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Société

L’impossible mariage des prêtres catholiques

Les catholiques français sont très réceptifs à la possibilité pour les prêtres de se marier. Or, c’est une impossibilité théologique fondamentale, comme le pape vient de le rappeler. Ce qui se révèle ici, c’est un souhait permanent de chercher à moderniser la religion catholique afin de la maintenir, sous une forme ou sous une autre : elle n’est ainsi qu’une idéologie.

Lourdes

L’Église catholique romaine, afin de ne pas perdre ses positions en France alors que le protestantisme s’élançait (avec Hus, Calvin, Luther), a fait de ce pays sa fille aînée. Plus simplement, il a été dit à François Ier qu’il jouerait un rôle central dans la nomination de la direction catholique, en échange de quoi il ne touchait pas aux privilèges matériels du catholicisme, ni à ses importantes propriétés. Cet accord a permis l’avènement sans encombre de la monarchie absolue.

Cela a amené le catholicisme français à connaître un chemin qui lui est propre. Déjà qu’au-delà de la fiction universelle du Vatican, le catholicisme est relativement différent dans chaque pays, le catholicisme français est qui plus est très autonome. Ses positions très libérales-sociales se sont d’autant plus renforcées qu’il fallait faire face non seulement à la « modernité », mais à une offensive anticléricale, anti-religieuse. Cela amène les prêtres français à tenir un discours démagogique extrêmement ouvert, très accueillant, très universaliste, etc.

Cela fait que les catholiques français ne savent même plus que si l’on n’est pas catholique, alors une fois mort on va en enfer ; ils ne connaissent rien à la théologie, aux grands principes de leur propre religion. D’où inversement les réactions ultras de minorités catholiques, qui attribuent cette situation en réalité très française au concile dit Vatican II. Les Français sont tout simplement pétris de libéralisme et par conséquent, quand ils sont catholiques, ils ont une lecture libérale de leur religion, voilà tout.

Le même phénomène existe d’ailleurs chez les juifs, les protestants et les musulmans. La grande majorité des gens se reconnaissant dans ces religions n’en connaissent pratiquement rien dans le domaine théologique, à part donc pareillement des petites minorités ultras. La religion est une forme relevant de l’antiquité, du moyen-âge ; elle ne peut pas exister ni dans une société libérale, ni dans une société où les gens sont raisonnables, autonomes sur le plan de la pensée (il y a bien lieu de distinguer ces deux sociétés !).

Si elle se maintient, c’est qu’elle est idéologie, bien plus qu’un questionnement métaphysique, chose qu’on ne retrouve que chez les intellectuels, avec parfois une vraie interrogation de type cosmologiste ou bien sur la nature de l’humanité. Les catholiques français expriment, au moyen de leur religion, un conservatisme bienveillant, dont les scouts sont finalement les meilleurs représentants. Seulement voilà on ne fait pas une religion qu’avec des scouts. Il faut un clergé.

Et étant libéraux, les catholiques français n’ont rien contre le mariage des prêtres. D’abord, parce que chacun fait ce qu’il veut, ensuite, parce que cela permettrait d’en avoir plus, d’être plus proches également du mode de vie moderne. Seulement voilà, le catholicisme est un mysticisme qui, dans la lignée d’un (saint) Augustin, d’un (saint) Thomas, (pseudo) Denys l’Aréopagite, n’en a rien à faire du monde moderne, ni même du monde matériel. Il faut aller dans le sens de la pureté divine, pas de la matière. Le mariage des prêtres est donc impossible.

Le pape était il y a peu au Panama, à l’occasion de la journée mondiale de la Jeunesse (catholique romaine), et dans l’avion qui l’a ramené à Rome, il a tenu une conférence de presse, comme il en a l’habitude. On lui a parlé du thème du mariage des prêtres, et ce pape « moderne » a été très clair :

« Personnellement je pense que le célibat est un don pour l’Église »

« Je ne le ferai pas [=autoriser le mariage des prêtres], que cela reste clair. Je peux sembler peut-être fermé là-dessus mais je ne me sens pas de me présenter devant Dieu avec cette décision. »

C’est tout à fait logique, puisque cela correspond à la base théologique du catholicisme. Le pape François a même cité (saint) Paul VI:

« Je préfère donner ma vie que de changer la loi du célibat. »

Après, il a raconté que de son point de vue on pouvait former des quarts de prêtres pour célébrer la messe dans des « endroits très éloignés », mentionnant les îles du Pacifique ou encore l’Amazonie. Mais même cela sera théologiquement très difficile à mettre en place, de par la nature « mystique » du prêtre.

Car le prêtre doit être pur, il est en liaison direct avec le divin. Il n’est pas sur le même plan que les gens qui ne font pas partie du clergé ! D’ailleurs, dans l’Église catholique orthodoxe, le clergé fait encore sa cérémonie mystique en étant masqué des présents dans l’église, car ceux-ci ne sont pas dignes d’y assister. On ne plaisante pas avec l’eucharistie chez les catholiques : le vin est vraiment considéré comme le sang de Jésus, chaque dimanche, et le pain est vraiment censé être son corps.

On boit et on mange le Christ, le dimanche à la messe. C’est évidemment difficile à avaler au 21e siècle, aussi les catholiques libéraux aimeraient bien quelques améliorations, afin de conserver leur joujou conservateur. Mais ils rentrent là en conflit avec la dimension théologique de la religion, qui en fait d’ailleurs son intérêt historique, sur le plan de l’humanisme. Un Dieu qui se fait homme, c’est le début d’une révolution intellectuelle et conceptuelle, un basculement en faveur de l’humanité. Cela mène finalement droit à l’athéisme, pour qui a une lecture humaniste et naturaliste de cette question.

Le catholicisme romain n’évitera donc pas une crise en France, de par les exigences de son public libéral ayant abandonné toute dimension théologique, et le maintien des fondamentaux…

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Réflexions

Le landau et la canette de Red Bull

Même quand on n’est pas dans son propre pays, on l’est quand même. Pourquoi ? Parce que les prolétaires sont tous les mêmes.

Il est vrai que cette anecdote, de par son mauvais goût, tient plus d’un style germanique que d’un tempérament latin. Encore que ce n’est pas une anecdote, mais juste une preuve de plus, à ce que l’on sait bien déjà : les prolétaires sont tous les mêmes.

Ce fut, donc, dans un pays étranger, d’une ville touristique mais dont la périphérie, c’est de rigueur, consiste en des tours laides, sans personnalité ni n’exprimant rien à part la fadeur. Le couple avec le bébé était jeune, cela aussi est une constante populaire. La jeune femme fumait, là encore une mauvaise habitude.

Elle poussait donc un landau, la clope au bec comme le dit l’expression. Alors, le détail apparut au détour d’un regard à la fois bienveillant et critique. Le landau disposait, un peu plus bas que par là où on le pousse, un endroit pour poser le biberon tout en faisant qu’il reste stable. Cependant, ce n’était point un biberon qu’on trouvait là ! C’était une canette de Red Bull.

Que dire de cet étrange ressenti qui peut nous envahir à la vue d’une telle chose ? Quelle joie, quel attendrissement ! Non pas que ce soit la canette en elle-même qui soit plaisante et provoquerait subitement la soif, car il s’agit d’une boisson sucrée, caféinée, bref d’une de ces drogues industrielles et chimiques comme le capitalisme aime à en inventer pour trouver un moyen que l’on consomme à tout prix.

Non, ce qui était vivant comme sentiment, c’était l’impression de voir des compatriotes. Dans un pays qui n’est pas le sien, on aura beau dire, au bout d’un certain moment, il est plaisant de rencontrer des gens parlant sa langue. Au début du séjour on est vexé d’un tel fait, car on pensait être loin, enfin tranquille, et on se dit alors qu’on n’est pas allé assez loin. On se renfrogne. Pourtant, au bout d’une certaine période, qui peut être courte, on a comme le mal du pays.

Voir ce landau avec sa canette put donc agir tel un étendard, telle une sommation : prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! Non pas pour boire du Red Bull, cela va de soi, mais qui peut prétendre que cette image n’est pas d’Épinal, n’a pas dans sa substance ce qui forme le cas d’école, ne forme pas un exemple typique ? Ne devine-t-on pas que cette scène est, dans son caractère, la même à Barcelone, Lille ou Rotterdam, Malmö, Dortmund ou Zurich ?

Les prolétaires sont tous les mêmes, et ils sont même de plus en plus les mêmes, malgré que dans chaque pays on consomme plus de choses, et que les différences s’accentuent en apparence. Ce qui tend à triompher chez les prolétaires, c’est la même attitude, le même comportement, le même style. Et on aurait tort d’être unilatéral et de voir par exemple en les jeunes prolétaires des idiots sans conscience écoutant un certain « son » de rap, avec certains habits bien codifiés, certaines dégaines stéréotypés, certaines réactions simplement reprises à d’autres.

Car, ce qui se dessine au-delà de la faiblesse culturelle, c’est la volonté de s’approprier le monde. La canette de Red Bull n’est qu’un début et on peut déjà voir que les jeunes prolétaires s’habillent bien mieux que les générations précédentes, avec plus d’exigence pour le style, l’esthétique. Auparavant, seule une petite minorité recherchait quelque chose de ce type, désormais, il y a une pression générale pour être conforme à une certaines atmosphère, un certain style.

Si les gilets jaunes avaient d’ailleurs voulu que les prolétaires les rejoignent massivement, ils n’auraient pas réclamé de l’essence, mais un autre liquide : ceux des parfums. Bien naïf celui qui croit que la palette est le symbole du prolétaire du 21e siècle ! Le prolétaire ne se veut plus prolétaire, c’est là sa force et sa faiblesse. Il veut dépasser le bourgeois mais s’imagine qu’il doit pour cela lui ressembler, telle une caricature d’ailleurs. Bientôt il abandonnera cette illusion.

Et alors les revendications sociales, ce sera aussi : du beau textile pour tous, des objets utiles soit mais esthétiques, le raffinement accessible, les bonnes manières oui, mais populaires !

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Écologie

Un panorama de la chasse à courre

Combien sont les veneurs ? Où sont-ils présents ? A quel degré sont-ils structurés et quel sorte de vecteurs forment-ils ?

chasse à courre

La chasse à courre est une activité plus que minoritaire. De qui parle-t-on ? D’environ 10 000 personnes. Leurs sympathisants les plus proches ne sont pas bien plus nombreux : la « lettre des amis » touche environ 30 000 personnes. On peut dire que c’est le noyau dur de la chasse à courre.

De plus, en apparence, ces gens ne peuvent pas disposer d’une force locale très forte. En effet, la chasse à courre est ainsi possible dans 63 départements, et elle existe dans 63 départements, avec à peu près 400 équipages. Il n’y a donc pas un bastion particulier, qui serait une forteresse inexpugnable, mais des équipages dispersés, et en plus même pas sur tous les territoires.

Il y a quinze équipages en Charente-Maritime, mais un seul dan l’Aude ; il y en a dix dans l’Eure, dix-huit dans l’Indre, mais deux dans la Loire, quatre dans les Landes. Il y en a onze dans la Sarthe, mais un seul dans les Vosges, etc.

Ce n’est pas tout, les veneurs n’exercent pas tous la même activité. Il y a à peu de choses près 38 équipages visant les cerfs, 93 les chevreuils, 46 les renards, 121 les lièvres, 48 les lapins, 40 les sangliers. C’est autant de différenciation sur le plan de l’approche, des mentalités.

Il faut aussi compter les disparitions d’équipages, environ dix par an. Même si elles sont compensées par autant de création d’équipages, cela fait autant de traditions en moins.

Pourtant, malgré tout cela, la chasse à courre n’a jusqu’à présent jamais été ébranlée, à part depuis ces derniers mois grâce à l’impact dévastateur d’AVA en Picardie, qui s’est désormais donné une stature nationale, avec une présence dans une quinzaine de lieux.

Pourquoi cela ? Non pas parce que la chasse à courre est anecdotique, mais bien justement, à l’inverse, parce qu’elle est d’une puissance sans proportions avec sa faible base numérique.

Ce qui compte en effet avant tout, c’est que ces équipages soient des vecteurs de tout un système de valeur, allant des traditions des notables à la réduction des esprits à la dimension du « terroir ». La chasse à courre fait peser un poids énorme sur les mentalités, elle est un tel couvercle sur les esprits.

C’est là son intérêt pour le régime, qui cherche par instinct la conservation. Et c’est par là que la base numérique se démultiplie.

Étant portée par des gens appartenant socialement à la haute bourgeoisie, la chasse à courre dispose d’appui des plus solides dans l’appareil d’État. Cela est vrai tant au plus haut niveau, qu’au niveau local, où forcément les municipalités s’effacent devant les desiderata des puissants notables.

Pour donner un exemple, Gallica, le site officiel de la Bibliothèque Nationale, a fait un partenariat avec les veneurs, permettant de consulter les ouvrages sur la chasse à courre sur un site consacré à la mémoire des équipages. Joconde, le site du ministère de la culture, a fait de même pour les peintures.

