux mêmes sacrifices ? »

On n’est plus dans la provocation comme il y a encore quelques jours, mais directement dans un discours guerrier assumant l’affrontement contre la Grèce et la France, avec la menace du sang versé :

« Le peuple grec accepte-t-il ce qui risque de lui arriver à cause de ses dirigeants cupides et incompétents ?

Le peuple français sait-il le prix qu’il devra payer à cause de ses dirigeants cupides et incompétents ? »

Parallèlement à cela, le président turc déroulait son habituelle rengaine ultra-nationaliste, s’adressant directement à « Atatürk », c’est-à-dire Mustafa Kemal surnommé le père des Turcs, pour justifier sa logique guerrière actuelle. Ce message écrit dans un « livre d’or » du mausolée de Mustafa Kemal et largement relayé dans la presse est un modèle du genre, typique du régime :

« Cher Ataturk, au 98e anniversaire de la Grande Victoire, nous saluons une nouvelle fois votre mémoire et celle de nos martyrs. Nous œuvrons pour glorifier et renforcer la République de Turquie que vous nous avez confiée. Nous sommes déterminés à devenir en 2023, au centenaire de notre République, un pays encore plus puissant, plus indépendant et plus prospère du point de vue économique, militaire, politique et diplomatique.

Les réussites importantes que nous avons notées sur divers terrains allant de la Syrie à la Libye, de la mer Noire à la Méditerranée orientale, sont les preuves les plus claires de notre volonté à protéger les droits et intérêts de notre pays.

La Turquie ne cédera pas aux menaces, intimidations et chantages, spécialement en Méditerranée orientale, et continuera de défendre ses droits découlant du droit international et des accords bilatéraux. Paix à votre âme ».

Tous les hauts personnages de l’État s’y sont mis, à l’instar du ministre de la Défense qui a expliqué :

« Cette grande victoire [en 1922 contre la Grèce] est la proclamation au monde entier que notre nation protégera à tout prix sa patrie qui l’importe plus que sa vie, et que l’Anatolie restera indéfiniment une terre turque ».

Le même jour, la ministre française des Armées, Florence Parly faisait comprendre dans une émission de radio que la France ne comptait certainement pas faire baisser la tension, insistant surtout sur le « comportement escalatoire [sic] » turc.

En arrière-plan, il y a la prétention de la France à être une grande puissance, au moyen de son armée qui agirait comme un gendarme en Méditerranée :

« Il y a un droit de navigation dans les eaux de la Méditerranée. Il n’y a pas de droit d’accaparement de ressources énergétiques et gazières, surtout lorsque celle-ci ont été reconnues conformément aux traités internationaux.

La démarche de la France n’est nullement escalatoire [sic]. Ce que nous avons fait, c’est ce que nous faisons régulièrement, c’est-à-dire que nous naviguons régulièrement en mer Méditerranée. C’est tout de même un espace naturel pour notre pays ».

Parler « d’espace naturel » pour qualifier une zone maritime à plusieurs milliers de kilomètres des côtes françaises, surtout quand on est ministre des Armées, c’est clairement agir dans le sens de la guerre. C’est s’arroger la responsabilité du « droit international » par les armes, de surcroît en ce qui ne concerne pas ses propres frontières.

C’est tout à fait conforme aux prétentions d’Emmanuel Macron qui, à l’occasion d’un « Forum Moyen-Orient Méditerranée » mercredi 29 août, a tenu un discours que l’on croirait sortie du XXe siècle et de l’époque du « mandat » français au Proche-Orient.

Cela donne des ailes au régime turc, qui dénonce ainsi facilement la France comme l’a fait le porte-parole du ministère turc des Affaires étrangères le lundi 31 août. Avec un discours particulièrement bien ficelé, il a rétorqué à Emmanuel Macron :

« Ceux qui croient tracer des lignes rouges contre la juste cause de la Turquie, ne feront que constater la position déterminée de notre pays.

S’il y a une ligne rouge dans la région, il ne peut s’agir que des droits découlant du droit international de la Turquie et des Turcs de Chypre.

Il est temps, pour ceux qui se voient dans un miroir grossissant, d’accepter la réalité : l’époque où les impérialistes traçaient les lignes sur les mappemondes est révolue. »

La veille, il prévenait dans un communiqué que « la Turquie est capable de dissuader, tous ceux qui tentent d’usurper par la force, ses intérêts et droits légitimes, en envoyant des armadas », dénonçant des « provocations d’acteurs externes à la région ».

On le comprend, et c’est chaque jour de plus en plus flagrant, on a là tous les ingrédients d’un cocktail explosif, menaçant de s’embraser à chaque instant.

L’épisode le plus récent est la publication de photos, par l’Agence France presse (liée en grande partie à l’État français), montrant des militaires grecs armés sur l’île de Kastellorizo, à quelques kilomètres des côtes de la Turquie.

> Lire également : Vers la guerre: l’Armée française se déploie avec la Grèce face à la Turquie

Le régime turc a immédiatement réagi, parlant d’acte de « piraterie » (l’île est censée être démilitarisées depuis un traité de 1947), faignant de découvrir la présence de ces militaires, qui n’a rien de nouvelle. La Grèce de son côté assume totalement la présence de ses militaires, assumant là encore le parti de la guerre.

Désormais, ce sont la crise ainsi que la tendance à la guerre qui forment l’actualité…

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Vers la guerre: l’Armée française se déploie avec la Grèce face à la Turquie

L’Armée française a annoncé mercredi 26 août 2020 mener des exercices militaires en Méditerranée orientale pendant trois jours. Les manœuvres visent ouvertement la Turquie dont le conflit avec la Grèce prend chaque jour une tournure plus guerrière, avec la France parmi les belligérants.

La ministre des Armées Florence Parly a annoncé que trois avions Rafale, la frégate La Fayette et un hélicoptère français prennent part à un exercice commun avec l’armée de Grèce en Méditerranée orientale, du mercredi 26 août au vendredi 28 août 2020. Les armées italienne et chypriote sont également concernées par l’opération dans les eaux situées entre la Crète et Chypre, précisément là où la Turquie a un navire prospectant des hydrocarbures.

Quelques jours plus tôt, la Grèce émettait un télex de navigation (Navtex) annonçant des manœuvres dans cette zone. Le président turc Recep Tayyip Erdoğan y a répondu de manière très hostile :

« L’émission d’un Navtex par la Grèce n’est autre qu’un acte irresponsable menaçant la sécurité de tous les navires présents dans la région ».

La Turquie considère que la Grèce n’avait pas le droit de l’émettre et s’est faite très menaçante, expliquant que ceux à qui elle sera confrontée devront « en assumer les conséquences ». La France est visée, sans la nommer ouvertement, en dénonçant le fait qu’elle pousse la Grèce à la guerre :

« Il serait bon pour la Grèce de prendre en considération que ceux qui la poussent devant la flotte turque, ne se montreront pas si un problème survient ».

