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Politique

Interview d’Emmanuel Macron au Courrier Picard

Les gens conscients de l’évolution du monde comprennent bien qu’on va dans le sens d’un repartage, d’une guerre. La grande masse des gens, par contre, croit encore que tout est stable et que le capitalisme va de cycle de consommation en cycle de consommation, que l’irréparable ne saurait être commis, car cela ne serait logique pour personne.

Emmanuel Macron

C’est ici toute la question de la bataille pour le socialisme à l’échelle mondiale qui se pose et le grand souci, c’est que beaucoup de ceux qui savent sont cyniques. Ils pensent que la France peut tirer son épingle du jeu, ils raisonnent en des termes nationalistes.

Emmanuel Macron, dans une interview au Courrier Picard, exprime tout à fait cela. Il reconnaît parfaitement que la tendance est à la guerre. Mais au lieu d’aller combattre le mal à la racine, il considère que c’est ainsi et qu’il faut raisonner en se limitant aux « intérêts du pays ».

Voici comment il dit cela, de manière ouverte :

« Je veux attirer l’attention de chacun : Est-ce que les nationalismes ne sont pas en train de revenir ? Si.

Est-ce que les gens qui sont en train de pousser le retour à des conflits ne sont pas en train de remonter dans de nombreux pays en Europe ? Si.

Est-ce que des gens qui aujourd’hui veulent réduire les droits de la presse, l’indépendance de la justice, la possibilité de se former de manière libre ne sont pas en train, dans certaines régions de l’Europe, d’être de plus en plus puissants et de plus en plus désinhibés ? Si.

Est-ce qu’on n’assiste pas dans le monde à un retour de pouvoirs autoritaires, à des risques de proliférations des armements ? Si, c’est la réalité (…).

Je ne veux pas faire le prophète de mauvais augure, et rien n’indique aujourd’hui que des conflits en Europe seraient en passe de renaître. Mais quand vous avez les États-Unis qui annoncent leur sortie du traité FNI sur les armements intermédiaires en disant que les Russes ne les respectent plus et qu’il y a de plus en plus d’armements du côté chinois qu’on ne voit pas, qui en est la première victime géopolitique ? L’Europe et sa sécurité.

Je vous rappelle que ce traité FNI est né après la crise des Euromissiles, il y a trente ans et à quelques centaines de kilomètres de chez nous. Donc il ne faut pas penser que le monde dans lequel nous vivions et dans lequel l’Europe vit depuis 70 ans est acquis pour toute éternité.

C’est tout le sens de la nécessité de se souvenir : c’est se souvenir de la précarité de la situation dans laquelle nous vivons. Le pire a été vécu par notre pays et notre continent quand il s’est divisé et il ne faut pas céder en quoi que ce soit à cela.

Or je considère qu’aujourd’hui il y a les ferments d’une division européenne, il y a un retour des nationalismes et il y a un retour des inquiétudes et des peurs. Parce que les gens ont l’impression que le monde dans lequel nous vivons n’est plus fait pour eux.

Il faut avoir des réponses au niveau national, européen, international qui soient des réponses de souverainetés bien supérieures. Et il y a aujourd’hui des indices d’une remilitarisation du monde. Tout cela ne va pas dans le sens d’un monde pacifié, d’une fin de l’histoire et d’une fin du tragique, je crois tout le contraire. »

Ce qu’explique Emmanuel Macron, somme toute, c’est que la concurrence entre la Chine et les États-Unis va être le détonateur d’une guerre et que les pays européens doivent s’unir pour former un troisième bloc.

Ce n’est pas combattre la guerre, cela, mais chercher à en profiter. Il a beau jeu de critiquer les nationalistes, qui eux pensent que la France peut tirer seule son épingle du jeu. Il veut juste faire pareil, mais avec une alliance européenne, le moteur franco-allemand étant bien entendu au coeur de son projet.

On remarquera que Benoît Hamon ne dit finalement pas autre chose, que Jean-Luc Mélenchon lui prône le « cavalier seul ». Cela n’est pas du tout de Gauche ! Ce qui est de Gauche, c’est la dénonciation des armées, de la militarisation, de la guerre !

Voilà le grand critère qui a toujours séparé la véritable Gauche de ceux qui cèdent au capitalisme et à ses guerres : l’union sacrée de 1914, où les socialistes et les anarchistes se sont précipités dans l’ultra-patriotisme en trahissant leurs valeurs, est ici un triste rappel du piège à éviter.

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Culture

Many Nights – Motorama (2018)

Motorama est un groupe russe qui propose une une cold-wave puissante et envoûtante. Leur dernier album Many Nights continue d’explorer une approche très esthétique du post-punk anglais avec une touche post-soviétique tout à fait moderne et plaisante.

Tout le monde le dit tellement c’est flagrant : la voix du chanteur Vladislav Parshin rappelle celle de Ian Curtis de Joy Division. On n’est plus cependant à Manchester dans les années 1980 mais à Rostov-sur-le-Don au XXIe siècle, au carrefour entre l’Asie et l’Europe.

Le ton est plus mélancolique que torturé ; les thèmes abordent souvent la nature et pas seulement les tourments individuels. Ce sont les steppes orientales qui sont évoquées dans le magnifique Kissing the ground, les montagnes de l’Altaï dans Homeward ou bien une île de la mer de Bering dans le très immersif Bering island.

Le propos et l’approche sont malgré tout souvent pessimistes, comme dans He will disappear. La démarche du groupe apporte en tous cas une grande attention à l’authenticité plutôt qu’à une musique formatée et insipide :

« J’essaie d’enregistrer le tout dans un seul élan pour conserver l’ossature dans sa fragilité. A mon sens, parfois, voire souvent, les maquettes sont meilleures que les versions définitives. »

Cela se ressent en concert avec un set très long, des instruments basiques et une certaine froideur qui peut déconcerter, mais n’est pas surjouée. Des images sympathiques sont projetées en fond, en noir et blanc, avec de la nature sauvage et des petites scènes pop’ de la vie quotidienne russe d’avant ou d’alors.

Les clips du groupe sont également toujours très cinématographiques. La musique de film influence leur démarche, notamment avec le soviétique Edouard Artemiev qui a composé pour Tarkovski.

> Lire également : Le film “Stalker” d’Andrei Tarkovski (1979)

Loin de se limiter à cet horizon très riche, les influences de Motorama sont multiples et volontairement mondiales, avec cette recherche de l’universel qui caractérise les grands artistes.

Many Nights de Motorama est sortie le 21 septembre 2018 sur le label indépendant bordelais Talitres.

wearemotorama.com

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Politique

Christophe Guilluy à propos de la Gauche et de l’immigration

La défense de l’immigration et la mise en avant de la figure du migrant ne font pas partie des principes traditionnels de la Gauche, parce que ce ne sont pas des positions populaires et démocratiques. Christophe Guilluy a expliqué cela à de nombreuses reprises et le fait à nouveau très bien dans No Society avec ce passage à propos du Parti communiste français reproduit ci-dessous.

Cependant, l’auteur du concept de « France périphérique » ne fait pas le choix de la Gauche et d’un engagement politique au service des classes populaires. Il fait partie de ces intellectuels qui ne vont pas au fond des choses, préférant vendre des livres qui disent toujours la même chose, se contentant d’une posture de commentateur invité sur les plateaux de télévision et les rédactions des grands quotidiens et magazines.

C’est pour cela que son discours, en l’occurrence ici son rappel à propos de la Gauche et de l’immigration, a finalement plus de chance de servir le populisme que les classes populaires elles-mêmes.

Pourtant, ce qui est dit est tout à fait vrai, et devrait être assumé entièrement par la Gauche, plutôt que de s’enfoncer dans le postmodernisme et le cosmopolitisme propre à la bourgeoisie des grandes métropoles.

Christophe Guilluy

Extrait de No Society de Christophe Giulluy :

> Lire également : Avec No Society, Christophe Guilluy fait le choix du populisme

« En milieu populaire, la régulation des flux migratoires n’est absolument pas conflictuelle, elle apparaît au contraire comme une option raisonnable. C’est en réalité la classe dominante qui l’a hystérisée en manipulant la question raciale.

D’ailleurs, à une époque où la gauche défendait encore les classes populaires, la régulation des flux n’était absolument pas un sujet tabou. Conscient des effets sur la classe ouvrière (dumping social, fragilisation du capital social et culturel), le Parti communiste français n’hésitait pas à demander l’arrêt de l’immigration.

En effet, pendant la campagne présidentielle de 1981, le premier secrétaire du PCF, Georges Marchais, expliquait qu’il fallait « stopper l’immigration officielle et clandestine » et qu’il était « inadmissible de laisser entrer de nouveaux travailleurs immigrés en France alors que notre pays compte près de 2 millions de chômeurs français et immigrés ». Si le PCF et plus largement la gauche rassemblait encore l’essentiel des voix populaires, c’est à cette époque que l’ostracisation des plus modestes a commencé, notamment dans une fraction de la gauche socialiste.

George Marchais pressentait la montée d’un discours qui visait à ostraciser la classe ouvrière pour mieux délégitimer ses revendications. Dans un discours prémonitoire, il dénonce clairement la dynamique qui allait conduire à la relégation culturelle des plus modestes puis à la rupture entre la gauche et les classes populaires :

 » Nous posons les problèmes de l’immigration, ce serait pour utiliser et favoriser le racisme, nous rechercherions à flatter les plus bas instincts, nous combattons le trafic de drogue, ce serait pour ne pas traiter de l’alcoolisme apprécié par notre clientèle… ils crient tous en chœur pétainisme […]. Quelle idée se font ces gens des travailleurs ? Bornés, incultes, racistes, alcooliques, brutaux, voilà d’après nos détracteurs, de la droite au Parti socialiste, comment seraient les ouvriers. »

Dans la bouche de Marchais, la régulation des flux ne relevait donc d’aucune dimension ethnique ou culturelle, elle visait à protéger les ouvriers du dumping social et de la fragilisation de leur capital social. Mais la légitimité et la subtilité de ce discours seront balayées par la grosse artillerie idéologique de la classe dominante et le déplacement d’une question sociale sur la question raciale.

Quarante ans plus tard, la relégation culturelle des classes populaires occidentales est effective. Le rôle joué par l’intelligentsia de gauche dans cette entreprise aura été déterminant. Elle annonce un divorce définitif du camp du progrès et de sa base populaire en offrant à l’ensemble des mouvements populistes de droite un électorat potentiellement majoritaire.

L’entreprise de diabolisation des opinions par la classe dominante et ses relais médiatico-académiques n’aura en effet aucun impact sur les classes populaires, on assiste au contraire à un durcissement des positions. Refusant les débats tronqués, hermétiques aux discours des experts et des médias, les classes populaires du XXIe siècle demandent, comme en 1981, la régulation des flux. »

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Culture

Jeux vidéos : Read Dead Redemption 2 ne vaut pas un Kingdom Come: Deliverance

Le jeu vidéo Read Dead Redemption 2 sortie la semaine dernière rencontre un immense succès commercial et critique. Un titre comme Kingdom Come: Deliverance, sortie en début d’année, présente pourtant un intérêt bien plus grand mais n’intéresse pas grand monde. Nous vous proposons un comparatif entre ces deux jeux de rôle historiques en monde ouvert.

RDR2 – Une facilité déconcertante

Dans Read Dead Redemption 2 (RDR2), on incarne un bandit évoluant dans un environnement typique des westerns. Une intrigue tout à fait banale sert de fil conducteur au déclenchement de quelques missions très scénarisées, comme dans GTA.

La direction artistique et la réalisation technique encensées par quasiment tout le monde sont bien sûr réussies, ou en tous cas conformes aux attentes. Cependant, le jeu en lui-même ne présente que très peu d’intérêt.

Il est d’une facilité déconcertante, avec en plus une jouabilité très mauvaise de par le nombre de touches qu’il faut sans cesse utiliser sans que cela ait une justification pratique.

KCD – Un jeu vidéo pour adultes

Tel n’est pas le cas de Kingdom Come: Deliverance (KCD) qui lui est un véritable jeu vidéo pour adultes, nécessitant un apprentissage technique de ses mécanismes complexes ainsi qu’une réflexion et une implication intellectuelle importante.

Ce dernier a été produit par le studio tchèque Warhorse et propose d’incarner l’ascension d’un jeune villageois de Bohème en 1404. S’il a beaucoup déçu à sa sortie par un nombre ahurissant de bugs qui n’ont été corrigés qu’avec une première mise à jour, sa réalisation est satisfaisante et surtout, le système de jeu est très élaboré et abouti.

C’est un peu l’inverse de Read Dead Redemption 2 dans lequel les ennemis sont immensément nombreux mais aussi absolument inutiles puisqu’il y a un système de visée automatique qui se charge de verrouiller les cibles et qu’il n’y a qu’à appuyer sur un touche pour tirer en masse.

Les combats sont au contraire très intenses et complexes, au point qu’il est quasiment impossible au début de la partie de venir à bout de deux ou trois ennemis qui auraient une armure.

RDR2 – Un arrière-plan décadent et réactionnaire

C’est une toute approche que proposent les studios Rockstar Games. En dehors des récurrentes fusillades, il suffit de suivre des chemins tout tracés et d’appuyer parfois sur un bouton indiqué à l’écran, ici pour ouvrir un tiroir, là pour apaiser un cheval, etc. L’expérience proposée n’est qu’une immersion passive où tout a lieu automatiquement, avec un arrière-plan culturel décadent et profondément réactionnaire.

Arthur Morgan, le personnage, vit au sein d’une bande dans des camps temporaires et isolés, à la manière de « zadistes » refusant le monde moderne et faisant de leur délinquance une posture romantique. C’est dans la continuité du premier opus (dont ce second est un prequel) où l’on incarnait l’un de ces membres en quête de rédemption. Il fallait à un moment travailler pour les révolutionnaires mexicains tout en servant les dirigeants de la dictature militaire avec la posture nihiliste d’un rebelle sans cause.

Ce nouvel épisode pousse encore plus loin cet aspect contre-révolutionnaire, en glorifiant à l’envi la posture du cowboy américain au-dessus de tout et de toutes valeurs, dont Donald Trump est le parfait avatar moderne. Le travail ouvrier est considéré comme une perte de temps par rapport à la truanderie. La représentation caricaturale de la zone industrielle de Saint-Denis (qui est une reproduction miniature de la Nouvelle-Orléans à l’époque), bien que très joliment réalisée, appuie cette vision du monde réactionnaire.

KCD – Un contexte historique riche et détaillé

Dans Kingdom Come: Deliverance par contre, le travail et les activités manuelles du peuple sont mis en scène très régulièrement et sont présentés d’une manière positive, à commencer par le travail de mineurs qui est indirectement au cœur de l’intrigue. Les truands vivant en camp à l’extérieur de la société sont au contraire présentés de manière très critique et sont des ennemis qu’il faut affronter durement.

Surtout, l’arrière-plan culturel de cette aventure médiévale est l’avènement d’un grand bouleversement social en Bohème qui débouchera sur la révolution taborite, c’est-à-dire une guérilla pour établir l’égalité sociale et le collectivisme.

Sans en dévoiler le contenu, il faut évoquer ici la quête intitulée « Les voies impénétrables » où l’on rencontre un prêtre adepte des prêches de Jan Huss, figure historique à l’origine du protestantisme, qui est d’une finesse et d’une légèreté humoristique absolument réjouissantes.

L’épisode du monastère est lui aussi très intéressant, non seulement en termes de jeu, d’autant plus qu’il est difficile à finir avec une vraie enquête à mener pour s’en sortir, mais aussi de par sa puissante critique progressiste de l’Église.

Cette bande annonce met en perspective la scène du monastère par rapport à la vie du personnage en dehors :

La question du réalisme

Rien de tout cela dans le western virtuel, pourtant présenté par de nombreuses personnes comme étant extrêmement réaliste. Cela est censé justifié certaines lenteurs ou certains aspects peu intuitifs. Sauf que le personnage peu supporter des dizaines de balles dans son corps avant de s’écrouler, à moins de manger une boite de conserve en plein combat pour se régénérer…

Le réalisme, si c’est cela qui est recherché, est beaucoup plus présent dans le jeu médiéval tchèque où, par exemple, des blessures au combat peuvent entraîner une hémorragie mortelle après la victoire, à moins d’êtres soignées par un bandage, qu’il faut bien sûr avoir en sa possession au préalable et qui ne peut pas être utilisé en plein combat.

RDR2 – Une superproduction de l’industrie du jeu vidéo

En fait, les commentaires à propos de Read Dead Redemption 2, qui bat des records de vente, relèvent presque systématiquement de la même béatitude sans aucun esprit critique. C’est la soumission volontaire à une superproduction de l’industrie du jeu vidéo qui en met plein les yeux, avec une stratégie commerciale bien rodée mais un contenu très pauvre.

Il est d’ailleurs très cocasse de voire le site du journal Le Monde participer de plain-pied à cet « engouement », alors qu’il n’a jamais été parlé du titre tchèque, sauf de manière anecdotique pour relayer une accusation raciste absurde, reprochant le fait qu’il n’y ait que des « blancs » dans une histoire se déroulant en Bohème aux XVe siècle !

KCD – Une expérience de jeu très complète

Kingdom Come: Deliverance propose une véritable expérience de jeu avec de multiples façons de remplir les quêtes suivant son approche et le hasard des situations. Il faut toujours être attentif aux dialogues pour ne pas être perdu ou bien débusquer ce qui relève de la filouterie. Il appartient au joueur de développer la personnalité de son personnage, Henry, de manière très complexe, et pas seulement en étant « bon » ou « méchant ».

On peut par exemple choisir d’apprendre à lire, développer son éloquence, ne jamais manger de viande, ne jamais se gaver, acheter et entretenir ses propres biens plutôt que de pratiquer le vol et le recel, prendre en compte la façon dont on est habillé suivant les situations. De plus, il faudra nécessairement se spécialiser dans le maniement d’une arme en particulier, car il est très compliqué de les maîtriser toutes.

Il est en tous cas indispensable de développer les aptitudes de son personnage, non-pas pour des raisons cosmétiques mais parce que cela conditionne directement la réussite des quêtes. Même une personne habituée et habile aux jeux vidéos se retrouvera à un  moment coincée si elle n’a pas pris le temps de s’entraîner concrètement aux techniques de combat avec un entraîneur.

Conclusion

Culturellement, la perspective offerte par Kingdom Come: Deliverance est bien plus intéressante, instructive et réjouissante que celle proposée par Red Dead Redemption 2. À moins de trouver cela satisfaisant de simplement jouer au cowboy dans un décor virtuel comme le ferait un enfant.

 

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Écologie

Qui décide du sort du vivant dans les forêts nationales ?

L’Office National des Forêts (ONF) assigne trois personnes prises au hasard parmi la foule des manifestants contre la chasse à courre. Il s’agit d’un procès civil par lequel l’institution chargée de gérer les forêts nationales entend faire payer à ces gens le fait que les chasseurs n’ont pas remplis leur objectif quantitatif d’animaux tués la saison dernière.

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En plus du problème moral évident que pose la chasse à courre comme pratique moyenâgeuse d’une brutalité ignoble, c’est la question du pouvoir politique dans les forêts nationales qui se trouve mis en évidence. Qui décide du sort du vivant dans les forêts nationales ?

> Lire également : L’ONF réclame 55 000 € à trois opposants à la chasse à courre

En matière civile, la pierre angulaire du système juridique est sans conteste la propriété privée. La bourgeoisie, en tant que classe sociale, devant son existence à la propriété privée des moyens de production, elle a logiquement mis en place un ensemble cohérent de règles régissant son maintien, par la transmission et le développement de la propriété privée.

Ce système juridique est un acquis de la bourgeoisie dans le cadre de la lutte des classes ; c’est une construction historique. Dans la dernière partie du Moyen Âge, plus la bourgeoisie française prenait de poids dans les échanges économiques au sein du royaume, plus les féodaux reculaient eux-mêmes. Avec le recul de ces derniers, c’est l’ordre juridique basé sur les privilèges de naissance qui perdait en pertinence.

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La féodalité réservait le travail aux membres des classes sociales inférieures : les paysans, les travailleurs des villes et les bourgeois. Cette configuration avait des conséquences sur la propriété, laquelle était largement collective (et non privée, donc). Les possessions royales et seigneuriales peuvent être considérées comme des propriétés, dans le sens où la chose a un maître qui décide de ce qui y est fait. Mais les nobles (donc évidemment le Roi) ne travaillent pas. Les droits sur le bien immobilier sont donc divisés entre la propriété éminente qui reste aux nobles et la propriété utile qui va à celui qui exploite la terre, le moulin, le bois, le four, etc. Le droit de chasser était réservé aux classes dominantes : le Roi, les nobles et les ecclésiastiques, chacun sur leur domaine respectif.

Avec le travail, la bourgeoisie est alors porteuse du plus haut niveau de culture. Elle est capable de puiser dans l’Antiquité pour faire naître ce dont l’époque a besoin. La propriété telle que la bourgeoisie la conçoit est refondée à partir du droit romain, comme le souligne Friedrich Engels dans La décadence de la féodalité et l’essor de la bourgeoisie :

« Avec la redécouverte du droit romain, la division du travail s’opéra entre les prêtres, consultants de l’époque féodale, et les juristes non ecclésiastiques. Ces nouveaux juristes appartenaient essentiellement, dès l’origine, à la classe bourgeoise ; mais, d’autre part, le droit qu’ils étudiaient, enseignaient, exerçaient, était aussi essentiellement anti-féodal par son caractère, et, à un certain point de vue, bourgeois. Le droit romain est à tel point l’expression juridique classique des conditions de vie et des conflits d’une société où règne la pure propriété privée, que toutes les législations postérieures n’ont pu y apporter aucune amélioration. »

Selon l’adage latin Cujus est solum ejus usque ad caelum usque ad inferos, Qui est propriétaire du sol est propriétaire jusqu’au ciel et jusqu’aux entrailles de la terre. Peu importe donc sa naissance, celui qui est propriétaire d’un terrain possède tout ce qui s’y trouve. S’agissant des arbres, il les possède des racines à la cime. S’agissant des animaux, il dispose des taupes qui peuplent le sous-sol comme des colonies de passereaux qui volent en surplomb et de toutes les vies qui s’ébattent entre ces deux extrémités. Sauf interdiction particulière de la loi ou du règlement, le propriétaire peut donc détruire les êtres vivants sur sa propriété. Il peut chasser lui-même, ou céder ses droits de chasse.

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Les « parties » de chasse à courre ont parfois lieu sur des propriétés privées individuelles. On pense alors au vastes étendues boisées qui jouxtent les demeures de la Renaissance ou les pavillons de chasse du 19e siècle. La vie de château quoi !

