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Le témoignage d’Édouard Martin, député de gauche au Parlement européen

L’ancien ouvrier Édouard Martin est une figure connue et appréciée à Gauche pour le combat médiatique qu’il a mené contre la fermeture des derniers hauts-fourneaux d’ArcelorMittal à Florange il y a 10 ans. Dans un petit reportage réalisé par France bleue Moselle, il témoigne de son activité d’eurodéputé, d’abord sous les couleurs du Parti socialiste puis du mouvement Génération-s.

Édouard Martin semble satisfait de l’expérience qu’il a pu avoir au Parlement européen. Conformément au discours des autres eurodéputés du mouvement Génération-s de Benoît Hamon, il explique que son mandat a été utile, avec des avancées concrètes.

Malgré toute la sympathie que l’on peut avoir pour lui, il peine à convaincre de cela, en avançant un bien maigre bilan. Le « dossier » qu’il cite en priorité est le combat pour que la Commission européenne « ne reconnaisse pas le statut d’économie de marché à la Chine »… Cela paraît bien étrange comme préoccupation et laisse quelque peu perplexe.

L’autre exemple qu’il donne est l’obligation de transparence sur l’origine des minerais issus des mines de cobalt en République démocratique du Congo. S’il s’agit à n’en point douter d’un combat démocratique important, on a du mal à savoir quelle plus-value ont pu apporter les parlementaires européens sur la question par rapport au travail d’associations environnementales. Comme l’admet l’ancien métallo, les États ne respectent pas cette obligation. On se demande alors l’intérêt de ces journées harassantes qu’il décrit.

Car il ne faut pas se raconter de bêtise : quoi que l’on pense du fédéralisme européen comme projet, on ne doit pas nier que l’Union européenne telle qu’elle est n’est pas une structure démocratique. Les parlementaires, minés par les divisions nationales et travaillés au corps par les lobbyistes, n’ont qu’un faible rôle s’il n’accompagne pas le point de vue des États membres.

Ils n’ont que peu de poids pour les obliger à respecter les choses qu’ils voteraient et ils n’ont d’ailleurs pas le droit d’initier eux-même des directives (qui sont ensuite retranscrites dans les lois nationales). Le Parlement n’a même pas le droit de se prononcer sur des sujets aussi importants que l’adhésion de nouveaux États ou le droit à la concurrence. Ce dernier point relève pourtant de la nature même de l’Union européenne, qui est depuis l’origine une communauté économique destinée à organiser un grand marché européen, sous l’égide du moteur franco-allemand.

On peut avoir beaucoup de sympathie pour les « 180 000 km parcouru en 5 ans » par Édouard Martin pour aller à la rencontre de la population, on ne pourra pas s’empêcher de penser cependant que tout cette énergie aurait pu être utile pour autre chose.

Si l’on peut considérer qu’il est important pour la Gauche d’avoir un score important aux Européennes pour peser politiquement, il ne faut pas pour autant prétendre des choses qui ne sont pas vraies.

On peut très bien voter pour la liste présenter par le mouvement Génération-s de Benoît Hamon par sympathie pour ses membre et soutien du programme qu’il propose avec d’autres organisations européennes. Il ne faut pas s’imaginer par contre que ces eurodéputés pourraient faire appliquer ce programme d’une quelconque manière.

Ce n’est pas au Parlement européen que la Gauche va changer la vie. C’est pourtant là son rôle, le cœur même du combat de la Gauche.

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La Dissidence française aux élections européennes

Les élections européennes à venir sont l’occasion pour les listes fascistes d’émerger et de proposer leurs programmes. Parmi ces listes, la Dissidence française se pose en maîtresse de la froideur et de la dureté du fascisme, qui se donne une image gauchisante pour happer les masses en quête de justice sociale.

Avec la liste Dissidence française, on s’enfonce dans le fascisme pur et dur. La présentation visuelle du programme, en toute première page, donne le ton à elle seule : du rouge, du blanc, du noir. C’est que la liste se veut « révolutionnaire conservatrice », comme il est écrit en gros comme titre du programme. On est donc en face d’un programme national-révolutionnaire, typiquement fasciste. D’ailleurs, les trois phrases résumant le programme sont on ne peut plus claires : « relever le défi identitaire », « libérer l’économie française », « établir la souveraineté intégrale ». Xénophobie, capitalisme ultra-agressif, et isolationisme chauvin à prétention démocratique.

La France serait en déclin, dirigée par « une classe politique totalement dépassée, rongée par la corruption, et incapable de faire face aux défis du XXIème siècle ». « Jadis forte et respectée dans le monde, notre Nation n’est plus que l’ombre d’elle-même ».

La volonté de « régénérer la nation » pour redevenir une puissance capable d’aller à la confrontation directe avec le monde entier est très claire. À ce déclin devrait s’opposer un État administrateur, efficace et fort. La proposition est alors que cet État règne par ordonnances uniquement. On coule dans l’anti-parlementarisme (le nombre de parlementaires doit d’ailleurs être abaissé à 500) et l’autoritarisme les plus profonds.

Il s’agirait également de protéger constitutionnellement « les racines charnelles et millénaires de la France, européennes et chrétiennes ». Si l’héritage culturel laissé par le christianisme doit effectivement être protégé, il doit surtout être rendu au peuple pour ce qu’il est : un témoignage du passé que l’on doit étudier. Or, ici, cet héritage est fantasmé, glorifié et le programme ne laisse aucun doute sur le fait qu’il compte bien maintenir ces reliques du passé dans l’actualité culturelle et politique du pays, renforçant par là la réaction, notamment catholique.

Conformément à cet esprit conservateur, l’homophobie est également assumée au travers de la question de la loi Taubira. Les fascistes souhaitent abolir cette loi afin de « frapper de nullité les « mariages » célébrés entre personnes de même sexe ». Cette attaque contre la dignité des homosexuels, cette négation de l’amour qui peut exister entre deux hommes ou deux femmes, sont intolérables.

Le piétinage de la dignité des femmes ne s’arrête d’ailleurs pas là. Il est question dans leur programme de créer « un statut spécial pour les mères de famille ». L’idée est de verser un revenu d’existence lorsqu’elles choisissent de ne plus travailler, pour s’occuper de leurs enfants et de leur maison. Payer des femmes pour qu’elles restent soumises au patriarcat et aux valeurs réactionnaires de la « femme au foyer » attendant que son mari rentre du travail donne le vertige. Encore une fois, la dignité de la femme est niée, et ne lui est réservée qu’une existence pleine d’ennui, de routine, entre tâches ménagères et navette scolaire pour les enfants. Enfants qui souffriraient, eux aussi, d’un tel modèle familial.

Cette pensée archaïque ne va bien évidemment pas sans la critique réactionnaire du post-modernisme. Ainsi, ils rejettent et interdisent la « théorie du genre » et « l’écriture inclusive », non pas car elles représentent une multiplication des cases dans lesquelles ranger des « individus » qui seraient « uniques » et au-dessus des classes, mais bien par pure réaction. Elles sont alors remplacées par « une sensibilisation au patriotisme et à la citoyenneté dès l’école primaire » : une manière détournée de dire qu’il faut, dès l’enfance, manipuler le peuple afin qu’il soit « transcendé » par la Nation, par le nationalisme et le fascisme.

Le nationalisme tient d’ailleurs une place importante dans le programme, naturellement, notamment en ce qui concerne la « préférence nationale » (devant être « affirmée constitutionnellement ») et le militarisme. Les emplois, les logements, les allocations et prestations sociales sont donc réservées « en priorité » aux « nationaux ». Les soins médicaux et le refuge pour les sans-papiers ne sont plus assumés, et l’argent est consacré à « l’aide au retour » des immigrés « dans leur pays d’origine ». Le budget de la défense nationale est porté à 3,5% du PIB et la force de frappe nucléaire est non seulement préservée, mais également protégée par la constitution.

On y retrouve aussi des propositions de type « gilets jaunes », populistes, comme la diminution des taxes, une justice plus dure et expéditive, et l’usage du référendum. Toutes les taxes, cotisations salariales, patronales, pour les entreprises comme pour les particuliers seraient abolies pour instaurer une taxe unique de 9% sur les transactions électroniques au sein du territoire français. Le référendum est utilisé pour valider la nouvelle constitution (écrite et proposée par des fascistes, donc) dans un horrible simulacre fantasmé de « démocratie », et les référendums avec consultations citoyenne pour les questions touchant aux communes (vues comme les « échelons démocratiques fondamentaux ») sont « systématisés ». La justice, quant à elle, laisse place à la « tolérance zéro » pour lutter contre le « laxisme judiciaire ». L’idée selon laquelle les institutions de la république manquent de poigne et d’efficacité est donc nettement assumée. Pour les fascistes, il faut que ça tourne ! Et sans « venir jouer les pleureuses », comme ils pourraient tout à fait le dire.

Mais là où les très éventuels doutes sur le caractère profondément fasciste du programme sont forcés de voler en éclat, c’est quand Dissidence française parle de la presse, des syndicats et de liberté d’expression. Ainsi, « les subventions à la presse, aux partis politiques et aux syndicats sont supprimées. La pratique des sondages d’opinion est encadrée », et « les lois d’entrave à la liberté d’expression et à la recherche historique sont abrogées. La neutralité du Net est sanctuarisée. »

On voit là clairement que ces personnes ne se tiennent pas aux côtés des travailleurs, mais bien aux côtés de ceux qui possèdent les moyens de production. Les syndicats y sont sabotés et les travailleurs laissés sans protection, et les partis politiques aussi, ce qui relègue la bataille des idées en arrière-plan… L’encadrage des sondages d’opinion peut tout dire et rien dire, mais implique quoi qu’il en soit un contrôle des opinions apportant la contradiction.

Quant au deuxième point… Ce n’est ni plus ni moins que de la langue de bois pour légaliser le négationnisme, l’antisémitisme, les discours complotistes.

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Les clips de campagnes de la Gauche et de l’écologie pour les élections européennes

Voici les clips de campagne des listes de la Gauche ou se définissant de l’écologie pour les élections européennes de ce dimanche 26 mai 2019 :

 

  • La liste POUR L’EUROPE DES GENS CONTRE L’EUROPE DE L’ARGENT conduite par Ian Brossat (PCF)

  • La LISTE CITOYENNE DU PRINTEMPS EUROPEEN AVEC BENOÎT HAMON SOUTENUE PAR GÉNÉRATION.S ET DÈME-DIEM 25 conduite par Benoît Hamon (Génération-s)

  • La liste ENVIE D’EUROPE ÉCOLOGIQUE ET SOCIALE, conduite par Raphaël Glucksmann (Parti socialiste – Place publique)

  • La liste LUTTE OUVRIERE – CONTRE LE GRAND CAPITAL, LE CAMP DES TRAVAILLEURS conduite par Nathalie Arthaud (Lutte ouvrière)

 

  • La liste EUROPE ÉCOLOGIE conduite par Yannick Jadot (EELV)

  • La liste URGENCE ÉCOLOGIE conduite par Dominique Bourg (Génération Ecologie, le Mouvement Ecologiste Indépendant et le Mouvement des progressistes)

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CGT : un 52e congrès bien difficile

La CGT perd des points en tant que syndicat. Ses mobilisations sont des demi-succès, ses batailles des échecs, son identité toujours plus floue. Le congrès a établi le maintien du statu quo, en espérant que les choses tournent mieux à court terme. Sans quoi, la crise sera ouverte.

Le 52e congrès de la CGT qui vient de se tenir du 13 au 17 mai 2019, à Dijon, ne s’est pas déroulé sous un ciel serein. La CGT a recommencé à perdre des adhérents, en l’occurrence environ au moins 40 000 en quelques années. Elle est de plus en plus dépassée par la CFDT lors des élections. Et, enfin, tous ses chevaux de bataille ont été des échecs, de l’opposition à la loi El Khomri à la grève des cheminots, jusqu’à l’opposition à Emmanuel Macron.

Il y a, bien entendu, plus que cela, car au fond, la véritable crise de la CGT est une crise d’identité. Liée au PCF depuis 1945, elle a connu une profonde réorientation à partir de son opposition totale à mai 1968. Cela l’a projeté dans les institutions, avec à l’arrière-plan le projet du PCF de réaliser une démocratie avancée par l’intermédiaire du Programme commun avec le Parti socialiste en 1981. Mais tout cela est bien loin désormais. Aussi, la CGT ne sait-elle pas comment se placer.

Grosso modo, il y a trois tendances dans la CGT. Il y a ceux qui obéissent à la gravité. Le poids social, la tendance dominante est à la négociation en mode CFDT : ils l’acceptent. Ils n’ont rien contre, faisant partie d’un appareil ultra-bureaucratisé, avec beaucoup d’opportunistes placés à tous les niveaux. Qui connaît la cuisine interne de la CGT sait qu’il faudrait un gigantesque coup de ménage.

Il y a ensuite ceux qui veulent un syndicalisme de masse, comme l’actuel secrétaire général, Philippe Martinez. Ils considèrent que de toutes façons, le souci principal est le manque d’ancrage dans la population. On peut avoir raison comme on l’entend sur le reste, tant qu’il y a ce problème, de toutes façons… Ils veulent donc une ligne combative, mais soulignent qu’il faut être réaliste. Cela se lit dans le numéro spécial de la revue Le Peuple, organe de la CGT, avec les documents concernant le congrès, au point 225 et 226 :

« La division syndicale pèse sur nos capacités à intensifier le rapport de forces. La marginalisation et l’éclatement du syndicalisme sont des difficultés que nous ne devons pas sous-estimer et l’unité est aussi le moyen de montrer ensemble que le droits des travailleurs et travailleuses de se syndiquer, de s’organiser, de peser et d’agir sur le travail est à renforcer pour gagner ensemble des conquêtes sociales.

Nous ne pouvons pas nous opposer au capital si nous ne réussissons pas la classe ouvrière des travailleurs et travailleuses au-delà des militants de la CGT. La réussite d’une mobilisation nécessite sa massification et son élargissement. »

Il y a, enfin, ceux qui veulent un syndicalisme de classe. Les médias ont bien souvent défini ceux-ci comme relevant de l’extrême-gauche, ce qui est inexact. Il s’agit en réalité de gens se situant dans le prolongement de la ligne du PCF des années 1970. Ils ont un certain vent en poupe, car ils prônent un retour en arrière, ce qui parle à encore certains secteurs de la CGT, qui regrettent la grande époque. Dans le préambule du hors-série pour le congrès, leur point de vue est même directement exprimé :

« L’opposition de classe existe toujours entre ceux qui vivent de leur travail et ceux qui s’enrichissent de l’exploitation des travailleurs au profit du capital. Loin d’une notion dépassée ; « l’opposition de classes » est une réalité qui structure le monde du travail, les lieux et la nature même du travail. »

On l’aura saisi : il est parlé d’opposition de classe, pas de lutte de classe et encore moins de réalisation de la lutte de classe dans la révolution, comme l’exigeait la CGT à sa fondation. Et c’est là un vrai problème de fond traversant toute la CGT, qui s’imagine de manière romantique porter un projet « révolutionnaire », alors qu’en fait pas du tout.

Certains veulent tomber le masque, d’autres faire revivre ce romantisme, mais le compte n’y est pas. Cela produit une très lourde amertume chez les cadres et les membres historiques.

En même temps, les questions que se posent la CGT sont justement très politiques, alors que la CGT est censé rejeter la politique, depuis le fameux congrès d’Amiens de 1905. La CGT parle de l’industrie, du secteur public à protéger, des retraites, du réchauffement climatique, de l’organisation du travail, de la question du système des droits en général qu’il faudrait réorganiser, de la financiarisation de l’économie, de la Procréation Médicalement Assistée pour toutes (la CGT est pour cette mesure ultra-libérale !), etc.

