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Réflexions

« La vie la pute »

Paris est un endroit parfois incontournable l’été, c’est après tout une grande ville pleine d’histoire, c’est aussi notre héritage fascinant, malgré toute la répulsion que l’on peut éprouver en pensant à quel point c’est désormais surtout la forteresse des nantis et d’une liste sans fin de prétendus intellectuels et artistes à leur service.

On regarde les rues en flânant et on se dit : quelle beauté, quel gâchis, quelle culture, quelle corruption, quel confort, les idées se chamboulent dans notre tête ! Et alors qu’on se dit que pour changer le pays, il faudra bien virer la moitié des Parisiens pour les remplacer par des gens du peuple, on peut, au détour d’une rue, être parfois frappé du fait que malgré les arrivages massifs de gens toujours plus aisés défigurant les rues, il reste des aspects populaires saisissants.

C’est par exemple une impression marquante, lors d’une simple ballade dans le centre, que de tomber début juillet sur la pittoresque manifestation hindoue consistant à tirer un grand char. Parmi les quelques centaines de personnes, surtout du Sri Lanka et façonnant de magasins et de restaurants une des rues longeant la gare du Nord, on retrouvait les Hare Krishna à l’origine de cette marche.

Il y a la recherche d’une joie qui ne peut laisser indifférent, quoiqu’on pense de tout ce folklore religieux et de son obscurantisme intellectuel. Ce n’est pas une vaine agitation, l’ambiance est colorée et pacifique, l’esprit vivifiant de l’Inde n’est pas loin et après tout, ne célèbre-t-on pas ici le végétarisme aussi ? Certains végans curieux, attentionnés et critiques, ne s’y trompent pas et on en trouve quelques uns, reconnaissables à leurs t-shirts témoignant de leur liaison avec la culture musicale du punk hardcore straight edge.

On trouvait d’ailleurs aussi quelqu’un à l’apparence pas forcément engageante, pour ne pas dire peut-être patibulaire sans vouloir l’offenser, avec un t-shirt des Cro-mags, ce groupe de musique lié à la culture Hare Krishna connu pour son album fondateur d’un certain hardcore agressif et abrasif propre à la ville de New York, The Age of Quarrel, en 1986. C’est la repentance suite à l’ultra-violence, comme l’a connu aussi « Petit Willy », un skin fameux pour sa brutalité fanatique dans les années 1980 à Paris avec le groupe nazi des « JNR » et qui vénère désormais en toute paix Krishna dans un monastère de Rouen.

Les cro-mags

La marche non forcée pour tirer le grand char finit par aboutir une centaine de mètres plus loin, place du Châtelet, où de nombreux stands étaient présents pour vendre diverses babioles alors qu’un rond et jovial animateur – coiffé et habillé comme Elvis Presley dans les années 1970 malgré une chaleur de plomb – mettait de l’ambiance pour annoncer de petits spectacles de danse et vanter le culte de Krishna.

Puis il y eut comme une apparition parmi ces gens formant, si l’on veut, un attroupement bigarré et connaissant malgré tout une certaine forme de communion. Il s’agit d’une femme, très clairement parisienne de par son style, avec cet air pincé que l’on sait. Ce qui était inscrit sur son t-shirt tranchait entièrement avec son environnement ; c’était une formule lapidaire, agressive comme savent en concocter les ambitieux cherchant à rendre à la mode leur production streetwear. On lisait ainsi, simplement mais avec une surprise dégoûtée, ce slogan allant droit au but : « La vie la pute ».

Cela relève de ces moments où toute l’absence de délicatesse de la vie en métropole nous prend à la gorge. Le cynisme s’affichant dans Paris est effrayant, effroyable, cependant là il n’a pas fait que se montrer, il s’est également présenté. Bonjour, je suis le fait de ne croire en rien, bonjour, je suis le fait de considérer mon petit moi comme unique et seul au monde, bonjour, je suis l’amertume.

Et cette présentation malsaine continuait inlassablement de se marteler après cette vision : bonjour, je suis l’âpreté, bonjour, je suis la rancœur, bonjour, je suis le ressentiment, bonjour, je suis le dépit, bonjour, je suis l’âcreté.

Et ce bonjour empoignait jusqu’à l’angoisse toute considération avant, heureusement, de s’en aller bien pensif de cet endroit.

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Écologie

Le « Calais Vegan Festival » annulé sous la pression réactionnaire

Le festival devait rassembler plusieurs centaines de visiteurs autour du mode de vie vegan (c’est-à-dire exempt de toute exploitation animale). Les visiteurs devaient, d’après le site internet de l’association, « découvrir des stands de nourriture, boissons, mode, décoration, hygiène, beauté, associations, etc. »

Les organisateurs ont dû annuler l’événement pour des raisons matérielles. Ils se sont purement trouvés privés de lieu. La mairie, propriétaire de la salle, a décidé d’en annuler la location.

La Mairie de Calais s’explique au travers d’un communiqué lapidaire. Elle dit avoir reçu des informations laissant penser que des troubles à l’ordre public étaient à craindre. C’est donc pour des raisons de sécurité qu’elle a décidé d’annuler l’évènement.

Elle précise, de manière assez maladroite, que la décision n’a rien à voir avec la nature du salon, c’est-à-dire avec le veganisme. Or, si la Mairie a reçu des menaces, c’est bien par rapport au thème du salon, c’est évidemment en raison du veganisme, sinon pourquoi ?

L’arrière-plan est d’ailleurs donné, sans filtre, par les perturbateurs eux-mêmes. Ainsi, le président du syndicat patronal des bouchers-charcutiers traiteurs du Nord endosse publiquement (ses propos sont repris par le journal Libération) la responsabilité des menaces en réaffirmant l’intention de « l’ensemble des acteurs autour de l’alimentation » d’aller « au contact » des vegans.

Les organisateurs comme les participants annoncés à l’événement (qui s’apparente plus à un salon professionnel qu’à un rassemblement d’activistes) rejettent quant à eux toute intention violente.

L’éditorialiste du journal local Nord Littoral avait, début juillet, annoncé la tenue du salon. Il rappelait le contexte tendu quelques jours après que les bouchers aient demandé la protection du Ministère de l’Intérieur suite à des dégradations volontaires de boutiques à Lille. Le journaliste en appelait naïvement au vivre-ensemble et concluait par une pirouette se voulant humoristique : « si vous n’êtes pas vegan, n’en faites pas un steak! »

A la lecture de ces lignes, le président de la fédération nationale des chasseurs avait réagi le jour-même avec virulence sur les réseaux sociaux. Il se positionnait sur le terrain politique de l’opposition au véganisme, lançant un appel du pied aux commerçants liés à la question animale.

La décision municipale ayant entraîné l’annulation du festival vegan est d’une portée bien supérieure à la simple gestion locale et la Maire de Calais est une élue habituée aux situations de violences ouvertes en pleine rue.

Face à cette menace de trouble à l’ordre public, l’État dispose des moyens nécessaires. La Ville de Calais pourrait s’en saisir. Or, tel n’est pas le cas. La Ville a donc fait un choix délibéré, celui de ne pas résister aux menaces et de ne pas assurer la sécurité du salon.

La Maire de Calais a cédé à la pression politique exercée par l’alliance des commerçants du secteur industriel utilisant des animaux et des chasseurs, qui esquisse un front de la réaction opposé à toute réflexion et intervention sur la question des animaux et de l’écologie.

Ils veulent par là maintenir un certain rapport aliénant aux campagnes et à la nature, afin de maintenir la chape de plomb de la France profonde sur les mentalités.

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Écologie

Nicolas Hulot éjecté du ministère par la France profonde

Nicolas Hulot a annoncé hier matin en direct sur France Inter sa démission du Ministère de la Transition écologique et solidaire, sans avoir prévenu personne auparavant à ce sujet.

C’était attendu, tellement tout le monde connaît les renoncements qui ont été les siens et qu’il avait du mal à vivre. Mais que cela se déroule également au lendemain d’une réunion au plus haut niveau avec les responsables de la chasse en France reflète de vraies tensions qui sont elles véritablement nouvelles.

La France profonde ne veut même pas entendre parler d’écologie et Nicolas Hulot a ainsi été obligé de s’autoéjecter.

Nicolas Hulot n’a prévenu personne de sa démission du poste de Ministre de la transition écologique et solidaire, avant de le faire à la radio. C’est une manière assez particulière de faire. Cependant, ce n’est pas une déclaration de guerre : il tresse des louanges à Emmanuel Macron d’une manière extrêmement forte, en affirmant son « admiration » pour lui et d’ailleurs également pour le Premier ministre.

Il va jusqu’à s’excuser de « faire une mauvaise manière », ce qui montre à quel point cette personne est torturée, tourmentée. Car Nicolas Hulot dresse un constat terrible de la situation écologique. La profondeur de l’échange entre les journalistes et Nicolas Hulot hier matin à la radio est ainsi immense.

« – Tout a été dit, tous les grands mots ont été employés, mais le film catastrophe est là sous nos yeux, on est en train d’y assister. Est-ce que vous pouvez m’expliquer pourquoi, rationnellement, ce n’est pas la mobilisation générale contre ces phénomènes et pour le climat ?

– J’aurai une réponse qui est très brève : non.

C’est impossible à expliquer ?

– Je ne comprends pas. Je ne comprends pas que nous assistions, globalement les uns et les autres à la gestation d’une tragédie bien annoncée, dans une forme d’indifférence (…).

On est dans ce paradoxe, au moment où je parle, où l’humanité a tous les outils technologiques pour faire un saut qualitatif, elle n’a pas encore perdu la main. Mais tout se joue dans les 10 ans qui viennent. Voilà. »

Nicolas Hulot va jusqu’à dire :

« On s’évertue à vouloir entretenir et réanimer un modèle économique marchand qui est la cause de tous ces désordres. »

Voilà donc quelqu’un qui, encore ministre d’État, officiellement numéro trois du gouvernement, explique que le capitalisme n’est pas compatible avec la résolution de la question écologique, avec la « transition » dont il était le responsable.

Tout en appréciant Emmanuel Macron et en ne remettant pas en cause le capitalisme. C’était intenable et cela continue de l’être même après la démission, dont le timing a été très particulier, motivé par la pression des chasseurs.

Nicolas Hulot a pris sa décision le lendemain d’une rencontre à l’Élysée sur la question de la chasse, avec un parti-pris  pour celle-ci, puisque des mesures facilitant l’accès à ce « loisir » ont été mises en place. Cela a été pour lui la goutte d’eau qui fait déborder le vase et il a expliqué à quel point il n’a pas supporté la présence de Nicolas Coste, le lobbyiste  de la Fédération nationale des chasseurs.

« On avait une réunion sur la chasse. J’ai découvert la présence d’un lobbyiste qui n’était pas invité à cette réunion. C’est symptomatique de la présence des lobbys dans les cercles du pouvoir. Il faut poser ce sujet sur la table parce que c’est un problème de démocratie. »

Emmanuel Macron est en effet  un fervent défenseur de la chasse et de ses valeurs réactionnaires. C’est là un obstacle fondamental à l’écologie et d’ailleurs les observateurs activistes remarquent que les chasseurs mènent une campagne générale afin d’apparaître dans l’opinion publique comme les vrais écologistes, visant à remplacer les associations écologistes notamment pour les soutiens financiers des mairies, des départements, des régions, de l’État.

Nicolas Hulot l’a bien constaté, mais a refusé l’affrontement, d’où sa démission, présentée comme une capitulation objectivement inévitable :

« Le Premier ministre, le Président de la République ont été pendant ces 14 mois, à mon égard, d’une affection, d’une loyauté et d’une fidélité absolue. Mais au quotidien, qui j’ai pour me défendre ?

Est-ce que j’ai une société structurée qui descend dans la rue pour défendre la biodiversité ? Est-ce que j’ai une formation politique ? Est-ce que j’ai une union-nationale sur un enjeu qui concerne l’avenir de l’humanité et de nos propres enfants ?

Est-ce que les grandes formations politiques et l’opposition sont capables à un moment ou un autre de se hisser au-dessus de la mêlée pour se rejoindre sur l’essentiel ? »

La réaction de Nicolas Hulot n’a surpris personne, elle apparaît trop comme logique. Le paradoxe est que cela n’aboutit pas à une affirmation plus prononcée en faveur de l’écologie. Les gens restent prisonniers d’une vie quotidienne entièrement façonnée par le capitalisme. Ils ne sont pas prêts à remettre en cause un « confort » qui n’est en réalité que le produit des besoins industriels et commerciaux.

Il suffit de voir comment la France est rétive au véganisme, comment les climato-sceptiques sont nombreux, comment la chasse est intouchable, comment la bétonnisation des sols est ininterrompu.

Nicolas Hulot l’a vu, mais comme il l’a dit, selon lui rien ne peut être fait sans consensus, consensus qu’il voit comme impossible à mettre en place. C’est à ce consensus que vise Jean-Luc Mélenchon, mais par le populisme.

A la Gauche de le réaliser, mais par la lutte des classes et la socialisation des moyens de production, par l’établissement de nouvelles normes culturelles.

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Politique

Benoît Hamon a-t-il raison d’employer le terme de « pauvrophobe »?

Benoît Hamon a pris la tête de la « fronde » à l’intérieur du Parti socialiste en fondant Génération-s et il a acquis une sympathie certaine chez les progressistes, car on voit bien qu’il cherche sincèrement à faire avancer les choses et les idées. C’est une figure active refusant la passivité et la résignation.

Malheureusement, son projet s’enlise toujours plus, car il vient à l’origine de la droite du Parti socialiste et ne parvient pas à revenir aux fondamentaux : il bascule toujours plus dans le camp de la modernité « posmoderne », « postindustrielle ». Dernier exemple en date : l’utilisation du concept de « pauvrophobe ».

Benoît Hamon est à la base un rocardien, c’est-à-dire un partisan de la « modernité » au sein du Parti socialiste. En ce sens, il préfigure Emmanuel Macron. Son parcours cependant en fait un être engagé et formé à l’école du Parti socialiste, avec ce réalisme froid et technocratique d’un côté, cette fibre sociale de l’autre.

Si l’on prend ainsi Benoît Hamon du côté des idées et de la tradition socialiste, ouvrière, on ne peut que se dire : ce type est une catastrophe. Si on le prend comme un bourgeois progressiste avec une grande fibre sociale et une vraie réflexion sur l’évolution catastrophique du monde, notamment sur le plan de l’écologie, ou encore du rapport aux animaux, on ne peut résolument pas le considérer comme un ennemi.

Les limites de l’horizon intellectuel de Benoît Hamon sont par là-même assez flagrantes. D’un côté, il parle de bourgeoisie… de l’autre, le concept de lutte des classes est pour lui insaisissable. Il ne peut pas dépasser intellectuellement et culturellement le capitalisme.

Ses propos dans une interview accordée au Journal du Dimanche reflètent de manière patente cette limite. Il n’y a pas d’exploitation, mais du « racisme social », pas de la misère provoquée par l’enrichissement toujours plus grands de la bourgeoisie, mais de la « pauvrophobie ».

Cela provoque un populisme anti-Macron à grands renforts de termes anglais censés montrer que le président de la République reflète un modèle « anglo-saxon » : winner, jetlag, ultra-bright, etc.

Emmanuel Macron prépare un plan antipauvreté. Un bon point pour lui ?