L’ONF traîne des gens devant la justice parce qu’il considère qu’ils ont gêné des veneurs dans leurs chasses. Or, si c’est l’ONF qui est concernée, c’est donc qu’il s’agit ne s’agit pas de biens individuels.

En effet, l’ONF est chargé de l’exploitation des forêts qui appartiennent à l’État.

Or, en République, ce qu’il advient des choses de l’État est par principe décidé par le peuple. Ce n’est de toute évidence pas le cas dans de nombreux domaines. Il n’y a ainsi pas de débat public concernant le sort du vivant dans les forêts nationales.

Pourtant, les forêts nationales appartiennent au domaine privé de l’État. Par opposition au domaine public de l’État qui est régi par des règles de droit public, donc du droit de l’administration, le domaine privé de l’État est régi par des règles de droit privé, donc du droit de la personne privée.

On peut donc considérer que l’adage latin cité ci-dessus, selon lequel le propriétaire du sol est propriétaire du sous-sol et de ce qui est en surplomb, doit s’appliquer aux forêts nationales. Il appartient donc théoriquement au peuple, propriétaire des forêts nationales au travers de l’État, de décider du sort du vivant dans celles-ci.

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Mais à gauche on le sait, le droit ne fait pas la réalité, c’est bien plutôt les tensions qui s’exercent dans la réalité quotidienne qui poussent le législateur à produire les règles juridiques. Ainsi, le développement des règles qui concernent la vie dans les forêts nationales, particulièrement celles qui concernent la chasse, a suivi les flux et reflux du pouvoir féodal.

Les grands massifs forestiers comme ceux D’Île de France, de Picardie et de l’Ouest de la France ont été un enjeu important de la lutte de pouvoir qui a opposé sur près de quatre siècles la féodalité et la bourgeoisie. Les grandes forêts constituent une source de profit important et constituaient un poste industriel stratégique (construction navale, industrie verrière, etc.). Asseoir son pouvoir politique passait nécessairement par le contrôle de ces forêts.

Un aspect culturel important se jouait également au travers de la possession des forêts. Les forêts domaniales étaient des propriétés éminentes du Roi. Classe victorieuse de la Révolution de 1789-1792, la bourgeoisie s’empare des forêts royales et en fait des possessions du domaine. Les arbres transformés en bois deviennent des marchandises qui intègrent les marchés. La chasse en forêt domaniale n’est plus un privilège mais devient un loisir de gentilhomme.

Paysans et roturiers sous l’ancien régime, puis aujourd’hui paysans et ouvriers sont exclus de la gestion de la forêt domaniale. La forêt royale est devenue domaine privé de l’État, l’ONF est chargée de son exploitation.

À aucun moment il n’existe de débat démocratique, localement ou au niveau national, pour décider la manière dont il faut traiter les êtres vivant en forêt.

Les associations de veneurs s’estiment lésés et se retournent contre l’ONF qui leur cède de manière unilatérale les droits de chasser dans les forêts nationales. L’ONF assigne en justice des personnes prises au hasard dans la foule des opposants à la chasse à courre. Cette histoire procède du déni de démocratie.

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Politique

Jean-Luc Mélenchon et « l’Empire »

Jean-Luc Mélenchon a lors de son meeting à Lille expliqué que « l’Empire » dominait désormais par la « judiciarisation de la vie politique ». Un exemple de plus de populisme outrancier, particulièrement chauvin.

Jean-Luc Mélenchon Lille 2018

Jean-Luc Mélenchon a de nouveau fait preuve de son populisme outrancier, avant-hier, lors d’un meeting à Lille. Lui-même empêtré dans des affaires judiciaires en raison du mode de gestion de La France Insoumise, il s’est appuyé sur le résultat des élections brésiliennes pour se poser en martyr des États-Unis, développant une rhétorique ultra-nationaliste.

Il n’a d’ailleurs pas hésité à employer le terme d’Empire, un concept propagé en 2000 par Michael Hardt et Toni Negri, figures de la gauche postindustrielle, mais surtout connu en France ces derniers temps par Alain Soral, l’une des principales figures de l’extrême-droite.

C’est pratiquement dès le départ du meeting qu’il a ainsi expliqué :

« Eh bien oui ce sont les Brésiliens qui, après la chute du communisme d’État, et qu’on nous ai dit que c’était la fin de l’Histoire, et que le libéralisme désormais triompherait, c’est eux [sic] qui nous avait ramené sur le sentier du renouveau, du social, de l’écologique, se donnant l’option préférentielle pour les pauvres comme ligne d’action gouvernementale et nous proposant de cette manière un modèle sur lequel construire notre pensée et rénover tous nos programmes.

Hier, l’extrême-droite a triomphé. Mais vous autres, vous avez réfléchi, vous avez regardé. Comment une chose pareille a-t-elle été possible ?

Il y a six mois à peine, après que la présidence du Parti des Travailleurs ait été expulsé de la présidence de la république, et qu’un gouvernement de coup d’État judiciaire se soit mis en place, de droite, pendant deux ans, on annonçait que dans ces élections présidentielles qui arrivaient, notre candidat, notre ami, Inácio Lula, était à 60 % d’intentions de vote.

Alors, l’ennemi a frappé. Cet ennemi, il a une adresse. C’est les États-Unis d’Amérique [sic], qui savent que le Brésil était avec les autres puissances qui se constituent dans ce groupe qu’on appelle les BRICS, pour désigner le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, qui sont en quelque sorte en opposition, en alternative à la domination des États-Unis d’Amérique sur le reste du monde […].

Alors cet adversaire s’est dit on ne peut pas laisser le Brésil retourner dans les mains du peuple avec l’option préférentielle pour les pauvres […]. Alors ils ont choisi une méthode politique, la judiciarisation de la vie politique. On a alors accusé Lula, l’homme de la gauche, d’être corrompu […].

Vous autres, quoi qu’il arrive, souvenez-vous en, parce que dans tous les pays, c’est la méthode qu’ils utilisent […]. La judiciarisation de la vie politique est dorénavant la stratégie de l’Empire partout, dans tous les pays du monde. »

Jean-Luc Mélenchon, on le voit bien ainsi, n’a pas d’autres explications que les complots et les coups bas d’un ennemi flou, qui consiste en la finance, l’Empire. Il oppose à cela une notion tout à fait flou également, le peuple.

C’est une manière de gommer les luttes de classes, d’éviter de reconnaître qu’il existe en France une bourgeoisie, une classe ouvrière. Jean-Luc Mélenchon fait de la France une sorte de pays du tiers-monde, où dominerait une petite oligarchie. Il y a pourtant en France 579 000 personnes qui disposent de 850.000 euros, hors résidence principale, objets d’art et de collection et biens courant…

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Société

Le délitement de la discipline dans les établissements scolaires est de moins en moins supporté

La vidéo d’un lycéen menaçant sa professeure avec un pistolet de type « airsoft » en plein cour a largement choqué l’opinion publique. Cette scène, insupportable, cristallise un sentiment général de délitement de la discipline dans les établissements scolaires.

Le gouvernement devait présenter ce mardi 30 septembre un plan d’action contre les violences scolaires suite à l’émoi qu’a provoqué cet épisode du Lycée Édouard Branly de Créteil. Le Ministre avait d’ailleurs réagi vivement, faisant savoir qu’il comptait rapidement faire quelque-chose.

Ces mesures ont finalement été repoussées et on aura bien compris que c’est parce que le mécontentement est très profond. Des annonces mal choisies auraient l’effet inverse de celui escompté.

« Pas de vague »

La situation en est en effet à un point où le sentiment d’exaspération est immense, avec cette impression pour beaucoup qu’il n’y a aucune perspective positive. L’ensemble des personnels des établissements scolaires subissent de plein fouet l’exacerbation des tensions de la société avec le délitement d’un certain nombre de règles de savoir-vivre, et se sentent souvent abandonnés.

Le mot-clef #pasdevagues dont se sont emparés un grand nombre d’enseignants pour raconter leurs propres expériences durant ces vingt dernières années décrit précisément ce sentiment que rien n’est fait pour remédier à une situation générale très tendue. Les problèmes sont comme mis sous le tapis et la suggestion de Jean-Michel Blanquer d’interdire les téléphones portables dans les Lycées n’a fait qu’exalter ce sentiment que les institutions ne veulent surtout « pas de vagues ».

Ce qu’il y a de plus terrible lorsqu’on regarde le film en question, c’est qu’on comprend tout de suite à quel point la situation est banale, tellement les protagonistes n’ont manifestement pas conscience de la portée de leur acte. Pas plus que la professeure, qui n’avait pas porté plainte avant la diffusion de la vidéo. Nullement étonnantes ne sont d’ailleurs les affirmations de parents d’élèves de cet établissement, résumées par l’un d’entre eux :

« Je ne sais pas si on peut parler de laxisme mais quand j’ai vu cette scène, je me suis dit que c’était du théâtre. Les enfants étaient en délire, en train de s’amuser, la prof regardait les élèves, presque amusée. Je me suis dit pourquoi personne ne réagit. Je dirais qu’il n’y a pas eu de cadre dans cette classe. Certains vont dire, elle a eu peur, ça été trop violent pour elle mais moi j’ai aussi entendu les élèves. Ils m’ont dit que c’était tous les jours comme ça avec cette enseignante ».

On est pas ici dans une violence à l’Américaine ou à la Brésilienne, mais dans une sorte de situation intermédiaire, où il s’agit plutôt d’indiscipline généralisée qui dégénère. Car, il faut bien voire que l’élève, d’une part est au Lycée, ce qui signifie qu’il a un parcours scolaire au moins un minimum satisfaisant, et d’autre part, s’enquiert de ne pas être noté absent.

Ce n’est pas une situation de décrochage scolaire avec l’immersion d’une autre société, celle des gangs par exemple, au sein de l’institution scolaire, mais une scène propre à la vie de l’institution scolaire elle-même.

C’est donc à la fois moins grave que ce qu’on pourrait craindre, et en même temps bien plus grave, tellement la situation semble dégénérer de l’intérieur, avec une menace de l’écroulement de la société sur elle-même.

Il ne s’agit pas de dédouaner la professeure en disant qu’elle n’est pas responsable du comportement de ses élèves – il y a en France beaucoup trop d’enseignants qui n’ont pas cette qualité de savoir tenir un groupe d’adolescents, et c’est inacceptable.

Il serait pour autant trop facile de l’accabler personnellement, comme il serait trop facile de résumer les choses en disant que le jeune en question n’est qu’un délinquant ayant frappé un policier quelques semaines plus tôt.

La France et la discipline

Ce que signifie cette scène, et ce que signifient les nombreux témoignages #pasdevague, c’est qu’il y a en France un grand problème avec la discipline et que ce problème devient explosif dans les établissements scolaires.

La bourgeoisie est relativement épargnée car elle place ses enfants dans des établissements privés ou publics qui lui sont quasiment réservés, qui se débarrassent des élèves au moindre problème. La grande majorité des autres établissements, publics mais aussi privés-catholiques dans certaines campagnes, se retrouvent par contre de plus en plus dépassés.

Ils n’ont pas les moyens humains et pratiques, mais surtout culturels, de mettre en place et de faire respecter une discipline convenable. Les enseignants déplorent donc le manque de soutien de leur hiérarchie qui ne veut « pas de vague », ce qui est vrai. Cela n’est cependant qu’un aspect partiel du problème, qui est bien plus profond.

Il y a en partie ici un trait culturel franco-français, où les élèves ne sont que les enfants de leurs parents qui n’aiment pas quand la police leur demande de rouler moins vite ou bien qui ne disent pas bonjour à la caissière au supermarché.

Il y a aussi en partie des raisons propres à la pauvreté et aux arriérations culturelles des personnes issues de l’immigration, qui n’ont pas toujours les codes sociaux-culturels de la France, ce qui engendre des situations conflictuelles.

Mais le problème est surtout que l’institution scolaire n’est pas en adéquation avec les aspirations profondes des classes populaires. L’École en France est surtout une vieillerie républicaine issue d’une époque où la bourgeoisie voyait un intérêt à éduquer le peuple par en haut, selon ses propres codes, dans un cadre très restreint.

Abstraction et pensée concrète

Dans bien des cas, l’éducation n’est plus l’aspect principal des établissements scolaires, dont la fonction est surtout de garder les jeunes quelque part la journée tout en triant ceux pour qui un avenir professionnel particulier est envisageable. Ce schéma, pas du tout caricatural, propre aux quartiers les plus difficiles des grandes métropoles, n’est en substance pas différent de celui qui existe partout ailleurs pour les classes populaires.

La séparation quasi-unilatérale de l’enseignement jusqu’au collège d’avec le monde du travail et le reste de la société est quelque-chose de très difficilement supportable pour un certain nombres de jeunes, surtout ceux issus de la classe ouvrière. Cela est la source de beaucoup de conflits scolaires, dont l’indiscipline n’est que le produit, ou la conséquence culturelle logique, à défaut de pouvoir exprimer les choses autrement.

L’institution scolaire française favorise l’abstraction et refuse la pensée concrète. La séparation entre la théorie et la pratique est la norme et même les travaux « pratiques » qui sont proposés dans certains cours sont présentés et organisés très abstraitement. La situation change à partir du Lycée pour les enseignements professionnels et technologiques, mais l’arrière-plan reste présent.

Si on ajoute à cela le fait que les enseignants ne sont pas recrutés ni formés pour leurs capacités à enseigner, on se retrouve justement dans cette situation où les établissements scolaires sont dépassés par l’indiscipline.

Bricolage au jour le jour

Les « vies scolaires », c’est-à-dire les surveillants (« assistants d’éducation ») et leurs chefs de service (« CPE »), gèrent quant à elles du mieux qu’elles peuvent des situations extrêmement compliquées, avec peux de moyens et absolument aucune formation ni aucune méthode de travail autre que le bricolage au jour le jour. L’Éducation Nationale compte sur le fait que les surveillants sont des personnes jeunes (on ne peut être surveillant plus de six années) et sensibles aux questions éducatives pour faire tampon entre les élèves et l’institution.

Cela n’a fait que repousser les problèmes pendant au moins les vingt dernières années, sauf que l’indiscipline devient maintenant de moins en moins supportable et gérable.

Le Gouvernement et son ministre de l’Éducation se retrouvent en ce moment dans une position délicate face à la manifestation d’une indignation profonde, alors qu’ils ont annoncé récemment des suppressions de postes et qu’une grande grève était déjà prévue pour le 12 novembre prochain.

L’annonce d’effectifs de Police dans les établissements, en plus d’être une absurdité rien que parce que la Police est déjà débordée et en sous-effectifs, relève surtout du « cafouillage » et illustre une grande panique sur la question.

La Gauche en France a une grande responsabilité sur ce sujet car elle a trop souvent minimisé les questions de discipline au profit d’une approche plus conciliantes se voulant non-réactionnaire, alors qu’il ne s’agit en fait que de savoir-vivre.

Cependant, la discipline, bien qu’étant quelque-chose de fondamental et réclamé par les classes populaires, ne doit pas être une chose abstraite, existant en dehors et par-dessus les rapports sociaux en général, et l’institution scolaire en particulier.

Tant que l’éducation générale et pratique de la jeunesse ne sera pas l’unique objet de l’École, populaire et démocratique, rien ne sera réglé. Les tensions qui existent dans les établissements scolaires ne feront qu’empirer à mesure de la généralisation de la crise dans la société toute entière.

Il ne suffira pas de réclamer plus de moyens et plus de postes – bien qu’il faille dénoncer la suppression de ceux-ci – mais il faudra considérer les choses à plus long terme, dans une perspective bien plus grande. Le système scolaire français n’est pas du tout satisfaisant pour les classes populaires, et d’ailleurs il se révèle efficace pour de moins en moins de monde, comme le montrent les grandes enquêtes internationales sur l’éducation.

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Politique

Présidentielles brésiliennes : le succès ultra-réactionnaire de Jair Bolsonaro

Jair Bolsonaro a été élu avec un large succès à la tête de l’État brésilien. Fanatique anticommuniste, chantre de la religiosité, grand nostalgique de la dictature militaire, anti-écologiste primaire, il est un exemple de plus du grand repli nationaliste et militariste de chaque pays dans le monde.

Jair Bolsonaro a été élu ce dimanche de manière tout à fait nette, avec 55,1% des voix, soit 57,8 millions de votes, contre 44,9% soit 47 millions de voix à Fernando Haddad, qui tentait de maintenir en vie le cycle d’hégémonie du Parti des Travailleurs, qui prônait une Gauche engagée mais n’a dans les faits jamais cherché une quelconque rupture, provoquant un désenchantement profond dans la population.

Et permettant donc à quelqu’un comme Jair Bolsonaro de prendre la tête d’un mouvement de défense de la religion, de la famille et de la propriété privée, avec un véritable engouement en sa faveur. Poignardé lors d’un bain de foule durant la campagne présidentielle, il n’en est devenu que davantage la figure quasi christique du sauveur venant rétablir les valeurs originales, essentielles, d’un Brésil totalement idéalisé.

Ce n’est en effet pas un homme fort plaçant l’armée au centre du jeu qui pourra supprimer une violence sociale endémique à une société déséquilibrée socialement et paralysée économiquement, pourri par les grands propriétaires terriens qui sont d’ailleurs les grands soutiens de Jair Bolsonaro.

Un feu d’artifice a été tiré à Rio pour fêter la victoire de Jair Bolsonaro, alors que le lendemain de celle-ci, le lundi, la bourse de São Paulo connaissait un record, avec l’indice boursier Bovespo gagnant 2,4% dès l’ouverture, l’entreprise pétrolière Petrobras 3,6%, le réal prenant 1,4% face au dollar américain. Jair Bolsonaro est considéré comme l’homme adapté à la nouvelle étape.

Député depuis 28 ans, il aura de fait adhéré en tout à neuf partis différents afin de parvenir à se positionner comme l’homme de la situation, le chef autoritaire d’une énième restructuration du pays. Après la tentative d’une modernisation sociale avec le Parti des Travailleurs de Lula (désormais en prison pour corruption), qui entendait faire du Brésil une grande puissance avec l’appui de la population et à travers l’État, cela sera désormais une stratégie plus traditionnelle, par en haut, sans mobilisation de la base du pays.

Naturellement, Donald Trump s’est réjoui de cette victoire de Jair Bolsonaro et annonce un travail étroit avec lui. Marine Le Pen l’a félicité. Le parti d’Emmanuel Macron, qui est lui modernisateur – libéral, en fait par contre une cible. Une manière de résumer le monde à un affrontement entre libéraux libertaires et nationalistes ultra-réactionnaires.

On voit ainsi encore une fois ce que ne comprennent pas les libéraux. Les médias ont  ainsi largement repris en France les nombreux propos agressifs de Jair Bolsonaro, ses propos odieux sur les femmes notamment, en particulier son « Je ne te violerai pas. Tu ne le mérites même pas »  visant, en décembre 2017, Maria do Rosário, députée du Parti des travailleurs (PT), juste après qu’elle ait rendu hommage aux travaux de la Commission nationale de la vérité sur les crimes commis par la dictature militaire.

Cela est tout à fait inacceptable, mais si Jair Bolsonaro a gagné, c’est surtout parce qu’il a dit qu’un bon bandit est un bandit mort. En cela, il correspond aux attentes d’une population ne pouvant plus vivre dans l’ultra-violence caractérisant le Brésil. Jair Bolsonaro pose le principe d’un Etat de droit, ce qu’une véritable Gauche devrait faire, mais cela signifie accepter le principe de révolution, car seul un nouvel État peut réellement établir l’ordre dans un Brésil corrompu et possédé par les plus riches.

En s’entourant de généraux et en prétendant rétablir un ordre qui en réalité n’a jamais été là, Jair Bolsonaro a mis en place un romantisme capable d’ensorceler une partie majoritaire du pays.

L’avenir du Brésil s’annonce bien sombre et c’est un pays de plus qui tombe dans le giron des partisans du repli nationaliste et du militarisme. Le processus est général et correspond à la mise en place de nouveaux rapports de force, de nouvelles perspectives de guerre, pour le repartage du monde.

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Culture

Conan le barbare, 1982

Personnage repris à l’écrivain des années 1930 Robert E. Howard, Conan le barbare devait si l’on en croit le début du film servir à un projet ouvertement romantique-réactionnaire. C’est une sorte de super costaud typé « nordique » qui devait s’élever graduellement dans un monde cruel et barbare, en survivant au fur et à mesure et dès l’enfance d’épreuves toujours plus difficiles et sanglantes.

Conan le barbare

L’ouverture du film par la citation de Nietzsche selon laquelle ce qui ne tue pas rend plus fort était annonciatrice d’une telle mise en perspective, tout comme l’ambiance sordide du début, où se tiennent une remise en cause de toute poésie existentielle :

« Chef : Qu’il y a-t-il de mieux dans la vie ?
Un guerrier : L’immense steppe, un rapide coursier, des faucons à ton poing et le vent dans tes cheveux.
Chef : Faux ! Conan, qu’il y a-t-il de mieux dans la vie ?
Conan : Écraser ses ennemis, les voir mourir devant soi et entendre les lamentations de leurs femmes.
Chef : C’est bien. »

Puis, heureusement, on a droit à tout le contraire. Point d’aventure individuelle, Conan visant à venger son peuple et sa famille, sans profit personnel. La femme devenant sa compagne est une combattante aussi valeureuse que lui, bien plus intelligente, lui sauvant la vie deux fois, culminant dans la figure d’une déesse vénérée par Conan. Deux autres figures, présentés comme clairement de type asiatiques, apparaissent comme des aides vitales, lui sauvant également la vie, brisant toute vision racialiste éventuelle.

On a tout le contraire de ce qui semblait promis initialement et si le journaliste Richard Schickel, de Time magazine, critiqua le film à sa sortie en 1982 en le présentant comme un « Star Wars réalisé par un psychopathe. Stupide et ahurissant », c’est qu’il est passé à côté de la force atmosphérique du film marqué par une opiniâtreté tout à fait en rupture avec l’esprit passif de la consommation propre au capitalisme s’étant élancé.

Conan le barbare

On a ainsi un film épique, avec une musique époustouflante de Basil Poledouris dans cet esprit, orchestré par un réalisateur, John Milius, coauteur d’Apocalypse now et à l’origine du scénario de Jeremiah Johnson. Le fil conducteur ne se perd pas par une narration au rythme efficace, l’engagement et le débat sur les valeurs philosophiques de la vie affleurent, les combats n’étant que des moments convenus propre au style féérique-délirant de l’heroic fantasy.