C’est ainsi qu’on assiste à une escalade guerrière où la France répond à la Turquie en déployant sa force, assumant par là son appui militaire à l’armée grecque dans le cadre d’une « Initiative quadripartite de coopération (SQAD) ». Les manœuvres sont appelées « Eunomia », en référence à une déesse grecque dont le nom renvoie aux notions de justice, d’équité, de bon ordre.

Si la France prétend agir au nom du « droit international » comme l’a affirmé Florence Parly, il faut bien voir que le régime turc dit exactement pareil de son côté. La Turquie considère que ses provocations récurrentes contre la Grèce sont légitimes, sans par ailleurs que ni l’Allemagne, ni les États-Unis, ne le lui reprochent vraiment.

Mardi 25 août, le chef de la diplomatie allemande Heiko Maas était à Ankara (après s’être rendu à Athènes) pour y prôner le dialogue, mais aussi pour réaffirmer la question de l’OTAN et donc de la superpuissance américaine dont dépend encore la Turquie. À ses côtés, le ministre turc des Affaires étrangères Mevlüt Çavuşoğlu a expliqué que ce n’est pas son pays qui fait monter les tensions.

Il a affirmé que la Grèce devait renoncer à « jouer les gâtés » et que :

« Il ne faut pas que la Grèce se laisse entraîner par les pays [sous entendu la France principalement] qui souhaitent la jeter devant la flotte turque. Nous sommes voisins. Nous souhaitons un partage juste ».

Il suffit pour mieux comprendre la situation de regarder cette carte montrant les frontières maritimes (ZEE) selon la convention de Montego Bay de l’ONU en 1982 :

Comme on le voit, les eaux territoriales grecques couvrent toute la zone, notamment en raison de la petite île de Kastellorizo. La Turquie n’a jamais reconnu cette convention (à l’image de nombreux pays dont les États-Unis) et maintenant qu’elle sait qu’il y a d’importants gisements gaziers dans la région, elle y revendique activement ses frontières.

C’est la raison pour laquelle le navire Oruç Reis prospecte depuis plusieurs jours dans ces eaux, escorté par une flotte militaire. La France avait immédiatement réagi à cela en déployant de premiers exercices militaires communs avec la Grèce, comme avertissement à la Turquie.

On a depuis un embrasement continu. Il y a là une situation inextricable, avec des intérêts capitalistes qui se font face et sont prêts à toutes les escalades, comme l’histoire en a tant connu.

L’Armée française agit ici au nom du capitalisme français, qui a besoin d’une grande puissance militaire à défaut d’être encore une grande puissance économique et diplomatique, et alors que le groupe Total est potentiellement concerné par les ressources de la région.

Inversement, la Turquie agit de manière particulièrement provocatrice, poussée par les intérêts expansionnistes de son économie, elle-même portée par un nationalisme néo-ottoman très agressif depuis plusieurs années.

Le discours du régime turc est particulièrement virulent, comme ces propos ultra-provocateurs de Recep Tayyip Erdoğan ce mercredi 26 août 2020, à propos des tensions avec la Grèce :

« Ceux qui ne méritent même pas d’être les héritiers de Byzance aujourd’hui, se cachent derrière les Européens pour agir comme des pirates qui ignorent le droit. Il est évident qu’ils n’ont pas retenu les leçons du passé ».

Ces propos étaient tenus lors d’une célébration de la bataille de Manzikert en 1071, une défaite byzantine consacrant la montée en puissance de ce qui deviendra l’empire Ottoman et utilisée de manière nationaliste aujourd’hui par le régime turc.

De manière particulièrement martiale, il a également lancé lors de son discours (en direct à la télévision) :

« Si nous n’avons aucune visée sur les terres, la souveraineté et intérêts des autres, cela ne veut pas dire que nous allons abandonner ce qui nous appartient. Ceux qui se dressent contre nous et qui sont prêt en en payer le prix, nous les attendons. Sinon qu’ils se retirent de notre chemin.

Il faut désormais que tout le monde voit que la Turquie n’est plus un pays dont on peut tester la patience, la détermination, les moyens et le courage ».

C’est terrifiant. Pour autant, il ne faut pas être dupe de la communication de la ministre des Armées Florence Parly qui explique, en s’imaginant que le la France est une grande puissance :

« Notre message est simple : priorité au dialogue, à la coopération et à la diplomatie pour que la Méditerranée orientale soit un espace de stabilité et de respect du droit international. Elle ne doit pas être un terrain de jeu des ambitions de certains ; c’est un bien commun. »

La France n’est pas l’ONU, elle n’est qu’une grande puissance en déclin s’imaginant retrouver de sa superbe grâce à une confrontation avec la Turquie.

> Lire également : Turquie: la Gauche française doit avoir le courage du pacifisme

La situation est extrêmement explosive et nécessite plus que jamais d’affirmer le pacifisme, c’est-à-dire l’opposition active à la guerre. La Gauche française doit dénoncer ici avec une grande vigueur les opérations militaires françaises en Méditerranée orientale, car elles mènent tout droit à la guerre. Une guerre qui relève de la course à la guerre générale avec en toile de fond l’affrontement sino-américain.

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Guerre contre la Turquie: les positions de la Gauche en Grèce

Dans le contexte de tension extrême entre la Grèce et la Turquie, il est important de se pencher sur la gauche grecque, historiquement très puissante.

La Gauche de Grèce est historiquement une composante très importante du mouvement ouvrier ; la résistance victorieuse à l’occupation nazie puis l’affrontement avec la Grande-Bretagne et les États-Unis après 1945 ont manqué de faire basculer le pays. Si par la suite il y a un écrasement du mouvement ouvrier par une répression sanglante, il y a un redémarrage régulier dans la formation de courants se revendiquant de la Gauche. Quelle sont leurs positions dans la situation actuelle ?

Déjà, ont signé une déclaration commune contre la guerre le KKE (Parti communiste de Grèce) et son équivalent turc le TKP (Parti communiste de Turquie), qui sont liés au PCF en France historiquement (le KKE étant toutefois désormais proche du Parti Communiste Révolutionnaire de France). Cela tranche résolument avec le nationalisme exacerbé caractérisant les deux pays. Ce sont leurs bourgeoisies respectives qui sont visées par le texte, de même que l’OTAN, l’Union européenne et les États-Unis. Il y a une dénonciation de la transformation de la Hagia Sophia en mosquée comme étant une manœuvre fanatique destinée à alimenter la haine et à mobiliser les masses turques dans un affrontement avec la Grèce.

Plus généralement, il est considéré que le cœur du problème est une « concurrence inter-capitaliste » pour le contrôle des hydrocarbures de la méditerranée orientale. En appelant à la classe ouvrière, les deux partis affirment qu’au-delà du pacifisme, c’est pour le socialisme qu’il faut lutter. Ils rappellent en effet que « la seule garantie de coopération et de fraternité entre les peuples » est liée à la prise du pouvoir des travailleurs et à l’établissement de relations sincères, solidaires et internationalistes.