Certaines sections du site en question sont également accessibles à partir de bornes spéciales dans certains musées, ainsi à Chambord, Gien, Montpoupon, Senlis, celui de la « Chasse et de la Nature » à Paris.

On est là dans l’esprit des grands propriétaires et il va de soi que tous les gens concernés de près ou de loin par les châteaux, manoirs, domaines… se retrouvent dans ce milieu, à quelque degré que ce soit.

Il faut également tenir compte de la gigantesque intendance exigée par la chasse à courre. Ici, il n’y a aucun amateurisme ; la société de vénerie a été fondée en 1907 et enseigne des approches bien définies, des techniques bien déterminées.

7 000 chevaux sont par exemple employés. Avoir de tels animaux coûte une fortune et implique de nombreuses personnes au service de leurs possesseurs. C’est autant d’impact en plus. Il y a également 30 000 chiens qui sont utilisés, ce qui demande pareillement toute une intendance, avec autant de gens participant. Les veneurs font d’ailleurs naître eux-mêmes 4 000 chiots par an.

Quelques rares entreprises sont spécialisées dans les habits très précis destinés à la chasse à courre, comme Saadetian ou Hourvari, tout comme une vingtaine d’artistes (Thierry D’., Yvan B., Marie-Joëlle C., Antoine de la B., Christian de la V., Arnaud de M., Didier de M., etc.), quelques photographes.

Ce n’est pas tout. Le nombre de chasses est énorme, il est de 16 000 par an. Cela renforce encore plus la base des suiveurs, sans parler de l’impact culturel sur les territoires concernées, de par la régularité de cette activité. Il faut tabler ici sur un total de 100 000 personnes qui, d’une manière ou d’une autre, se retrouvent liés à tout cela, depuis une simple participation aux messes spéciales à une participation active en tant que telle.

Ce panorama montre bien qu’on a ici affaire à une couche sociale bien déterminée, parfaitement insérée socialement dans la bourgeoisie et les territoires, capable de faire agir différents leviers.

Ce n’est pas une simple annexe de la bourgeoisie, mais une de ses composantes. C’est un des éléments du dispositif du maintien de l’ordre à l’échelle du territoire.

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Politique

Les défections de la liste électorale des gilets jaunes conduite par Ingrid Levavasseur

Cinq jours après avoir annoncé qu’il en serait le directeur de campagne, le gilet jaune Hayk Shahinyan a finalement quitté la liste électorale conduite par Ingrid Levavasseur pour les élections Européennes. Cette grande confusion montre l’absence de rationalité et de perspective historique d’un mouvement qui n’est qu’une agitation hystérique des classes moyenne en perte de vitesse.

Ingrid Levasseur est une figure médiatique depuis le début du mouvement des gilets jaunes, mais elle est opposée à d’autres figures comme Priscillia Ludosky ou Eric Drouet.

Ces derniers ont un positionnement plus radical, imaginant plutôt un soulèvement insurrectionnel pour faire plier les institutions. Au contraire, la liste « gilets jaunes » s’imagine pouvoir changer les institutions en s’y intégrant.

Le nom de la liste est ouvertement populiste puisqu’il reprend l’anagramme du référendum d’initiative populaire (RIC) pour devenir «Rassemblement d’initiative citoyenne». Il n’y a pas de contenu, simplement un état d’esprit « gilet jaune » avec l’idée de surfer sur la vague du mouvement en rassemblant « des gens qui ont fait cette mobilisation depuis le début sur les ronds-points ».

Cela est donc fait à la va vite, sans véritablement de sérieux dans la forme elle-même. Rien que la question pourtant primordiale du financement n’est pas réglée puisqu’il a été proposé un « crowdfunding », alors que cela n’est pas vraiment autorisé par le code électoral.

Mais, plus significatif, il y a cette démission du directeur de campagne cinq jours après l’annonce de la liste. Hayk Shahinyan a en fait cédé à la pression des gilets jaunes qui ne supportent pas cette initiative. Ses justifications en disent long sur le caractère velléitaire des gilets jaunes, qui vont loin dans la prétention mais ne sont capables de rien assumer concrètement.

Voici ce qu’il dit pour se dédouaner, avec une prétention assez hallucinante pour quelqu’un qui abandonne ses comparses en plein vol :

« Ce que l’on reproche toujours à ceux qui nous « dirigent » c’est de ne jamais reconnaître leurs erreurs, être incapables par un égo surdimensionné de faire un pas en arrière pour corriger le tir et avancer mieux, penser avec arrogance que leurs certitudes incarnent la vérité.

Penser que le « doute » est réservé aux Hommes faibles.

J’ai toujours pensé que douter, à une dose raisonnable, est un signe de sagesse et d’intelligence, se poser des questions, se remettre en question, corriger ce qui doit être corrigé.

La précipitation avec laquelle je me suis laissé emporter dans une configuration différente de ce que je prônais depuis des semaines, suivie de la blessure grave de Jérôme que je connais et pour qui j’ai beaucoup de respect et l’accumulation des blessés graves, l’approche de la grève générale illimitée dont l’appel fut lancé, la certitude que quelque chose de structuré doit pourtant naître de tout cela, sous une forme ou sous une autre, l’approche d’une échéance électorale qui peut constituer une opportunité si elle est préparée de manière intelligente, la sortie prochaine de la période hivernale qui pourrait voir la mobilisation s’intensifier d’avantage, la fin du grand débat et les déceptions évidentes qui vont suivre et pourraient renforcer la mobilisation, et bien d’autres paramètres encore créent le doute.

Celles et ceux qui affirment avec certitude détenir LA solution, je m’en méfie toujours, je préfère ceux qui réfléchissent objectivement et calmement sans crier des affirmations en permanence.

J’ai pris la décision de me retirer de toutes mes activités, revenir à Lyon, et prendre une semaine pour analyser, réfléchir, préparer des propositions, et prendre du recul.

J’ai toujours été et je serai toujours un homme libre, que cela plaise ou non.

Je ne lâcherai pas le combat. Jamais.
Mais je dois retrouver du recul. »

Ces propos sont lamentables tellement ce n’est pas sérieux. On a là quelqu’un qui devait cinq jours avant diriger la campagne d’une liste promise à un grand écho médiatique, qui explique en fait que tout cela a été fait dans la précipitation et que peut-être bien qu’il va se passer autre chose de mieux autrement ! Il parle d’ailleurs d’une hypothétique grande grève générale, un mythe typiquement syndicaliste, alors que la liste qu’il devait diriger a en quatrième position un chef d’entreprise, ce qui est complètement antinomique.

Ce chef d’entreprise d’ailleurs, Frederic Mestdjian, qui reste sur la liste, le défend pourtant malgré sa défection. Il explique que « Hayk a besoin d’un peu de temps pour lui», précisant qu’il avait tout laissé de côté sur le plan professionnel et qu’il a des « échéances administratives ».

Tout cela n’a aucun sens et en dit long sur cette grande catastrophe politico-culturelle qu’est le mouvement des gilets jaunes. Cela part dans tous les sens, tout et n’importe quoi y est raconté sans que cela n’ait aucune valeur.

Notons également la défection de celui qui devait être en huitième position sur la liste, Marc Doyer. Il part pour ne pas nuire au projet suite aux critiques à propos du fait qu’il avait été candidat à l’investiture La République en marche (LaREM) aux législatives de 2017. Ce gilet jaune est donc un « déçu » d’Emmanuel Macron, qui passe d’un bord à l’autre, d’un populisme à un autre, sans aucune constance, sans aucune cohérence.

C’est typique, absolument typique, et il faut bien comprendre de toute façon que le gouvernement d’Emmanuel Macron voit d’un très bon œil cette liste gilets jaunes, tant pour affaiblir son opposition que comme moyen d’empêcher toute expression rationnelle, toute critique s’inscrivant dans la lutte des classes.

La Gauche française a ici une grande responsabilité, car en se retrouvant isolée, divisée, affaiblie, elle offre un boulevard pour ce type de démarche et cette grande confusion sociale.

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Politique

Le référendum et le positivisme bourgeois

La critique du RIC (référendum d’initiative citoyenne) doit être comprise depuis le cadre même de ce que sont les institutions de la bourgeoisie dans notre pays.

De l’expérience de la Première République jusqu’aux juristes positivistes de la IIIe République, la bourgeoisie a fortement marqué la culture politique française en cherchant à affirmer une dimension faussement démocratique, bornée et restreinte, aux différents régimes républicains, jusqu’à notre propre époque. Loin d’être une mesure subversive ou même avant-gardiste, la question du référendum est précisément et ni plus ni moins qu’un des éléments de ce dispositif.

Une fois élancé le mouvement révolutionnaire de 1789, les différentes factions de la bourgeoisie ont passé l’essentiel de leur histoire à affronter d’une part la réaction et d’autre part à s’affronter les unes les autres pour le contrôle de l’État bourgeois en réprimant, souvent dans le sang de la classe ouvrière, les revendications démocratiques trop poussées qui les mettent dangereusement face à leurs contradictions. Cette lutte se poursuit jusqu’à nos jours, mais elle s’est organisée et institutionnalisée dans les formes que nous lui connaissons à partir de la IIIe République.

La volonté et la nécessité de maintenir l’élan populaire qui avait initialement appuyé la bourgeoisie dans ce cadre a donc poussé celle-ci à tenter de trouver des formes institutionnelles permettant d’aller vers la démocratie sans pouvoir en être capable au bout du compte. C’est en ce sens que les différents projets de Constitution suivant la déclaration de la République en 1792 prévoient tous en quelque sorte un prolongement du régime parlementaire de l’Assemblée (appelée dans un premier temps « Convention ») par différentes solutions permettant plus ou moins l’expression politique et la participation populaire : censure des actes législatifs de l’Assemblée par les citoyens, droit de pétition, ébauche de référendum… L’idée commune est de refuser les organisations collectives et durables du peuple en-dehors de l’Assemblée nationale. Les autres assemblées instituées à l’échelle des départements et des communes sont étroitement contrôlées et fortement limitées dans leurs prérogatives et leur composition. L’expérience des cahiers de doléances est donc purement et simplement balayée, l’engagement politique est renvoyé à la capacité individuelle de s’organiser dans une logique d’entreprise et de mobiliser un réseau plus ou moins volatile autour de quelque chose.

Ainsi s’est formée la double perception du peuple que la bourgeoisie entend mettre en avant et qui est aujourd’hui même, celle des populistes : un agrégats de citoyens reflétant la diversité de la nation en tant qu’individus d’une part. Et de l’autre, une entité politique collective mais abstraite unie par un sentiment national tel que défini par le régime qui ne peut se rassembler comme force qu’autour d’un « projet » précis et borné.

C’est précisément cette conception du peuple qu’il faut bien comprendre pour saisir concrètement en quoi le populisme n’est pas la démocratie : à l’idée d’un peuple abstrait et réduit à une somme d’individus particuliers tenus par la seule capacité de l’État bourgeois à incarner la nation, il faut opposer celle où le peuple en lui-même est la nation hors de toute incarnation institutionnelle.

A l’idée que la participation politique est pilotée par les fractions de la bourgeoisie et de ses agents, de ses figures, que le peuple par sa force collective doit appuyer à la demande, il faut opposer celle que c’est le peuple lui-même qui fait l’histoire et que celle-ci s’inscrit pleinement dans le cadre de la lutte des classes, dont la bourgeoisie est désormais la cible, le problème.

A l’idée d’une participation collective additionnant des individus « libres » et divers autour d’une question avant de s’évaporer, il faut opposer la nécessité de se rassembler collectivement et durablement, d’organiser des Assemblées populaires à la base pour mettre sur le tapis les contradictions et affirmer le bien commun, chercher des solutions.

Ce cadre étant posé, il est évident que ce que l’on appelle « référendum » relève entièrement de la conception historiquement bourgeoise de la démocratie. Dans notre pays, la bourgeoisie a notamment produit tout un arsenal juridique et idéologique poussé ayant particulièrement marqué notre culture politique. De la Première République de 1792 et ses tentatives jusqu’au triomphe de la domination bourgeoise avec la IIIe République notamment, la bourgeoisie libérale a imprimé fortement toute la conception de l’État et de la souveraineté, notamment par son positivisme.

Au bout du compte, il a été produit une distinction entre d’une part « souveraineté nationale » qui relève de la légitimité de l’Assemblée Nationale et du parlementarisme, ce que la bourgeoisie considère comme la « démocratie représentative ». Et d’autre part, la « souveraineté populaire » qui produirait donc une « démocratie directe » s’appuyant sur les citoyens sous la forme d’une participation pétitionnaire à la vie politique. L’une comme l’autre néanmoins relevant entièrement de l’État bourgeois et de son cadre.

Cette distinction et la question de leur articulation constitue pour la bourgeoisie française un débat prolongé sur ce qu’elle pense être la « démocratie », qui précisément représente pour la Gauche une borne culturelle à dépasser. Depuis la IIIe République (1870-1940), toute la question se résume à savoir comment tempérer le régime parlementaire, considéré comme un acquis indépassable et irrécusable par la bourgeoisie, en y admettant une forme de participation collective et populaire sans aller « trop loin » vers la démocratie, considérée au mieux comme impossible techniquement et au pire comme une menace anarchique.

