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Politique

Un accord franco-allemand d’Aix-la-Chapelle sans grande valeur historique

Emmanuel Macron a signé hier avec Angela Merkel, la chancelière allemande, un nouvel accord franco-allemand. Contrairement à ce qui avait annoncé, il n’y a rien de bien nouveau et certainement pas le moteur franco-allemand assumé et organisé au plus haut niveau. C’est une preuve de plus de la décomposition des accords internationaux et du retour général à l’égoïsme national, positionnement considéré comme nécessaire dans le repartage du monde tant attendu.

Le Monde est fou de rage contre Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan ; l’éditorial du quotidien est assassin avec eux. Ils sont accusés de propagation de fausses nouvelles et de « polémique fallacieuse », pour avoir affirmé que, grosso modo comme le quotidien le résume, le nouveau traité franco-allemand aboutissait « à vendre l’Alsace et la Lorraine à l’Allemagne, à partager avec cette dernière le siège permanent de la France au Conseil de sécurité de l’ONU, voire notre puissance nucléaire ».

Il ne faut pas prendre davantage au sérieux Le Monde que Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan : ici, tout le monde joue sa petite mélodie conforme à son approche, libérale-européenne ici, souverainiste-nationaliste là. C’est que la signature d’un nouveau traité franco-allemand ne pouvait pas laisser indifférent, même si à vrai dire l’État allemand s’en moque un peu. Emmanuel Macron est d’ailleurs dépité, car lui espérait vraiment un accord de tandem franco-allemand.

Seulement l’Allemagne n’a pas ce sens de l’urgence de la France, grande puissance en perte de vitesse. Son économie est puissante et tourne très bien, en profitant largement de l’Europe de l’Est ; elle n’a pas les besoins d’une France à vocation impériale mais, comme toujours, sans vrai moyen pour ses fins. Ici d’ailleurs tout le monde en politique est d’accord sur le fait que la France doit rester une grande puissance, avec une armée d’envergure, une influence mondiale. Les désaccords portent sur comment y parvenir. Seule ? Avec l’Allemagne ? Avec l’Union Européenne ? Avec la Russie ?

Cela veut dire qu’il n’y a pas de Gauche, car s’il y avait une Gauche il y aurait une dénonciation de l’expansionnisme, de la tendance à la guerre, une vraie critique de l’armée, des manipulations à haut niveau surtout en Afrique, etc. Au lieu de cela, on a des discours hyper-patriotiques dans une gauche devenue social-patriote, dans une apparence allant tellement loin d’ailleurs qu’elle aurait été intolérable à tous les gens de Gauche en 1980, ou même avant. Le recul est terrible.

Ainsi, les gens de Gauche sont coincés entre les pro-Europe voyant dans le libéralisme culturel le vecteur du progrès individuel, et les anti-Europe dont le chauvinisme ne se masque pratiquement pas, quand il n’est pas ouvertement agressif. Et cela en France, dans le pays malade de l’Europe, avec les gilets jaunes comme symptôme d’un très profond malaise et d’une impression de perte de prestige. On voit mal comment cela ne peut pas mal tourner, avec un mouvement patriotique social soulevant la population pour faire « revenir la France ».

Le spectre d’un Donald Trump français hante la France. On sait déjà que sa couleur préférée est le jaune.

Beaucoup espèrent que l’Europe, comme principe, est un moyen d’empêcher cela ; c’est le cas par exemple de Benoît Hamon ou d’EELV, ou même du PS. Même si on part du principe qu’ils ont raison, les accords signés par le président français et la chancelière allemande hier à Aix-la-Chapelle hier douchent leurs espoirs. Pour que l’Union Européenne avance, surtout avec le Brexit britannique, il faut une volonté forte d’unité. Un simple texte de « de coopération et d’intégration » signé par la France et l’Allemagne ne va pas en ce sens.

Le traité veut harmoniser le droit des affaires des deux pays et former une « culture commune » entre les deux armées ? Cela fait des années qu’on en parle et que rien n’avance. Et rien ne peut avancer : les égoïsmes capitalistes sont trop forts, aucun effort culturel n’est fait à aucun niveau. Un simple sondage montrerait aisément que la très grande majorité des Français serait incapable de citer un écrivain allemand, et encore heureusement y a-t-il Bach et Beethoven.

Le nouveau traité franco-allemand n’est que le prolongement de l’accord signé il y a 56 ans, dont il dit finalement la même chose. Sauf que la situation est totalement différente d’il y a 56 ans. Et on voit que seuls les égoïsmes nationaux sont à la hauteur.

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Société

Disparition d’Emiliano Sala : les sportifs appartiennent au peuple !

La disparition tragique du footballeur Emiliano Sala est un bouleversement à Nantes, il y a le sentiment terrible et collectif que c’est « l’un des nôtres » qui a disparu.

Il était revenu à Nantes pour le week-end puis est reparti après un au revoir à ses anciens équipiers au centre d’entraînement. L’avion dans lequel se trouvait Emiliano Sala n’a pas été retrouvé, mais si à l’heure actuelle il est encore porté disparu, il n’y a que très peu de doutes quant à son sort. Le sujet a animé la journée des Nantais amoureux de leur club hier, dans les collèges et les lycées, au travail, dans les familles ou sur les messageries entre amis. Des centaines de personnes se sont rendues le soir même dans le centre de la ville en son nom.

Un footballeur, et qui plus est le meilleur buteur du club, qui s’implique fortement sur le terrain, donne de sa personne pour l’équipe, cela plaît aux gens. Emiliano Sala a plu au public nantais tant pour sa gentillesse et son sourire que pour sa « grinta » sur le terrain et ses buts. Toujours un bonjour quand il le fallait, toujours d’accord pour un autographe ou un selfie quand on le croisait au karting ou à la boulangerie, et toujours enclin à se donner pendant les matchs.

Les intellectuels des centre-villes, les bourgeois en général, ont du mal à saisir cela. Ils ne voient en les footballeurs pros que des individus qui réussissent, adulés par des gens d’en bas qui eux n’ont pas réussi. En vérité, ce n’est pas cela qui se passe : les gens du peuple savent que les footballeurs comme Emiliano Sala sont des leurs, et inversement. C’est pour cela qu’il y a beaucoup de tristesse quant à sa disparition, car il y a de l’affection.

En arrière plan de cela, il va aussi y avoir beaucoup de colère. Car cette disparition n’aurait jamais dû arriver. C’est un drame du football moderne.

Elle est la conclusion tragique d’un insupportable épisode hivernal plein de rebondissements quant à son transfert vers le club de Cardiff City. L’entraîneur Vahid Halilhodzic ne voulait évidemment pas du départ de son buteur, surtout sans remplacement derrière, et assurait qu’il ne partirait pas.

Il y avait quand-même des rumeurs, puis un départ quasi certain finalement annulé, avant d’être enfin conclu il y a quelques jours. On ne sait jamais les choses dans le détail dans ce genre de transactions, mais la plupart des commentaires indiquaient qu’Emiliano Sala n’était pas intéressé sportivement par Cardiff. Ce serait le président du FC Nantes, Kita, qui a poussé le transfert pour récolter une grosse somme d’argent (estimée à 17 millions d’euros, dont la moitié doit revenir aux Girondins de Bordeaux en raison d’une clause sur le précédent transfert).

De son côté, le club de Cardiff a proposé au joueur un salaire très important, de 300 000 euros par mois, qu’il lui a été compliqué de refuser, ce que tout le monde à bien entendu compris, malgré la déception.

C’est un drame du football moderne, car ce genre de transferts insupportable d’un point de vue sportif ne devraient pas exister. Il ne devrait pas y avoir autant d’argent en jeu, avec une telle concurrence déloyale qui fausse toute équité. Il n’y aurait jamais dû avoir ces allez-retours improvisés entre Nantes et Cardiff dans un petit avion au-dessus de la Manche en plein milieu du championnat en hiver.

Si l’on en croit la presse, Emiliano Sala avait fait part de ses inquiétudes quant au vol à son à des amis, indiquant qu’à l’aller cela avait été compliqué et qu’il n’avait pas confiance en l’avion « sur le point de tomber en morceaux ». Cette information fait vraiment froid dans le dos, il y a quelque-chose de vraiment révoltant qui montre que les joueurs de football, même s’ils gagnent beaucoup d’argent, sont les victimes de tractations qui les dépassent, manipulés comme de simples marchandises, contraints à ce genre de voyages absurdes.

On peut même penser, d’ailleurs, qu’Emiliano Sala n’avait pas grand-chose à faire en Europe, et que le peuple argentin devrait avoir le droit de garder ses propres champions, qui quittent le pays à cause de l’argent.

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Politique

L’Union Européenne à la croisée des chemins

Les prochaines élections européennes vont refléter un grand tournant pour l’Union Européenne, car l’idée d’unité européenne apparaît comme coincée entre une vision transnationale utopique et un retour offensif des nationalismes.

Parlement européen - wikipedia

Dans les années 1990, les Français pensaient dans leur majorité que dans les vingt années suivantes, il y aurait un passeport européen, des États-Unis d’Europe. Cela apparaissait comme la conclusion logique de l’effondrement du bloc de l’Est et de la montée des échanges entre les pays, le tout dans une ambiance utopique de paix, de commerce et de citoyenneté.

Aujourd’hui, plus personne n’y croit et le parlement européen de Bruxelles est compris, à juste titre, comme une sorte d’entité transnationale instaurant des réglementations visant à la fois la sécurité mais aussi surtout la libéralisation, les nouveaux règlements renforçant la compétition économique de par les exigences nouvelles.

Ces règlements ne sont pas forcément appliqués d’ailleurs, selon les situations et les pays. Paris ne se résoudra pas à fermer son métro, alors que normalement il devrait afin de faire des travaux pour le rendre accessible aux handicapés. De la même manière, la sécurité sociale française n’applique pas vraiment les principes européens de la carte de séjour nécessaire au-delà de trois mois pour les citoyens européens, ayant une politique d’immigration très ouverte.

C’est que les intérêts nationaux priment tout de même, malgré tout et c’est cela qui a ruiné le projet européen. Ce projet n’était d’ailleurs pas autre chose au début qu’une tentative de renforcer le capitalisme, dans le prolongement du plan Marshall et avec l’appui des États-Unis.

L’idée d’une unité politique, comme utopie pacifique, est finalement assez récente et n’a jamais correspondu à quoi que ce soit de concret. Ce n’était qu’un discours mis en avant par la démocratie-chrétienne des différents pays, pour justifier le renforcement du libéralisme, qui est pour le coup la véritable utopie de ces gens.

Certains, comme Benoît Hamon, EELV ou le PCF, pensent à Gauche qu’il est nécessaire de reprendre cette utopie d’unité et d’en faire l’étendard des valeurs à exiger : le refus du nationalisme, l’ouverture aux autres, la coopération internationale, l’opposition au militarisme.

Cela est évidemment très sympathique comme idée, le souci est que les gens qui la soutiennent ne sont rien d’autre que sympathiques. Ils sont de milieux sociaux urbains et cultivés, ouverts sur le monde mais en même temps totalement déconnectés du monde « d’en bas ». L’idée même de crise économique ou sociale les dépasse et ils n’envisagent même pas que la classe ouvrière ait une histoire, une identité.

D’autres pensent qu’il faut faire de la rupture ou d’un certain type de rupture avec l’Union Européenne le point de départ de toute initiative politique et sociale. C’est le cas de Jean-Luc Mélenchon et La France Insoumise, et des différentes organisations politiques issues de la gauche du PCF. A l’arrière-plan, il y a l’idée que seule la « République » peut permettre des conquêtes sociales, dans l’idée de Jean Jaurès. Naturellement, il n’est pas possible de nier certaines tendances « patriotiques », « souverainistes », nationalistes.

C’est un véritable conflit qui existe à Gauche, et dans le contexte d’une Union Européenne puissamment ébranlée par les montées du repli nationaliste, dans la perspective de la défense militariste des égoïsmes nationaux… c’est évidemment explosif.

Par conséquent, s’imaginer avec un tel arrière-plan qu’on peut être de Gauche et éviter la participation aux débats, le soutien à une nouvelle structuration de type politique, n’est tout simplement pas possible.

Le travail de fond sur des expériences positives, pouvant servir de moteurs ou de modèles, est la tâche contributive la plus importante ; dans tous les cas elle doit s’allier à une perspective visant un état d’esprit unitaire.

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Politique

La Lettre au président de la République de Benoît Hamon

À l’occasion du grand débat national lancé par Emmanuel Macron et en réponse à sa lettre aux français, Benoît Hamon a écrit une lettre ouverte à Emmanuel Macron pour y exposer son point de vue quant à la situation actuelle.