L’ambiance de mélange de cultures et de peuples donne une impression de se retrouver dans les restes de l’empire d’Alexandre le grand : un temple de quarante mètres fut réellement construit, 1500 figurants furent présents pour bien marquer la dimension de masse, alors qu’un faux serpent de onze mètres fut fabriqué, etc., avec aux manettes Ron Cobb, un illustrateur et chef décorateur qui participa auparavant à La guerre des étoiles (pour les extraterrestres) et Alien (pour le vaisseau), puis ensuite à Retour vers le futur par exemple, et dessina également le « drapeau de l’écologie ».

Conan le barbare

Arnold Schwarzenegger joue parfaitement la brute cherchant la dignité, sans trop de sérieux ni trop de stupidité, ce film lancera sa carrière ; James Earl Jones forme un sorcier-dieu, Thulsa Doom, absolument fascinant, oscillant entre mysticisme et sensualité, entre la conquête par l’épée et l’affirmation de la primauté de l’esprit, succombant à son propre esprit cruel de raffinement.

On a d’ailleurs une présentation ambiguë de ce fanatisme religieux envoûtant la population et ennemi de Conan : s’agit-il des religions ? Du mouvement hippie ? Du communisme ? Sans aucun doute un peu des trois, de la part d’un John Milius tout à fait représentatif de l’étroitesse de l’esprit américain en droite ligne de la culture du Far West. Le héros reste à la marge, inlassablement à la marge, dans l’esprit du western. Il n’y a pas la dynamique fusionnelle de la classe ouvrière au coeur de la démarche du film, d’où la logique de l’heroic fantasy (et de son équivalent, le space opera).

Conan le barbare
Conan le barbare est un grand classique du cinéma des années 1980, même s’il peut apparaître comme kitsch, il révèle dans sa substance même la question de l’héroïsme, du don entier de soi, au-delà de l’apparence d’un esprit « survivaliste » et patriarcal avec lequel le film n’a somme toute aucun rapport.

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Guerre

États-Unis : fin du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire

Donald Trump a annoncé que les États-Unis annulaient le Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire. C’est un pas de plus vers une situation de crise militaire mondiale, avec en arrière-plan la compétition américaine avec la Chine, afin d’empêcher un repartage du monde.

Number of warheads / year (USA, USSR/Russia)

Les années 1980 ont été extrêmement difficiles sur le plan psychologique pour les populations européennes, car la menace d’une guerre était omniprésente, d’autant plus que des missiles atomiques étaient disposés de part et d’autres des deux camps en présence. L’URSS avait à l’est disposé des missiles SS-20, tandis que les États-Unis plaçaient à l’ouest des missiles Pershing ainsi que des camions porteurs de missiles, les BGM-109G Gryphon.

De très nombreux films, notamment de science-fiction, reflètent cette angoisse apocalyptique (2010 le premier contact, Abyss, Wargames…), alors que de nombreux pays connaissaient de très nombreux mouvements d’opposition. L’Angleterre notamment a connu un énorme mouvement anti-armes atomiques et l’Allemagne un énorme mouvement anti-guerre, alors qu’également des attentats anti-OTAN ou anti-guerre se multipliaient en Belgique, en Allemagne, en Italie, en France, etc.

La situation a connu une rupture totale avec le Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire, qui mit de côté ces missiles à partir de 1988. Cela correspondait à l’effondrement de l’URSS sous le poids économique monstrueux de son gigantesque complexe militaro-industriel ; le nombre de têtes atomiques soviétiques dépassait largement celui des États-Unis, par exemple.

En supprimant les missiles dont la portée était entre entre 500 et 5 500 km, on sortait de la confrontation violente offensive, pour en revenir à une ligne de friction et de menace nucléaire générale en cas de conflit ouvert. Cet équilibre de la terreur empêchait une confrontation franche, mais non totale.

En annonçant la fin de ce traité, Donald Trump retourne à la position offensive, visant de manière implicite la Chine. Celle-ci n’a jamais signé le traité, n’étant à l’époque pas du tout concerné. Comme l’affrontement américano-chinois est à l’ordre du jour, les États-Unis prennent l’initiative, même s’ils prennent comme prétexte que la Russie n’obéirait plus au traité.

D’ailleurs, on ne s’y est pas trompé il y a déjà un peu plus d’un mois, lors de l’université d’été de la défense. La ministre des armées Florence Parly a donné le ton lors du discours de clôture, à l’École militaire, résumant la question stratégique :

« Le doute s’est installé : pourrons-nous toujours compter, en tous lieux et en toutes circonstances, sur un soutien américain ? »

Car les États-Unis ont une obsession : empêcher l’émergence de la Chine, qui compte remplacer les États-Unis comme puissance dominante du capitalisme mondial. Les États-Unis veulent conserver leur hégémonie, la Chine veut un repartage du monde. C’est la guerre qui se profile.

Les capitalistes d’Europe s’inquiètent donc de tout cela. Le chef d’état-major des armées, le général François Lecointre, a qualifié d’urgent et de clair l’objectif d’une « autonomie stratégique européenne » ; la ministre de la défense allemande, Ursula von der Leyen, présente à l’ouverture, a appuyé cette exigence d’une « Europe souveraine ».

En arrière-plan, il y a l’idée de former un troisième bloc, capable d’avoir bien plus de puissance que des pays seuls. Tout dépend ici du « couple franco-allemand », dont Emmanuel Macron est un partisan absolu, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen étant les représentants de la ligne du « cavalier seul ».

La seule position de Gauche possible ici ne peut être que l’affirmation du refus catégorique de la guerre et du militarisme, des valeurs guerrières et de l’esprit expansionniste, depuis les jouets sous la forme d’armes au budget de l’armée. Les peuples du monde veulent la paix, le capitalisme amène la guerre : il faut choisir son camp.

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Politique

Eugen Heilig – rassemblement illégal du Parti Communiste d’Allemagne, Berlin, 1932

Eugen Heilig est méconnu en France, il est pourtant un personnage important pour l’histoire de la photographie et l’histoire du mouvement ouvrier en général. Cette photographie en est un témoignage subtil.

Eugen Heilig

Sobrement titrée « rassemblement illégal du Parti Communiste d’Allemagne, Berlin, 1932. », la photographie n’est pas spectaculaire. Il émane néanmoins de cette foule une tension dramatique et même une certaine gravité. Cette sensation, le spectateur la doit à la qualité du travail de Heilig.

La composition est soignée. Si bien que, en dépit du fait que le cliché fût pris sur le vif, on peut affirmer qu’il n’y eut que peu de place pour la spontanéité lors de la prise de vue.

Ainsi, l’immeuble faisant face au spectateur est strictement parallèle au plan-film. Cela donne une rectitude parfaite à l’ensemble. Les bâtiments situés sur la partie droite de l’image forment une répétition de motifs et guident le regard vers le centre de l’image. Cet effet de recentrement est accentué par la ligne diagonale formée par les corniches de ces mêmes-immeubles. Le cadrage est pensé pour amener de la lisibilité à une scène qui pourrait sans cela paraître chaotique.

Le dispositif de prise de vue, à tout le moins le boîtier photographique, est tourné comme on l’a dit à l’exacte perpendiculaire du bâtiment d’en face. Il est disposé de manière à surplomber la foule. L’objectif est placé précisément à la hauteur de la tête du tribun. L’image de son corps ne souffre ainsi d’aucune déformation. Une grande profondeur de champ permet de percevoir un grand nombre de détails.

Mais alors, si la prise de vue bénéficie d’un tel soin, pourquoi le personnage central -et avec lui presque tout le premier plan- nous tournent-ils le dos ?

Eugen Heilig

La réponse à cette question est à rechercher en dehors des considérations formelles ou techniques.

Le rassemblement photographié est politique, ces gens sont communistes. Le titre nous l’indique. Les drapeaux situés à l’arrière plan et le poing serré levé au dessus de l’épaule du tribun le confirment.

Or, la prise de vue date de 1932, à la belle saison à en juger par les tenues légères des personnages et le feuillage des arbres.

Cette période est celle d’une agitation intense en Allemagne. En particulier à Berlin où, à côté des sociaux-démocrates du SPD qui ont choisi de s’organiser à part, et contre les nazis du NSDAP, les communistes du KPD livrent un combat résolu. Les communistes subissent la répression de la part des pouvoirs publics du fait des grèves et des agitations de rue qu’ils mènent. Le KPD créera cette année l’Antifascistische Aktion et s’imposera par les élections de juillet comme la troisième force politique du pays. Ne pas montrer les visages, c’est sûrement protéger des camarades contre le renseignement policier en cas de saisie des photographies.

Dans ce contexte de tension historique entre mouvements politiques antagonistes qui tiraillent la société et d’apprêté à déchirer l’ordre bourgeois, on comprend la gravité qui se lit sur les visages dans la foule. On est loin de l’enthousiasme du 14 juillet 1936 parisien de Willy Ronis

La bataille contre le fascisme et pour la création d’un état socialiste en Allemagne mobilise des volontaires dans tous les secteurs de la société. Eugen Heilig est membre du KPD depuis 1922.

Au delà de ses qualités techniques et artistiques, sa photographie doit permettre de comprendre les enjeux de l’époque. Aujourd’hui encore, elle fait le job. Cette image est un document précieux.

C’est que Eugen Heilig saisit l’importance du réalisme, non seulement en tant que recherche formelle comme pouvait le faire August Sander mais aussi comme démarche globale de production des oeuvres. Dans ce sens, il inscrit son travail dans le courant Arbeiterfotografie qui consiste dans la documentation photographique de la vie de la classe ouvrière. Depuis 1926, il édite dans ce sens la revue Der Arbeiter-Fotograf (le photographe ouvrier).

Dans le sillage des figures de proue de ce mouvement – dont Heilig est une des plus marquantes – ce sont bientôt des centaines d’ouvriers qui vont se grouper pour animer des clubs, dans toute la république de Weimar, exposant le point de vue de la classe ouvrière sur la société allemande.

Cette photographie est un parti pris artistique, politique et historique tout à la fois.

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Société

Avec No Society, Christophe Guilluy fait le choix du populisme

Dans son dernier livre No Society, Christophe Guilluy prolonge sa fameuse réflexion sur « la France périphérique » en dénonçant la disparition de la « classe moyenne occidentale ». Si ses constats sont très souvent justes et pertinents, il fait le choix du populisme plutôt que de la Gauche.

Christophe Guilluy est célèbre pour avoir formulé à travers plusieurs ouvrages ce qu’il appelle « la France périphérique », c’est-à-dire le fait que les classes populaires françaises vivent en périphérie des grandes métropoles modernes et dynamiques.

Ce n’est pas une simple description du phénomène périurbain mais une analyse assez précise d’un certain nombre de territoires, aux abords de ces grandes métropoles mais aussi de petites et moyennes villes, ainsi que des zones rurales.

Au fur et à mesure de ses travaux, il a présenté un panorama social-culturel assez fin de la France populaire, avec un discours très critique à l’encontre de la bourgeoisie vivant au cœur de ces grandes métropoles, une quinzaine en France.

Pour autant, sa géographie, qui est en fait plutôt une sociologie de l’espace, avait un style tout à fait universitaire, avec une démarche propre aux milieux universitaires. Il ne se présentait pas avec un programme politique ou une approche idéologique, mais comme simplement un commentateur extérieur se voulant utile, empochant l’argent de ses livres au passage.

Il a pourtant eu originellement une approche de gauche, il s’était adressé à la Gauche à ses débuts. Sauf que ses travaux ne sont pas compatibles avec le post-modernisme et les théories post-industrielles qui ont gangrené la Gauche, au Parti Socialiste puis partout ailleurs.

Il s’est donc retrouvé isolé, pour finalement être apprécié surtout d’une partie des populistes, souvent issus de la Droite, qui voyaient en lui un moyen de s’adresser aux classes populaires.

Il est évident que Marine Le Pen aurait voulu faire de Christophe Guilluy un penseur de son mouvement, et qu’elle a largement profité de sa pensée, bien qu’elle n’a pas pu le faire suffisamment.

On aurait tort pour autant de reprocher cela à Christophe Guilluy alors que, d’une part, il s’est toujours différencié du Front National devenu Rassemblement National et que, d’autre part, c’est la Gauche elle-même qui a refusé de voir les évidences qu’il décrivait.

Cependant, on peut aisément penser qu’il est déjà trop tard pour la Gauche, que Christophe Guilluy lui a échappé pour de bon. Car avec No Society, dont le sous-titre est La fin de la classe moyenne occidentale, il assume maintenant des choix politiques et une orientation idéologique.

Sa pensée n’est pas d’extrême-droite mais correspond à un courant national-républicain assez précis, qui trouve aujourd’hui écho avec une figure comme Natacha Polony et le magazine Marianne qu’elle dirige dorénavant. Le propos de No Society était déjà présenté dans le détail à Natacha Polony lors d’une émission à l’issue des élections présidentielles de 2017, sur la chaîne Paris Première, qui est pour le coup tout à fait bourgeoise et métropolitaine.

Ce courant, à défaut d’être lui-même populiste, est en tous cas largement ouvert au populisme, et sert directement le populisme. Le discours du théoricien de la « France périphérique » à propos des classes moyennes illustre tout à fait cela. Les classes moyennes sont érigées en mythe pour regretter une France d’avant, qui serait un modèle.

« C’est la situation qui prévalait durant les Trente Glorieuses, période où la plupart des strates sociales de la société, de l’ouvrier au cadre supérieur, avaient le sentiment d’être intégrées et de bénéficier des grandes mutations économiques et sociales de l’époque. »

Le constat n’est bien sûr pas faux puisqu’une grande partie des classes populaires, dont la classe ouvrière, a fait le choix de l’intégration. On peut même dire que le phénomène de « France Périphérique » qu’il a décrit relève en grande partie d’une volonté subjective propre à ce mouvement d’intégration au capitalisme, par le biais de la maison individuelle avec jardin accompagnée de ses deux automobiles par foyer.

Autrement dit, les classes populaires et la classe ouvrière en particulier ne sont pas tant exclues du cœur des grandes métropoles qu’elles les ont elles-mêmes fuit, tout comme elles ont fuit le centre des petites et moyennes villes qui se sont alors dévitalisées. La critique par exemple de la « gentrification » d’anciens quartiers populaires urbains que font les sociologues est ainsi tout à fait partielle, puisque négligeant cet aspect essentiel qu’il n’y a eu aucune résistance populaire à ce phénomène.

Il en est de même pour ce qui est des quartiers de HLM, les cités, qui ont été quitté massivement par la classe ouvrière française dans les années 1980 et 1990 à mesure qu’arrivaient des populations immigrées, mais pas après l’arrivée de ces populations immigrées.

Dans sa substance, ce mouvement remonte même aux années 1960 et 1970, où les cités HLM n’ont été considérés comme modernes et satisfaisantes que par une petite partie de la classe ouvrière, la grande majorité faisait par contre le choix, ou projetant le choix de l’habitat individuel, avec jardin et automobiles.

Le problème de l’analyse que propose Christophe Guilluy, et c’est là qu’elle sert le populisme plutôt que la Gauche, est de soutenir cette intégration au capitalisme en souhaitant qu’elle aille encore plus loin, plutôt que de la critiquer. La Gauche, en tous cas dans son essence historique, n’a jamais souhaité un compromis de classe généralisé, mais seulement des statut-quo temporaires, devant à plus ou moins long terme mener au socialisme, c’est-à-dire au pouvoir de la classe ouvrière puis à la disparition des classes sociales.

La Gauche en France a très bien vu ce phénomène d’intégration au capitalisme par le repli en périphérie, qu’elle n’a pas apprécié ; il est évident que cette « classe moyenne » périphérique relève bien plus de l’aliénation que de l’émancipation.

Le panorama social-culturel qui en résulte, avec la télévision, les autoroutes et les centres commerciaux, est absolument désastreux. Cela signifie ni plus ni moins que la soumission complète au capitalisme, avec des rapports sociaux presque entièrement soumis aux grands groupes capitalistes et leurs franchises, organisant la vie des gens de bout en bout.

Cela va de pair avec une démarche insoutenable par rapport à la nature et aux rapports naturels, ainsi qu’une domination féroce des pays pauvres, ce que l’on appelle l’impérialisme.

Christophe Guilluy ne reconnaît d’ailleurs qu’un aspect de cette domination impérialiste, avec l’immigration. Mais cela ne suffit pas, car on ne peut pas évoquer ce phénomène de la classe moyenne occidentale, avec comme il l’explique les ouvriers et les employés portant l’american way of life ou l’european way of life, sans comprendre qu’il n’est permit que par une division du travail à l’échelle internationale provoquant elle-même la désintégration de ce modèle.

Critiquer la fermeture des usines en Europe ou aux États-Unis est insuffisant, et donc populiste, si ce n’est pas pour remettre en cause le mode de production lui-même. La fermeture des usines n’est pas un phénomène allant à l’encontre du way of life des classes moyennes mais en est précisément le produit. Autrement dit, jamais il n’aurait pu y avoir une telle intégration des classes populaires à la société de consommation sans le made in China, et c’est ce made in China qui en retour bouleverse le modèle économique qui l’a engendré.

Il est absurde de prétendre comme le fait Christophe Guilluy que Donald Trump ne serait qu’une expression du mouvement réel des classes populaires américaines, alors que c’est précisément l’inverse qui est vrai.

« Ce soft power des classes populaires, qui porte la vague populiste en contraignant politiques et médias à aborder des thématiques interdites, contribue à un retour au mouvement réel de la société, celui de la majorité. »

La propre du populisme est de ne faire qu’une critique en surface du capitalisme, sur des aspects partiels, en proposant le repli comme dynamique et la réaction comme expression culturelle. Donald Trump ne représente pas l’expression autonome des classes populaires, mais leur amertume, ou en tous cas l’amertume d’une partie d’entre elles face à leur prolétarisation ou leur ré-prolétarisation.

On ne peut qu’être d’accord avec Christophe Guilluy quand il explique que « les années 1980 seront marquées par l’émergence de Canal +, quintessence de l’idéologie libérale-libertaire dominante. »

Mais sa démarche ne sert que le populisme quand il critique le cosmopolitisme et l’inconsistance de cette bourgeoisie moderne et libérale des grandes métropoles sans critiquer la bourgeoisie en tant que telle, ni l’accumulation du capital en tant que telle.

Du point de vue des classes populaires, et surtout de l’intérêt objectif de la classe ouvrière, le richissime Donald Trump ne vaut pas mieux qu’Hillary Clinton. En l’occurrence, en France, on considère même au contraire que ce que représente Marine Le Pen amène à court terme une perspective pire que celle portée par Emmanuel Macron. C’est pour cela que la Gauche n’a pas hésité à voter contre Marine Le Pen au second tour des élections présidentielles en 2017.

Que la bourgeoisie moderne et libérale des grandes métropoles se serve de cela est une évidence, ce n’est pas nouveau. Mais l’inverse est encore plus vrai, la critique de l’antifascisme fait perdre beaucoup de temps aux classes populaires en embrouillant leurs conceptions.

Il est ainsi très grave d’écrire :

« Présenté comme « populiste » (lire « fasciste ») par les classes dominantes, ce mouvement, conduit par une majorité, est au contraire fondamentalement démocratique. »

La critique du fascisme, et donc du populisme, a été théorisé par la classe ouvrière elle-même, jamais par les classes dominantes qui ne font que s’en servir partiellement, et seulement pour une partie d’entre elles d’ailleurs. C’est par essence une critique populaire et démocratique, et certainement pas l’inverse. Le populisme est par contre un détournement réactionnaire de questions démocratiques, en prétendant représenter les classes populaires alors qu’il ne fait que les enfoncer dans des conceptions erronées et des valeurs arriérées.

L’horizon défendu dans No Society est ainsi absolument détestable quand on est à Gauche.

Ce qui est expliqué finalement, noir sur blanc, c’est que la bourgeoisie ne devrait plus s’isoler dans les « citadelles » que sont les grandes métropoles mais devraient tendre la main aux classes populaires, pour que tout continue comme avant.

La crise endémique du mode de production capitaliste est bien sûr niée, au profit d’une grande illusion quant à la possibilité d’intégration à long terme de la population au capitalisme.

S’il n’appelle pas directement à céder au populisme, le propos de Christophe Guilluy dans No Society ne sert en dernière analyse que la diffusion de celui-ci. Ce thème des classes moyennes est d’ailleurs un thème tout a fait classique du pré-fascisme en France, dont le populisme actuel n’est qu’une expression moderne.

Eric Zemmour ne dit de toutes façons, au fond, pas autre chose que lui et Natacha Polony à propos des classes moyennes et du regret d’une France d’avant, pacifiée et intégrée, sans lutte de classe, sans contestation de la bourgeoisie. Le populisme n’est, dans cette perspective, qu’un moyen de capter les classes populaires pour les dévier de leur intérêt propre.

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Écologie

« En défense du régime naturel »

Percy Shelley était un poète anglais de la première moitié du XIXe siècle : né le 4 août 1792, il mourut le 8 juillet 1822. Il est l’un des principaux poètes romantiques anglais avec  John Keats à qui il dédia une élégie célèbre (Adonaïs), et Lord Byron avec qui il se liera d’amitié.

Joseph Severn - Posthumous Portrait of Shelley Writing Prometheus Unbound 1845

Shelley est aussi connu pour son athéisme et une critique très forte de l’Angleterre de son époque. Ainsi, dans son premier grand poème intitulé La Reine Mab ; un poème philosophique; avec des notes, publié en 1813, la dix-septième note contient ce qui deviendra un pamphlet : A Vindication of Natural Diet (En défense du régime naturel). A ce moment Shelley est devenu végétarien depuis peu, sous l’influence de l’un de ses amis, Frank Newton.

Ce texte est remarquable par sa dimension totale et son esprit romantique. Shelley n’est pas dans une démarche purement individuelle de pureté morale. L’idée centrale est que l’humanité s’est éloignée de sa vie naturelle et que cet égarement est la cause de tous ses maux : « Je considère que la dépravation de la nature morale et physique de l’homme trouve son origine dans ses habitudes de vie contraires à la nature. »

L’auteur en appelle à retrouver un paradis perdu, dans un élan romantique. Ceci l’amène parfois à s’emporter à affirmer des choses que l’on sait aujourd’hui fausses (comme l’absence de maladies chez les animaux sauvages), mais ces quelques excès n’enlèvent rien à la force et l’intérêt historique du texte.

A Vindication of Natural Diet n’a rien à voir avec la manière dont la question du rapport aux animaux est posée aujourd’hui en France et dans d’autres pays. Loin de l’esprit individualiste et de petits commerçants qui s’opposent à une véritable prise de conscience démocratique sur cette question, A Vindication of Natural Diet permet de se rendre compte que celle-ci se posait déjà il y a deux siècles et sous une forme diamétralement opposée : pleine d’espoir et dans le cadre d’une remise en cause de toute la culture d’une époque.