Comment continuer cela tout en maintenant la fiction du refus de la politique au nom d’un syndicalisme unique ouvert à tous ? Sans compter qu’auparavant la CGT était le principal syndicat et que de plus en plus elle devient numéro deux. On comprend donc que les tourments de la CGT soient sans fin et que la spirale de l’échec va être difficile à stopper. Et que lors du congrès, il ne se soit rien passé.

Philippe Martinez voulait organiser des comités régionaux : cela a été bloqué. Les opposants voulaient un retour de la CGT dans le giron de la Fédération syndicale mondiale, quittée en 1994, et l’abandon de la Confédération syndicale internationale : cela été bloqué aussi. Il a été décidé d’attendre et de voir à qui le temps donnera raison.

Il y a toutefois beaucoup de vanité dans tout cela. Car même en admettant que la CGT parvienne à quelque chose, elle serait obligé de faire comme le syndicalisme anglais, qui a donné naissance à un parti politique, le Labour, pour porter ses revendications et exigences. Et encore les choses ne marchent-elle pas comme cela en réalité, car seule une Gauche politique s’assumant telle quelle peut transformer la réalité. Et c’est cela que la CGT ne veut pas assumer. Elle doit capituler devant la Gauche politique et accepter son rôle secondaire. Tant qu’elle ne le fera pas, elle pillera la Gauche politique, l’affaiblira, tout en continuant ses tourments internes, jusqu’à l’effondrement et le remplacement par la CFDT.

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La scission au sein de l’UNEF

Les syndicalistes étudiants, toujours plus minoritaires chez les étudiants et toujours plus décalés par rapport à la société, croient en leurs propres mensonges. Ils pensent que la démarche portée entre autres par l’écriture inclusive représente l’avenir. En réalité, ils servent à la démolition de la Gauche historique et raisonnent en termes de factions. C’est l’origine de la scission dans l’UNEF.

Cela fait plusieurs années que l’UNEF, historiquement le grand syndicat étudiant de la Gauche (divisé longtemps en « ID » et « SE », c’est-à-dire lié au PS ou au PCF), connaît un processus d’effondrement, strictement parallèle à la dépolitisation toujours plus massive de la société française. Au sein des conseils d’administration des Crous, c’est même la Fédération des associations générales étudiantes (Fage), corporatiste, qui est passé en tête, en décembre 2018, avec 46 % des voix, contre 30 % à l’UNEF.

Or, on sait que la Gauche post-industrielle, post-moderne, connaît un succès réel dans les universités, de par l’influence massive des conceptions importées des universités américaines (écriture inclusive, « oppressions systémiques », « décolonisation », « validisme », « transphobie », LGBTI+, etc.) Ses méthodes sont celles d’un activisme dans tous les sens. Il y a donc une contradiction insoluble par rapport au syndicalisme étudiant lié à la Gauche politique.

Une scission des éléments les plus radicalisés, les plus auto-intoxiqués, était donc inévitable. Cela vient de se produire, une importante minorité comptant se séparer de la « majorité nationale » sur le plan de l’organisation. Cela se déroule juste avant le prochain congrès, que la majorité a placé sous le signe d’une relative dépolitisation.

Au centre de l’initiative, on a la Tendance unité et action syndicale (TUAS), représentant un peu plus de 20 % des membres de l’UNEF. Le moyen est un long texte explicatif écrit par un peu moins d’une centaine de signataires.

Les contestataires, partisans d’un appui ouvert à la gauche post-industrielle, post-moderne, ne voient pas pourquoi :

– ils accepteraient un soutien aux institutions universitaires qui se réduisant à peau de chagrin, n’a plus guère d’intérêt ;

– ils accepteraient la pratique du droit de tendance, en mode « grande famille de la Gauche », alors que sa démarche est fondamentalement différente.

Si on regarde les choses avec le regard d’hier, on se dit que c’est la réapparition d’un courant proche de l’esprit de l’UNEF-SE, qui rejetait le droit de tendance et avait un positionnement social plus offensif que l’UNEF-ID. Surtout que tout cela est revendiqué au nom du syndicalisme de classe, de la classe ouvrière.

Mais c’est en réalité de la mythomanie typique du milieu étudiant « gauchiste », puisque la conclusion faite est qu’il faudrait faire du syndicalisme étudiant, et non pas rejoindre la Gauche politique ! Quand on voit cela, tout est dit, surtout quand on sait que le grand bastion de ces « contestataires », c’est Sciences-Po Paris…

On assiste en fait à l’apogée de l’activisme des étudiants post-industriels, post-modernes, qui pensent réellement avoir les moyens de poser un levier sur la société, alors qu’ils n’ont jamais été autant décalé. Ils croient en leur propre mensonge, et vont jusqu’au bout.

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« Lettre aux camarades de l’UNEF »

[Cette lettre expose les griefs d’une minorité du syndicat étudiant UNEF, qui quitte la structure pour en monter une autre. Sa base est la Tendance unité et action syndicale.]

> Lire également : La scission au sein de l’UNEF

 

« Lettre aux camarades de l’UNEF

Issu-e-s principalement de la TUAS, ainsi que de la Majorité nationale de l’UNEF, nous faisons le choix aujourd’hui de quitter l’organisation. Ainsi, nous comptons bien expliquer une dernière fois notre démarche et retranscrire ici nos points d’analyse sur ce qu’est l’Enseignement supérieur et la recherche (ESR) aujourd’hui, ce qu’est le mouvement étudiant, et enfin ce qu’est et n’est pas l’UNEF, les impasses dans lesquelles elle ne cesse de sombrer, et pourquoi il nous semble aujourd’hui nécessaire d’en finir.

Ce texte se veut un outil permettant d’amorcer ou d’approfondir les réflexions de l’ensemble des camarades du syndicat : quels sont les impératifs qui nous sont posés par l’évolution de l’ESR ? Comment doit s’adapter et répondre le syndicalisme étudiant ? Quel est notre rôle et notre devoir de syndicalistes aujourd’hui ? Depuis plusieurs années, ce sont l’ensemble des organisations syndicales, et globalement des organisations du mouvement social qui sont en déclin.

Cela se constate aussi bien pour le monde étudiant que pour le syndicalisme professionnel, ou encore dans le monde politique. Cette année universitaire est marquée par un contexte social inédit : le mouvement des Gilets jaunes. Bien que ses organisations traditionnelles soient affaiblies et n’aient pas été à l’initiative de ce mouvement, ce sont bien les classes populaires qui en sont actrices. Cette forme de lutte prolongée est inédite tant par sa durée que par ses formes d’organisation.

Ainsi, elle a ses atouts et ses faiblesses : massive et régulière, assumant un rapport de force en rupture avec la traditionnelle méthode du “dialogue social”, mais n’arrivant pas à mettre la question de la grève et d’un impact économique de masse véritable. Cette situation est révélatrice d’une nécessité de remise en question, d’autocritique profonde, et d’adaptation des structures syndicales.

1) L’Enseignement Supérieur d’aujourd’hui : Depuis les années 1980, et particulièrement les réformes suivant le processus de Bologne, l’ESR est soumis à un processus de libéralisation permettant à la bourgeoisie d’avoir des travailleurs et travailleuses mieux formé-e-s.

Ainsi, l’ESR passe progressivement d’un rôle de transmission et d’accroissement global des savoirs, a un rôle d’acquisition de compétences précises. La libéralisation s’est également accompagnée d’un processus de bipolarisation dans l’ESR avec d’un côté les grandes écoles et les universités élitistes, et d’un autre des facs de sciences humaines et sociales ou des universités de proximité sous financées car jugées non rentables, et des cursus courts et professionnalisant assurant un accès rapide au marché du travail.

Ainsi, l’ESR permet aux élites bourgeoises et petites bourgeoises d’accéder à des lieux de formation les amenant à des positions dominantes (écoles, prépas…), et les élèves et bachelier-e-s issu-e-s des classes populaires l’accès à des diplômes à dévaluation rapide, quand il ne sont pas simplement privé-e-s d’un accès à l’ESR.

Les questions de la formation professionnelle et de l’acquisition de compétence sont donc de moins en moins prises en charge par le patronat, mais directement par le service public de l’ESR, au détriment de la transmission pédagogique. Ainsi, les coupes budgétaires, l’autonomie des établissements, malgré le nombre croissant de bachelier-e-s, ne cessent de précariser nos formations, ne cessent de remettre en question des conditions d’études et de vie digne pour les étudiant-e-s.

Au delà des structures d’enseignements mises en danger, le système d’aides sociales directes et indirectes (CROUS) est fragilisé toujours plus chaque année. Le nombre d’étudiant-e-s salarié-e-s est toujours faramineux, le salariat étant toujours la première cause d’échec dans l’enseignement supérieur. 2) Le mouvement étudiant d’aujourd’hui : L’affaiblissement général du mouvement étudiant lors des 30 dernières années s’est également accompagné d’une perte d’hégémonie de l’UNEF dans ce dernier.

On s’attarde beaucoup sur le fait que l’UNEF n’ai plus le leadership de la représentation étudiante dans les différents conseils de l’ESR, mais beaucoup moins de la réduction de son rôle lors des mobilisations et de sa pertinence en tant qu’outil de lutte.

Ainsi, l’UNEF a de moins en moins de place dans le mouvement étudiant, aussi bien d’un point de vue institutionnel que sur les campus universitaire, tant dans l’animation de la vie étudiante et la solidarité, que dans les mobilisations. Le milieu étudiant, à l’image de notre société, connaît un virage à droite et une grande dépolitisation.

Le syndicalisme est aujourd’hui représenté par trois type de structures : l’UNEF, dont nous posons aujourd’hui une analyse extrêmement critique ; Solidaires étudiant-e-s qui, bien qu’ayant une démarche syndicale s’inscrivant dans les luttes étudiantes est freiné par son fonctionnement autogestionnaire ; et enfin les syndicats locaux, présent-e-s dans les mobilisations et dans la vie étudiante mais dont la vision de l’ESR ne peut être que partielle ce qui implique mécaniquement des manquements dans les pratiques.

En plus de ce paysage syndical de plus en plus restreint, le mouvement étudiant laisse du terrain au corporatisme et à la dépolitisation : jamais la FAGE n’a été aussi forte, cette dernière continue de grandir et d’étendre son réseau, est reconnue comme première interlocutrice du gouvernement, et bien souvent couvée par les différentes administrations.

3) L’importance d’un réel syndicalisme étudiant : Notre place dans l’UNEF doit nous interroger sur le sens de notre engagement : le syndicalisme étudiant.

Qu’est ce que le syndicalisme de manière générale, qu’est ce que la spécificité du syndicalisme étudiant ? Historiquement, l’UNEF prend ses sources dans le corporatisme, avant de se revendiquer d’une identité syndicale après-guerre. Dans les faits, l’organisation est un cartel des différentes familles de la gauche présentes sur les universités, soumises à des jeux de pouvoirs permanents.

C’est d’ailleurs la source de la structuration en tendances du syndicat : trouver des règles communes permettant de faire cohabiter ces groupes, parfois avec succès, parfois sans y parvenir, soumettant l’organisation à des risques de fractions internes ou de scissions.

Nous, syndicalistes étudiant-e-s, pensons qu’il est grand temps de traduire notre vision du syndicalisme par la pratique et dans le mode de structuration que nous nous donnons. Ainsi, nous nous refusons d’avoir pour rôle d’être la “maison commune de la gauche” sur les établissements d’enseignement supérieur. Pour nous, l’identité syndicale est avant tout une identité de classe. Le syndicalisme est né dans le besoin de la classe ouvrière de s’organiser et lutter pour dépasser sa condition d’exploitée.

Le rôle des syndicalistes est donc d’élever le niveau de conscience, dans la solidarité de classe et les luttes, du milieu qu’elles et ils organisent. Le syndicalisme étudiant connaît une particularité : il n’organise pas une classe sociale, mais un groupe relativement hétérogène socialement.

Cependant, la lutte des classes impacte grandement l’ESR depuis le début des réformes de libéralisation qui y sont menées, les classes populaires y ayant un accès de plus en plus restreint, ou se voyant envoyées très tôt sur le marché du travail dans des contrats courts et précaires lorsqu’elles n’y ont plus accès. La lutte des classes traverse ainsi les structures de l’ESR, nécessitant l’existence d’une organisation syndicale de lutte, apte à défendre une vision populaire et ouverte de l’ESR.

C’est là que se trouve les sources du syndicalisme étudiant, s’organiser et lutter pour l’accès du plus grand nombre à un enseignement émancipateur et critique, non soumis aux logiques de rentabilités et aux intérêts bourgeois. Ainsi, le syndicalisme étudiant prend sa place dans le mouvement social, dans la lutte des classes, c’est là le sens de notre engagement.

Aujourd’hui, c’est un rôle que l’UNEF ne sait assumer, tant dans ses pratiques que par le cadre de sa structure, mais aussi dans l’analyse de son rôle, confondant la défense d’une classe sociale de l’organisation d’une “classe d’âge”, se revendiquant à la fois “syndicat étudiant” et “organisation de jeunesse”. L’UNEF n’est pas à la hauteur et ne se donne pas les moyens pour mener à bien cette mission syndicale.

4) Le rapport aux instances représentatives : L’activité de l’UNEF et la majeure partie de l’investissement de ses membres s’établissent en fonction de l’enjeu électoral.

Ainsi, deux semestres sur quatre, l’activité se concentre uniquement sur la préparation des élections, des dispos extérieurs afin d’assurer une présence du syndicat même sur les universités où nous n’avons pas ou plus d’équipes. Au delà des cycles de CROUS et de centraux “classiques” qui se concentrent sur 2 semestres l’UNEF joue aussi toutes les élections universitaires qui se tiennent hors de ces périodes et fait gravité une grande partie de son activité et de son énergie militante autour des cycles électoraux (UFR, Comue…). Dans le discours, la direction de l’UNEF parle d’une stratégie des deux jambes : une jambe dans la mobilisation, et une jambe dans les institutions.

Dans les faits, l’UNEF n’assure plus aucune mobilisation de manière sérieuse dans la plupart des universités. Et lorsqu’elle a des élu-e-s sa présence dans les conseils est réduite, voire nulle étant donné qu’une large partie des élu-e-s n’est issue que d’actes de couloirs et n’ont aucunes réelles volontés de siéger. Les cycles centraux sont consommateurs d’une énergie militante énorme pour des résultats minimes sur le milieu étudiant.

Théorisés comme étant un outil d’élévation de conscience, les élections ne permettent pas de remplir les objectifs syndicaux qu’on leur prétend. Il serait malhonnête d’affirmer que quelques jours de campagne (J-7, J-1) basés sur des dispos extérieurs et qu’une journée de dispo intense comme on peut connaître les jours de vote permettent aux étudiant-e-s de se conscientiser sur la question de la précarité, du salariat étudiant, de l’accès à la santé etc.

Cette attention disproportionnée accordée aux élections et aux conseils étudiants est d’autant plus embêtante qu’elle est ridicule. Les conseils étudiants ont été créés afin d’absorber les contestations et revendications étudiantes en leur accordant un accès factice à l’appareil décisionnaire des universités.