On retrouve le même genre de position du côté des organisations issues du maoïsme que sont le KKE-ML (Parti communiste de Grèce – marxiste-léniniste) et le ML-KKE (Parti communiste marxiste-léniniste de Grèce). Elles dénoncent des intérêts « impérialistes » et « capitalistes » dans la région, ainsi qu’une tendance à la guerre et au nationalisme dans les deux pays. L’agression turque est dénoncée, mais il est considéré qu’il ne faut pas être dupe à propos du « capitalisme » et de « l’État grec » dans cette affaire.

L’organisation ANTARSYA, assez proche de notre NPA en France, dénonce également les « intérêts capitalistes » et le conflit opposant « les bourgeoisies grecque et turque », tout en rejetant le « droit international » comme étant bourgeois.

En apparence, il y a un peu la même logique avec les organisations SYRIZA en Grèce et son équivalant en Turquie, le HDP (Parti démocratique des peuples). Ils ont produit une courte déclaration commune dénonçant « la transformation de musée en mosquée de la Hagia Sophia, haut lieu du patrimoine de toute l’humanité et de toutes les religions ». Dénonçant le nationalisme, les deux organisations parlent de « culture partagée » entre les peuples grecs et turcs, en promouvant une « coexistence ».

Cependant, ces deux organisations ne relèvent pas de la Gauche historique et n’ont aucune base idéologique solide pour assumer réellement l’opposition à la guerre. Mardi 25 août, le président de SYRIZA Alexis Tsipras s’est entretenu directement avec le chef de la diplomatie allemande Heiko Maas pour lui demander d’intervenir pour « la défense des droits souverains de la Grèce et de Chypre », réclamant même une « perspective de sanctions fortes » contre la Turquie. C’est là faire le jeu du nationalisme grec, avec l’option d’une soumission à l’Allemagne comme grande puissance « protectrice ».

D’ailleurs, SYRIZA gouvernait encore récemment en alliance avec un parti d’extrême-droite ouvertement nationaliste, militariste et raciste, ayant une perspective d’affrontement avec la Turquie.

On retrouvera le même genre de position avec le groupe « Unité populaire », issue de l’aile anti-Union européenne au sein de SYRIZA. Il est appelé pour la Grèce à se séparer de l’OTAN, des États-Unis et de l’Union européenne (un trio décrit comme étant « l’impérialisme ») et à se défendre de manière indépendante face à la Turquie. C’est du nationalisme, mais avec l’objectif affiché d’assurer la paix.

Du côté de « Cap vers la liberté », l’autre scission de SYRIZA, fondé par Zoé Konstantopoulou qui est très proche de Jean-Luc Mélenchon en France, il est prétendu que le responsable des tensions actuelles avec la Turquie serait… Israël ! En conséquence, ce parti ouvertement nationaliste (qui a soutenu des manifestations anti-Macédoine) veut libérer le pays de « l’israélisation de sa politique » et lui redonner les moyens « de se défendre face à la Turquie ». C’est la même logique nationaliste que « Unité populaire », avec un arrière-plan franchement antisémite (l’antisémitisme étant très répandu en Grèce).

Pour finir, il faut parler du KINAL, le « mouvement pour le changement », qui est le successeur du PASOK (Mouvement socialiste panhellénique), équivalent et allié du Parti socialiste en France. Ce mouvement, devenu très faible en Grèce, a demandé à plusieurs reprises au gouvernement de droite de Kyriakos Mitsotakis de « se montrer ferme » face à la Turquie, tout en appelant l’Union européenne à appuyer la Grèce dans cet affrontement.

Le KINAL échoue ici honteusement à s’allier avec le CHP en Turquie (le Parti républicain du peuple), alors qu’ils sont censés appartenir à la même « internationale socialiste » (la même que celle du PS en France), ainsi qu’au Parti socialiste européen (le CHP en est un « membre associé »). Il faut dire que de son côté le CHP, qui dirige la municipalité d’Istanbul, est tout autant nationaliste et aussi peu de gauche que le KINAL. Dans la plus pure tradition kémaliste, il s’affiche moderniste, mais prône un nationalisme très agressif, menaçant régulièrement de faire « respecter » la Turquie en mer Egée face à la Grèce.

Les prises de positions anti-nationalistes de la véritable Gauche en Grèce et en Turquie sont très importantes dans un tel contexte. Elles ne préjugent pas forcément du meilleur : on se rappelle comment à la veille de la guerre de 1914 toute la Gauche d’Europe était contre la guerre, avant de passer en majorité dans l’autre camp à la suite de la déclaration de guerre. Néanmoins, elles sont une contribution importante à la tâche essentielle qui est l’opposition à toute guerre, dans un contexte de crise renforçant d’autant plus la bataille pour le repartage du monde.

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Turquie: la Gauche française doit avoir le courage du pacifisme

Emmanuel Macron se fait chef de guerre en déployant des arguments et des moyens militaires contre la Turquie et ses visées expansionnistes. En face, Recep Tayyip Erdoğan explique que la France agit comme un « caïd » et mobilise de manière nationaliste au nom des « droits de la Turquie ». C’est une escalade militariste typique et le rôle de la Gauche est de s’y opposer fermement, au nom de la paix, au nom de l’amitié entre les peuples, au nom de la lutte des classes.

Après la pénétration turque au large de l’île grecque de Kastellorizo, Emmanuel Macron a décidé de renforcer la présence militaire française dans la zone. Jeudi 13 août, ce sont deux avions Rafale B, le porte-hélicoptères amphibie Tonnerre (en route vers Beyrouth) ainsi que la frégate La Fayette, qui ont participé à un exercice avec la marine grecque dans le sud est de la mer Égée, précisément là où sont les navires turcs.

Le ministère français des armées a expliqué :

« [La] présence militaire [française] a pour but de renforcer l’appréciation autonome de la situation et d’affirmer l’attachement de la France à la libre circulation, à la sécurité de la navigation maritime en Méditerranée et au respect du droit international ».

Le ministre turc des Affaires étrangères Mevlüt Cavusoglu a réagi de manière virulente, en répondant que :

« La France, en particulier, devrait cesser de prendre des mesures qui accentuent les tensions. Ils n’obtiendront rien en se comportant comme des caïds ».

Il faut bien voir ici que la Turquie ne considère pas avoir une visée agressive. Elle n’a jamais reconnu les accords internationaux faisant de la zone en question un territoire grecque et considère être légitime.

Recep Tayyip Erdoğan présente ainsi les choses à la télévision turque :

« Revendiquer une souveraineté maritime en se servant de l’île de kasteloriso située à 2 kilomètres des côtes turcs ne peut s’expliquer rationnellement ou avec bon sens.