Il est très intéressant de constater que la critique du meurtre d’animaux va de pair avec celle de l’alcool : ni meurtre, ni ivresse au jardin d’Eden de Shelley. Ceci fait sens si l’on suit sa logique : le meurtre d’un animal dérègle l’âme et est la source de la folie des hommes, de la même manière l’alcool dérègle les sens et éloigne l’homme de sa pureté originelle. Loin de faire l’apologie d’un retour en arrière, la démarche de Shelley est tournée vers l’avenir et n’appelle aucunement à rejeter la civilisation.

Le texte entier est accessible ici, en anglais uniquement.

« On ne saurait être plus clair ! Prométhée (qui représente l’espèce humaine) rendit possible des grands changements dans la condition de sa nature, et l’appliqua d’abord à des fins culinaires. Il inventa ainsi un expédient pour cacher à son dégoût le spectacle horrible de la tuerie. Dès lors, ses organes vitaux furent dévorés par le vautour de la maladie. Laquelle consuma l’être humain sous toutes les formes de son infinie et détestable variété, incluant les ravage terrifiants de la mort violente et prématurée. Tous les vices nacquirent sur les ruines de la saine innocence. La tyrannie, la superstition, le commerce et l’inégalité furent les premiers à apparaître, alors même que la raison tentait vainement de guider les errances de la passion exacerbée.

[…]

La science humaine toute entière se résume à cette question : comment les agréments de l’intellect et de la civilisation peuvent-ils être réconciliés avec la liberté et les plaisirs purs de la vie naturelle ? Comment pouvons-nous conserver les avantages et rejeter les inconvénients du système, qui imprègne à présent chacune des fibres de nos êtres ? Je pense que s’abstenir de nourriture animale et de boissons spiritueuses nous permettrait, dans une large mesure, de trouver une solution à cette importante question.

[…]

Le crime est folie. La folie est maladie. Lorsque la cause de la maladie est découverte, sa racine, de laquelle procèdent tout le vice et toute la souffrance qui assombrissent le globe, sera exposée dans toute sa nudité au tranchant de la hache. Tous les efforts de l’homme, dès lors, pourront être considérés comme tenant à l’avantage bien compris de l’espèce. Aucun esprit sain dans un corps sain n’a recours au crime. C’est l’homme aux passions violentes, aux yeux injectés de sang et aux veines gonflées qui seul peut brandir le poignard du meurtre. Le régime naturel ne promet aucun avantage utopique. Il ne peut venir d’une simple réforme législative, tant que les passions furieuses et la propension au mal du coeur humain demeureront inassouvies. Ce régime frappe à la racine de tous les maux, et c’est une expérience qui pourrait être tentée avec succès, non seulement par les États, mais avant tout par de plus petits groupes humains, par des familles, et par des individus. »

[…]

Le prosélyte d’un régime simple et naturel qui souhaite jouir d’une bonne santé doit, dès sa conversion, se plier à deux règles :

N’absorbez jamais dans l’estomac une substance qui a eu vie.

Ne buvez jamais d’autre liquide que de l’eau rendue à sa pureté originelle par la distillation.

Des personnes suivant un régime végétal ont eu une longévité remarquable. Les premiers chrétiens s’abstenaient, selon le principe de la modification de leur chair, de manger celle des animaux.

Le Vieux Parr, 152 ans

Marry Patten, 136 ans

Un berger en Hongrie, 126 ans

Patrick O’Neale, 113 ans

Joseph Elkins, 103 ans

Élisabeth de Val, 101 ans

Aurangzeb, 100 ans

Saint Antoine, 105 ans

Jacques l’Ermite, 104 ans

Arsène, 120 ans

Saint Épiphane, 115 ans

Siméon, 112 ans

Rombald, 120 ans

Les raisonnements de M. Newton sur la longévité sont ingénieux et concluants :

« Le Vieux Parr atteignit l’âge de 152 ans. Tout homme peut être en aussi bonne santé qu’un animal sauvage. Donc, tout homme peut atteindre l’âge de 152 ans. »

Cette conclusion est trop timide. On ne saurait, en effet, supposer que le Vieux Parr ait échappé à l’hérédité des maladies, forgée par les habitudes contre nature de ses ancêtres. On peut en déduire que le terme de la vie humaine dépasse peut-être infiniment cet âge, si l’on considère toutes les circonstances qui ont contribué à abréger même celles du Vieux Parr.

Je veux ici remarquer que l’auteur et son épouse se nourrissent de fruits et de légumes depuis huit mois. Les améliorations de la santé et de l’humeur qu’il décrit plus haut sont donc tirées de se propre expérience. »

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Politique

« Pour un printemps du communisme »

Le texte « Pour un printemps du communisme » avait été proposé par des adhérents du PCF comme base commune alternative en vue du congrès extraordinaire 23 au 26 novembre 2018. Il n’a recueilli lors du vote du début octobre que 3 607 votes, soit 12% des suffrages.

Ce texte est une proposition qui représente une tendance très critique vis-à-vis du communisme et de l’héritage de l’URSS.

Tout à fait postmoderne, il ne s’inscrit aucunement dans la tradition du mouvement ouvrier et l’héritage de la classe ouvrière. Il reflètent le point de vue de gens participant ou ayant participé à des fronts communs « anti-libéraux » et voulant une alliance avec la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon. Il est quasiment illisible de par l’emploi massif de l’écriture « inclusive ».

PCF « Pour un printemps du communisme !»

Se réinventer ou disparaître ! Pour un printemps du communisme.

Nous sommes extrêmement inquiet·e·s à la lecture du projet de base commune soumis aux communistes par le Conseil national. Dans une situation de très grande difficulté pour notre Parti, devenu manifestement inaudible des classes populaires, le Secrétaire national avait annoncé sa volonté de faire du 38ème Congrès celui de notre « réinvention ». Ce mot très fort, à la hauteur de la situation, promettait un travail de complète remise à plat de nos conceptions, de notre projet, de notre organisation et de nos pratiques. Il impliquait une analyse sans concession des causes de notre grave affaiblissement, sur le long terme autant que dans les années récentes. Il devait ainsi permettre de déboucher sur les changements profonds qui nous permettraient de jouer à nouveau un rôle significatif dans la vie politique de notre pays.

Or le texte proposé ne tient pas ces engagements. De façon incompréhensible, c’est à peine s’il mentionne les difficultés auxquelles nous sommes confronté·e·s : comme si tout allait bien ou pas trop mal pour notre combat communiste ; comme si l’affaiblissement important de notre collectif militant, la diminution du nombre de nos élu·e·s, ou nos derniers résultats électoraux nationaux (1,93% à la présidentielle de 2007, 2,72% aux législatives de 2017) ne caractérisaient pas une situation critique.

Cette négation des obstacles à surmonter débouche inévitablement sur l’absence quasi totale d’innovation. La plupart des 48 « thèses » présentées ne font que reprendre des idées générales bien connues des communistes, sans aucune rupture avec nos textes de congrès précédents : analyse du capitalisme contemporain et exigence de son dépassement ; confrontation de classes en France et défense stratégique des « acquis » ; enjeux de la bataille idéologique et objectifs de rassemblement populaire ; importance des luttes et de victoires mobilisatrices ; nécessité d’une organisation communiste de masse et de l’amélioration de son efficacité… Ce texte ne répond donc en rien à l’objet d’un congrès « extraordinaire ». Quelles sont les causes de la situation dramatique dans laquelle nous nous trouvons ? Que devons changer de nous-mêmes, que devons-nous inventer et faire de nouveau pour redonner un avenir à notre combat ? À ces questions vitales, le texte ne répond pas car il ne les pose même pas. Pour l’essentiel, il propose de continuer comme avant, et, sur la stratégie, en revient à une tentative que nous avons faite sans succès voici plus de trente ans.

Quatre faiblesses majeures marquent la proposition de base commune du Conseil national.

1. La crise du communisme occultée

Le texte affirme que « le communisme est à l’ordre du jour de ce siècle », mais il ne dit pas un mot sur la crise profonde que traverse le mouvement communiste dans le monde depuis le tournant du XXIe siècle. Dans le cadre d’un congrès extraordinaire, nous ne pouvons faire l’impasse sur le fait que l’expérience soviétique, notre proximité historique avec l’URSS et l’échec des régimes de l’ancien bloc de l’Est aient durablement terni l’image du communisme et de notre Parti dans les esprits de la majorité de notre peuple. Il est encourageant de voir que selon un récent sondage, la jeune génération croit davantage à l’actualité du communisme que la génération de la guerre froide (« 72 % des 65 ans et plus estiment que le communisme est “dépassé”, contre 50 % parmi les 18-24 ans », dont 32 % pensent que le communisme est d’actualité). Il reste que seulement 18 % des personnes interrogées perçoivent les idées communistes et marxistes comme une « alternative crédible au système économique actuel ».

Comment réhabiliter la pratique et la théorie communistes pour qu’elles redeviennent porteuses d’espoir de changements réels ? Comment mettre en valeur les apports du communisme en France et dans le monde — apports dont nous pouvons être fier·e·s —, tout en reconnaissant les impasses du modèle soviétique ? Nous estimons que nous ne pouvons nous réinventer sans nous confronter directement à ces questions. Si nous voulons nous libérer des étiquettes étatistes, autoritaires, productivistes et autres, il faut redéfinir les propositions phares de notre projet. Si nous voulons être pleinement dans les luttes du XXIe siècle, il ne faut plus hiérarchiser les mobilisations, mais attribuer autant d’importance politique aux luttes « de classes » qu’à celles qui visent à l’émancipation des dominations liées au genre, aux prétendues « races », à l’orientation sexuelle, à l’environnement, etc. C’est donc à ces questions que nous consacrons la première partie de notre proposition de base commune alternative.

2. Une « orientation révolutionnaire » prisonnière de l’électoralisme

La proposition du Conseil national affirme en préambule « la nécessité du dépassement du capitalisme » et appelle à une « orientation révolutionnaire visant à sortir enfin de la société de classes ». Ce sont des idées centrales du projet communiste depuis le Manifeste de Marx et Engels. Cependant, au-delà de ces affirmations générales, le texte ne propose aucun renouvellement de ce que cela signifie d’être révolutionnaire aujourd’hui. Sans adapter notre stratégie révolutionnaire aux réalités de notre époque à partir d’une analyse précise des conditions économiques, politiques et sociales du capitalisme contemporain, nous ne serons révolutionnaires qu’en idée. Certes, il est bien question de « processus révolutionnaire » et non plus de grand soir. Le texte affirme aussi que « notre stratégie de conquête de pouvoirs ne se limite pas à l’État national » mais vise aussi la conquête de pouvoirs à l’échelle des entreprises, des collectivités, de l’Union européenne, etc (thèse 26). Cependant, le contenu de ces pouvoirs n’est jamais explicité, ni le chemin pour les conquérir. De fait, en donnant la priorité à la conquête du pouvoir d’État (thèse 25) et au fait d’avoir des élu·e·s dans les institutions (thèse 27), la « stratégie révolutionnaire » proposée par la direction reste prisonnière de l’illusion électoraliste — et ce sans même poser la question de l’effet de nos alliances électorales avec le PS sur notre crédibilité révolutionnaire.

Nous pensons quant à nous que, si toutes les conquêtes possibles de positions institutionnelles et de pouvoirs sont indispensables, la question du pouvoir d’État doit être articulée à ce que nous appelons, avec Marx et Jaurès, une « évolution révolutionnaire » qui dépasse le cadre des institutions. C’est pourquoi, dans une seconde partie de notre proposition de base commune alternative, nous avançons une nouvelle conception du processus révolutionnaire, remettant la question de la prise et de la transformation des pouvoirs institutionnels et du pouvoir d’État à leur place dans une « évolution révolutionnaire » visant prioritairement en tous domaines l’hégémonie des classes salariales et de l’ensemble des dominés.

3. Une stratégie à géométrie variable

Là aussi, l’absence de réflexion sur 40 ans de tentatives sans succès a de lourdes conséquences. Même l’échec du Front de gauche est expédié en quelques lignes, sans analyser les raisons pour lesquelles, dit pourtant le texte, « de 2012 à 2015 nous n’avons pu ou su renforcer le FG, ni faire de la profonde aspiration à l’unité de ses sympathisants, une force de cohésion empêchant son éclatement et élargissant sa dynamique ». Faute de réussir à lire et comprendre cette très longue et riche page de notre histoire, le Conseil national se condamne dès lors lui-même à la répéter. Comme en 1985 avec le « Nouveau Rassemblement Populaire Majoritaire » décidé par le 25ème Congrès (qui faisait suite au virage libéral de F. Mitterrand et notre sortie du gouvernement d’union de la gauche), il tire un trait sur l’objectif d’une construction politique à gauche. A la place, et sous couvert de « plasticité », il propose des constructions « évolutives et multiformes » (thèse 28) avec soutien aux luttes, espaces locaux ou thématiques « autour de nos propositions communistes », et forum politique national permettant des « campagnes communes » et des « constructions programmatiques ou électorales » avec des partenaires différents selon les cas (thèse 32). La stratégie à géométrie variable devient ainsi la règle. Et comme au 25ème Congrès, passe à la trappe l’idée même d’une construction politique durable à gauche. N’est-ce pas pourtant ce qui a permis de recréer l’espoir en 2012 avec, pour la première fois depuis 1981, un score du Front de gauche au-dessus de 10 % ? Et malgré les hésitations et atermoiements, de permettre la percée de J.-L. Mélenchon à près de 20 % en 2017 ? Nous pensons au contraire qu’il faut imaginer une construction politique nouvelle assurant la pleine autonomie et liberté d’action de chacune de ses composantes, tout en permettant de faire « Front commun » contre la droite et l’extrême droite. Nous y consacrons la troisième partie de cette proposition alternative.

4. Le retour au parti d’avant-garde

La critique essentielle qu’appellent les propositions du Conseil national pour transformer l’organisation du Parti est que, sur le fond, elles ne transforment pratiquement rien. De la conception générale aux propositions concrètes, ce que ce texte envisage aurait pu être écrit exactement de la même façon il y a dix ou vingt ans : mise en mouvement populaire, organisation des dominé·e·s et de la jeunesse, parti de masse présent sur les lieux de vie et de travail, importance de la formation, nécessité de grandes campagnes dans la durée, réseaux thématiques, directions plus démocratiques et efficaces, etc. Le seul ajout, hormis quelques aspects pratiques, concerne l’utilisation devenue incontournable des outils numériques. Pourtant, la nécessité d’inventer un nouveau processus révolutionnaire doit aboutir à une tout autre forme d’organisation de notre Parti. Il s’agit de passer d’un parti d’avant-garde, tachant de faire passer ses « propositions communistes » dans les masses, à une organisation qui permette aux femmes et aux hommes concrètement mobilisés dans les luttes de prendre leurs affaires en main et de décider directement en tous domaines et en toutes circonstances. C’est l’objet de la quatrième partie de notre texte.


A nos yeux, ce congrès est vraiment celui de la dernière chance. Beaucoup de communistes sont désemparé·e·s et démotivé·e·s ; d’autres quittent le Parti, presque toujours sur la pointe des pieds. Nous n’avons déjà presque plus la force de soutenir l’Humanité. Si nous n’avons pas la capacité collective de voir la réalité en face et de trouver les moyens de relancer notre combat, nous deviendrons, comme le Parti radical de gauche, une nouvelle « butte-témoin » d’un passé révolu.

Nous refusons cette perspective dramatique. Non seulement parce que nous tenons à notre Parti, mais plus encore parce que notre peuple et le mouvement révolutionnaire dans son ensemble en ont besoin. Après quarante ans d’un libéralisme échevelé qui a profondément abîmé notre pays comme le monde entier, nous vivons un moment de remise en mouvement des peuples qui cherchent par tous les moyens, parfois les pires, à sortir du scenario catastrophe que promet le capitalisme mondialisé. En témoignent sous nos yeux les luttes et leurs tentatives de convergence. En témoigne le rejet du statu quo – parfois identifié à « l’establishment » – qui bouleverse la situation politique dans notre pays mais aussi en Espagne, Portugal, Italie, Angleterre, Pays-Bas, Irlande, et même aux États-Unis et ailleurs. Ce qui manque cruellement, c’est une nouvelle perspective de dépassement du capitalisme. Elle se cherche, de mille manières. Mais elle aura d’autant moins de chances d’émerger et de s’imposer que le communisme, qui s’identifie à un tel changement révolutionnaire, sera absent de la scène politique.

Notre responsabilité est aujourd’hui celle-ci : donner au communisme une figure offensive, attractive, adaptée à notre époque et tirant les leçons du passé. Pour cela, nous avons besoin de beaucoup de réflexion et de travail, mais peut-être encore plus d’audace et de détermination à nous réinventer nous-mêmes. Bien loin de réduire l’enjeu à une simple question de personnes, ce congrès annoncé comme extraordinaire doit permettre aux communistes, enfin, d’avoir ce débat de fond, et de décider de leur avenir.

I. Pour un base-alternative-maquette du communisme

Le communisme a suscité au XXe siècle un espoir formidable pour des millions de personnes qui voulaient en finir avec la domination et les ravages du capitalisme. Picasso disait être « venu au communisme comme on va à la fontaine ». C’est dire combien cet engagement pouvait alors paraître évident et vital. Couronnant un grand siècle de révolutions, celle d’Octobre semblait ouvrir enfin les chemins d’un monde réellement humain. Notre Parti, comme d’autres à travers le monde, s’est construit sur cet immense espoir. En l’articulant à notre propre histoire et en l’ancrant dans les luttes de la classe ouvrière, il en a fait une perspective réaliste. C’est ainsi qu’il est devenu, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le premier parti de France.

Si les régimes dits de « socialisme réel » ont réalisé des progrès sociaux très importants pour leurs citoyen·ne·s dans de nombreux domaines, le manque de liberté et de démocratie politiques, la brutalité de la répression, les mésaventures économiques, les interventions militaires à l’étranger ont fini par trahir l’espoir d’un nombre croissant de personnes qui avaient cru aux idéaux communistes. Avec l’effondrement du monde soviétique à la fin du « court XXe siècle », le sentiment était désormais « qu’il n’y a pas d’alternative ». C’est cette fausse évidence, produit d’une conjoncture historique, qui a entraîné la crise généralisée du mouvement communiste mondial. Nous avons bien proposé un « socialisme démocratique », mais faute d’être porteurs d’une nouvelle conception du communisme, nous n’avons pas échappé à la crise qui touche sans exception l’ensemble des partis communistes du monde. Nous avons perdu ce qui faisait de nous les partisans d’une radicale alternative de société, et d’autres partis ont paru alors plus « utiles ».

La crise du communisme est d’autant plus dramatique que le capitalisme désormais mondialisé ne cesse d’entraîner l’humanité à des catastrophes en ce tournant du XXIe siècle. Crises financières et économiques, crises écologiques, crises politiques, crise des solidarités, montée des inégalités et généralisation de la précarité : dans un contexte de crise généralisée du système capitaliste, la critique radicale de ce système et la pensée de Marx retrouvent toute leur actualité. Pourtant, le communisme comme « mouvement réel » enraciné dans les luttes ET portant l’idéal d’un monde enfin débarrassés de toutes les formes d’exploitation, de domination et d’aliénation, peine à exister sur la scène politique.

On ne peut donc pas, comme le fait le projet de « base commune » du Conseil national, se contenter d’affirmer péremptoirement que « le communisme est à l’ordre du jour de ce siècle ». Il n’existe aucune nécessité historique pour que les crises du capitalisme entraînent mécaniquement l’avènement du communisme. L’histoire a montré au contraire que nous ne pouvons sous-estimer l’incroyable capacité du capitalisme de se remettre de ses crises ou de les prolonger pour une période indéfinie. Nous sommes convaincu·e·s que seul le communisme peut véritablement ouvrir la voie vers le dépassement de ces crises. Mais, terni·e·s d’une image étatiste, productiviste et autoritaire, associé·e·s à des expériences qui se sont soldées par un échec, nous arrivons mal à convaincre de la crédibilité de la voie communiste.

Nous ne pouvons pas nous résigner à cette situation. Nous portons avec les autres partis communistes dans le monde l’immense responsabilité historique que voici : faire renaître l’espoir dans le projet communiste, pour qu’advienne un printemps du communisme. Non seulement la fonction spécifique et l’existence de notre parti en dépendent ; mais surtout, la question désormais vitale du dépassement du capitalisme fait d’une revitalisation de notre combat la principale urgence politique. Notre premier objectif doit donc être de faire à nouveau du communisme une idée mobilisatrice en lui redonnant une portée émancipatrice et l’épaisseur concrète d’un mouvement ancré dans les luttes réelles dans les conditions d’aujourd’hui.

Pour cela, il est urgent de dresser un bilan lucide et critique en vue de notre réinvention. Nous pouvons être fier·e·s du rôle que notre parti a joué par le passé dans les réformes du Front populaire, dans la Résistance, dans la mise en place de la Sécurité sociale et du statut de la fonction publique, dans les nationalisations et dans bien d’autres domaines. Aujourd’hui, nos élu·e·s continuent de porter des politiques au service des besoins sociaux et écologiques. Savoir mettre en avant les apports positifs de notre parti pour contredire le discours négatif sur le communisme est essentiel pour renouveler notre image.

Mais si notre parti n’a pas échappé pas au déclin du mouvement communiste mondial, cela ne peut pas être dû uniquement à des raisons extérieures. Malgré nos textes de congrès, qui ne manquent jamais d’un « coup de chapeau » à la visée communiste, nous avons surtout travaillé à des programmes « de gouvernement » que notre faiblesse rendait d’ailleurs peu crédibles. Nous n’avons pas redéfini, au vu des échecs passés et des nouvelles conditions des luttes de classe, les principes, les objectifs et les moyens d’un projet actuel d’émancipation humaine. Pas plus n’avons-nous réussi à ancrer dans nos pratiques, notre fonctionnement, notre démarche, un rapport émancipateur entre l’individu et le collectif, entre égalité et liberté. Nous parlons d’émancipation, mais nous avons beaucoup de difficultés à l’éprouver, la faire vivre.

En lien avec tous les travaux théoriques et les expérimentations pratiques qui explorent les chemins nouveaux de l’émancipation — et qui connaissent un véritable bouillonnement en France et à l’étranger —, il faut revoir nos conceptions et notre projet sur nombre de questions. Il ne s’agit pas, dans le cadre de ce congrès extraordinaire, d’exposer tout un programme ni de définir de A à Z un projet communiste, mais de préciser quels changements nous devons apporter à nos conceptions et à nos pratiques pour pouvoir donner un nouvel élan à notre combat. Beaucoup de nos actions, dont nous pouvons être fiers, méritent d’être poursuivies et développées: luttes pour la paix, dans les entreprises, contre l’évasion fiscale, contre les inégalités de territoires, pour l’économie sociale et solidaires, la culture, etc. Nous limitons donc ici nos propositions à quelques questions, dans des domaines désormais stratégiques pour la lutte contre le capitalisme mondialisé d’aujourd’hui, sur lesquelles il nous faut impérativement transformer nos idées, nos positions et nos façons de faire.