Aujourd’hui, les élu-e-s de l’UNEF correspondent à une minorité au sein des élu-e-s étudiants, eux mêmes minoritaires au sein des conseils. C’est d’autant plus d’éléments qui nous permettent de dire que notre impact via les conseils et l’importance qu’on leur accorde est démesurée. Ce positionnement vis-à-vis des institutions et des organes représentatifs est révélateur d’un rapport électoraliste et opportuniste à la représentation étudiante, malgré la bonne volonté que peuvent y mettre les camarades.

En effet, celui-ci puisqu’il s’explique par la dépendance du syndicat vis-à-vis des subventions ministérielles, résultant du nombre d’élu-e-s CNESER, dépendant directement du nombre d’élu-e-s dans les conseils de chaque université. Ce constat est d’autant plus problématique qu’il va à l’encontre du principe d’indépendance revendiqué par de nombreux syndicats, notamment l’UNEF. Car si le bon fonctionnement de l’UNEF repose essentiellement sur les subventions de l’état, l’UNEF est dépendante des intérêts de l’Etat qui sont contraires aux nôtres.

Or, cette indépendance est primordiale et doit être un des objectifs structurels prioritaire à atteindre et doit orienter notre manière de faire du syndicalisme. Il est important d’analyser la pertinence de mener des élections quand une section locale n’a pas les apports effectifs et militants pour être visible quotidiennement sur la fac via son action concrète, qui donne son sens premier à l’action syndicale.

L’argumentaire est purement hypocrite lorsqu’on pose les pieds pour la première fois dans un IUT, dans le seul but d’aller racler des voix chez les étudiant-e-s les plus exclu-e-s des services du CROUS. La faiblesse structurelle du syndicat observée depuis maintenant 5 ans creuse une contradiction entre la nécessité de maintenir le nombre d’élu-e-s assurant les subventions, et son affaiblissement sur de nombreuses sections locales.

Cette réalité amène à un décalage entre une absence de l’UNEF dans le quotidien des étudiant-e-s tout au long de l’année, et une sur-représentation assurée par des dispos extérieurs lors des élections, dans l’intérêt de la structure, les élu-e-s étant soit absents, soit ayant des initiatives et une volonté d’agir, mais découlant sur un impact très limité car n’étant pas appuyée par un travail de terrain.

5) Notre place dans les luttes étudiantes : La stratégie des “deux jambes”, comme nous l’avons vu, est largement biaisée.

Le caractère électoraliste et bureaucratique de l’organisation, existant pour son intérêt propre et cherchant principalement une légitimité auprès d’institutions plus qu’auprès des étudiant-e-s directement, fait que la question de la mobilisation étudiante est complètement éludée.

Ne pouvant plus compter sur des équipes syndicales fortes sur la majorité des facs, l’UNEF ne se concentre que dans la représentation politique et médiatique, et des rendez-vous ministériels pour négocier des miettes et se donner artificiellement de la légitimité.

Le positionnement institutionnel du syndicat, pousse aujourd’hui les sections locales à prioriser de manière mécanique les négociations en conseils ou auprès des administrations.

Cela pose problème quand les débouchés de ces négociations tapent à côté des revendications et des méthodes d’action des mobilisations et amène les militant-e-s à être en décalage avec le reste du mouvement étudiants. L’UNEF, par sa construction est aussi en incapacité de mener des mouvements sociaux en propre dans pleins de villes universitaires puisqu’elle n’a plus assez de sections locales en capacité de le faire par son nombre trop réduit de militant-e-s.

Ayant un prestance médiatique héritée du passé et de la renommée de l’organisation, elle capte souvent l’attention des médias et véhicule des positions au nom du mouvement social alors que ces dernières sont de plus en plus souvent minoritaires au sein du paysage contestataire et même de sa propre organisation. L’UNEF n’est plus motrice des mobilisations sociales ou à l’avant-garde des contestations comme elle le prétend.

Même si l’organisation peut être réactive sur plusieurs sujets, et même si elle avait la volonté de créer de réels rapports de forces, elle n’en a pas les capacités et ne s’en donne pas les moyens. Des sections locales, parfois très réduites, se retrouvent à devoir gérer entre le nom d’une organisation dotée d’un historique en demi-teinte et son attitude imbue d’elle même lorsqu’elle agit sans concerter le reste des acteur-trice-s alors qu’elle n’a plus le rapport de force de son côté depuis des années.

Ainsi, elle se rend détestable de tout le milieu étudiant et se fait souvent jetée des mobilisations naissantes. C’est une grande perte puisque ce sont les militant-e-s sur le terrain, parfois sans connaissance de tous ces éléments qui en pâtissent (notamment les nouvelles et nouveaux camarades), et à qui rencontre des limites dans leur progression sur des bases immatérielles.

6) Le réel impact de l’UNEF sur le milieu étudiant : Afin que nous puissions avoir un impact sur le milieu étudiant, il faudrait que l’UNEF soit construite.

Aujourd’hui l’UNEF n’est construite que très partiellement sur le territoire français et continue pourtant d’agir comme si elle était hégémonique. Elle cherche juste à faire tourner sa machine comme elle le fait depuis 30 ans sans se préoccuper de son affaiblissement structurel et militant pour deux raisons : d’un côté la direction n’a aucune vision sur ce qu’il se passe précisément en interne, de l’autre elle n’assume pas s’être autant affaiblie. La multiplication des déserts syndicaux, autrefois occupés par l’UNEF, n’est que symptomatique des fonctionnements décrits plus haut et de la détérioration interne et externe de l’UNEF.

On a revu à la baisse nos exigences sur les structures. C’est ce qui a conduit l’UNEF à se satisfaire d’AGE-individus jusqu’à leur fixer des objectifs du même acabits qu’à des AGE construites.

Le fonctionnement même de l’UNEF empêche à ses sections locales de relever la tête : en effet, lorsqu’un ou plusieurs cadres devient capable de faire fonctionner sa section locale, la structure a tendance à les mobiliser rapidement pour répondre à des besoins bureaucratiques internes ou externes (gérer les clashs entre tendances, gérer des élections, diverses commissions et conseils). Cela peut ou non se faire par une montée au bureau national mais qui, dans tous les cas, déstabilise la section locale.

Aussi, le besoin fort en cadres nationaux, elles et eux-même mobilisé-e-s pour effectuer les même tâches bureaucratiques sans impact réel sur le milieu étudiant ne sont que des illustrations supplémentaires de l’aspect court-termiste des réflexions.

En effet, plutôt que de chercher à pérenniser leurs sections locales en laissant les cadres efficaces progresser individuellement, développer leur section locale et ainsi faire du syndicalisme étudiant au quotidien, l’UNEF fait le choix de renforcer en soi sa structure par le biais de montées au BN ou la délégation de tâches vides de sens afin de remplir des objectifs immédiats de préservation de la structure.

Les effectifs militants sur des AGE sont très disparates et la tendance est de ne pas apprendre de l’expérience des AGE qui ont pu se construire en produisant une analyse poussée des succès et échecs de leur stratégie de construction. Bien au contraire, par manque d’autocritique, qui est un outil primordial à l’amélioration de l’activité locale, et par des choix précipités et déconnectés de la réalité militante et étudiante, des AGE se sont vu déstabilisées là où elles auraient pu progresser.

Ces besoins de la structure, ainsi que les cycles habituels et rapide de l’UNEF, entre rentrées universitaires, élections CROUS, élections centraux, et congrès, ne font que freiner la construction et le renforcement des sections locales. L’impact sur le milieu est limité, car naturellement conditionné par la santé des AGE et leur état. Ainsi, l’UNEF est absente d’une part beaucoup trop importante des campus de France et il s’agit de le reconnaître, elle n’a qu’un impact minime sur le monde étudiant.

Or, si on suit l’état des mobilisations, aujourd’hui déjà très polarisées sur quelque bastions, l’UNEF n’a que très peu, voire pas du tout, de visibilité puisque très peu d’impact concret. La construction et l’activité d’une AGE ne peut pas reposer sur la bonne volonté et la discipline d’un seul individu.

7) Le système en tendances : La première contradiction qui opère dans le fonctionnement de l’organisation découle du fait même de sa structuration interne.

L’UNEF est sclérosée et divisée par son système en tendances, qui alimente et fige les clivages et éloigne les individus des objectifs communs de l’organisation. Cette structuration se justifie par la volonté du syndicat de se revendiquer comme étant la “maison commune de la gauche”, un agglomérat de groupes politiques ayant pour vocation de tirer le syndicat vers sa ligne propre. Ce système est l’héritage d’une organisation centenaire, s’étant composée et recomposée en interne après une forte politisation, et la nécessité de faire cohabiter des groupes politiques forts au sein du monde étudiant.
Les contradictions d’un tel système ont déjà été exacerbées jusqu’au point de rupture de nombreuses fois dans l’histoire de l’UNEF, mais la situation actuelle est sans précédent, avec une direction qui s’acharne à vouloir maintenir un système qui divise, dans une UNEF affaiblie comme elle ne l’a jamais été auparavant, et dans un contexte de recomposition et d’effondrement de la gauche française qui ne prête plus de sens à un système qui en était déjà vidé.

Dans cet espèce de théâtre étudiant de la gauche, la direction se veut naturellement d’en incarner le centre pour pouvoir se maintenir en place, de s’illustrer comme étant le choix le plus “raisonnable”.

Elle a donc besoin d’une gauche (actuellement incarnée par UAS et de manière encore plus marginale par la TACLE) et d’une droite (incarnée par la TASER). C’est là qu’on décèle la fumisterie du système en tendance: plusieurs fois, la majorité nationale, étant juge et parti dans ce jeu, fait le choix de maintenir en vie artificiellement des tendances dont l’existence justifie sa propre légitimité.

En période de congrès, elle leur offre des signatures de présidences d’AGE de la TMN pour statutairement maintenir la TACLE (en faisant signer le PAGE TMN de Valenciennes avant le congrès de 2017, sans aucunement leur accorder le moindre respect sur les AGE où ils construisent réellement le syndicalisme étudiant comme Nanterre, leur légitimité étant déterminée par des scores de congrès), ou encore en produisant des fausses voix pour gonfler les scores nationaux de la TASER (une trentaine de voix sur l’AGE TMN de Toulouse pour une TASER localement inexistante).

Ainsi, pour asseoir sa place de direction politique, la majorité nationale doit se maintenir une gauche, mais surtout une droite qui la blanchit aux yeux de la base, et n’hésite pas à la maintenir coûte que coûte, qu’importe à quel point la “droite” de l’UNEF se montre profondément réactionnaire et libérale.

C’est le cas de la TASER actuelle, qui n’adopte pas des positionnements dits de la droite de la gauche, mais juste réactionnaires et dans les intérêts de la bourgeoisie, en revendiquant l’entrée des intérêts privés dans le service public de l’ESR, et en assumant des positionnements réactionnaires sur les questions de laïcité, de racisme et plus globalement d’oppressions systémiques.

Inutile de rappeler les nombreux témoignages de ces positionnements, ou les actes dangereux auxquels ils ont prit part, sans jamais que leur existence dans un syndicat qui se dit progressiste, féministe et antiraciste ne soit remise en question par la direction, ni que des sanctions soient appliquées.

Cette attitude de la part de la direction ne se justifie que par la nécessité pour se maintenir, de maintenir sa droite, peu importe celle ci. Le système en tendances permet donc à des groupes néfastes à l’organisation d’y exister, et ouvre la porte à tous les opportunismes.

Les deux dernières années de l’organisation ont particulièrement prouvées l’essoufflement de ce système, à travers les différentes implosions qui ont prit la forme de fractions internes aux tendances.

Ces fractions, qu’importe leurs revendications ou leur projet syndical et/ou politique découlent de manière naturelle de la logique de tendances : chaque désaccord interne à l’orga (ou aux tendances qui fonctionnent comme des orgas dans l’orga) se cristallisent dans la création d’un nouveau groupe, qui aura de fait une place et un droit d’existence, sans jamais laisser place à une possibilité de dépasser ses désaccords et d’avancer ensemble.

Ces fractions ne sont aucunement une dérive du système en tendances, elles en sont la nature même, et les enjeux de pouvoirs internes nous prennent toujours plus dans la division stérile. De fait, le système en tendances implique l’existence naturelle des opportunistes dans le syndicat, qui s’en saisissent pour avancer leur agenda personnel ou politique.

Mais le système en tendances, c’est avant tout un fonctionnement qui impacte profondément le militantisme sur les sections locales qui en subissent les effets. Matériellement, les camarades dans une section locale qui n’appartiennent pas à la tendance en direction localement se retrouvent en quasi incapacité de mener une activité militante de manière saine, et sont assujettis à des rapports de force figés lors des congrès.

Ils n’ont pas accès aux locaux la plupart du temps, n’ont aucun impact décisionnaire, et se voient attribués des lieux et des horaires où ils et elles ont le droit ou pas de militer.

C’est encore une autre limite de cette structuration du syndicat : localement, c’est une bataille constante entre les membres d’une même AGE, qui entrave l’application d’une activité militante pérenne et efficace. Ce fonctionnement pousse tous les groupes au sein de l’UNEF à s’illustrer dans des postures en permanence. Sans arrêt pris dans les enjeux de pouvoirs, les groupes syndicaux au sein de l’UNEF sont dans l’incapacité de se présenter tels qu’ils sont réellement sans mettre en danger leur place ou leur rapport de force au sein du syndicat.

On se retrouve dans une situation où personne dans l’UNEF n’a une vision claire sur comment se porte vraiment notre organisation. Cette opacité que produit le système en tendance empêche d’établir un véritable bilan des forces du syndicat, et nous rend incapable d’enclencher la moindre évolution dans nos pratiques, chacun-e des camarades engagé-e-s dans l’organisation étant sommé de faire passer l’intérêt de son groupe syndical avant celui de la structure syndicale.

Nos gueguerres internes n’ont eu de cesse que d’affaiblir l’organisation, et de manière plus générale le mouvement social étudiant, pourtant la structuration même du syndicat en dépend. Mais l’ampleur néfaste de ce système ne prend réellement son sens que lors des cycles les plus autodestructeurs pour l’organisation et ses membres : les congrès.

8) Le congrès de l’UNEF : Le congrès de l’UNEF se résume en trois choses : Perte de temps, perte d’argent, perte de militant-e-s.

Ainsi, dans toute organisation nationale, le congrès est l’occasion pour les associations membres de discuter du projet de l’organisation et de renouveler l’équipe dirigeante.

A l’UNEF, le congrès n’est pas un temps démocratique, ce n’est même pas un temps de débat. Le congrès de l’UNEF est le moment qui institutionnalise une guerre ouverte entre les différents groupes internes de l’UNEF, où chacun-e fait adhérer le plus de monde possible pour les faire voter.

Le nombre d’adhésion en période de congrès explose, et la plupart de ces adhérent-e-s de congrès ne connaissent pas réellement l’UNEF, et ne savent même pas pourquoi ils et elles votent. Le semestre du congrès, aucune activité syndicale n’est réellement possible, tant la préparation de celui-ci prend du temps à l’ensemble de ses cadres. Les nombreuses adhésions sont uniquement et entièrement payées par les tendances minoritaires, représentant alors un véritable gouffre financier.

Des centaines d’adhésions sont ainsi faites dans des universités où le nombre de militant-e-s est en temps normal très restreint. Pendant deux semaines, les congrès locaux sont organisés et sont un moment de vote (ouvert et par émargement) de l’ensemble des gens ayant adhéré. Sur un, deux, ou trois jours, ce sont tou-te-s les étudiant-e-s des campus de France qui sont arrêté-e-s pour leur demander “est ce que tu es adhérent-e à l’UNEF?”, si la réponse est négative, tant pis, si c’est positif, chaque tendance cherche à argumenter et contre argumenter dans la minute, et amener l’étudiant-e voter directement pour elle.