Benoît Hamon

Cher.e.s ami.e.s, vous trouverez ci-dessous la lettre que j’ai envoyée aujourd’hui au président de la République. N’hésitez pas à la partager autour de vous.

Amitiés.

Benoît Hamon

Lettre au président de la République

Paris, le 17 janvier 2019

Monsieur le président de la République,

Le contraire de la connaissance, ce n’est pas l’ignorance, c’est la certitude. Vous avez trop de certitudes.

J’ai lu la lettre que vous avez adressée à tous les Français. Vous leur proposez un débat mais c’est vous qui fixez la teneur des questions, leur nombre et leur champ restrictif. Ce débat public commence mal quand les membres du gouvernement passent plus de temps à énoncer la liste des questions interdites plutôt que de laisser nos concitoyens exprimer sans entrave leurs doléances.

Je vois dans votre méthode, une nouvelle manifestation de la méfiance intrinsèque de votre quinquennat à l’égard du peuple. Comme si les Français étaient en retard sur leurs élites, comme s’ils n’étaient pas les meilleurs experts de leur propre vie. Et pourtant, nous avons tant besoin de retrouver une communauté de destin.

La planète n’est plus assez grande pour héberger la civilisation vorace et productiviste dont vous êtes un des derniers apôtres. Les buts de cette civilisation, posséder, produire, consommer, exploiter la nature sans limite, ne sont plus soutenables et pourtant, en dépit du cri d’alarme des scientifiques relayé par des millions de citoyens signataires de la pétition pour l’affaire du siècle, en dépit des dizaines de millions de femmes et d’hommes jetés sur les routes de l’exil par la pauvreté et le dérèglement climatique, en dépit de la colère qui monte partout en réponse à l’accaparement de la richesse par une minorité d’ultra-riches, vous continuez à fixer comme but à notre civilisation, la croissance du PIB et d’indexer le bonheur des êtres humains sur la seule richesse matérielle.

Jamais vous ne dites à nos concitoyens qu’il faudrait radicalement changer de cap, trier et choisir dans nos modes de vie « ce dont nous ne pouvons et dont nous ne voulons pas nous passer » pour engager sereinement et démocratiquement les transitions indispensables.

La crise que nous vivons, n’est pas un épisode social parmi d’autres, c’est une crise sur l’essence même et les buts de notre civilisation.

A force d’injustices, votre présidence est devenue celle du désordre. A force d’inégalités, votre quinquennat est désormais celui de la révolte des Français. Le mouvement des Gilets jaunes vous a contraint à écouter le désespoir qui gagne, chaque jour davantage, notre peuple. Une écoute contrainte, à défaut, hélas, d’être attentive car à la question de la redistribution des richesses, vous répondez par une charité financée par les Français eux-mêmes ; à la question démocratique, vous apportez une réponse sécuritaire ; à la question écologique, votre réponse est une politique minée par vos liens avec les lobbies les plus polluants et votre gabegie fiscale au profit des plus fortunés.

Il est urgent, Monsieur le Président de la République, de vous hisser enfin à la hauteur des fonctions que nos concitoyens vous ont confiées. Elu face à l’extrême-droite grâce à l’esprit responsable de républicains de toutes convictions, vous n’avez eu de cesse d’abîmer cette concorde pour appliquer sans discernement ni retenue un programme au service exclusif d’une minorité privilégiée.

Notre pays a besoin de retrouver l’espoir et les voies d’un dialogue national apaisé. Notre nation doit être mobilisée vers notre avenir collectif autour d’un grand projet de société à la fois écologique, social et profondément démocratique. Les Français ne demandent qu’à partager une communauté de destin dont votre politique de division les prive. La situation grave de notre pays appelle en effet un grand débat démocratique. Mais celui-ci ne peut se résumer à un artifice de communication de la part d’un pouvoir qui a continûment méprisé les corps intermédiaires, le Parlement et, par vos excès de langage récurrents, les citoyens eux-mêmes.

Soyez pour une fois, humble devant la clairvoyance des Français à vous dire ce qui est bon pour eux, pour notre pays, pour notre destin, quelles sont les bonnes questions et les bonnes réponses.

Je porte au nom de Génération.s, les propositions suivantes :

Je vous demande que ce débat national ouvre un processus constituant. La Vème République connait à l’évidence son crépuscule. Mais dans cette interminable agonie, le risque le plus grand est qu’elle emporte avec elle notre liberté. Les Français veulent respirer l’air d’une démocratie qui ne soit plus vicié par les lobbies privés ou la technocratie. Il faut renouer avec l’ambition de la « démocratie constante » chère à Pierre Mendès-France. Je vous demande donc de vous engager en faveur de la création d’une assemblée constituante qui au terme du débat national engagera la rédaction de la constitution d’une VIème République soumise à l’approbation du peuple français par referendum.

Je vous demande que ce débat national permette une nouvelle répartition des richesses. Si les salaires et les pensions sont si bas, si les entreprises licencient et multiplient les contrats précaires, si la souffrance au travail augmente, si les services publics désertent la France rurale, si l’hôpital public se tiermondise, si les associations mettent la clé sous la porte, si l’école ne parvient plus à enrayer les inégalités sociales, c’est en raison d’une richesse qui se concentre entre les mains d’une toute petite minorité plutôt que de servir l’intérêt général. Vous deviez être le Président de tous les Français mais c’est à cette minorité privilégiée que vous avez réservé toutes vos bontés. Il est l’heure d’un choc positif pour le revenu des Français grâce à l’expérimentation du revenu universel d’existence, au rétablissement de l’indexation des retraites sur les prix, à la hausse du SMIC et l’ouverture d’une négociation sur l’augmentation des salaires dans le secteur privé comme dans la fonction publique. Il faut aussi éradiquer la pauvreté qui est une honte pour un pays aussi riche que le nôtre grâce à la taxation massive des contrats précaires, des résidences secondaires inoccupées et des logements insalubres. Pour cela, il faudra mieux redistribuer la richesse grâce au rétablissement immédiat de l’ISF, à la taxation des GAFA, à la montée en puissance d’une véritable taxe sur les transactions financières ou à élargissement de l’assiette des cotisations sociales patronales à la valeur ajoutée, c’est à dire la mise en place d’une taxe sur les robots pour financer les retraites.
Je vous demande enfin d’engager un changement de notre modèle de développement. L’économiste américain, Kenneth E.Boulding, prétendait que « celui qui croit qu’une croissance exponentielle peut continuer indéfiniment dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste ». Epargnez à nos enfants de devoir un jour vous infliger le jugement tragique de l’Histoire parce que vous n’auriez pas été capable d’engager la nation dans la mutation de ses modes de production et de consommation. Vous avez opposé justice sociale et transition écologique. Comment pouvez-vous ignorer que les premières victimes de la malbouffe, ceux qui respirent l’air le plus pollué à proximité des grands axes routiers, ceux qui vivent dans des passoires énergétiques, ceux dont la santé est menacée, sont les Français les plus modestes. Les inégalités environnementales sont des inégalités sociales. Quelle responsabilité grave, avez-vous pris vis-à-vis des générations futures, de nos enfants et de ceux qu’ils feront, en retardant l’engagement total de la France dans la lutte contre le réchauffement climatique, pour la biodiversité et l’amélioration de la qualité de l’air.

Il faut une opération « mains propres », et tant pis si cela doit frapper d’abord ces grandes entreprises qui dissimulent leur impact négatif sur le climat derrière les parades sans lendemain de vos grand-messes environnementales. Je vous demande la taxation intégrale des profits des banques issus de leur soutien aux énergies fossiles, de la création d’une contribution financière des entreprises qui exploitent les biens communs de l’humanité (eau, ressources fossiles, axes de communication, information, etc…) et la fin du droit à polluer gratuitement alloué aux grandes entreprises. Il vous revient aussi de mettre un terme à l’impunité des évadés fiscaux qui spolient la France de ses ressources.

Monsieur le Président de la République, à vous observer résister par tous les moyens de l’Etat, parmi lesquels une répression de plus en plus brutale, à l’irruption du peuple dans l’histoire de notre pays, je pense à Albert Camus qui disait qu’il revenait à sa génération, une tâche plus grande encore que celle de refaire le monde, qui consistait à empêcher que le monde ne se défasse. Depuis le mois de mai 2017, vous défaites la France et ce qui fait la modernité de ses valeurs. Les Français vous ont stoppé dans votre œuvre de démolition.

Je vous demande de considérer sérieusement les demandes de justice sociale et de démocratie exprimées par les Français. En respectant le peuple, vous respecterez davantage l’éminente fonction que vous occupez.

Veuillez agréer Monsieur le Président de la République, l’expression de mon profond respect.

Benoît Hamon
Co-fondateur de Génération·s

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Guerre

L’effondrement des investissements chinois en Europe et aux États-Unis

La Chine monte en puissance sur le plan technologique et industriel, et les États-Unis ne comptent pas accepter d’abandonner leur position de force. On va vers un conflit armé pour le repartage du monde et l’effondrement des investissements chinois en Europe et aux États-Unis est un reflet de cette montée de tension à l’échelle mondiale.

Les journaux économiques mondiaux ont beaucoup parlé ces derniers jours des chiffres concernant les investissements chinois aux États-Unis et en Europe. On sait en effet que Donald Trump a lancé la guerre commerciale américaine contre la Chine ; tous les observateurs de « géopolitique » ont compris que les États-Unis ne comptaient pas attendre passivement que la Chine devienne une grande puissance militaire, ce qu’elle n’est pas encore.

La situation est donc de mauvaise augure et savoir si les investissements chinois se prolongent ou pas est un bon critère pour savoir quelle est la tendance de fond. Va-t-on vers la guerre ou bien les échanges continuent-ils comme avant, indiquant par conséquent qu’il y a au mieux des frictions ?

Il apparaît qu’on va au désastre : les investissements chinois aux États-Unis et en Europe se sont effondrés de 73 % par rapport à l’année dernière, passant de 111 à 30 milliards de dollars. La Chine ne se désengage pas : elle a des positions très fortes dans certains pays comme la Grèce. Sa présence continue également de croître en France, en Espagne, en Allemagne, ainsi qu’au Canada (de 80 % l’année dernière).

Mais elle sait qu’il n’est pas dans son intérêt de mettre l’accent de ses investissements dans ce qui risque de se retourner contre elle. La preuve de cela apparaît quand on sait que 66 % des investissements chinois vont en Asie, 12 % en Amérique latine, qu’il y a une présence chinoise massive en Afrique.

L’Europe et les États-Unis ne sont que des choix secondaires pour les investissements chinois et le repli chinois montre bien qu’on va vers un affrontement pour le repartage du monde.

Les États-Unis ne comptent évidemment pas attendre que la Chine se soit renforcée au point de parvenir à un éventuel équilibre militaire. D’où la guerre commerciale américaine contre la Chine, d’où l’arrestation d’une dirigeante de Huawei au Canada (et sa libération sous caution au bout d’un certain temps), d’où l’arrestation d’un cadre de Huawei en Pologne pour espionnage.

Huawei est en termes financiers la sixième plus grande entreprise de technologie, avec 170 000 employés ; les États-Unis ne comptent pas laisser cette entreprise continuer sa croissance. Il faut également penser à ZTE, qui fournit des entreprises de télécoms et des gouvernements dans 160 pays.

C’est parce qu’il représente la ligne de l’affrontement que Donald Trump a été élu, de même que Bolsonaro a été élu au Brésil, que le Brexit est devenu la ligne du Royaume-Uni, que des forces isolationnistes – protectionnistes – nationalistes sont au pouvoir ou au gouvernement en Italie, en Hongrie, en Autriche, en Pologne, etc. Il faut bien entendu aussi prendre en compte la Russie, qui met de l’huile sur le feu. On aurait tort d’ailleurs de penser que la France ne relève pas de ce petit jeu, surtout avec sa présence massive en Afrique.

Dans un tel panorama, ne pas voir que la guerre est une tendance inexorable serait de la naïveté. Penser que la France, avec l’Union Européenne, pourrait éviter la guerre, serait également du cynisme, ou bien un espoir vain.

Il appartient à toutes les forces de Gauche de prendre conscience de ce à quoi amène la compétition mondiale sur le plan économique, et de prendre l’initiative pour faire face à la guerre qui vient. Il y a ici une responsabilité historique et ne pas l’assumer serait un crime !

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Politique

Gilets jaunes : un acte X sans explosivité ni remise en cause de rien

Le dixième samedi de manifestation des gilet jaunes a été marqué par leur changement de nature. À l’explosivité de couches sociale intermédiaires faisant face à leur déclassement succède une mise en scène de contestation dans l’esprit de « nuit debout ».