Ce débat est en soi un des éléments constituants la vie politique de la « démocratie » libérale de notre pays de manière fondamentale et permanente. D’où son éternel retour à chaque contestation populaire, sous la forme d’une soupape de sécurité en quelque sorte qui permet de proposer faussement une perspective populaire et démocratique en réactivant la question de la « souveraineté populaire » et de toute sa cohorte de référendums et autres pétitions.

La figure essentielle à connaître ici est celle de Raymond Carré de Malberg (1861-1935), un juriste positiviste strasbourgeois ayant contribué à établir cette distinction des souverainetés dans le cadre de l’État bourgeois. Par « positivisme », il est question ici d’une conception du droit qui considère de manière libérale qu’il n’est pas un héritage figé pour toujours mais qu’il est le reflet du « contrat social » à un moment donné entre tous les individus composant l’État, qui en tant que personnalité juridique suprême est à la fois le garant et l’expression politique de toute la société.

Raymond Carré de Malberg n’est pas une figure populaire en France, mais il est un juriste de grande envergure à connaître pour saisir la nature de l’État bourgeois en France et la culture politique qu’il a produit. Raymond Carré de Malberg en particulier a réfléchi au seuil des années 1930 aux insuffisances du parlementarisme de la IIIe République. On lui doit une longue affirmation de l’État comme un genre d’arbitre au-dessus de la société en dehors duquel le droit ne peut être énoncé.

Cette idée d’un État au-dessus de la lutte des classes est en soi un marqueur justement du populisme actuel. Plus concrètement, il a formulé l’idée que le parlementarisme affaiblit l’État et donc par conséquence, endommage l’ordre social. Face à cela, il prône un renforcement de l’exécutif sur le pouvoir législatif qui sera précisément à la base des réformes de Vichy puis plus tard de la Ve République, renforçant cette idée d’un État fort incarnant la « souveraineté nationale » et son bon fonctionnement.

Enfin, Raymond Carré de Malberg réfléchit aussi sur la question de la participation populaire. Depuis les travaux de Maurice Hauriou (1856-1929), la bourgeoisie voit au mieux la « souveraineté populaire » comme accomplie dans la simple expression du suffrage universel acquis depuis 1848 pour les hommes en France. En particulier s’il permet d’élire le président de la République, qui incarne l’institution par excellence qu’est l’État, donc en pratique le « peuple » lui-même.

La bourgeoisie dispose donc dès lors de tout un arsenal idéologique et juridique en mesure d’imposer une définition bornée de la démocratie. Raymond Carré de Malberg vient le compléter en 1931 en proposant d’y ménager une place pour le référendum susceptible d’affirmer une dimension plus « démocratique » au parlementarisme républicain dans son ouvrage : Considérations théoriques sur la question de la combinaison du référendum avec le parlementarisme.

De l’expérience de la Révolution bourgeoise de 1789 jusqu’aux juristes de la IIIe République, on peut donc mesurer toute la profondeur de ce cadre républicain constitué progressivement autour de l’État bourgeois pour tenter de le faire incarner la « souveraineté nationale » ou dans une moindre mesure la « souveraineté populaire », c’est-à-dire de lui donner une dimension faussement démocratique.

Dans ce dispositif, le référendum ne peut donc pas rationnellement être saisi comme un moyen « neutre » ou pire comme une sorte de mesure en capacité d’imposer une évolution démocratique. Ce serait méconnaître la profondeur historique de la réflexion et des capacités de la bourgeoisie sur ce sujet et de toute façon s’inscrire d’emblée dans le cadre maîtrisé des institutions.

En raison d’une absence de conscience développée sur ce qu’est concrètement la lutte des classes dans notre pays, la revendication du RIC aujourd’hui illustre toutes ces illusions, toute la complète servitude à la culture bourgeoise, de ceux qui s’en réclament en imaginant proposer là une chose quasiment révolutionnaire.

La tâche culturelle de la Gauche est justement de replacer cette question dans sa juste dimension historique afin de pousser à chercher des solutions en réelle rupture avec les institutions et avec la culture politique de la bourgeoisie.

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Politique

L’interprétation des gilets jaunes par Lutte Ouvrière

Dans différents documents, l’organisation Lutte Ouvrière expose son point de vue approfondi à propos des gilets jaunes, ce qui est intéressant puisqu’il s’agit d’une des très rares structures de gauche à disposer de relais réels chez les ouvriers. Son point de vue est d’ailleurs formel : ceux-ci sont restés à l’écart.

Voici les extraits des passages les plus significatifs, avec les liens vers leurs sources. Pour reprendre la distinction faite pour la liste des positions de la Gauche sur les gilets jaunes, Lutte Ouvrière fait partie de la Gauche « des idées », des « cadres ».

> Lire également : Les points de vue de la Gauche sur les gilets jaunes

« Les gilets jaunes ont fait de Macron et de l’État leurs seules cibles, sans chercher à combattre, ni même à dénoncer, le grand patronat et sa responsabilité dans la situation. C’est une limite importante.

Le mouvement mêlait dans le même combat plusieurs catégories sociales aux intérêts divers, parfois opposés: des travailleurs, des chômeurs ou des retraités qui ne s’en sortent pas avec des salaires ou des pensions trop faibles; mais aussi des artisans, des agriculteurs ou des petits patrons, eux aussi victimes de la crise économique et du grand capital mais qui sont plus prompts à dénoncer ce qu’ils appellent les taxes. Pour assurer l’unité du mouvement, les gilets jaunes ont banni de leurs revendications ce qui était source de désaccords.

C’est pourquoi les intérêts spécifiques et les revendications de classe des travailleurs, c’est-à-dire celles qui opposent les salariés au grand patronat, ne se sont pas exprimés clairement. »

Brochure « Contre le grand capital, le camp des travailleurs »

« Notre conviction de marxistes est qu’il ne peut pas y avoir d’issue positive pour le monde du travail si la classe ouvrière n’intervient pas sur la base de ses intérêts de classe et surtout sur la base de ses perspectives de classe. Le prolétariat organisé dans les grandes entreprises est le seul à même de porter le combat contre la bourgeoisie et l’ordre capitaliste, à porter les perspectives révolutionnaires pour toute la société. Le paradoxe, c’est que les travailleurs qui peuvent le plus se battre sont, en ce moment, ceux qui le veulent le moins.

Mais les choses ne sont pas figées. Quand cela commence à bouger, bien des perspectives s’ouvrent non seulement pour ceux qui sont dans l’action mais aussi pour ceux qui regardent. Alors il nous faut tout à la fois nous adresser aux travailleurs des entreprises où nous militons et à ceux qui participent au mouvement des gilets jaunes.

Les gilets jaunes constituent un mouvement disparate par sa composition sociale, qui réunit le monde du travail de la France rurale ou périurbaine, comme on dit, c’est-à-dire des salariés, des retraités, des chômeurs et beaucoup d’artisans, d’autoentrepreneurs, d’indépendants, parfois des agriculteurs, sans compter cette catégorie qui a fait masse dans de nombreuses villes, les motards, qu’il est bien difficile de classer. Cette composition fluctue selon les régions, selon les villes et même selon les différents points de blocage près d’une même ville.

Quant au prolétariat présent, c’est un prolétariat de petites entreprises, dispersé, bien souvent non syndiqué, et très lié au monde artisan et commerçant : les uns et les autres appartiennent aux mêmes familles, se côtoient en permanence dans les associations diverses et variées et partagent souvent le même niveau de vie. Des coiffeuses, des fleuristes, des artisans du bâtiment, ne vivent parfois pas mieux que les salariés au smic ; et bien des autoentrepreneurs vivent encore plus difficilement.

Alors tous combattent ensemble. Mais nous, c’est à la partie prolétarienne de ce mouvement que nous voulons d’abord nous adresser et proposer une politique, pas au mouvement dans son ensemble. Car il serait vain et erroné de vouloir repeindre les gilets jaunes en… gilets rouges.

Nous militons pour que les travailleurs en gilets jaunes aient conscience de leurs intérêts de classe, pour qu’ils se rendent compte qu’ils ont leurs revendications propres, que leur salaire est leur seule richesse et qu’il faut se battre pour lui. Nous militons pour qu’ils soient conscients du fait que, s’ils se cantonnent à la fiscalité, ils risquent de donner un coup d’épée dans l’eau.

La plupart des gilets jaunes qui sont des travailleurs salariés ne se voient pas du tout se battre contre leur patron. Nombre d’entre eux estiment que leurs intérêts vont de pair et que le combat est à mener, non pas contre le grand capital, mais contre Macron et l’État. De fait, ils sont très éloignés des idées de lutte de classe, voire les rejettent.

Si l’augmentation du smic est une revendication qui est un peu reprise par les gilets jaunes, c’est aussi parce que, dans l’esprit du plus grand nombre, elle s’adresse au gouvernement et à Macron bien plus qu’aux patrons. Et comme l’a déclaré le dirigeant du Medef, il n’est pas contre une augmentation du smic, à condition que ce soit l’État qui la paye ! Et c’est un peu ça qu’il y a dans pas mal de têtes.

Autrement dit, nous n’appelons pas, comme le NPA, à « fédérer les colères », nous visons à les séparer. Nous visons à séparer les dynamiques de classe représentées d’un côté par les travailleurs exploités, et de l’autre par les petits patrons (…).

On connaît dans bien des entreprises des ouvriers qui, après le boulot, foncent sur tel ou tel barrage, ne serait-ce que pour y passer un peu de temps. Autant ils se posent le problème de participer aux gilets jaunes, autant mener la bagarre dans leur entreprise, contre leur patron, leur semble encore impossible. Nous ne savons pas si le mouvement des gilets jaunes peut, comme la révolte étudiante de 1968, déboucher sur une grève générale, mais il faut en défendre la nécessité auprès des travailleurs, qui prennent justement 1968 comme référence (…).

Et les gilets jaunes ont compris une chose, que les dirigeants syndicaux ont voulu faire oublier, c’est que l’essentiel est dans le rapport de force. Tout cela illustre ce que nous répétons souvent : les travailleurs ont des ressources extraordinaires, quand ils se mettent en branle, ils apprennent vite. Si le mouvement ouvrier organisé pouvait s’inspirer de tout cela, ce serait déjà bien ! »

Les révolutionnaires et le mouvement des Gilets jaunes

 

« Il est également dans la logique des choses qu’une explosion de colère comme celle qui a conduit au mouvement des gilets jaunes mélange des colères de catégories sociales diverses. Celles du monde du travail, des retraités qui peinent à survivre, des chômeurs sans espoir de trouver du travail dans leur région, des travailleurs qui n’en ont trouvé un qu’à des dizaines de kilomètres de leur lieu d’habitation et pour qui le prix du gazole est une composante vitale de leur pouvoir d’achat, des aides-soignantes, des mères seules, des jeunes qui galèrent d’embauches précaires en petits boulots, des ouvriers, employés, techniciens de petites entreprises.

Ces colères venant du monde des salariés se sont mélangées avec celles des couches petites bourgeoises qui ont le plus de mal à s’en sortir. La méfiance à l’égard des partis institutionnels, qui prend facilement la forme d’un apolitisme affiché, s’enracine dans le désir de préserver l’unité entre les différentes composantes du mouvement. Cette unité, et la fraternité forgée sur les ronds-points occupés et dans les actions menées en commun, semblent être le gage de la victoire.

De quelle victoire ? De qui et contre qui ? Le mouvement des gilets jaunes a d’autant plus de mal à répondre à ces questions et même à se les poser que, derrière l’unité dans la colère, les intérêts des uns et des autres divergent, tout comme aussi les voies pour exprimer cette colère. »

Les gilets jaunes : l’expression d’une colère, la recherche d’une perspective

 

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Politique

Des « foulards rouges » en réaction aux gilets jaunes

Les gilets jaunes n’ont pas ébranlé l’ordre social, mais ils ont révélé des failles et ce moment de crise est considéré comme très stressant par des couches sociales éduquées et socialement parfaitement intégrées. C’est le début d’un remue-ménage digne des années 1930.

foulards rouges

La manifestation parisienne de dix mille personnes sous la bannière des « foulards rouges » n’est pas du tout quelque chose d’anecdotique. Cette « marche républicaine des libertés » montre au contraire qu’il y a une grande expérience politique en France, même si le niveau idéologique et culturel en rapport avec la politique est au plus bas. Pour dire le niveau, d’ailleurs, ces foulards rouges sont… une allusion aux fêtes de Bayonne.

C’est que les gilets jaunes ont révélé les faiblesses structurelles de la France, une grande puissance en perte de vitesse. Ils ne représentent pas une lutte de classes quelconque, mais sont une expression du ralentissement de la France, de la crise. Et forcément cela inquiète, beaucoup de couches sociales se remuent, agissent, se mettent en branle. Malheureusement pas les ouvriers, évidemment, pas encore.