Des rendez vous secrets sont donc pris en amont pour des centaines de personnes, dans des cafets, des couloirs, etc, pour “sectariser” les adhérent-e-s et expliquer précisément la procédure de vote afin qu’il ne puisse pas être “retourné-e-s” par une autre tendance, et donc avoir “investi” dans une carte pour rien. Au moment du congrès, la contradiction entre direction du syndicat et tendance majoritaire est plus ouverte que jamais.

Ainsi la tendance majoritaire utilise l’ensemble des instances du syndicat à son profit afin de se maintenir majoritaire dans le syndicat les deux années à venir (temps entre deux congrès). Étant majoritaire dans les instances de contrôle, les décisions prises par ces dernières se font toujours dans son intérêt. Par exemple, la CNVM (commission nationale de validation des mandats) est chargée de régler les litiges concernant les votes : composée à la proportionnelle des tendances, la TMN fait valider les votes en sa faveur, et invalider les votes des tendances minoritaires lorsque celles-ci sont en passe de devenir majoritaires sur une AGE (Lille en 2017, Reims en 2015, etc.).

Enfin, le congrès de l’UNEF est un moment d’une grande violence, où le mot de camarade est proscrit. La suspicion, les insultes, les comportements oppressifs, etc sont légion. A chaque congrès, de nombreux-ses camarades, souvent prometteurs-ses, démissionnent et quittent l’organisation, car ils ou elles ne se sont pas engagé-e-s pour subir et faire subir de la violence au sein de l’organisation.

Le dernier congrès, le 85ème, a été un moment traumatisant pour beaucoup d’entre nous, un investissement en énergie et une perte de camarades faisant face aux insultes, aux mensonges, aux abus de pouvoir, etc. Beaucoup d’entre nous, ne sont pas parvenu-e-s à reconsidérer une grande partie des camarades du syndicat comme des allié-e-s après ça. Occupées à gérer le congrès, les sections locales ne peuvent s’atteler à maintenir une activité dite traditionnelle sur leur fac.

Cette passivité en terme d’action concrète mène beaucoup de militant-e-s à être déçu-e-s par le syndicalisme au sein de l’UNEF, ne comprenant pas le sens des priorités de la section locale: privilégier un temps de congrès, perçu de manière absurde par l’extérieur, à la résolution de PDI ou le militantisme quotidien.

Sur le cas spécifique des oppressions, les tensions générées par le congrès et ses affrontements poussent les différentes tendances du syndicat à couvrir des cas de violences physiques et psychologiques faites par ses militant-e-s sur d’autres membres, ainsi que des profils que l’on sait dangereux (harceleurs-euses, agresseurs-sseuses sexuels).

Nous pensons que dans chaque cadre d’organisation, les structures de domination (racisme, patriarcat, etc.) sont l’unique cause des oppressions vécues en interne. Contre cela, les cadres mis en place peuvent aussi bien résoudre une partie de ces contradictions et améliorer la situation, tout comme ils peuvent participer à les exacerber et les pousser à leur paroxysme. C’est le cas du système en tendances en poussant aux affrontements violents et frontaux, et au fait que chaque individu défende son groupe coute que coute.

Contre cela, une résolution (article du règlement intérieur du congrès) a été mise en place pour lutter contre les comportements oppressifs lors des congrès locaux, obligeant les membres ayant des comportements oppressifs à seulement quitter le campus (généralement pour aller faire le congrès sur le campus d’à côté).

Racisme, sexisme, homophobie, transphobie, validisme sont ainsi monnaie courante. Le meilleur exemple est certainement la réaction de la direction du syndicat au dernier congrès, en 2017, contre l’action symbolique de plusieurs dizaines de femmes de l’organisation.

Celles-ci ont organisé le fait de se réunir à la tribune du congrès pour lire un texte dénonçant les comportements sexistes pendant le congrès : elles en ont été empêchées physiquement sur ordre de la direction, certaines ont été frappées et insultées par des hommes du bureau national, jusqu’à ce que ces dernières réussissent à passer malgré tout. Les réformes annoncées par la direction pour remédier aux problématiques soulevées et vécues par les militant-e-s sont décevantes et ne permettent en rien d’y répondre.

En effet, il ne s’agit que de réformes à la marge, le système en tendance ne pouvant être réformé sans être aboli. La direction du syndicat utilise ainsi cet argument de la réforme sans que ce qui est proposé ne change réellement les problèmes structurels du syndicat.

La possibilité de quitter le syndicat est ainsi en réflexion depuis maintenant plusieurs années chez de nombreux et nombreuses camarades. Nous avons ici pris la décision de quitter l’organisation avant le 86ème congrès entre autres pour ne pas avoir à assumer une guerre nous coûtant des équipes. Nous ne sommes pas syndicalistes pour assumer des temporalités comme celles-ci, aussi dures d’un point de vue structurel et humain. le 86ème congrès aurait grandement affaiblit nos équipes syndicales pour de purs enjeux de pouvoirs internes, et nous nous sommes refusé-e-s à cela.

9) La situation interne de la Tendance majorité nationale (TMN) : Si l’opacité et la culture du silence qui règnent au sein de l’UNEF découle de son système en tendances de manière globale, il s’immisce aussi au sein de la majo elle même.

En effet, le constat est que les sections locales ne savent qu’en surface et de manière déformé ce qui se passe dans les autres AGEs et le transfert se fait surtout par des biais affinitaires donc très différenciés en fonction des degrés d’intégration sociale des camarades. Cette opacité de l’information ne se limite pas à la sphère des responsabilités locales puisque les mêmes mécanismes sont présents au sein du BN.

A titre d’exemple, la secrétaire générale et l’équipe statutaire en général n’ont aucune vision sur ce qu’il se passe précisément dans l’UNEF, étant donné que chaque tendance ne laisse pas transparaître la réalité de ses sections, et que la pression et le manque de confiance au sein de la majo fait que les autres BN ne donnent pas les vrais éléments sur le suivi effectué, les campagnes, etc. Souvent, la commission province découvrait en rappelant les AGE le weekend que les BN ne s’étaient pas rendu-e-s sur leurs suivis alors qu’ils ou elles l’avaient déclaré au secrétariat général.

Cet artifice qu’est la démocratie interne que revendique la majorité nationale n’est en fait que le maintien d’une pensée unique au sein de l’organisation. Les responsables locaux mais aussi nationaux n’ont pas de prises de décisions stratégiques sur l’activité du syndicat qui est théorisée et proposée uniquement par la direction nationale.

Ainsi, un désaccord posé de manière publique revient à s’exposer à une marginalisation dont des militant-e-s ont fait les frais. De plus, les raisons des départs de membres du BN qui ont posé de forts désaccords sur le fonctionnement interne sont camouflés afin que la remise en question soit mise sous le tapis et ne puisse pas être dévoilée au grand jour.

Ces départs prématurés se sont multipliés ces dernières années, résultant d’une absence totale de cadres de critique, et d’autocritiques, beaucoup de membres pensent pouvoir pourtant changer l’UNEF en interne par leur volonté et action propre.

Malheureusement, penser pouvoir procéder efficacement de cette manière serait surestimer le poids de la structure sur les individus, celle-ci ayant tendance à transformer les individus qui l’intègrent, et non l’inverse. Ainsi, une minorité de cadres de la majorité nationale sont réellement convaincu-e-s des pratiques et théorisations de la tendance, une grande partie la défend par défaut, pensant pouvoir agir sur elles pour les transformer, sans y parvenir.

Enfin, le nombre d’individus et d’AGEs se retrouvant dans la majorité nationale par défaut est très grand : cette dernière fuyant les discussions et les cadres de critiques avec les autres tendances, elle ne parle que très tardivement de l’existence des tendances à ses membres, ces dernier-e-s se retrouvant là sans jamais l’avoir réellement souhaité et sans en être convaincu-e-s.

Toute forme de promotion du bien être militant devient factice dès lors que le modèle du moine soldat n’est pas remis en question. Alors que la discipline permet une efficacité non négligeable, une discipline qui n’est ni théorisée, ni consciente ne peut être réellement efficace.

Elle ne s’illustre plus que par une sélection et par la loi du ou de la plus fort-e qui est au mieux improductive, au pire purement destructrice aussi bien individuellement que structurellement. Baser tout son mode de construction sur un modèle d’individu soldat-e devant gérer tout institutionnellement et s’épuisent en dispo extérieur.

En plus de l’impact de ce mode de fonctionnement sur les individus et le bien-être, fonctionner de cette manière créé de fait une déconnexion entre militant-e-s de l’UNEF et le monde étudiant.

En effet, ce syndicalisme “d’avant-garde” ne permet pas de saisir la spécificité de chaque campus, chaque filière, etc. Cela creuse une déconnexion dans le militantisme, tant dans les pratiques militantes que dans le mode de vie des syndicalistes, à des années lumière d’un mode de vie étudiant “lambda” (rapport aux cours, à la vie étudiante, etc.). La théorisation de l’action syndicale menée nationalement est révélateur d’un décalage avec les réalités vécues sur les AGE.

En effet, on constate une volonté dérisoire et idéaliste que l’UNEF soit présente sur tous les fronts simultanément alors que la capacité effective militante ne suit pas, découlant de nombreuses fois sur une incapacité à gérer ses différents champs d’action. Ainsi chaque action, y compris purement bureaucratique, est théorisée comme une “mobilisation” : d’un dépôt de motion dans une instance à une interview donnée à un média.

Dans le discours de la direction de l’UNEF il n’y a pas de différenciation entre des actions qui ont un véritable impact sur le milieu étudiant et celles qui sont uniquement nécessaires pour exister institutionnellement mais qui n’ont pas d’impact concret. Le fait de se concentrer sur le deuxième mode d’action mène aussi à une dépolitisation du milieu étudiant qui se mobilise donc de moins en moins et ne permet pas de mettre en place un véritable rapport de force face à des réformes réactionnaires.

Ainsi, les campagnes nationales totalement hors sol et peu réfléchies dans leur transcription dans leur réalité s’avère infructueuse avec un impact minime même dans leur objectif de conscientisation du milieu étudiant. On se retrouve avec des campagnes nationales où des camarades seul-e-s sur leur AGE doivent mener l’activité en soi, mais qui ne reçoivent aucunes aides.

Plus généralement, le fonctionnement de la majorité nationale a des impacts sur le développement des sections locales. Malgré toute la volonté et les efforts que peuvent mettre en oeuvre les camarades des sections locales l’appartenance de celles-ci à la TMN freine de fait leur développement structurel pérenne.

En effet au lieu d’établir une stratégie de développement sur chaque AGE qui prenne en compte les spécificités locales, la majorité nationale fait reposer sur un faible nombre d’individus ultra investis le fait de remplir les objectifs syndicaux (notamment électoraux). En terme de développement ces individus se concentrent consciemment ou non sur le fait de recruter la future génération de moines soldats.

Il n’y a aucune réflexion sur la théorisation d’un CAS comme un lieu cohérent de vie et d’étude ou sur la ramification des structures locales afin de permettre un meilleur développement de celles-ci par exemple. Les sections locales bénéficient de très peu d’autonomie dans la gestion de leur activité syndicale.

Des campagnes nationales souvent déconnectées des situations locales sont obligatoirement mises en place par les AGE, sous peine de s’exposer à des remontrances de la direction. Si les initiatives de campagnes locales ne sont pas forcément refusées par les suivis, les dirigeant-e-s locaux-ales ne sont pas formé-e-s ni encouragé-e-s à réfléchir sur leur activité syndicale localement et à produire des campagnes locales.

Ces initiatives, bien que largement mises en avant lors des bilans en CN, sont donc marginales et souvent fortuites. La répartition des suivis sur les AGE n’échappe pas au manque de réflexion interne sur le développement de l’UNEF.

Au lieu d’établir des critères pertinents pour permettre de remplir les objectifs syndicaux et développer l’organisation (besoins des AGE, capacités et marges de progression des membres du BN, cohérence géographique), le schéma de suivi est réfléchi en fonction de critères individuels.

Ainsi les éléments pris en compte sont notamment le degré d’implication des membres du BN (est-ce que la personne va sur ses suivis et répond au téléphone ou pas), le fait qu’il y ait des objectifs électoraux sur le court terme ou pas et sa capacité à maintenir des gens dans la ligne.

Par exemple un suivi qui a tendance à ne pas se rendre sur ses suivis (par ses responsabilités comme les statutaires nationaux, ou par le fait qu’ils ou elles ne veulent juste pas y aller) et à ne pas l’accompagner sera assigné à une section locale qui peut se débrouiller toute seule ou bien qui n’a pas d’objectifs électoraux sur le court terme.

En revanche, les suivis réputés compétent-e-s peuvent enchaîner le suivi de plusieurs AGE en quelques mois le temps de gérer les échéances électorales, sans permettre de réelle construction de l’AGE.

10) L’absence de critique et d’autocritique : Le système en tendances est à la base de tout dans le fonctionnement de l’UNEF (on ne peut pas exister en dehors d’une tendance, les sites universitaires appartiennent à des tendances, les temps nationaux sont des affrontements entre tendances etc.).

Pour fonctionner, la direction de l’UNEF doit donc gérer en permanence l’équilibre entre les tendances. L’ensemble du syndicat concentre donc énormément d’énergie sur le fait de gérer les rapports entre les tendances et notamment entre les minos et la majo. Les intérêts de la majo face à une autre tendance se fait même souvent contre l’intérêt des étudiant-e-s et du syndicalisme.

A titre d’exemple, dans plusieurs AGE, comme Bordeaux et Rennes, la tendance majoritaire n’est pas présente réellement, malgré l’existence d’une équipe minoritaire localement, et les camarades locaux-ales n’ont aucunes marges de manoeuvre en terme de représentation, de trésorerie, parfois de militantisme, bloqué-e-s par ce fonctionnement figé en dehors de toute réalité militante.

Le fonctionnement en tendances pousse donc à servir des intérêts de tendances. Chaque action de chaque tendance est à la fois motivée par sa stratégie syndicale dans le milieu étudiant et dans l’UNEF et elles peuvent être contradictoires.

Ainsi, le besoin vital de défendre sa tendance pour exister dans l’UNEF pousse les débats internes à être sclérosés, à ne se résumer qu’à des débats de posture. Les tendances ne cherchent pas à se convaincre ou à être convaincues, mais à défendre coûte que coûte leur modèle de syndicalisme pratique et théorique afin de garder la face et maintenir leur place dans l’organisation. Cette gestion en tendances pousse également à une forte centralisation puisque les rapports entre tendances sont gérés depuis l’échelon national.

Chaque tendance devant avoir une stratégie cohérente. Etant donné la concurrence et le rapport de force permanent, chaque tendance tente de donner une vision idéale d’elle même aux autres, jusqu’à mentir sur sa propre réalité, sur ses équipes syndicales, et la bonne santé des ses AGEs.

11) Et maintenant ?L’UNEF a développé sa structure sans remise en question depuis des années, et se trouve dans un état de paralysie et de verrouillage bureaucratique important qui empêche une possible réforme de l’intérieur.

Elle s’est trouvée embourbée dans ses contradictions sans jamais tenter d’y remédier et qui lui pose une difficulté de rétropédalage, cette dernière joint à une capacité de la direction à s’y complaire. Le décalage avec la réalité est si fort et a passé un tel cap de non retour, que dans l’état actuel des choses le travail de réforme serait herculéen.