Les gilets jaunes ont manifesté de nouveau hier, avec 84 000 personnes comptabilisée en France. Ils étaient 10 000 à Toulouse, le plus gros rassemblement, 7 000 à Paris, 4 000 à Bordeaux, 2 500 à Angers ou Rouen, 2 000 à Nancy, 1 700 à Toulon, 1 500 à Bergerac ou Lille, 1 000 à Foix et La Rochelle, 900 à Besançon, 400 à Bezier, 300 à Boulogne-sur-mer ou encore 200 à Châtellerault.

Ils ont toutefois changé de nature. Fini l’explosivité propre à des gens liés aux couches populaires, on a désormais le style plus feutré de membres des couches moyennes ayant des considérations politiques assez avancées et l’habitude de les exprimer.

Sans aucun doute, le slogan qui résume le plus parfaitement le dixième acte des gilets jaunes est donc :  « de Pompidou à Macron, 50 ans de paupérisation ». Il résume en effet tout à fait la vision des gilets jaunes actuels, et reflète parfaitement leur décalage total avec les faits.

Non seulement il y a la négation des acquis sociaux de 1981, mais il y a également le mensonge total sur la croissance économique que la France a connu depuis quarante années. À écouter les gilets jaunes actuels, la France serait un pays arriéré économiquement avec un niveau de vie relevant du tiers-monde. La police serait meurtrière, l’administration de l’État digne d’une république bananière.

À les écouter, il y aurait une situation quasi insurrectionnelle, on serait à deux doigts de la révolution ou d’un changement de régime et Macron aurait déjà un pied en prison !

Pourquoi les gilets jaunes masquent-ils comme cela la nature de la France, très grande puissance à l’échelle mondiale, jouant un rôle colonial modernisé de manière très marquée ? Simplement parce que leur but n’est pas du tout le Socialisme, ou la révolution, ou quoi ce soit s’en rapprochant. Leur objectif est juste d’avoir une plus grande part du gâteau.

La position des gilets jaunes actuels, bien moins « explosifs » que ceux d’avant, au sujet du « grand débat national » d’Emmanuel Macron, est d’ailleurs le refus, au nom du fait qu’ils veulent peser sur les décisions prises et pas seulement donner leur avis. Peser comment ? Dans quelle perspective ? Ils ne le savent pas et ils s’en moquent.

On est là dans un jeu de pression tout à fait typique des classes moyennes, avec des discours riches en lyrisme pour masquer le fait que somme toute, la France n’est pas du tout touchée dans ses fondements.

Pour que la société française soit en effet ébranlée, il faut que soit mis en mouvement l’un des deux pôles de sa réalité sociale et économique : les ouvriers et les bourgeois. Les gilets jaunes s’opposent tant aux uns qu’aux autres, ils veulent devenir comme les uns et pas comme les autres, mais en même temps ont besoin des uns contre les autres.

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Société

Sur le meurtre antisémite barbare du jeune Ilan Halimi

Il y a 13 ans, le 20 janvier 2006, Ilan Halimi, 23 ans, était enlevé, torturé durant 24 jours et tué parce que juif.

Le jeune et beau Ilan était vendeur de téléphones portables dans un magasin boulevard Voltaire à Paris. Dans la semaine précédent son enlèvement, il s’est fait « dragué » par Sorour Arbabzadeh, mais appelé « Emma » et « Yalda ». Ilan l’appelle pour lui proposer de passer la soirée ensemble. Elle accepte ; mais elle n’a en réalité pas du tout l’intention de passer la soirée avec lui, elle servait d’appât à la solde du Gang des barbares, mené par Youssouf Fofana, qui cherchait à enlever un juif depuis quelques temps, afin de soutirer de l’argent.

Commencera pour Ilan l’horreur véritable. C’est sa copine, Monny, qui alertera en premier la police, car Ilan n’est pas rentré à son domicile la veille. Assez rapidement, Fofana rentre en contact avec la famille Halimi pour leur demander une somme exorbitante, car il est convaincu d’un préjugé antisémite féodal : « les Juifs ont de l’argent et ils sont solidaires ».

Sa demande varie entre 450 000 euros et 500 000 euros. Lorsque Fofana comprend que la famille d’Ilan n’a pas les moyens, sa mère est secrétaire et lui ne touchait que 1 200€ par mois, il appelle un rabbin choisi au hasard dans l’annuaire et le charge de « récolter l’argent dans sa communauté ».

Ilan est torturé, séquestré dans un appartement d’un HLM à Bagneux puis dans la cave de l’immeuble. Le jeune homme n’est que très peu nourri, il est humilié ; plusieurs de ses geôliers jouent de lui, il a les yeux bandés en permanence, ils lui écrasent des cigarettes et des joints sur tout le corps. Ils ne le douchent que très peu aussi. Et après 24 jours d’un cauchemar inimaginable, Ilan est découvert agonisant le 13 février le long des voies ferrées du RER C à Sainte-Geneviève-des-Bois.

Il décédera lors de son transfert à l’hôpital. L’ordure antisémite qu’est Fofana fuit en Côte d’Ivoire. La justice française ira le chercher et le ramènera en France. Lui ainsi que les 26 autres accusés sont condamnés à des peines ridicules pour leurs actes émanant de la pire barbarie antisémite.

Fofana est le seul condamné à perpétuité, avec 22 ans de sûreté. Sorour Arbabzadeh est condamnée quant à elle à seulement 9 ans de prison, et ce malgré son rôle décisif.

Justice n’a donc pas été rendu pour le jeune Ilan. Il n’a pas été la seule victime morte de l’antisémitisme ces dernières années : le 19 mars 2012, Mohammed Merah abat de sang froid Gabriel Sandler, 4 ans, Arié Sandler, 5 ans, Myriam Monsonego, 7 ans et Jonahtan Sandler, 30 ans ; le 4 avril 2017, Sarah Halimi, 65 ans est assassiné chez elle ; le 23 mars 2018, Mireille Knoll, survivante de la Shoah est poignardée chez elle.

En novembre 2018, le Premier ministre Édouard Philippe a annoncé que les actes antisémites en France étaient en très forte hausse (+ 69 %). Après un pic « record » en 2015, les actes antisémites officiellement recensés avaient reculé en 2016 puis en 2017, avec 311 actes répertoriés. Ils sont repartis à la hausse.

Ces chiffres ne montrent cependant pas deux choses : ces actes sont de plus en plus violents tandis que les personnes juives, désabusées et en perte de confiance vis-à-vis des institutions, portent de moins en moins plainte pour les actes les moins violents.

Il est nécessaire que la Gauche comprenne que l’antisémitisme n’est pas un racisme comme les autres, mais que c’est bien le « socialisme des imbéciles », qu’il est donc toujours complotiste. La tuerie de Toulouse et les assassinats d’Ilan, de Sarah et de Mireille ne doivent pas être oubliés. Pas plus que chacune des victimes quotidiennes de l’antisémitisme.

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Politique

Certains doivent regretter d’avoir soutenu les gilets jaunes

Toute une gauche opportuniste s’est empressée de prendre le train en marche et de soutenir les gilets jaunes. Cela dans l’espoir d’en profiter quand tout sera fini. Le souci est que les gilets jaunes continuent et embarquent donc cette gauche opportuniste avec elle dans le populisme.

gilets jaunes

Les gilets jaunes correspondent à un moment de crise, pas à un « mouvement social » dans le cadre d’une situation pacifiée. Pour avoir confondu l’un avec l’autre, toute une gauche opportuniste se retrouve coincé.

Elle pensait que les gilets jaunes disparaîtraient et que sur les décombres il y aurait moyen d’en tirer quelque chose. Pour cela, il fallait donc hurler le plus fort, pour apparaître comme le plus radical aux yeux de ceux qui restent après cette lutte.

C’est cela qui explique la surenchère systématique, notamment de la part de l’ultra-gauche. On se situe ici entièrement dans la tradition de la tactique élaborée par Léon Trotski. Selon lui, il faut pratiquer la surenchère afin de dépasser les réformistes bloquant la révolution qui serait permanente. Cette conception a été élaborée dans Le programme de transition et correspondait à sa thèse selon laquelle le fond du problème est la « direction » de tout mouvement de lutte.

Tout cela est délirant, car il y a bien sûr des moments différents, des étapes dans toute prise de conscience, de plus le problème de fond n’est pas la « direction » mais bien la nature de la base. Avec les gilets jaunes, de par la matrice de leur mouvement, on ne peut pas diffuser des thèses rationnelles, des principes d’organisation, des valeurs socialistes.

Il s’avère donc que les gilets jaunes, en continuant sur leur lancée, vont entraîner avec eux toute une partie d’une gauche opportuniste dans le populisme le plus vil.

Naturellement, il va y avoir des retournements de veste : il va être dit qu’il ne s’agit pas des mêmes gilets jaunes, ou bien d’une minorité de gilets jaunes, etc. Il peut aussi être inventé que les gilets jaunes se divisent en deux tendances.

Mais c’est trop tard. La densité des gilets jaunes a été surestimée et le prix à payer est inévitable : tous ceux qui se sont reliés à eux vont être entraînés vers le fond. On ne joue pas impunément avec le feu. En politique, tout est une question de valeurs et le populisme est un piège terrible sur ce plan.

Il y a quelque chose d’inévitable qui plus est dans cela. La France Insoumise n’a cessé de dire que la Gauche classique était dépassée. On a pu voir une alliance parisienne entre l’ultra-gauche et la CGT lors de nombreuses manifestations. Cette même ultra-gauche a même revendiqué le soutien de Marcel Campion pour organiser des blocages, ce « roi des forains » qui est un grand soutien de Philippot.

A force, cette course vers l’apparence de radicalité s’est ouvertement transformée en course vers le néant. Ces gens s’imaginaient les protagonistes de quelque chose, ils n’ont été que l’avant-garde… des gilets jaunes. Autant dire que ce n’est pas gratifiant.

Et on peut même remonter plus loin. Lorsque la CNT, le syndicat à la pratique anarcho-syndicaliste, syndicaliste révolutionnaire, émerge en France dans les années 1990, avec un pic en 2000, que dit-elle ? Finalement la même chose que les gilets jaunes : pas de politique, pas de parlement, pas de partis, tous pourris, les gens doivent décider…

Cette simplification à outrance, ce relent de proudhonisme, ce culte de la spontanéité à la Bergson et à la Sorel, ces valeurs horriblement françaises, tout cela était déjà là.

Pour qui s’intéresse à l’histoire des idées, des démarches concrètes, il y a là plus qu’un parallèle : c’est bien une ligne droite. C’est une vague de dénonciation de la Gauche… mais pas pour aller à gauche, pour basculer vers la Droite.

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Politique

Européennes : la liste de Benoît Hamon est-elle vraiment « la seule de gauche » ?

Benoît Hamon a déclaré sur France Inter que seule la liste de Génération-s devrait être considérée comme de gauche aux prochaines élections Européennes. C’est là doublement faux : d’abord, parce que ce n’est pas là aller dans une démarche unitaire à Gauche… Ensuite, parce que Génération-s est tout aussi postindustriel, postmoderne que La France Insoumise.

Ce que les gens de Gauche doivent comprendre, c’est qu’il faut arrêter de faire les malins. Aux prochaines élections Européennes, on sait déjà que l’extrême-droite va frapper fort, en surfant logiquement sur le populisme des gilets jaunes. Quand à la Gauche, elle risque de se faire démolir, et ce n’est pas une bonne nouvelle. Même si on n’apprécie pas la Gauche participant aux élections, il n’est pas nécessaire d’être devin pour comprendre les conséquences que cela aurait.

Rappelons que les sondages donnent pour l’instant 2,5 % à Génération-s, autant au PCF, 6,5 % à Europe Écologie Les Verts, 4 % au PS et 9,5% à La France Insoumise. Même si l’on ajoute le NPA et Lutte Ouvrière, cela ne fait pas lourd, surtout si Marine Le Pen fait autant que tout le monde à elle toute seule.

Benoît Hamon a donc tort d’appeler à voter Génération-s en disant que c’est la seule liste de gauche. Même si c’était vrai, il aurait tort, car c’est l’unité qui doit primer, afin de faire revivre les réseaux de Gauche, qu’il y ait un renouveau d’idées, d’actions. Dire plusieurs mois avant les élections qu’il n’y a que soi, dans un contexte comme le nôtre, ce n’est pas une bonne chose.

On peut d’ailleurs prêter des arrières-pensées à Benoît Hamon à ce sujet. Car s’il est sympathique, il n’en a pas moins été formé à la technique éprouvée des « coups tactiques » de l’aile droite du Parti Socialiste dont il est issu, les « rockys » (pour rocardiens). Et en accusant les autres de manière opportune, il se dédouane de ses propres turpitudes.