En l’occurrence, les foulards rouges sont une expression ultra-minoritaire mais très hautement symbolique de couches petites-bourgeoises et bourgeoises éduquées, socialement intégrées, particulièrement posées dans leur style de vie. Forcément, elles sont profondément inquiètes du remue-ménage causé par les gilets jaunes. Ce qui cause des troubles les dérange, les agace, leur rappelle qu’on ne vit pas dans une bulle dont la construction européenne serait l’apogée.

Il faut également prendre en compte que ce qui se passe en France avec les gilets jaunes a attiré l’attention de l’opinion publique mondiale, qui se dit que vraiment les Français ont des mœurs étranges pour laisser un tel chaos se développer, jusqu’aux Champs-Élysées. Cette tolérance, voire ce goût pour la contestation exprimée de manière véhémente surprend, surtout somme toute pour des perspectives extrêmement floues. Ces couches sociales éduquées, mais hors sol, voient les choses de la même manière.

Du côté de l’État et de la haute bourgeoisie, on sait évidemment que les gilets jaunes, la casse, le petit chaos, etc. relève davantage du folklore symbolique qu’autre chose. C’est du théâtre ; cela fait des années que cela existe, c’est une manière de contenir les tensions, d’empêcher une politisation, etc. Ce n’est tout de même pas pour rien que la police laisse la casse se mener régulièrement, par exemple dans le centre-ville de Nantes.

Cependant, du côté des couches petites-bourgeoises et bourgeoises moyennes, urbaines, tout cela est considéré comme très mauvais, très dérangeant. Surtout quand les choses durent. Ces couches sociales, qui sont somme toute le public de Benoît Hamon, d’EELV, et bien évidemment d’Emmanuel Macron. Et elles ne l’ont pas soutenu dès le départ, pour se retrouver dans une telle situation !

Sur Europe 1, l’un des initiateurs des « foulards rouges », Théo Poulard, a très bien résumé cet état d’esprit :

« On n’est pas contre les ‘gilets jaunes’. On est contre les casseurs, les pilleurs et les extrêmes. »

La France n’est évidemment nullement aux mains des casseurs, des pilleurs ; quant aux extrêmes, il n’y a que l’extrême-droite. Mais ce rejet des extrêmes correspond au fonds de commerce de couches sociales républicaines, prêtes à du social, éduquées et intégrées, détestant tout ce qui menace par contre ses intérêts ou semble les menacer. Elles font toujours des efforts pour être dans la tendance à la stabilité : il faut bien se souvenir ici qu’elles ont joué un rôle important dans le cadre du Front populaire. Les radicaux de gauche alliés aux socialistes et aux communistes, ce sont précisément ces couches sociales. Il va de soi qu’en 1981, elles ont joué un rôle essentiel pour la victoire socialiste.

Elles sont donc toujours légitimistes, détestent les confrontations sociales, sans pour autant être réactionnaires. D’où les t-shirts avec inscrits « Stop aux violences » et « J’aime ma République », la banderole « Stop la violence La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale », les slogans « Non, non non à la révolution. Oui, oui, oui à la démocratie », les pancartes « On veut rester libres », « Non à l’intolérance ».

Il va de soi que gagner ces couches sociales sera dans tous les cas une des difficiles tâches de tout mouvement de Gauche cherchant à changer profondément les choses. Cependant, il faut bien voir qu’elles sont déboussolées ; elles voient bien qu’Emmanuel Macron les a plus utilisées qu’autre chose. Leur éloge d’Emmanuel Macron lors de la manifestation d’hier est surtout un appel à ce qu’il revienne dans « leur » camp.

C’est cependant trop tard et c’est bien pour cela que seulement une quinzaine de députés et cinq sénateurs de La République en marche ont participé à la manifestation. Emmanuel Macron représente la bourgeoisie moderniste prête à la marche forcée dans le sens de l’ultra-libéralisme, le contenu « républicain » ne l’intéresse pas du tout. Il suffit d’ailleurs de voir son soutien total aux chasseurs, à la chasse à courre, son arrogance liée à son parcours.

Ces couches sociales vont donc continuer à être ébranlées et les propositions d’une utopie européenne, comme le font EELV et Benoît Hamon, ne les satisferont pas. A la Gauche d’être en mesure de calibrer un rapport productif avec elles, en s’appuyant sur leur rejet des monopoles et leur conscience écologique.

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Société

Mange ta soupe !

Soupe et potage sont utilisés comme des synonymes pour désigner un plat liquide composé de légumes, légumineuses et/ou de viandes, de matières grasses et d’épaississant.

gaspacho

La recette la plus simple de la soupe est la cuisson de légumes de saison dans de l’eau, assaisonnée et portée à ébullition. Une fois cuite, la préparation est mixée. La dégustation se fait alors lorsque la soupe est encore fumante.

Cette préparation peut également prendre les noms de velouté, bisque, bouillon, garbure ou consommé car ils renvoient à des recettes particulières.

La garbure est une soupe chaude gasconne servie en entrée. L’assortiment de légumes (chou vert accompagné du haricot-maïs frais ou sec, de fèves, de mange-tout, de pommes de terre, de navets, de gros pois, d’oignons, d’ail, parfois de carottes, de raves et même de laitues, de châtaignes, d’orties, voire de bourrache) est cuit longuement. Les viandes, en général, sont confites.

Le minestrone est une variante de soupe de légumes (chou vert, pommes de terre, carottes, céleri branches, petits pois, tomates, haricots blancs secs, oignon, ail, basilic) chaude, épaisse de la cuisine italienne, souvent additionnée de pâtes ou de riz, et servie en entrée, accompagnée de parmesan râpé. Il peut également être cuisiné avec de la viande, accompagné de pistou ou pesto et d’une tranche de pain de campagne.

Le velouté est une soupe enrichie de crème fraîche et d’œuf. Le principe de réalisation d’un velouté consiste à réaliser une soupe et à lui ajouter en fin de cuisson une préparation qui est un mélange de crème fraîche et de jaune d’œuf.

La bisque est un potage de la cuisine française, consistant en un coulis de crustacés très assaisonné et additionné de crème fraîche.

Le bouillon désigne le plus souvent une préparation culinaire liquide (généralement juste de l’eau), dans laquelle on cuit, assez longuement, un ou plusieurs aliments : des viandes (bœuf, volaille, etc.), des poissons, des légumes, des féculents, des graines, complétés d’aromates et d’assaisonnements.

Le consommé est un potage généralement fait à base de fond (un bouillon, généralement à base de veau ou de volaille et d’une garniture aromatique, réduit pour en augmenter la consistance)  qui a ensuite été clarifié.

Le gaspacho est un potage froid voire glacé à base de légumes crus mixés. La base est faite de tomates mixées, le tout allongé avec de l’eau ou des glaçons. Aux tomates peuvent être ajoutés de la mie de pain ainsi que des légumes tels que le concombre, le poivron ou l’oignon, cuits ou crus. Cette préparation liquide est relevée avec de l’ail, du sel, de l’huile et du vinaigre.

Les français consomment 12 litres de soupe par an et par personne. Les habitants du Sud-Ouest sont les plus forts consommateurs (15 litres par acheteur) contre ceux de la région parisienne les plus faibles (11,7 litres par acheteur). Les soupes se déclinent sous différentes formes, dans le commerce : liquides, déshydratées ou instantanées. Les potages déshydratés à cuire sont les premiers sur les tapis roulants pour 10.6 litres consommés par acheteurs. Arrivent ensuite les soupes liquides avec leur consommation de 7.5 litres. Ce mode de consommation s’explique par le prix peu élevé et la facilité de préparation de l’instantané. A moins de 1€ et une bouilloire, le consommateur boit une soupe ; contre 4€ les 50 cl en bouteille de verre.

Bien plus que le mode de préparation, c’est surtout la qualité nutritionnelle qui diffère ! 40% de légumes, de l’eau, des épices et aucun additif !

Les industriels de l’agroalimentaire n’ont pas le droit d’utiliser de conservateurs dans leurs préparations. Les soupes fraîches sont alors conservées grâce à des méthodes thermiques : la congélation et stérilisation à chaud étant les plus courantes. Selon les normes d’usage, une soupe doit contenir au moins 40 % de légumes pour bénéficier de l’appellation. La teneur en sel quant à elle, n’est pas normée. La soupe prête à consommer contient en moyenne 2 grammes de sel par bol. Ce qui est énorme au vu de l’apport journalier recommandé pour un adulte : 5 à 7 grammes.

Le potage « fait-maison » est, au niveau nutritionnel le meilleur puisque plus les légumes sont cueillis et cuits rapidement et plus ils gardent leurs vitamines et minéraux. Il faut bien sûr que la température ne soit pas trop élevée. Le gaspacho est plus vitaminé puisque les légumes ne sont pas cuits. Vient ensuite le bouillon avec sa cuisson longue à l’isotherme 100°C qui attendrit les tissus, les rend fondant sans risques de les abîmer par des températures trop élevées. Il faut pour réussir une bonne soupe, tant au niveau goût que nutritionnellement, prendre du temps. Il faut choisir les légumes, les préparer et passer à la cuisson. La soupe est souvent réalisée en grande quantité alors pourquoi ne pas la partager entre amis, voisins, collègues !

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Politique

L’acte XI des gilets jaunes : un mouvement désormais cristallisé

Après la fin de l’explosivité sociale propre à des couches moyennes ayant la hantise de la prolétarisation, on a donc désormais les gilets jaunes comme mouvement structuré. Ultra-minoritaire, ils restent cependant en phase avec le populisme si fort en France, continuant eux-mêmes à empoisonner les esprits.

gilets jaunes

Le mot d’ordre le plus représentatif de ce onzième samedi des gilets jaunes, c’est bien sûr la « nuit jaune ». On a déjà vu que le mouvement des gilets avait changé de nature, perdant de son explosivité, cessant d’être un moment de crise sociale de couches moyennes saisissant avec effroi le risque de déclassement social. Il est désormais porté par une frange très clairement petite-bourgeoise, avec des lubies ultra-démocratiques, complotistes, anti-politiques, populistes, etc. D’où fort logiquement la tendance à revenir à « Nuit debout », comme la vaine tentative hier place de la Bastille à Paris.

Une vaine tentative montée par Eric Drouet, par ailleurs à l’origine d’un rassemblement à part à l’est de Paris avant de rejoindre le cortège général… Et qui s’inscrit dans le schéma général de cristallisation des gilets jaunes comme mouvement indépendant, structuré, avec une identité propre, même si évidemment diffuse. Il faut ainsi ajouter les deux listes pour les Européennes en train de se monter, une mise en place par la très médiatique aide soignante Ingrid Levavasseur, sous le nom de « Ralliement d’initiative citoyenne », l’autre par le chanteur Francis Lalanne.

De manière concomitante à ce changement de forme, et cela malgré le battage médiatique, le nombre de gilets jaunes se stabilise, en étant à autour de 70 000 hier, avec notamment 1 500 à Lyon, 4 000 à Paris, 5 000 à Bordeaux, 1 500 à Lille, 2 500 à Dijon, 1 500 à Montpellier, 2 000 à Nantes, 300 à Strasbourg, 90 à Coutances (dans la Manche), 4000 à Marseille… Avec les inévitables petits accrochages avec la police et des choses débiles et folkloriques comme un lâcher de lampions sur une plage à Saint-Laurent-du-Var pour essayer vainement (et heureusement) de perturber l’aéroport de Nice !

On notera qu’à Marseille, la CGT a participé au cortège, ce qui reflète toute une grosse problématique chez les syndicats. L’échec complet de la grève des cheminots a été un coup très rude pour eux et l’émergence d’un mouvement populiste comme les gilets jaunes risque d’autant plus de leur être fatal. La première victime des gilets jaunes, ce ne sera pas en effet Emmanuel Macron, qui est bien installé dans un régime lui-même parfaitement ancré, ce sera les syndicats, minoritaires dans le pays depuis toujours, porté par une logique de minorité activiste qui ne marche plus et qui plus est désormais remplacé par les gilets jaunes !

Les syndicalistes n’ont qu’un seul moyen de reprendre l’initiative : balancer par dessus bord la charte d’Amiens et enfin assumer la politisation à gauche. S’ils ne le font pas, ils seront balayés. Les gilets jaunes, avec leur ultra-populisme, leur démagogie sociale sans bornes, leurs propositions relevant du mythe mobilisateur comme le « référendum d’initiative citoyenne », ne feront qu’une bouchée d’eux. Il n’y a d’avenir syndicaliste que dans la liaison étroite avec les valeurs de gauche et cela de manière assumée. Il faut mettre un terme à la démarche française du syndicat au-dessus de la politique et assumer le modèle allemand du syndicat comme expression syndicale d’une orientation politique.

On sait à quel point les syndicalistes ne veulent pas de cela, cependant étant donné que la convergence des gilets jaunes avec l’extrême-droite est évidente, il faudra bien, à un moment donné, assumer dans un sens comme dans un autre.

