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Refus de l’hégémonie

La guerre française contre la Russie

Historiquement, la France connaît une large influence de l’idéologie gaulliste, qui appelle à une sorte d’équilibre entre les plus grandes puissances. La France pourrait tirer son épingle du jeu en étant dans le camp américain, mais avec une sorte de perspective sociale-humaniste, le « pays des droits de l’Homme ».

Tout cela est désormais du passé et il n’existe plus aucune importance politique du gaullisme en France. L’irruption du conflit militaire entre la Russie et l’Ukraine a balayé toutes les positions gaullistes au profit d’un alignement complet sur la superpuissance américaine.

Aucun retour n’est plus possible. La première raison, c’est que la Russie a été expulsée d’Europe. Ses avoirs sont gelés et s’il n’était le fétichisme de la propriété, tout serait confisqué. Tout le sera de toutes façons, ces avoirs iront à l’Ukraine comme « avances » pour les futures dettes russes lorsque la Russie perdra… si elle perd.

La seconde, c’est que la France soutient militairement le régime ukrainien. Elle lui fournit des informations obtenues par ses satellites (CSO, Pleiades et Helios). Elle a envoyé des missiles anti-chars (Milan, Javelin et Akeron) et des systèmes portatifs de défense antiaérienne (Mistral). Elle a offert des obusiers (Caesar, TRF1) et deux systèmes de défense sol-air Crotale R-400.

Elle a mis en place la fourniture de dizaines et de dizaines de véhicules blindés de transport de troupes (VAB, AMX10-RC, ACMAT Bastions), ainsi que des véhicules légers (TRM 2000, GBC 180, Peugeot P4). A cela s’ajoute des mines HPD2A2, et tout ce qu’on ne sait pas (y compris masqués dans les tonnes d’aides humanitaires), car officiellement il n’y a aucune communication de l’armée française.

Tous les médias français, unanimes, sont pour la défaite totale de la Russie. Cet objectif était auparavant conçu comme possible et souhaitable, une opportunité à court terme. Désormais, même si cela doit prendre des années, l’Ukraine est censée aller au combat jusqu’au bout. Dans son éditorial du 9 août 2023, « Cette longue guerre qui attend l’Ukraine », Le Figaro expose les choses sans ambiguïtés.

« Céder face à Poutine n’est pas une option. Cela signerait une défaite stratégique catastrophique pour l’Occident (…).

Les alliés de Kiev devront accélérer le rythme et la qualité des livraisons d’armes, prendre de court Moscou (…).

L’Occident sera-t-il à la hauteur du défi? A-t-il encore le choix? Son avenir se joue en Ukraine… »

Constructions à Marioupol, que la Russie s’efforce de reconstruire rapidement, afin d’assurer sa crédibilité

C’est qu’il est trop tard pour reculer. Au-delà des intérêts stratégiques, où la France peut diverger de la superpuissance américaine, il y a le mode de vie. Et l’Ukraine s’est faite le bras armé de ce mode de vie. Il est tout à fait utile pour l’occident d’avoir un pays pauvre avec une population fanatiquement pro-américaine, pro-Otan, pro-Union européenne. Cela contribue à présenter l’occident comme un paradis, un modèle à suivre.

La toute-puissance occidentale est un facteur idéologique majeur. Et aucun changement profond n’est possible sans briser cette chape de plomb. Il suffit de voir la France en 2023. Les grèves contre la réforme des retraites et les émeutes de l’été n’ont été que des rides sur la surface de l’eau. Dans ses fondements, tout reste stable, même si décadent, ou justement stable parce que décadent.

L’occident, ce serait la diversité dans la liberté, dont les LGBT sont l’exemple fer de lance. Ce serait la seule vraie option, à rebours des « modèles autoritaires ». Sur le plan du contrôle social, c’est un bénéfice énorme. Il n’y a rien de tel pour justifier une pacification sociale. Des troubles, des problèmes ? Tout cela sera résolu, car rien d’autre n’est possible que le capitalisme occidental !

Sarah Ashton-Cirillo, trans américain nommé porte-parole pour les médias occidentaux des forces territoriales de l’armée ukrainienne

Aucune fiction n’est donc possible au sujet d’une « autre » France, qui pourrait être une force de paix si elle était souveraine. C’est impossible non seulement parce que l’État est inféodé à la superpuissance américaine, mais également parce que la société l’est tout autant.

Les occidentaux ont un mode de vie individualiste « hédoniste » et n’ont pas un soutien actif à la guerre contre la Russie. Mais indirectement, ils y participent et en sont même les vecteurs. Tout ce qui est guerre contre le tiers-monde est en fin de compte dans leur intérêt. A moins d’assumer la rupture, ils participent à la machine de guerre économique, sociale, idéologique, culturelle.

La Russie est d’ailleurs de plus en plus effacée sur le plan de la culture, dans l’indifférence ou dans le fanatisme. Tant que le capitalisme propose, les gens disposent. C’est pourquoi il faut souhaiter la « défaite stratégique catastrophique de l’Occident ». Elle ne serait en rien une victoire pour la Russie et la Chine, ou peut-être à court terme. Elle serait une victoire pour le tiers-monde.

Affiche chinoise des années 1970: « Bienvenue aux amis du tiers-monde »

La France est en guerre contre l’Ukraine, et pour que les choses puissent changer en France, il faut une défaite stratégique occidentale. C’est à ce prix que la lutte des classes peut se réaffirmer, le prolétariat se recomposer en sortant de son statut de « masse consommatrice passive ». Et la défaite stratégique occidentale est inévitable. C’est de là qu’il faut partir pour la moindre initiative qu’on puisse avoir – tout le reste relève d’un monde en perdition, condamné à disparaître.