Voici ce qu’il a dit en effet hier sur France Inter :

« La liste que je porterai sera la seule liste de gauche. »

« Aujourd’hui, avec les citoyens qui se retrouvent dans cette liste, nous reprenons le drapeau de la Gauche qui est à terre, il a été suffisamment piétiné. »

« Qui peut se revendiquer aujourd’hui comme une liste de gauche ? Les socialistes ? Ils proposent de continuer la coalition avec la droite européenne, cette coalition qui a amené à ce que l’Europe soit dans l’impasse. Jean-Luc Mélenchon ? Il renonce à l’idée même de Gauche au nom d’une stratégie qui vise à unifier le peuple contre l’oligarchie. Les Verts ? Ils reviennent aux thèses qu’on a connues il y a quelques décennies du ni Droite ni Gauche. »

« Si vous êtes de gauche, écologiste et européen, vous aurez une liste pour laquelle voter entre les libéraux et les souverainistes ou nationalistes de tout poil. »

« Nous ne serons pas seuls et j’espère bien que de l’écologie, du communisme, du socialisme, d’autres nous rejoindront. »

Benoît Hamon maintient le clivage droite-gauche : tant mieux. Mais pourquoi appeler les gens de l’écologie, du communisme, du socialisme, à le rejoindre, au lieu d’appeler à l’unité, ou bien inversement de les rejoindre ? Et rien qu’en utilisant le terme de « socialiste », le PS n’est-il pas finalement plus ancré à Gauche que Benoît Hamon ?

La Gauche dispose bien en effet de grands principes, au-delà des (grandes) différences : la référence au mouvement ouvrier, à la social-démocratie de la fin du 19e siècle et aux luttes syndicales, au Front Populaire, à la Résistance.

> Lire également : Benoît Hamon : Johnny Hallyday ou les Sisters of mercy?

On ne trouve rien de tout cela chez Génération-s, pour qui le mot socialiste est tabou et dont le seul projet social revendiqué est l’Union Européenne dans une version sociale et écologiste. Le résultat en est que le seul thème où Génération-s est hyperactif est celui des migrants, avec un soutien total à l’ultra-libéralisme politique sur ce thème. La base sociale des gens de Génération-s, dont les adhérents peuvent être tout à fait sympathiques au demeurant, est d’ailleurs entièrement étrangère aux couches populaires.

Benoît Hamon a donc doublement tort : tort de ne pas vouloir l’unité, tort de s’imaginer qu’il a catalysé toutes les valeurs de la Gauche dans son mouvement. Être sectaire quand on a raison est dommageable, même s’il y a une part de vérité. Mais être sectaire quand on a tort qui plus est, est contre-productif.

Et au-delà, vu l’état des forces, c’est irréaliste. Il faut être conscient d’une chose qui va être évidente : s’il y a dispersion, alors c’est le Parti socialiste qui seul s’en sortira, de par ses réseaux d’élus, ses cadres, son incrustation dans les institutions. Il ne faudra pas alors pleurer qu’on n’a quasiment pas de Gauche et que la seule qu’on ait c’est le PS !

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Réflexions

La raison ne fait pas de bruit

Les gilets jaunes ont rappelé une chose essentielle : la raison ne fait pas de bruit. Analyser prend du temps, exige de l’énergie mentale. Or, le capitalisme apprend à consommer, à utiliser de manière pragmatique, il propage des valeurs abstraites, tout en étouffant la capacité à établir des abstractions intellectuelles.

Gilets jaunes

Quand on est de Gauche, de la gauche historique, celle du mouvement ouvrier, alors on sait que les termes « foule », « plèbe », voire même « peuple », cachent des emportements, des comportements brutaux, des vilenies. C’est pourquoi on leur oppose les mots de classe ouvrière, de prolétariat, de masses laborieuses.

La différence, c’est bien entendu le travail, notion qui change tout. Qui travaille sait ce que signifie transformer, qui sait ce qu’est une transformation a déjà les bases du raisonnement scientifique. C’est bien pourquoi la Gauche dit, dans sa substance, qu’un patron de par sa position, même s’il est sincère ou sympathique ou ce qu’on veut, n’est pas en mesure de porter un regard correct sur la réalité. Il est corrompu par sa position sociale. Et ce n’est pas de la sociologie, c’est en rapport avec le travail.

Le travail exige, comme on le sait, des efforts. Mais pas seulement, il demande des efforts prolongés, une attention soutenue. C’est cela qui aboutit si facilement à l’aliénation du travail à la chaîne. Le travail manuel ne permet en effet pas qu’on se disperse dans son activité. On peut éteindre en quelque sorte ses facultés de réflexion, à condition toutefois de rester plonger dans son activité.

Par conséquent, lorsqu’on réfléchit et qu’on a l’expérience concrète du travail, alors la raison s’impose dans toute son amplitude. Parce que l’effort est prolongé, parce qu’on connaît le principe de transformation et qu’on l’applique, par la force de l’habitude. Voilà pourquoi les ouvriers ont été en mesure de fonder des organisations syndicales, des partis politiques, d’avoir une littérature intellectuelle propre à eux, des conceptions leur étant propres.

Tout cela prend naturellement du temps. Il faut beaucoup d’heures pour lire, étudier, conceptualiser. Cela ne se voit pas forcément, le résultat n’est pas apparent avec toute une période d’incubation. Il est aisé de considérer alors que c’est sans intérêt : la raison ne fait pas de bruit.

Les gilets jaunes sont extérieurs à la classe ouvrière, justement parce que leur substance montre bien qu’ils sont opposés à la raison. Là où il faut du temps et payer le prix d’entrée pour cette raison, ils veulent un résultat facile en s’appuyant uniquement sur un « élan ». C’est là très français, le 19e siècle a pullulé de courants philosophiques et politiques en appelant à l’intuition, l’impression, un certain vitalisme. Il suffit ici de penser à Sorel, Proudhon, Bergson, Proust.

Les gilets jaunes ne font que réactiver cette tradition engourdie par tout un niveau de vie s’étant élevé depuis les trente glorieuses. Comme le capitalisme se ralentit, qu’il profite toujours plus à une minorité toujours plus réduite, cette tradition réapparaît, véhiculée par les classes moyennes appréhendant ce qu’elles voient comme un déclassement, une prolétarisation.

Cela apparaît comme d’autant plus efficace que la déraison, elle, fait beaucoup de bruit. La rage y a l’air puissante, l’élan donne l’impression d’être dans le vrai, la colère prend des airs de vérité. Alors qu’on a perdu pied avec les choses, on a la sensation fausse d’être précisément dans le juste. Si l’on ajoute à cela l’impression d’avoir été floué, volé, un sentiment propre à la petite-bourgeoisie, alors on a une sorte d’apparence de légitimité qui se forme, en quelque sorte une vengeance.

Mais le Socialisme n’est pas une vengeance, c’est l’appropriation des richesses pour faire passer un cap à la société, à la culture, à la civilisation. Cela implique la révolution, un affrontement avec l’oppression et l’exploitation, dans la connaissance qu’il s’agissait d’un phénomène objectif, et non pas d’un « complot » de manipulateurs ayant « choisi » d’agir de manière mauvaise.

D’ailleurs, la raison ne fait pas de bruit… au début. En réalité elle fait bien plus de bruit une fois qu’elle a établi de quoi s’exprimer pleinement. C’est là le sens de l’organisation, de la détermination, de la classe ouvrière organisée, de la classe ouvrière déterminée… et on sait très bien que cela ne ressemble strictement en rien aux gilets jaunes.

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Politique

Le chaos du vote sur l’accord de Brexit

Le Parlement britannique a massivement rejeté hier soir l’accord négocié par Theresa May avec l’Union Européenne pour organiser le Brexit, alors qu’il ne reste que quelques semaines avant l’échéance du 29 mars. Comment un tel chaos est-il possible alors que ce qui se passe est d’une très grande importance sociale, culturelle, et bien sûr économique ? Ce qui se révèle ici, c’est la quête exacerbée de chaque pays à tirer les marrons du feu, c’est-à-dire le renforcement du nationalisme.

Le chef de l’opposition travailliste Jeremy Corbyn a parlé d’une « défaite catastrophique » pour le gouvernement de Theresa May, la « plus grande depuis les années 1920 ». Le vote avait en effet été reporté depuis le 11 décembre pour éviter un tel camouflet. Il était considéré qu’à moins de 100 voix d’écart entre les pour et les contre, la ministre aurait une marge de manœuvre pour renégocier avec l’Union Européenne, mais il y a eu 230 voix d’écart.

Le résultat du vote était attendu tellement la situation est tumultueuse au Royaume-Unis, la seule question était celle de l’ampleur de ce rejet. Celui-ci fut donc très grand, avec 432 voix contre et seulement 202 voix pour, ce qui plonge le pays dans une grande instabilité.

Ce rejet massif relève lui-même d’une grande confusion, car les votes contre ont exprimé des opinions diverses, soit pour dire qu’il ne fallait pas d’accord du tout, soit pour dire qu’il fallait rester dans l’Europe, avec bien-sûr toutes les nuances intermédiaires.

C’est là quelque chose de très chaotique et le bon sens voudrait qu’on procède à un nouveau référendum pour savoir si vraiment il y a une majorité pour le Brexit dans le pays. Cependant, les énormes conflits d’intérêts économiques existant au sein des couches sociales dominantes britanniques empêchent toute rationalité.

Cette proposition d’accord était d’ailleurs elle-même très irrationnelle, parce qu’inacceptable par nature pour un pays. Elle consistait pour le Royaume-Unis, de fait, à garder les règles européennes tout en perdant son pouvoir de décision vis-à-vis des pays membres de plein droit. C’était un bricolage pour faire face à l’urgence, pour tenter de gérer une situation ingérable au vu des différentes contradictions que posent cette sortie de l’Union Européenne.

Il faut bien se douter en effet de l’importance d’un vrai problème de fond, pour que l’une des principales puissances mondiales ne sache pas à ce point si elle veut être ou non dans l’Union Européenne. Il y a au sein des couches dominantes britanniques des partisans d’une alliance avec les États-Unis, d’autres d’un repli sur le Commonwealth, enfin encore d’autres d’une ouverture à l’Union Européenne, sans parler des différentes variantes plus ou moins intermédiaires entre ces options.

On ne sait pas trop qui a le dessus et l’Union Européenne elle-même aimerait bien le savoir, pour savoir si elle doit laisser ouverte la porte, si elle doit la fermer lentement ou carrément brutalement. En clair, avec les événements d’hier soir, puisqu’il n’y a pas d’accord, on peut même imaginer que le Brexit soit repoussé jusqu’aux élections du printemps… à moins que les frontières soient subitement reformées de manière stricte dès le 29 mars avec un « hard-Brexit » !

La question des frontières est d’ailleurs un grand problème ayant empêché tout accord cohérent puisque la question de l’Irlande est très complexe. S’il n’y a plus l’Union Européenne, alors il faut d’une manière ou d’une autre une frontière physique, et donc une frontière terrestre entre l’Irlande du Nord et l’Irlande, qui entend de son côté plus que jamais rester dans l’Union Européenne. Sauf que personne n’imagine concrètement une telle frontière, même chez les plus ardents partisans du Brexit, cela d’autant plus que la question nationale irlandaise est encore très brûlante.

Il est évident qu’aucun décideur économique ne peut apprécier une telle situation, sans parler des gens normaux pour qui tout cela est très troublant. La société britannique ne peut qu’en être par ailleurs profondément tourmentée et divisée. Cela renforce l’ambiance anxiogène mondiale qui, avec Trump, Poutine, Erdogan, etc., n’en avait pas besoin.

Mais c’est malheureusement le sens de l’histoire. La Gauche n’a pas écrasé les forces faisant de la guerre un moyen de solution aux problèmes économiques et sociaux. On a beaucoup parlé du racisme comme vecteur d’une régression culturelle et sociale. Cela est juste, mais cela n’est jamais qu’une composante de la pratique de « diviser pour régner » allant de pair avec le principe comme quoi c’est par la guerre que se résolvent finalement tous les problèmes.

La mobilisation de la population vers de fausses solutions est un levier classique pour profiter d’énergies souvent sincères et aller plus efficacement dans le sens de la confrontation économique, politique, militaire. La question du Brexit, c’est évident, ne peut être comprise que dans son rapport avec la notion de guerre, de nationalisme, de bataille pour le repartage du monde.