De toutes manières, l’Histoire a fait son œuvre et on sait désormais que la vraie Gauche consiste en ceux et celles n’ayant pas cédé aux sirènes des gilets jaunes.

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Réflexions

Vivre sa vie ou vivre la vie

Le capitalisme prétend que vivre, c’est vivre sa vie, selon sa propre individualité. C’est là une abstraction visant à satisfaire concrètement l’esprit de consommation. La vie est un processus universel et c’est à ce processus qu’on appartient.

Le poète pauvre, 1839, Carl Spitzweg

Tous les grands philosophes ou les grands artistes qui ont abordé la question du sens de la vie ont souligné qu’ils ont découvert l’immensité, la multiplicité de la vie, sa richesse. Les ressources de la vie sont infinies, ses aspects indénombrables.

Le capitalisme prétend proposer une manière de vraiment vivre en disant que, justement, chaque aspect de la vie consiste en un individu. Être soi-même, ce serait vivre sa vie. On poursuit son bonheur à soi, chacun ayant des valeurs, des sensibilités différentes. Rien ne serait pareil pour personne, on ne peut pas juger le bonheur d’un autre.

Il faudrait accepter que certains aiment les voitures puissantes et bien polluantes, d’autres se faire fouetter. De vieux hommes veulent des jeunes femmes, certains aiment la fourrure. Tous les goûts sont permis et le capitalisme fournit pour cela la consommation disponible. C’est pour cela qu’il n’y a pas de réelle répression de là où l’argent circule, comme pour les call-girls, les drogues dans les milieux chics.

Le libéralisme ne peut qu’aller dans le sens d’ouvrir toutes les possibilités : celle d’acheter des drogues… si on le veut, de se faire mutiler… si on le veut, etc. Le passage du football en pay per view suit le même principe : on peut regarder le football… si on le veut. Et donc si on paye.

Vivre, c’est vivre sa vie, et donc payer. Parce que sa propre vie n’est pas celle du voisin, et que la distinction ne peut se faire que par la consommation. Dis moi ce que tu consommes, je te dirais qui tu es. Le capitalisme sous-tend une démarche ostentatoire qui prend d’ailleurs des proportions toujours plus immenses. Le triomphe d’Apple et des marques de vêtement Supreme et off-white témoigne de l’élargissement du luxe à la vie quotidienne, alors qu’avant l’ostentatoire concernait surtout des moments de la vie sociale.

Fini la robe de soirée issue de la haute couture, gage d’un moment bien travaillé et prouvant un statut social, ou les beaux habits qu’on a choisi pour aller en « boîte de nuit ». Désormais, c’est tout le temps qu’il faut montrer qu’on vit sa vie à soi. La pression est immense, et cherche tous les détails. Comment est-on habillé ? Quelle est sa posture ? Avec qui est-on ? Le couple lui-même s’efface devant le principe de l’alliance entre partenaire, dans la perspective d’une mise en valeur réciproque.

Vivre sa vie, c’est comme une sorte de grande Bourse des individus, où l’on cherche à placer des actions concernant sa propre vie. On n’existe pas en soi, mais par rapport à certains rapports, à certaines relations. On est une entreprise établissant des liens, et plus une personne avec une personnalité. On est uniquement un individu.

Ce n’est pas là vivre la vie. On ne peut réellement vivre qu’en voyant comment la vie est un processus universel, une réalité sensible qui concerne tout le monde, chaque être vivant. Ce n’est que de cette manière qu’on en saisit la densité, la subtilité, qu’on cherche soi-même à développer ses facultés pour davantage vivre.

Le sentiment amoureux est en ce sens un véritable obstacle au capitalisme, parce qu’il amène deux personnes à se rencontrer en tant que personnes, en faisant sauter tous les rapports consuméristes qui priment sinon. Quand on accepte d’être amoureux – nombreux et nombreuses sont les opportunistes, les carriéristes qui refusent – alors on est soi-même et que soi-même. On découvre l’amour comme réalité de la vie, non pas simplement de sa vie à soi, mais de la vie en général, représentée par la personne aimée.

C’est d’ailleurs parce qu’on voit la vie dans l’amour qu’on espère avoir des enfants, comme expression de la vie. Quel dommage ici que les enfants qu’on devrait aimer comme à la fois ses enfants et les enfants de l’amour, donc de la vie, soient uniquement vus, bien souvent, comme « ses » enfants au sens d’une propriété, d’une possession, d’un lien consumériste.

Est-ce cela qui fait que, bien souvent, l’amour disparaisse du côté de l’homme, un fois l’enfant arrivé, la femme perdant son statut d’une relation ostentatoire, pour ne plus avoir qu’une fonction utilitaire ? Car les tendances du capitalisme cherchent à revenir à la moindre occasion, pour reconquérir des espaces, ouvrir un marché.

Qui échappe une fois à l’aliénation n’en a pas fini avec la bataille pour être réellement soi-même. Tant qu’il n’y a aura pas eu de révolution, on n’est jamais à l’abri d’une rechute. Seul le fait d’être en phase avec le processus révolutionnaire permet de maintenir le cap de sa propre personnalité.

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Politique

L’insupportable émission « La parole aux français » de Cyril Hanouna et Marlène Schiappa

L’émission spéciale « grand débat national » avec Cyril Hanouna et Marlène Schiappa a tenu toutes ses promesses. On a eu le droit à ce grand étalage de populisme et de raccourcis insupportables, avec en face deux portes-paroles d’Emmanuel Macron venues expliquer qu’il fallait être raisonnable mais que beaucoup de choses étaient déjà faites par le gouvernement.

Intitulée « La parole aux français », l’édition spéciale de l’émission « Balance ton post » avait lieu en direct. Le secrétaire d’État Mounir Mahjoubi a parlé d’un « beau moment de démocratie ». Les auteurs des Lumières doivent se retourner dans leurs tombes ! La démocratie est ici réduite à une sorte de quête d’une formule magique populiste, qui emporterait l’adhésion au cours d’une émission de télévision racoleuse, où l’on vote sur twitter !

Voici comment Le Figaro raconte le principe qui a été mis en place hier :

« Face à la secrétaire d’État, plusieurs personnes issues de la société civile étaient venues pour exposer leurs propositions dans le cadre du «grand débat national». Ainsi, un agriculteur, une retraitée, un millionnaire qui porte les idées des «gilets jaunes», une auto-entrepreneuse ou un sans-emploi étaient présents.

À chaque proposition, les invités devaient écrire leur proposition sur le paperboard. L’objectif: mettre en place un «atelier interactif», selon les mots de Marlène Schiappa. Ensuite, après un débat entre les invités, Marlène Schiappa écrivait à son tour, en rouge, la proposition remodelée qui sera retenue. Les téléspectateurs étaient, dans le même temps, appelés à voter pour ou contre sur le compte Twitter de  Balance ton post! La plupart des propositions avaient recueilli, en quelques minutes, plus de 10.000 votes. La première concernait, par exemple, un taux de TVA à 0% sur les produits de première nécessité. »

Le fait que Le Figaro raconte cela de manière aussi simple, sans critique, dans un article publié alors que l’émission n’était même pas finie, reflète bien l’incroyable décadence générale que connaît la France. On est ici dans un cinéma grotesque, une animation pitoyable, une véritable insulte générale à la Raison. L’animateur « baba », qui dit sans cesse « mon chéri, je t’adore » à des gens qu’il ne connaît même pas, a trouvé en Marlène Schiappa un strict équivalent politique, avec ses airs de potiche voulant mettre tout le monde d’accord avec des phrases volontairement simplistes.

C’est d’ailleurs elle qui lui a suggéré l’émission, et on a bien compris comment celle-ci est censée servir le plan d’Emmanuel Macron pour apparaître comme le recours raisonnable face au populisme non raisonnable. Les ficelles étaient d’ailleurs très grosses avec à plusieurs reprises un intervenant soulevant un problème puis la Ministre ou sa comparse députée LREM expliquant que cela était déjà en cours d’être résolu par le gouvernement.

Sur le fond, tout est fait pour engluer la pensée dans des considérations sans réflexions, sans envergure, sans enjeu. Tout est fait, disons-le plus simplement, plus directement, pour masquer la bourgeoisie, qui n’existe tout simplement plus dans un panorama où, d’ailleurs, le capitalisme lui-même n’existe plus.

On n’a même pas une critique du néo-libéralisme, ce qui ne voulait rien dire mais au moins disposait d’une certaine dignité. On a juste droit à la logique du « on veut vivre mieux », ce qui a l’air concret de prime abord, mais n’aboutit à rien à part aux gesticulations populistes et aux jugements à l’emporte-pièce. Le twitter de l’émission n’y est pas allé de main-morte d’ailleurs :

Il faut dire que depuis le début des gilets jaunes, la nouvelle émission de Cyril Hanouna « Balance ton post » a fait la part belle au mouvement. Ceux-ci vont totalement dans son sens, et inversement. Ce qui prédomine, c’est une démarche superficielle, refusant la complexité des choses, assumant les raccourcis et les postures grotesques.

Les quasiment quinze minutes d’autosatisfaction au lancement de l’émission ont donné le ton de cette grande insulte à l’intelligence populaire et au pouvoir démocratique. Le grand spectacle du direct et de l’authentique a ensuite été joué jusqu’au bout avec à la fin un pseudo vote à la manière d’un jeu TV pour sept propositions.

C’est lamentable, c’est honteux, et cela mène la société française droit à la catastrophe.

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Réflexions

L’habitude de psychologiser sur soi-même

Tous ceux qui ont pris l’habitude de psychologiser facilement sur eux-mêmes, savent quelle part immense l’adolescence tient dans le génie définitif d’un homme.

Homme et femme contemplant la lune, 1818-1824, Caspar David Friedrich

Qui ne s’est pas noyé dans la société de consommation ou dans un repli anarchiste se tourne nécessairement vers son vécu et le passé a alors une vraie tonalité, un vrai goût. Il n’est pas une abstraction flottante, il est tactile, il sent quelque chose, on peut le toucher. Les dérives faussement artistiques sont d’ailleurs un fétiche de cela, incapables de revenir vers le futur, alors que c’est la règle pour rester dans le réel. Il faut bien le reconnaître : Marcel Proust a tort, le passé reste le passé.

Et c’est justement parce que le peuple est philosophe et sait faire cela que le capitalisme l’abreuve de chansons nostalgiques et mielleuses, exprimant le traumatisme baroque d’un passé perdu, à jamais révolu. Le but est de le maintenir prisonnier de ce qui n’est plus. Comme l’exprimait Alain Souchon dans une fameuse chanson, on maintient le peuple à l’état de foule sentimentale.

Quelle que soit cette prétention du capitalisme cependant, la vie personnelle reste néanmoins une construction et on change à tous les âges, avec bien entendu une affection particulière pour l’adolescence, ce grand tournant où l’on émerge pour de bon. Au détour d’une soirée, perdue dans les brumes de l’hiver arrivant sur la ville, on rencontre parfois des gens qui ont une conscience aiguë de cela, et l’un d’entre eux a su dire quelque chose de très philosophe à ce sujet.

Son principe était très concret : à intervalles réguliers, il se place devant lui-même, lorsqu’il avait quatorze ans. Dans une expérience philosophique dont les contours restent flous, il discute avec lui-même, celui de quatorze ans dressant un réquisitoire contre celui qu’il est devenu. Le vieux se plie alors aux exigences du jeune, en espérant qu’il y en ait le moins possible, dans la mesure où le vieux cherche toujours à rester dans l’esprit du jeune entre ces moments de discussion, de rappel à l’ordre.

C’est là une tentative de rester jeune à tout prix, en considérant que c’est une mentalité, allant de pair avec la plasticité du cerveau, une curiosité vivace. Le but est de combiner l’expérience acquise, la maturité, avec l’authenticité d’une conscience non démolie par les exigences de l’adulte encadré par le capitalisme. Cela ne semble pas aisé ! Et aussi combien de jeunes sont déjà vieux en pratique ! Ils ont cédé avant même d’avoir à céder en tant qu’adultes !

Peut-être ont-ils raté quelque chose auparavant, dans leur enfance même ? Baudelaire, en parlant de l’écrivain Edgar Allan Poe, tient à ce sujet ces propos si parlants, si confondants:

« Tous ceux qui ont réfléchi sur leur propre vie, qui ont souvent porté leurs regards en arrière pour comparer leur passé avec leur présent, tous ceux qui ont pris l’habitude de psychologiser facilement sur eux-mêmes, savent quelle part immense l’adolescence tient dans le génie définitif d’un homme.

C’est alors que les objets enfoncent profondément leurs empreintes dans l’esprit tendre et facile ; c’est alors que les couleurs sont voyantes, et que les sens parlent une langue mystérieuse.

Le caractère, le génie, le style d’un homme est formé par les circonstances en apparence vulgaires de la première jeunesse.