Vous savez à quelle distance se situe la Grèce ? 580 kilomètres ! J’invite à nouveau la Grèce à respecter les droits de la Turquie. »

Un accrochage avec un navire grec a déjà eu lieu jeudi 13 août et la Turquie en parle de manière ultra-offensive, menaçant de faire payer « au prix fort » toute attaque contre son navire de prospection l’Oruç Reis.

Pour la France, il y a bien sûr en jeu les intérêts du groupe Total, à qui entre autre la Grèce a promis des accès aux gisements gaziers de la mer Égée convoités par la Turquie. Mais cela n’est qu’un aspect de la situation, qui n’est pas simplement « géopolitique », mais concerne le capitalisme dans son fonctionnement même.

La France est une puissance en perdition qui s’enfonce économiquement, mais aussi socialement et culturellement. Pour compenser, elle s’imagine pouvoir peser militairement, en étant en quelque sorte le bras armé de l’Union européenne. C’est le principe du nationalisme pour qui la guerre est une voie de sortie à la crise, comme une étape obligée pour maintenir l’ordre capitaliste qui a besoin d’expansion.

Dans cette perspective, et alors qu’Emmanuel Macron met régulièrement sur la table la question d’une alliance militaire européenne, les tensions entre la Grèce et la Turquie sont considérées comme une occasion à ne pas manquer.

En arrière plan, il y a la question libyenne où le gouvernement officiellement reconnu par l’ONU est allié à la Turquie et reconnaît l’espace maritime revendiqué par la Turquie, alors que la France soutient ouvertement une fraction adverse.

Il y a aussi le Liban où la France aimerait profiter de la catastrophe de Beyrouth pour retrouver de son influence dans le cadre de sa politique arabe, alors que la Turquie accuse le président français de vouloir « rétablir l’ordre colonial ». Le président turc se voit pour sa part en leader du monde sunnite, avec une ligne ultra-réactionnaire s’appuyant directement sur le féodalisme pour servir son expansionnisme néo-ottoman.

On a là tous les ingrédients pour un embrasement guerrier très dangereux, que la Gauche doit absolument dénoncer et refuser. La pandémie de covid-19, qui n’en finit plus de commencer, nous montre à quel point l’humanité a une destinée commune ; les peuples du monde ont bien mieux à faire que perdre du temps, de l’énergie et des vies dans la guerre.

> Lire également : Vers la guerre: les tensions grandissantes entre la Grèce et la Turquie en méditerranéenne

La Gauche en France, en Grèce et en Turquie, doit se lier d’une puissante fraternité pour dénoncer ses gouvernements respectifs et les intérêts du capitalisme qui mènent à une escalade guerrière dévastatrice. Il faut de toute urgence construire le camp de la paix, en renouant avec l’internationalisme fondateur de la Gauche historique.

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Vers la guerre: les tensions grandissantes entre la Grèce et la Turquie en méditerranée

Cela fait plusieurs mois que la Grèce et la Turquie s’écharpent publiquement et violemment sur la question de leurs eaux territoriales, alors que des gisements gaziers ont été découverts. L’escorte d’un bateau de prospection turc par des navires militaires lundi 10 août 2020 a été vécue comme une véritable provocation par la Grèce, qui en retour déploie ses troupes avec l’appui militaire de la France.

Les relations entre la Grèce et la Turquie sont historiquement tendues, on le sait. La Grèce ayant gagné son indépendance en affrontant l’Empire ottoman, son identité comme État moderne repose sur la confrontation avec son voisin. Au début du siècle précédent, le génocide pontique (500 000 grecs massacrés par le régime turc en quête de pureté ethnique, dans la même logique que le génocide arménien) et les transferts de population dans les deux sens ont durablement marqué tant la Turquie que la Grèce.

Les deux pays ont en commun un nationalisme très fort, les uns rêvant de la « Grande idée » (une grande Grèce, étendant davantage son territoire), les autres rêvant, comme Recep Tayyip Erdogan, de reconstituer l’Empire ottoman.

La Grèce, c’est bien connu, est constituée d’un très grand nombre d’îles en mer Égée, et c’est là une autre sujet de tensions entre les deux pays. En effet, il y a un désaccord sur la propriété des eaux territoriales. Ces zones maritimes étant potentiellement riches en hydrocarbures, la Turquie entend y mener des activités de prospection minière, empiétant sur la zone officiellement attribuée à la Grèce. En 1987, Andreas Papandreou, premier ministre socialiste, avait momentanément retiré son pays de l’OTAN, dont la Turquie est également membre, dans le cadre d’une montée des tensions que l’on retrouve aujourd’hui. Son successeur, Constantin Simitis, avait lui aussi été confronté à cette même situation.

Aujourd’hui, parallèlement à la reconversion en mosquée de la basilique Sainte-Sophie, à Istanbul (perçue comme une nouvelle provocation islamo-ottomane par la Grèce et son Église orthodoxe puissante) c’est encore une fois à travers cette question des eaux territoriales et de la prospection minière que le conflit se fait sentir.

La Turquie a en effet délibérément provoqué Athènes en envoyant l’Oruç Reis, un navire d’exploration chargé de mener des études sismiques, dans une des zones que la Turquie revendique comme sienne. Le 11 août, le régime a augmenté la pression en annonçant qu’il allait accorder des permis d’exploration et de forage dans de nouvelles zones de la Méditerranée orientale d’ici la fin du mois. L’Oruç Reis était, quant à lui, à 83km à l’intérieur de la zone maritime grecque, escorté de sept frégates militaires. En réaction, le gouvernement grec a placé ses forces armées en état d’alerte et des unités de la marine et de l’armée de l’air ont été mobilisées dans cette zone.

La Grèce, bien évidemment, dénonce une attaque de sa souveraineté et une menace pour la paix. Le premier ministre de droite, Kyriakos Mitsotakis, demande un sommet d’urgence de l’Union européenne. La Commission européenne se dit très préoccupée et affiche son soutien à la Grèce et à Chypre (d’autant plus concernée par les agressions turques que l’île elle-même est en partie contrôlée par la Turquie), tandis que l’Otan (dont les deux pays font partie) appelle à la résolution des tensions dans le calme.

Tout ceci fait également suite aux deux accords signés par les deux États avec leurs alliés respectifs pour réaffirmer leurs droits maritimes. La Turquie a signé un accord avec la fraction libyenne qu’elle soutient (le gouvernement officiel) dans le conflit dans cette région dont elle espère tirer profit. La Grèce, pour sa part, a signé avec l’Égypte du maréchal Sissi. C’est dans cette recherche d’alliés que la Grèce se tourne naturellement vers l’Union européenne, et Emmanuel Macron a annoncé le renforcement de la présence militaire française en méditerranée orientale, envoyant sur place deux chasseurs Rafale et deux bâtiments de la marine nationale.