A. Libérer le travail et la production de l’exploitation capitaliste par une authentique démocratie économique

En faisant prédominer nos stratégies d’alliance sur notre propre combat communiste, nous avons progressivement privilégié des compromis avec le capital — portant notamment sur le partage des richesses —, au détriment de la claire perspective d’une sortie du capitalisme. Cette perspective implique un processus d’avancées et de ruptures avec les logiques capitalistes pour aller vers la maîtrise intégrale des travailleurs et travailleuses sur les buts et conditions de leur travail. Notre combat se brouille si nous n’en faisons pas apparaître les objectifs fondamentaux et les étapes essentielles. Nous devons réaffirmer notamment notre volonté d’aller vers une « expropriation des expropriateurs » en allant progressivement vers un régime de démocratie économique qui ôte au capital tout pouvoir de domination sur la propriété et le travail.

1. Socialisation et démocratisation des structures économiques

L’un des fondements du communisme depuis le Manifeste de 1848 est l’idée « d’abolition de la propriété privée » des grands moyens de production et d’échange. Or, cette idée a été dénaturée par l’étatisation soviétique. Il faut que nous intégrions dans nos propositions programmatiques le fait que la seule propriété d’État ne garantit pas un fonctionnement plus démocratique des entreprises, avec des travailleur·euses plus libres et égaux. Nous sommes souvent passé·e·s à côté du potentiel révolutionnaire de nouvelles formes de partage, de production et de propriété collective dans la société, par exemple les communs de la connaissance, les plateformes numériques de l’économie collaborative et les structures juridiques qui les soutiennent. Nous ne pourrons redonner ses couleurs à l’idée communiste sans proposer une conception nouvelle de la socialisation et de la démocratisation des moyens de production et d’échange à partir de ce qui existe déjà. Un nouveau statut juridique des entreprises qui met fin à la mainmise du capital sur la production et l’appropriation des richesses est essentiel dans ce combat. C’est dans ce sens que nous devons soutenir les luttes contre les plans sociaux et les délocalisations, pour le développement des pouvoirs des salariés, les SCOP, la gratuité de services publics, de nouvelles nationalisations, etc.

2. Liberté au travail et salaire à vie

Nous battre pour l’emploi est certes indispensable, mais la perspective restera limitée, voire peu crédible à terme si nous ne faisons pas vivre concrètement l’idée qu’il y a une alternative historique à la subordination des individus au marché de l’emploi. Alors que les progrès technologiques continuent de réduire le besoin de travail humain dans de nombreux secteurs et d’éliminer définitivement des emplois, le marché de l’emploi reste quasiment le seul accès à de l’argent pour la majorité de la population, hormis les allocations du système de redistribution. L’épuisement et l’aliénation au travail, un taux de chômage chroniquement élevé, le chantage à l’emploi et la stigmatisation des bénéficiaires des aides sociales comme « improductifs » sont autant d’indicateurs que ce système arrive à bout de souffle.

Il est temps de redéfinir ce qu’est le travail et de révolutionner le mode d’accès à des moyens d’existence, en instituant par exemple un statut des « producteurs et productrices associé·e·s » et un régime de salaire à vie. Un tel régime socialiserait l’ensemble de la valeur économique produite et la distribuerait aux individus pendant toute leur vie selon une grille d’échelons progressifs, établis en fonction de critères décidés démocratiquement. Des activités socialement utiles, mais jugées « improductives » d’un point de capitaliste, seraient ainsi valorisées ; et les individus associés auraient plus de liberté pour choisir un équilibre entre vie professionnelle, formation et vie personnelle tout en bénéficiant d’une sécurité financière, car les droits seraient liés à la personne et non pas au statut d’emploi. C’est donc dans ce sens que nous devons soutenir les luttes pour le développement des droits des salarié·e·s et des chômeurs·euses, contre la souffrance au travail et le « burn-out », pour le temps et les moyens d’un travail bien fait, pour la réduction du temps de travail, pour un travail qui ait du sens et œuvre à l’intérêt général.

B. Démocratisation radicale et révolution citoyenne

Le « dépérissement de l’État » – comme instrument de domination du capital – doit être au cœur d’un projet d’émancipation. Il suppose une conception révolutionnaire de la démocratie, fondée sur la multiplication des formes d’auto-organisation et visant à l’égal exercice de tous les pouvoirs par tous les citoyens et toutes les citoyennes. Il faut pour cela fixer l’objectif concret d’une 6ème République qui dépasse radicalement la démocratie parlementaire par le développement permanent de toutes les formes possibles d’intervention citoyenne, l’institution de nouveaux rapports entre élu·e·s et citoyen·ne·s, la prééminence des assemblées élues sur les exécutifs, la parfaite transparence de l’action publique et une stricte séparation des pouvoirs. Ainsi, c’est pour un nouveau régime politique qu’il faut lutter. Il appelle par exemple une forme dé-verticalisée de toutes les institutions (y compris de notre parti), de même qu’une déprofessionnalisation de la politique.

Cette volonté de reprise du pouvoir sur nos vies doit nous conduire aussi à prendre à bras-le-corps des enjeux désormais cruciaux pour les libertés comme le pluralisme des médias (au point où l’on en est, il faudrait plutôt parler d’une séparation du conglomérat État/financiers et des médias), ou la maîtrise citoyenne des technologies, des nanotechnologies aux algorithmes de l’intelligence artificielle.

C’est dans ce sens, et en mettant nos propres pratiques en accord avec ces principes, que nous répondrons à l’immense discrédit qui atteint notre système politique, et aux aspirations à l’autonomie et l’intervention citoyenne qu’expriment des mouvements comme « les Nuits debout ».

C. Pour une nouvelle conception du développement humain sans hiérarchie des luttes émancipatrices

Le combat communiste s’est engagé entre le XIXe siècle et le début du XXe siècle, alors que les premières révolutions industrielles, qui promettaient une croissance potentiellement infinie de la production de richesses, entraînaient le développement d’une classe ouvrière nombreuse, relativement homogène et très prolétarisée. Ce sont les ouvrier·e·s du secteur industriel qui ont constitué alors la base sociale du mouvement communiste et qui sont devenu·e·s l’archétype du « prolétariat ».

Or, voici près d’un demi-siècle que les progrès techniques et les délocalisations suppriment les emplois industriels en France au profit de l’essor du secteur tertiaire. Selon les chiffres de l’INSEE, la classe ouvrière ne représente plus que 20 % de la population française active ou anciennement active, et la tendance ne va pas s’inverser. Près de deux tiers de la population se composent désormais d’employé·e·s, de professions intermédiaires, de cadres et de professions intellectuelles supérieures. Tout comme la classe ouvrière, ces populations dépendent de la vente de leur force de travail pour vivre et subissent elles aussi, à différents degrés, l’aliénation au travail. Pourtant, nous n’avons pas su nous adapter efficacement aux évolutions d’un salariat de plus en plus nombreux, mais aussi plus stratifié et divisé, de façon à ce que chacun de ses divers composants puisse se reconnaître dans le projet communiste. Faute de définition claire de notre bloc social et d’articulation entre les différents objectifs de lutte, nos tâtonnements n’ont convaincu ni les salarié·e·s des secteurs en essor que le communisme ne se réduit pas à la seule classe ouvrière, ni les ouvrier·e·s que les communistes ne leur ont pas tourné le dos. Notre base sociale s’est ainsi considérablement réduite.

Pendant longtemps nous avons pensé que les luttes devaient être hiérarchisées et que les “luttes sociales”, directement liées au rapport capital/travail, devaient être placée au sommet. Or, ces luttes ne sont pas le seul chemin pour saisir et combattre la domination capitaliste. La fin du capitalisme ne garantit pas non plus la fin des autres systèmes de domination incarnés par le sexisme, le racisme, ou le productivisme. Il est grand temps d’en finir avec une vision pyramidale des luttes et d’articuler les combats contre les différents systèmes de domination et d’exploitation (anticapitalisme, féminisme, écologie, antiracisme, etc.) dans une nouvelle conception de l’émancipation et du développement humains. Et de participer activement à toutes les actions — ZAD, universités expérimentales, pédagogies alternatives, etc. — qui cherchent concrètement à casser les codes de reproduction du système capitaliste et explorer de nouvelles façon de vivre et de travailler. C’est ainsi que nous pouvons atteindre le salariat et l’ensemble des dominé·e·s dans toute leur diversité et œuvrer à leur unité.

1. Pour l’abolition de toutes les formes de domination

Inscrire toutes les luttes et toutes les initiatives porteuses d’alternatives concrètes à l’ordre existant dans la perspective d’une société d’émancipation humaine suppose de prendre ces mobilisations telles qu’elles sont, en phase avec les évolutions et les besoins de la société. Faute de l’avoir fait, nous sommes longtemps passés à côté de celles qui, à partir des années 60/70, posaient des questions nouvelles liées notamment aux droits de la personne, et qui se sont alors développées en dehors et parfois contre nous. Nous ne devons pas commettre à nouveau de telles erreurs.

Le projet communiste vise à abolir toutes les dominations que le capitalisme tend au contraire à présenter comme « naturelles ». En donnant la priorité aux “luttes sociales” , nous avons trop souvent sous-estimé le caractère structurel de discriminations traversant les classes des salarié·e·s elles-mêmes, liées aux prétendues « races », au sexe, à l’orientation sexuelle, à l’âge, etc. Il nous faut au contraire mettre tous les combats émancipateurs au même niveau — par exemple, ceux des femmes contre les dominations masculines et le patriarcat, dont le mouvement planétaire déclenché par l’affaire Weinstein montre l’importance essentielle ; ceux des personnes « racisées » ; ou ceux contre une dénaturation islamophobe de la laïcité. Cela suppose de poursuivre l’actualisation de nos analyses et de nos conceptions pour penser ensemble toutes les dominations et poser en tous domaines la question de l’égalité réelle de tous les êtres humains.

2. Faire de la lutte contre tous les racismes une de nos grandes priorités politiques

Le chaos du monde actuel est propice à la montée de toutes les haines. Dans toute l’Europe, le racisme redevient, à grande échelle, un des instruments de la domination de classe. Tout est fait pour exacerber la concurrence des exploités et des dominés en criminalisant les migrants, les réfugiés et les roms; et pour placer l’islamophobie au cœur du dispositif idéologique car elle favorise tous les amalgames et place le débat sur le choc des civilisations. Inégalités sociales, précarisation du travail, assignations territoriales dans des quartiers délaissés de la République, discriminations racistes structurelles (embauche, logement, contrôle au faciès) se conjuguent pour mettre à l’index, en état de sous-citoyenneté, une part croissante de la population, et singulièrement de la jeunesse. Nous avons sous-estimé ce racisme institutionnel, injure quotidienne à nos principes républicains

Il est urgent de porter un anti racisme qui lie racisme et capitalisme, colonialisme et néo colonialisme, qui revendique l’égalité de traitement pour toutes et pour tous, qui agit contre toutes les formes de discriminations, d’humiliations et d’oppressions, qui combat avec force l’offensive xénophobe, qui lutte contre l’islamophobie et l’antisémitisme et toutes les formes de racismes, qui ouvre la voie du « tous ensemble » pour une société d’êtres humains égaux, libres et réconciliés

3. Pour un éco-communisme ambitieux

L’humanité prend conscience de sa place dans un monde fini à l’écosystème unique et entre de fait dans une nouvelle ère de son histoire, celle d’une communauté de destin. Il n’est pas exagéré de parler d’une dimension nouvelle et enthousiasmante de l’actualité de la pensée communiste. Mais aujourd’hui encore, nous avons le plus grand mal à nous investir réellement dans les luttes écologiques qui pourtant, fondamentalement, mettent en cause le modèle productiviste/consumériste du capitalisme et cristallisent à leur façon l’exigence d’une alternative de civilisation. C’est désormais un enjeu vital pour l’humanité, et une préoccupation grandissante dont témoignent la vigueur et la multiplication des mobilisations.

Nos priorités sont à la relocalisation des industries au plus près des territoires, au remplacement du modèle agro-industriel par une agriculture paysanne écoresponsable, au développement de l’économie circulaire afin que les déchets des uns soit la matière première des autres. Nous avons pourtant soutenu nationalement, contre toute évidence, le projet pharaonique de NDDL. Et notre ambition sur le plan énergétique se limite toujours à un contrôle public de l’énergie nucléaire à côté d’investissements dans les énergies renouvelables.

Si les luttes écologiques contre le nucléaire sont si intenses et de longue durée, c’est que cette énergie pose des questions anthropologiques qui devraient nous interpeller en tant que communistes. Bien que l’énergie nucléaire participe à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, elle implique aussi une hyper-centralisation étatique de sa gestion ou pire encore une gestion par le marché et les intérêts prives, comme à Fukushima. Elle a aussi ceci de particulier qu’elle transmet aux générations futures pour des centaines de milliers d’années la gestion des déchets radio-actifs. Qui peut aujourd’hui dire ce que seront nos sociétés dans 300 000 ans ? Notre conception communiste de la lutte pour le droit à l’énergie et contre le réchauffement climatique nous oblige donc à affirmer la nécessité d’une sortie urgente des énergies carbonées; et d’une sortie progressive et maîtrisée du nucléaire au profit du développement d’un mix électrique 100 % renouvelable. Une telle sortie du nucléaire doit retenir comme critère absolu un équilibre entre la satisfaction des besoins en énergie et la réduction des émissions de gaz à effets de serre pour que la fermeture de centrales nucléaires se fasse toujours au profit des énergies renouvelables et ne se traduise jamais par un recours aux énergies carbonées pour combler les besoins.

Ces luttes et ces exigences ne s’opposent ni au « progrès » ni à l’emploi, bien au contraire. Mais ce monde fini aux ressources limitées implique de changer de civilisation. Désormais il faut inventer un autre mode de développement fondé sur la sobriété, bannir le consumérisme qui gaspille et demande plus de ressources que la terre ne peut fournir, passer d’une société de l’avoir à une société de l’être. Le dépassement du capitalisme est de ce fait un passage obligé vers cette nouvelle civilisation de “bien vivre” humain.

4. Migrations : défendre la liberté de circulation et d’installation

La France s’est engagée depuis trente ans dans une logique de contrôle de l’immigration et de fermeture des frontières, les alternances politiques n’y changeant rien. Pire, les gouvernements successifs présentent des projets de lois indexés sur la surenchère de l’extrême droite. Les migrations actuelles, dans lesquelles les grandes puissances ont une responsabilité écrasante (effets de l’esclavage et du colonialisme, politiques néocoloniales, soutien et armement des conflits), ne cesseront pas dans les années et les décennies à venir du fait de nouvelles causes comme le réchauffement climatique. En 2015, la crise dite « des réfugiés » fut en réalité une crise de la construction européenne, car les gouvernements européens ont délibérément évité toute prise en charge matérielle et humaine de l’afflux des réfugié·e·s, ce qui a conduit à des milliers de morts aux portes de l’Europe. Il devient chaque jour plus évident que le bétonnage des frontières est une absurdité crimunelle.

Notre parti doit poursuivre et accentuer son soutien à toutes les mobilisations défendant les droits des migrant·e·s. Et nous devons nous engager pleinement dans la bataille idéologique qu’est la question de l’immigration. Mais l’indispensable solidarité finira par être débordée si nous ne posons pas cette question sur le plan politique et si nous ne mettons pas en débat une alternative émancipatrice à la réponse inhumaine et vaine du capitalisme. La seule façon de lutter contre les réactions racistes et identitaires, dont on voit déjà dans toute l’Europe les dégâts politiques, est d’associer notre conception de l’émancipation au parti-pris des migrant·e·s et à l’affirmation du droit imprescriptible de tout être humain à s’installer hors des frontières de son pays, ce qui, sauf exceptions marginales, est toujours lié à une situation de détresse vitale. Cette mesure est la seule qui permettrait immédiatement qu’il n’y ait plus de milliers de morts chaque année. Et il nous faut aussi affirmer frontalement l’exigence d’un autre ordre international, s’en prenant aux causes des migrations, tout en luttant sans ambiguïté pour le droit de circulation et d’installation de celles et ceux qui prennent le terrible risque de l’exode.

D. Reprendre le pouvoir sur les médias, démocratiser les technologies de la communication

L’espace médiatique et les industries de la culture sont massivement dominées par les forces du capital, qui marchandisent l’information et la communication, le divertissement et la culture, et les mettent au service exclusif de leur domination idéologique. Édition, presse, télévisions, radios sont aujourd’hui entièrement accaparées par une poignée de milliardaires qui imposent à tou·te·s leur récit : guerre des civilisations contre lutte des classes, fin de l’histoire contre révolution…

L’internet, qui s’est vécu un temps en espace de liberté, est lui-même menacé avec notamment l’attaque contre le principe de neutralité du net. Il est surplombé désormais par un petit nombre d’acteurs à la puissance inouïe. Puissance financière puisque la capitalisation boursière d’Alphabet (Google), Amazon, Facebook, Apple et Microsoft avoisine désormais le PIB de la France. Puissance politique avec notamment des capacités analytiques et prescriptives inédites des comportements humains, permises par des algorithmes toujours plus performants, déployés de façon omniprésente et indiscernable à travers l’internet des objets et qui s’insinuent dans l’ensemble de notre quotidien.

Ces dominations inédites dessinent les contours d’un projet éminemment totalitaire. Libérer les médias et les technologies de la communication des puissances de l’argent en affirmant leur stricte séparation d’avec les puissances financières et l’État est un combat communiste aussi important pour la désaliénation des esprits que celui qui, au début du siècle dernier, a permis d’arracher le principe de séparation des Églises et de l’État.

E. Gagner la bataille de l’Europe

La construction européenne est en train d’asphyxier le débat politique en mettant chacun des pays qui la composent face au choix impossible entre continuer de subir les traités néolibéraux ou sortir de l’Union. Echapper à ce dilemme est un impératif politique. Mais le changement de société du XXI siècle ne peut se concevoir dans un repli souverainiste étroitement national ; la souveraineté doit se concevoir à tous les niveaux, local, national, européen et mondial. Nous devons donc nous emparer de la grande idée européenne – à laquelle, malgré tout, l’immense majorité des Européens reste à juste titre attachée – comme d’une dimension essentielle de notre internationalisme, et faire d’une transformation de l’Europe une étape et un levier essentiel du combat pour faire vivre la possibilité d’une alternative à l’ordre capitaliste mondial.

La France dispose de nombreux moyens d’agir. Sa capacité de bloquer toute nouvelle adaptation de l’Europe à l’ordre mondial actuel ou de désobéir à certaines directives peut créer une situation insupportable pour les forces qui soutiennent le capital et imposer la renégociation des traités. Ce combat ne pourra se mener qu’au nom d’une autre construction européenne – une Europe à « géométrie choisie » qui n’obligera jamais aucun peuple à s’aligner sur des politiques qu’il refuse – et nécessitera de travailler à une dynamique européenne de rassemblement. Ce doit être désormais un objectif politique prioritaire qui suppose d’élever considérablement le niveau des nos objectifs et de notre engagement. Au-delà du Forum européen progressiste, il nous faut travailler à une nouvelle initiative de très grande ampleur que notre Parti, compte tenu de son histoire et de la place de la France en Europe, a la légitimité et donc le devoir de proposer à toutes les forces disponibles en France et en Europe.

F. Les nouveaux repères du communisme

Ainsi, sur ces questions comme sur tous les grands enjeux politiques, nous devons faire ce travail fondamental visant à reconstituer les principes et les repères d’une alternative communiste à l’ordre existant, et à les traduire en batailles concrètes. Il s’agit de dire en quoi elle consiste et donc le type de société vers laquelle nous proposons d’aller. Tant que nous ne pourrons pas dire ainsi, fondamentalement, « ce que nous voulons », nous resterons dans l’incapacité de combattre l’amalgame entretenu sans cesse par nos adversaires entre notre projet et l’image du communisme que l’histoire a laissée dans les esprits.

II. Un processus révolutionnaire démocratique et citoyen

Le Parti communiste doit être révolutionnaire. Non seulement parce que l’émancipation humaine exige d’en finir avec le système capitaliste pour aller vers un autre type de formation sociale. Mais aussi pour échapper aux catastrophes vers lesquelles ce système entraîne aujourd’hui l’humanité. Car notre époque est bien celle d’une immense crise mondiale, durable, affectant les sociétés dans toutes leurs dimensions profondes, crise de survie qui pourrait devenir, de la pire manière qui soit, une crise terminale susceptible même de provoquer à terme l’extinction de notre espèce. Comment croire qu’on pourrait conjurer de tels périls sans un radical changement de système, c’est-à-dire une révolution ?

Le capitalisme offre aujourd’hui à une poignée de personnes le pouvoir insensé de détruire toute vie civilisée. Mais il offre aussi à l’immense majorité la force de conjurer les dangers, grâce au développement et aux transformations sans précédent des forces productives, aux révolutions technologiques et à la montée des aspirations à vivre autrement. En un mot, les contradictions du capitalisme donnent à l’Humanité, comme le pronostiquait Marx, la perspective d’aller vers une société sans classes, sans domination, ni exploitation, ni aliénation. Travailler à cette perspective est la raison d’être fondamentale d’un parti communiste.

Encore faut-il que l’idée de révolution redevienne une perspective réaliste. Car cette grande idée, qui a mobilisé des millions de femmes et d’hommes sur tous les continents, a été dénaturée par les expériences révolutionnaires du XXe siècle qui, tout en se réclamant du progrès social, de la liberté et même du communisme, ont produit des systèmes brutaux et antidémocratiques. Ce fut une divine surprise pour les forces qui soutiennent le capitalisme : elles en ont profité pour mener une incessante campagne planétaire visant à assimiler communisme et fascisme et à stigmatiser symétriquement ce qu’elles appellent aujourd’hui « les extrêmes ».

Nous-mêmes, face à ce déferlement, avons fini par baisser la garde. Malgré nos textes de congrès, nous avons davantage mené campagne pour des propositions immédiates que des ruptures postcapitalistes ; nous nous sommes plus battus pour « la gauche » que pour le communisme ; et nous avons préféré utiliser des périphrases pour éviter le mot révolution. Mais au lieu de nous permettre de nous maintenir et moins encore de nous renforcer, nous avons ainsi gravement porté atteinte à la crédibilité d’un dépassement du capitalisme qui suppose évidemment des transformations révolutionnaires de l’ordre existant. Il nous faut donc travailler avec ténacité, sur le long terme, à réhabiliter l’idée de révolution en lui donnant, en théorie et en pratique, le caractère radicalement démocratique en accord avec les possibilités, les sensibilités et les consciences d’aujourd’hui. Et dire par conséquent comment, concrètement, nous concevons le processus révolutionnaire nouveau sans lequel l’émancipation humaine demeurerait un mot creux.