Si tous les hommes qui ont occupé la scène du monde avaient noté leurs impressions d’enfance, quel excellent dictionnaire psychologique nous posséderions ! »

Baudelaire glisse de l’adolescence à l’enfance, ce qui est là aller sans nul doute trop loin et aboutir aux fantasmagories de la psychanalyse. Il est vrai que la frontière est ténue, et également que cela en dit long sur Baudelaire, mi-romantique et rebelle, mi idéaliste cherchant une survie forcée à travers les choses, de manière ouvertement pré-fasciste, par la vitalité à tout prix.

Et c’est vrai que c’est là le point commun dans l’apparence du Communisme et du Fascisme : les deux exigent, contre le Capitalisme, l’habitude de psychologiser sur soi-même. Mais leurs réponses sont totalement opposées : le Fascisme veut la réduction à l’ego, le fétiche du vécu, l’obsession du passé, l’individu à tout prix, le surhomme ; le Communisme veut la reconnaissance du nouveau, le développement des facultés, la dynamique avec la collectivité, l’homme naturel.

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Politique

Crime contre la culture : Cyril Hanouna – Marlène Schiappa pour le « grand débat national »

Pour toute personne cultivée, Cyril Hanouna est un cauchemar. Le fait qu’il soit au cœur d’une émission spéciale « grand débat national », sur C8, en dit long sur le niveau de populisme et de stupidité de la France. La présence de Marlène Schiappa comme co-animatrice, alors qu’elle est membre du gouvernement, montre bien qu’on a touché le fond.

Depuis plusieurs mois, la secrétaire d’État à l’Égalité entre les femmes et les hommes Marlène Schiappa se veut une porte-parole de la cause des femmes, n’hésitant pas à intervenir souvent et avec un grand relais dans les médias. Tout cela ne correspond qu’à un féminisme comme simple levier afin d’augmenter l’esprit de compétition entre les travailleurs, pas du tout à un vrai féminisme. On en a la simple preuve au fait qu’elle, pourtant membre du gouvernement, se retrouve comme co-animatrice d’une émission avec Cyril Hanouna.

Peut-on croire une seule seconde que Cyril Hanouna soit en adéquation, dans son style beauf, avec les exigences d’un véritable féminisme ? Absolument pas, bien entendu. L’ennemi des femmes, c’est avant tout les beaufs. Ceux-ci récusent tout changement et toute réflexion, or la cause des femmes implique une participation des hommes à leur rééducation morale et psychologique, par l’abandon du style patriarcal.

Cyril Hanouna correspond à un tel style et Marlène Schiappa montre que son féminisme est un simple opportunisme. Il y a ici une absence totale de dignité, un véritable jeu de massacre de la dignité des idées et de la vie politique. Ce n’est même plus ici de la dégradation, c’est de la destruction pure et simple. Il faut d’ailleurs rappeler ici le jeu sombrement infâme de Cyril Hanouna dans le cadre d’un populisme télévisuel débridé.

Avant le début des gilets jaunes, des infirmiers en colère étaient venus à la sortie des studios à Boulogne-Billancourt pour demander à Cyril Hanouna de les aider, et il les a invités à son émission. C’est pour cela que le 19 novembre des gilets jaunes ont fait pareil, et qu’il les a invités à « Touche pas à mon poste ». Une phrase prononcée à Cyril Hanouna par un gilet jaune le 19 novembre et largement soulignée par les médias alors résume tout:

« On veut que tu dises à Macron que le peuple souffre. »

Il y a un mot très simple et très compliqué pour résumer cela : le fascisme. Non pas qu’on soit dans le fascisme ou que ces gens soient fascistes, mais c’est le fascisme qui s’exprime à travers cette situation.

Car quand on en arrive au point où des gens opprimés ne parviennent même plus à se relier à la classe des travailleurs, qu’ils en arrivent à quémander un animateur télé pour qu’il demande au président de l’aide, c’est que tout est perdu. On en est au point où l’individualisme est complet, le niveau culturel à zéro. La société est aseptisée et est mûre pour basculer dans la quête d’un sauveur venant « rétablir » la justice.

Ce grand moment de télévision qui nous est promis avec Cyril Hanouna et Marlène Schiappa est une catastrophe culturelle, une insulte à la France des Lumières et à l’histoire des luttes de classes de ce pays. Ce n’est pas même une farce, c’est un crime contre la culture.

Voir des siècles de vie politique française réduits à un débat avec des demandeurs d’emploi, des retraités et des commerçants organisé par l’animateur Cyril « les nouilles dans le slip » Hanouna et un membre du gouvernement… ce n’est même plus de l’aberration, c’est de la folie pure et simple.

Ou, plus précisément, l’expression d’une décadence générale de la société française, littéralement anéantie culturellement par le libéralisme économique, politique et culturel.

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Réflexions

La femme est capable d’un arrêt sur image

Plutôt que de parler des hommes, qui font du bruit et occupent les lieux, mieux vaut porter son attention à une femme, qui saisit le temps avec une densité dont la portée est celle de la vie elle-même.

Flora in white attire, 1890, Waterhouse (zoom)

Les hommes sont des brutes, qui apprécient d’être entre eux et de fonctionner de manière balisée, répétitive, de jouer à des rôles préétablis, dans leur rapport entre eux comme dans les divertissements, notamment les jeux vidéos. Si l’on pense aux femmes, on doit par contre passer au singulier, et s’incliner devant la profondeur psychique de la femme comme être singulier, capable de poser son regard.

Il ne s’agit pas de poser son regard à la façon d’un Monet pour Impression, soleil levant, ou comme Proust avec sa Recherche du temps perdu. C’est beaucoup trop maniéré, précieux, finalement ostentatoire. Il s’agit d’être capable de se placer dans la vie elle-même, dans le temps qui passe, et de se poser.

Cela, la femme sait le faire et pour cette raison, l’une des choses qui fascine les hommes de la manière la plus absolue est la capacité d’une femme à l’espièglerie. Il y a ici quelque chose qui bouleverse, qui raye les prétentions masculines, d’où d’ailleurs la caricature de la femme-enfant faite par les hommes afin d’empêcher la reconnaissance de la sensibilité féminine.

Une autre invention, du même genre, consiste en les transsexuels, ces malheureux séparant de manière religieuse le corps et l’esprit, qui pensent qu’il suffit de s’imaginer femme pour l’être. Ce qui donne une caricature dans les habits, le style, les attitudes, les comportements, mais aucunement la réalité féminine en tant que forme physique, matérielle, naturelle.

Il ne s’agit pas seulement de grâce ou de beauté ou de quelque chose s’y rapprochant, il s’agit de cette capacité de la femme à faire un arrêt sur image. C’est cette manière à toucher le réel avec attention qui est la différence, et qui tient bien entendu au rapport à la vie, au fait de donner la vie.

D’où, bien entendu, l’hégémonie complète des femmes dans les milieux s’intéressant aux animaux et l’écologie : l’homme peut reconnaître que ces choses sont importantes, mais il ne peut pas les voir. Il n’a pas la capacité de saisir les instants, de les reconnaître, de faire un arrêt sur image.

L’homme préfère faire du bruit, se retrouver à faire quelque chose, il veut s’occuper ; il est une sorte de paysan mal dégrossi, de chasseur mal dégrossi, de sauvage ni culturel, ni même naturel. Il n’est pas en mesure de s’occuper naturellement d’un enfant, de la végétation, de la vie : on doit lui dire.

Alors, il peut le faire bien, voire très bien, il peut développer sa sensibilité, déjà présente. Mais il a besoin d’être éduqué et pour cette raison, les femmes seront inévitablement les grandes décisionnaires du socialisme et de la remise en ordre d’un monde chaotique à cause du capitalisme.

La supériorité de la femme, en raison de son rapport à la vie elle-même, apparaîtra pleinement, jusqu’à ce que les hommes établissent un rapport de nouveau sain avec la nature ; eux-mêmes parviendront alors à faire un arrêt sur image.

L’humanité sera alors prête à passer un cap et à développer encore davantage sa sensibilité.

Flora in white attire, 1890, Waterhouse

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Politique

« Mon européenne » de Saez, une contribution très utile

La chanson « Mon Européenne » (mars 2017) du chanteur alternatif Saez exprime très bien l’état d’esprit des gens de gauche à propos de l’Europe. C’est une contribution très utile, alors que les élections européennes qui auront lieu fin mai 2019 posent un vrai problème à cause du nationalisme.

Saez est un chanteur très sympathique qui produit depuis de nombreuses années un rock alternatif de qualité, tantôt punk rock, guitare sèche ou piano/voix. Il connaît un grand succès mais n’a jamais renié ses principes et ne s’est soumis aux circuits commerciaux.

Il chante systématiquement la jeunesse et la classe ouvrière, défend l’humanité universelle sans renier l’héritage culturel français, hait le racisme et la bêtise humaine sans jamais tomber dans la mièvrerie catho ou les bons sentiments bourgeois. Il assume « notre mère la Terre » et fais part d’une grande sensibilité, comme avec son très saisissant et progressiste « Les enfants du Paradis » qui pleure les attentats de novembre 2015 à Paris.

Son « Européenne » porte quelque chose de populaire qu’on apprécie forcément quand on veut changer la vie sans se résigner à la société de consommation. Elle est « j’t’emmerde avec ta thune », « c’est pas la Bruxelles », « elle est ouvrière licenciée, non c’est pas la fille du progrès ».

Ce n’est clairement pas l’Union Européenne, car forcément quand on a des exigences sociales, on n’aime pas ce grand marché commun capitaliste. Cependant, on apprécie l’ouverture culturelle ; les populistes faisant du rejet de l’Union Européenne un thème mobilisateur font donc froid dans le dos.

C’est pour cela que l’« Européenne » de Saez ne veut pas du nationalisme :

« Elle a pas vraiment de frontières
Son corps c’est la planète entière
N’en déplaise au peuple bourgeois
Tu sais mon Européenne à moi »

Mais ce n’est pas non-plus un cosmopolitisme libéral, celui d’un Raphaël Glucksmann qui a eu, si l’on peut dire, le mérite d’assumer cet horrible fait : « Quand je vais à New-York ou à Berlin, je me sens plus chez moi, a priori, culturellement, que quand je me rends en Picardie ».

Au contraire, l’« Européenne » de Saez est ancrée dans l’histoire :

« Elle est accordéon sanglot
Elle est accorde-moi un tango
Elle est destin des origines
Elle est racine gréco-latine »

« Elle a des airs de statue grecque
Elle a des airs des Italies
Qu’on dirait Paris à Venise
Qu’on dirait Namur aux Marquises
C’est Gauguin qui peint la terre
Comme un pinceau vous dit mon frère »

De manière générale, jusqu’à récemment, il suffisait pour les gens à Gauche de critiquer les traités libéraux de l’Union Européenne tout en appréciant l’ouverture des frontières et la facilité des échanges culturels. C’était facile, consommateur, opportuniste, et finalement tout à fait conforme au libéralisme instigué par les classes dirigeantes ayant lancé ce grand marché commun.

Le problème est que les populistes ont, qu’on le veuille ou non, mis ce problème du libéralisme sur la table. Ils l’ont bien-sûr fait dans un sens nationaliste, prônant le repli comme avec le Brexit qui n’est qu’un moyen pour la bourgeoisie britannique d’emmener avec elle le peuple vers la guerre.

Le rejet populiste de l’Union Européenne est donc un piège et il s’agit de ne pas tomber dedans.

Faut-il à rebours, pour éviter ce piège, défendre unilatéralement l’Union Européenne, comme le fait un Ian Brossat du PCF ou encore le mouvement de Benoît Hamon dont une cadre députée européenne peut expliquer en réunion publique qu’elle est pour la dilution de la France dans un État européen ?

On imagine que non, car ce serait là suicidaire, impossible à assumer pour la classe ouvrière. Mais il faut en tous cas avoir une position, et pour cela il faut une vision, des valeurs claires. La chanson « Mon Européenne » de Saez n’est bien évidemment pas une position politique, mais c’est une vision du monde, utile pour essayer d’y voir clair et d’élaborer une position, alors que les élections européennes vont être un moment très compliqué pour les personnes progressistes, pour la Gauche.

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Écologie

L’orange, le fruit de la nature d’hiver

Consommée depuis une haute Antiquité en Asie, l’orange a été introduite en Europe par le biais de la Perse et des Arabes au Moyen Âge, avant de se généraliser progressivement dans notre alimentation et notre consommation habituelle.

En reconnaissance de ses nombreuses qualités, cet agrume est devenu le fruit par excellence de la nature d’hiver. Mais prises dans la logique marchande de l’économie capitaliste décadente, sa production et sa distribution doivent être mieux organisées afin de donner à ce fruit toute sa place au sein d’une Humanité réconciliée avec notre biosphère.

L’orange est un agrume originaire du plateau himalayen, tout comme le citron Yuzu entré plus récemment dans notre gastronomie. Ce fruit qui se présente sous la forme d’une baie avec une peau rugueuse et une chair juteuse, a de nombreux usages alimentaires, par exemple en pâtisserie, ou comme condiment ou encore simplement comme jus de boisson. Mais on l’utilise aussi en cosmétique et en pharmaceutique, les propriétés anxiolytique et relaxante de ses fleurs ou plus particulièrement de son essence sont reconnues depuis le Moyen Âge en Orient dans les traités arabo-persans puis latins, et plus anciennement encore en Inde.