Macron, un plan antipauvreté ? Il est pauvrophobe. Il mène une guerre sociale aux gens « qui ne sont rien », comme il dit. Sa rentrée est placée sous le signe du racisme social : il veut punir les chômeurs en touchant au calcul de leurs indemnités. « Et en même temps », il a supprimé l’ISF et l’exit tax. Macron n’est pas le pragmatique ouvert qui prétendait rassembler largement pour réformer. C’est un vrai idéologue qui se méfie intrinsèquement du peuple. Où sont les résultats économiques du ruissellement ?

Il dit pourtant marcher sur deux jambes : libérer et protéger…

Il libère et protège surtout les siens, les winners. Le nouveau monde était une promesse intéressante, mais pas pour remplacer de vieux politiciens par des traders jetlagués qui infligent à ceux qui souffrent leur sourire ultra-bright. Nombre de citoyens espéraient une ère nouvelle de respect, je comprends leur déception face à ce mépris.

Il était inévitable que Benoît Hamon témoigne de cette limite à un moment donné, de par sa formation intellectuelle, ses goûts, sa nature sociale. Quelqu’un qui s’extasie devant l’art contemporain n’a, par définition, plus aucun lien avec la classe ouvrière.

Benoît Hamon est un modernisateur avec une fibre sociale-écologique, voilà pourquoi il tient finalement le même discours libéral sur les frontières qu’Emmanuel Macron, ainsi que sur l’Union Européenne, même si c’est pour revendiquer quant à lui « plus de social ».

Cela en fait quelqu’un d’assez intéressant, une fois qu’on a compris ces limites qui sont, très certainement, celle de la petite-bourgeoisie progressiste plus ou moins proche des centres-villes. Benoît Hamon est d’ailleurs très proche d’Europe Ecologie Les Verts, qui a la même base sociale. Leur unité semble d’ailleurs plus ou moins inéluctable.

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Politique

Aurélie Filipetti ou la trahison de la classe ouvrière

Grand espoir de la Gauche, Aurélie Filippetti abandonne la politique : aujourd’hui sort son roman « Les idéaux ». Ce qui est grave, c’est qu’elle pense avoir fait quelque chose, alors qu’elle n’a jamais été qu’un potentiel : sa vie jusqu’à présent n’a été qu’un parcours doré dans les plus hautes instances de l’État français, aux antipodes de la classe ouvrière.


Aurélie Filipetti est à l’origine une femme du peuple. Elle vient de la Moselle, son père était un mineur devenu maire PCF d’Audun-le-Tiche ; sa famille est issue de l’immigration antifasciste italienne fuyant le régime de Mussolini. Son grand-père résistant a d’ailleurs été arrêté par la Gestapo et est mort dans le camp de concentration de Bergen-Belsen, juste après la libération.

Elle en parle dans son roman de 2003 Les Derniers jours de la classe ouvrière, valorisant ses origines sociales tout en ayant un vécu l’en éloignant toujours davantage. Elle fait en effet des études au lycée préparatoire à Metz, pour aller à l’École normale supérieure de Fontenay-Saint-Cloud et devenir agrégé de lettres classiques, ce qui est une des formations les plus conservatrices et traditionnelles qui soit.

Juste après elle adhère aux Verts, qui est un parti typique des centre-villes, en 1999. Dès 2001 elle est membre du cabinet du ministre Verts Yves Cochet, qui s’occupe de l’environnement, ainsi que conseillère municipale dans l’ultra-chic cinquième arrondissement de Paris. En 2003, elle est membre du secrétariat exécutif et porte-parole des Verts-Paris, pour rejoindre du jour au lendemain, en 2006, l’équipe de campagne de Ségolène Royal qui se présente aux présidentielles de 2007.

Elle devient député de Moselle, porte-parole du courant de Ségolène Royal dans le Parti socialiste (« L’Espoir à gauche »), soutient François Hollande en 2011, rejoint son équipe de campagne, en devient le ministre de la culture et de la communication. C’est là un parcours classiquement opportuniste.


Aurélie Filipetti a pourtant une certaine aura à Gauche, en raison de son opposition à François Hollande : en 2014, elle refuse de participer au gouvernement de Manuel Valls et rejoint les députés dits « frondeurs ». Elle soutient dans la foulée Arnaud Montebourg aux primaires ouvertes lancées par le Parti socialiste, puis rejoint le vainqueur Benoît Hamon.

L’histoire s’arrête là ! Car dans la foulée, Aurélie Filipetti perd son mandat de député de la Moselle en 2017, ne recevant que 11,8 % des voix, ce qui est un échec complet pour quelqu’un revendiquant un ancrage historique social et culturel. Elle devient alors professeur à Sciences Po Paris, ce qui nous ramène dans la haute bourgeoisie, puis chroniqueuse pour l’émission On refait le monde de Marc-Olivier Fogiel sur RTL.


Preuve de cet ancrage dans la haute bourgeoisie et l’esprit bourgeois parisien, Aurélie Filipetti a accordé à l’occasion de la sortie de son roman une longue interview aux Inrockuptibles, une revue représentant pratiquement par essence la bourgeoisie parisienne friquée mais se voulant de gauche.

On y découvre que le roman est autobiographique, et qu’elle confond l’histoire de la Gauche avec son propre vécu. Elle n’hésite pas à assimiler sa propre individualité à la Gauche elle-même :

« C’est vrai que quelque chose s’est effondré. Depuis 2007, j’ai vécu dix ans dans le milieu parlementaire, et ça s’est joué là. Surtout ce qui s’est passé en 2017, où tout ce que représentait le socle du fonctionnement du monde politique traditionnel a tout à coup volé en éclats.

Ce n’est pas une révolution, car au fond on assiste au retour du même. Malgré tout, les partis se sont autodétruits de l’intérieur et très rapidement, très brutalement, sans que cela soit prévisible. Qu’est-ce qui fait qu’un monde qu’on croyait très solide disparaît aussi rapidement ?

Bref, j’ai vu l’effondrement d’un certain idéal, d’où le titre [de son roman sortant aujourd’hui]. Mon premier roman s’intitulait Les Derniers Jours de la classe ouvrière, celui-ci c’est un peu « Les Derniers Jours de la classe politique » (sourire).

J’ai vu l’effondrement des usines sidérurgiques de Lorraine, et plus tard, la gauche y a fermé les derniers fours alors que j’étais au gouvernement, ce qui est d’une terrible ironie pour moi. »

Aurélie Filipetti a tellement fait de son parcours un fétiche qu’elle ne conçoit pas que la Gauche a existé avant elle, que sa base est la classe ouvrière qui, d’ailleurs, selon elle, n’existe plus. Pour elle, la Gauche, ce sont des gens ayant fait de hautes études devant participer aux institutions dans un esprit social, sans se faire corrompre.

D’où ses vains reproches à François Hollande comme quoi il serait fasciné par la haute bourgeoisie, ou encore sa critique des grandes écoles permettant aux bourgeois d’intégrer l’appareil d’État. C’est à croire qu’Aurélie Filipetti ne sait pas que cela se passe ainsi depuis plus depuis la fin du 19e siècle et l’organisation moderne de l’État français !

Et quand l’interview se conclut par un appel à la libre-circulation des personnes, à un retour à l’esprit de la Révolution française, on ne peut que voir qu’Aurélie Filipetti a entièrement rompu avec la classe ouvrière.

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Politique

Discours d’Olivier Faure au séminaire d’été du Parti socialiste

Hier se concluait trois jours de séminaire pour la Fédération nationale des élus socialistes et républicains (FNESR), c’est-à-dire 300 élus du Parti socialiste. En voici le discours de clôture, prononcé par le député de Seine-et-Marne Olivier Faure, premier secrétaire.

On notera qu’Emmanuel Maurel n’était alors plus présent à La Rochelle : il s’est éclipsé pour aller à Marseille, à l’université d’été de la France insoumise. Il fondera d’ailleurs le 7 septembre un « club » de gauche, en présence de Jean-Luc Mélenchon.

Cher François que nous sommes si heureux de retrouver après l’épreuve de la maladie,

Chers amis chers camarades,

Il y a un an nous étions dans cette salle quelques semaines après une défaite historique. Nous étions là par amitié, par habitude, sans doute aussi pour nous rassurer en démontrant par notre présence à La Rochelle qu’il est des rites immuables.

Nous étions tellement sonnés que nous en avions même oublié de nous diviser… un an plus tard, à la lecture des journaux, je nous retrouve, vivants !

En 2017 nous avons été fracturés. Notre existence même était devenue incertaine. Aujourd’hui nous avons redressé la tête et nous sommes toujours là. Grâce à vous, les élus, nous sommes une force d’alternative, vous montrez chaque jour dans vos territoires qu’un autre chemin est possible, que nous n’avons pas perdu notre force créative.

En 2017, la recomposition a surtout créé la confusion. Après avoir dû voter pour un autre afin de faire barrage au Front National, notre identité était devenue floue. Depuis notre congrès, nous avons engagé notre renaissance. Parce que nous avons été sévèrement battus nous devons changer, produire une nouvelle synthèse, construire un nouveau projet, et d’abord changer nos comportements, prendre conscience que nous réussirons ou que nous disparaîtrons ensemble.

En 2017, certains s’interrogeaient sur notre positionnement, étions-nous dans l’opposition, dans l’opposition constructive, dans le dialogue exigeant, que sais-je encore ? Aujourd’hui, il est devenu clair pour les français que nous sommes dans l’opposition, dans une opposition résolue et déterminée, parce que le pouvoir s’est dévoilé dans ses actes et que son visage n’est pas celui de la gauche, pas celui du socialisme, pas celui de l’humanisme.

Il n’a rien de commun avec nos valeurs, nos idées, nos combats. En 2017, le nouveau Président devait mener une « révolution » et faire entrer la France dans un « nouveau monde ». Ce projet répondait à une demande et il a levé une espérance dans le pays. Mais cette espérance a été trahie. Le fait politique majeur de cette année c’est la trahison par le Président élu, des termes du contrat démocratique noué lors de la présidentielle. Elu pour faire barrage au populisme, il devait être un rempart. Il est devenu une passerelle : antiparlementarisme, défiance vis-à-vis des corps intermédiaires, pouvoir personnel, recul sur le droit d’asile…

Le président a trahi le candidat en abandonnant toute dimension progressiste. Un an après, ce qui devait être un OPNI a été clairement identifié. Le « nouveau monde » se révèle être un mélange de conformisme technocratique et de libéralisme a-démocratique. Rien ne l’y a contraint, ni crise économique, ni circonstances exceptionnelles, c’est son choix. Cette trahison nous donne une responsabilité et une légitimité. Le drapeau du progrès, le drapeau de la République sociale ne nous a pas été repris sur le champ de bataille.

Le rôle historique nous revient de nouveau.

Le progressisme est orphelin, les français ont besoin du retour d’une gauche qui agit, les français ont besoin de notre renaissance. Quel est notre message en cette rentrée :

– Avec les affaires Benalla et Kohler, le dernier masque est tombé, celui de l’exemplarité. Emmanuel Macron n’est pas seulement le Président des riches, il est aussi le Président d’un clan, prêt y compris à faire mentir l’Etat. Les Français l’ont élu en espérant que sa frénésie de pouvoir serait mise au service du pays, pas pour que son autorité serve son clan et son camp. Cette trahison du contrat passé avec les Français nous oblige.

– Un an après notre terrible défaite nous sommes là, notre renaissance est engagée, nous avons repris notre rang au sein des grandes forces d’opposition, et nous allons marteler nos propres propositions comme autant d’alternatives. Oui la gauche et les socialistes sont bien de retour !

Si nous avons retrouvé ce rôle c’est grâce à l’action conjointe des élus et du parti.

Ensemble nous avons organisé la résistance face aux réformes libérales. Votre action dans les territoires a été essentielle pour défendre les solidarités et soutenir le monde associatif. Ensemble nous avons porté haut les valeurs de la France, pour exiger par exemple l’accueil des réfugiés de l’Aquarius.

Et je salue avec vous le courage des positions prises par Martine Aubry à Lille, Carole Delga en Occitanie, Anne Hidalgo à Paris, Johanna Rolland à Nantes et tant d’autres, l’énumération serait trop longue.

Ensemble nous avons rendu toute sa noblesse à l’action du Parlement qui s’est dressé face à l’exécutif, au moment même où le président voulait l’affaiblir, pour réclamer la vérité dans l’affaire Benalla. Et les socialistes ont joué un rôle majeur dans ce combat et je voudrais vous demander de saluer nos députés qui autour de Valérie Rabault ont porté une motion de censure de gauche, et nos sénateurs qui autour de Patrick Kanner et de Jean-Pierre Sueur ont contribué à faire du Sénat la voix de l’exigence démocratique. Merci à tous pour ces combats. Nous n’en avons pas fini !

Certains continuent d’appeler à une inflexion sociale. Mais même l’écho ne leur répond plus. Depuis le discours solennel de Versailles chacun sait qu’il n’y aura aucun rééquilibrage. Ni demain. Ni jamais.

Le discours présidentiel n’est complexe que parce qu’il emprunte ses mots à la gauche – « Société de l’émancipation », « état providence du 21ème siècle » – pour mener une politique de droite !

Pour Emmanuel Macron, l’égalité se résume à l’égalité d’accès au marché. Chaque individu doit pouvoir y contribuer par ses talents. Ensuite c’est le marché qui sélectionne et récompense les mérites de chacun. Les inégalités de revenus ne sont plus un sujet. Seules comptent les « inégalités de destin ». Chacun doit avoir sa chance par la formation, mais ensuite chacun doit accepter le marché pour seul juge.

Le Macronisme est une société à responsabilité où l’Etat limite son intervention aux premiers âges de la vie. Pour Emmanuel Macron, la lutte contre les inégalités ne passe plus par la redistribution des richesses produites. Chacun est « responsable » de son destin, donc de son chômage, de sa pauvreté, de son statut, dès lors que l’Etat a garanti des conditions de départ équitables.

C’est la justification de la réforme de l’assurance chômage qui mettra chaque chômeur devant sa « responsabilité ». Le rôle de l’Etat se limite à fluidifier le marché et à assurer un filet minimal de sécurité pour éviter tout risque d’explosion sociale.

Le modèle Français n’est pas le sien. Il voit dans les décennies passées une suite d’échecs. La solidarité, la redistribution, la lutte contre les inégalités, ne sont pas son affaire. Pour Emmanuel Macron, la vision c’est le marché jusqu’au bout.

Pour nous depuis Jaurès, c’est « la République jusqu’au bout ».

Deux visions du monde. Deux regards sur l’Humanité. Pour nous, le Capital c’est l’Humain. Alors oui chers amis, chers camarades, cette rentrée va être celle d’une force d’opposition, déterminée, offensive. Et les combats vont être nombreux.

Budgétaire évidemment. Le président nous dit : « Pour partager le gâteau, il faut qu’il y ait un gâteau ». Mais sa politique fiscale a coupé les moteurs de la croissance. La consommation des ménages a chuté dès lors que le choix a été fait de leur faire payer à eux, les 45 à 50 milliards de cadeaux fiscaux faits à quelques-uns ! Et comment chacun pourrait-il disposer de sa juste part quand les outils de la répartition sont abandonnés? Les services publics, la fiscalité et même les politiques sociales !

Tout l’argumentaire présidentiel reposait sur un maître mot : l’efficacité. Mais elle est où l’efficacité quand la croissance est trois fois inférieure à celle que nous connaissions à la fin du quinquennat précédent ? Que la création nette d’emplois dans le secteur privé s’est réduite de moitié ? Que l’investissement des entreprises a lui-même baissé de 50% ?