Une fois de plus, l’appât du profit (motivé ici par les récentes découvertes de vastes gisements gaziers en Méditerranée orientale) mène toute une région du monde au conflit armé dont on peut être certain que les populations locales pâtiront. On le voit également, le conflit ne concerne pas que la Grèce et la Turquie mais également Chypre et les alliés respectifs de ces pays, dont la France. La Turquie est particulièrement agressive et expansionniste ces dernières années, puisqu’on la retrouve directement ou indirectement en Syrie, Irak, Libye, Azerbaïdjan (cet État de plus en plus pro-turc a relancé les tensions avec l’Arménie voisine) mais également aux portes de l’Union européenne, où l’utilisation cynique des vagues de migrants constitue pour la Turquie un moyen de pression. On a également vu, dans Beyrouth dévastée, des manifestations appelant la Turquie à la rescousse, ses partisans faisant officiellement allégeance à Erdogan.

> Lire également : La Turquie célèbre le traité de Lausanne par une prière musulmane à la Hagia Sophia

Ce pays constitue donc la menace principale pour la paix, mais il ne faudrait pas pour autant s’imaginer que ses opposants soient des anges. La France, la Russie, l’Allemagne, les États-Unis, le Royaume-Uni, etc. : tous ces pays connaissent la même tendance à la guerre et au renforcement de leur impérialisme. C’est donc bien d’un mouvement pacifique international dont on a besoin d’urgence. Et cela commence en France, où il faut dénoncer les va-t-en-guerre qui sont déjà émoustillés à l’idée que la France affronte Erdogan.

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La Turquie célèbre le traité de Lausanne par une prière musulmane à la Hagia Sophia

Le 24 juillet 1923, le Traité de Lausanne scellait le sort de l’Empire ottoman, démantelé et donnant, pour l’Anatolie, la Turquie. Le 24 juillet 2020 le président turc a retransformé en mosquée le musée de la Hagia Sophia, une ancienne basilique devenu mosquée puis musée.

On parle beaucoup du régime « libéral », voir « démocratique » de la Turquie de Mustapha Kemal. Mais rien que son surnom, Atatürk, le « père des Turcs », en dit long sur un régime qui, en réalité, est né sur le sang des Arméniens de Turquie et dans l’oppression des Kurdes, avec en toile de fond une absence de réforme agraire. La Turquie a ainsi été « laïque » mais surtout un pays dominé en toile de fond par l’armée et entièrement vassalisé par les États-Unis qui en a fait une plaque tournante de l’OTAN.

La Gauche a été pourchassée, ses militants torturés, enlevés et tués, emprisonnés, alors que des coups d’État militaire nombreux venaient rétablir « l’ordre » le cas échéant. Le régime de Recep Tayyip Erdogan a ceci de différent qu’il est religieux, mais c’est un simple aléa historique. C’est que pour justifier l’expansionnisme turc, seule la référence à l’empire ottoman est valable.

Rappelons qu’historiquement cet empire a soumis les populations arabes pendant de longs siècles (ainsi que de nombreux peuples européens). Il a été un concurrent des puissances européennes, faisant deux fois le siège de Vienne. Les fameux croissants viennois sont une référence à la victoire sur l’envahisseur musulman, l’empire ottoman étant en effet le « califat », dont l’effondrement en 1918 a donné naissance à l’islamisme.

Et lorsque le Traité de Lausanne a été mis en place en 1923, le sultan l’a accepté, mais pas « Atatürk ». Recep Tayyip Erdogan est ainsi dans le prolongement d’un régime laïc pour qui toutes les langues du monde viennent du turc et autres fadaises ultra-nationalistes.

Recep Tayyip Erdogan va simplement plus loin qu’Atatürk, car la situation est différente. Lorsqu’Atatürk fait en 1934 un musée de la Hagia Sophia à Istanbul, il en avait besoin pour en faire un symbole d’unité nationale. La Hagia Sophia (soit Sainte Sophie ou Sagesse de Dieu) est une basilique du VIe siècle établi par l’Église catholique orthodoxe ; elle avait ensuite été transformée en mosquée à la chute de Constantinople en 1453.

En la « neutralisant », Atatürk appuyait une « modernité » étatique. En en refaisant une mosquée, Recep Tayyip Erdogan prolonge cette modernité jusqu’à l’expansionnisme. Fini de se tourner vers l’intérieur pour écraser les incessantes rébellions de la Gauche ou des nombreuses minorités, dont principalement les Kurdes. Désormais, la Turquie se tourne vers l’extérieur.

C’est pour cela qu’elle a appuyé l’État islamique, c’est pour cela qu’elle a mené une provocation extrêmement grave envers des bateaux de guerre français, alors qu’en même temps elle appuie les provocations azéries contre l’Arménie, où la tension est devenu extrême.

C’est pour cela aussi qu’elle a envoyé un navire de forage sur les côtes de Chypre, une manière de s’approprier un territoire marin, ce qui rend la Grèce folle de rage. D’ailleurs, alors que la Hagia Sophia redevenait une mosquée, toutes les cloches des églises grecques ont sonné. Le chef de l’Église en Grèce, l’ultra-réactionnaire archevêque Iéronymos, a qualifié la transformation « d’acte impie souillant » et a affirmé qu’«  aujourd’hui est un jour de deuil pour toute la chrétienté ».

On notera que le nom du navire de forage est « Fatih ». C’est le nom du quartier d’Istanbul où il y a la Hagia Sophia, car il englobe la partie historique de Constantinople, justement conquis par Mehmet le conquérant (soit en turc Mehmed Fatih).

Comme on le voit on est dans la symbolique à tous les niveaux, une symbolique outrancière, néo-féodale, qui va avec l’augmentation de 16 % cette année du budget de la Défense turque et l’augmentation de 335 % en dix ans de l’autorité des Affaires religieuses.

On va vers la guerre, à grande vitesse, et la Grèce n’attend que cela, car elle est également aux mains des militaires. Il faut se souvenir ici que le gouvernement de Gauche d’Aléxis Tsípras (du parti Syriza), qui a duré de 2015 à 2019, avait comme allié un petit parti nationaliste, symbole de la soumission à l’armée.

De toutes manières, tout le monde partout se prépare à la guerre : le capitalisme à bout de souffle implique des tentatives de sortie de crise par l’expansion. On a ici à l’horizon un affrontement gréco-turc, avec un soutien sans doute direct de la France et de la Russie à la Grèce. La politique de la canonnière est de retour.

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Politique

En plein confinement, la France expulsera-t-elle un opposant vers la Turquie?

La France a toujours pratiqué une politique très particulière envers les opposants au régime turc. Arrestations coup de poing, condamnations, le tout sans que la presse n’en parle jamais. D’où l’option, malgré le confinement, d’expulser un opposant vers la Turquie.