A. « L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ».

Cette idée fameuse, que Marx a introduite en 1864 dans le préambule des statuts de la Première Internationale, fait partie de l’héritage théorique du mouvement révolutionnaire. Le fait est pourtant que les expériences soviétiques et maoïstes ont fait tout le contraire. Dans les conditions spécifiques à chacune, elles ont toutes les deux débouché sur des systèmes politiques et sociaux oppressifs. Les travailleurs y étaient supposés déléguer la direction du mouvement de transformation sociale à des partis « d’avant garde ». Mais ceux-ci n’ont pas tardé à s’identifier à des appareils d’États dictatoriaux et à déposséder les travailleurs de toute possibilité d’initiative ou droit de décision. Bref, les expériences ont échoué dans ces pays à abolir de la domination de l’homme par l’homme, et le capitalisme y est renouveau florissant.

Nous avons à juste titre expliqué ces échecs par l’état d’arriération de ces pays qui n’avaient pas encore connu, au moment de leurs révolutions, la phase de développement économique, social, institutionnel et culturel liée au déploiement du capitalisme industriel. Leurs économies demeuraient fondamentalement agricoles et, dans la très grande majorité des cas, leurs classes ouvrières urbaines n’y représentaient qu’une partie minime de la population. La démocratie n’y était même pas embryonnaire. Dans ces conditions, les forces consciemment révolutionnaires étaient elles-mêmes très peu nombreuses, et l’unité du « prolétariat » inexistante. La mise en place des régimes « socialistes » n’a donc pas résulté du « mouvement de l’immense majorité dans l’intérêt de l’immense majorité », mais de conjonctures historiques exceptionnelles associant la déliquescence des pouvoirs en place, des guerres dévastatrices (14/18, 39/45, guerres civiles et sino-japonaise, etc.) et l’action de partis relativement peu nombreux mais très déterminés et souvent conduits par des dirigeants exceptionnels.

Des révolutions de cette nature supposaient des partis centralisés et disciplinés, dirigés d’en haut d’une main de fer, capables de conduire la « guerre civile » jusqu’à la conquête du pouvoir d’État, puis de devenir l’État lui-même pour imposer la transformation sociale par la « dictature du prolétariat ». Mais faute de pouvoir s’appuyer sur un soutien populaire suffisamment large, ils n’ont pu conserver le pouvoir qu’en s’imposant par la force. À long terme, de telles révolutions ont échoué principalement parce qu’au lieu de donner aux travailleurs et travailleuses la maîtrise de leur propre émancipation, elles les en dépossédaient complètement. Sans l’adhésion éclairée et active du peuple, le processus a inévitablement fini par se retourner contre lui.

Nous avons certes rompu depuis longtemps avec l’idée d’un « grand soir ». Mais faute d’imaginer un processus révolutionnaire de type nouveau, conduit par les travailleurs et les travailleuses elles-mêmes, nous sommes restés largement prisonniers d’une conception de l’action politique privilégiant l’occupation de positions institutionnelles et, dans les conditions d’un pays comme le nôtre, la stratégie électorale. Même en abandonnant le « centralisme démocratique », nous n’avons pas vraiment remis en question la forme verticale et monolithique du parti dont nous avions hérité avec les « 21 conditions » imposées par l’Internationale communiste en 1920.

B. Une « évolution révolutionnaire » hégémonique jusqu’à la conquête et la transformation du pouvoir d’État

L’histoire montre sans aucune exception que, à défaut de conscience populaire pour en soutenir activement les objectifs révolutionnaires, la conquête du pouvoir d’État est une illusion. Mais un siècle s’est passé depuis 1917, et nous ne sommes ni en Russie ni en Chine. La France est un des pays les plus développés du monde : 75 % de chaque classe d’âge y atteint aujourd’hui le niveau du Bac ; des partis et des syndicats libres y existent de longue date ; et les aspirations des citoyen·ne·s à prendre leurs affaires en main s’y expriment de mille manières, dont par exemple le fait qu’un Français sur deux appartient à une association.

Notre expérience est par ailleurs que, même sans prise du pouvoir, des transformations circonscrites mais profondes de l’ordre capitaliste peuvent s’imposer et perdurer dès lors qu’elles sont majoritairement soutenues. Ainsi, la séparation de l’Église et de l’État en 1905 a engagé un mouvement de recul très important de l’aliénation des consciences sur laquelle s’appuyaient les classes dominantes. La Sécurité sociale a fait sortir de la logique capitaliste un pan considérable de la satisfaction des besoins de santé et de protection sociale, dont la valeur représente aujourd’hui l’équivalent du budget de l’État. Le statut de la fonction publique a instauré les débuts d’un régime de salaire à vie pour des millions de salariés, assurant leur sécurité professionnelle tout en les libérant du marché de l’emploi. Et la loi Veil de 1975, malgré tous les efforts des forces conservatrices, a joué un rôle majeur dans l’émancipation des femmes. De telles transformations, que Jaurès aurait qualifiées de « réformes révolutionnaires », sont aujourd’hui encore « hégémoniques » dans les esprits, au point que l’immense vague néolibérale, réactionnaire et puritaine, qui balaie notre pays comme le monde entier depuis plus de quarante ans, n’a pas pu les rayer de la carte.

Ainsi, sans réduire la « révolution » à la seule prise du pouvoir, mais avec l’objectif d’une transformation radicale, se dessine la possibilité de ce que Marx, repris par Jaurès, appelait une « évolution révolutionnaire » qui abolit progressivement et durablement les mécanismes capitalistes d’un nombre croissant de domaines. La condition décisive de ce processus est le soutien populaire conscient et actif. Dès lors, le rôle essentiel d’un parti révolutionnaire devrait être de travailler à rendre hégémoniques à leur tour de nouvelles transformations « postcapitalistes » dont l’exigence s’exprime déjà dans la société par des luttes ou des pratiques alternatives à l’ordre social actuel.

Il en va ainsi de l’objectif de réduire massivement la durée du travail et d’élever le niveau des qualifications grâce au développement foudroyant des nouvelles technologies ; ou du développement du secteur coopératif, qui fait de chaque travailleur un copropriétaire de l’outil de travail et un codécideur dans l’entreprise ; de l’extension de la gratuité — c’est-à-dire la suppression des frais d’utilisation grâce à un financement socialisé — qui existe déjà pour certains services publics ; ou encore de l’extension d’un régime de salaire à vie à l’ensemble des travailleurs et travailleuses. C’est de façon générale dans ce sens, comme nous le disons plus haut, que nous devons donner la priorité absolue à la bataille idéologique, véritable nerf des luttes de classe, appuyant les mobilisations et initiatives visant à mettre fin au règne du capital sur les entreprises et le système financier, à démarchandiser la force de travail, à démocratiser réellement la République, à transformer l’Europe, etc.

Nous pourrons ainsi rendre à ses acteurs et actrices la maîtrise du processus révolutionnaire et concentrer l’essentiel de nos moyens et de nos efforts sur la conquête des esprits, enjeu décisif de l’affrontement de classes. En toutes circonstances – mobilisations, élections et vie institutionnelle, initiatives citoyennes et expériences alternatives, débats publics… – notre rôle de parti révolutionnaire doit être « d’aiguiller » le mouvement en l’éclairant sur le sens et la force de ce qu’il entreprend lui-même. Ce qui revient à inverser l’ancienne conception : non pas décider voire faire à la place des travailleurs, mais soutenir, nourrir et travailler à donner sens à ce qui se développe déjà dans le mouvement populaire.

Il s’agit donc d’un processus révolutionnaire de type nouveau qui ne fait pas dépendre les grandes transformations sociales de la seule « prise du pouvoir » centrale ni même de résultats électoraux favorables. La conquête de chacune de ces nouvelles « réformes révolutionnaires », jusqu’à leur inscription dans la loi, s’imposera parce qu’elle sera exigée par une majorité tellement importante que même des gouvernements qui y seraient sans cela farouchement opposés devront s’y résoudre, voire les engager eux-mêmes, pour ne pas perdre le pouvoir. C’est ce qui vient encore de se passer sous nos yeux avec la proposition d’E. Macron, le plus libéral des libéraux, d’un statut de l’entreprise qui ne se réduise pas à celui d’une société de capitaux, soit une idée avancée par les communistes – sans beaucoup d’efforts pour la porter, il est vrai – depuis 2001. Il n’y a évidemment rien à attendre de cette proposition du Président de la République, qui fera tout pour qu’elle reste sans aucun effet réel. Mais elle montre que la loi exclusive de la finance qui gouverne les entreprises fait grandir dans la société un rejet et une exigence de changement qui l’oblige à cette manœuvre en recul : « quand une idée s’empare des masses, elle devient une force matérielle ».

Pas plus qu’hier, les tenants du capitalisme ne se résigneront à de telles réformes sans mener bataille par tous les moyens possibles. Un tel processus suppose donc des mobilisations sociales puissantes et une intense bataille des idées. Il sera certainement long et difficile : qui pourrait imaginer le contraire ? Mais il peut s’appuyer sur la force depuis longtemps grandissante dans notre société de l’aspiration à prendre ses affaires en main et à s’approprier la maîtrise de sa vie et du destin collectif. En témoignent la multiplication des associations d’usagers dans les services publics, le mouvement complexe de l’Économie Sociale et Solidaire, la vigueur du mouvement associatif en tous domaines, la revendication lancinante de nouveaux droits et pouvoirs des salariés dans les entreprises, le rejet ultra-profond du modèle délégataire — c’est-à-dire dépossédant — de démocratie parlementaire, la crise des organisations politiques ou syndicales verticales, le mouvement « Me Too », les mobilisations et les luttes pour la dignité, la vérité et la justice dans les quartiers populaires, et même l’écho profond dans l’opinion de mouvements comme Occupy Wall Street ou Nuit debout qui revendiquent le droit à la parole égale et autonome.

C. Les enjeux de pouvoirs

Rendre hégémonique dans les esprits de grandes « réformes révolutionnaires » doit donc devenir notre priorité stratégique. Mais nous tomberions dans une nouvelle erreur si nous poussions le raisonnement jusqu’à l’absurde en affirmant, comme certains groupes gauchistes : « élections, piège à cons ». Des entreprises aux institutions, si les prises de pouvoirs à tous les niveaux (local, national et européen) ne permettent pas à elles seules une transformation sociale révolutionnaire, elles peuvent avoir une influence importante sur le contexte des luttes des classes dominées. En effet, celui-ci peut être plus ou moins favorable ou défavorable selon que les pouvoirs en place leur mènent une guerre féroce — comme Macron aujourd’hui et hier son modèle Mme Thatcher — ou qu’au contraire leur orientation tend à les rendre moins difficiles. À tous les niveaux, les institutions constituent par ailleurs des tribunes pour les positions défendues par les élu·e·s révolutionnaires ou au moins progressistes. En outre, les élections sont des moments importants de politisation dans la mesure où elles mobilisent les esprits — y compris ceux d’un grand nombre d’abstentionnistes — et stimulent le débat public, malgré un système médiatique profondément antidémocratique.

La conquête de capacités d’interventions à tous les niveaux, même si elle n’a plus le caractère central et décisif que lui attribuait la conception de la révolution par la prise du pouvoir d’État, fait au demeurant partie de la « guerre de positions » (Gramsci) qui permet aux classes dominées de jouer un rôle croissant et d’opposer dans tous les domaines des choix et des logiques alternatives à ceux du capitalisme (les effets de ce que l’on a nommé le « communisme municipal » en attestent). Et cela, jusqu’à ce que s’impose la nécessité d’un nouveau système institutionnel et politique adaptant l’organisation des pouvoirs à l’ordre social émergent, comme ce fut le cas pour la bourgeoisie face à « l’Ancien Régime ». L’objectif d’une Assemblée constituante, non pas comme objectif ultime mais comme moyen de rendre aux citoyen·ne·s la maîtrise de tous ces pouvoirs, prend alors tout son sens.

Mais contrairement à ce que nous avons fait notamment avec la stratégie « d’union de la gauche », nous devons renoncer définitivement à l’illusion consistant à croire que des positions électives ou gouvernementales pourraient justifier notre participation à des majorités menant des politiques conservatrices ou libérales. Nous avons lourdement payé le prix de telles expériences : écœurement, colère et démobilisation.

III. Notre stratégie politique : la question du rassemblement

Comme le fait la proposition de « base commune » du Conseil national, Pierre Laurent définit notre « parti-pris stratégique » comme « le combat qui permet, en toutes circonstances, au mouvement réel de la société de pousser le plus loin possible ses potentialités transformatrices ». On ne peut qu’être d’accord avec cette idée générale qui est de fait la nôtre depuis que nous avons abandonné la « dictature du prolétariat ». Mais toute la question est de savoir comment la mettre en œuvre, et surtout, comment articuler notre présence dans les luttes et nos batailles idéologiques avec une stratégie rendant crédible la perspective d’une alternative politique. Or le dernier demi-siècle nous pose de ce point de vue de très sérieux problèmes puisque, successivement, la stratégie d’Union de la gauche, puis celle du Front de gauche, se sont soldées par des échecs. De notre point de vue, cela oblige à faire une analyse critique de ces stratégies non pas seulement depuis 2009, en ne réfléchissant finalement qu’à la période du Front de gauche, mais depuis les années 60 et notre combat pour l’Union de la gauche.

Un point fait très largement accord dans le Parti: sans rassemblement de toutes celles et ceux qui ont intérêt à l’abolition de toutes les formes de domination, il n’y a pas de majorité possible. Personne en effet n’imagine que tout le monde pourrait dans une société comme la nôtre se rassembler derrière un même drapeau. En revanche, il y a débat sur deux points principaux : le périmètre et la forme du rassemblement.

A. Nos alliances avec la social-démocratie et la question de notre crédibilité

Le rassemblement de la gauche — c’est-à-dire de toutes les forces qui se battent et pour l’égalité et pour la liberté — est une nécessité pour créer une alternative antilibérale et pour s’opposer à la droite et à l’extrême droite. Mais on sait qu’il y a à gauche depuis toujours des forces qui visent une simple adaptation du capitalisme, et d’autres, dont nous sommes, qui pensent qu’il faut une profonde transformation anticapitaliste de la société.

L’une des principales leçons qu’il faut tirer de nos alliances électorales de longue date avec le Parti socialiste est qu’elles ont brouillé notre visibilité et notre crédibilité révolutionnaire. Notre affaiblissement s’est aggravé du fait qu’après des décennies d’Union de la gauche, nos zigzags et nos alliances à géométrie variable ont désorienté l’électorat populaire, qui a fini par ne plus savoir si nous combattions réellement la dérive néolibérale du PS, ou si nous nous y résignions. Le résultat est que, loin de pouvoir identifier en nous un recours, le vaste mouvement qui balaie un peu partout en Europe les partis social-démocrates ne nous a pas épargné. Sauf à être emportés nous-mêmes par cette vague de discrédit, nous ne pouvons poursuivre des accords électoraux avec les forces social-démocrates — au-delà de ceux qui visant à battre la droite et l’extrême droite — que lorsque les rapports de force garantissent la mise en œuvre de politiques anticapitalistes permettant une nette amélioration de la vie des classes dominées. Dans nos rapports avec le PS, ce n’est plus le cas depuis longtemps.

B. Pour un « Front commun » de toutes les forces de transformation sociale

Dès lors que notre affaiblissement s’est accompagné du développement d’autres forces critiques du capitalisme, notre stratégie doit viser à les faire converger pour leur donner, ensemble, un poids politique suffisant. C’est ce que nous avons commencé à faire après 2002, notamment lors de la bataille du référendum de 2005 puis avec le Front de gauche. Mais nous n’avons pas pu ou voulu tenir ce cap.

La nécessité de faire converger les forces de transformation sociale est aujourd’hui une évidence politique. Leur division a conduit à l’éparpillement et à l’impuissance entre 1988 et 2007. Leur rassemblement dans le Front de gauche en 2009 a rendu possible, malgré nos hésitations, l’essor d’une dynamique nationale et des résultats électoraux sans équivalent depuis Jacques Duclos en 1969. Mais sous sa forme d’un cartel de sommet, tenant à distance les citoyen·ne·s, cette expérience a fini par échouer elle aussi. Nous portons notre part de responsabilité dans cet échec. Nous n’avons pas voulu investir pleinement le Front de gauche et créer les conditions d’un véritable élargissement à celles et ceux qui se considéraient comme Front de gauche sans pour autant vouloir en rejoindre une des composantes.

Nous n’avons pas non plus fait le choix d’une démarche cohérente sur le plan national, donnant à voir une ambition et être identifié clairement. Nos stratégies à géométrie variable en fonction des scrutins et des territoires nous ont rendus illisibles et ont cassé la construction d’une dynamique de rassemblement durable sur le plan national. Pendant le quinquennat de François Hollande, nous avons commis des erreurs d’appréciation sur la situation politique — non seulement sur ce qu’était devenu le PS, mais aussi sur l’évolution d’une part de ses électeurs, et sur l’ampleur de son rejet par l’électorat. En délaissant le FdG dans de nombreux scrutins locaux et en privilégiant les frondeurs du PS au niveau national, nous avons laissé en friche un espace où la France insoumise a pu se développer. Cette erreur d’appréciation sur la réalité politique dans le pays a entraîné un sérieux désaccord stratégique puisque, alors que la direction de notre parti cherchait un impossible rassemblement de toute la gauche, Jean-Luc Mélenchon voulait une rupture claire avec un PS en plein discrédit. L’impasse est venue de l’impossibilité d’apporter une solution à ce différend, conduisant à la rupture.

La dynamique de la campagne de JLM en 2017 va bien au-delà de celle de 2012, en particulier dans l’électorat populaire, celui-là même qui a eu le plus à souffrir des renoncements du PS. Un électorat qui, même si sur quelques territoires il le recoupe, dépasse bien largement le cadre du vote communiste. Cela doit nous interroger sur les ressorts de cette dynamique, sur les motivations profondes de ce vote.

Malgré l’échec, le Front de gauche est une expérience politique qui a montré des potentialités. Il est donc nécessaire de la reprendre pour aller au-delà et faire de notre parti un outil au service d’une nouvelle forme de rassemblement des forces de transformation sociale. Dans le respect d’un socle commun, un tel rassemblement doit garantir à chacune de ces forces la complète liberté de ses propres combats – pour nous, porter l’ambition communiste – et contribuer ainsi à la dynamique générale. Il doit leur permettre de mener ensemble les batailles qui leur sont communes et de proposer des programmes et des candidatures d’union lorsque les circonstances et le système électoral l’exigent. C’est ce que nous appelons un « Front commun », espace politique de bouillonnement des partis, mouvements, citoyen·ne·s, intellectuel·le·s, artistes, personnalités au service de la mobilisation populaire.

Dire que Jean-Luc Mélenchon n’est pas prêt aujourd’hui à s’engager dans une telle démarche est une réalité, mais aussi l’aveu d’un manque de propositions et d’initiatives nouvelles de notre part pour répondre aux attentes actuelles des citoyens d’autres façons de faire de la politique et de se rassembler. « L’union est un combat », et si nous ne le menons pas, la division, l’éclatement et l’impuissance continueront de dominer. Parce que les communistes ont toujours l’objectif, comme le disaient Marx et Engels, de représenter les intérêts du « mouvement prolétarien » dans sa totalité, il leur appartient une fois de plus de proposer des formes qui permettent la convergence des forces de transformation sociale. Le communisme politique en France n’a jamais été aussi fort et utile que lorsqu’il a été capable, dans les conditions du moment, de porter une perspective de rassemblement. Cela implique, avec lucidité et ambition, de faire vivre culturellement et politiquement ce nouveau rapport aux autres !

C. Un audacieux travail de rassemblement

La géographie de la gauche est totalement chamboulée et l’émergence et l’installation dans le paysage de LFI appellent de notre part à prendre en compte une réalité assez inédite. Inédite, par exemple, par la faiblesse globale de la gauche (moins de 30 %), ce qui impose un effort de reconquête sans précédent. Inédite aussi parce que pour la première fois depuis des décennies, c’est bien un projet clairement antilibéral qui est arrivé en tête de la gauche et qui a rassemblé l’essentiel de l’électorat de la gauche de transformation sociale.

Dans cette phase post présidentielle nous sommes donc confrontés à une reconfiguration sans précédent de la gauche. LFI veut y confirmer une place prédominante à l’occasion des prochaines européennes — un scrutin qui peut lui être favorable, mais qui masque un défi qui sera incontournable pour elle : celui des municipales, départementales, régionales de 2020 et 2021. Si LFI ne fait pas la démonstration qu’elle peut être utile pour gagner, alors elle peut connaître un fort mouvement de reflux d’ici les échéances de 2022 et prendrait la responsabilité d’une désespérance supplémentaire à gauche.

Aujourd’hui les hommes et les femmes que nous ambitionnons de contribuer à rassembler sont éparpillé·e·s. Les repères politiques sont parfois confus et l’image de la gauche est très abîmée auprès d’une large part d’entre-eux. L’Appel pour le 26 mai est l’illustration d’une gauche très diverse, et en même temps des millions d’exploité·e·s ne s’y retrouvent pas ou sont en attente. Il est nécessaire d’œuvrer au rassemblement le plus large de ces hommes et femmes et des organisations qui, pour une partie, les incarnent.

Autant nous considérons que les forces de transformations sociales doivent se rassembler, et que LFI y a évidemment sa place, autant nous sommes persuadés que ce rassemblement ne pourra se faire sans un Parti communiste absolument indépendant et vigoureux. Nous avons donc une double responsabilité: travailler inséparablement à un nouvel essor de notre Parti, et à la construction du Front commun permettant de recréer l’espoir.

Pour cette raison, tourner le dos à la FI au motif que J.-L. Mélenchon ne veut pas aujourd’hui de rassemblement à gauche reviendrait à abandonner notre électorat historique et serait pour nous suicidaire. Nous devons au contraire nous battre pour la mobilisation et l’élargissement de l’électorat qui aspire à une profonde transformation sociale, et donc pour un rassemblement avec la FI et toutes les forces décidées à mettre en cause l’ordre néolibéral. Dans ce combat pour l’union, comme au sein du rassemblement politique qu’il vise à construire, nous devons critiquer sans concession les tentations populistes, mener tous les débats qui le traversent et faire avancer les positions communistes.