Elle est où l’efficacité quand les dividendes atteignent des niveaux inédits mais qu’on renonce à les taxer au même niveau que le travail ? et que c’est sur les politiques sociales que l’on s’apprête à rogner parce qu’elles coûteraient « un pognon de dingue » !

J’ai eu honte qu’un président Français puisse dire à Versailles : « Quelle gloire peut-on tirer de politiques sociales qui ont condamné à la pauvreté un enfant sur cinq? »

Le macronisme est un syllogisme : les politiques sociales n’ont pas supprimé la pauvreté et bien supprimons les politiques sociales ! Et c’est dans le creux de l’été qu’a été adressée une directive sur l’organisation territoriale des services publics.

Et que dit-elle? Que l’efficacité, c’est une prime d’intéressement pour les préfets qui réduiront les services publics ! L’efficacité c’est – vous ne rêvez pas – de proposer aux serviteurs de l’Etat une prime pour affaiblir l’Etat ! L’efficacité c’est au contraire d’utiliser les marges de manœuvre pour renforcer nos services publics, donner les moyens aux médecins, aux infirmières, aux aides soignantes d’exercer leur métier dans les hôpitaux et les EHPAD…

L’efficacité c’est de lutter contre le pire des gâchis, le gaspillage humain ! L’efficacité c’est d’accompagner les familles qui ne s’en sortent plus, l’efficacité c’est de mettre les moyens pour que l’enseignement supérieur ne soit plus une loterie mais un tremplin pour tous nos étudiants, l’efficacité c’est d’aider les locataires à se loger plutôt que de raboter les APL, l’efficacité c’est de maintenir les emplois aidés dans les associations qui assurent le lien social et qui remettent le pied à l’étrier aux publics les plus éloignés de l’emploi…

Nous proposerons à nouveau à l’automne, comme nous l’avions fait dès 2017 avec Valérie Rabault, un contre-budget qui reviendra sur les cadeaux superflus aux super-riches pour au contraire ouvrir une nouvelle étape dans la lutte contre les inégalités et notamment les inégalités entre territoires. C’est aussi à la retraite que le gouvernement s’apprête à toucher. Le pire est à craindre. Dans une série de déclarations contradictoires, les pensions de réversion ont été supprimées, puis rétablies pour les seules femmes n’ayant pas travaillé, et le président lui-même s’est engagé à ne pas toucher aux pensions existantes mais sans garantie pour l’avenir…

Nous défendrons un système solidaire, par répartition, nous refuserons le basculement vers toute logique assurantielle. Nous défendrons la prise en considération de la pénibilité, les espérances de vie réduites. Nous refuserons toute logique qui conduirait à individualiser le rapport de chacun à sa retraite avec la volonté de casser toute possibilité de revendication collective. Le combat social et le combat économique vont de pair. Face à la loi PACTE, nous proposerons de nouvelles règles de gouvernance des entreprises.

Dans les conseils d’administration le travail doit être reconnu à parité avec le capital. La stratégie des entreprises ne peut plus dépendre de la seule volonté d’actionnaires qui sont le plus souvent totalement étrangers à la vie des sociétés et qui cherchent simplement une rentabilité.

Nous voulons la codétermination pour que soit respectée une vision qui replace le travail, les travailleurs au cœur de la décision. Notre combat sera aussi environnemental. Tout nous alerte et la France devrait donner la priorité à l’économie circulaire, décarbonée, adresser des signes clairs au marché en mettant Ie paquet sur les énergies renouvelables, faire le choix du ferroviaire, respecter sa parole sur le réchauffement climatique, lier enjeux environnementaux et enjeux sanitaires.

C’est une vraie révolution des modes de production qu’il faut atteindre. Impliquant une transition vers l’agro écologie. Garantissant une alimentation de qualité, dans le respect de la planète et un niveau de vie digne à nos agriculteurs qui luttent contre la concurrence à bas coût. Au lieu de quoi : Le gouvernement se félicite d’une condamnation de Monsanto mais renonce à ses propres engagements sur le glyphosate et rejette notre proposition d’indemniser ses victimes?

Le gouvernement entend faire une planète «great again » mais autorise Total à importer 300 000 tonnes par an d’huile de palme. Le gouvernement nous parle de développement durable mais repousse à plus tard le rééquilibrage du mix énergétique. Le gouvernement tire des larmes de crocodile le « jour du dépassement » parce que la planète a déjà consommé ses ressources de l’année, mais met en œuvre par anticipation le traité de libre-échange CETA…

C’est ce même gouvernement qui vient de refuser notre proposition de placer au rang de principe constitutionnel la défense des biens communs face aux multinationales ! Le combat sera aussi institutionnel. Je préfère dire démocratique. Nos institutions doivent évoluer. Mais pas comme le pouvoir actuel nous le suggère en concentrant davantage de prérogatives dans les mains d’un seul et en affaiblissant le Parlement.

Avec Emmanuel Macron, la démocratie se cantonne à la désignation des gouvernants. Les syndicats, les associations, les ONG, les élus locaux et nationaux, les citoyens, tous ceux qui peuvent apparaître comme une force alternative, un contre-pouvoir, sont tenus en lisière. Ce n’est pas notre conception de la République. La République ce n’est pas l’Empire. La souveraineté populaire ce n’est pas le règne d’un seul.

Nous croyons à la confrontation, au dialogue, à la participation. Nous voulons faire de chaque Français, non pas un sujet, pas davantage un simple consommateur, mais un citoyen. L’objectif ce n’est pas l’Olympe pour quelques-uns mais l’agora où chacun prend part à la définition des choix collectifs. Obliger annuellement le gouvernement à solliciter la confiance du Parlement sur son programme, ouvrir un droit d’amendement citoyen, limiter les outils du parlementarisme rationalisé, définir les principes de rangs constitutionnels qui nous permettent de protéger les biens communs, il y a là de quoi faire avancer la démocratie !

Le combat portera également sur les politiques migratoires. Combien faudra-t-il encore d’Aquarius pour que cessent ces trocs ponctuels ? Le temps est venu pour que la France tienne un discours de vérité sur ces mouvements de population qui ne visent pas principalement l’Europe. Nous sommes très loin de toute submersion. Mais nous devons prendre notre part. C’est-à-dire remettre à plat les accords de Dublin qui font peser principalement sur quelques pays l’accueil des réfugiés. Ouvrir une liste de ports et éviter ces images désastreuses de pays qui se renvoient les navires. Décider ensemble d’une répartition équitable entre Etats membres.

Bien sûr, nous devons établir une distinction entre réfugiés relevant du droit d’asile et migrants économiques, mais cette distinction ne peut tenir qu’à la condition de renforcer l’aide au développement et de mener une lutte efficace contre le réchauffement climatique. C’est cette approche globale qui manque cruellement et qui fait le jeu de ceux qui utilisent le désordre actuel pour proposer un ordre qui contredit nos valeurs et nos principes.

Puisque le gouvernement semble incapable de s’emparer de ces enjeux dans la fidélité aux valeurs de la République c’est à nous d’agir, à nous la gauche, à vous, les élus de la République française. J’ai déjà eu l’occasion au début de mon intervention de saluer les actions emblématiques de grandes métropoles, je connais aussi les solidarités du quotidien qui se manifestent dans tant de villes et de communes. Puisqu’il revient aux collectivités, et d’abord aux villes, d’assumer des responsabilités que l’Etat ne prend pas, faisons-le tous ensemble, solidaires, avec les autres élus de gauche.

Je propose aujourd’hui qu’à l’initiative du Parti Socialiste et de la FNESER, nous proposions à tous les élus de gauche, et plus largement à tous les élus humanistes et progressistes, un engagement commun pour l’accueil et l’accompagnement des réfugiés. Il permettra de répartir l’effort d’accueil et d’organiser à l’initiative des territoires, la solidarité nationale, que l’Etat a abdiqué.

Notre agenda politique ne se limite pas à cette rentrée politique en France. Notre agenda il a été fixé par le congrès du Parti Socialiste : engager et accélérer la renaissance, lancer et conduire nos chantiers pour demain disposer d’un nouveau projet, transformer notre parti en lui donnant de nouveaux statuts et une nouvelle vie collective, ouvrir les portes et les fenêtres, redevenir le parti de l’espérance, le parti face à la montée des populismes et des nouvelles inégalités, le parti d’un nouveau projet humaniste et de progrès partagé.

Ce chemin de la renaissance a largement rassemblé les militants et les élus lors de notre congrès. De nouvelles équipes se sont constituées, de nouveaux visages sont apparus. De nouvelles actions sont engagées, notre plate-forme « la ruche socialiste » a été ouverte. Cette démarche de renaissance est ouverte à tous, je dialogue avec les responsables des autres sensibilités et mon rôle est de nous faire, de vous faire, tous travailler ensemble.

Ce n’est pas toujours le plus facile, je suis patient, parfois trop, on me le reproche, mais je sais où je vais. Avec la nouvelle direction nous avons un mandat pour trois ans, et notre programme d’action a été adopté par le Conseil national il y a 3 mois.

Nous avons à l’issue de ces trois ans, trois objectifs clairs : retrouver une crédibilité collective, reconstruire un projet d’alternative pour le pays, redevenir le principal parti de gauche à l’issue du cycle électoral des élections territoriales. Avec cette équipe, avec vous, je suis sur ce chemin, notre chemin. Mon agenda ne sera ni celui des médias ni celui des grognons, ce sera l’agenda fixé par les militants du Parti Socialiste.

J’aurai l’occasion de revenir sur l’ensemble de ces chantiers de la renaissance lors de l’inauguration de notre nouveau siège, à Ivry. Ce rendez-vous sera une fête, une étape de la renaissance, et un moment fort de travail et de réflexion collective avec une université des militants qui se tiendra tout au long des week-ends qui suivront notre installation.

Le cycle d’Epinay est terminé, l’époque Solférino, dont nous sommes fiers, avec ses grands moments est derrière nous. Dans ce nouveau lieu nous allons inventer ensemble un nouveau parti socialiste, nous allons engager une nouvelle histoire collective. L’agenda de la renaissance, ce sera aussi mener à bien notre travail sur le bilan de nos années de pouvoir. J’ai reçu mandat des militants pour mener ce travail et il sera publié en novembre conjointement au travail de la fondation Jean Jaurès.

Ce bilan est un bilan collectif, c’est le bilan de nos années de pouvoir, il plonge ses racines dans une histoire plus longue et s’inscrit dans le contexte de crise du socialisme et de la sociale-démocratie en Europe. Et après une élection où aucun candidat de gauche ne figurait au second tour de l’élection présidentielle.

Sans bilan sincère qui croira que nous avons compris les raisons de notre défaite ? Sans bilan sincère il n’est pas de renaissance possible. François Hollande a – légitimement – sa lecture des cinq années écoulées. C’est sa contribution à l’inventaire. Je n’en partage pas tous les termes. Je crois nécessaire la réhabilitation de notre bilan, de rappeler le contexte national, européen, international, d’en finir avec une certaine forme d’anachronisme, mais je crois aussi nécessaire la reconnaissance de nos erreurs et de nos manques.

Quoi que l’on puisse penser de la campagne du candidat désigné par nos primaires, le séisme a atteint une telle magnitude que rien ne serait pire que de considérer qu’il s’agissait d’un simple accident de parcours. Dans l’interprétation de notre défaite, il y a matière à un débat posé, sans caricatures et sans œillères.

Si nous savons le conduire sans postures, il nous vaudra l’estime de tous. Évitons nous les faux débats. François Hollande est à la fois celui qui nous a conduit à la victoire en 2012, et un acteur de notre présent ; Il joue un rôle important dans le dévoilement de l’imposture macroniste, il contribue au réveil du peuple de gauche, et cette contribution est précieuse.

Il a choisi de redevenir un militant du Parti socialiste. Le compter aujourd’hui dans nos rangs doit être pour nous tous une fierté. Mais le plus sage est de ne pas chercher à l’instrumentaliser pour exister. Je le sais trop averti et trop fin, pour ne rien exclure mais aussi pour ne rien préjuger. Et mon devoir comme chef de parti, notre devoir comme militants socialistes, c’est de nous poser la question de notre renaissance indépendamment de celle ou celui qui nous représentera le moment venu.

Dans cet agenda de la renaissance figurent aussi les élections européennes. Mi-septembre, sur la base du travail conduit par Christine Revault d’Alonnes, Emmanuel Maurel, Clotilde Walter et Boris Vallaud, le bureau national arrêtera le texte qui sera ensuite débattu dans nos fédérations et soumis au vote des militants et des sympathisants sur notre plate-forme. Le 13 octobre nous aurons notre projet. Le 7 et le 8 décembre le PSE adoptera notre plate-forme européenne.

Et au cours de cette période nous choisirons une tête de liste et une liste. Avant la fin du mois de septembre le bureau national en proposera les modalités d’élaboration au Conseil National qui se tiendra le 13 octobre. Les élections européennes auront lieu le 26 mai 2019 dans 9 mois. Les français se moquent aujourd’hui se savoir qui seront les têtes de listes des grandes formations politiques et la majorité d’entre elles n’en ont d’ailleurs pas.

Par contre ils veulent savoir comment l’Europe peut servir à la construction de l’avenir dans un monde menaçant, marqué par de profonds bouleversements, par la toute-puissance des nouveaux monopoles du numérique et par la brutalité des effets du changement climatique. Et c’est d’abord cela qui doit nous intéresser.

Cette étape sera difficile. Emmanuel Macron va chercher à résumer cette échéance à un débat entre « pro » et « anti » européens. Soit très exactement ce qu’attendent les nationalistes, les populistes, trop heureux de se poser comme seule alternative à la politique libérale de l’Union.

Si la construction européenne est une pensée unique alors la voie du chaos devient une option. Le choix que nous devons ouvrir à nos concitoyens, ce n’est pas pour ou contre l’Union européenne, mais la possibilité de construire l’Europe autrement. Souhaitons-nous une Europe qui dérégule nos sociétés ou qui en renforce les protections ? Qui protège nos droits, ou qui en réduise la portée ?

Nous, nous voulons une Europe qui défend ses valeurs et aussi ses intérêts dans le monde de Trump, de Poutine, d’Erdogan, où le rapport de force prévaut sur le multilatéralisme, où le réveil des empires, des nationalismes, des césarismes, ne peut se faire qu’au prix de l’endormissement des démocraties .

Etouffer ce débat, c’est nourrir la défiance envers l’Europe et dérouler un tapis rouge à Salvini, Le Pen et leurs amis. Face aux populistes, face à la droite libérale, l’Europe a besoin de l’affirmation d’une gauche socialiste et sociale-démocrate, écologiste et progressiste. Il ne sera pas possible de la réunir au sein d’une seule liste, le mode de scrutin et la situation politique le rendent illusoire, on peut le regretter, mais cette réalité s’impose.

Pour autant la gauche européenne, et donc la gauche française, doit montrer qu’elle peut se donner des combats communs si elle veut voir se lever une espérance de changement. Ce que nous avons fait en juillet sur la question démocratique, nous devons pouvoir le reproduire sur des sujets d’intérêt général. J’ai il y a quelques minutes évoqué l’initiative que nous devons prendre sur l’accueil des réfugiés.

Je veux donner deux autres exemples :

Sur le glyphosate, nous avons été les premiers à demander une commission d’enquête au Parlement européen et c’est aujourd’hui notre camarade Eric Andrieu dont je salue la persévérance et l’obstination, qui la préside aujourd’hui. Nous pourrions chercher à en tirer gloire pour nous-mêmes. Ce n’est pas notre état d’esprit. Sur un sujet comme celui-là qui engage la santé de nos concitoyens, je propose que nous unissions nos voix et nos forces pour obtenir du gouvernement qu’il suspende l’autorisation des produits à base de glyphosate afin de protéger les femmes enceinte, les nourrissons, les 68 millions de consommateurs français.