Le nom même « orange » est venu dans notre langue, d’abord comme pomme d’orange puis orange tout simplement, par le persan narang/نارنجی lui-même dérivant certainement d’un terme sanskrit repérable dans la tradition hindouiste de l’āyurveda datant du début de notre ère où ce fruit y est mentionné pour les qualités de son parfum.

La première variété qui fut implantée en Méditerranée était celle de l’orange amère, utilisée justement surtout pour son parfum. Sa culture a été introduite par les Arabes en Sicile vers l’an Mil et en Andalousie dans la région du Guadalquivir, puis de Valence au XIème siècle. Au XVème siècle, les navigateurs portugais ramènent des Indes en Europe la variété de l’orange douce.

Peu cultivé en France pour des raisons climatiques, le fruit est longtemps resté un produit de luxe, distinctif en particulier de l’aristocratie qui prisait son parfum. La principale zone d’importation vers notre pays a longtemps été l’Italie, qui nous a transmis justement pour sa culture de luxe le principe des Orangeries, vastes serres vitrées et chauffées agrémentant les jardins et permettant la culture de l’arbuste en bac. On trouve encore des exemples de ces bâtiments dans les parcs urbains de certaines grandes villes françaises autour de Paris, à Toulouse ou encore à Strasbourg.

En raison de la saisonnalité de sa récolte et de sa rareté relative, l’orange est devenue progressivement un des symboles de Noël et plus largement, le fruit revigorant par excellence de l’hiver, autant pour sa consommation en tant que telle que pour son parfum sous la forme d’une « pomme d’ambre », c’est-à-dire piqué de clous de girofle et déposé dans les armoires à vêtements ou les intérieurs, où la diffusion de son arôme était sensée avoir des vertus hygiéniques.

Sa consommation de masse s’est développée dans l’Entre-Deux-Guerres, avec l’essor de sa culture en Algérie, dont les capacités de production se sont ensuite amoindries avec la guerre de Libération. Les industriels français ayant déplacés les moyens de production vers l’Amérique latine, en Argentine et en Uruguay notamment. Aujourd’hui, sa culture se développe rapidement au Brésil, aux États-Unis et en Chine. En Europe, l’Espagne et l’Italie en restent les principaux producteurs.

En France, il est le 3e fruit le plus consommé, reconnu pour son apport relativement élevé en vitamine C et en minéraux essentiels au bon fonctionnement de l’organisme humain. La consommation totale annuelle dans notre pays dépasse les 335 000 tonnes de toutes les variétés de ce fruit, soit près de 5kg par personne chaque année.

L’orange est un don de la nature d’hiver dont la consommation généralisée montre son intérêt pour l’ensemble de l’Humanité, ce qui pousse le besoin de mieux organiser sa production afin de la garantir notamment des usages massifs de pesticides comme le chloramizol réputé cancérigène et perturbateur endocrinien, qui l’empoissonne trop souvent. D’où la nécessité de bien laver le fruit et d’éviter d’en consommer la peau. Cette réalité malheureuse vient de la nature même du capitalisme qui cherche sans cesse à accroître le rendement sans vue d’ensemble, sans sens des responsabilités collectives. Ceci sans même parler de l’exploitation d’une main d’oeuvre de récolteurs traitée trop souvent à la limite du pur et simple esclavage. Sa distribution aussi mérite d’être revue et mieux planifiée pour éviter les gaspillages énergétiques et logistiques.

La consommation de ce fruit est donc là aussi une chose qui nous ramène au nécessaire besoin de changer le cadre, d’améliorer les choses, afin de pouvoir savourer dignement cet agrume présent depuis si longtemps à nos côtés durant les froides journées d’hiver.

Pour finir sur une note positive, voici une recette de jus d’orange chaud, agrémenté d’épices, qu’il est agréable et fortifiant de déguster après une sortie hivernale entre amis ou en famille au grand air, dans une forêt ou en montagne pour jouir de la beauté de la nature de notre pays en cette saison hivernale.

Jus d’orange chaud aux épices pour 4 personnes

Jus frais de 8 oranges avec un citron (environ 1 l de jus d’orange)
• 1 Grand verre d’Eau
• 1 Bâton de cannelle
• 1 Étoile d’anis

Pressez les oranges. Vous pouvez choisir de garder ou non la pulpe selon le goût.

Dans une casserole, versez le jus d’orange et le mélange d’épices, faites chauffer 4 mn.

Laissez infuser environ 30 mn.

Réchauffez au moment de servir, filtrer les épices avant de servir avec une passoire à thé.

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Politique

Un accord franco-allemand d’Aix-la-Chapelle sans grande valeur historique

Emmanuel Macron a signé hier avec Angela Merkel, la chancelière allemande, un nouvel accord franco-allemand. Contrairement à ce qui avait annoncé, il n’y a rien de bien nouveau et certainement pas le moteur franco-allemand assumé et organisé au plus haut niveau. C’est une preuve de plus de la décomposition des accords internationaux et du retour général à l’égoïsme national, positionnement considéré comme nécessaire dans le repartage du monde tant attendu.

Le Monde est fou de rage contre Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan ; l’éditorial du quotidien est assassin avec eux. Ils sont accusés de propagation de fausses nouvelles et de « polémique fallacieuse », pour avoir affirmé que, grosso modo comme le quotidien le résume, le nouveau traité franco-allemand aboutissait « à vendre l’Alsace et la Lorraine à l’Allemagne, à partager avec cette dernière le siège permanent de la France au Conseil de sécurité de l’ONU, voire notre puissance nucléaire ».

Il ne faut pas prendre davantage au sérieux Le Monde que Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan : ici, tout le monde joue sa petite mélodie conforme à son approche, libérale-européenne ici, souverainiste-nationaliste là. C’est que la signature d’un nouveau traité franco-allemand ne pouvait pas laisser indifférent, même si à vrai dire l’État allemand s’en moque un peu. Emmanuel Macron est d’ailleurs dépité, car lui espérait vraiment un accord de tandem franco-allemand.

Seulement l’Allemagne n’a pas ce sens de l’urgence de la France, grande puissance en perte de vitesse. Son économie est puissante et tourne très bien, en profitant largement de l’Europe de l’Est ; elle n’a pas les besoins d’une France à vocation impériale mais, comme toujours, sans vrai moyen pour ses fins. Ici d’ailleurs tout le monde en politique est d’accord sur le fait que la France doit rester une grande puissance, avec une armée d’envergure, une influence mondiale. Les désaccords portent sur comment y parvenir. Seule ? Avec l’Allemagne ? Avec l’Union Européenne ? Avec la Russie ?

Cela veut dire qu’il n’y a pas de Gauche, car s’il y avait une Gauche il y aurait une dénonciation de l’expansionnisme, de la tendance à la guerre, une vraie critique de l’armée, des manipulations à haut niveau surtout en Afrique, etc. Au lieu de cela, on a des discours hyper-patriotiques dans une gauche devenue social-patriote, dans une apparence allant tellement loin d’ailleurs qu’elle aurait été intolérable à tous les gens de Gauche en 1980, ou même avant. Le recul est terrible.

Ainsi, les gens de Gauche sont coincés entre les pro-Europe voyant dans le libéralisme culturel le vecteur du progrès individuel, et les anti-Europe dont le chauvinisme ne se masque pratiquement pas, quand il n’est pas ouvertement agressif. Et cela en France, dans le pays malade de l’Europe, avec les gilets jaunes comme symptôme d’un très profond malaise et d’une impression de perte de prestige. On voit mal comment cela ne peut pas mal tourner, avec un mouvement patriotique social soulevant la population pour faire « revenir la France ».

Le spectre d’un Donald Trump français hante la France. On sait déjà que sa couleur préférée est le jaune.

Beaucoup espèrent que l’Europe, comme principe, est un moyen d’empêcher cela ; c’est le cas par exemple de Benoît Hamon ou d’EELV, ou même du PS. Même si on part du principe qu’ils ont raison, les accords signés par le président français et la chancelière allemande hier à Aix-la-Chapelle hier douchent leurs espoirs. Pour que l’Union Européenne avance, surtout avec le Brexit britannique, il faut une volonté forte d’unité. Un simple texte de « de coopération et d’intégration » signé par la France et l’Allemagne ne va pas en ce sens.

Le traité veut harmoniser le droit des affaires des deux pays et former une « culture commune » entre les deux armées ? Cela fait des années qu’on en parle et que rien n’avance. Et rien ne peut avancer : les égoïsmes capitalistes sont trop forts, aucun effort culturel n’est fait à aucun niveau. Un simple sondage montrerait aisément que la très grande majorité des Français serait incapable de citer un écrivain allemand, et encore heureusement y a-t-il Bach et Beethoven.

Le nouveau traité franco-allemand n’est que le prolongement de l’accord signé il y a 56 ans, dont il dit finalement la même chose. Sauf que la situation est totalement différente d’il y a 56 ans. Et on voit que seuls les égoïsmes nationaux sont à la hauteur.

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Société

Disparition d’Emiliano Sala : les sportifs appartiennent au peuple !

La disparition tragique du footballeur Emiliano Sala est un bouleversement à Nantes, il y a le sentiment terrible et collectif que c’est « l’un des nôtres » qui a disparu.

Il était revenu à Nantes pour le week-end puis est reparti après un au revoir à ses anciens équipiers au centre d’entraînement. L’avion dans lequel se trouvait Emiliano Sala n’a pas été retrouvé, mais si à l’heure actuelle il est encore porté disparu, il n’y a que très peu de doutes quant à son sort. Le sujet a animé la journée des Nantais amoureux de leur club hier, dans les collèges et les lycées, au travail, dans les familles ou sur les messageries entre amis. Des centaines de personnes se sont rendues le soir même dans le centre de la ville en son nom.

Un footballeur, et qui plus est le meilleur buteur du club, qui s’implique fortement sur le terrain, donne de sa personne pour l’équipe, cela plaît aux gens. Emiliano Sala a plu au public nantais tant pour sa gentillesse et son sourire que pour sa « grinta » sur le terrain et ses buts. Toujours un bonjour quand il le fallait, toujours d’accord pour un autographe ou un selfie quand on le croisait au karting ou à la boulangerie, et toujours enclin à se donner pendant les matchs.

Les intellectuels des centre-villes, les bourgeois en général, ont du mal à saisir cela. Ils ne voient en les footballeurs pros que des individus qui réussissent, adulés par des gens d’en bas qui eux n’ont pas réussi. En vérité, ce n’est pas cela qui se passe : les gens du peuple savent que les footballeurs comme Emiliano Sala sont des leurs, et inversement. C’est pour cela qu’il y a beaucoup de tristesse quant à sa disparition, car il y a de l’affection.

En arrière plan de cela, il va aussi y avoir beaucoup de colère. Car cette disparition n’aurait jamais dû arriver. C’est un drame du football moderne.

Elle est la conclusion tragique d’un insupportable épisode hivernal plein de rebondissements quant à son transfert vers le club de Cardiff City. L’entraîneur Vahid Halilhodzic ne voulait évidemment pas du départ de son buteur, surtout sans remplacement derrière, et assurait qu’il ne partirait pas.

Il y avait quand-même des rumeurs, puis un départ quasi certain finalement annulé, avant d’être enfin conclu il y a quelques jours. On ne sait jamais les choses dans le détail dans ce genre de transactions, mais la plupart des commentaires indiquaient qu’Emiliano Sala n’était pas intéressé sportivement par Cardiff. Ce serait le président du FC Nantes, Kita, qui a poussé le transfert pour récolter une grosse somme d’argent (estimée à 17 millions d’euros, dont la moitié doit revenir aux Girondins de Bordeaux en raison d’une clause sur le précédent transfert).

De son côté, le club de Cardiff a proposé au joueur un salaire très important, de 300 000 euros par mois, qu’il lui a été compliqué de refuser, ce que tout le monde à bien entendu compris, malgré la déception.

C’est un drame du football moderne, car ce genre de transferts insupportable d’un point de vue sportif ne devraient pas exister. Il ne devrait pas y avoir autant d’argent en jeu, avec une telle concurrence déloyale qui fausse toute équité. Il n’y aurait jamais dû avoir ces allez-retours improvisés entre Nantes et Cardiff dans un petit avion au-dessus de la Manche en plein milieu du championnat en hiver.

Si l’on en croit la presse, Emiliano Sala avait fait part de ses inquiétudes quant au vol à son à des amis, indiquant qu’à l’aller cela avait été compliqué et qu’il n’avait pas confiance en l’avion « sur le point de tomber en morceaux ». Cette information fait vraiment froid dans le dos, il y a quelque-chose de vraiment révoltant qui montre que les joueurs de football, même s’ils gagnent beaucoup d’argent, sont les victimes de tractations qui les dépassent, manipulés comme de simples marchandises, contraints à ce genre de voyages absurdes.