La Turquie connaît depuis les années 1960 des coups d’État, des interventions périodiques de l’armée et de la police à tous les niveaux de la société, jusqu’à des vagues de torture et de disparitions. Être de gauche implique donc une motivation très forte, tout un certain romantisme.

L’État français applique une ligne toujours très claire sur ce plan : une répression complète, systématiquement passée sous silence. Un aspect important historiquement est également la pression américaine et allemande, en raison des importants intérêts de ces pays en Turquie.

Sefik Sarikaya s’est donc confronté à une machinerie administrative et policière implacable. Parmi les nombreuses péripéties, on a une arrestation en 2008, une remise en liberté conditionnelle au bout de plus d’un an puis en procès en 2012 avec une condamnation à une peine de 8 ans au moyen du fameux « association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste ». Prenant la fuite et rattrapé en 2016, le voilà libéré ce 21 avril mais le juge l’a prévenu : il sera expulsé vers la Turquie.

Il va de soi que les opposants en France au régime turc, dont le Comité des libertés, sont vent debout, et avec raison. La France a une politique non seulement malsaine, mais même criminelle. Il faut bien comprendre qu’il s’agit là d’un monde parallèle. Sachant que l’opinion publique ne sera jamais au courant, que la Gauche ne parlera jamais des opposants au régime turc, les juges font ce qu’ils veulent, parfois avec des provocations incroyables.

C’est le règne de l’arbitraire, de l’association de malfaiteurs en veux-tu en voilà. C’est pratiquement une juridiction parallèle et cela depuis les années 1980 !

La question qui se pose n’est évidemment pas de savoir si les opposants sont, ou pas, coupables de ce dont on les accuse. On ne peut pas voir les choses ainsi, en effet. Ce qui compte, c’est la Turquie. Est-ce un pays démocratique ? Certainement pas. Partant de là, on ne peut pas juger les opposants au régime turc selon des critères franco-français… Et encore moins selon les critères de la défense des intérêts économiques capitalistes.

Il faudrait d’ailleurs une commission montée par la Gauche pour réétudier toute cette histoire de répression depuis le début des années 1980. Mais cela n’arrivera pas, bien sûr, car la Gauche gouvernementale a totalement accepté cette répression quand elle était au poste de commande. Elle a elle-même accepté le silence total à ce sujet.

C’est que, bien entendu, cela l’arrangeait également de ne pas poser des questions de fond sur la nature d’une régime politique, les principes de l’engagement, l’unité de la Gauche, la définition de la démocratie, le rapport aux luttes populaires, etc.

Et cette gauche gouvernementale, fuyant la vérité, s’est d’autant plus enlisée dans l’esprit gouvernemental, jusqu’à perdre entièrement tout contenu, même symbolique.

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Guerre

Vers la guerre: l’OTAN assume la Chine comme menace principale

Il y a eu la passe d’armes diplomatique extrêmement violente entre la France et la Turquie ces derniers jours, preuve d’une concurrence acharnée entre pays dans le repartage du monde. Mais en assumant de reconnaître ouvertement de la Chine comme menace principale, l’OTAN admet aux yeux de tous que le centre de la prochaine guerre mondiale sera l’affrontement sino-américain.

La France entend jouer sur tous les tableaux : celui de l’aventure individuelle, celui du moteur franco-allemand, celui de l’OTAN. C’est là propre à la mégalomanie du capitalisme français, qui existe depuis bien longtemps puisqu’elle a mené aux défaites en 1871 face à la Prusse, en 1940 face à l’Allemagne nazie, puis à l’effondrement de son immense empire colonial.

Grâce au gaullisme, elle a su se placer entre les deux blocs de la guerre froide, mais là il est difficile pour elle de jouer des épaules. En expliquant il y a peu que l’OTAN était en « mort cérébrale » à la suite de l’intervention turque en Syrie contre les forces kurdes, Emmanuel Macron a cherché à renforcer la ligne autonome de la France.

Hier, au sommet de l’OTAN à Londres, le secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg, parlant de la position d’Emmanuel Macron, en a donc profité pour rappeler à la France sa dimension réelle :

« C’est très insultant. Il y a un très haut niveau de chômage en France. La France ne va pas bien du tout économiquement. C’est une déclaration très dure quand vous avez de telles difficultés. Vous ne pouvez pas faire des commentaires comme ça. C’est très irrespectueux (…). Personne n’a plus besoin de l’OTAN que la France. Faire une déclaration comme celle-là est très dangereux. »

C’est une manière de rappeler à la France qu’elle n’a pas les moyens de sa mégalomanie, car ce sont les États-Unis qui sont la superpuissance disposant de l’hégémonie. Comme il n’y a pas de moteur franco-allemand puissant, la France ne peut pas se permettre de saborder sa position dans l’OTAN.

Tout à fait conscient de cette situation française, le président turc Recep Tayyip Erdogan avait adressé à Emmanuel Macron des propos violents :

« Fais d’abord examiner ta propre mort cérébrale. Ces déclarations ne siéent qu’à ceux dans ton genre qui sont en état de mort cérébrale. »

Des propos qui sidèrent, mais qui sont permis par la faiblesse française, comme d’ailleurs de toutes les puissances intermédiaires, y compris la Turquie qui reste d’ailleurs largement arriérée malgré son hypertrophie militariste. Car l’arrière-plan qui définit principalement les choses et qui détermine la tendance à la guerre, c’est l’hégémonie américaine et le besoin de la Chine d’exiger un repartage du monde.

Pour cette raison, le texte qui va être signé par les 29 membres de l’OTAN prévoit de reconnaître que l’influence grandissante de la politique chinoise forme tant des chances que des défis, à quoi il faut répondre en tant qu’alliance.

Le fait d’assumer de faire de la Chine la principale menace est un pas de plus vers la guerre. C’est une manière de dire : oui il peut y avoir des contradictions, comme entre la France et la Turquie, cela compte, cela joue, mais c’est secondaire et il ne faut pas perdre de vue l’essentiel.

Et plus ces contradictions secondaires vont se renforcer, plus cela va accentuer la cristallisation de l’affrontement sino-américain. Plus le capitalisme sombre dans la crise, plus cela s’accélérera.

La guerre, ce monstre engendré inévitablement par la concurrence, la compétition entre pays, détermine toujours plus cours des choses.

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Politique

L’échec de la mobilisation de soutien aux Kurdes de Syrie

Les rassemblements en soutien aux Kurdes de Syrie samedi 2 novembre 2019 n’ont réunis que très peu de monde. C’est un échec directement politique.

Rien n’y fait. Il a été parlé des Kurdes de Syrie de manière ininterrompue dans les médias, il y a même eu un appel en leur faveur de 44 rescapés du Bataclan. Emmanuel Macron et de très nombreux politiciens affirment les soutenir. Pratiquement toute la scène anarchiste se mobilise également en leur faveur, ainsi qu’une bonne partie de l’extrême-Gauche. Libération a d’ailleurs publié la tribune d’un Collectif des combattantes et combattants francophones du Rojava.