Je suggère un second combat commun, faire de l’égalité entre femmes et hommes en Europe un combat emblématique de toute la gauche. Je lance aujourd’hui un appel aux forces politiques et syndicales progressistes pour avancer dans cette bataille essentielle. Commençons par les avancées sociales de la directive « work life balance » auxquelles s’oppose Emmanuel Macron. Cette directive garantit pour l’ensemble des européens, des droits nouveaux sur le congé de paternité, le congé parental et le congé des aidants.

Continuons par un droit à l’IVG universel en Europe déjà voté par le Parlement européen mais bloqué par le Conseil, ce combat porté par le mouvement féministe et mis en avant récemment par Julien Dray. Voilà le visage de l’Europe à laquelle nous croyons. Celle qui harmonise de nouveaux droits, qui favorise l’Egalité entre les femmes et les hommes et permet de préserver la vie privée. Je proposerai dans les prochains jours une initiative ouverte à l’ensemble de ces forces de gauche afin de mener campagne et obtenir que le Gouvernement d’Edouard Philippe revienne sur sa position.

L’Europe sociale n’est pas un mythe mais un combat à mener. Je ne peux achever mon propos sans évoquer les élections municipales, et plus largement la préparation des élections locales de 2020 et 2021. Je l’ai souvent dit il y a un Parti socialiste malade, rue de Solférino et un autre qui continue d’aligner les succès dans les élections partielles.

Et pas seulement en Haute Garonne ! Ce parti c’est celui des territoires. Ceux où l’innovation continue d’être la règle. Et je salue le travail des 14 départements qui sous la direction de Jean-Luc Gleize président du département de la Gironde, expérimente le revenu de base.

Connaître le réel, le comprendre, chercher à l’améliorer, elle est là notre marque de fabrique. Et c’est pour cela que l’échéance probatoire de notre renaissance sera d’abord celle des municipales. Notre message doit être clair, il s’agit de lancer par les territoires un mouvement de renaissance de la gauche, il s’agit de faire de chaque territoire un laboratoire de l’alternative, il s’agit d’inventer de nouvelles solidarités, de nouveaux services publics, d’accélérer la transition écologique, de donner un nouvel élan à l’émancipation par la culture et l’éducation.

Oui il s’agit d’inventer l’avenir dans les territoires, de s’appuyer sur cette réserve inépuisable d’engagement citoyen et de créativité, de nourrir notre renaissance par notre action locale. Une renaissance dans l’action, une renaissance par la preuve. Qu’est-ce qui est le plus crédible, les déclarations d’intention ou de dire que Dijon est une ville zéro pesticides depuis un mandat ? Il ne s’agira pas seulement de faire gagner le Parti Socialiste, il s’agira de faire gagner la gauche, une gauche citoyenne, une coalition des progressistes.

Parce que nous sommes la première force locale à gauche, il nous revient d’engager ce mouvement et de faire des territoires aussi les creusets d’une renaissance citoyenne. Ce rendez-vous des élections municipales de 2020 est capital. C’est pourquoi il doit se préparer dès maintenant. Nous devrons prendre en compte chaque réalité locale, notamment pour les calendriers de désignations, et respecter l’autonomie de nos premiers secrétaires fédéraux et élus qui connaissent leur terrain.

Mais nous devons aussi construire une démarche collective, construire une cohérence politique, partager des lignes forces qui donnent corps à la construction d’une alternative dans nos villes. Je vous propose donc d’élaborer ensemble une charte commune à nos candidats et à ceux qui solliciteront notre soutien. Le parti jouera son rôle, Sarah Proust est notre secrétaire nationale à la reconquête des territoires épaulée par Pierre Jouvet et Sébastien Vincini qui animent le réseau des fédérations.

Mais c’est d’abord à vous, les élus, de vous impliquer pour construire cette charte. J’ai donc demandé à André Laignel, 1er vice-président de l’AMF, et à Sarah Proust de prendre tous les contacts, en lien étroit avec François Rebsamen, pour constituer le collectif d’élus qui pilotera l’élaboration de cette charte. Le parti dégagera des moyens et offrira un véritable service d’appuis aux candidat-e-s en partenariat avec les fédérations.

Et dans un an, à La Rochelle, nous aurons à nouveau une université de tous les militants. Et c’est ici que nous lancerons notre campagne des municipales ! Chers camarades, En politique rien n’est jamais définitif. Il n’y a pas de victoires définitives. C’est ce que les sociaux démocrates avaient fini par oublier. Nous étions persuadés que nos concitoyens n’accepteraient jamais de revenir sur les droits acquis. Que la marche vers le progrès humain était irréversible sur notre continent.

Nous avions pensé que le débat se limiterait à la nécessaire contagion de notre modèle audelà de nos frontières. Et nous n’avons pas vu venir d’autres fractures. Nous n’avons pas vu que nos lignes s’étiraient sur notre droite, sur notre gauche et que bientôt nous serions transpercés. Nous avons perdu le goût de la conquête. Nous nous sommes repliés sur nous-mêmes.

Nous avons préféré les batailles d’appareil aux guerres culturelles, les complots aux combats, les intrigues à l’Histoire. Et nous sommes entrés dans le temps de la défaite. Mais il n’y a pas de défaites définitives non plus. La politique c’est le rocher de Sisyphe. Chaque fois que nous saurons répondre à ces deux impératifs humains que sont le besoin d’être ensemble et d’écrire un avenir pour tous, notre rocher culminera. Chaque fois que nous nous écarterons des Français par de vaines querelles, notre rocher dévalera la pente. C’est ce que j’ai appris de nos victoires et compris de nos défaites.

Tirer les leçons, refuser la résignation, surprendre à nouveau, c’est maintenant notre feuille de route. Nous renouveler dans la fidélité à celles et ceux qui nous ont précédé, c’est maintenant notre devoir. Rien n’a jamais été donné à la gauche. Ce qui a été gagné a été conquis.

Nos ainés avaient le courage de ceux qui mènent le combat juste. Ils savaient qu’ils portaient quelque chose en eux qui ne peut être vaincu. C’est cette force-là, celle des valeurs que l’on défend sans complexe, des causes communes que l’on porte sans chercher à en tirer un bénéfice personnel, qui a donné le goût à des millions de femmes et d’hommes de consacrer leur vie à la gauche. Cette force-là elle est irrésistible !

Vive la gauche, vive la République et vive la France!

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Politique

La lettre de Georges Marchais suite à l’expulsion des maliens du foyer de Vitry

Dans l’Humanité du 7 janvier 1981, le secrétaire général du Parti communiste français George Marchais publiait une lettre ouverte qui fera grand bruit et qui est encore régulièrement citée à notre époque. Il y parlait d’immigration, la présentant sous un regard particulièrement critique.

C’est un exemple montrant comment le PCF a changé depuis, s’éloignant toujours plus de sa base ouvrière. Aujourd’hui, il a adopté la même position que l’Église catholique ou que les anarchistes au sujet des migrations.

En 1980, cela n’était bien sûr pas le cas. C’est que, malgré sa perspective nouvelle allant dans le sens de la soumission à François Mitterrand pour le « leadership » à Gauche, le PCF possédait encore une base ouvrière très forte. Il avait de nombreux liens avec la tradition historique du mouvement ouvrier, l’empêchant de se précipiter dans l’acceptation des phénomènes propres au capitalisme.

La lettre ouverte de George Marchais était une réponse au Recteur de la Mosquée de Paris, qui accusait, avec d’autres, le PCF de racisme.

Cela faisait suite à la fameuse expulsion de Maliens d’un foyer de Vitry-sur-Seine, en banlieue parisienne, deux semaines plus tôt. Il était évident à l’époque que la bourgeoisie manœuvrait pour concentrer un nombre important d’immigrés dans les quartiers ouvriers. Les municipalités communistes étaient particulièrement ciblées et entendaient ne pas se laisser faire.

Dans ce contexte, l’installation en catimini des Maliens au moment des fêtes de Noël avait été vécu comme une provocation insupportable. Ce qui s’était passé est simple : des militants communistes de la ville sont aller déloger de manière virulente les migrants, en leur expliquant qu’ils ne pouvaient pas décemment occuper un lieu qui ne leur était pas destiné.

Car, et cela a son importance, ces derniers venaient de Saint-Maur, qui était du point de vue des ouvriers de Vitry, une ville bourgeoise qui se débarrassait de « ses » Maliens. George Marchais expliqua ensuite dans sa lettre ouverte que le foyer de Vitry était en rénovation et que le mairie le destinait à des travailleurs français.

Le journal communiste local Le Travailleur présentait les choses ainsi :

« Les manifestants étaient là non seulement pour crier leur colère, mais pour mettre devant leurs responsabilités le préfet et le maire de Saint-Maur. Ainsi, avec un bulldozer, ils condamnèrent les grilles du foyer, qui n’auraient jamais dû être ouvertes ; l’eau, le gaz, l’électricité furent coupés… Guy Poussy, notamment, s’est adressé à eux (les Maliens), malgré l’hostilité violente du chef de tribu, pour les appeler à faire preuve de dignité : ‘Vous ne pouvez accepter de prendre des logements qui étaient réservés à de jeunes travailleurs français. Vous êtes de Saint-Maur. Vous devez donc agir avec nous pour être relogés à Saint-Maur. Vous n’avez pas d’autre choix’. »

La manipulation des autorités était donc grossière, et visait directement à diviser le peuple par le racisme, tout en utilisant les migrants pour affaiblir la classe ouvrière française.

Quarante ans après, il est évident que cela a en grande partie fonctionné. La fameuse banlieue rouge ceinturant Paris a été cassé. Il en est de même pour beaucoup de villes françaises où les cités HLM sorties de terre étaient ou étaient en train de devenir des bastions de la classe ouvrière.

Le Parti communiste ne faisait que se défendre, il avait bien vu que la bourgeoisie fabriquait sciemment des ghettos et que les traditions de la classe ouvrière étaient visées.

Cela a en grande partie contribué à l’effondrement du PCF, qui est passé en moins de vingt ans de la plus grande force de gauche, à plus grand chose.

La question de l’immigration a marqué un tournant dans les traditions de la Gauche française. Cette dernière a de plus en plus fait directement le jeu du capitalisme en soutenant ouvertement l’immigration, au prétexte de soutenir les travailleurs immigrés et lutter contre le racisme.

Cela n’a pas commencé en 1980-1981, mais justement cet épisode de Vitry, puis la lettre ouverte de George Marchais, ont marqué un tournant. Cela a permis d’unifier une grande partie de la Gauche et de l’extrême-gauche autour de la critique du PCF et de la défense unilatérale et libérale de l’immigration.

La Gauche a alors cessé d’être de gauche, pour être de plus en plus libérale sur le plan des valeurs, abandonnant toujours plus la classe ouvrière et les petites gens sur les questions économiques.

Le résultat à notre époque est simple. La sociale-démocratie a pris le chemin du capitalisme le plus assumé, avec des personnalités au pouvoir comme François Mitterrand, Lionel Jospin, puis François Hollande.

Les dirigeants des forces historiques de la Gauche qui n’assument pas aussi ouvertement le capitalisme, mais ne le refusent pas pour autant, sont surtout des postmodernes et postindustriels n’ayant pas grand chose à voire avec le socialisme et la classe ouvrière.

Le thème de l’immigration est pour eux un moyen de se prétendre social, tout en refusant de se tourner vers la classe ouvrière. Cela est bien sûr le cas aussi au PCF, avec une figure comme Ian Brossat comme chef de file aux prochaines élections.

La question des réfugiés est alors prise en otage de manière odieuse par ces gens qui mélangent tout et n’importe quoi, prétextant que n’importe quel jeune homme abandonnant son village dans l’espoir d’un avenir meilleur en France serait à mettre sur le même plan qu’une personne fuyant son pays dans lequel elle est persécutée pour ses idées.

De manière coloniale, ils se moquent littéralement du fait que l’immigration, et en l’occurrence, l’émigration, a contribué et contribue encore largement à maintenir des pays dans le sous-développement et la dépendance face aux grandes puissances.

Cela ne les intéresse pas de voir que l’immigration est utilisé par la bourgeoisie pour servir le capitalisme et casser les traditions ouvrières.

Cette lettre ouverte de George Marchais, malgré tout ce qu’on pourrait lui reprocher sur le plan culturel et sur le plan idéologique, a donc le mérite de rappeler des principes essentiels de la Gauche.

C’est un document très intéressant à connaître dans son intégralité, et pas simplement par des citations souvent tronquées et manipulées, dans un sens ou dans un autre.

« Monsieur le Recteur,

Vous m’avez envoyé un télégramme me demandant de condamner le maire communiste de Vitry et mettant en cause la politique de mon parti sur l’immigration. Ce message a été rendu public avant même que j’ai pu en prendre connaissance. C’est pourquoi je vous adresse cette lettre ouverte.

Tenant compte de la charge que vous occupez, je tiens d’abord à vous confirmer ma position, celle de mon parti, sur la religion. Je respecte, nous respectons la religion musulmane à l’égal de toutes les autres. Je sais que des centaines de milliers de travailleurs de mon pays professent l’Islam, qui est l’une des branches vivantes sur l’arbre millénaire de la civilisation.

Je me fais une règle de ne jamais intervenir dans des questions religieuses qui relèvent de la seule conscience des personnes ou des communautés. C’est donc seulement parce que vous avez adopté une position politique sur une question qui nous concerne que je prends la liberté de vous envoyer aujourd’hui, cette mise au point.

L’idéal communiste est effectivement opposé, comme vous voulez bien le reconnaître, à toute discrimination raciale ou religieuse.

Nous pensons que tous les travailleurs sont frères, indépendamment du pays où ils sont nés, de la couleur de leur peau, des croyances, de la culture, des valeurs ou des coutumes auxquelles ils sont attachés. Qu’ils s’appellent Mohamed, Kemal ou Jacques, Moussa, Mody ou Pierre, tous ont un droit égal à la vie, à la dignité, à la liberté.

Nous nous appliquons à nous-mêmes cette loi d’égalité. Tous les travailleurs immigrés, musulmans ou non, membres du Parti communiste français, ont dans ce parti les mêmes droits et mêmes devoirs que leurs camarades français.

Nul plus que nous en France n’a combattu le colonialisme. Pour ne parler que du Maghreb, dès la fondation de notre parti, nous luttions contre la guerre du Rif. Et, plus récemment, nous avons milité pour la constitution du Maroc et de la Tunisise en États indépendants ; nous nous sommes opposés à la guerre menée contre le peuple algérien par les capitalistes français et leurs politiciens, avec la férocité de leurs tortures, de leurs camps, de leurs massacres, de leurs dévastations.

Aujourd’hui, je m’honore d’entretenir de bonnes relations avec les dirigeants du mouvement de libération nationale. Je me suis rendu plusieurs fois en Algérie. J’ai parcouru l’Afrique. Et j’ai l’intention de développer encore cette action.

Je me suis particulièrement réjoui d’avoir contribué, l’été dernier, au nom du Comité de défense des libertés et des droits de l’homme, à la libération d’Abderrazak Ghorbal, le dirigeant syndicaliste tunisien. Avec ce comité, j’espère bien finir par obtenir justice pour Moussa Konaté, travailleur malien persécuté par l’arbitraire policier de M. Giscard d’Estaing.