Avant même de s’étendre sur chaque université à la manière de l’UNEF, notre organisation se donne comme objectif de renforcer et reconstruire les sections locales existantes, et échapper dans un premier temps au schéma de construction/destruction lié aux fonctionnement en cycle de l’UNEF.

Se poser la question de la pertinence et légitimité de chaque action est prioritaire dans la mesure où il est primordial d’assurer la stabilité des sections locales. Pour répondre à des objectifs de long terme établis et décrits plus bas, nous comptons prendre le temps de nous reconstruire, aller plus loin en terme de structuration et renouer avec l’action syndicale comme elle a pu l’être par le passé.

L’important est de ne pas se précipiter, et de consolider nos sections locales. En se dégageant des décisions court termistes liées aux intérêts de structure nationale et qui poussent à faire des choix précipités, nous nous engageons à adapter notre méthode de structuration en réponse aux intérêts étudiants et en adéquation avec la théorisation originelle du syndicalisme étudiant.

En quittant aujourd’hui l’UNEF, nous comptons participer à la construction d’une nouvelle organisation nationale, un syndicat qui soit un véritable outil de solidarité et de lutte pour les étudiant-e-s, permettant de réellement construire un rapport de force national pour gagner des droits. Issu-e-s de plusieurs tendances de l’UNEF, nous défendons ici une vision de l’organisation syndicale réellement efficace, démocratique et transparente, décentralisée, où les étudiant-e-s puissent se saisir des enjeux syndicaux de leur campus et de leur établissement de manière régulière.

Cette vision décentralisée doit permettre de répondre aux besoins syndicaux dans des enjeux locaux concrets permettant de convaincre le plus grand nombre de la nécessité d’organisation pour obtenir des changements concrets.

Cette vision doit pouvoir se conjuguer avec une cohérence nationale faisant le lien entre les différents types d’établissements et les enjeux propres à chaque formation, ainsi qu’une solidarité entre différents secteurs, nos intérêts concernant la formation et du monde du travail étant étroitement liés. Nous faisons aujourd’hui ce choix historique, assumant de porter un coup très dur à l’organisation centenaire des étudiant-e-s.

Nous assumons ce choix, l’UNEF s’enfonçant de jours en jours dans ses contradictions et continuant sans cesse sa descente aux enfers. Nous refusons de voir mourir le syndicalisme étudiant avec cette organisation et faisons ce choix consciemment, dans l’intérêt des étudiant-e-s.

Nous faisons le choix aujourd’hui de partager ces réflexions à un grand nombre de camarades de l’UNEF, toutes tendances confondues, afin de favoriser ces réflexions et de lancer l’alerte sur la gravité de la situation et le refus permanente de la direction de l’UNEF de reconnaître son rôle dans cette situation désastreuse.

Pour conclure, Le choix de quitter le syndicat n’ai aucunement basé sur le fait de privilégier les intérêts d’une tendance aux dépens des autres. Il ne découle pas d’un ego-trip dans une conjoncture qui nous est favorable, mais bien d’une analyse de l’état actuel du syndicalisme étudiant en France et des besoins auxquels l’UNEF ne répond pas du fait des éléments internes et externes décrits plus haut.

C’est avant tout des militant-e-s de l’UNEF qui ont débattu et réfléchi à la pertinence de l’outil que représente l’UNEF en tant que syndicat et sur la possibilité d’en créer un nouveau, plus efficace. Chaque membre y ayant prit part est prêt-e à répondre de ce choix et est ouvert-e à la discussion avec quiconque aura des questionnements quant aux tenants et aboutissants de ce départ.

En effet, il est naturel que des questionnements et des positions non tranchées ressortent de cette lecture et nous invitons chaque militant-e, à chaque strats du syndicat, à s’en saisir. Il est important de comprendre que ce choix n’est animé par aucune animosité envers l’UNEF, puisqu’il n’est pas possible d’en vouloir à une structure.

Au contraire, il est de notre devoir de reconnaître lorsqu’un outil ne remplit pas ses fonctionnalités et de se poser les questions adéquates : Peut-on l’améliorer ?

Est-il obsolète ? Faut-il en changer ? Notre constat nous a poussé à répondre favorablement à la dernière question. Nous comprenons que des camarades portent l’espoir d’une réforme profonde et soient convaincu-e-s que l’UNEF soit améliorable. De part notre longue expérience au sein de l’organisation, nous pensons l’inverse, et cela ne se rapproche en rien de la résignation mais bien d’une réponse aux défauts du syndicalisme étudiant sur nos facs, c’est en ce sens que nous vous tendons la main et souhaitons ouvrir le débat.

Il est de notre responsabilité d’assumer ce débat, il est de la responsabilité de chaque syndicaliste étudiant sincère de s’y investir.

Signataires :Thibaud Moreau, Responsable National de Tendance UAS, Élu CNOUS Stanislas Loeuilliette, BN TUAS Annaelle Mounié, BN TUAS Margaux Thellier, BN TUAS Adèle Labich, BN TUAS Hafsa Askar, BN TUAS Edouard Le Bert, BN TUAS [suivent toute une liste de noms, nous ne mentionnons que les premiers, cadres à l’échelle nationale.] »

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« L’Europe des nations » prônée par Marine Le Pen à Milan

Marine Le Pen participait avec d’autres dirigeants d’extrême-droite européens ce samedi 18 mai 2019 au grand meeting de campagne de Matteo Salvini, à Milan. Tout l’enjeu de ces élections pour le Rassemblement national, outre le fait d’obtenir un meilleur score que la liste soutenue par Emmanuel Macron, est de parvenir à constituer un large groupe nationaliste au parlement européen. Il s’agit de travailler l’Union européenne depuis l’intérieur et la faire exploser au profit d’alliances entre les nationalismes.

Devant des milliers de personnes rassemblées place du Duomo à Milan, le ministre de l’Intérieur de l’Italie et dirigeant de la très puissante Liga, Matteo Salvini, a réuni les dirigeants de onze autres partis d’extrême-droite européens.

Se sont ainsi succédé avant lui à la tribune Weselin Mareschki de Volya en Bulgarie, Boris Kollár de SME RODINA en Slovaquie, Tomio Okamura du SPD Tchèque, Jaak Madison de l’EKRE en Estonie, Gerolf Annemans du Vlaams Belang en Belgique, Anders Vistisen du Parti du peuple danois, Laura Huhtasaari du Parti des Finlandais, Jörg Meuthen de l’AfD en Allemagne, Georg Mayer du FPÖ en Autriche, Geert Wilders du PVV aux Pays-Bas et, donc, Marine Le Pen du Rassemblement national en France.

Toutes ces organisations sont appelées à rejoindre le groupe parlementaire Europe des nations et des libertés (ENL) de la Liga italienne, du FPÖ autrichien, du Vlaams Belang flamand et de Rassemblement national français, afin de peser ensemble malgré les divergences sur des questions essentielles. Ces divergences sont secondaires dans le cadre du parlement européen puisque ces formations ont toutes le même objectif qui est de saper l’Union européenne au profit de leurs propres nationalismes.

Il a donc été question de lutter contre la Gauche, d’« Europe des nations » s’opposant à l’Union européenne. Marine Le Pen n’a pas été en reste sur ces thèmes, qui forment le cœur de la campagne de la liste du Rassemblement national conduite par Jordan Bardella.

Le « projet » programmatique du Rassemblement national pour les élections européennes est ainsi intitulé « Pour une Europe des nations et des peuples » et consiste en une critique très appuyée du fonctionnement actuel de l’Union européenne. Il y est question de « bilan désastreux », de « fonctionnement opaque, anti-démocratique et punitif » et de renégociation des Traités actuels.

Alors qu’elle avait parlé d’« UERSS » le premier mai dernier, Marine Le Pen a encore appuyé la critique populiste de l’Union européenne ce samedi à Milan, en dénonçant une :

« oligarchie sans repères, sans racines, sans âme, qui nous dirige avec, pour seule ambition, la soumission et la dilution de nos nations » qui « fait souffler sur l’Europe les vents mauvais de la mondialisation sauvage ».

S’il pouvait s’agir il y a quelques années de quitter l’Union européenne, il est considéré maintenant qu’il est plus simple de la renverser de l’intérieur, en s’appuyant sur des alliances avec d’autres pays.

Cela est d’autant plus vrai que le thème de l’« Europe » est important pour ces différents nationalismes, qui appuient leurs propres romantismes nationaux sur l’idée d’une civilisation européennes liée à la chrétienté, ce thème classique de la Droite. La critique de l’Union européenne s’accompagne donc de la mise en avant de ce qui est appelé l’« Europe des nations ».

Marine Le Pen a ainsi expliqué que l’Europe est la « fille d’Athènes et de Rome, de la chrétienté et des Lumières », ou encore « la fille des bâtisseurs du Duomo et de Notre-Dame de Paris, de Léonard de Vinci et de Jeanne d’Arc » et qu’elle « ne trouve sa force, et donc demain sa puissance, que dans les nations qui la composent ».

Ce romantisme pan-européen n’est bien sûr qu’un prétexte pour servir les différents romantismes nationaux : il n’y aura plus d’« Europe » qui tiendra le jour où les différentes alliances s’affronteront, car la tendance est à la guerre.

Les contradictions sont très forte et chacun voudra à un moment tirer son épingle du jeu. Il faut bien voir que les partis présents hier à Milan ont des opinions très divergentes sur la Russie ou encore que la critique de l’Allemagne constitue souvent un thème nationaliste mobilisateur, notamment en France. Il en est de même pour le Royaume-Uni, pourtant « européen », mais dont les forces nationalistes entendent franchement faire bande à part de leurs homologues continentaux, et inversement.

En attendant, la collusion était totale hier entre Marine Le Pen et Matteo Salvini, qui ont la même perspective de puissance indépendante pour leur pays, passant par une alliance avec la Russie.

La dirigeante du Rassemblement national a ainsi « prêté » symboliquement la Marseillaise aux italiens, disant même quelques mots dans leur langue, reprenant le slogan de la Liga « la révolution du bon sens », avant que Matteo Salvini ne lui emboîte le pas en faisant une apparition spectaculaire galvanisant la foule dans la suite directe de sa conclusion :

« Nous vivons un moment historique. Vous pourrez dire à vos petits enfants, « j’y étais ». Un moment que nous attendons depuis longtemps et qui, enfin, se réalise, sous le ciel bientôt bleu d’Italie. Nous voulons vivre en France comme des Français, en Italie comme des Italiens, en Europe comme des Européens. Allons enfants des Patries, le jour de gloire est arrivé ».

L’Europe est traversée par un puissant mouvement de fond populiste, qui prend de plus en plus la forme de nationalismes agressifs et fascisants, dont la Liga et le Rassemblement national sont des fers de lance, avec le FPÖ autrichien ou encore le Fidesz de Viktor Orbán, mais aussi le Brexit au Royaume-Uni, etc.

Le résultat de ces élections européennes, tant en France qu’à l’échelle de l’Union européenne, posera un grand défit à la Gauche, aux gauches de chaque pays : celui d’éviter que l’Histoire ne se répète, en faisant cette fois triompher partout les fronts populaires.

Les gauches italienne et française, de part l’importance des mouvements nationalistes de leur pays menés par Matteo Salvini et Marine Le Pen, ont dans cette perspective une responsabilité historique de la plus haute importance. La Gauche a besoin d’unité, en assumant les traditions historiques du mouvement ouvrier, pour mobiliser en masse face aux nationalismes menaçants. Le Socialisme est le seul rempart possible à la pseudo « Europe des nations », mais réelle « Europe » des nationalismes et de la guerre.

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La liste Union de la Droite et du Centre aux Européennes

Affaiblie par la défaite de François Fillon, la concurrence libérale d’Emmanuel Macron et la concurrence néo-gaulliste du Rassemblement national, la vieille Droite et son parti, Les Républicains, espère profiter des élections européennes pour se refaire une santé électorale.

Les Républicains

Seulement, le créneau est très mince car, comme le résume un cadre (anonyme) du parti, « Nous sommes sur une ligne libérale-conservatrice. Mais Macron est plus libéral que nous et Le Pen est plus conservatrice que nous ! ».

Le but affiché est de reconquérir « Les 20% qui ont voté Fillon, [c’est] la droite convaincue », ce qui s’annonce compliqué puisque les sondages semblent indiquer que seule une moitié de ces ex-électeurs fillonistes sont certains de voter pour la liste LR.

La composition de la liste s’en ressent. François-Xavier Bellamy, professeur de philosophie versaillais, opposé « à titre personnel » à l’IVG, ainsi qu’au mariage homosexuel, très proche de Sens commun, passé par le « souverainisme » sans toutefois prôner la sortie de l’Union européenne, a toutes les qualités requises pour séduire le cœur de l’électorat de droite.

On trouve également d’anciennes figures sarkozystes (l’ancien président bénéficiant toujours d’une cote de popularité élevée), comme Brice Hortefeux, Nadine Morano, Didier Guillaume ou l’ancien préfet Frédéric Péchenard. Cette liste a également été rejointe par Les Centristes, nouveau nom du Nouveau Centre d’Hervé Morin (ex-ministre de Sarkozy), constitué par les membres de l’UDF qui avaient rallié la droite sarkozyste en 2007.

Pour ce qui est du projet européen, Les Républicains tiennent à se démarquer tant de l’européisme très marqué de la République en marche, que du nationalisme agressif et potentiellement chaotique du Rassemblement national. C’est que LR a besoin d’ordre et juge les trop grands changements dangereux.

Si l’on prend les questions militaires, LR critique l’OTAN, qui n’est pas « l’outil de la défense européenne », tout en la considérant comme un « outil de coopération avec nos alliés américains », et tout en prônant un renforcement de la « défense européenne », sans toutefois défendre le projet d’armée européenne.

On voit bien là qu’il s’agit de ménager les autres grandes puissances, pour éviter l’affrontement direct, tout en profitant du cadre de l’Union européenne pour affirmer les intérêts du capitalisme français. LR affirme d’ailleurs ouvertement que son « ambition », est d’« agir au cœur des institutions européennes pour être utiles, combatifs et efficaces au service des intérêts des Français ».

LR compte sur l’Union européenne pour protéger « nos entreprises » et « nos intérêts face aux géants de la mondialisation », promouvoir les entreprises françaises, l’agriculture française au sein de l’Union européenne. Cet aspect opportuniste au possible se sent également dans l’affirmation selon laquelle LR serait la formation politique la mieux placée pour porter la voix de la France, car elle est membre du Parti populaire européen, principal parti, et aurait donc ainsi plus d’interlocuteurs que les autres.

Évidemment, cet opportunisme purement bourgeois et purement français n’est pas affirmé directement, et LR compte s’afficher comme défenseur de l’Europe, comme civilisation, dans une démarche très réactionnaire.

Comme chez les « identitaires », ou quelqu’un comme Renaud Camus, on retrouve la défense des racines chrétiennes et gréco-latines de l’Europe (ce qui n’est pas faux, bien que ces racines soient idéalisées et souvent vidées de leur contenu) dans l’idée qu’il faudrait conserver ces racines dans leur « pureté » éternelle (ce qui est profondément réactionnaire). De la même manière, les timides mots sur l’écologie s’inscrivent non pas dans la défense de la Nature, mais de l’environnement « historique » du continent européen.

Enfin, la liste LR aborde, comme il se doit à Droite, le thème de l’immigration. L’amalgame est fait de manière très claire entre « immigration de masse », élargissement de l’UE ou de l’espace Schengen, et terrorisme islamiste. C’est, d’une manière feutrée, modérée, la même idée que le « grand remplacement » de Renaud Camus : tous ces immigrés, arrivant en masse, seraient une menace pour notre civilisation éternelle, et il s’agirait désormais d’une guerre de civilisation.