D. Les échéances électorales à venir : européennes, municipales et au-delà

Créer les conditions de nombreuses conquêtes électorales de la gauche de transformation sociale implique de lancer pour les prochaines échéances électorales une grande bataille politique pour des listes de rassemblement. Les élections européennes de 2019 et les municipales de 2020 sont l’occasion de tourner la page des divisions qui ont lourdement hypothéqué les législatives de l’an dernier. Nous avons tous fait l’expérience du coût politique et électoral des luttes fratricides qui les ont marquées : nous-mêmes avec le pire résultat en nombre de voix de notre histoire ; la France Insoumise avec un score très inférieur au potentiel qui s’était exprimé au premier tour de la présidentielle. Depuis, les élections législatives partielles ont confirmé cette réalité.

1. Les élections européennes de 2019 : des listes transnationales rassemblant toutes les forces de la gauche antilibérale en Europe

Dans ces conditions il est catastrophique de décider en l’état la constitution de notre propre liste aux élections européennes, même si cette décision est aujourd’hui assortie de l’annonce très vague de notre disponibilité « pour travailler à la jonction de cette liste avec d’autres forces sur des objectifs convergents de transformation de l’Europe ». Allons-nous faire le choix du solo funèbre qui, compte tenu de la règle des 5%, nous condamnerait plus que probablement à n’avoir aucun·e élu·e au Parlement européen ? Nous pensons au contraire que c’est une urgence absolue de faire une proposition audacieuse et hardie de listes transnationales rassemblant l’ensemble des forces de la gauche antilibérale en Europe.

Rappelons-nous que les différences de position entre les diverses composantes de la gauche antilibérale ne portent pas fondamentalement sur la nécessité d’autres politiques européennes, mais sur la stratégie permettant de les rendre possibles. Le rejet de l’actuelle construction européenne est si profond et même violent que réussir à rassembler dans la même démarche toutes les forces de la gauche antilibérale en France et en Europe, pourrait être un électrochoc capable de changer complètement la donne. Nous proposons donc que notre Parti lance à toutes ces forces la proposition de listes communes coordonnées à l’échelle de l’Union européenne. Et que nous menions une bataille de dimension européenne afin d’en faire grandir l’exigence.

2. Les municipales de 2020 : lancer des assemblées citoyennes et franchir un nouveau pas vers un « Front commun »

Les élections municipales sont celles qui suscitent le plus fort investissement citoyen. Après les européennes, elles peuvent donc constituer, si nous en décidons ainsi, un nouveau grand moment de retrouvailles et de convergence entre toutes les forces politiques et citoyennes, avec toutes les femmes et tous les hommes qui veulent s’opposer à la politique d’E. Macron. Les raisons d’engager cette convergence ne manquent pas : le démantèlement de la démocratie locale, la réduction des moyens des collectivités territoriales et les coupes insupportables dans les services publics. Là aussi, l’idée vague de rassemblement à géométrie variable nous rendrait une nouvelle fois complètement inaudibles et préparerait une nouvelle catastrophe électorale.

Ces élections municipales peuvent au contraire conduire à de grands succès si elles permettent de nourrir l’espoir à gauche en franchissant un nouveau pas vers la construction d’un « Front commun » beaucoup plus large que le Front de gauche, permettant l’implication concrète des citoyen·ne·s et leur contrôle constant du processus politique et électoral. En y jouant pleinement son rôle de fédérateur des forces de changement, notre parti y retrouvera visibilité, crédit et attractivité et ne peut qu’en sortir renforcé.

Nous proposons donc de lancer dès maintenant la constitution d’assemblées citoyennes locales visant à préparer cette échéance, d’y inviter toutes les forces de la gauche antilibérale ainsi que toutes les associations et mouvements citoyens, et de mener activement campagne pour convaincre et faire avancer ce projet.

3. Les élections de 2021 et 2022 : une préparation citoyenne inédite

Là aussi, la poursuite d’alliances à géométrie variable nous rendraient une nouvelle fois complètement inaudibles. Les élections départementales et régionales de 2021 doivent nous permettre de faire exister et ancrer dans le paysage politique le « Front commun » capable de recréer l’espoir à gauche, et de développer une nouvelle dynamique de mobilisation et d’implication citoyennes. Sur ces bases, les élections présidentielle et législatives de 2022 pourraient se préparer de façon tout à fait nouvelle : avec le concours de toutes les forces politiques parties prenantes, et sous le contrôle des citoyen·ne·s engagé·e·s dans cette démarche et qui garderaient de bout en bout – stratégie, programme, candidatures – la maîtrise du processus.

IV. Pour un parti ouvert, démocratique de fond en comble, divers et uni

Un « Front commun » serait stérile sans un renforcement significatif du Parti communiste — un Parti communiste renforcé qui puisse mener librement son combat pour le dépassement du capitalisme. Mais quel Parti communiste ? La stratégie révolutionnaire visant à permettre l’émancipation des travailleurs par eux-mêmes suppose une forme d’organisation bien différente de celle qui prétendait remettre la direction du mouvement prolétarien à un parti d’avant-garde. L’essentiel du pouvoir était alors donné à des dirigeants conçus comme les gardiens du « socialisme scientifique », alors que l’appareil du parti avait pour tâche de relayer les consignes de la direction jusqu’aux militant·e·s et aux « masses ». Désormais, il faut au contraire partir de la capacité des femmes et des hommes engagés dans les luttes postcapitalistes à maîtriser eux-mêmes le processus de transformation sociale dans toutes ses dimensions.

A. Pour un parti de « l’intelligence collective » et de la souveraineté militante

La notion d’intellectuel collectif n’est pas nouvelle. Le texte proposé par le CN en parle à nouveau, mais il continue de l’entendre comme le fait de faire partager au plus grand nombre, à l’intérieur et à l’extérieur du parti, les analyses et les propositions élaborées centralement par la direction du Parti ou les commissions nationales. À une époque où le « prolétariat » était très majoritairement peu éduqué, il y avait ceux qui savaient et décidaient, et ceux qui devaient apprendre et exécuter. Gramsci avait même théorisé le fait que, dans ces conditions, la classe ouvrière devait s’assurer le concours « d’intellectuels organiques » qui lui étaient nécessairement extérieurs.

Aujourd’hui, en revanche, quand les trois quarts de chaque génération nouvelle atteint un haut niveau d’éducation et que les intellectuel·le·s les plus qualifié·e·s sont dans leur masse victimes de l’exploitation capitaliste, cette conception est obsolète. Les classes dominées disposent désormais en leur propre sein des capacités et de l’ensemble des savoirs leur permettant de comprendre les ressorts de la domination qu’elles subissent et d’inventer les moyens de la combattre. Par conséquent, la fonction d’un parti révolutionnaire, et même de sa direction, doit changer. Elle n’est plus de penser et décider à la place des dominé·e·s, mais de contribuer par tous les moyens possibles à ce qu’elles et ils pensent et décident directement.

La structure pyramidale permettant de faire « descendre » le savoir et les décisions du haut en bas doit laisser la place à une forme beaucoup plus ambitieuse d’organisation permettant à chacun·e de celles et ceux qui sont engagé·e·s dans les luttes postcapitalistes de contribuer à l’intelligence collective et de prendre ensemble toutes les décisions. Il s’agit donc aujourd’hui de donner un sens très concret à l’idée de l’émancipation des travailleurs par eux-mêmes. Leur souveraineté ne doit pas être déléguée : partout et à tous les niveaux, du local au national et au-delà, la conduite du mouvement de transformation révolutionnaire de la société doit se trouver directement entre les mains de celles et ceux qui sont engagé.e.s dans l’action.

B. Pour une autonomie renforcée des sections, dans le respect des orientations nationales

Dès lors, le niveau le plus décisif de l’organisation est celui qui se trouve directement en relation avec les mobilisations. C’est là qu’il est possible d’en apprécier les conditions concrètes pour participer aux choix des objectifs et des formes d’action, d’en mesurer les résultats et d’en tirer les leçons. C’est aussi à ce niveau que peuvent se tisser les relations personnelles qui sont aujourd’hui comme hier une dimension-clé du lien de confiance qui doit se construire entre un parti révolutionnaire et les classes populaires.

Aujourd’hui ce lieu de proximité existe : c’est la section. C’est là, et non au somment, que tout doit se débattre et se décider démocratiquement, depuis les choix concernant l’action immédiate et locale jusqu’aux orientations politiques fondamentales rassemblant toutes celles et ceux qui entendent faire vivre un parti communiste. C’est pourquoi il faut donner aux sections une place plus importante, notamment au moyen de congrès composés de délégué·e·s de sections et non plus de délégué·e·s départementaux. L’échelon départemental doit se limiter à son rôle de coordination et de mutualisation de l’activité des sections.

Les sections et les communistes en lien avec elles agissent dans le respect des orientations fondamentales et des choix stratégiques décidés nationalement lors de nos congrès. À l’intérieur de ce cadre, chaque section, ou les communistes en lien avec elle, peut prendre l’initiative de s’engager dans des collectifs « de base », locaux ou thématiques. Chaque collectif doit donc avoir la maîtrise souveraine de sa propre action et une pleine capacité à se lier avec d’autres pour agir ensemble à l’échelle d’un territoire ou d’un enjeu. Lorsque c’est le cas, chaque collectif de base concerné désigne tout aussi souverainement ses délégué·e·s à un niveau plus large, non pas pour diriger mais pour coordonner l’action et pour s’y exprimer au nom du Parti. Mais toutes les décisions qui y sont nécessaires doivent être prises par l’ensemble des participant·e·s aux collectifs « de base » engagés dans l’action, en recourant lorsque c’est nécessaire au débat et au vote électronique, ou en organisant des congrès locaux qui peuvent être rapides et consacrés à du travail précis sur des ordres du jour limités.

C. Construire le commun de bas en haut

Le principe fondamental de souveraineté des femmes et des hommes engagés dans l’action pourra donc avoir pour conséquences des choix différents d’une lutte à l’autre, d’un endroit à l’autre, en fonction des circonstances, des enjeux et des expériences. La cohérence d’ensemble relève de l’exigences de respect des orientations décidées nationalement lors des congrès. Et la diversité des choix locaux, dans la limite du respect du cadre national, doit aussi permettre de construire de l’expérience et de la réflexion communes, ainsi que des choix communs.

En toutes circonstances, ce commun doit se construire du bas vers le haut. Là où la direction du Parti (Conseil, Comité exécutif ou Secrétariat national) dirigeait avec l’aide de commissions qu’elle-même désignait dans les différents domaines (économie, éducation, culture, politique extérieure, etc.), toutes les décisions doivent désormais être prises par l’ensemble des communistes, soit par des congrès nationaux qui peuvent être des réunions de travail sur des objets précis et limités, soit par des votes de tous les adhérent.e.s.

Dès lors, les « commissions nationales » doivent être remplacées par des collectifs spécialisés composés de délégués démocratiquement désignés par les collectifs locaux équivalents. Ces collectifs seront chargés non pas de conseiller la direction mais de préparer la prise de décisions des communistes et d’en organiser la mise en œuvre. Les « dirigeants·e·s » doivent laisser la place à des porte-paroles élu·e·s (et le cas échéant révoquables) par les collectifs spécialisés. Comme dans le cas de l’activité des sections, l’unité du Parti sera assurée par la constitution d’un socle de choix et d’orientations communes que les communistes élaborent en congrès nationaux et qu’elles et ils s’engagent à respecter.

Cette dynamique demande à ce que l’horizontalité soit appuyée par des outils nouveaux, simples et accessibles, rendus possibles par la révolution numérique. Celle-ci doit contribuer à la transformation de notre Parti pour œuvrer à un communisme 2.0.

D. Pour un parti plus ouvert aux non adhérent·e·s

Lorque l’appareil du Parti avait pour fonction essentielle de faire partager des orientations décidées « en haut », la qualité d’adhérent·e — et plus encore des responsables aux différents niveaux — a longtemps été soumise à des conditions et contrôlée par les directions. Aujourd’hui, il suffit de décider d’adhérer et de payer une cotisation pour disposer des « droits de l’adhérent·e ». Pour autant, le Parti reste encore une organisation relativement fermée dont toutes les décisions sont réservées à celles et ceux qui en ont la carte et payent leur cotisation.

Or, si l’émancipation des travailleurs et travailleuses doit être l’œuvre des travailleurs et travailleuses elles-mêmes, on ne peut réserver la conduite du mouvement de transformation sociale aux seul·e·s travailleur·euse·s qui décident, à un moment donné, d’être membres du Parti. Toutes celles et ceux qui décident de participer à une action politique, même limitée à un sujet particulier, doivent pouvoir, adhérent·e ou pas, participer aux choix relatifs à l’action menée. Cela signifie que les collectifs de base doivent être en permanence ouverts aux citoyen·ne·s qui veulent agir avec les communistes, et qu’elles et ils doivent pouvoir participer à tous les choix liés à leur action.

En revanche, en application du principe général selon lequel chacun·e participe aux choix relatifs aux actions qu’il ou elle mène concrètement, les décisions concernant, d’une part, l’organisation même du Parti communiste — son fonctionnement, sa vie matérielle et financière, la désignation de ses porte-paroles, etc. — et, d’autre part, les structures du Parti — section, fédération, conseil national —, relèvent de la souveraineté des adhérent·e·s qui font vivre le Parti par leur cotisations.

E. Donner aux communistes les moyens pour agir

Dans un monde de plus en plus complexe, où tout va de plus en plus vite, il faut être en capacité d’aider les communistes à être tout à la fois réactifs et utiles dans le débat public et dans la prise d’initiative.

Cela passe par un effort sans précédent pour atteindre les objectifs suivants :

  • Rendre lisibles et audibles nos propositions. L’exhaustivité en la matière est l’ennemi de la visibilité. Nous dégagerons quelques propositions-phares qui puissent identifier et donner à voir l’ambition des communistes.
  • Engager un vaste travail d’éducation populaire avec des outils adaptés (argumentaires, supports vidéos comme « On vous fait un dessin », etc.)
  • Retrouver un savoir-faire militant via un dispositif de formations, d’appropriation des nouveaux supports et d’animation de l’activité militante.
  • Il y a plus d’un siècle le mouvement ouvrier, dans sa diversité, n’a eu de cesse d’essayer de créer un média de masse. L’Humanité est la traduction de cette volonté. Aujourd’hui dans les conditions actuelles, avec le développement des réseaux sociaux et des médias numériques, la question se pose de l’existence d’un média internet nouant un rapport existentiel de même nature que celui qui nous lie à l’Humanité. En lien avec l’Humanité, ce défi nous voulons le relever !

F- Rassembler la force communiste

Avec plusieurs dizaines de milliers d’adhérent.e.s, le collectif militant du Parti est encore une force qui compte. Mais il n’y aura pas de « printemps du communisme » si les adhésions à notre Parti ne se renforce pas considérablement. La profonde transformation de nous-mêmes que nous engageons doit donc s’accompagner d’une vaste campagne d’adhésions qui devra se développer en s’appuyant sur la mise en pratique concrète de nos changements. Dans ce sens, nous devons en particulier lancer un appel aux très nombreux camarades qui, démotivé·e·s et parfois désespéré·e·s, ont quitté le Parti dans les années et même les décennies passées. C’est dans le dialogue avec elles et eux, comme avec celles et ceux — notament les jeunes — qui ne voient pas aujourd’hui en nous le cadre attractif qui pourrait répondre à leur besoins d’engagement, que nous trouverons les moyens de répondre à leurs attentes. Et de rassembler ainsi la force communiste dont notre peuple a besoin.

Conclusion

Les communistes s’apprêtent à faire un choix crucial. Très affaibli, notre Parti est maintenant confronté à une nouvelle situation puisque la France Insoumise, qui se réclame du populisme, a réussi à rassembler l’essentiel de l’électorat qui nous faisait confiance voici 40 ans. Cette force politique est bien différente de nous et ne saurait jouer le rôle qui devrait être le nôtre. Mais l’Histoire ne repasse pas les plats. Ou bien nous réagissons maintenant, alors qu’il est encore temps, pour retrouver une place importante dans la vie politique de notre pays ; ou bien nous nous condamnons à ne plus compter, et le communisme risque fort d’être absent du combat politique pour de nombreuses années, au moment où le besoin en est le plus grand.

Nous sommes des communistes divers, et n’avons pas ces dernières années toujours fait les mêmes choix. Mais nous pensons toutes et tous, comme l’avait décidé le congrès de 2008, que la nouvelle époque dans laquelle nous sommes entré·e·s exige un travail de réinvention de nos analyses, de notre projet et de notre Parti. C’est pourquoi nous proposons avec cette « base commune » alternative une nouvelle conception du communisme, du processus révolutionnaire, de la stratégie et de notre organisation. Elle se donne des objectifs précis et ambitieux pour les années à venir, et nous pensons qu’une grande majorité de communistes peut s’y retrouver. Nous avons la ferme volonté de travailler dans ce sens avec toutes et tous les communistes, jusqu’au congrès et évidemment au-delà, à sortir notre Parti de l’ornière et à ouvrir un nouveau chemin pour notre combat.

Les communistes ne doivent pas baisser les bras. Ils doivent au contraire avoir confiance en elles et en eux. L’histoire est en train de prendre un nouveau cours. Derrière les allures jupitériennes de l’aventure Macron, le rejet des politiques libérales est profond. En France comme en Allemagne, en Italie et ailleurs, ni la droite ni la gauche « de gouvernement » ne peut plus gouverner à elle seule. Ce rejet ira en s’approfondissant, et nous avons la conviction que seules des ruptures avec les logiques capitalistes au profit de logiques communistes permettront de dénouer cette crise politique majeure. C’est à nous de porter haut et fort cette perspective. En nous donnant les moyens de jouer le rôle historique de faire renaître l’espoir dans la pratique et la théorie communistes, notre Parti peut avoir un plus grand avenir que jamais.

Réinventons-nous !

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Madame Figaro et la GPA

Ces propos sont absurdes, car on ne peut pas connaître ce que l’on ne vit pas. Les moyens techniques peuvent prétendre ce qu’ils veulent, ils ne peuvent pourtant pas remplacer le rapport naturel d’un couple hétérosexuel, base du développement des êtres vivants dans le cadre de la reproduction des espèces. Un couple homosexuel peut très bien adopter et élever un enfant, mais il ne connaitra jamais ce qu’il ne peut pas vivre, par définition.

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Les outrances du populiste et grossier Jean-Luc Mélenchon

Jean-Luc Mélenchon est un personnage insupportable quand on est à Gauche. Ses dernières outrances, tout à fait réfléchies et mises en scène, reflètent son style grossier et populiste, faisant du coup de sang une expression politique en soi.


Que le mouvement La France Insoumise soit l’objet d’une manœuvre politique, c’est incontestable, tout comme cela l’était dans l’affaire visant François Fillon. N’importe quelle perquisition et n’importe quelle décision de Justice sont, par nature, politiques.

Quelle que soit la façon dont sont organisés les pouvoirs dans un pays, cela répond à un choix qui est fait par des individus, dans un cadre législatif donné mais aussi dans un contexte politique particulier, en fonction des rapports de force.

En l’occurrence, les perquisitions ont été autorisées par un procureur qui par définition est un représentant du pouvoir exécutif, subordonné au ministre de la Justice. Il n’est d’ailleurs pas habituel qu’un procureur autorise une perquisition chez un député en pleine enquête préliminaire alors qu’il n’y a pas l’ouverture d’une information judiciaire.

Surtout que sur le fond, nous ne sommes pas dans une affaire de corruption d’une ampleur phénoménale relevant d’une urgence absolue, mais dans un soupçon d’arrangements qui sont détestables mais tout à fait traditionnels pour la classe politique bourgeoise.

Est-ce à dire pour autant que « nous ne sommes plus dans un État démocratique normal », comme l’a fait le tribun Jean-Luc Mélechon avant de crier « résistance », poings vers le ciel ?

Bien sûr que non, on est ici en pleine légalité, dans le fonctionnement tout à fait normal de la République française. Elle n’est pas une entité neutre et abstraite mais une infrastructure servant des choix et des actions politiques, suivant les intérêts de ceux qui sont au pouvoir et des gens qu’ils représentent.

Seulement, pour dire et comprendre cela, il faut avoir un contenu. Il faut des principes, des références culturelles et idéologiques qui font que, de toutes manières, on est à la base dans le camp du peuple et de la classe ouvrière, qu’on a jamais prétendu à de quelconques illusions à propos de la « Justice » ou de la République.

Tel n’est pas le cas de Jean-Luc Mélenchon qui s’imagine au-dessus du reste de la population, exigeant un traitement de faveur par les institutions :

« Je ne suis pas un passant dans la rue, je suis le président d’un groupe parlementaire »

Il se présente comme un républicain « ultra », allant jusqu’à se prétendre « sacré » parce que député de cette même République. Cela est complètement artificiel mais peu importe car pour lui seule l’attitude compte. D’ailleurs, il a dit cela pendant qu’il se filmait en direct lors de la perquisition et s’est mis à hurler :

« Ne me touchez pas monsieur, vous n’avez pas le droit de me toucher. Personne ne me touche, ma personne est sacrée ! »

Sauf que, on voit bien sur la vidéo qu’il ne se fait violenter mais simplement bousculer légèrement par une personne passant dans un petit couloir, alors que lui s’agite dans tous les sens téléphone à la main en pleine perquisition. C’est-à-dire que le député de la France Insoumise cherchait à mettre en scène les choses, dramatisant le tout de manière ridicule.

L’épisode s’est poursuivi de manière encore plus grotesque devant le siège de son mouvement. Cela lui retombe naturellement sur le coin de la figure avec de nombreuses moqueries sur internet et le parquet de Paris a ouvert une enquête pour « menaces ou actes d’intimidation contre l’autorité judiciaire » et « violences sur personnes dépositaires de l’autorité publique ».

Le procureur général auprès de la cour d’appel de Paris, Catherine Champrenault, s’est même exprimé à la radio, ce qui n’est pas du tout une chose habituelle, pour enfoncer Jean-Luc Mélenchon. Elle a dénoncé « un coup de force » et s’est même justifiée en expliquant que s’il « était arrivé tout seul et calmement, il n’y aurait eu aucun problème pour qu’il accède aux locaux de son parti », ajoutant qu’il « a voulu rentrer en force ».

On a même un policier qui aurait porté plainte, tandis-qu’une syndicaliste (unité SGP Police FO) a expliqué à la télévision :

« J’ai de la colère car lors de cette perquisition, j’ai vu du mépris de classe face aux ouvriers de la police nationale […] Le contraire de ce à quoi nous a habitués monsieur Mélenchon. »

Cet épisode de la Police prouve d’ailleurs encore une fois l’inconsistance de Jean-Luc Mélenchon puisqu’il s’en est pris à des agents de Police avant de le regretter quelques heures après en disant qu’ils ne faisaient que leur travail… pour finalement critiquer le site Médiapart en disant qu’ils sont « pire que les flics » !