En France même, c’est la CGT et nous qui combattons énergiquement la politique des patrons et du gouvernement, la surexploitation, les atteintes à la dignité, les brimades et les discriminations odieuses qui frappent les travailleurs immigrés. Nous le ferons toujours. C’est ce que j’ai réaffirmé, en juillet 1980, en m’adressant aux travailleurs immigrés de l’usine Renault à Flins.

Au vu de ces réalités, puis-je vous rappeler cette belle parole : « le feu de l’hospitalité luit pour le voyageur qui distingue la flamme » ?

Pour la clarté, sur le sujet dont parle votre télégramme, il me faut en premier lieu rétablir la vérité des événements.

Votre message fait état d’une « décision précipitée et irréfléchie » que le maire communiste de Vitry aurait prise à l’encontre de travailleurs immigrés maliens. Voilà une condamnation bien hâtive. De fait, l’histoire réelle est inverse. C’est un dimanche, avant-veille de fête, au moment même où les communistes étaient réunis au Bourget pour le soixantième anniversaire de leur parti, qu’un autre maire — non pas communiste, mais giscardien celui-là — a déclenché l’affaire en prenant la révoltante décision de chasser les immigrés maliens de sa ville de Saint-Maur et de les refouler clandestinement sur Vitry.

Pour parvenir à ses fins, cet individu n’a pas hésité à faire forcer — à l’insu du maire de Vitry et sans accord de la commission de sécurité — les issues murées d’un foyer au sujet duquel les négociations étaient officiellement engagées en vue d’y loger de jeunes travailleurs français.

Permettez-moi de vous le dire : comment se fait-il que vous n’ayez pas pris position contre le maire de Saint-Maur ? Je n’ose croire que c’est parce qu’il est un ami intime du président de la République française, qu’il a reçu deux fois en trois ans dans sa mairie. Il me faut bien constater toutefois, avec étonnement, que vous avez été plus prompt à organiser une manifestation contre un maire communiste qu’à prendre à partie les responsables des souffrances des immigrés en France, MM. Giscard d’Estaing, Stoléru ou le président du CNPF.

Aux côtés de la droite et de l’extrême-droite, avec les dirigeants socialistes, la CFDT, la FEN et des groupuscules, vous vous trouvez, je le déplore, au cœur d’une opération politicienne anticommuniste qui prend les immigrés comme prétexte et ne peut en définitive que leur nuire.

Je vous déclare nettement : oui, la vérité des faits me conduit à approuver, sans réserve, la riposte de mon ami Paul Mercieca, maire de Vitry, à l’agression raciste du maire giscardien de Saint-Maur. Plus généralement, j’approuve son refus de laisser s’accroître dans sa commune le nombre, déjà élevé, de travailleurs immigrés.

Cette approbation ne contredit pas l’idéal communiste. Au contraire.

La présence en France de près de quatre millions et demi de travailleurs immigrés et de membres de leurs familles, la poursuite de l’immigration posent aujourd’hui de graves problèmes.

Il faut les regarder en face et prendre rapidement les mesures indispensables. Ce qui nous guide, c’est la communauté d’intérêts, la solidarité des travailleurs français et des travailleurs immigrés. Tout le contraire de la haine et de la rupture.

Certains — qui défendent par ailleurs le droit de vivre au pays pour les Bretons ou les Occitans — prétendent que l’immigration massive de travailleurs est une nécessité, voire un bienfait du monde contemporain. Non, c’est une conséquence du régime capitaliste, de l’impérialisme.

Des millions d’hommes sont contraints au cruel exil en terre étrangère, loin de leur ciel et de leur peuple, parce qu’ils n’ont pas de travail chez eux. Dans beaucoup de leurs pays la colonisation, le développement inégal propre au capitalisme ont laissé des traces profondes ; même dans ceux d’entre eux qui s’engagent sur la voie d’un développement socialiste elles peuvent subsister pendant de nombreuses années.

Ou bien encore les capitalistes qui dominent certains pays exportateurs de main-d’œuvre ne veulent pas ou ne peuvent pas résoudre les problèmes économiques et sociaux de leurs peuples et préfèrent tirer des profits immédiats de l’immigration, tout en affaiblissant par ces départs la classe ouvrière ; ainsi au Portugal ou en Turquie, malgré la lutte des forces les plus conscientes.

Quant aux patrons et au gouvernement français, ils recourent à l’immigration massive, comme on pratiquait autrefois la traite des Noirs, pour se procurer une main-d’œuvre d’esclaves modernes, surexploitée et sous-payée. Cette main d’œuvre leur permet de réaliser des profits plus gros et d’exercer une pression plus forte sur les salaires, les conditions de travail et de vie, les droits de l’ensemble des travailleurs de France, immigrés ou non.

Cette politique est contraire tant aux intérêts des travailleurs immigrés et de la plupart de leurs nations d’origine qu’aux intérêts des travailleurs français et de la France. Dans la crise actuelle, elle constitue pour les patrons et le gouvernement un moyen d’aggraver le chômage, les bas salaires, les mauvaises conditions de travail, la répression contre tous les travailleurs, aussi bien immigrés que français.

C’est pourquoi nous disons : il faut arrêter l’immigration, sous peine de jeter de nouveaux travailleurs au chômage. À cet égard MM. Giscard d’Estaing et Stoléru font le contraire de ce qu’ils disent : ils contribuent à l’entrée clandestine organisée de travailleurs dépourvus de droits et soumis à une exploitation honteuse et inhumaine.

Je précise bien : il faut stopper l’immigration officielle et clandestine, mais non chasser par la force les travailleurs immigrés déjà présents en France, comme l’a fait le chancelier Helmut Schmidt en Allemagne fédérale.

Nous disons également : il faut donner aux travailleurs immigrés les mêmes droits sociaux qu’à leurs camarades français. Nos propositions en ce sens sont les plus avancées qui soient.

Et nous disons encore : il faut instituer un nouvel ordre économique et politique mondial.

Il faut une coopération fondée non sur les exigences de profits des trusts et sur des conceptions colonialistes, mais sur des rapports équitables correspondant en priorité aux besoins d’emploi et de développement de la France et des peuples du tiers monde. Cette question, vous ne pouvez l’ignorer, me tient particulièrement à cœur.

En même temps et dans le même esprit nous disons : il faut résoudre d’importants problèmes posés dans la vie locale française par l’immigration.

En effet, M. Giscard d’Estaing et les patrons refusent les immigrés dans de nombreuses communes ou les en rejettent pour les concentrer dans certaines villes, et surtout dans les villes dirigées par les communistes. Ainsi se trouvent entassés dans ce qu’il faut bien appeler des ghettos, des travailleurs et des familles aux traditions, aux langues, aux façons de vivre différentes.

Cela crée des tensions, et parfois des heurts entre immigrés des divers pays. Cela rend difficiles leurs relations avec les Français.

Quand la concentration devient très importante — ce qui n’a rien à voir, soit dit au passage, avec la notion non scientifique et raciste d’un prétendu « seuil de tolérance » dont nous ne parlons jamais — la crise du logement s’aggrave ; les HLM font cruellement défaut et de nombreuses familles françaises ne peuvent y accéder. Les charges d’aide sociale nécessaire pour les familles immigrées plongées dans la misère deviennent insupportables pour les budgets des communes peuplées d’ouvriers et d’employés.

L’enseignement est incapable de faire face et les retards scolaires augmentent chez les enfants, tant immigrés que français. Les dépenses de santé s’élèvent.

Les élus communistes, dans le cadre de leurs droits et de leurs moyens, multiplient les efforts pour résoudre ces problèmes difficiles au bénéfice de tous. Mais la cote d’alerte est atteinte : il n’est plus possible de trouver des solutions suffisantes si on ne met pas fin à la situation intolérable que la politique raciste du patronat et du gouvernement a créée.

C’est pourquoi nous exigeons une répartition équitable des travailleurs immigrés entre toutes les communes.

Parler à ce propos d’électoralisme, c’est nous faire injure. Notre position ne date pas d’aujourd’hui. Dès octobre 1969, quand j’étais chargé de l’immigration à la direction du Parti communiste français, les maires communistes de la région parisienne et les élus communistes de Paris ont adopté, sur ma proposition, une déclaration dénonçant la concentration des travailleurs immigrés dans certaines villes et demandant une répartition équilibrée.

Si elles avaient été appliquées par le pouvoir, ces mesures, pour lesquelles nous n’avons cessé de lutter, auraient permis d’éviter les difficultés actuelles.

Encore un mot sur le racisme. Rien ne nous est plus étranger que ce préjugé antiscientifique, inhumain, immoral. Non, il n’existe pas de races d’élite et de races inférieures.

Ne partagez-vous pas l’indignation qui me soulève quand je considère les activités malfaisantes des passeurs, des trafiquants, des marchands de sommeil qui entassent des immigrés dans des conditions violant toutes les règles d’hygiène, de sécurité, de voisinage et que M. Stoléru laisse agir sans entraves comme les négriers d’autrefois ? Ce sont des délinquants qu’il faut réprimer.

Et n’éprouvez-vous pas le même dégoût que moi à la lecture d’une « petite annonce » comme celle que le journal «Libération» publiait récemment sous le titre : « Immigrés sex service », et que la décence m’interdit de reproduire ? Comme j’aimerais que nous soyons, chacun au nom de notre idéal respectif, du même côté contre des gens capables de bassesses aussi abominables, et, j’ose le dire, d’une telle barbarie !

Tout ce que la morale humaine réprouve avec force, l’inégalité, l’injustice, le mépris, la cruauté, nous le repoussons, nous le combattons. C’est pourquoi, dans les entreprises et les cités, nous invitons les travailleurs immigrés et français non pas à se combattre entre eux, mais à unir leurs forces contre leurs vrais ennemis communs, les exploiteurs et ceux qui les servent.

Nous les appelons à tracer ensemble le sillon, à l’élargir sans cesse, pour libérer tous les hommes et toutes les femmes de la servitude et de la haine. C’est le sens de notre lutte pour la justice. De très nombreux prolétaires musulmans la comprennent et la soutiennent.

Veuillez agréer, Monsieur le Recteur, mes salutations.

Georges Marchais. »

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Politique

Université d’été 2018 du PCF à Angers

Le PCF tient son université d’été à Angers et à la lecture du programme, on voit qu’il a encore beaucoup d’ambitions. Les thèmes reflètent l’émergence de toute une génération post-post-communiste pour ainsi dire : on est cette fois plus que bien loin de la question ouvrière, du socialisme comme collectivisation des moyens de production. Le PCF s’est maintenu, mais pour servir de tremplin à autre chose, un autre chose en train de se former.

A noter que les salles du campus universitaire ont été renommées pour l’occasion, souvent avec des figures du mouvement décédées il y a peu. On a ainsi les salles :

-Aragon/Arsène-Tchakarian : Louis Aragon est un célèbre écrivain ayant été une figure historique du PCF pendant la Résistance et après, Arsène Tchakarian est quant à lui un résistant, membre des FTP-MOI et décédé le 4 août dernier ;

-Paul-Boccara : Paul Boccara, décédé l’année dernière, était un historien et un économiste qui fut un haut dirigeant du PCF, ayant notamment théorisé sa critique du « capitalisme monopoliste d’Etat » dans les années 1970 ;

-Antoine-Casanova : Antoine Casanova est un autre historien ayant fait partie de la direction du PCF, il est également décédé l’année dernière ;

-Djamila-Bouhired :Djamila Bouhired est une membre du FLN algérien, ayant fait partie des réseaux organisant des attentats meurtriers dans des lieux publics ;

-Benoît-Frachon : Benoît Frachon fut un haut dirigeant du PCF, ayant participé à la Résistance et dirigé la CGT de 1945 à 1967 ;

– Gerda-Taro: Gerda Taro était une photographe connu pour ses photos de la guerre d’Espagne ;

– Marcelle & René-Hilsum : il s’agit d’éditeurs liés au surréalisme ;

– Dolores-Ibarruri : Dolores Ibárruri fut une responsable du Parti Communiste d’Espagne, connu pour son discours où elle lança le mot d’ordre « No pasaran » ;

– Jack-Ralite : Jack Ralite, décédé l’année dernière, fut ministre PCF entre 1981 et 1984 ;

– Jean-Pierre-Kahane, décédé l’année dernière, fut un mathématicien ; membre du PCF depuis 1946, il en avait dirigé la revue Progressistes consacrée notamment aux sciences.

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Politique

Allemagne : Sahra Wagenknecht lance une Gauche non postmoderne

Sahra Wagenknecht, une figure de la Gauche allemande, lancera le 4 septembre 2018 un mouvement intitulé « Aufstehen », c’est-à-dire « Se lever », afin de faire pression sur les partis de Gauche.

La particularité de ce mouvement à naître, qui a déjà la sympathie virtuelle de 80 000 personnes, n’est pas tant de relever d’une certaine forme de populisme, que de se placer ouvertement en dehors des thématiques postmodernes et postindustrielles.

Sahra Wagenknecht affirme en effet notamment que l’ouverture aux migrants avait comme but le dumping social, que cela a renforcé la précarisation sociale des couches les plus défavorisées, que la migration concerne également particulièrement les couches sociales les plus éduquées de pays du tiers-monde qui se voient ainsi littéralement pillés.

Cela provoque évidemment des cris d’orfraie dans le camp postmoderne et postindustriel, qui l’accuse de développer la même approche que l’extrême-droite. En réalité, Sahra Wagenknecht, a parfaitement compris que le risque était désormais le même en Allemagne, où effectivement les couches les plus précarisées du peuple se tournent vers l’AFD (Alternative für Deutschland), le nouveau parti d’extrême-droite.

« Qui veut la démocratie doit arracher le pouvoir à la mafia financière »

Si Sahra Wagenknecht a cette approche particulière, c’est que son parcours n’est pas forcément commun. Née en République Démocratique Allemande, où elle est mal à l’aise avec le système au point de ne pas pouvoir étudier, elle rejoint cependant le SED, le parti ayant dirigé la RDA, au début de l’année 1989.

Puis, elle a participé à l’aile gauche du prolongement du SED, valorisant systématiquement le parcours du mouvement ouvrier en Allemagne, la création de la RDA et ses acquis sociaux, ainsi d’ailleurs que la révolution russe et même l’URSS de Staline. Cette formation reste marquée et l’accusation de « néo-stalinisme » à l’encontre de Sahra Wagenknecht est relativement courante.

Sur le facebook de Sahra Wagenknecht : « Le 8 mai 1945 a été le jour de la libération d’un système hostile à l’humanité, la domination violente national-socialiste. Ce jour doit enfin devenir un jour férié, comme jour du recueillement, de l’avertissement – et du souvenir de combien il est important de s’impliquer pour la paix et la compréhension entre les peuples. Plus jamais la guerre ! Plus jamais le fascisme ! »
Sur le facebook de Sahra Wagenknecht (la photo montre le monument à Volgograd, l’ex-Stalingrad) : « Aujourd’hui il y a 75 ans se terminait la bataille de Stalingrad. En tout la guerre fasciste d’anéantissement a coûté la vie de nombreux millions de victimes du côté soviétique. Mais au lieu de participer à ce jour du souvenir à Volgograd aujourd’hui, le gouvernement explique suite à notre question que la responsabilité pour cette attaque ne doit pas être assumé en général, car elle n’aurait été que « seulement dans certains cas criminelle » et qu’il faut la placer dans le cadre des « opérations militaires ». Cette réécriture de l’histoire est particulièrement dangereuse de par le message qui en ressort – les guerres d’anéantissement sont réprouvés, mais selon cette lecture pas un crime, seulement une situation où peuvent se produire des actes criminels, évidemment des cas particuliers. Cette position est au plus haut point cynique et avant tout dangereuse dans un monde où il y a encore des guerres d’attaque et des innocents tués – que ce soit au Yémen ou à Afrin. L’histoire nous avertit – Plus jamais la guerre ! Plus jamais le fascisme ! »

Au-delà de cet arrière-plan, Sahra Wagenknecht se positionne concrètement sur des revendications sociales très fortes, rappelant fortement celles de la social-démocratie allemande des années 1970. Il reste à voir ce que proposera Aufstehen,

Cependant, si son site ne dit pas encore grand-chose, donne la parole à des gens du peuple qui donnent le ton, et cela se veut absolument moderne, et non postmoderne.