Il faut souligner ici, pour ce qui nous concerne en France, le rôle absolument néfaste d’un Jean-Luc Mélenchon qui s’est empressé de saluer le résultat du vote :

« Accord Brexit rejeté à la chambre des Communes. L’Union européenne décompose les gouvernements qui pactisent avec elle »

« Le pire accord de libre-échange jamais accepté par la France vient d’être battu au Parlement anglais : pas de regrets »

Lui dont le succès est issu d’une vague de fond nationaliste ayant suivit le référendum sur la Constitution européenne en 2005, participe directement de ce climat délétère, voir franchement nauséabond, tendant à la guerre.

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Politique

Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht, assassinés il y a cent ans

Il y a cent ans, le 15 janvier 1919, Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht étaient tués en raison de leur rôle de dirigeants dans la révolution spartakiste en Allemagne. Le fait que les socialistes soient à la tête de la répression d’un insurrection de socialistes devenus communistes allait avoir des conséquences historiques dramatiques en Allemagne.

Karl Liebknecht, Rosa Luxembourg

Rosa Luxembourg est une figure relativement connue en France, et souvent très appréciée par les gens de Gauche. Ils y voient une figure historique de premier ordre, avec il est vrai souvent beaucoup de romantisme. Ils négligent souvent le fait qu’elle a été une des principales figures du mouvement ouvrier allemand, en tant que l’une des dirigeantes de la social-démocratie.

Ce qu’on retient surtout d’elle, c’est son opposition à la guerre de 1914, puis son soutien à la révolution russe. On sait aussi qu’elle a formé un Parti Communiste « spartakiste » et que les événements ont été terribles pour elle, puisqu’elle a été assassinée par des regroupements paramilitaires d’extrême-droite, les corps-francs, sur ordre des socialistes à la tête de la république venant d’être fondée, Philipp Scheidemann, Friedrich Ebert, Gustav Noske.

Ce dernier est connu pour avoir déclaré, après avoir dirigé l’écrasement des spartakistes à Berlin :

« Il faut que quelqu’un fasse le chien sanguinaire : je n’ai pas peur des responsabilités. »

Rosa Luxembourg est donc un symbole d’engagement et de fidélité à ses idéaux, et c’est bien pour cela que les communistes ont voué une haine farouche à la direction du parti socialiste allemand, le SPD, qui d’ailleurs le lui rendait bien.

Le problème est que cette confrontation produisait le blocage de l’unité des socialistes et des communistes face à la menace fasciste. Les socialistes et les communistes connurent alors bien souvent les camps nazis, et ce n’est qu’à partir de 1935-1936 qu’un esprit d’unité réapparaît, du côté communiste d’abord. Cela ira jusqu’à la fusion des socialistes et des communistes en Allemagne de l’Est après 1945, les communistes se faisant rapidement interdire à l’ouest.

Il faut rappeler ici que la particularité des socialistes allemands (ou autrichiens) alors, était qu’ils assumaient de vouloir le socialisme tout autant que les communistes, qu’ils se revendiquaient encore du marxisme. De plus, les socialistes étaient encore soutenus par une large partie des ouvriers. C’était un débat à l’intérieur du mouvement ouvrier.

Et il y a beaucoup d’actualité, somme toute, dans cette problématique, ce conflit entre les pragmatiques ou « réalistes » d’un côté, les purs et les durs de l’autre, qui se veulent tout aussi réalistes d’ailleurs. Il est vrai que François Hollande n’a pas écrasé d’insurrection et que Benoît Hamon n’est pas Rosa Luxembourg, et que si on a beaucoup de gens pragmatiques à gauche (quand ils ne sont pas passés chez Emmanuel Macron), on a peu de révolutionnaires.

Toutefois, la question de l’unité de la Gauche dans son ensemble est la même que de par le passé. Comment concilier la Gauche disant qu’il faut influer sur les mesures gouvernementales et la Gauche disant que sans affrontement rien n’est possible ? On connaît la réponse de Jean Jaurès : dire oui à tout, quitte à faire semblant. François Mitterrand a fait de même. Le résultat a toujours été l’amertume et l’effondrement de la Gauche face aux valeurs hégémoniques de la Droite.

On peut dire qu’une telle conciliation n’est pas possible dans le cadre d’un capitalisme disposant d’un État très fort, car dans ce cas-là, la récupération par le système est inéluctable. La fusion des socialistes et communistes après 1945 en Allemagne, ainsi que dans d’autres pays, n’a pu avoir lieu que parce que l’État s’était effondré, il fallait repartir sur une base saine. Or, quand il y a le capitalisme et qu’il y a un État à son service, rien n’est sain, naturellement.

Mais quand le capitalisme connaît une crise au point qu’il est terriblement agressif, que l’État à son service devient Fascisme, alors là il y a une ouverture pour l’unité générale de la Gauche. Ce serait cependant terrible de dire qu’il faille une telle expérience pour en arriver là, surtout que l’Histoire a déjà enseigné cela. Mais malheureusement, la Gauche française est si peu structurée, si faible, que les leçons risquent d’être à réapprendre…

Rosa Luxembourg

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Réflexions

Faut-il rechercher l’idyllique ou l’authentique ?

Le capitalisme propose de partir à la quête du choix de son prince charmant, au moyen de critères bien établis… Quand il ne propose pas d’abolir cette quête et de sombrer dans la décadence, d’arracher à la vie quelques parts de vitalité transcendante. Tout cela est vain et faux.

Eve of St Agnes by John Everett Millais

Il existe une grande différence d’attitude chez les gens entre la période avant et après 35 ans. Bien entendu, cela varie très sensiblement selon qu’on habite dans une ville grande ou petite, à la campagne ou dans une zone péri-urbaine, voire même dans le nord, le sud, l’est ou l’ouest de la France. Cependant, l’opposition frontale entre deux périodes reste présente chez chacun.

La première période est celle de la quête de l’idyllique, de l’idéal, c’est-à-dire que chaque personne cherche son partenaire idéal dans la vie, son emploi idéal, son logement idéal, etc. Selon l’adage qui dit que l’argent ne fait pas le bonheur, mais il y contribue, cette quête s’associe avec une exigence matérielle plus ou moins forte, devant tout au moins rassurer l’ensemble, d’où la propriété comme socle bien ancré dans la réalité et garantie de conservation de l’ensemble.

La seconde période est celle de la fin des illusions. C’est la prise de conscience, le plus souvent amère, non pas qu’on n’a pas trouvé, mais que ce qu’on a choisi s’avère finalement insatisfaisant. C’est là la raison des divorces, non pas que la relation ait été en soi insatisfaisante, mais il y a une crise existentielle qui s’exprime aussi à travers le besoin de rupture. C’est là aussi bien sûr la raison des tromperies, des changements brutaux de comportement, de valeurs, qui peuvent d’ailleurs s’accompagner par la fin de certains comportements et de valeurs.

La seconde période est ainsi souvent marquée par l’arrêt du sport, la cessation de l’écoute de musique, ou bien la fin de certaines activités culturelles, l’interruption de la lecture de livres. C’est une période qui est celle valorisée par la société comme celle où on est adulte et c’est à partir de là que, vraiment, on devient strictement incapable de comprendre les adolescents.

Il est d’ailleurs toujours amusant d’inquiéter ceux-ci en leur montrant les adultes et en leur disant qu’ils vont devenir pareils, ce qui leur semble résolument invraisemblable. Et pourtant… la machine capitaliste est implacable.

La seconde période exige aussi des enfants par ailleurs, pour bien souvent servir de report des rêves. Qui ne connaît pas les parents ayant reporté sur leurs enfants tel ou tel rêve de succès, de gloire ? L’une des premières mesures du socialisme sera clairement de calmer et de rééduquer les parents traumatisant leurs très jeunes enfants à coups d’exigences de performance, dans la perspective d’un triomphe futur. Cette agression de l’enfance est inacceptable.

La seconde période est on l’aura compris le produit direct de la première. A l’idéalisme de la première répond l’amertume de la seconde. Non pas que ce qu’on ait vécu ait été faux, totalement faux, cela n’aurait pas de sens. Toutefois, il y a l’horrible impression de ne pas être authentique, il y a cette observation qu’on se fait à intervalles plus ou moins réguliers qu’on a raté quelque chose.

Ce quelque chose, on se l’imagine être tel ou tel ex, telle ou telle carrière, telle ou telle orientation, tel ou tel tournant, mais réalité ce quelque chose c’est évidemment soi-même. Et on se dit qu’il est trop tard, d’où la nostalgie imprégnant de plus en plus la matière grise.

Il faut noter ici qu’il existe également un autre phénomène, celui où des gens choisissent la seconde période. Celle-ci a l’air en effet rassurante dans la mesure où finalement on est comme pris dans les glaces. Tout y est stable, rien ne bouge, contrairement à la confusion, aux pertes d’orientation de la première période. Il est tellement plus simple d’être conservateur, pessimiste, en qualifiant d’erreurs de jeunesse ses propres rêves !

Il est évident que toute quête d’idylle de la première période est à la fois normale car le bonheur est naturel comme valeur humaine, et à la fois déformée par le capitalisme qui la transforme en vécu consommateur en quête d’une marchandise sans aspérités, conforme à ce qu’on a en tête.

Le nombre de problèmes que cela pose est tellement gigantesque que, vu de l’avenir, on pourra pratiquement dresser une étude des mentalités de la société capitaliste rien que par rapport à une évaluation de cet esprit aliéné saisissant les choses suivant une évaluation idéaliste-idyllique.

Alors que l’être humain propre à une société socialiste, lui, se focalisera toujours sur l’authenticité, et reconnaîtra qu’il faut savoir s’incliner devant la richesse des faits authentiques, qu’il faut savoir percevoir leur nature concrète, qu’il ne faut pas céder devant les illusions d’un faux confort amenant à balayer d’un revers de la main ce qui s’avère en réalité la vérité.

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Politique

Les gilets jaunes, un acte IX : cela n’en finit pas de finir

Les gilets jaunes continuent leur démarche, pour un neuvième samedi. La France regarde cela d’un air soucieux, compréhensif, critique ou favorable, mais toujours passivement. Il y a là un psychodrame comme le pays les aime : avec beaucoup de sentiment et aucun esprit de conséquence.

gilets jaunes

Quel curieux mélange sur les Champs-Élysées que ces petits groupes d’ultra-gauche à côté de gilets jaunes plus traditionnels et entonnant d’ailleurs « la police avec nous » ! Et quel curieux spectacle que cette France se regardant elle-même regardant la télévision pour savoir s’il va y avoir du grabuge fait par les 85 000 personnes ayant manifesté hier !

On sait que les Français apprécient le cinéma et les drames, mais tout de même, là on frise la lutte de classes version théâtre ou télé-réalité. Les gilets jaunes sont les acteurs, les policiers le public, et les gens regardent cette scène filmée, en se demandant quelle va être la suite !

Pour ajouter du piment, le gouvernement annonce de la casse, interdit tel ou tel rassemblement, et on se demande : les gilets jaunes passeront-ils ? Et hier, au bout du suspens, ils sont passés, manifestant dans le centre désert de la petite ville de Bourges, alors que le gouvernement a expliqué en long et en large que cela serait interdit…

Ce petit cinéma de la transgression n’en rate donc pas une. Et ses représentations ont eu lieu dans de nombreuses villes, au moyen de quelques centaines ou quelques milliers de personnes : Nîmes, Lille, Nantes, Bordeaux, Toulouse, Paris, Marseille, Rouen, Caen, Strasbourg… Ainsi, donc, que Bourges, spécialement choisie comme symbole de la France profonde, pour faire « authentique ».

Avec parfois de la casse, parce que cela fait partie du répertoire des petites vanités s’imaginant contestataires. Casser pour quelque chose peut avoir un sens, mais casser pour casser ?

Il y a vraiment quelque chose qui ne tourne pas rond dans ce pays, il n’y a pas à dire. Et la raison en est simple : somme toute, ni les partis politiques ni les syndicats n’ont de véritables assises de masse. Donc tout regroupement un peu mobilisateur prend le dessus en terme d’initiative, pour le meilleur et pour le pire.

Surtout pour le pire dans une société lessivée culturellement par le capitalisme, à un degré terrible. L’égoïsme prime à une degré tel que ce qui le concurrence, c’est seulement l’esprit d’entreprise ! Quant il n’y a pas cela, il n’y a que le repli sur soi ou la fuite romantique comme anticapitalisme communautaire.

Les gilets jaunes cumulent d’ailleurs tout cela, c’est pour cette raison qu’ils marchent. Ils veulent de l’argent pour vivre comme avant leur repli sur soi, ils s’organisent comme une petite entreprise, ils fantasment des solutions romantiques, le reste du monde n’existe pas aux yeux de leur égoïsme.