Ce genre de retournement renvoie au récent épisode marseillais où il avait traité Emmanuel Macron de xénophobe le matin (ce qui est absurde) avant de faire la causette avec lui et de ne pas assumer du tout ses propos le soir même.

Tout cela est l’expression d’un populisme des plus outranciers, capable de dire tout et son contraire selon l’opportunité, sans aucune analyse ni réflexion de fond. On a d’ailleurs exactement la même attitude vis-à-vis des médias, avec un épisode particulièrement hallucinant à propos de l’émission Quotidien. Il l’accuse d’avoir directement fourni des images à la police, alors que sur ces mêmes images en l’entend haranguer « laissez la presse faire son travail ! Filmez tout ! »

Le leader de la France Insoumise parle de liberté de la presse quand cela l’arrange mais insulte littéralement les journalistes et appelle à les « pourrir » quand ils ne vont pas dans son sens. Les propos qu’il a tenus à l’encontre de France Info sont à ce titre très rudes, relevant bien plus d’un style d’extrême-droite que d’une attitude de gauche :

« [Ils] ont l’air de ce qu’ils sont, c’est-à-dire d’abrutis, et tous les autres ont suivi sans réfléchir ».

On peut même penser que ce genre de propos dans la bouche de Marine Le Pen auraient fait le tour de l’Europe, tellement ce n’est pas une façon de faire et de dire !

Jean-Luc Mélenchon a largement surjoué la surprise et l’offuscation ces derniers jours, alors qu’il savait très bien les choses qui lui sont reprochées. Les mots du procureur de la République de Paris pour justifier l’ouverture d’une enquête préliminaire avaient été tout à fait explicites. Ils laissaient présager ce genre de suite :

«Les surfacturations dénoncées [par la Commission des comptes de campagne] tendent à faire sérieusement suspecter l’existence de manœuvres délibérées destinées à tromper l’organe de contrôle aux fins d’obtenir des remboursements sans cause.»

Jean-Luc Mélenchon se présente à longueur de journée comme un représentant du peuple contre ce qu’il appelle une « oligarchie », mais il se retrouve maintenant accusé d’avoir les mêmes pratiques que les gens qu’il prétend dénoncer.

C’est un retournement de situation terrible, et on peut aisément penser que cela va l’affaiblir durablement. Ce qu’on ne regrettera pas, bien entendu. Jean-Luc Mélenchon est un personnage très grossier, imbu de lui-même, qui n’a rien à voir ni de près ni de loin avec les valeurs et les principes de la Gauche qui sont défendues ici.

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Emmanuelle Wargon défendait cet été le lait infantile à l’huile de palme contre la nature

Dans une vidéo qui a beaucoup circulé, ont peut entendre la nouvelle secrétaire d’État à la transition écologique Emmanuelle Wargon défendre l’huile de palme cet été. Elle représentait alors les intérêts du groupe Danone dont le lait infantile est un produit phare, qu’il veut généraliser contre la pratique naturelle de l’allaitement.

Plus un produit alimentaire est transformé, plus il génère de plus-value et donc de bénéfices pour les industriels. Un groupe comme Danone vit précisément et particulièrement de cela.

Son rôle consiste à remplacer des produits simples par des produits transformés, très rentables. C’est pour cela que le groupe est implanté dans le secteur de l’eau, avec sa marque phare Evian. C’est pour cela aussi qu’il est très implanté dans le secteur du lait infantile. Emmanuelle Wargon a d’ailleurs été elle-même en charge de superviser la commercialisation du lait infantile en Afrique pour le groupe Danone.

On touche ici avec ces produits pour les nourrissons à quelque-chose de tout à fait dramatique et scandaleux d’un point de vue sanitaire. Ces produits sont présentés comme équivalents au lait maternel, ce qui n’est pas vrai, au moins pour la raison qu’ils ne contribuent pas efficacement au système immunitaire des nourrissons.

Une véritable politique de santé publique, libérée des intérêts privés, ferait largement la promotion de l’allaitement, voire interdirait les substituts avant un certain âge.

Même pour les femmes qui ont un empêchement sanitaire, il est tout à fait possible, et cela existe déjà en partie, de mettre en place une solidarité organisée cliniquement pour que d’autres femmes partagent leur excédent de lait maternel.

Seulement voilà, des grands groupes comme Danone existent et il en en va de leur propre existence de ne pas laisser des pratiques aussi simples et populaires. La nomination d’Emmanuelle Wargon auprès du Ministère de l’écologie est donc extrêmement significative de ce point de vue. C’est une expression de l’offensive gigantesque du capitalisme contre la Nature, ici par le biais de l’alimentation des nourrissons.

L’allaitement recule en France à mesure que des grands groupes comme Danone ou Lactalis accentuent leur emprise sur les nouveaux-nés. Les propos Emmanuelle Wargon défendant ouvertement l’huile de palme pour le lait infantile lors des rencontres économiques d’Aix-en-Provence en juillet 2018, vont pleinement dans ce sens :

« L’huile de palme, on en a besoin pour les laits infantiles. C’est l’un des produits essentiels pour les laits infantiles. Pourtant c’est un ingrédient qui fait l’objet de plus en plus de méfiance, à la fois pour des raisons environnementales, à cause des ravages que ça peu causer dans certaines parties du sud-est asiatique, et aussi pour une forme de défiance d’absence de naturalité. Et pourtant l’huile de palme est le meilleur ingrédient pour les laits infantiles et donc on en a besoin et on est tout à fait capable d’expliquer pourquoi. »

Au-delà du cynisme, puisqu’elle reconnaît ouvertement la destruction de la forêt tropicale indonésienne , on comprend qu’il y a ici un enjeu immense pour l’agro-industrie capitaliste. L’huile de palme est une matière première très intéressante commercialement pour de nombreuses entreprises qui n’envisagent aucunement de s’en passer.

Quand elle parle de « naturalité », il faut donc comprendre qu’elle attaque ici directement l’intérêt sanitaire des nourrissons, puisque le besoin naturel est celui du lait maternel, pas de substituts industriels.

Le mot « naturalité » est prononcé comme un euphémisme de manière prudente, mais il n’en est pas moins très violent quant à la négation de la réalité naturelle. Car si le lait de vache généralisé pour des bébés humains est bien sûr une absurdité en soi, personne ne peut croire qu’il faille absolument de l’huile de palme pour les nourrissons.

À moins justement de considérer que la nature est quelques choses de relatif et secondaire, et de critiquer la défense de la réalité naturelle comme relevant de la superstition, d’un point de vue qui serait arriéré ou réactionnaire de la part des classes populaires.

On voit ici d’ailleurs à quel point les discours postmodernes et ultralibéraux contre l’allaitement (qui serait un asservissement de la femme), pour la PMA, pour la GPA, etc., n’ont rien de Gauche, mais servent au contraire pleinement le capitalisme.

Il est significatif qu’il n’existe pas de statistiques précises au sujet de l’allaitement en France, alors que les observations montrent un recul de cette pratique depuis de nombreuses années, malgré les recommandations de l’Organisation mondiale pour la santé et toutes les connaissances à ce sujet.

C’est clairement la confiscation démocratique d’une question qui concerne pourtant l’essence de la vie, que les capitalistes veulent soumettre dès le premier jour.

Voici donc où l’on en est en France en 2018 sous la Présidence d’Emmanuelle Macron :

Emmanuelle Wargon a été nommée Secrétaire d’État auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire alors qu’elle assume ouvertement une critique de la nature ayant pour but de soumettre les nourrissons à une grande entreprise, ce partout dans le monde, et qu’elle défend l’huile de palme dont la production industrielle est l’une des choses la plus absurde et néfastes pour la planète.

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Écologie

Alain Perea et l’interdiction de VTT pendant la chasse

Alain Perea, député de La République en marche de l’Aude, a réagi d’une manière particulièrement sordide à l’annonce qu’un cycliste, en VTT, s’est fait tué par des chasseurs en Haute-Savoie, à Montriond. L’arrogance est de mise chez les réactionnaires, qui s’appuient sur la France profonde.

Alain Perea Twitter chasse

Le député de La République en marche de l’Aude Alain Perea n’y est pas allé par quatre chemins, avec un message censé être humoristique et provocateur, mais en même temps tout à fait concret.

D’ailleurs, à côté de Dijon, la mairie d’Is-sur-Tille, n’y est pas allé par quatre chemins non plus pour interdire une forêt aux non chasseurs pour une longue période.

Is-sur-Tille chasse

Alain Perea a parlé ensuite de « tweet maladroit,et dans tous les cas mal interprété », mais c’est seulement pour la forme. Il savait très bien ce qu’il faisait. Le territoire appartient aux réactionnaires : tel est le message. Alain Perea est d’ailleurs vice-président de la commission parlementaire de l’Aménagement du Territoire et du Développement Durable. Une belle preuve de la savante organisation des chasseurs dans les institutions, et inversement : toute la France réactionnaire sait vivre à l’unisson.

Emmanuel Macron vient d’ailleurs également de faire en sorte que lors du remaniement il y a quelques jours, le chasseur Marc Fesneau, député Modem, soit nommé ministre auprès du premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.

Ce n’est pas qu’on en finit plus avec cela : c’est en fait ainsi depuis le départ dans un pays réactionnaire culturellement, où la Gauche est happée par les mœurs réactionnaires et le libéralisme des grandes villes. La France reste profondément de droite, même quand elle est de gauche, et l’exemple de François Mitterrand, la grande figure de la gauche des années 1980 qui vient de la droite bien réactionnaire, est tout à fait exemplaire.

Charb chasseur

Il est pourtant flagrant que cette domination des chasseurs est, en plus de sa pesanteur culturelle, très dangereuse dans les faits. On ne compte plus les « faits divers », qui d’ailleurs évidemment ne remontent pas tous, loin de là. La pression des chasseurs est immense.

Twitter chasse

On peut dire avec certitude que tant que la Gauche ne combattra pas la chasse, elle ne débloquera pas la situation, alors que dans notre pays le rapport entre les villes et les campagnes est si terrible. C’est le capitalisme qui a façonné le pays, selon ses besoins, qui a fondé les rapports à la nature, ainsi qu’entre les gens, qui a décidé de l’architecture. Il faut tout remettre à plat, et la conscience de cela est le premier pas nécessaire pour arriver à une conscience de Gauche authentique.

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Politique

Nomination d’Emmanuelle Wargon de Danone : symbole de l’emprise de l’agro-industrie capitaliste sur l’alimentation des Français

La nouvelle secrétaire d’État auprès du ministre de l’écologie Emmanuelle Wargon a été pendant trois ans la directrice des affaires publiques de Danone, l’un des plus grands groupes mondiaux spécialisé dans les produits laitiers. Elle a représenté directement les intérêts de l’agro-industrie capitaliste contre les intérêts de la population.

Emmanuelle Wargon Danone

Les produits laitiers illustrent de manière effroyable l’emprise de l’agro-industrie capitaliste dans le quotidien alimentaire des Français. Inutiles à la base, néfastes à plusieurs égards , ils sont en fait partout, avec une image de produits sains voire indispensables pour la santé.

La communication de ce secteur est très intense. Il ne s’agit pas simplement de publicités commerciales, mais de toute une activité structurée et présentée comme scientifique, relayée par les autorités publiques. C’est ainsi que les cantines scolaires sont obligées de proposer chaque jour au moins un produit laitier aux enfants et aux adolescents, le plus souvent des yaourts, la spécialité de Danone.

Le secteur laitier de l’agro-industrie capitaliste impose ainsi littéralement ses produits, manipulant les opinions et façonnant les habitudes de manière profonde. Le rôle d’Emmanuelle Wargon chez Danone était justement de diriger cela, particulièrement en ce qui concerne les relations avec les pouvoirs publics.

Elle a par exemple géré le déploiement du Nutri-Score avec le ministère de la Santé. Ce référentiel censé évalué la valeur nutritionnelle d’un produit est typique des fausses mesures en faveur de la santé alimentaire. Sa destinée n’est autre que de maintenir la position dominante des grands groupes et leurs ventes de produits alimentaires hautement transformés. Il ne vise pas à informer la population mais à contrer les critiques de fond en classant les produits selon leur nocivité sur quelques critères restreints, ce qui contribue en définitive à promouvoir certains produits transformés un peu moins néfastes par rapports à d’autres qui sont pires.

Emmanuelle Wargon représente donc directement les intérêts capitalistes dans le domaine de l’alimentation. Sa nomination au Ministère de la transition écologique suscite alors de nombreuses critiques, tellement les manipulations dans ce secteur sont connues et reconnues. Mais elle assume cela, et s’imagine d’ailleurs très forte en ce domaine, comme c’est expliqué dans le Figaro :

«J’ai toujours eu un rôle de passeur entre les mondes. J’aime naviguer entre le privé et le public, faire comprendre aux uns qu’ils peuvent travailler avec les autres et débloquer les systèmes complexes».

Par « systèmes complexes », il faut bien sûr comprendre ici qu’il s’agit de toutes les manipulations et les mensonges de grands groupes comme Danone pour se maintenir et accroître leurs positions. La question des OGM est ici très brûlante, et ce n’est pas pour rien que l’extrait d’une vidéo montrant Emmanuelle Wargon les défendre ouvertement au nom de Danone lors des rencontres économiques d’Aix-en-Provence en juillet 2018, a largement circulé. Elle y dit :

« On a pas pris une position dogmatique sur les OGM parce que cette position dogmatique, ce serait un refus de l’innovation et un refus de la science. On a dit aux États-Unis l’agriculture issue des OGM est une agriculture extrêmement standardisée qui réduit très fortement la biodiversité et c’est la raison pour laquelle aux États-Unis on sortira des OGM, mais ça ne veut pas dire qu’on en sortira systématiquement. »

Ce discours mesuré, posé, est typique d’un grand groupe français qui se donne l’image d’une entreprise « durable », allant dans le sens de la santé et du bien commun. Le slogan sous le logo du groupe est ainsi « ONE PLANET. ONE HEALTH », qui signifie « une planète, une santé ».

Ce genre de communication dont Emmanuelle Wargon avait la charge depuis 2015 est largement utilisée par le groupe. Le directeur général Emmanuel Faber expliquait par exemple en 2016 aux étudiants de la Grande École de commerce HEC que « l’enjeu de la globalisation, c’est la justice sociale. Sans justice sociale, il n’y aura plus d’économie ».

Ces grands groupes utilisent de grands moyens pour vendre et répandre partout leurs produits tout en masquant leur propre nature, leur réalité sanitaire. Il existe depuis quelques années un mouvement dénonçant cela, mettant en avant la connaissance des ingrédients et des étiquetages, dénonçant les manquements.

Des livres comme ceux de Christophe Brusset (Vous êtes fous d’avaler ça !, 2015, Et maintenant on mange quoi ?, 2018 ), qui décrivent de l’intérieur les stratégies de l’industrie, ont ainsi une valeur démocratique très précieuse. Il en est de même d’applications comme Open Food Facts, du travail d’enquête régulier de l’association 60 millions de consommateurs ou encore du travail d’éducation diététique du CLCV, une autre association de consommateurs.

Toutefois, cela est bien peu de choses face à la puissance de frappe de l’ago-industrie capitaliste, des moyens de commutation qu’elle développe et surtout des moyens culturels qu’elle a développé depuis de nombreuses années, jusqu’à façonner directement les habitudes alimentaires des Français.

L’arrière-plan de cela est bien sûr la récente loi sur l’alimentation, dont le rôle est de maintenir et renforcer tout ce qui est en place dans ce domaine.

> Lire également : Une loi sur l’alimentation favorable à l’agro-industrie capitaliste

Quand on voit que le groupe Danone est capable de débaucher une personnalité comme Emmanuelle Wargon qui a eu un grand parcours dans la sphère publique, pour ensuite la voire introduite directement au Ministère s’occupant de l’écologie, il n’y a pas de quoi être rassuré.

Danone s’est servi directement dans le vivier des plus hauts cadres de l’État, puisqu’elle a fait l’ENA, est entrée au cabinet du ministère de la Santé en 2001, celui du haut-commissariat aux Solidarités actives en 2007, puis a été nommée secrétaire générale des ministères sociaux en 2010 avant de devenir déléguée générale à l’emploi et à la formation professionnelle en 2012.

Le système est ainsi verrouillé de toute part, avec des gens se promouvant les uns les autres et s’organisant pour maintenir l’existant, peu importe le coût que cela a pour la planète et la population.

Le combat démocratique que doit mener la Gauche dans le secteur de l’alimentation est donc tout autant une bataille culturelle qu’une bataille pour la production. Il faut changer les habitudes mais il faut aussi arracher le pouvoir aux grands groupes pour soumettre directement l’industrie aux intérêts de la collectivité.

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Politique

CGT – Force ouvrière : démission de Pascal Pavageau

Pascal Pavageau a été contraint à la démission du poste de dirigeant de la CGT – Force Ouvrière. Une énième péripétie d’un syndicat né dans la seule optique de s’opposer à la Gauche politique, par tous les moyens.

Pascal Pavageau

Hier, le secrétaire général de la CGT – Force ouvrière Pascal Pavageau a annoncé sa démission. Il a pris les devants alors qu’une réunion de 35 cadres dirigeants du syndicat allait prendre des mesures pour lancer un processus de remise en cause de son poste. C’était déjà l’aboutissement d’une démarche commencée lundi par 9 membres sur 13 du Bureau confédéral.

Pascal Pavageau avait établi une liste d’une centaine de cadres de la CGT – Force Ouvrière, une sorte de mémo résumant de manière abrupte ou pittoresque des caractéristiques devant aider à la manœuvre dans l’appareil. Un tel est franc-maçon, l’autre homosexuel, l’un est « mafieux », l’autre « acariâtre », l’un est anarchiste, l’autre PS, l’un est trotskiste, l’autre est « complètement dingue », l’un est « trop intelligent pour rentrer au bureau confédéral », l’autre est « trop direct et brut », etc.

Cette démarche n’a rien d’étonnant, elle existait depuis bien longtemps dans ce syndicat, tout comme elle existe en fait dans n’importe quel appareil dont la définition n’est pas politique. Lorsqu’on fait de la politique, on n’a pas besoin de personnaliser ou de manœuvrer au sein d’un appareil, ce qui compte ce sont les points de vue, la raison. Lorsqu’on en fait pas, tout est manœuvre et ce genre de listes un outil inévitable.

Or, les syndicats récusent toute politique depuis le congrès d’Amiens, au début du 20e siècle. Pour cette raison, les syndicats français ont toujours été des lieux de rapports de force masqués, de manœuvres en internes, de parasitage et de conflits larvés, avec des chefs d’autant plus puissants qu’ils n’ont aucun statut, etc.

La CGT – Force Ouvrière est même née à la fin des années 1940 sur la base de tout un courant antipolitique qui a refusé l’unité syndicale après 1936 et après 1945, au nom de l’anticommunisme. Historiquement, il y a ainsi depuis 50 ans la CGT lié au PCF, la CFTC liée à l’Église (elle deviendra la CFDT), et la CGT – Force Ouvrière représentant les socialistes anticommunistes, les franc-maçons et les anarchistes.

La CFTC-CFDT et la CGT – Force-Ouvrière ont ainsi toujours été des supports de la modernisation étatique des accords salariés-patrons, la CGT les rejoignant dans les années 1950, et surtout à partir de 1968.

C’est d’ailleurs un organe para-étatique, Le canard enchaîné, qui a révélé le document listant les cadres de la CGT – Force Ouvrière. Le canard enchaîné s’est ainsi arrogé le droit de torpiller un syndicat, ainsi qu’une rentrée syndicale dans un esprit d’opposition. Pascal Pavageau avait en effet été élu il y a sept mois à 96 % comme dirigeant sur la base d’un esprit de contestation très affirmée à Emmanuel Macron. Le rapport d’activité d’activité de son prédécesseur, Jean-Claude Mailly, n’a d’ailleurs alors été adopté qu’à 50,54%.

Pascal Pavageau a donc exprimé son amertume face à une « cabale », dans une longue lettre envoyée hier aux responsables syndicaux. Il constate qu’au lieu que cela soit réglé en interne, cette histoire de listes a pourri la direction depuis quelques temps déjà. Il hallucine de voir étalée sa privée, concernant son chat ou sa compagne (qui est en même temps sa directrice de cabinet) ou bien son fils, en décrochage scolaire et fragile, d’autant plus que lui-même est accusé pour avoir accueilli celui-ci dans son logement de fonction.

Sa lettre se termine de la manière suivante :

« A tous les adhérents, je m’excuse de lâcher, mais c’est trop dur. J’ai résisté tant que j’ai pu, mais c’est trop dur. Je sais que pour certains cela relèvera de la désertion voire de la trahison, tant de la classe ouvrière que de ceux avec lesquels j’ai tissé des liens indéfectibles et qui y croyaient tant. J’ai donné mes tripes parce que je suis viscéralement convaincu de ce que je défendais, des propositions que je portais.

Cette page de ma vie se ferme dans la douleur, mais je reste fier de rester un militant de base, fier de ce que nous avons réalisé en six mois pour ouvrir les portes et les fenêtres de notre grande et belle maison, pour avoir le courage d’assumer un positionnement syndical clair et novateur mais toujours au service des revendications, en cherchant à amener toujours plus de travailleurs, pas uniquement des salariés,à s’unir dans le collectif que nous formons.

J’ai résisté tant que j’ai pu, j’ai revendiqué chaque jour de ma vie, je n’ai pas su reconquérir.

Pascal Pavageau

Militant »

Pascal Pavageau développe ici le thème larmoyant du militant syndical sincère victime de manœuvres politiques, une rengaine systématique, dont certains ont fait leur fonds de commerce, comme les anarcho-syndicalistes et les syndicalistes-révolutionnaires (dont beaucoup ont formé la CNT).

Ce n’est pas cela qui aide la classe ouvrière. Pascal Pavageau aurait dû dire quels gens, quelles forces politiques agissent contre lui, dans quelles perspectives, dans quels buts, avec quelles valeurs. Mais il ne le fait pas dans sa lettre, restant dans l’esprit de la charte d’Amiens, de l’anti-politique qui est par l’excellence la ligne syndicale, valable pour tous. La CGT tout récemment ne s’alliait-elle pas encore récemment avec les franges anarchistes, pour chercher à pousser le mouvement des cheminots ?

Le problème historique est la non-soumission des syndicats à la Gauche politique, un problème qui a plus de cent ans, qui fait des syndicats des minorités agitées prétendant déterminer le sort de la classe ouvrière. La crise à la CGT – Force Ouvrière en est une illustration de plus.