Voir un mécanicien automobile tatoué avec un t-shirt du Sea Shepherd, par exemple, c’est tout de même autre chose que l’image d’Epinal donné par la CGT en France du travailleur borné se résumant aux merguez et aux revendications seulement économiques.

Voici également ce que Sahra Wagenknecht disait en mai 2018 dans une interview à la Frankfurter Woche :

« Die Linke ne doit pas devenir un néo-parti Verts tourné vers le lifestyle qui méprise les traditions et l’identité des « petites gens ».
Nous devons reconnaître que les problèmes auxquels font justement face les plus pauvres au quotidien – la concurrence pour des jobs mal payés et des appartements abordables, le manque de sécurité publique – ne sont clairement pas apparus avec la crise des réfugiés de 2015-2016, mais se sont souvent aggravés avec cela.

Et c’est naturellement un problème quand dans les quartiers les plus pauvres jusqu’à 80 % des enfants allant pour la première fois à l’école ne parlent pratiquement pas l’allemand. Ou bien quand des prédicateurs de la haine d’un Islam radicalisé fournissent déjà à des enfants de cinq ans une vision du monde dirigée contre toutes les valeurs fondamentales de notre vivre-ensemble. »

On est là extrêmement loin de la Gauche en France actuellement, où tant le PS que le PCF ou La France insoumise, sans parler d’EELV ou de Benoît Hamon, sont des partisans acharnés des thématiques postmodernes et postindustrielles. Mais l’avenir ne leur appartient pas : la Gauche ne peut que se réaffirmer par le mouvement ouvrier, son histoire, son parcours, ses valeurs.

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Politique

Alain Soral et le « Raptor », produits de la décadence complète de la société française

À la toute fin du mois de juillet, Dieudonné et Alain Soral ont organisé une conférence de presse payante trois euros pour annoncer que la bastonnade entre le second et le youtubeur « Raptor » aura lieu le 20 octobre. Le « Raptor », lui, était aux Maldives en vacances et a rejeté Dieudonné comme organisateur du combat, accusant Alain Soral d’être un lâche ne répondant pas aux messages textos. Il ne veut plus entendre parler d’Alain Soral par conséquent.

C’est un épisode de plus dans le scénario grotesque de l’affrontement à coups d’insultes, de menaces, de paranoïa et d’inculture entre une extrême-droite tellement raciste anti-arabe qu’elle en fait sa cause unilatérale, et une extrême-droite purement antisémite.

Dignes équivalents hystériques de la gauche « postmoderne » et « postindustrielle », ces gens sont le pur produit, littéralement surréaliste, de la décadence complète de la société française. Dieudonné a ainsi lors de la conférence de presse expliqué que l’État israélien visait à la destruction des nations, des familles, de l’humanité entière, Alain Soral dénonçant David ayant tué Goliath au moyen d’une fronde au lieu de se battre à la loyale !

C’est un exemple assez édifiant de l’anti-civilisation que représente l’extrême-droite, rempli d’individualités cherchant à devenir des porte-paroles plébéiens ayant assez d’écho pour parvenir au pouvoir.

C’est la base intellectuelle, si l’on ose utiliser ce terme, de cette fuite en avant dans l’explication paranoïaque du monde. Incapable de voir la question des idées, le « Raptor » ne voit en Alain Soral qu’un « baboucholâtre », Alain Soral voyant en le « Raptor » le vecteur de réseaux sionistes et de regroupements visant les ratonnades.

Ce sont des équivalents directs de Donald Trump, de cette vague conservatrice radicale cherchant à mobiliser en disant qu’il n’est pas besoin de culture, qu’il suffit de l’identité. Ce n’est même plus du nationalisme, mais une sorte de beauferie radicalisée.

Si jamais on se demande pourquoi beaucoup de gens ont voulu malheureusement croire en Emmanuel Macron aux présidentielles, c’est justement parce que l’image de la construction européenne est de maintenir le flambeau de la civilisation, de renforcer le cadre institutionnel. Face aux tendances de repli identitaire, cela semble plus moderne, même si imparfait…

Benoît Hamon et EELV ont très bien compris cette sensibilité de la Gauche et cherchent à en profiter. Mais c’est une illusion : seul le socialisme peut, réellement, concrètement, balayer l’inculture, établir des normes morales et culturelles.

C’est le capitalisme qui produit les valeurs du « raptor » et d’Alain Soral, avec leur style strictement parallèle à celui des rappeurs véhiculant les pires clichés. C’est le capitalisme qui anéantit la culture et ne tolère que la superficialité.


Tous ces gens doivent être mis au pas ; les attitudes guignolesques sont une insulte à toute une culture accumulée et dont les figures sont notamment Montaigne, Racine ou Diderot. L’existence en 2018 d’une telle expression barbare est un scandale historique.

Il faut réorganiser la société ; l’État doit le faire, mais là il ne le peut pas. Seule la reconstruction de l’État sur une base sérieuse, par la classe ouvrière, avec le peuple à la base, peut empêcher les forces de la déliquescence de triompher.

Il est intéressant d’ailleurs de voir Alain Soral l’avoir relativement senti aussi, en dénonçant lors de la conférence de presse les jeunes ne respectant pas les aînés, appelant à la réconciliation nationale et au refus complet de la guerre civile. Cela, bien entendu, en prenant l’antisémitisme comme idéologie, sur le modèle du national-socialisme allemand.

C’est bien là la risque : si la Gauche authentique – pas celle postmoderne, postindustrielle – n’établit pas le socialisme, la démagogie antimoderne et nationaliste l’emportera, comme dans les années 1930.

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Culture

21 août 1968 : l’invasion de la Tchécoslovaquie à l’initiative de l’URSS

Il y a cinquante ans, le 21 août 1968, la Tchécoslovaquie connaissait un coup de poignard dans le dos par l’invasion des troupes soviétiques, polonaises, hongroises, bulgares et est-allemandes, avec 400 000 hommes, plus de 6000 chars et 800 avions.

C’était le second assassinat de ce pays après les accords de Munich de 1938, qui donnait le champ libre aux armées hitlériennes pour dépecer le pays. Il ne s’en remettra jamais et lorsque le bloc soviétique s’effondrera, il se divisera en République tchèque et en Slovaquie, sans aucun référendum, sur la simple décision des gouvernants.

Tel était la conséquence de l’asséchement de toute démocratie en Tchécoslovaquie à la suite de l’invasion décidée par l’URSS afin de briser le « Printemps de Prague », dont l’une des figures principales fut Alexander Dubček. Ce mouvement de vaste libéralisation économique et culturelle, en vue d’un « socialisme à visage humain » au moyen d’une ouverture à l’économie de marché, présentait le risque pour l’URSS d’un affaiblissement de sa domination pratiquement coloniale organisée de manière systématique dans les années 1960.

Avec l’invasion, la Tchécoslovaquie devenait directement une colonie soviétique.

Le « Printemps de Prague » était la conséquence directe d’une très longue tradition démocratique en Tchécoslovaquie. Non seulement ce pays avait été le premier où le protestantisme émergeait en possédant une telle base populaire qu’il s’ensuivra des révoltes paysannes bousculant toute l’Europe centrale, avec les « hussites », mais qui plus est il était une république très développée économiquement dans les années 1920 à la suite de l’effondrement austro-hongrois, dont le président Tomáš Masaryk était un symbole connu en Europe alors.

Sa révolution de 1948 en fit le modèle des « démocraties populaires » et en rapport à la population, le Parti Communiste était numériquement le plus puissant du monde.

Il était évident qu’aucune intervention extérieure ne pouvait écraser cette longue tradition et, en pratique, les troupes restantes après août 1968 vécurent entièrement à l’écart d’une population hostile à son encontre.

Les conséquences historiques furent également immenses dans l’Europe de l’est. Les populations slaves voyaient toujours d’un œil favorable la Russie, même si elle était tsariste, d’où souvent la reprise des couleurs panslaves, dans la foulée du congrès panslave de Prague en 1848. Par la suite, le prestige de l’URSS était immense et servait de ferment fédérateur.

L’intervention de l’URSS dans les années 1960 et la politique russe agressive a anéanti tout ce patrimoine et réactivé la balkanisation de l’ensemble des pays de l’est européen.

Il n’est pas un pays qui n’a pas de soucis frontaliers ou de population avec son voisin, les nationalismes sont outranciers et parfois radicalement expansionnistes ; la haine des peuples entre eux est très largement cultivée par les dominants.

C’est aussi une conséquence de la perte du gigantesque prestige qu’avait l’URSS après 1945 à la suite de l’invasion de la Tchécoslovaquie, un pays historiquement et culturellement d’ailleurs extrêmement proche des Russes qui plus est.

L’invasion de la Tchécoslovaquie en août 1968 a eu un impact très conséquent sur la Gauche française. Pour la gauche anticommuniste, c’était la preuve que l’URSS avait une nature mauvaise à la base ; pour la gauche maoïste, c’était la preuve que l’URSS avait changé de nature et était devenue un « social-impérialisme ».

Pour le PCF, cette histoire devait être passée sous silence le plus vite possible en raison des larges oppositions internes apparues alors au sujet de l’invasion : en pratique, c’est le début de son déclin, surtout après sa position vigoureusement opposé aux étudiants et aux grèves dures en mai et en juin 1968.

Pour les anarchistes et les trotskistes, le « Printemps de Prague » formait une révolution manquée de plus, à ajouter à la panoplie romantique des causes censées avoir été trahies.

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Politique

« Egalité & Réconciliation » et le capitalisme des « nomades »

Égalité & Réconciliation est le nom du mouvement fondé en 2007 par Alain Soral, dans l’élan de son soutien à la campagne présidentielle de Jean-Marie Le Pen et du Front National, auprès duquel il a tenté de pousser une ligne néo-gaulliste maquillée formellement derrière un populisme gauchisant.

Egalité et réconciliation

Un autre point notable est qu’E&R se fait le défenseur d’un nationalisme non ethnique sur le plan formel. Ce refus de l’ethnicité pousse aussi à développer quelques tentatives pour modérer un antisémitisme assumé, en refusant théoriquement l’antisémitisme racial et exterminateur, en distinguant rhétoriquement « oligarchie » et « juifs du quotidien » ou en distinguant « juifs » et « sionistes ».

Soudée presque immédiatement à son soutien en faveur de Dieudonné en particulier, Égalité et Réconciliation (E&R), bien qu’aujourd’hui en déclin, a entre-temps connu un succès important, parvenant aujourd’hui à revendiquer plusieurs milliers de membres, sans compter ses sympathisants sur les plateformes vidéo comme YouTube. Dans la pratique, la notoriété d’Alain Soral a été construite par une activité régulière, se présentant sous la forme de longs monologues commentant ses lectures et ses humeurs sur un canapé rouge devant une sorte de peinture, qu’il a d’ailleurs déclinée en produit commercial.

L’habitude a aussi été prise de veiller à son physique et son ton, pour le faire passer pour un « dur », un « écorché », un « mâle viril » et aussi son look, en particulier ses T-shirts, occasion de manifester ses lubies du moment sur le ton généralement de la dérision et de la provocation, et volontiers avec une grande vulgarité à peine dissimulée.

E&R est donc d’abord une plateforme internet, un site particulièrement fréquenté, relayant les vidéos et les « informations » de sites du milieu nationaliste dans lequel gravite E&R, allant des catholiques nationalistes virulents, à Alain de Benoist, des royalistes de l’Action française, aux nationalistes-révolutionnaires comme Serge Ayoub.

Ce que E&R désigne ainsi par la « gauche du travail », c’est l’anti-capitalisme romantique le plus convenu et le plus cacophonique, structuré néanmoins autour de son anti-matérialisme. La « droite des valeurs » se résume à un soutien de plus en plus ouvert aux milieux catholiques violemment intégristes et en particulier Civitas. E&R entend aussi être une plateforme de synthèse entre des militants de « gauche » rejetant tant la gauche institutionnelle que « marxiste » (considérée en l’espèce surtout par les mouvements et les partis issus de la tradition trotskiste), avec une stratégie volontariste d’attirer la « gauche nationale » à la Chevènement, et plus encore celle à la sauce France Insoumise (ou « FI »), pour la faire basculer dans le nationalisme. Voilà pour la trame de fond.

Au plan des valeurs et des idées développées, E&R affiche un anti-capitalisme, mais sans s’opposer ni à l’économie de marché, ni à la bourgeoisie, ce qui en dit long sur la valeur réelle d’une telle dénonciation du capitalisme.

Refusant le matérialisme historique, Alain Soral et ses soutiens tentent d’amalgamer tout ce qui peut construire une vision historique « alternative ». La préférence d’Alain Soral va clairement à une sorte de développement des thèses de Dumézil sur la prétendue tripartition traditionnelle chez les indo-européens, mixée avec des thèses « impériales » que l’on retrouve aussi chez Gabriel Martinez-Gros, ou Bernard Lugan.

Egalité et réconciliation

Ces auteurs structurent l’histoire autour d’un vaste et « éternel » conflit entre sédentaires constituant des civilisations, des « empires », et nomades les pillant, tout en leur assurant le développement commercial et la fourniture de guerriers ou d’esclaves.

Soral ajoute en quelque sorte à ce « nomadisme » le « capitalisme bancaire » dont il a présenté sa vision dans Comprendre l’Empire, qui en serait une sophistication moderne et européenne, dans la mesure où précisément, l’Europe à partir de la féodalité, échapperait à ce schéma sédentaire/nomade. Mais Soral le « restaure » en faisant de l’essor des villes et de la bourgeoisie, un « nomadisme » parasitaire dont le « juif » serait l’incarnation la plus aboutie.

Toute l’ambition politique de E&R vise donc à « geler » l’essor du capitalisme, vu non comme un développement interne de ses propres forces, développant parallèlement ses propres contractions, mais comme un « ordre » naturel, presque immobile, idéal, divin pour ainsi dire, ou du moins « naturel », qu’il faudrait retrouver, en éliminant le « parasite », donc la « banque », le « nomadisme », c’est-à-dire le « Juif », avec la force collective de la « nation », cadre politique « naturel » du développement harmonieux des sociétés humaines et de leur aspiration au « socialisme ».

C’est là, on le reconnaît aisément, une perspective d’extrême-droite, visant à dévier vers le nationalisme les mobilisations issues des luttes de classes, avec l’antisémitisme comme « socialisme des imbéciles ».

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Culture

La chanson espagnole « El quinto regimiento »

« El Quinto Regimiento », c’est-à-dire le cinquième régiment, a été fondé en catastrophe le 18 juillet 1936, à la suite du coup d’État franquiste. La République ne pouvait plus faire confiance à une armée largement sous influence des partisans du coup d’État.

Des unités furent constituées à partir de la base populaire elle-même et le cinquième régiment est directement issu des Milices Antifascistes Ouvrières et Paysannes produites par le Parti Communiste d’Espagne. Il devint le fer de lance de la République et joua un rôle très important durant la guerre civile, notamment sur les fronts de Madrid, d’Extramadure, d’Aragon et d’Andalousie.