C’est la fin d’un style de vie, la fin d’un monde, et au lieu d’imaginer un autre monde et d’assumer que le capitalisme décide leur vie – ce qu’ils savent très bien – ils veulent retourner dans le passé. Ils minent puissamment la société.

Car est-il nécessaire de préciser alors quelles sont les conséquences sur une telle société de mots d’ordre lancés comme « Macron dictateur » ou « Abolition de la cinquième République » ? Les gilets jaunes, partout où ils passent, distillent simplisme, démagogie, complotisme, fureur plébéienne, passivité des esprits.

Ils servent objectivement (et même subjectivement pour beaucoup) la vague d’extrême-droite qui va déferler sur notre pays lors des prochaines élections, les Européennes dans quelques mois.

Il n’y a guère que Jean-Luc Mélenchon pour s’imaginer qu’il faut être encore plus populiste pour tenir le coup. Bien au contraire, seule la défense intransigeante des fondamentaux de la Gauche peut servir d’ancre, car seule la classe ouvrière est imperméable à l’irrationalisme.

Encore faut-il par ailleurs souligne un danger terrible qui peut s’ajouter. La France ne connaît pas en ce moment de crise économique majeure. L’économie tourne, le capitalisme fonctionne à un bon régime. S’il y a un ralentissement, une rupture, imaginons les terribles conséquences que cela aurait, l’accélération que le cours des choses connaîtrait !

Et quiconque n’a pas été happé par le train-train de la vie quotidienne sait que rien n’est plus instable que le capitalisme…

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Politique

Le populisme du « grand débat national »

En organisant un débat national, Emmanuel Macron veut que la bourgeoisie, plus vive sur le plan des idées, écrase les ouvriers et neutralise les classes moyennes. Mais son pari est risqué, car il réactive directement un grand thème des années 1930 : celui du rapport entre le peuple et l’État, de la forme des débats pour les décisions d’État.

Emmanuel Macron

Il y a un côté tout à fait années 1930 dans ce « grand débat national » porté par Emmanuel Macron et censé commencer cette mi-janvier. En effet, les années 1930 ont été marquées par des idéologies ayant précisément comme thème cette question de débats à l’échelle du pays tout entier.

Les réponses ont été très nombreuses et ont joué un grand rôle historique. Le Fascisme a proposé le corporatisme, le Communisme le pouvoir des conseils. Les socialistes hésitaient entre pouvoir par en bas et représentation parlementaire traditionnelle, certains espérant que des « plans » économiques éviteraient de poser la question.

Les libéraux quant à eux ne juraient que par les individus, mais comment concilier cela avec une orientation au niveau national ? Les conservateurs, quant à eux, entendaient faire simple : un pouvoir fort, court-circuitant l’assemblée.

Emmanuel Macron tente, avec son « grand débat national », de reformer une alliance entre libéraux et conservateurs, alliance cassée par son irruption politique et l’effondrement de la Droite s’en étant suivi. Son idée est simple : en organisant par en haut des débats, dans les mairies, dans un cadre encadré par les institutions, il s’agit d’empêcher l’irruption des couches populaires sur le plan des idées et des thèmes.

Les gilets jaunes, eux, auront droit à la parole, et il s’agira d’intégrer ces révoltés des classes moyennes qui vont de toutes façons s’enliser en rêvant d’un Référendum d’initiative citoyenne comme solution magique.

Et pour que cela ne termine pas en assemblée générale, le gouvernement a prévu la parade : s’il y a trop de monde pour une conférence, un tirage au sort décidera des présents ! Car tout est fait pour que la question du pouvoir soit totalement absente des débats. On est dans le « dialogue », dans « l’amélioration » des institutions, etc.

Cela implique que les ouvriers ne seront pas de la partie. C’est la même raison qui fait que les ouvriers n’ont pas été impliqués dans les gilets jaunes, d’ailleurs. Seule la question du pouvoir capte l’attention des ouvriers, le reste est pour eux vanité.

Il faut en effet toute la naïveté de quelqu’un ne connaissant pas les rapports de force sociaux pour s’imaginer qu’il suffit d’aller au débat, de proposer un thème, d’expliquer son propre avis, pour que cela ait une quelconque incidence sur quoi que ce soit.

C’est bien pour cela d’ailleurs que le gouvernement a fixé quatre grands thèmes, même si soi-disant on peut apporter ce qu’on veut, pour bien encadrer l’ensemble :

  • « mieux accompagner les Français pour se loger, se déplacer, se chauffer » ;
  • « rendre notre fiscalité plus juste, plus efficace, plus compétitive » ;
  • « faire évoluer la pratique de la démocratie » ;
  • « rendre l’État et les services publics plus proches des Français et plus efficaces ».

Ces quatre thèmes sont chacun liés à la question de la petite propriété dans son rapport avec l’État et les couches supérieures de la société. C’est une négociation pour la part du gâteau capitaliste. Et cela promet une pression bientôt accrue sur les ouvriers.

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Réflexions

Le capitalisme ou la vie qui glisse entre les doigts

Être adulte pour la société signifie se plier aux exigences de l’économie capitaliste et s’y opposer au moyen d’une révolte existentialiste fondée sur l’individu ne change rien ni pour soi, ni pour la société. C’est le collectivisme qui, seul, est en contradiction avec les valeurs dominantes.

Why seek ye the living among the dread? St Luke, Chapter XIV, verse 5

Rien n’est plus insupportable que d’avoir l’impression que sa propre réalité défile indépendamment de soi, qu’on n’a plus de prise sur rien. On échappe à sa propre vie et sa propre vie nous échappe, ce qui donne un double sentiment d’angoisse.

On a l’impression d’être comme coupé en deux, car évidemment même s’il y a cette impression, on est encore présent dans sa propre vie, à faire ce dont on n’a pas envie, ce qui nous ne parle pas et nous semble même aller contre soi-même.

Le fait d’être adulte correspond, pour les gens, à relativiser cela et à finir par admettre que les exigences qu’on avait adolescents ne sont pas réalisables ou acceptables socialement. Il faut, partant de là, faire avec et prendre sur soi.

Refuser ce serait tomber au niveau des punks à chiens, des clochards, des drogués et des alcooliques, ou bien encore des mafieux, des petits criminels, etc.

C’est cette mentalité qui voit en le capitalisme quelque chose d’incontournable qui étouffe la révolution. Le Socialisme se pose en effet comme critique générale et collective du capitalisme, considéré nullement comme l’horizon ultime. Mais le capitalisme a réussi en grande partie à se présenter comme la fin de l’histoire et dans la fainéantise morale, mentale, psychologique, intellectuelle que façonne la société capitaliste, il n’y a que peu d’efforts pour voir si on ne peut pas faire différemment !

Sans parler bien entendu des espaces faussement alternatifs que le capitalisme laisse se développer, car étant issus de la petite-bourgeoisie, comme les milieux associatifs, quelques squats ou encore la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Cela ne change rien au système qui tourne très bien et qui peut se permettre le luxe d’avoir de tels interstices sans impact, qui ne dérange rien. Cela contribue même à l’illusion comme quoi le système est finalement tout à fait tolérant.

Car il ne faut pas se leurrer : lorsque l’ultra-gauche brise régulièrement les vitrines du centre de Nantes, à un moment il faut bien se dire que le système non seulement s’en fout, vit très bien avec, mais même que ça l’arrange. Quand on casse non stop et qu’on a aucune réaction policière, il faut quand même se poser des questions… Ce que l’ultra-gauche ne fait pas, car ce n’est pas dans sa démarche.

Son but, existentialiste, est de récupérer sa vie, par des actions symboliques. Pour le système, c’est dommage, car il préférerait que ce soit dans la consommation que l’on trouve un sens à son existence. Mais il peut tout à fait laisser des individus exprimer leur insatisfaction individuelle, cela lui convient, car philosophiquement cela revient au même.

Du moment qu’on ne touche pas à l’État, que la production n’est pas perturbée, que la vente de marchandises n’est pas troublée, alors que chacun fasse ce qu’il veut ! Du moment qu’on le fait en tant qu’individu, sans expression politique liée à la classe ouvrière, au collectivisme, à l’exigence socialiste.

Il faut bien saisir cela pour lutter de manière réelle, et non pas se comporter de manière conforme au grand théâtre de la vie politique et sociale propre au capitalisme.

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Écologie

La chasse à courre : une survivance féodale devenue une insupportable expression de la réaction

La chasse à courre du cerf s’est constituée dans notre pays à l’époque féodale, c’est-à-dire à partir du tournant du IXe siècle, comme un rituel propre à l’aristocratie militaire, et plus encore, à la royauté. Mais dès cette époque, sa constitution a été envisagée dans la perspective de son abolition nécessaire à venir, qu’il est temps de réaliser à notre époque.

chasse à courre

La base dont hérite le Moyen Âge fait d’abord de la chasse au cerf une activité indigne, l’animal étant présenté dans la tradition de l’Antiquité comme le symbole de la lâcheté, sa viande comme molle et malsaine. À l’époque romaine, on lui reproche dans la littérature latine sa faiblesse, le fait de fuir devant la meute de chiens qui le poursuit en refusant le combat. À son image, on qualifie d’ailleurs les soldats déserteurs de cervi.

Le poète romain Martial conseille donc aux citoyens nobles ou de bonne réputation de laisser l’animal aux chasseurs des populations rurales asservies, qui leur correspond en tout point : cervi relinques vilico (laisse le cerf aux vilains). Au contraire, on lui oppose, autant dans la tradition latine que dans les récits celtes ou germaniques, la chasse à l’ours ou au sanglier. Ces deux animaux, et en particulier le sanglier, sont affublés d’une image qui permet à l’aristocratie féodale en voie de constitution à la fin de la période antique, de s’affirmer sur le terrain des vertus et du symbole, comme classe combattante, servante de l’ordre public.

Affronter un sanglier devient donc un rituel exprimant le courage, la force et la puissance de cette classe sociale face à un animal que l’on décrit comme fulminant, enragé, ne cédant pas face à la menace, chargeant hors de sa bauge, les soies hérissées, l’oeil enflammé en répandant une odeur épouvantable. Sa chasse nécessite un équipage nombreux de cavaliers et de chiens, dont beaucoup meurent dans la traque, se terminant en un face à face sauvage opposant l’animal acculé et furieux à un homme seul qui se doit de l’empaler et de l’achever au couteau au péril de sa propre vie.

Il s’agit donc là d’un rituel particulièrement brutal et barbare dans sa forme, au point justement où les forces les plus avancées de la féodalité sont poussées à partir du XIIe siècle à entreprendre une progressive mais incomplète mise au pas de la pratique de la chasse sous tous ses aspects, mais en particulier concernant les rituels de la distinction de l’aristocratie.

Tout d’abord, la chasse au sanglier subit une dépréciation, menée notamment par les forces de l’Église. Celle-ci reprend la culture latine et met en forme les récits celtes et germaniques en les annexant au dispositif culturel du christianisme. Le sanglier se voit ainsi doter d’une image peu à peu satanique. La simple reprise mot pour mot des descriptions antiques, latines ou non, permet dans le nouveau cadre, de dresser le portrait d’un animal sauvage, épuisant les meutes, les chevaux et les hommes, qui terminent leur chasse dans un état proche de la transe. Son aspect brutal et sauvage, pousse les clercs à assimiler l’animal, tout comme l’ours, au paganisme, à l’ignorance, à la barbarie.

L’animal en vient à être considéré au cours des XII-XIVe siècles à l’instar du loup comme un simple nuisible malfaisant, responsable de la destruction des vignes ou des cultures, et même on le tient responsable de la mort du roi Philippe le Bel en 1314. Il se range donc à partir de ce point au rang d’une bête qu’on doit désormais éliminer de manière utile et technique, non plus par une chasse à courre à cheval, mais à l’aide de simples rabatteurs piégeant l’animal dans les filets ou des trappes afin de l’éliminer prudemment et sans combat.

En parallèle, la culture chrétienne met progressivement en avant la chasse au cerf, qui se voit valoriser comme proie et doter d’une dimension civilisée, c’est-à-dire dans le cadre historique d’alors, chrétienne. Dès l’époque des Pères de l’Église, à la fin de l’Antiquité, le cerf est assimilé au Christ lui-même en jouant sur l’homophonie latine : cervus/Servus (le cerf/le Sauveur). Dans le même ordre d’idée, le cerf est assimilé à la conversion, au baptême, sur la base du Psaume 42, dans lequel le croyant est assimilé à un cerf assoiffé cherchant la source du Seigneur.