Et pourtant il n’y a eu au rassemblement de solidarité hier que quelques milliers de personnes à Paris, quelques centaines à Strasbourg. Même la ville allemande de Cologne n’a vu se rassembler qu’environ 2 000 personnes. Pareil pour Berlin et Bâle en Suisse.

Pourquoi ce paradoxe ? Tout simplement parce que la spontanéité n’existe pas. Il n’y a plus de Gauche organisée à une échelle de masses, alors si les anarchistes ont décidé de faire confiance au PKK et de voir en Abdullah Öcallan un théoricien du municipalisme libertaire, cela ne parle pas du tout aux gens en France. C’est aussi simple que cela.

Il y a pourtant environ 800 000 personnes relevant, au sens très large, de la communauté turque en France. Pourquoi ne se sont-ils pas mobilisées ? Là encore, la raison en est simple. La Gauche turque est très présente en France historiquement, mais le PKK a tout fait pour avoir l’hégémonie et l’asphyxier. Cela a très bien marché. Le résultat en est une hégémonie réactionnaire et une déliquescence de la Gauche turque.

La situation n’a donc strictement rien d’étonnant et c’est bien cela qui est dramatique. Les Kurdes de Syrie se retrouvent dans une situation intenable – et ceux qui leur ont vendu du rêve en s’imaginant que le « Rojava » allait dégommer les puissances turque et syrienne ont leur part de responsabilité. Il leur aurait suffi de regarder l’histoire des Kurdes pour comprendre comment ceux-ci ont toujours été trahis, utilisés comme forces supplétives pour les conflits, par exemple lors du génocide arménien.

Cela montre aussi la vanité des gens pensant qu’une « minorité agissante » peut changer le cours des choses. Les anarchistes français se sont appropriés le thème du « Rojava » pour exprimer leurs fantasmes et leurs illusions et ce ne sont pas eux qui vont en payer le prix. Qui y aura-t-il alors demain pour maintenir le drapeau des droits des Kurdes ?

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Guerre

Offensive turque en Syrie: en marche vers la guerre mondiale pour le repartage du monde

L’invasion d’une partie de la Syrie par la Turquie n’est pas qu’un exemple d’expansionnisme, mais bien une démonstration de la réalité du monde. On va vers une nouvelle guerre mondiale pour le repartage. On peut même dire qu’on est déjà engagé dans ce processus.

Le capitalisme en crise implique la crispation nationale, le repli stratégique et la conquête militariste. Les Kurdes de Syrie, en s’étant placé dans l’orbite américaine, en font les frais maintenant.

Les Kurdes vivent un nouveau drame, un de plus et pour ainsi dire traditionnel, puisqu’ils ont une énième fois été trahis. Ils ont espéré en Syrie avoir enfin trouvé une voie, avec le combat contre l’État islamique, en se plaçant sous le parapluie américain, qui a fourni des stocks d’armes et une couverture aérienne, alors que les Français envoyaient des cadres pour former les troupes.

Mais les Kurdes connaissent de nouveau la trahison, en étant abandonnés par leurs puissances tutélaires face à une opération de grande envergure de l’État turc. L’idée de celui-ci est officiellement d’instaurer une zone tampon. Seulement, quand on sait qu’elle doit faire 32 kilomètres de profondeur, il voit qu’il s’agit plutôt de former un protectorat, notamment au moyen de l’installation sur zone des 3,6 millions de réfugiés syriens en Turquie.

Les Kurdes de Syrie subissent donc le même sort que la Tchécoslovaquie en 1938 – à moins que les choses ne soient plus compliquées. Car les Kurdes ont eux-mêmes profité du dépeçage de la Syrie avec la guerre civile se développant et l’État islamique lançant également de son côté une offensive, justement avec le soutien de la Turquie.

Les forces kurdes de Syrie en ont profité pour établir leur pouvoir dans une vaste région – avec par ailleurs la grande majorité des zones pétrolières. Et ils ont entièrement assumé de passer sous contrôle américain, ainsi que français en partie.

On peut apprécier les Kurdes et espérer qu’ils trouvent un moyen pour s’en sortir, mais devenir les forces supplétives des États-Unis, par définition cela ne pouvait que mal tourner, dans un sens ou dans un autre. Et c’est ce qui se passe maintenant.

Le contre-argument rejetant cette critique aux États-Unis est que cela a permis de mener la lutte contre l’État islamique et même l’établissement d’un nouveau régime local, le « Rojava ».

Il s’agit d’un projet muncipaliste-fédéraliste des Kurdes en Syrie, qui est appuyé au niveau international par certains courants de la Gauche, en l’occurrence les marxistes-léninistes (surtout historiquement liés à l’Albanie), ainsi que les anarchistes, avec dans ce dernier cas également des Français partant là-bas pour s’impliquer dans le social, l’humanitaire ou le militaire.

Le souci est que ce projet est directement issu de l’arrestation en 1999 d’Abdullah Öcalan, le dirigeant du PKK. Abandonnant toute revendication indépendantiste, il avait prôné le confédéralisme multi-étatique des Kurdes à travers quatre États (Turquie, Syrie, Irak, Iran – les zones considérées étant définies comme le Kurdistan respectivement du Nord, de l’Ouest, du Sud et de l’Est).

Cela fait donc l’impasse totale sur la question de la démocratie en général dans les pays concernés. Les Kurdes de Syrie ont espéré que le choix américain permettrait de forcer le passage tout de même, mais dans le contexte explosif de bataille pour le repartage, c’était illusoire.

Aucune cause, fut-elle juste, ne peut échapper à l’exigence de démocratie pour les peuples et de rejet complet des interventions des grandes puissances.

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Guerre

Vers la guerre : la Turquie veut la bombe atomique

Recep Tayyip Erdoğan, le président turc, a affirmé que son pays devait rentrer en possession de l’arme atomique. C’est une contribution de plus au bal dramatique des fous furieux allant à la guerre, de Donald Trump à Vladimir Poutine, de Rodrigo Duterte à Boris Johnson, de Jair Bolsonaro à Xi Jinping.

« On ne veut pas être prisonnier de 780 000m². »

Tels avaient été les propos du président turc Recep Tayyip Erdoğan il y a trois ans. Cela a le mérite d’être clair quant aux ambitions expansionnistes de ce dirigeant visant ni plus ni moins qu’à rétablir l’Empire ottoman. Il remet d’ailleurs ouvertement en cause les traités de paix issus de la Première Guerre mondiale.

Lors d’un forum économique à Sivas, il vient d’en rajouter dans la logique militariste, en expliquant la chose suivante :

« Il y a plusieurs pays qui ont des missiles avec des têtes nucléaires, pas seulement un ou deux. Mais ils nous disent, qu’on ne peut pas en avoir. Cela, je ne l’accepte pas. »

Comme en plus l’entreprise russe Rosatom construit, au sud-ouest de la ville de Mersin, la première centrale atomique turque, on comprend rapidement que ce ne sont pas des menaces en l’air, mais une véritable perspective, très concrète.