El dieciocho de julio
en el patio de un convento
el partido comunista fundó
el Quinto Regimiento.

Estribillo :

Venga jaleo,
jaleo suena la ametralladora
y Franco se va a paseo,
y Franco se va a paseo.

Con Líster, el Campesino,
con Galán y con Modesto
con el comandante Carlos
no hay miliciano, con miedo.

Estribillo

Con los cuatro batallones
que Madrid están defendiendo
se va lo mejor de España
la flor más roja del pueblo.

Estribillo

Con el quinto, quinto, quinto,
con el Quinto Regimiento
madre yo me voy al frente
en la línea de fuego.

Estribillo

C’est le 18 juillet
Dans le cloître d’un couvent
Que le parti communiste
Fonde le Vème régiment

Refrain : On ouvre le bal
Que chante la mitrailleuse
Et Franco fuit sous les balles
Et Franco fuit sous les balles

Avec Lister, el campesino
Avec Galàn, avec Modesto
Avec le commandant Carlos
Le milicien jamais ne tremble

Refrain

Avec les quatre bataillons
Qui défendent Madrid
Combat le meilleur de l’Espagne
La fleur la plus rouge du peuple

Refrain

C’est avec le Vème, le Vème
C’est avec le Vème régiment
Mère que je pars au front
Sur la première ligne de feu

Refrain

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Culture

Les yeux des pauvres – Charles Baudelaire

Ah ! vous voulez savoir pourquoi je vous hais aujourd’hui. Il vous sera sans doute moins facile de le comprendre qu’à moi de vous l’expliquer ; car vous êtes, je crois, le plus bel exemple d’imperméabilité féminine qui se puisse rencontrer.

Nous avions passé ensemble une longue journée qui m’avait paru courte. Nous nous étions bien promis que toutes nos pensées nous seraient communes à l’un et à l’autre, et que nos deux âmes désormais n’en feraient plus qu’une ; — un rêve qui n’a rien d’original, après tout, si ce n’est que, rêvé par tous les hommes, il n’a été réalisé par aucun.

Le soir, un peu fatiguée, vous voulûtes vous asseoir devant un café neuf qui formait le coin d’un boulevard neuf, encore tout plein de gravois et montrant déjà glorieusement ses splendeurs inachevées.

Le café étincelait. Le gaz lui-même y déployait toute l’ardeur d’un début, et éclairait de toutes ses forces les murs aveuglants de blancheur, les nappes éblouissantes des miroirs, les ors des baguettes et des corniches, les pages aux joues rebondies traînés par les chiens en laisse, les dames riant au faucon perché sur leur poing, les nymphes et les déesses portant sur leur tête des fruits, des pâtés et du gibier, les Hébés et les Ganymèdes présentant à bras tendu la petite amphore à bavaroises ou l’obélisque bicolore des glaces panachées ; toute l’histoire et toute la mythologie mises au service de la goinfrerie.

Droit devant nous, sur la chaussée, était planté un brave homme d’une quarantaine d’années, au visage fatigué, à la barbe grisonnante, tenant d’une main un petit garçon et portant sur l’autre bras un petit être trop faible pour marcher. Il remplissait l’office de bonne et faisait prendre à ses enfants l’air du soir. Tous en guenilles.

Ces trois visages étaient extraordinairement sérieux, et ces six yeux contemplaient fixement le café nouveau avec une admiration égale, mais nuancée diversement par l’âge.

Les yeux du père disaient :

« Que c’est beau ! que c’est beau ! on dirait que tout l’or du pauvre monde est venu se porter sur ces murs. »

— Les yeux du petit garçon :

« Que c’est beau ! que c’est beau ! mais c’est une maison où peuvent seuls entrer les gens qui ne sont pas comme nous. »

— Quant aux yeux du plus petit, ils étaient trop fascinés pour exprimer autre chose qu’une joie stupide et profonde.

Les chansonniers disent que le plaisir rend l’âme bonne et amollit le cœur. La chanson avait raison ce soir-là, relativement à moi. Non-seulement j’étais attendri par cette famille d’yeux, mais je me sentais un peu honteux de nos verres et de nos carafes, plus grands que notre soif.

Je tournais mes regards vers les vôtres, cher amour, pour y lire ma pensée ; je plongeais dans vos yeux si beaux et si bizarrement doux, dans vos yeux verts, habités par le Caprice et inspirés par la Lune, quand vous me dites :

« Ces gens-là me sont insupportables avec leurs yeux ouverts comme des portes cochères ! Ne pourriez-vous pas prier le maître du café de les éloigner d’ici ? »

Tant il est difficile de s’entendre, mon cher ange, et tant la pensée est incommunicable, même entre gens qui s’aiment !

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Culture

Prestes Maia, le grand squat de São Paulo

Prestes Maia est un immeuble de São Paulo. Il est situé au centre ville, près de la gare de Luz, dans un quartier qui est littéralement sorti de terre au milieu de la décennie 1950. L’imposant bâtiment est remarquable pour son architecture, mais aussi pour sa destinée récente.

L’immeuble a pour l’essentiel une vocation industrielle. Les deux tours ont abrité à la fois le siège administratif et la principale unité de production textile de la Companhia Nacional de Tecidos (la Compagnie Nationale des Draps). Haut de 22 étages, l’immeuble est construit autour d’une infrastructure de piliers, de poutres et de lintaux de béton armés.

La conception du bâtiment est le fruit du travail de l’urbaniste Francisco Prestes Maia. Ce dernier, polytechnicien de formation, a complètement redessiné la ville de São Paulo à la dimension des grosses berlines US. Il a ainsi été récompensé pour son « Plano de Avenidas » par un prix lors du quatrième Congrès panaméricain des architectes à Rio de Janeiro en juillet 1930. Il sera aussi maire pour trois mandats.

La surface du bâtiment est faite d’un ciment brut bruni par la pollution qui accroche la lumière rasante comme une peau au grain épais. La façade est percée de larges ouvertures vitrées enchâssées directement, sans adoucissement. Au niveau du premier étage commun aux deux tours, en guise de frontispice, le nom de l’usine s’étale en lettres de métal, sur ce qui s’apparente à une corniche. La grande élégance de l’ensemble tient à sa sobriété, à ses lignes claires et épurées.

L’activité industrielle est depuis longtemps abandonnée, mais le bâtiment, quant à lui n’est jamais resté vide. Désaffecté au début des années 1990, bientôt racheté par un homme d’affaire pour un fond spéculatif, l’immeuble officiellement inoccupé est devenu l’un des plus grand squat du continent américain.

Au début ces années 2000, les blocs A et B du 911 Avenida Prestes Maia ont la réputation d’être un infâme coupe-gorge puant tenu par les petits dealers locaux. C’est alors qu’un groupe participant au Movimento dos Trabalhadores Sem Teto (Mouvement des travailleurs sans toit) organise l’occupation des lieux. Pied à pied, hall après hall et étage après étage, les lieux sont nettoyés. Les occupants sont invités à accepter la discipline imposée par le mouvement, faute de quoi ils sont contraints de partir.

A chaque étage, un représentant est élu par les habitants, il est chargé de faire respecter le règlement, d’organiser les travaux communs à l’étage et de faire circuler les informations communes à la communauté entière. La consommation de drogue est interdite, l’alcool est interdit dans les parties communes, il est interdit de faire du bruit passé 22h. Au bas des blocs, des habitants gardent les entrées : il est impossible d’entrer sans avoir été invité par un habitant. L’organisation des lieux est faite pour les familles de travailleurs, celles-ci paient d’ailleurs une participation aux travaux communs.

Les étages sont divisés en « huttes », c’est-à-dire en espaces cubiques plus ou moins de même taille faits de planches de bois enduites de plâtre. Au total, ce sont près de 500 familles, plus de 1600 personnes dont 300 enfants, qui ont trouvé à se loger dans des conditions décentes, le Mouvement garantissant l’eau potable et l’électricité. De nombreuses activités culturelles se déroulent dans l’immeuble : cours de musique pour les enfants, capoeira, gala de danse, etc. Les habitants disposent également d’une bibliothèque contenant 17 000 livres.

Coincé entre d’un côté, un projet de rénovation porté par le propriétaire de l’immeuble et soutenu par la justice, l’État et la Ville qui s’opposent à l’occupation précaire du bâtiment et, de l’autre côté, harcelés par les mafias gérant les réseaux de prostitution, les trafics de drogues et qui convoitent donc les lieux peu policés pour leurs activités antisociales, la communauté des travailleurs de l’immeuble de Prestes Maia est constamment sur le fil. Périodiquement évacué par la contrainte, l’immeuble est le plus souvent regagné par le Mouvement des Travailleurs Sans Toit.

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Politique

La fausse gauche et les migrants de l’Aquarius

Le bateau l’Aquarius est arrivé hier à Malte avec 141 migrants à son bord, qui seront ensuite répartis vers plusieurs pays. En France, et d’ailleurs presque partout en Europe, les forces issues de la Gauche appuient quasi-unanimement ce type de débarquement et en font un de leurs thèmes principaux.

Sos Méditerranée

L’épisode des migrants, traversant la Méditerranée dans des conditions tellement précaires qu’ils risquent leur vie, est au cœur de l’actualité, avec notamment « SOS Méditerranée » qui s’est fait une spécialité de les secourir.

En fait, l’actualité a régulièrement comme thème les migrants et le fait que des navires privés comme l’Aquarius soient lancés pour les sauver en mer en est l’une des expressions.

En effet, le migrant est un symbole : celui du droit de partir où l’on veut, sans responsabilités aucune par rapport à là où on vit, ni par ailleurs par rapport à où l’on va. C’est le droit de refaire sa vie individuellement, en remettant les compteurs à zéro, parce qu’on l’a choisi.

Dans ces cas comme celui de l’Aquarius, selon les chiffres donnés dans la presse française, cela coûterait 3 000 euros à 5 000 euros par personne pour tenter de traverser la Méditerranée. C’est absolument énorme en Afrique et montre à quel point ces tentatives, aussi désespérées puissent-elles être, sont très réfléchies et organisées.

C’est là fondamentalement libéral et c’est pour cela que toutes les forces libérales soutiennent les migrations. Le capitalisme n’est pas du tout fanatique des frontières, au contraire même : il a souvent cherché à faire tomber les frontières, comme en témoigne l’Union Européenne.

Parfois, il se referme sur lui-même dans certaines conditions, lorsqu’il y a des grandes entreprises qui font des États leur outil de conquête. C’est d’ailleurs inévitable : la Gauche sait que cela s’appelle l’impérialisme, le fascisme, la guerre.

Mais cela est « vieux jeu » pour la « Gauche » post-industrielle qui reprend les rêves du capitalisme du 17e siècle, qui veut faire de chacun un entrepreneur. À ce titre, les différents épisodes de l’Aquarius sont une démonstration des insuffisances fondamentales de cette « Gauche » post-industrielle, post-moderne.

Aquarius - sos Méditerranée

Croyant le capitalisme indépassable, cette fausse Gauche veut l’humaniser et reprend directement les valeurs longuement élaborées par l’Église catholique. Tel est d’ailleurs le ton du dernier communiqué du Parti Socialiste, signés par ses principaux membres, intitulé pompeusement « Aquarius : tout nous oblige ».

« Quelle image l’Europe a-t-elle donnée d’elle-même avec ses dirigeants fermant leurs ports et en même temps faisant assaut médiatique de leur humanité ? L’incurie des gouvernements et de l’Union européenne doit cesser. »

C’est là l’origine de la figure du « migrant » comme symbole du besoin de libertés individuelles absolues, remplaçant l’ouvrier dans le cadre de la lutte des classes. Il ne s’agit plus d’abolir le salariat, mais de faire du salarié un être fondamentalement indépendant de tout.

C’est là à l’opposé fondamental d’un mot essentiel du vocabulaire du mouvement ouvrier, celui d’internationalisme. Car chaque pays a le droit de se développer ! Et pas de se voir piller sa jeunesse au profit des pays riches. Chaque personne a le droit d’être membre de sa culture, de son pays, sans avoir à être amené objectivement ou subjectivement à devoir tout abandonner.

D’autant plus qu’il y a derrière ces flux migratoires des réseaux mafieux et esclavagistes avec une dimension gigantesque. N’importe quelle personne réellement de Gauche ne peut que vouloir les broyer et les anéantir. Mais certainement pas qu’ils soient accompagnés dans leur œuvre barbare par des organisations « humanitaires ».

Le cas des 141 migrants débarqués à Malte hier, dont a priori une moitié de mineurs et plus d’un tiers des femmes, est tout à fait typique.

Ils ont été entassés dans une embarcation de fortune et « déposés » à la limite des eaux internationales, au large de la Libye. Les passeurs ont lancé un appel de détresse puis s’en sont retournés, laissant ces personnes sans vivres ou presque, séparées parfois des membres de leur famille avec qui ils voulaient venir en Europe.

SOS Méditerranée - Médecins sans frontières

La plupart du temps, les migrants ne sont pas secourus et meurent noyés par centaine chaque mois. Ceux qui ne sont pas partis sont parfois retenus en esclavage par les « passeurs ».

Ceux qui arrivent en Europe vivent alors dans des conditions très précaires. Cela donne des situations inacceptables que les autorités laissent traîner volontairement, avec des camps de fortunes là encore à la merci des mafias, mais appuyés par des associations « humanitaires », souvent chrétiennes.

Les classes dominantes utilisent qui plus est par la suite facilement les arriérations culturelles sur le plan démocratique des immigrés des pays du tiers-monde d’un côté, le racisme de l’autre, pour diviser davantage encore plus le peuple.

Croire que l’Aquarius serait là pour réellement aider les gens, c’est croire en la bonté des capitalistes « de gauche », qui ne visent en réalité qu’à diviser pour régner, qu’à faire passer les valeurs ouvrières pour quelque chose de réactionnaire.

Être de Gauche, ce n’est certainement pas faire campagne en faveurs des migrations ou de l’Aquarius. C’est au contraire se lier internationalement aux personnes qui se battent pour leurs conquêtes démocratiques et le développement économique de leur pays.

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Culture

The Smiths : certains groupes sont plus grands que d’autres

The Smiths : le groupe anglais mythique des années 1980. Il est difficile d’exprimer toute la portée et l’influence de ce groupe venu de Manchester tant il aura marqué son pays et le monde. Mais qui est encore capable d’en apprécier le charme et la grâce aujourd’hui en France ? La jeunesse de notre pays est-elle complètement démunie, corrompue et molle qu’elle est incapable d’aller à la rencontre du romantisme des Smiths ? Ou bien a-t-elle rejeté leur beauté après être passée du côté de la réaction ?

The Smiths, Meat is murder, The Queen is dead
Trois premiers albums des Smiths

Les Smiths était un groupe ancré dans la réalité de son pays : l’Angleterre de Thatcher. Il ne sera pas arrivé seul. Tant de groupes ont émergé de cette époque, tous avec une forte sensibilité exprimée de différentes manières. Un mélange de mélancolie, de tristesse, d’ironie…

Les sonorités à la fois très pop et très accrocheuse du groupe suffisent à en faire une formation remarquable dans l’histoire de la musique. Mais les Smiths ne seraient pas les Smiths sans ces couplets, ces refrains, ces vers que l’on chantonne presque religieusement. Prenons trois exemples, tirés des trois premiers albums.