L’animal gagne donc une place dans les registres iconographique mobilisés pour décorer les églises et dans les textes à valeur symbolique ou religieuse. Sa viande enfin est elle-même mise en valeur sur la base du Deutéronome (le livre des commandement de l’Ancien Testament dans la tradition mise en forme par l’Église romaine) qui présente sa chair comme étant la plus pure de toute. Sur cette base culturelle, l’Église entend donc clairement pousser à policer la chasse, à lui donner une dimension chrétienne.

Les récits hagiographiques, présentant la vie de saints comme étant des modèles à suivre, intègrent aussi la présence du cerf comme animal christologique, présentant la conversion de chasseurs apercevant l’animal avec une croix lumineuse entre ses cors.

Ces derniers sont eux aussi progressivement assimilés par la symbolique chrétienne : on note la présence de dix cors, parallèle avec les dix commandements, on note la repousse de ceux-ci comme écho à la Résurrection, on rappelle aussi que Pline, (auteur latin tenu pour être une source des « sciences naturelles » au Moyen Âge), observe que le cerf utilise ses cors pour forcer les serpents à sortir de leur trou avant de les tuer, ce qui fait écho à la lutte du Christ contre Satan. La chasse au cerf devient donc un rituel rejouant la Passion, un sacrifice charitable qu’offre l’animal, dont la traque et l’exécution doivent donc être policées, ritualisées.

En un mot, ne pouvant abolir la chasse dans le contexte de la féodalité, l’Église, comme avant-garde culturelle de la classe aristocratique, a simplement été en mesure de la civiliser par une forme, un contenu, qui correspondait à ses valeurs. Exactement comme elle a cherché pour les mêmes raisons à encadrer la guerre par le mouvement de la Paix de Dieu et par les Croisades.

Finalement, le dispositif même de cette chasse, assimilé à la chasse noble par excellence, finit de facto par raréfier les grandes chasses aristocratiques. La chasse au cerf en effet suppose concrètement la maîtrise juridique de vastes espaces forestiers. En conséquence, la concentration des pouvoirs et le progressif monopole sur les forêts, finit par en faire l’apanage des seuls plus puissants parmi les aristocrates, et surtout du roi lui-même, appuyant ici toute la dynamique féodale à l’élaboration d’un État monarchique centralisé que soutien l’Église. Les traités de véneries qui se développent justement au XIVe siècle à destination de la haute noblesse illustrent le caractère distinctif de la chasse à courre visant le cerf, comme une affirmation sociale de la supériorité et de la domination des grandes dynasties aristocratiques sur la société féodale de France. Parmi eux, le plus célèbre est certainement le Livre de chasse du comte de Foix Gaston Phoebus, et il s’y exprime très précisément ce qu’est alors devenu la chasse à courre :

Toutes les personnes ne sont pas mues de la même volonté ou du même courage, mais elles sont de natures diverses, comme l’a voulu Dieu notre Seigneur, qui ordonna ainsi plusieurs formes de chasse, qui sont de diverses manières afin que chacun put trouver chasse à sa plaisance et selon son État, car les unes appartiennent aux puissants, les autres aux faibles, et je vais donc vous les présenter par ordre. Je commencerai donc par la vénerie des cerfs, comment on les prend à la force des chiens, chasse qui est la plus plaisante qui soit. C’est une bonne chasse que celle du cerf, car c’est belle chose que de bien traquer un cerf, belle chose de le poursuivre, de le courir longuement jusqu’à l’abattre, soit en eau soit sur terre, belle chose la curée, belle chose de bien l’embrocher, de le dépecer et de lever les chairs. C’est une belle bête et plaisante, et je tiens là que ce soit donc la plus noble des chasses.

Si l’action de l’Église dans le cadre de l’essor de la féodalité a eu une incontestable dimension progressiste en faveur de la culture, du soutien de la vie, on saisit immédiatement, et dans le cadre même de la féodalité toutes les limites cependant, toutes les contradictions de cette oeuvre. L’Église n’était pas en mesure de briser l’aristocratie et ses besoins de distinction, au vu de la faiblesse des connaissances scientifiques et de sa capacité d’action bornée par le cadre du féodalisme dont elle était elle-même partie prenante. Elle a donc dû au final abolir ces ambitions morales, elle n’était pas en mesure de pousser à l’abolition concrète et effective de la chasse.

Celle-ci, et en particulier la chasse à courre, est donc restée un rituel aristocratique, un espace permettant l’expression du caractère le plus archaïque de cette classe, dont les racines plongent précisément dans les formes les plus avancées du tribalisme barbare et toute sa brutalité ici prolongée. En dépit de tous les efforts pour faire avancer cette question dans le cadre féodal, cette barbarie suinte encore ouvertement de ce texte du XIVe siècle.

On peut donc mesurer depuis notre époque, en 2019, à quel point le maintien de la chasse à courre constitue un archaïsme réactionnaire exprimant toute la brutalité barbare des éléments les plus attardés du féodalisme. Le sentiment de rejet écoeuré exprimé par les masses face à la chasse à courre, face à la brutalité de son exercice, face à toute l’arrogance anachronique de ses pratiquants qui la prolongent à l’ère de l’exigence démocratique et populaire en faveur de la vie, en faveur d’un rapport harmonieux à la biosphère est donc un sentiment juste, qui va dans le sens du progrès, dans le sens même de l’Histoire.

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Adam Andruszkiewicz, un fasciste au gouvernement polonais

Depuis 2015, la Pologne est gouvernée par le parti Droit et Justice, un parti réactionnaire et nationaliste. Le 28 décembre 2018, le réactionnaire Morawiecki, premier ministre polonais et membre du parti Droit et Justice (Prawo i Sprawiedliwosc), a appelé Adam Andruszkiewicz pour devenir le vice-ministre des affaires digitales.

Comme on l’apprend sur le site officiel du gouvernement polonais, Adam Andruszkiewicz en tant que nouveau Secrétaire d’État aura comme missions d’être le représentant du ministère au Parlement polonais et sera chargé de la mise en place de la 5G (la technologie télécoms succédant à la 4G) ainsi que des affaires de cyber-sécurité pour le pays.

Ce point est très important, car si l’on se penche sur son parcours, on comprend que c’est un véritable fasciste. Il y a donc largement de quoi craindre pour les donnés informatiques des militants de Gauche, qui pourraient « fuiter » dans les prochaines semaines… Cela, bien sûr, fait craindre directement pour leur sécurité.

Pendant ses études en relations internationales dans l’est de la Pologne à Bialystok, Adam Andruszkiewicz a rejoint le mouvement clérico-fasciste Młodzież Wszechpolska (MW), que l’on peut traduire par « jeunesse de Toute la Pologne ».

Ce nom est par ailleurs inspiré de l’organisation fasciste Związek Akademicki Młodzież Wszechpolska (union académique de la jeunesse de Toute la Pologne), créée par le théoricien « national-démocrate » Dmowski, connu dans les années 1930 pour ses actions antisémites.

Adam Andruszkiewicz est devenu le leader de l’organisation MW entre le 21 mars 2015 et le 2 juillet 2016, et a rejoint en 2014 le Ruch Narodowy (Mouvement National), la branche adulte de ce mouvement se voulant un rassemblement de nationalistes, puisque les fascistes de Oboz Narodowo-Radykalny en faisaient partie jusqu’en fin d’année 2015.

Lors du premier congrès du Mouvement National étaient présents les représentants du parti néo-nazi hongrois Jobbik, les fascistes italiens de Forza Nueva, ainsi que les franquistes espagnols de Democracia Nacional.

Sur directive stratégique de son parti, Adam Andruszkiewicz s’est présenté aux élections législatives de 2015 sous l’étiquette du mouvement populiste Kukiz ‘15, lancé par un chanteur populaire polonais.

Il a remporté son siège de député dans sa circonscription. Il démissionne alors du Mouvement National en 2016, et quelques jours après de la direction du MW, pour se consacrer à son nouveau mouvement, en créant une association à l’intérieur de celui-ci nommé  Endecja, qui se veut dans le prolongement idéologique du Związek Akademicki Młodzież Wszechpolska.

En rentrant au gouvernement, il a marqué un virage encore plus à droite, et avec le poste qu’il occupe maintenant, les personnes progressistes polonaises doivent véritablement craindre pour leur sécurité, puisqu’il y a quelque temps, il rendait hommage au NSZ, l’organisation fasciste anti-allemande et anti-communiste polonaise qui a tué des innocents après-Guerre.

Il arborait aussi fièrement des tee-shirts de cette organisation. À l’époque où il dirigeait MW, il voyait des communistes partout en Pologne et incitait à « tuer les ennemis de la Patrie » (Śmierć wrogom ojczyzny) – ce slogan étant repris par l’ensemble des forces réactionnaires et fascistes polonaises.

Depuis plusieurs semaines, Adam Andruszkiewicz avait montré son soutien à l’actuel premier ministre Morawiecki, notamment via des messages sur les réseaux sociaux. Le nouveau vice-ministre a montré à de nombreuses reprises sa haine de la Gauche et du progrès, son ascension au gouvernement et les moyens techniques qui vont être à sa disposition sont donc de terribles nouvelles pour les progressistes de Pologne et du monde entier.

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Les cahiers de doléances de 1789, une expérience démocratique française marquante

A chaque crise politique, il ressort d’une manière ou d’une autre dans notre pays la référence historique aux « cahiers de doléances » et plus largement à l’expérience historique qu’a constitué la convocation des États Généraux entre le mois de janvier et de mars 1789.

Il y a dans cette épisode une réelle dimension populaire et même partiellement démocratique. Mais cette expérience a été située historiquement, et s’y référer aujourd’hui ne peut-être autre chose qu’une flatterie démagogique servant la dérive populiste contre toutes les exigences populaires à la véritable démocratie.

Le 21 janvier 1789, le roi de France Louis XVI lançait donc depuis Versailles la convocation des États Généraux du Royaume, sur la base d’une vieille institution féodale abandonnée depuis 1614. Les États Généraux étaient en effet jusque-là une assemblée à vocation fiscale censée représenter tout le Royaume organisé par « États » ou Ordres : le Clergé et la Noblesse d’un côté, en charge de l’appareil d’État, et de l’autre, le « Tiers État » regroupant l’ensemble des habitants en charge de la production et de la circulation des marchandises, largement dominé par les couches bourgeoises de la société française. Le vieil adage féodal concernant la levée de l’impôt était que « ce qui concerne tout le monde, doit être décidé par tous ».

La crise générale que traversait en 1789 le Royaume de France poussait justement à la réforme, il fallait définitivement casser l’ordre féodal et ses privilèges. C’était là l’idée du ministre des Finances de Louis XVI, Jacques Necker, le père de l’auteur Mme de Staël : s’appuyer sur le Tiers État pour obtenir une nouvelle levée d’impôts générale qui concernerait tous les Ordres de manière plus juste. C’est la raison pour laquelle tous les débats, qui mèneront finalement à la dissidence des députés du Tiers État notamment, porteront précisément sur l’organisation des votes au sein de l’Assemblée. Au traditionnel vote par Ordre, défavorisant le Tiers État, il était préféré un vote par tête, avec un doublement des députés du Tiers État, ce qui revenait donc à donner le pouvoir à cet Ordre contre les deux autres.

La convocation des États Généraux sous cette forme est donc déjà une nouveauté qui s’inscrit dans le processus révolutionnaire centré sur l’affirmation de la bourgeoisie, qui porte alors un véritable élan démocratique, tel que concevable dans le cadre d’alors.

Mais surtout, cette convocation est le premier véritable exercice de participation populaire à l’échelle de tout le Royaume, dessinant et affirmant comme jamais auparavant le cadre national français.

D’abord, l’organisation de l’assemblée est minutieusement décidée par le roi et son Conseil. Les ordres sont envoyés depuis le centre vers les masses, en suivant une organisation administrative encore très imparfaite, que la Révolution bourgeoise viendra justement réformer avec les départements et les préfets, jusqu’aux assemblées locales. Il n’existe pas encore de Commune à ce moment, ce découpage sera lui aussi une autre réalisation de la Révolution bourgeoise. Mais la base est déjà là, demandant simplement sa rationalisation. C’est bien d’ailleurs ce qu’exprime l’État royal dans sa lettre de convocation :

« Cependant le respect pour les anciens usages et la nécessité de les concilier avec les circonstances présentes, sans blesser les principes de la justice, ont rendu l’ensemble de l’organisation des prochains États généraux, et toutes les dispositions préalables, très-difficiles et souvent imparfaites. Cet inconvénient n’eût pas existé si l’on eût suivi une marche entièrement libre, et tracée seulement par la raison et par l’équité ; mais Sa Majesté a cru mieux répondre aux vœux de ses peuples, en réservant à l’assemblée des États généraux le soin de remédier aux inégalités qu’on n’a pu éviter, et de préparer pour l’avenir un système plus parfait. »

Il est décidé l’organisation de débats au sein de chaque Ordre dans absolument tout le territoire soumis au roi de France, y compris dans les colonies. Ces débats seront organisés au sein des assemblées régulières de ces Ordres : les assemblées et conseils pour la Noblesse, les différentes institutions religieuses pour le Clergé, à l’exception notable des Hôpitaux et des écoles pourtant sous son contrôle, mais déjà considérées par l’État royal comme des institutions relevant non du Clergé, mais de de facto de l’administration publique.