On peut même penser, d’ailleurs, qu’Emiliano Sala n’avait pas grand-chose à faire en Europe, et que le peuple argentin devrait avoir le droit de garder ses propres champions, qui quittent le pays à cause de l’argent.

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Politique

L’Union Européenne à la croisée des chemins

Les prochaines élections européennes vont refléter un grand tournant pour l’Union Européenne, car l’idée d’unité européenne apparaît comme coincée entre une vision transnationale utopique et un retour offensif des nationalismes.

Parlement européen - wikipedia

Dans les années 1990, les Français pensaient dans leur majorité que dans les vingt années suivantes, il y aurait un passeport européen, des États-Unis d’Europe. Cela apparaissait comme la conclusion logique de l’effondrement du bloc de l’Est et de la montée des échanges entre les pays, le tout dans une ambiance utopique de paix, de commerce et de citoyenneté.

Aujourd’hui, plus personne n’y croit et le parlement européen de Bruxelles est compris, à juste titre, comme une sorte d’entité transnationale instaurant des réglementations visant à la fois la sécurité mais aussi surtout la libéralisation, les nouveaux règlements renforçant la compétition économique de par les exigences nouvelles.

Ces règlements ne sont pas forcément appliqués d’ailleurs, selon les situations et les pays. Paris ne se résoudra pas à fermer son métro, alors que normalement il devrait afin de faire des travaux pour le rendre accessible aux handicapés. De la même manière, la sécurité sociale française n’applique pas vraiment les principes européens de la carte de séjour nécessaire au-delà de trois mois pour les citoyens européens, ayant une politique d’immigration très ouverte.

C’est que les intérêts nationaux priment tout de même, malgré tout et c’est cela qui a ruiné le projet européen. Ce projet n’était d’ailleurs pas autre chose au début qu’une tentative de renforcer le capitalisme, dans le prolongement du plan Marshall et avec l’appui des États-Unis.

L’idée d’une unité politique, comme utopie pacifique, est finalement assez récente et n’a jamais correspondu à quoi que ce soit de concret. Ce n’était qu’un discours mis en avant par la démocratie-chrétienne des différents pays, pour justifier le renforcement du libéralisme, qui est pour le coup la véritable utopie de ces gens.

Certains, comme Benoît Hamon, EELV ou le PCF, pensent à Gauche qu’il est nécessaire de reprendre cette utopie d’unité et d’en faire l’étendard des valeurs à exiger : le refus du nationalisme, l’ouverture aux autres, la coopération internationale, l’opposition au militarisme.

Cela est évidemment très sympathique comme idée, le souci est que les gens qui la soutiennent ne sont rien d’autre que sympathiques. Ils sont de milieux sociaux urbains et cultivés, ouverts sur le monde mais en même temps totalement déconnectés du monde « d’en bas ». L’idée même de crise économique ou sociale les dépasse et ils n’envisagent même pas que la classe ouvrière ait une histoire, une identité.

D’autres pensent qu’il faut faire de la rupture ou d’un certain type de rupture avec l’Union Européenne le point de départ de toute initiative politique et sociale. C’est le cas de Jean-Luc Mélenchon et La France Insoumise, et des différentes organisations politiques issues de la gauche du PCF. A l’arrière-plan, il y a l’idée que seule la « République » peut permettre des conquêtes sociales, dans l’idée de Jean Jaurès. Naturellement, il n’est pas possible de nier certaines tendances « patriotiques », « souverainistes », nationalistes.

C’est un véritable conflit qui existe à Gauche, et dans le contexte d’une Union Européenne puissamment ébranlée par les montées du repli nationaliste, dans la perspective de la défense militariste des égoïsmes nationaux… c’est évidemment explosif.

Par conséquent, s’imaginer avec un tel arrière-plan qu’on peut être de Gauche et éviter la participation aux débats, le soutien à une nouvelle structuration de type politique, n’est tout simplement pas possible.

Le travail de fond sur des expériences positives, pouvant servir de moteurs ou de modèles, est la tâche contributive la plus importante ; dans tous les cas elle doit s’allier à une perspective visant un état d’esprit unitaire.

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Politique

La Lettre au président de la République de Benoît Hamon

À l’occasion du grand débat national lancé par Emmanuel Macron et en réponse à sa lettre aux français, Benoît Hamon a écrit une lettre ouverte à Emmanuel Macron pour y exposer son point de vue quant à la situation actuelle.

Benoît Hamon

Cher.e.s ami.e.s, vous trouverez ci-dessous la lettre que j’ai envoyée aujourd’hui au président de la République. N’hésitez pas à la partager autour de vous.

Amitiés.

Benoît Hamon

Lettre au président de la République

Paris, le 17 janvier 2019

Monsieur le président de la République,

Le contraire de la connaissance, ce n’est pas l’ignorance, c’est la certitude. Vous avez trop de certitudes.

J’ai lu la lettre que vous avez adressée à tous les Français. Vous leur proposez un débat mais c’est vous qui fixez la teneur des questions, leur nombre et leur champ restrictif. Ce débat public commence mal quand les membres du gouvernement passent plus de temps à énoncer la liste des questions interdites plutôt que de laisser nos concitoyens exprimer sans entrave leurs doléances.

Je vois dans votre méthode, une nouvelle manifestation de la méfiance intrinsèque de votre quinquennat à l’égard du peuple. Comme si les Français étaient en retard sur leurs élites, comme s’ils n’étaient pas les meilleurs experts de leur propre vie. Et pourtant, nous avons tant besoin de retrouver une communauté de destin.

La planète n’est plus assez grande pour héberger la civilisation vorace et productiviste dont vous êtes un des derniers apôtres. Les buts de cette civilisation, posséder, produire, consommer, exploiter la nature sans limite, ne sont plus soutenables et pourtant, en dépit du cri d’alarme des scientifiques relayé par des millions de citoyens signataires de la pétition pour l’affaire du siècle, en dépit des dizaines de millions de femmes et d’hommes jetés sur les routes de l’exil par la pauvreté et le dérèglement climatique, en dépit de la colère qui monte partout en réponse à l’accaparement de la richesse par une minorité d’ultra-riches, vous continuez à fixer comme but à notre civilisation, la croissance du PIB et d’indexer le bonheur des êtres humains sur la seule richesse matérielle.

Jamais vous ne dites à nos concitoyens qu’il faudrait radicalement changer de cap, trier et choisir dans nos modes de vie « ce dont nous ne pouvons et dont nous ne voulons pas nous passer » pour engager sereinement et démocratiquement les transitions indispensables.

La crise que nous vivons, n’est pas un épisode social parmi d’autres, c’est une crise sur l’essence même et les buts de notre civilisation.

A force d’injustices, votre présidence est devenue celle du désordre. A force d’inégalités, votre quinquennat est désormais celui de la révolte des Français. Le mouvement des Gilets jaunes vous a contraint à écouter le désespoir qui gagne, chaque jour davantage, notre peuple. Une écoute contrainte, à défaut, hélas, d’être attentive car à la question de la redistribution des richesses, vous répondez par une charité financée par les Français eux-mêmes ; à la question démocratique, vous apportez une réponse sécuritaire ; à la question écologique, votre réponse est une politique minée par vos liens avec les lobbies les plus polluants et votre gabegie fiscale au profit des plus fortunés.

Il est urgent, Monsieur le Président de la République, de vous hisser enfin à la hauteur des fonctions que nos concitoyens vous ont confiées. Elu face à l’extrême-droite grâce à l’esprit responsable de républicains de toutes convictions, vous n’avez eu de cesse d’abîmer cette concorde pour appliquer sans discernement ni retenue un programme au service exclusif d’une minorité privilégiée.

Notre pays a besoin de retrouver l’espoir et les voies d’un dialogue national apaisé. Notre nation doit être mobilisée vers notre avenir collectif autour d’un grand projet de société à la fois écologique, social et profondément démocratique. Les Français ne demandent qu’à partager une communauté de destin dont votre politique de division les prive. La situation grave de notre pays appelle en effet un grand débat démocratique. Mais celui-ci ne peut se résumer à un artifice de communication de la part d’un pouvoir qui a continûment méprisé les corps intermédiaires, le Parlement et, par vos excès de langage récurrents, les citoyens eux-mêmes.

Soyez pour une fois, humble devant la clairvoyance des Français à vous dire ce qui est bon pour eux, pour notre pays, pour notre destin, quelles sont les bonnes questions et les bonnes réponses.

Je porte au nom de Génération.s, les propositions suivantes :

Je vous demande que ce débat national ouvre un processus constituant. La Vème République connait à l’évidence son crépuscule. Mais dans cette interminable agonie, le risque le plus grand est qu’elle emporte avec elle notre liberté. Les Français veulent respirer l’air d’une démocratie qui ne soit plus vicié par les lobbies privés ou la technocratie. Il faut renouer avec l’ambition de la « démocratie constante » chère à Pierre Mendès-France. Je vous demande donc de vous engager en faveur de la création d’une assemblée constituante qui au terme du débat national engagera la rédaction de la constitution d’une VIème République soumise à l’approbation du peuple français par referendum.

Je vous demande que ce débat national permette une nouvelle répartition des richesses. Si les salaires et les pensions sont si bas, si les entreprises licencient et multiplient les contrats précaires, si la souffrance au travail augmente, si les services publics désertent la France rurale, si l’hôpital public se tiermondise, si les associations mettent la clé sous la porte, si l’école ne parvient plus à enrayer les inégalités sociales, c’est en raison d’une richesse qui se concentre entre les mains d’une toute petite minorité plutôt que de servir l’intérêt général. Vous deviez être le Président de tous les Français mais c’est à cette minorité privilégiée que vous avez réservé toutes vos bontés. Il est l’heure d’un choc positif pour le revenu des Français grâce à l’expérimentation du revenu universel d’existence, au rétablissement de l’indexation des retraites sur les prix, à la hausse du SMIC et l’ouverture d’une négociation sur l’augmentation des salaires dans le secteur privé comme dans la fonction publique. Il faut aussi éradiquer la pauvreté qui est une honte pour un pays aussi riche que le nôtre grâce à la taxation massive des contrats précaires, des résidences secondaires inoccupées et des logements insalubres. Pour cela, il faudra mieux redistribuer la richesse grâce au rétablissement immédiat de l’ISF, à la taxation des GAFA, à la montée en puissance d’une véritable taxe sur les transactions financières ou à élargissement de l’assiette des cotisations sociales patronales à la valeur ajoutée, c’est à dire la mise en place d’une taxe sur les robots pour financer les retraites.
Je vous demande enfin d’engager un changement de notre modèle de développement. L’économiste américain, Kenneth E.Boulding, prétendait que « celui qui croit qu’une croissance exponentielle peut continuer indéfiniment dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste ». Epargnez à nos enfants de devoir un jour vous infliger le jugement tragique de l’Histoire parce que vous n’auriez pas été capable d’engager la nation dans la mutation de ses modes de production et de consommation. Vous avez opposé justice sociale et transition écologique. Comment pouvez-vous ignorer que les premières victimes de la malbouffe, ceux qui respirent l’air le plus pollué à proximité des grands axes routiers, ceux qui vivent dans des passoires énergétiques, ceux dont la santé est menacée, sont les Français les plus modestes. Les inégalités environnementales sont des inégalités sociales. Quelle responsabilité grave, avez-vous pris vis-à-vis des générations futures, de nos enfants et de ceux qu’ils feront, en retardant l’engagement total de la France dans la lutte contre le réchauffement climatique, pour la biodiversité et l’amélioration de la qualité de l’air.

Il faut une opération « mains propres », et tant pis si cela doit frapper d’abord ces grandes entreprises qui dissimulent leur impact négatif sur le climat derrière les parades sans lendemain de vos grand-messes environnementales. Je vous demande la taxation intégrale des profits des banques issus de leur soutien aux énergies fossiles, de la création d’une contribution financière des entreprises qui exploitent les biens communs de l’humanité (eau, ressources fossiles, axes de communication, information, etc…) et la fin du droit à polluer gratuitement alloué aux grandes entreprises. Il vous revient aussi de mettre un terme à l’impunité des évadés fiscaux qui spolient la France de ses ressources.

Monsieur le Président de la République, à vous observer résister par tous les moyens de l’Etat, parmi lesquels une répression de plus en plus brutale, à l’irruption du peuple dans l’histoire de notre pays, je pense à Albert Camus qui disait qu’il revenait à sa génération, une tâche plus grande encore que celle de refaire le monde, qui consistait à empêcher que le monde ne se défasse. Depuis le mois de mai 2017, vous défaites la France et ce qui fait la modernité de ses valeurs. Les Français vous ont stoppé dans votre œuvre de démolition.

Je vous demande de considérer sérieusement les demandes de justice sociale et de démocratie exprimées par les Français. En respectant le peuple, vous respecterez davantage l’éminente fonction que vous occupez.

Veuillez agréer Monsieur le Président de la République, l’expression de mon profond respect.

Benoît Hamon
Co-fondateur de Génération·s