 

« The Hand that rocks the cradle », The Smiths

https://www.youtube.com/watch?v=2v2u9NNzF1g

 

Les notes légères et cristallines de la guitare flottent juste au-dessus des autres instruments. La mélodie produite donnent l’image d’une vieille berceuse usée par le temps et sur cette musique se pose la voix délicate de Morrissey. Le mariage est sublime.

La chanson parle de la relation d’un père avec son enfant de trois ans, de son amour, de la difficulté de le rassurer et de l’absence de la mère. Le texte donne l’image d’une personne brisée ne sachant pas comment s’y prendre, tout en ayant envie de bien faire.

Comme souvent, la dimension poétique va de pair avec un certaine flou. S’il n’y a pas autant d’interprétations que d’auditeurs, il reste toujours plusieurs manières de comprendre certaines détails et d’être touché par l’atmosphère de la chanson.

Cette même approche musicale se retrouve dans la dernière chanson de l’album, « Suffer little children ». Le rythme est plus lent, le ton plus posé, plus sombre : il est question d’une série de meurtres d’enfants entre 1963 et 1965, non loin de Manchester.

L’ambiance est dense et la phrase « Oh Manchester, so much to answer for… » du refrain marque tout au long de la chanson. Il y a une certaine distance, une pudeur qui s’accompagne d’un regard triste et désemparé sur la situation. La force des textes de Morrissey est d’arriver à trouver cette distance, cette justesse dans la manière de mettre sous forme de chanson toute une réalités sociales et des ressentis.

Le « iron bridge » de la chanson Still ill, à Manchester

 

« Well I Wonder », Meat is murder

 

Probablement l’une des chansons les plus denses du groupe.

Le personnage de la chanson est épris d’une personne qui ignore son existence. Son amour fou est à sens unique, et le pousse toujours plus près du précipice. Il n’a plus de prise sur le monde et sa propre existence. La justesse de l’écriture et la dimension tragique rendent la chanson unique.

Le travail autour de l’articulation entre le texte, le chant et les instruments est incroyable. La tragique est annoncé, il se met en place au fil de la chanson et la dernière minute purement instrumentale est inoubliable avec un bruit de pluie est monumental.

 

« There is a light that never goes out », The Queen is dead

https://www.youtube.com/watch?v=y9Gf-f_hWpU

 

Les Smiths sortent leur album mythique The Queen is dead en 1986. Un pallier a été franchi entre le précédent et celui-ci : il est une synthèse brillante de toute une tradition pop allant des Beatles aux Byrds. Le niveau d’écriture a lui aussi franchi un cap : beaucoup moins brut d’approche, plus sensible, plus subtile.

Avec la chanson « There is a light that never goes out », le tragique ne prend plus du tout la même forme. Avec une exagération presque humoristique de la situation lors du refrain, le morceau se chante presque facilement. Pourtant, la mélancolie du personnage est d’une force !

And if a double-decker bus crashes into us

To die by your side, is such a heavenly way to die.

And if a ten-ton truck kills the both of us

To die by your side, well, the pleasure – the privilege is mine.

Et si un bus à double étage, nous rentre dedans

Mourir à tes côtés, voilà une divine manière de mourir.

Et si un poids lourd, Nous tue tous les deux

Mourir à tes côtés, et bien, tout le plaisir, le privilège est pour moi.

Les Smiths auront réussi à allier discours social et sentimental. Souvent de manière brut mais toujours avec une très grande sensibilité. Le principal reproche possible est qu’ils n’ont pas su assumer ce qu’ils ont porté : le quatrième et dernier album est d’une qualité très inférieure, et le groupe s’est ensuite séparé. Son histoire aura été relativement courte, mais intense.

Le groupe aura réussi à mettre des mots sur ce qu’on pu ressentir et ce qu’ont pu continuer de ressentir des millions de personnes. Ils ont été, et sont toujours, ce groupe qui donne l’impression de ne pas être seul. Ils auront réussi à parler d’isolement, de violence sociale, de végétarisme ou encore de sujet très délicats, toujours avec une distance juste, comme l’avortement – dans la chanson « This night has opened my eyes ».

Seulement les Smiths sont un reflet trop fort, trop intense de toute une époque qui continue encore aujourd’hui. La difficulté est de ni sombrer dans une certaines complaisance romantico-dépressive, ni vider le groupe de toute sa substance. Il faut arriver à défendre et revendiquer toute la beauté qu’ils ont porté et espérer que cette écoute de « The Queen is dead » sera la dernière : espérer que demain sera le début d’un monde nouveau duquel les chansons des Smiths ne refléteront plus rien.

Manchester
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Société

Faire manger des crevettes aux enfants, l’utopie de la gauche pour Ian Brossat du PCF ?

Ian Brossat est quelqu’un de très actif sur Twitter. Cela lui permet de parler souvent sans avoir besoin d’avancer un contenu très élaboré. Avec des petites phrases, il pense pouvoir facilement se façonner une image de gauche, sans que cela n’engage à grand-chose dans le fond.

Parfois, quelques mots suffisent à en dire beaucoup sur la vision du monde d’une personnalité politique. C’est ainsi que dimanche soir, alors qu’il regardait probablement la télévision, celui qui est tête de liste du PCF pour les prochaines élections européennes a « tweeté »:

Quel bel horizon proposé pour la jeunesse populaire, manger des crevettes ! Outre le fait que la pêche à la crevette soit l’un des pires symboles de la destruction des océans, il y a là une perspective culturelle terrifiante.

Autant on peut imaginer que cela avait un sens dans les années 1950 de faire découvrir des produits de la mer aux enfants d’ouvriers de la banlieue parisienne, autant en 2018 cela relève de la supercherie la plus totale tellement le monde a changé depuis.

Si la plupart des enfants de Saint-Denis ne mangent pas de crevettes, c’est surtout parce qu’ils sont largement issus de l’immigration et que ce n’est pas dans leur habitude. Les crevettes ne valent pas plus cher dans un supermarché de banlieue que beaucoup d’autres produits très consommés.

La population, même dans un cité HLM, n’est pas misérable à ce point. Il faut vraiment être déconnecté des réalités de la classe ouvrière de France pour s’imaginer que la question se pose en ces termes.

Mais justement, Ian Brossat n’a pas grand-chose à voire avec la classe ouvrière. Il est un adjoint bien en vue à la mairie de Paris par Anne Hidalgo, dont il a été le porte-parole pendant sa campagne. Lui qui est depuis 2012 président de la Société d’économie mixte PariSeine (en charge du Forum des Halles et d’un certain nombre d’autres grands projets) ou bien qui est marié à un professeur de classes préparatoires du très bourgeois Lycée Louis-le-Grand.

C’est donc facile de regarder les « pauvres » de l’autre côté du périphérique s’organiser pour des vacances bas de gamme. Parce que si ces « colos » ne sont facturées que 100 euros à certaines familles, c’est bien la collectivité qui paye la différence. Ce sont les habitants eux-mêmes qui paient cela. Les riches ne paient pas leurs impôts locaux à Saint-Denis mais plutôt à Neuilly-sur-Seine ou à Paris, et d’ailleurs ils ont en général de nombreuses astuces pour éviter de les payer.

Ian Brossat n’a pas grand-chose à voir non-plus avec les traditions du parti communiste. Sinon, il ne citerait pas aussi facilement Capital sur M6. Cette émission est une sorte de condensé de ce que n’importe quel militant du PCF déteste. C’est une apologie grossière et racoleuse du business. Elle consiste à vendre du « rêve » capitaliste aux pauvres, en les prenant pour des imbéciles par ailleurs.

Car, même sans être communiste, n’importe qui ayant un minimum de culture et d’exigences culturelles ne peut qu’être horrifié par un tel contenu. Rien que le ton de la voix-off typique de ce genre de documentaire n’est pas acceptable. Il est d’ailleurs souvent moqué par les gens refusant une telle niaiserie.

Rejeter Capital sur M6, c’est la base pour quelqu’un de gauche. Et donc, on ne cite pas cette émission comme ça, au passage, sans la critiquer. À moins justement, encore une fois, d’être tellement déconnecté de la classe ouvrière qu’on en a pas compris le propos.

Car que disait ce reportage, qui est visible en « replay » sur le site de la chaîne moyennant le visionnage forcé de quelques publicités ? Il montrait cette « colo » communiste comme une vieillerie devant disparaître parce que les versions commerciales seraient mieux.

Ni plus ni moins, il s’agissait de dire que les établissements municipaux sont des gouffres financiers pour les mairies et sont ringards en termes de contenu. Capital faisait, comme c’est son rôle, la promotion du libéralisme en montrant les échecs du socialisme.

Ce centre, au milieu de plusieurs autres centre de vacances municipaux ayant déjà fermé, avec ses installations bas de gamme et son matériel vieilli, était tout sauf une publicité pour les communistes.

Il faut vraiment toute la candeur d’un bourgeois de l’entre-soi parisien pour y avoir vu quelque chose de positif pour le PCF, simplement parce qu’une jeune fille de banlieue y mangeait des crevettes pour la première fois de sa vie.

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Culture Nouvel ordre

La grande chanson ouvrière « L’Internationale »

L’Internationale est la grande chanson historique du mouvement ouvrier. En voici les paroles et une version chantée.

Debout, les damnés de la terre
Debout, les forçats de la faim
La raison tonne en son cratère,
C’est l’éruption de la faim.
Du passé faisons table rase,
Foule esclave, debout, debout
Le monde va changer de base,
Nous ne sommes rien, soyons tout.

C’est la lutte finale ;
Groupons nous et demain
L’Internationale
Sera le genre humain.

Il n’est pas de sauveurs suprêmes
Ni Dieu, ni César, ni Tribun,
Producteurs, sauvons-nous nous-mêmes
Décrétons le salut commun.
Pour que le voleur rende gorge,
Pour tirer l’esprit du cachot,
Soufflons nous-mêmes notre forge,
Battons le fer tant qu’il est chaud.

L’État comprime et la Loi triche,
L’impôt saigne le malheureux ;
Nul devoir ne s’impose au riche ;
Le droit du pauvre est un mot creux
C’est assez languir en tutelle,
L’Égalité veut d’autres lois ;
« Pas de droits sans devoirs, dit-elle
Égaux pas de devoirs sans droits. »

Hideux dans leur apothéose,
Les rois de la mine et du rail
Ont-ils jamais fait autre chose
Que dévaliser le travail ?
Dans les coffres-forts de la banque
Ce qu’il a crée s’est fondu,
En décrétant qu’on le lui rende,
Le peuple ne veut que son dû.

Les rois nous saoulaient de fumée,
Paix entre nous, guerre aux Tyrans
Appliquons la grève aux armées,
Crosse en l’air et rompons les rangs !
S’ils s’obstinent ces cannibales
A faire de nous des héros,
Ils sauront bientôt que nos balles
Sont pour nos propres généraux.

Ouvriers, paysans, nous sommes
Le grand parti des travailleurs,
La terre n’appartient qu’aux hommes,
L’oisif ira loger ailleurs.
Combien de nos chairs se repaissent !
Mais si les corbeaux, les vautours,
Un de ces matins disparaissent,
Le soleil brillera toujours.

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Écologie

Pourquoi la Gauche n’a-t-elle pas interdit la chasse à courre ?

Depuis 1981 et l’élection de François Mitterrand comme Président, il y a eu plusieurs gouvernements de gauche. Ils n’ont pas interdit la chasse à courre et n’ont jamais abordé la chasse non plus.

Chasse à courre

Pour la chasse, la raison en est bien connue : c’est la faute au PCF. Il se plaçait comme opposition radicale dans les années 1950 lorsqu’il était le plus grand parti politique français, mais à partir de 1958 avec le coup d’État gaulliste il s’est de plus en plus effacé. Et pour conserver son influence, il a été particulièrement populiste et a défendu la chasse avec acharnement, en disant que c’est un acquis de la révolution française.

Auparavant, seule la noblesse avait le droit de chasser et désormais, le régime républicain permettrait à chacun de le faire. Il est désormais pourtant évident qu’il ne s’agit pas que chacun puisse chasser, mais que personne ne puisse le faire. Aucune civilisation développée ne peut accepter le principe d’une personne se baladant avec une arme pour tuer un être vivant.

Cette idée d’assassinat s’appuie par ailleurs sur une approche résolument patriarcale, avec l’homme primitif abordant avec violence la réalité l’environnant. C’est un élément très important, car la chasse est une démarche partagée par des hommes, avec une idéologie viriliste agressive.

D’où justement le soutien unilatéral des structures officielles de la chasse à la chasse à courre, de par les ponts du virilisme avec la néo-féodalité, l’esprit néo-aristocrate des « équipages » de la chasse à courre et leur entourage obséquieux fasciné par le clinquant, la puissance locale, le style oligarchique.

La Gauche gouvernementale a capitulé pour cette raison devant la chasse à courre. Elle n’en a jamais fait un thème, parce que la chasse à courre est reliée à la chasse en général. Or, critiquer la chasse, ce serait rompre avec les valeurs traditionnelles, que la Gauche gouvernementale n’a jamais voulu heurter. Dans l’esprit de Sciences-Po, il y avait l’idée que tout gouvernement doit avant tout s’appuyer sur le « centre », donc sur les circuits traditionnels du régime en place.

Par là même, on doit sans doute dire que la Gauche gouvernementale a échoué du moment même où elle a capitulé devant sa volonté, juste après 1981, de supprimer l’école privée. Le front catholique en défense de « l’école libre » a été assez puissant pour casser la dynamique de Gauche, pour la faire capituler sur le plan des idées.

Chasse à courre

On dit souvent que c’est la crise économique qui a obligé la Gauche gouvernementale à abandonner sa démarche, avec également la fuite de gens très riches notamment en Suisse. Ce n’est pas vrai : la France est un pays très riche et il y avait les moyens d’avancer indépendamment des crises du capitalisme, et même contre elles. La réalité est qu’il y a eu un abandon des valeurs culturelles de Gauche, au profit d’un esprit de gestion, d’amélioration du capitalisme, comme avec les nationalisations ayant abouti à des privatisations finalement.

De toutes façons, la Gauche gouvernementale n’avait pas réellement réfléchi à tout cela. Elle est le pendant « réaliste » de la Gauche « utopiste », les deux étant nés avec 1958 comme la « nouvelle gauche », et ayant connu leur moment de gloire avec mai 1968. L’idée a toujours été de parvenir au pouvoir d’une manière ou d’une autre, afin de mettre un terme à la domination de la Droite.

C’est un grand problème de la Gauche et c’est également cette même absence de contenu bien déterminé qu’on retrouve au moment du Front populaire. Ce dernier a été construit dans l’urgence antifasciste et est un exemple historique à forcément suivre. Il est dommage cependant que l’absence de contenu ait été si important qu’il se soit justement effondré rapidement après, sans tracer de perspective.

Cela souligne l’importance de la lutte contre la chasse à courre. C’est une réalité historique qui ne peut que fédérer la Gauche, qui ne peut que la forcer à comprendre que les riches vivent à part et comme ils veulent, qu’ils ont des valeurs pratiquement fondamentalistes : la grande propriété et sa domination sur la population, l’utilisation de la nature selon les « besoins » du divertissement jusqu’au plus absurde, l’appui le plus grand aux « traditions ».

Cela ne peut qu’aider à faire se remettre en cause les hommes de Gauche qui ont été happés par la chasse, sans voir qu’ils cédaient ici culturellement à la Droite, obéissant à des valeurs contraires à ce qu’eux-mêmes défendent.

La Gauche n’a pas interdit la chasse à cour, car elle n’était pas réellement elle-même : il est temps qu’elle le soit !