La Turquie s’est en effet rapprochée de la Russie ces derniers temps, au point que les États-Unis ont retiré la Turquie du programme d’emploi des avions de chasse F-35. La Turquie a en effet acheté à la Russie un système de défense anti-aérienne dénommé S-400, qui fournira aussi des informations techniques à la Russie.

À l’arrière-plan, il y a le dépeçage de la Syrie, que la Turquie et la Russie gèrent de manière pratiquement principale, de manière concurrente mais parallèle.

Il faut bien saisir également qu’une telle affirmation est parfaite pour satisfaire le nationalisme turc, qui est aisément panturc et dont l’esprit expansionniste est particulièrement ambitieux, voire totalement démesuré.

Rien de tel qu’une bonne guerre ! La Turquie le sait, elle qui dispose d’une forte puissance avec ses plus de 600 000 soldats, ses 358 généraux et amiraux ( il y a 200 000 soldats en France, avec 376 généraux), mais aussi ses 200 000 gendarmes et une capacité d’intégration de plusieurs de centaines de milliers de soldats dans ses troupes par la mobilisation générale.

Il faut bien ça pour effacer la question kurde, tout comme celle des multiples minorités nationales dans le pays, sans parler de la question arménienne, celle du rapport à l’Irak dont une partie est déjà vassalisée, etc.

La tendance de fond est irrépressible et pour la Turquie, c’est une fuite en avant du même type que pour la Russie. En plus de l’instabilité culturelle et politique, l’économie, dont la base est relativement faible et instable, ne peut s’appuyer que sur une dynamique extrêmement agressive à l’extérieur et brutale à l’intérieur. Il en va de même pour le Brésil évidemment, mais aussi pour la Chine, dont le développement si rapide a provoqué des inégalités de développement dans tous les domaines.

D’où le fanatisme nationalise et le militarisme intérieur forcené, tout comme le renforcement des projets d’expansion.

Des pays comme la France et les États-Unis auront beau jeu ainsi d’accuser de tels pays, alors qu’eux-mêmes sont intéressés par la guerre, pour renforcer leur situation hégémonique. En fait, tout le monde a intérêt à un repartage du monde, soit pour s’affirmer, soit pour renforcer son affirmation.

La guerre se nourrit elle-même, comme expression du besoin d’hégémonie, de conquête, de renforcement des capitalismes !

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Culture

« Mon nom est Rouge » d’Orhan Pamuk (1998)

« Mon nom est Rouge » est ce qu’on appelle un roman policier, ou plutôt une enquête sur un crime, mais ce serait presque injuste de réduire ce livre à cela.

D’autant plus que le genre policier est souvent le cheval de Troie de la littérature vers une plus grande accessibilité, vers un public plus large. Nous connaissons tous quelqu’un dans notre entourage qui ne lit que des romans policiers, n’est-ce pas? Et Orhan Pamuk est un immense écrivain turc de notre époque, il est à Istanbul ce que Balzac était à Paris.

Hiver 1591 : un homme dénommé Le Noir, tout juste rentré de la guerre à l’est, retrouve son Istanbul natale sous la neige, et c’est une ville pleine de mélancolie et de poésie qu’il nous décrit :

« Parmi les quartiers et les rues où je me promenais dans ma jeunesse, certains se sont, avec les incendies, envolés en cendres et en fumée, laissant à leur place des terrains vagues calcinés où l’on croise des chiens, et des clochards illuminés qui font peur aux enfants. »

Intrigue : le cadavre d’un enlumineur de miniatures persanes a été retrouvé au fond d’un puits, et Le Noir doit enquêter pour le compte du sultan. Malheur à lui s’il échoue…

L’empire ottoman est en pleine expansion. Mais les peintres de miniatures persanes, dépositaires d’un art sacré et ancien, sentent le vent tourner : ils ont déjà pu observer les portraits peints à la manière occidentale rapportés par les marchands de Venise.

Certains ne cachent pas leur consternation à la vue de ces images profanes, mais d’autres sont intrigués, comme ce vieux peintre qui raconte dans ces pages arrachées au livre:

« Il s’agissait, avant toute chose, de l’image de quelqu’un, quelqu’un comme moi. Un Infidèle, évidemment, pas quelqu’un comme nous; et pourtant, en le regardant, je me sentais son semblable. Il ne me ressemblait pas du tout, au demeurant (…) et pourtant, devant ce tableau, je sentais mon cœur s’émouvoir comme si c’était moi (…).

Il avait fait représenter, dans ce tableau, tout ce qui lui était cher dans la vie ; sur la table, une montre, des livres, le temps, le mal, la vie… et enfin, à côté de son père, une jeune fille ravissante de beauté.

Quelle était donc l’histoire pour laquelle ce tableau avait été peint? En le contemplant, je compris qu’il racontait sa propre histoire. Ils appellent cela faire un Portrait. Ce n’était pas l’illustration, le prolongement ou l’ornement d’un récit, mais un objet pour lui-même.

Si l’on peignait ne serait-ce qu’une seule fois ton visage de cette manière, plus personne ne pourrait t’oublier. Et même ceux qui ne t’auraient pas connu de ton vivant auront le sentiment de ta présence, et d’être en face de toi, bien des années après ta mort. »

Nulle part ailleurs qu’à Istanbul à la fin du XVIème siècle (calendrier chrétien, oups) un « érudit » n’aurait pu se faire des réflexions pareilles. On sent vraiment le bouleversement de la nouveauté! Et une grande finesse d’observation.

Combien il est difficile pour nous, qui vivons à l’ère des auto-portraits instantanés, de s’imaginer le choc culturel qu’a du représenter la rencontre entre les héritiers de l’art persan et la peinture des maitres flamands et italiens de la Renaissance.

Et combien il a du être encore plus difficile d’en faire un roman policier… Mais cela fonctionne, et on est avide de comprendre pourquoi la contradiction des approches artistiques est un enjeu important au point de déboucher sur un meurtre, lui même suivi d’une enquête conduite par ordre du Sultan.

De nombreux personnages donnent chacun leur version des faits, pauvres, artistes, puissants, colporteuses, hommes et femmes, un peu comme dans Rashomon de Kurosawa.

Cela donne un roman riche et foisonnant comme on en fait peu, avec une réflexion de haute volée sur « le dialogue entre l’Orient et l’Occident », un thème qui est devenu un cliché à lui tout seul certes, mais qui est rarement aussi bien articulé que dans « Mon nom est Rouge ».

Et puis il y a un meurtre, une enquête, et bien sûr une histoire d’amour, obligé! Sinon ce ne serait pas un grand roman, on est bien d’accord.