LR ne va pas, bien évidemment, jusqu’à prôner la « remigration ». Ici, il s’agit du discours habituel de la Droite sur la limitation de l’immigration légale et la lutte contre l’immigration illégale.

Habituel car, comme c’est toujours le cas, on évoque des solutions légales et techniques pour lutter contre l’arrivée des immigrés, mais sans jamais les considérer comme des êtres humains ayant leur dignité, et surtout sans jamais évoquer les causes de l’immigration que sont les ravages causés dans les pays de départ par les guerres et dictatures provoquées et soutenues par les puissances capitalistes, ou la destruction de l’environnement par ces mêmes puissances.

Face au discours uniquement compassionnel de la « gauche » post-moderne, des libéraux et de l’Église catholique, la droite propose un discours purement gestionnaire des « flux » massifs de migrants. Pour les premiers, les immigrés sont vus comme des individus devant « circuler librement », et représentant une « chance pour nous », en oubliant que l’immigration est un drame majeur pour ceux qui s’y lancent, puisqu’ils quittent leur pays poussés par la nécessité, et en faisant semblant d’ignorer que ce discours cache la volonté d’un main d’œuvre pour les capitalistes des pays d’arrivée.

Pour les seconds, Droite et extrême-droite, les immigrés représentent une masse à peine humaine, qui menacerait notre « civilisation », nos « nations », nos « identités ». Libéralisme compassionnel chez les uns, nationalisme et irrationalisme chez les autres.

Pour résumer, LR entend défendre les pions du capitalisme français au sein de l’Europe et mobiliser l’électorat conservateur autour de valeurs réactionnaires, pour maintenir l’ordre actuel, évitant les bouleversements qu’engendreraient un projet européen trop affirmé, ou une rupture trop franche avec celui-ci.

De la même manière, il ne s’agit pas d’affronter directement les puissances étasunienne et chinoise, mais d’utiliser l’Union européenne pour renforcer les positions du capitalisme français. Le parti Les Républicains s’affirme comme un parti vraiment conservateur, tâchant de se maintenir face à ses deux concurrents bien plus forts : LREM et le RN.

Son slogan pourrait être : « La prudence conservatrice ».

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La liste Renaissance soutenue par La République en marche aux Européennes

Le mouvement d’Emmanuel Macron La République en marche propose sa liste Renaissance pour les européennes. Un nom qui se veut progressiste, tourné vers l’avenir, qui se veut en même temps rassurant, inspirant la confiance, mais qui dans le fond autant que dans la forme est très inadapté et purement marketing.

La République en marche

Il faut regarder le programme proposé pour comprendre, car les idées ne sont pas neuves : du capitalisme modernisé. Ce libéralisme se détecte assez aisément. Les premières mesures présentées ont comme thème de faire de l’Europe « une puissance verte ». On peut penser ce que l’on veut de Benoït Hamon et son « Printemps européen », mais lui au moins a bien compris que l’écologie est un combat qui ne saura être mené que par la Gauche.

« Puissance verte » est un oxymore, d’ailleurs, dès l’instant où l’on reste dans le cadre capitaliste.

L’écologie ralentirait le capitalisme, puisqu’elle impliquerait forcément un haut niveau de contrôle sur la production (quoi, quand, comment et combien produire), ce qui n’est pas envisageable dans un système exigeant la croissance permanente.

Par conséquent, cela empêcherait l’Europe de devenir une « puissance » telle que souhaitée par les capitalistes. Pour cette raison, cet appel à une Europe plus verte n’est, au fond, qu’un vernis écolo destiné à s’attirer les faveurs de l’électorat de gauche, et une occasion d’investir dans l’ouverture de nouveaux marchés de l’écologie, comme pourraient l’être les voitures électriques par exemple.

C’est la même logique électoraliste qui pousse, un peu plus loin, à parler de la construction d’une Europe « de la justice sociale et fiscale ». Après tous les changements fiscaux et sociaux qu’a fait LREM, favorisant les gros capitalistes (les fameux « premiers de cordée » comme les appelle Emmanuel Macron) comme la suppression de l’ISF, il apparaît évident que ceux qui ont adopté la même approche politique, sociale et culturelle que ce parti n’ont absolument aucune intention d’améliorer la vie sur ces plans là… ou que leur perception de ce qui est « juste » socialement et fiscalement est totalement déformée.

Les points suivants sont un appel à renforcer la puissance militaire et diplomatique de l’Europe. Il s’agirait alors de « faire respecter l’Europe dans la mondialisation » ce qui signifie en réalité « utiliser l’Europe pour affronter les puissances chinoise et américaine ».

Il convient de rappeler que l’Europe n’est pas une puissance unie, car elle est avant tout constituée de nations dont dont les monopoles sont déjà concurrents dans de nombreux secteurs. Ce sont en réalité les puissances de la France et l’Allemagne dont il est question.

Par exemple, une mesure de la liste Renaissance est de « construire un Pacte avec l’Afrique en développant les investissements et des programmes scolaires et universitaires, en particulier à destination des jeunes filles ».

Est présenté ici un renforcement de la domination – surtout française – sur le continent africain via non seulement l’économie, mais également l’éducation. Il s’agit ici pour les exploiteurs de décider, avec leurs collaborateurs locaux, de ce que les exploités apprendront à l’école : cela donne un cachet plus « doux » à cette domination car il y est question d’éducation, mais qui est de gauche sait que lorsque l’on parle de capitalisme, la formation scolaire sert des intérêts particuliers.

Ce que veut vraiment Renaissance au travers de cette mesure, c’est former les cadres et les travailleurs en Afrique qui se mettront plus tard au service de la France. Le programme dit aussi qu’il faut « donner à l’Europe les moyens de se défendre » et « faire respecter nos valeurs et nos frontières », ce qui s’inscrit aussi dans cette dynamique de guerre, de domination économique et politique, et de préservation des intérêts des pays membres et du couple franco-allemand plus particulièrement.

La question de l’identité européenne est abordée, de la manière typique de la bourgeoisie moderniste.  « L’Europe s’est faite par la culture » (dans le cas de l’union européenne, cela est faux, car elle s’est faite artificiellement et par le haut contre les peuples), donc il s’agit de pousser les étudiants et les artistes à faire leurs études à l’étranger grâce à Erasmus.

Cela n’est pas fait dans une démarche d’ouverture aux différentes cultures nationales, mais plutôt de former plus efficacement la jeunesse pour les futurs besoin du marché du travail et de promouvoir une « culture européenne » artificielle qui s’appuierait sur l’art contemporain, sur Picasso… Le soutien à ces artistes et ces mouvements est ouvertement assumé, conformément à la position bourgeoise sur la question de la culture et des arts.

Le chapitre « rendre l’Europe aux citoyens » est fortement marqué de populisme. Le constat plutôt juste selon lequel « les français se sont éloignés de l’Europe […] car elle leur paraît trop inefficace et technocratique » est présenté. C’est en effet ce qui peut se passer lorsqu’un changement est imposé par le haut, et le phénomène de rejet ne concerne d’ailleurs pas que les Français.

L’Europe n’appartiendra jamais « aux citoyens », puisque son fonctionnement même est anti-démocratique et que ses institutions sont déconnectées de la vie des masses.

Y proposer « plus de transparence et d’action citoyenne » (comme de forcer le Conseil et le Parlement à étudier les suggestions de lois si 1 million de citoyens soutiennent) n’y changera rien, pas plus que cette promesse populiste de « lutte acharnée contre les lobbies » dont on peut facilement douter du sérieux. Ce n’est finalement rien de plus qu’une modernisation des institutions européennes, pour les rendre plus efficaces, tout en leur donnant un air démocratique.

On détecte également le post-modernisme libéral de la liste qui s’affirme à travers le point « Pour une politique féministe européenne » et concernant la lutte contre les discriminations. L’utilisation de l’acronyme LGBTI (Lesbiennes, Gays, Bisexuels, Transsexuels et Intersexes) dénote bien la philosophie post-moderne des « marcheurs ».

Quant au féminisme, derrière les grandes proclamations contre les violences faites aux femmes, les inégalités salariales ou de représentation, il n’y a strictement rien. LREM utilise l’image de Simone Veil, la ministre de droite libérale qui permit l’IVG, et défend « les droits sexuels et reproductifs » et « la contraception et l’IVG libres ».

La position de Gauche sur la question est que si l’IVG doit exister, le recours à cette pratique est loin d’être anodin, et que le plus important reste de lutter contre les causes des grossesses non voulues comme celles pouvant avoir lieu durant l’adolescence, ou pouvant être dues à l’inceste, au viol…

Ici, il n’est question que de rendre cet acte 100% libre. Cela est assez représentatif du pseudo-féminisme libéral, qui n’aura jamais la capacité de libérer les femmes de l’oppression patriarcale, puisqu’il les défend en tant qu’individus libres de leurs choix subjectifs, traitant leur corps comme bon leur semble. Il s’agirait, au contraire, de les défendre pour ce qu’elles sont : des femmes, égales aux hommes, partie prenante de notre société, hier féodale et aujourd’hui capitaliste.

Tout cela constitue un programme n’ayant rien de surprenant, venant d’un tel parti : capitalisme, libéralisme à tous les niveaux, un peu de populisme et « d’écologie » pour attirer le plus de monde possible, dans la logique « au delà du clivage gauche-droite ». Cette liste représente les intérêts d’industriels, et des « startuppers » des secteurs en développement (notamment liés au numérique)… de tous ceux qui, finalement, ressentent le besoin d’une Europe protégeant leurs intérêts.

Les 30 premiers candidats de la liste en sont l’illustration : uniquement des cadres, hauts et petits fonctionnaires, notables, petits-bourgeois, un exploitant agricole… Mais pas un seul ouvrier.

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La liste « Urgence écologie » pour les élections européennes

Une liste a été déposée au nom d’ « Urgence écologie », regroupant derrière le philosophe Dominique Bourg, les petits partis Génération écologie (19 membres sur la liste finale), présidé par Delphine Batho, le Mouvement écologiste indépendant d’Antoine Waechter, l’Union des démocrates et des écologistes (UDE), et le Mouvement des progressistes fondé par Robert Hue.

Urgence écologie

On notera que le délégué général de l’UDE, Mathieu Cuip, affirme que son parti soutien la liste LREM-MoDem, tandis que son secrétaire général adjoint, Christophe Rossignol, a officiellement déclaré soutenir « Urgence écologie ».

Que peut-on dire de cette liste ?

Déjà, il s’agit d’une alliance très opportuniste entre plusieurs organisations issues d’horizons différents :

  • Génération écologie (GE) a été tour à tour alliée avec le centre-droit ou le centre-gauche au gré des élections – une fois alliée de l’UMP sarkozyste, une fois dans le giron du Parti radical de gauche (et donc indirectement du Parti socialiste). Sa nouvelle présidente, éphémère ministre de l’écologie sous François Hollande, a fait campagne aux législatives en se revendiquant de la « majorité présidentielle », puis a essayé de prendre la direction du Parti socialiste en tenant un discours assez marqué à Gauche, avant de devenir directement la patronne de GE.
  • Le Mouvement des progressistes (MDP), prétendant vouloir rassembler la Gauche (il se nommait alors « Mouvement unitaire progressiste »), est passé derrière le PS de Hollande. Son fondateur, l’ex-dirigeant du PCF Robert Hue, est même devenu officiellement « représentant spécial » des intérêts économiques du capitalisme français en Afrique du Sud. Après la bérézina hollandiste, le MDP a tenté de présenter la candidature de Sébastien Nadot aux présidentielles, au sein de la « Belle Alliance populaire » du PS, puis de manière indépendante, avant de se rallier directement à Emmanuel Macron, Nadot étant élu député sous l’étiquette LREM. Il a, depuis, été exclu du groupe LREM (pour avoir refusé de voter le budget du gouvernement…).
  • L’UDE, incluait autrefois « Ecologistes » (l’aile la plus opportuniste d’EELV, dont le fondateur, François de Rugy, est aujourd’hui ministre de l’écologie), Génération écologie, et le Front démocrate de l’ex-MoDem Jean-Luc Bennahmias, opportunément rallié au PS sous le quinquennat d’Hollande. C’est aujourd’hui une coquille vide, dont les rares membres ne cherchent qu’à survivre électoralement.
  • Le Mouvement écologiste indépendant (MEI), lui, est issu de ces « Verts » qui refusaient d’ancrer l’écologie à gauche, contrairement à EELV. Rejetant le « collectivisme » (qui est, par essence, « totalitaire ») et le « libre-échangisme », le MEI défend une « économie de marché régulée » et une consommation écologique. Rejetant EELV, mais s’y alliant pour les élections, lorgnant vers le MoDem, le MEI a aussi participé à l’Alliance écologiste indépendante, fondée par le millionnaire Jean-Marc Governatori (qui finance aujourd’hui la liste « gilets jaunes » de Francis Lalanne), liée à la scientologie, au mouvement raëlien, entre autres sectes, ainsi qu’à l’extrême-droite.

Qu’en est-il du contenu ?

« Urgence écologie » défend un programme de « changement radical », appuyant son discours sur la constatation d’une destruction massive de la Nature. Les constats sont justes et il est vrai que ce rappel est toujours nécessaire.

Le document programmatique de la liste comporte ainsi de nombreux graphiques présentant divers aspects de la destruction de la Nature par les activités humaines.

« Le premier élément de cette campagne est de dire la vérité sur l’accélération de la destruction de la biodiversité. C’est une hécatombe, la nature est en train de mourir »

Revendiquant un « nouveau modèle de civilisation », « Urgence écologie » défend des mesures qui peuvent sembler intéressantes, comme le ré-ensauvagement de l’Europe, l’interdiction des liaisons aériennes lorsque le même trajet est possible en train en un temps raisonnable, l’abolition de l’élevage ou de la pêche industriels, etc.

Toutefois, les limites de ce projet apparaissent bien vite.

Tout comme Yannick Jadot, cet attelage d’opportunistes considère que l’écologie n’est « ni de droite ni de gauche » et rejette très clairement la Gauche : «L’urgence ce n’est pas de sauver la gauche mais la planète». C’est, finalement, le même discours qui est tenu par la liste d’EELV et, d’ailleurs, « Urgence écologie » a d’ors-et-déjà annoncé que ses élus siégeront avec leurs frères ennemis d’EELV.

« Urgence écologie » affirme également la chose suivante :

« On est pas un parti supplémentaire de tel ou tel bord du paysage politique. Le propos c’est de dire que maintenant la question qui est centrale c’est l’écologie. »

« Ni droite, ni gauche », « au-dessus des partis », « citoyens contre technocrates », critique de la « consommation », mise en avant de la « décroissance »… Il n’y a rien là de très neuf et on retrouve les thèmes classiques de l’altermondialisme (défense de l’homéopathie, de l’herboristerie, du cannabis thérapeutique), mêlés à ce qu’il faut de populisme et de flou opportuniste pour que ça fasse « moderne ».

En fait de « nouveau modèle de civilisation », « Urgence écologie » prône un capitalisme vert, à travers des baisses de charges pour les entreprises « écolos », l’interdiction des activités polluantes mais l’investissement au service du capitalisme «éthique ». On voit d’ailleurs que le projet de décroissance porté par « Urgence écologie » est en fait une défense du petit capitalisme, à travers les « monnaies locales » notamment.