Concernant le Tiers État en particulier, l’organisation de ces espaces de débats s’est naturellement coulée dans les nombreuses assemblées régulièrement tenues au sein des corporations des arts et métiers ou des arts libéraux dans les villes et dans le cadre des paroisses dans les villages. Mais déjà se sent l’étroitesse de ce cadre issu de la période féodale : les habitants non incorporés dans une profession sont convoqués à titre individuel à l’Hôtel de ville, et les communautés paroissiales rurales sont explicitement placées dans l’orbite d’une ville proche où leurs doléances exprimées au sein de ces assemblées seront synthétisées avec celle de la ville dont elles dépendent. Seule la ville de Paris dispose toutefois d’un cadre municipal institutionnalisé, les autres agglomérations doivent donc développer, sur la base de l’expérience et de l’adaptation, des formes hybrides, qui poussent à briser celui des corporations au profit d’une unité territoriale de la ville basée sur l’Hôtel de ville. Au bout du compte, c’est d’ailleurs à l’Hôtel de ville que tous les cahiers de doléances de la ville et des campagnes alentours seront synthétisés.

Les personnes amenées à participer aux débats sont aussi précisées par l’ordre royal :

« A laquelle assemblée auront droit d’assister tous les habitants composant le tiers-état, nés Français ou naturalisés, âgés de vingt-cinq ans, domiciliés et compris au rôle des impositions, pour concourir à la rédaction des cahiers et à la nomination des députés. »

La participation des femmes est possible, mais elle n’est exprimée que dans le cas des communautés religieuses féminines dans l’Ordre du Clergé et dans celui de femmes tenant un bénéfice, c’est-à-dire une charge publique ou une seigneurie, dans l’Ordre de la Noblesse.

Si la participation populaire est générale, elle est bornée par les formes même de cette organisation décidée par la monarchie, s’appuyant largement sur la bourgeoisie. Partout, y compris dans les villages par le rôle des notaires notamment, c’est elle qui tiendra le premier rôle, assumant la charge de greffier et celle de porter les doléances aux échelons supérieurs. L’écrasante majorité des députés ainsi désignés seront directement issus de la bourgeoisie, qui ne représente qu’une minorité de tout le Tiers État.

L’idée d’exprimer un compte-rendu de chaque assemblée sous la forme d’un cahier de doléance, mettant à l’écrit les décisions ou les voeux de ces assemblées est en soi un témoignage précieux de la culture politique de notre pays à ce moment de son histoire. Pour la première fois, d’une manière aussi généralisée, le peuple s’exprime.

Le délai pour réunir ces assemblées était relativement court : en 94 jours, tout devait être fait et prêt à être remonté à Versailles. Mais leur succès est fulgurant, on en conserve aujourd’hui encore plus de 500, provenant de toute la France. Certains témoignent certes d’une obséquiosité totale à l’égard des traditions et de l’ordre féodal, mais d’autres sont extrêmement revendicatifs, sortent même complètement de l’idée initiale et servile de « doléances » c’est-à-dire d’une demande faite à un supérieur « naturel » avec humilité.

On y trouve des demandes reflétant l’exigence de prendre en main le quotidien, de décider collectivement ce qui est bon pour tous : l’accès à la forêt, la restriction des droits de chasse de la Noblesse, l’inquiétude par rapport à la pollution de telle rivière, la volonté de faire durer ces assemblées, d’étendre encore leurs pouvoirs bien au-delà des seules questions fiscales.

Mais toutes ces revendications populaires n’ont pu trouver leur chemin, car l’élan révolutionnaire était alors tout entier appuyé sur la bourgeoisie, qui était seule en mesure de se dresser contre l’Ordre féodal à bout de souffle et de conquérir l’État, mais non de satisfaire pleinement toutes ces attentes démocratiques. Ce sera là tout le grand succès contradictoire de la Révolution bourgeoise de 1789 et de ses suites, jusqu’à la fin définitive des illusions en 1848.

On a donc là une expérience ayant marqué l’Histoire de notre pays de manière significative, en particulier bien entendu la bourgeoisie. Il y a dans cette référence l’idée d’une participation sous contrôle réussie du peuple, d’une mobilisation bornée. L’idée du gouvernement de réactiver cette expérience en réponse au mouvement des Gilets Jaunes relève donc de la répétition historique forcée, c’est-à-dire de la farce sinistre, qui ne pourra que dégoûter encore davantage les masses de la participation politique dans les formes des institutions officielles.

Tenir aujourd’hui dans les mairies des « cahiers de doléances », organiser de-ci de-là quelques assemblées à la va vite ne produira pas d’effets démocratiques majeurs si les choses en restent dans ce cadre, c’est l’évidence même. Mais cela rassure la petite-bourgeoisie et flatte la culture réactionnaire de la bourgeoisie qui y voit la réitération de ses propres succès, de sa capacité à mobiliser le peuple, que ce soit d’ailleurs en faveur du gouvernement ou non. Toute l’idée du RIC et des débats annoncés s’inscrit dans ce cadre qui relève donc de la pure mobilisation populiste : il s’agit de s’appuyer sur les masses, pas de leur donner le pouvoir. Soit pour confirmer le gouvernement, voire le régime, soit au contraire pour tenter de le renverser au profit d’une autre fraction de la bourgeoisie, en l’occurrence son aile la plus réactionnaire.

Toutes les illusions d’une personne comme Jean-Luc Mélenchon et plus largement même de son mouvement de la France Insoumise tiennent aussi à leur idéalisation complète de ce que fut la Révolution de 1789, qu’ils perçoivent comme un genre de « mouvement citoyen » avant la lettre. C’est-à-dire comme celui qu’ils pensent incarner. Alors même qu’il s’agit désormais d’une pure flatterie démagogique de la bourgeoisie, qui au-delà des luttes entre ses propres fractions, partage entièrement cette idée que le peuple n’est là finalement que pour servir de point d’appui à l’arbitrage d’un conflit borné dans le cadre de ses institutions ou du moins de ses intérêts.

Pour la Gauche, les cahiers de doléances témoignent en revanche tout à la fois de la profonde vitalité, des idées inépuisables et des capacités d’organisation collectives gigantesques de notre peuple, des masses populaires. Mais ils sont aussi un marqueur politique, une étape historique qu’il faut nécessairement dépasser. Ils sont pour le dire clairement, la borne de ce qui relève aujourd’hui de la simple démagogie populiste qui ne mène à rien sinon au fascisme, contre la réelle mobilisation démocratique et populaire, qui pousse avec raison à sortir du cadre, à se réunir collectivement en assemblée et de plus en plus régulièrement, autour de soi, dans son quartier ou au travail.

S’assembler pour discuter de ce qui doit changer, trouver la voie collective pour poser les problèmes et exprimer les solutions, sans plus se mettre à la remorque de la bourgeoisie et de son populisme, ni du cadre de ses institutions, voilà une tâche pratique à laquelle la Gauche toute entière de notre pays doit s’atteler.

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La pétition réclamant la démission d’Emmanuel Macron

Une pétition issue des gilets jaunes et réclamant la démission d’Emmanuel Macron a recueilli 492 467 signatures, ce qui est assez révélateur de l’état de la société française.

Pétition : démission du président Macron

Évoquons tout d’abord l’objectif de cette pétition : la démission d’Emmanuel Macron, comme solution au manque de démocratie de la Cinquième République, et à tous les problèmes de la population.

Comment peut-on prétendre que changer de Président plus tôt que prévu changerait quoi que ce soit dans les institutions de l’État français ? On atteint là des profondeurs insoupçonnées dans le gouffre de la déliquescence idéologique de notre société. Ce niveau de réflexion, qui ne dépasse pas la discussion de bistrot, est d’ailleurs revendiqué :

« Avons-nous réellement besoin de disserter des années pour comprendre la base du problème ? »

C’est vrai, quoi ! Pourquoi réfléchir, quand on peut faire du populisme de bas étage ? Si tout va mal, c’est la faute d’Emmanuel Macron, « élu avec [sic] 16 % des électeurs ». Rien à voir, évidemment, avec le mode de production capitaliste, avec le fait qu’il soit en crise ou que l’État n’en soit que le reflet institutionnel.

L’explication n’est pas « un peu brève » : elle est inexistante. Cela n’empêche pourtant pas son initiateur, « Lucchesi », de présenter sa pétition comme l’initiatrice de « grands changements ».

Peu importe que l’initiateur de la pétition confonde président et gouvernement (on nous dit qu’il faut virer le président… car le gouvernement décide des guerres… ce qui est faux, une fois encore), et n’envisage sa pétition que comme une espèce de test pour vérifier une dernière fois si la France est une démocratie ou non (« cela nous prouverait que le peuple n’est pas souverain »).

Passons sur l’idée qu’un président idéal doit, selon Lucchesi, contenter entre 50 et 100 % de la population, ce qui indique bien l’ignorance et la négation totale de la lutte des classes.

Passons également sur l’idée, finalement centrale, selon laquelle tout doit passer par le Président. Passons également sur l’objectif de réunir « 50 % des électeurs », soit entre 18 500 000 et 23 800 000 de personnes, selon qu’on se réfère aux inscrits ou aux votants.

Cette pétition est anti-Macron, mais certainement pas dirigée contre les institutions capitalistes, ni même au minimum contre la cinquième République…

Ce qui est inquiétant, c’est de constater que cette pathétique tentative soit en mesure de recueillir autant de signature. Certes, ce ne sont pas 492 467 signatures sur une pétition aussi ridicule qui vont avoir une impact direct. En revanche, cela indique que 492 467 personnes ont jugé utile d’apposer leur signature au bas d’une réflexion comptoir, qui véhicule l’idée qu’il suffit que le « peuple », bourgeois, petit-bourgeois et prolétaires confondus, s’unisse pour changer le gestionnaire de l’État capitaliste, pour que l’État devienne démocratique et populaire.

Bien sûr, les commentaires sont à l’avenant. Si deux ou trois sortent du lot, en ce qu’ils sont un cri de révolte authentique d’un peuple qui souffre du capitalisme ( « Honteux la réduction des retraites savez vous combien coûte une maison de retraite et sans plus beaucoup de personnel ! »), on y trouve, grosso modo, tout ce qui, finalement, compose le mouvement des gilets jaunes. On y lit (assez péniblement d’ailleurs) des commentaires de bistrot (« casse toi », « pas voter mr macron », « marre de ce type », « macron démission », « dégage »), des phrases pseudo-lyriques, typiques de la petite bourgeoisie qui verse dans le pathos, la théâtralisation et le verbiage (« Il n’aime pas les français, pourquoi devrions-nous l’aimer ? », « Finisson avec l exclavages .. », « Les tyrans, dehors ! », « Le ROI doit descendre de son piédestal, l’époque des rois et seigneurs est finie depuis longtemps », etc.).

On trouve des insoumis (ou assimilés), qui parlent de VIe République, qui défendent le « peuple » contre la « finance » (sans jamais parler de capitalisme, bien évidemment), avancent même parfois tout leur programme (comme si la démission de Macron signifiait leur victoire immédiate), quelques altermondialistes, qui prônent tel ou tel système de vote (« Vive le Jugement Majoritaire. Regardez sur Google. ») ou glosent sur le vote blanc, qui serait la solution miracle.

Et, bien sûr, il y a les fascistes. Les fascistes qui, probablement, s’ignorent sont ceux qui jugent Macron « inefficace », « incapable » de gérer l’État. Ils montrent bien là leur logique de gestion par en-haut de l’État. Les autres sont des fascistes bien plus ouverts et crient à la « trahison de la Nation », à la « vente de la France », jugent que Macron est un « pédéraste » qui représente la « secte maçonnique », et en appellent à la renaissance de la France, à la « FRANCE en marche », et crient « France d’abord ».

Cette pétition et ses commentaires symbolisent finalement très bien comment l’apolitisme et les délires altermondialistes de la gauche petite-bourgeoise et anti-ouvrière mènent au fascisme, le renforcent et l’accompagnent.