Si ces gens montrent les muscles face aux « lobbys », qu’ils veulent fermement encadrer et séparer des institutions européennes et nationales, et s’ils parlent de réguler drastiquement les activités des grands capitalistes, jamais il n’est question de remettre en cause ou d’attaquer de front le capitalisme.

Derrière le discours sur les « citoyens », on retrouve toujours la défense des « réseaux d’élus », des associations les plus institutionnelles. C’est bien le vieil opportunisme électoraliste des pseudo-écologistes qui se fait jour.

Des carriéristes qui utilisent le combat écologique pour se faire une place au chaud, soit en se faisant élire de manière autonome, soit en s’alliant et en négociant avec des structures plus grosses. « Urgence écologie » parle d’ailleurs d’une logique de « rapport de force » pour influencer les autres élus, les partis plus forts, les institutions.

En se faisant les hérauts de la « transparence », ils ne sont au service que de leur carrière et d’une relance colorée en vert des institutions de l’Union européenne et du capitalisme plus généralement. Prévoyant qu’on pourrait leur faire remarquer que leur modernisation de l’Union européenne nécessiterait l’assentiment des autres États, ils proposent la création d’une « Communauté Ecologique Européenne avec les pays volontaires » car « on ne peut plus attendre un consensus […] pour agir ».

L’idée est que, si on ne peut changer l’UE, alors il faut commencer à agir via une autre structure. S’il est impossible de convaincre les autres pays de l’UE de faire une politique écologique, alors il sera possible de les convaincre de faire une politique écologique en dehors de l’UE. C’est très peu crédible, et on voit bien là une annonce tonitruante qui cache un vide sidéral.

Ces petits partis ont beau affirmer leur pseudo-radicalité (alors qu’ils sont parmi les plus modérés depuis toujours), ils ont bien du mal à masquer que la première urgence qui les préoccupe, c’est celle de leur carrière. Ils ne peuvent plus se rattacher au PS, difficilement avec LR, et LREM n’a que faire d’eux. Il leur faut donc s’affirmer de manière autonome en espérant pouvoir se raccrocher aux branches politiciennes de forces plus importantes.

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Faut-il voter pour la liste de Lutte Ouvrière ?

L’organisation trotskiste présente une liste aux élections européennes, afin d’appeler au combat des travailleurs contre le grand capital. Cela se veut cependant uniquement une candidature témoignage, la politique étant totalement rejetée. Lutte Ouvrière scie ainsi la branche sur laquelle elle est assise.

À la dernière place de la liste de Lutte Ouvrière, on trouve symboliquement Arlette Laguiller. Cette dernière fut à un moment très connue dans notre pays ; il y a eu un réel mouvement de sympathie pour cette femme qui, à travers plusieurs décennies, a maintenu le flambeau d’une certaine affirmation sociale de type révolutionnaire. Son opiniâtreté a payé. Lutte Ouvrière n’a toutefois pas su quoi faire de cela et la sympathie a disparu, l’indifférence vis-à-vis de Lutte Ouvrière reprenant le dessus.

C’est que Lutte Ouvrière présente un paradoxe. Son discours est tourné vers les ouvriers, les socialistes, les communistes, appelant à la lutte. Mais ces luttes ne sont jamais définies, le seul horizon étant le renversement du capitalisme. Lutte Ouvrière est en effet une organisation dont l’idéologie est « gauchiste ». Sa logique est celle du débordement permanent au moyen des revendications économiques et sociales. Il n’y a pas d’espace pour les réflexions sur l’actualité politique ou culturelle.

Pour Lutte Ouvrière, toute actualité politique est un piège pour les travailleurs, une perte de temps. Les actualités culturelles sont également considérés comme une dispersion pour les militants, et même pour les travailleurs. La seule chose qui compte, ce sont les revendications contre le patronat afin de former une organisation prête au renversement du capitalisme. Cela a pu en fasciner certains, voyant là un sincère romantisme révolutionnaire ; cela a pu aussi dégoûter et donner une impression de sectarisme, voire de secte.

Dans les années 1970, cela a empêché la fusion prévue avec la Ligue Communiste Révolutionnaire, elle aussi trotskiste. La LCR, elle, cherchait inversement la « dialectique des secteurs d’intervention », les militants partant à la conquête des associations, des mouvements, suivant l’adage « tout ce qui bouge est rouge ». De là vint la mise en valeur des « mouvements sociaux », ce qui assurera à la LCR un important succès pavant la voie au Nouveau Parti Anticapitaliste, qui lui ne donnera rien.

Les militants de Lutte Ouvrière et de la LCR se distinguaient ainsi radicalement. Pour entrer à Lutte Ouvrière, il fallait auparavant montrer patte blanche, suivre un certain moule. Pas de boucles d’oreille pour les hommes, ni de cheveux longs, il fallait également un habillement passant inaperçu dans les milieux populaires. Les militants se fréquentent entre eux et ne connaissent pas d’autres horizons. Le style était rigoureusement conservateur sur le plan des mœurs. À la LCR, il était au contraire décadent, avec le culte de l’amour libre, du style de vie hédoniste, etc. Les deux ne pouvaient pas s’entendre pour cette raison même.

Lutte Ouvrière n’est aujourd’hui, évidemment, que l’ombre d’elle-même. Elle cède à la pression du capitalisme moderne ; elle est par exemple prête aujourd’hui à la légalisation du cannabis, que jamais elle n’aurait accepté de par le passé. Son accentuation militante sur la clandestinité a disparu : pour connaître la liste des cadres, il suffit de regarder les listes électorales, et même les tracts donnent des numéros de téléphone. Le ton n’est pas du tout triomphaliste et il est clairement expliqué qu’il faut tenir en attendant des temps meilleurs.

Les gens qui votent pour Lutte Ouvrière ne s’intéressent la plupart du temps pas à tout cela. Il y a toujours un vote très à gauche en France, quelle que soit la liste. C’est histoire de montrer l’attachement à une affirmation révolutionnaire. Ce faisant, ce n’est pas politique, c’est romantique. Cela a sa dignité, évidemment. On peut dire qu’on veut la révolution et ne pas trouver d’espace politique pour aller de l’avant. On vote alors pour le symbole. Lutte Ouvrière dit elle-même que voter pour sa liste, c’est faire le témoignage qu’il faut faire avancer la cause des travailleurs.

Certains diront que si la liste faisait 10 % cela aurait un sens, et qu’avant c’était plus facile dans tous les cas, car il y avait une Gauche. Les mauvaises langues diront que justement de tels gauchistes n’ont jamais pu vivre qu’à l’ombre des grands partis de gauche, des gouvernements de gauche. Il y au moins une part de vérité. Mais inversement, Lutte Ouvrière a été totalement oublié par les listes de gauche aux européennes. Personne n’a essayé de discuter avec elle, même si on connaît le résultat d’avance. Lorsque les médias ont mis Lutte Ouvrière de côté pour le grand débat, personne ne les a soutenus, et pourtant Lutte Ouvrière a en France plus de légitimité, même électorale, que Génération-s de Benoît Hamon.

Le choix de voter pour Lutte Ouvrière dépend donc d’une certaine mise en perspective. On peut dire qu’on fait un vote témoignage et cela d’autant plus si on apprécie la démarche de Lutte Ouvrière, ou même si on se dit, qu’au moins, il y a quelqu’un pour qui le mot ouvrier n’est pas un gros mot ! On peut aussi voter pour une autre liste, qui elle fait par contre de la politique et ne dit pas la même chose à chaque élection. En espérant ainsi que les choses se décantent. Évidemment, on peut aussi malheureusement ne pas voter, en considérant qu’il faut une remise à plat et que là on ne fait que contourner les problèmes.

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La liste La France insoumise aux élections européennes n’est pas de gauche

En campagne depuis plusieurs mois, la liste La France insoumise conduite par Manon Aubry a un projet qui s’inscrit dans la continuité populiste du programme national de l’organisation de Jean-Luc Mélenchon. Cette liste ne peut pas être qualifiée de gauche.

Si, pour les besoins des élections européennes, la France insoumise s’est alliée à des partis s’inscrivant encore dans le cadre de la Gauche, la dimension populiste de leur ligne demeure très présente. Ni le vocabulaire employé, ni la ligne générale suive par cette organisation, n’appartient à la Gauche. Il s’agit d’une sorte de version « gauchisante » de l’Union populaire républicaine de François Asselineau ou une variante du Rassemblement national de Marine Le Pen qui est pour l’immigration.

La logique plébiscitaire est clairement revendiquée. Il est dit – et cette phrase symbolise très bien l’orientation populiste de La France insoumise – que :

« 2019 sera un référendum contre Macron, contre son Europe, celle du fric, de l’austérité, de Merkel. Mais également un plébiscite pour une réelle alternative. »

Plébiscite, critique de la gestion du capitalisme (« l’austérité ») mais pas du capitalisme, dénonciation des dirigeants précis, de l’emprise allemande… On n’est pas loin de Paul Déroulède et on retrouve l’esprit chauvin, populiste et germanophobe du livre Hareng de Bismarck, de Jean-Luc Mélenchon.

Il est dit, de manière particulièrement fascisante, que « L’Union actuelle se résume à un marché unique où les peuples sont soumis à la dictature des banques et de la finance. »

On retrouve la même focalisation que les fascistes sur l’ « argent » (ici, le « fric »), la « finance », les « banques », plutôt que la dénonciation du capitalisme. D’ailleurs, Jean-Luc Mélenchon l’a martelé : il n’est pas contre le capitalisme, il veut « remplir le carnet de commande des entreprises » et construire une « économie mixte », à gestion « keynésienne ».

Dans la logique de soutien aux « bonnes affaires » de Dassault qu’avait professé Mélenchon par le passé, ou de son intérêt pour Martin Bouygues professé plus récemment, ce sont les intérêts de la puissance française qui sont ici défendus. Pour faire simple : la France serait sous tutelle, et il lui faudrait s’affirmer de manière agressive pour pouvoir assurer une gestion sociale du capitalisme.

Comme chez un Asselineau, on nous explique que les privatisations, les destructions des services publics (dont Jean-Luc Mélenchon est également responsable, lui qui fut sénateur puis sous-ministre socialiste au temps des privatisations et qui permit, comme sous-ministre de l’enseignement professionnel, à des entreprises comme Dassault de mettre davantage le pied dans les lycées techniques et professionnels), seraient uniquement le fait de l’« Europe », dédouanant ainsi le capitalisme français.

Emmanuel Macron ne serait pas le représentant d’intérêts capitalistes français mais le « fils aîné » de cette « Europe supranationale », soumis « aux ordres de la Commission », de la « droite allemande », de l’ « oligarchie et des lobbys ».

On retrouve des attaques à tonalité très nationaliste contre les dirigeants « vendus à l’étranger », soumis à la « caste » de la « finance mondiale ». On n’est pas loin, à bien y regarder, des thèses complotistes, antisémites ou anti-maçonniques, sur le petit groupe de malfaisants qui contrôle le « capitalisme apatride » et vend le pays à l’étranger. En exagérant à peine, et sans faire non plus des efforts surhumains d’imagination, on retrouverait presque les thèmes anti-dreyfusards.

Le projet est très simple : il faut « dégager » (ce terme populiste est revendiqué) les mauvais gestionnaires corrompus pour prendre leur place, la France doit montrer les dents, s’imposer comme grande puissance combattant l’Allemagne, pour imposer ses vues.

Dans sa guerre contre les États-Unis et l’Allemagne (les « yankees » et les « boches », comme dirait Jean-Luc Mélenchon, dans toute sa délicatesse chauvine et xénophobe), la France insoumise s’oppose aux accords de libre-échange… pour mieux proposer une alliance stratégique avec la Russie, la Chine (et les autres États des « BRICS »), afin de former un « nouvel ordre monétaire international » s’opposant aux États-Unis et favorisant les intérêts capitalistes français.

On voit toute l’hypocrisie du projet, qui prétend « soutenir les pays en développement souhaitant défendre leur souveraineté économique » mais qui évoque, quelques lignes plus bas l’importation de produits issus du commerce équitable venant de ces pays. C’est-à-dire, en termes moins hypocrites, de renforcer les liens de types impérialistes entre la France et ces pays qui sont, pour l’heure, soumis à un « impérialisme » concurrent, et faire d’eux des importateurs de produits agricoles.

Il n’y a aucune différence avec la domination que subissent déjà ces pays (africains ou latino-américains, par exemple) de la part de la Chine, des États-Unis ou de la Russie, si ce n’est qu’il s’agirait pour la France – et également une Union européenne dominée par elle – de réserver le créneau du commerce « équitable ».

En fait de soutenir la « souveraineté économique » de ces pays, cela reviendrait à maintenir la spécialisation de leur économie et, donc, la soumission de ces petits pays « gardes-manger » aux grandes puissances. Un impérialisme « écolo », en quelque sorte.

La France insoumise veut sortir de l’OTAN (ce qui est aussi une revendication traditionnelle de la Gauche) et affirme par ailleurs la nécessité de l’indépendance de la France (pauvre cinquième puissance mondiale opprimée…) On jugera du caractère européen d’un programme qui veut «  Défendre l’indépendance de la France, le principe d’une action de police et non militaire, et le renforcement des moyens de l’État pour lutter contre le terrorisme. »

C’est sous-entendre que l’Union européenne empêcherait la France d’avoir une politique anti-terroriste autonome… Cela est d’autant plus étrange qu’il s’agit juste après dans le programme de défendre l’indépendance de l’Union européenne par rapport aux États-Unis.

C’est d’ailleurs la base de la position de la France insoumise : on ne quitte pas directement l’Union européenne, mais on fait comme on veut, que cela plaise ou non. Là où un Benoît Hamon dit qu’on peut commencer à agir dans le cadre de l’Union européenne ou qu’un François Asselineau dit qu’on ne le peut pas, la FI tente un entre-deux très opportuniste basé sur l’idée, martelée depuis des années par Jean-Luc Mélenchon, selon laquelle « quand la France parle, on l’écoute ».

Pour le reste, la France insoumise défend quelques positions écologiques mais ne propose pas grand-chose de concret pour lutter contre l’exploitation animale : la vivisection est condamnée, mais seulement en partie, on propose un « élevage en faveur du bien-être animal », etc. Le petit exploitant « biologique et paysan » est idéalisé, et présenté comme respectant le « bien-être animal ».

Quel bien-être est celui qui consiste à être exécuté au bout d’un cinquième de son espérance de vie pour être consommé ? Quant au culte du petit producteur indépendant, il s’oppose à la nécessité de notre temps : une production biologique à large échelle, pour nourrir la population planétaire sans détruire l’environnement. De ça, la France insoumise ne peut vouloir, puisqu’il faut toujours relancer le capitalisme, même bio. Les poissons sont considérés comme des « ressources », ce qui est logique puisque la France insoumise veut développer la pisciculture.

Certes, cette organisation défend des mesures sociales, de protection des travailleurs (sans aller non plus jusqu’à affronter les « droits des entreprises », évidemment), des mesures écologiques (notamment concernant l’interdiction des pesticides, la lutte contre la pollution, etc.) ou démocratiques (plus de contrôle sur l’action de la Commission européenne), mais tout apparaît comme soumis à la volonté de renforcer la France, et de « mieux gérer » le capitalisme français et européen que la « caste » précédente.

C’est sur la base d’une mobilisation social-chauvine et particulièrement populiste que la France insoumise mène campagne, excusant d’une certaine manière son nationalisme derrière une prétention altermondialiste et poussant des cris d’orfraie chaque fois que l’on en pointe les travers, dénonçant la « calomnie », la « félonie », la « censure », etc.

Si on devait résumer le projet de la France insoumise en quelques points, on pourrait dire qu’il s’agit :

• de renforcer l’influence française et d’affronter l’Allemagne et les États-Unis en s’alliant avec la Chine et la Russie ;

• de modeler une Union européenne au service des intérêts de la France ;

• de moderniser la France et l’Union européenne dans le sens d’un « capitalisme vert », l’idée étant d’investir dans le « capitalisme vert », et de renforcer la puissance capitaliste pour pouvoir proposer une politique plus sociale, plus écologique.

Les mesures écologiques et sociales apparaissent ainsi comme soumises à la perspective de gestion efficace et de modernisation du capitalisme, avec le renforcement de l’agressivité capitaliste française en arrière-plan et l’affrontement avec les concurrents de la puissance française.

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Les gilets jaunes ou la permanence du sorélianisme en France

On ne soulignera jamais assez la nature philosophique des gilets jaunes, le caractère anti-politique de leur style. À l’arrière-plan, on a la démarche de Nietzsche, Sorel, Bergson.

Le fait que les gilets jaunes se soient maintenus si longtemps et aient formé leur propre culture exige de rappeler un point fondamental, que la Gauche historique a très bien connu à ses débuts. Il faut se rappeler que le mouvement socialiste (dont une partie deviendra communiste) a été confronté à l’origine à un très puissant mouvement anarchiste. Une partie de ce mouvement a consisté en les anarchistes « bombistes » (comme Ravachol), partisans de la propagande par le fait. Une autre partie a consisté en les syndicalistes révolutionnaires.

C’est cela qui a produit l’approche irrationnelle développée par Georges Sorel, dans Les réflexions sur la violence. Les avancées contestataires, subversives, ne pourraient pas s’appuyer sur la raison. Cette dernière ne pourrait pas établir quelque chose de solide, de fort. Georges Sorel raisonne en termes de résultats, en termes pragmatiques ; pour changer les attitudes, il faut une mobilisation au-delà de la raison :

« Le langage ne saurait suffire pour produire de tels résultats d’une manière assurée ; il faut faire appel à des ensembles d’images capables d’évoquer en bloc et par la seule intuition, avant toute analyse réfléchie ».

Georges Sorel était un syndicaliste révolutionnaire et son intuition reposait sur le vécu des ouvriers dans le capitalisme. Voici la citation en entier :

« Le langage ne saurait suffire pour produire de tels résultats d’une manière assurée ; il faut faire appel à des ensembles d’images capables d’évoquer en bloc et par la seule intuition, avant toute analyse réfléchie, la masse des sentiments qui correspondent aux diverses manifestations de la guerre engagée par la socialisme contre la société moderne. »

Il suffit de remplacer les sentiments du « socialisme » (d’ailleurs ici « spontané », syndicaliste) par n’importe quoi d’autre et on aura quelque chose qui ne fasse même plus semblant d’être de gauche. Le personnage historique le plus connu qui a repris Sorel est d’ailleurs Mussolini. Son anti-marxisme l’a fait adopter ce principe de la « mobilisation » autour d’un mythe, la dignité du mouvement reposant non pas sur l’objectif, mais sur la mobilisation elle-même. Du moment qu’on bouge, on se transcende.

Les gilets jaunes ne voient pas les choses autrement. En se mobilisant, ils pensent en soi déjà gagner, comme si l’engagement de leur existence dans quelque chose suffisait à assurer la victoire que, il faut le noter, eux-mêmes seraient bien incapables de définir. Les revendications ne comptent pas tant que le style des revendications, la démarche est une fin en soi.

Les gilets jaunes sont bien en ce sens un mouvement réactionnaire, de type fasciste, car philosophiquement nietzschéen, sorélien, bergsonien. C’est l’idée qui transporterait la vitalité dans la réalité.

On ne peut évidemment rien faire du tout avec de telles personnes. Même elles ne peuvent rien faire avec elles-mêmes. C’est pour cela que les gilets jaunes sont de moins en moins. À un moment, les gens en faisant partie se lassent, ils cessent d’être auto-intoxiqués, auto-hypnotisés. Ils passent à autre chose, ils abandonnent leurs propres croyances. Par contre, et c’est là le problème de fond, leur style reste. Leur démarche a fasciné, leur style a marqué les esprits. C’est une véritable école anti-politique qui s’est développé.

À cela s’ajoutent les anarchistes, qui les ont rejoint, justement par convergence anti-politique. Le mélange gilets jaunes – anarchistes des black blocks a été une véritable école de formation, produisant une démarche au style qu’on connaît historiquement : c’est celui des SA, des chemises noires. C’est le style du mouvement « élémentaire », partisan du coup de poing, du coup de force.

Comment la Gauche, déjà si faible, va-t-elle être en mesure de faire face si une telle démarche élémentaire réapparaît à moyen terme ? La Gauche historique allemande et italienne avaient échoués malgré sa force. Alors une Gauche française faible, sabotée par les courants post-modernes, post-industriels, post-historiques, post-nationaux ?

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Vienne et le « grand remplacement »

Pratiquement la moitié de la ville autrichienne de Vienne est composée d’étrangers, le reste étant souvent également issue de l’immigration. Mais celle-ci est historique et s’appuie sur des ressorts déterminés par la situation politique et géographique. Même ce « grand remplacement », d’ampleur énorme, n’a pas été « décidé » : il est une simple conséquence des aléas de l’histoire.

La thèse du « grand remplacement » venue de la Droite identitaire a fini par acquérir un certaine notoriété, ce qui intellectuellement est très étonnant. On a même le droit à une liste électorale sur ce thème pour les élections européennes (La ligne claire), menée par Renaud Camus lui-même.

Faut-il en effet qu’on soit coupé de toute regard réaliste, matérialiste, concret, appelons cela comme on le voudra, pour ne plus être capable d’analyser les phénomènes propres au capitalisme et à l’immigration ?

Il est vrai que de part et d’autres, les leviers sont puissants. La thèse du « grand remplacement » fait appel à la théorie du complot, et cela fascine aisément. De l’autre, la négation des réalités économiques, sociales et culturelles de l’immigration est un leitmotiv du libéralisme. On ne touche pas à ce qui est bon pour le business.

Aussi, rien de tel que de porter un regard sur une ville européenne où le « grand remplacement » est un fait, pour des raisons historiques. On veut savoir si le « grand remplacement » existe ou pas ? Jetons un œil sur la ville de Vienne aujourd’hui et qu’y voit-on ? Que plus de 40 % des habitants sont d’origine étrangères. Que la majorité des lycéens parlent une langue autre que l’allemand à la maison.

La ville donne même des statistiques pour chaque arrondissement. Cela donne par exemple 36,5 % pour le premier arrondissement, le plus chic (avec donc une immigration russe et fortunée notamment). Mais encore 47,8 % pour le 10e arrondissement, 50,1 % pour le 20e arrondissement, 42,2 % pour le 4e arrondissement, 28,7 % pour le 13e arrondissement.

Comme il n’y a pas la double nationalité en Autriche, ces gens d’origine étrangère ne peuvent souvent pas voter ; leur niveau éducatif étant bas et le système administratif-juridique très tortueux, ils présentent des possibilités importantes d’emplois à bas salaires. Ils vivent également parfois de manière ouvertement ghettoisée, ainsi avec des zones turques ou serbe où l’entre-soi est total.

Autant dire que c’est le jackpot pour le capitalisme. Quelle continuité politique peut-il y avoir dans une ville où la moitié de gens vient d’arriver, à une génération près ? Cependant, Renaud Camus aurait tort ici de voir un exemple de « grand remplacement » tel qu’il l’entend. Car Vienne a toujours été ainsi. L’immigration a toujours été massive et bien souvent les gens qui votent pour l’extrême-droite, voire même les responsables de l’extrême-droite (comme son dirigeant Strache), ont des noms slaves, notamment tchèques.

C’est que la ville de Vienne était en effet à la base la capitale de l’Autriche, puis de l’Autriche-Hongrie. Là était centralisée la richesse, les entreprises pour la partie directement autrichienne (le reste étant dans la partie tchèque, notamment Brno, la Manchester morave). Les gens affluaient, dans le cadre de l’exode rural. Pour survivre, il fallait arriver à Vienne.

L’antisémitisme effroyable de cette ville avant 1914 vient notamment de l’arrivée de pauvres hères juifs des zones totalement arriérées de Galicie, sous domination autrichienne (et non hongroise). Cela a provoqué un choc culturel et les démagogues se sont rués sur la question.

Au début du 20e siècle, deux millions de personnes s’entassaient donc dans cette ville, dans des conditions d’hygiène effroyables, bien pire encore que dans les autres pays développés de l’époque. Une fois l’empire disparu, avec ses institutions, la ville a perdu une partie très importante de ses habitants ; à l’horizon 2029, elle reviendra à ce chiffre de deux millions. Mais elle a donc été traversée par l’immigration, car elle a été un carrefour.

Il en va de même pour Paris, capitale d’un pays qui a été un empire. Nul machiavélisme à cela, et les grands capitalistes ne sont pas des marionnettistes ordonnant au personnel politique d’enclencher tel ou tel levier. Ils ne peuvent que suivre des tendances se déroulant malgré eux, en fonction des opportunités. Ce sont les intérêts qui prédominent.

On peut bien entendu regretter tout ce chaos, cette absence de planification, cette communautarisation, cette destruction des traditions propres à une ville. Mais s’imaginer qu’il y aurait une « cause » est une abstraction intellectuelle, car les choses se transforment et le capitalisme transforment les choses selon ses besoins, voilà le problème.

Si Renaud Camus n’était pas un idéaliste cherchant une « cause », il dirait : quelle est la nature du phénomène, sur quoi repose-t-il ? De quoi découle-t-il, de quelles tendances de fond, propre à une réalité économique ? Au lieu de cela, il fait un fétiche du phénomène de l’immigration et imagine un complot, comme si le capitalisme pouvait « penser » et qu’on pouvait séparer l’immigration de toute la réalité historique. Mais une multitude d’entrepreneurs ne pensent pas en commun ! Ils agissent de manière chaotique selon leurs intérêts particuliers.

L’immigration est une simple conséquence du chaos qui règne dans le monde. La division entre employeurs et salariés obligent des millions de personnes à se déplacer loin, à tout abandonner, à s’insérer dans des dispositifs économiques précis. Ils croient choisir, mais ils ne choisissent rien du tout. Personne ne choisit rien. C’est l’Histoire qui décide, et en ce moment, c’est le capitalisme qui fait l’Histoire.

Si Renaud Camus veut maintenir la culture, la civilisation, comme il le prétend, alors qu’il assume l’Histoire et qu’il cherche à la transformer, au lieu d’idéaliser l’Histoire du passé et de penser qu’elle va réapparaître simplement en le « décidant » par en haut.

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Dix raisons de se méfier de la liste Europe écologie conduite par Yannick Jadot aux Européennes

La liste Europe écologie conduite par Yannick Jadot et présentée par Europe Écologie-Les Verts a un programme intitulé « Plan d’action : qu’est-ce qu’on attend pour tout changer ? » (disponible ici). En voici une présentation critique, en dix points, qui explique pourquoi on devrait se méfier de cette liste quand on est à Gauche.

1/ Parce que l’écologie n’est pas le nouveau Socialisme

Yannick Jadot a farouchement refusé de s’allier avec les partis de la Gauche pour les élections européennes, alors que les Verts en France ont toujours été liés à la Gauche, électoralement et socialement.

Il y a la prétention, devenue classique, que le thème de l’écologie serait suffisant en lui-même, qu’il pourrait remplacer la conception de Socialisme comme perspective pour l’avenir du monde. Les « questions environnementales » devraient alors avoir une « force normative » pour déterminer « l’action politique et les choix de l’UE ».

L’écologie, comme thème, porterait la solution sociale, pour en quelque sorte endiguer un capitalisme à la dérive :

« Le plan d’investissement massif pour le climat que nous proposons est un bouclier tant écologique que social. »

Ce qui est proposé est un keynésianisme typique de ce qu’a pu faire le Parti socialiste ces quarante dernières années, mais sans la dynamique populaire de la Gauche :

« Face à la baisse de compétitivité et au chômage galopant, nous choisissons d’investir dans l’environnement. »

> Lire également : Yannick Jadot fait en sorte qu’EELV tourne le dos à la Gauche

2/ Parce que la liste mise sur un vote « par défaut » de la part de gens de bonne foi qui se disent qu’au moins, l’écologie va forcément dans le bon sens

C’est un positionnement de type marketing, où il s’agit plus d’occuper un créneau que de proposer une véritable perspective avec un contenu général.

Les principales listes pour les Européennes, et en tous cas celles liées à la Gauche, assument toutes le thème de l’écologie. La liste Europe écologie prétend simplement être la mieux placée sur ce terrain, en assumant exclusivement ce thème comme dénominateur des autres thèmes.

Cela donne un programme très vague, avec beaucoup de choses qui sont dites, mais qui peuvent à chaque fois être assumées par au moins une autre liste majeure.

On y retrouve ainsi un peu du populisme de la France insoumise, de la vigueur tempérée d’un Benoît Hamon, du modernisme d’un Raphaël Glucksmann et beaucoup du « réalisme » d’Emmanuel Macron.

C’est une construction à visée clairement électoraliste.

3/ Parce que le plan d’action imaginaire en cinq ans qui aurait fini par tout changer en 2024 relève de la mythomanie

Le document du programme de la liste pour les élections est introduit par un texte d’anticipation. Il est fait comme si, en 2024, on écrivait la rétrospective des cinq dernières années ayant changées le climat.

La liste aurait eu un grand succès, comme les autres listes « vertes » européennes, ce qui leur permettraient « enfin de peser ». Les « inquiétudes écologiques, sociales et démocratiques » secouerait en fait déjà l’Europe en 2019, ce qui est absolument faux.

On aurait alors droit à cette construction médiatique qu’est Greta Thunberg pour le discours inaugural du Parlement en juillet, avec des « mouvements de jeunesse pour le climat » qui sortiraient d’on ne sait où afin d’appuyer cette sorte de grand élan écolo.

Il est expliqué ensuite que les écologistes auraient réussit à dépasser les oppositions entre les forces de droite et de gauche, pour parvenir à quelque-chose, comme si d’ailleurs le Parlement européen pouvait véritablement parvenir à quoi-que cela soit, alors qu’il n’est dans les faits qu’un relais sans grand pouvoir du Conseil et de la Commission.

C’est un discours anti-politique d’une naïveté incroyable, qui contribue à dessiner encore plus cette malheureuse caricature de l’écolo « bobo », vivant dans un monde parallèle, pour ne pas dire au pays des Bisounours…

4/ Parce que le programme ne s’appuie pas sur une pratique concrète, de terrain, de l’écologie, mais sur des habitudes au sein d’institutions

Une liste réellement « écolo », si tant est que cela doive exister, s’appuierait sur la pratique quotidienne de militants de terrains.

Seraient alors mises en avant des personnes qui luttent ici contre tel projet d’une destruction de zone humide, là contre le nucléaire, contre la déforestation, contre la consommation d’huile de palme, contre la chasse à courre, contre l’exploitation animale en général, etc.

On aurait alors sur la liste des gens présentés comme luttant pour la protection animale dans les refuges, s’organisant pour développer le végétalisme, pratiquant une agriculture meilleure dans les campagnes ou des jardins ouvriers et des potagers urbains dans les grandes villes, promouvant les déplacements à vélo, etc.

Tel n’est pas du tout le cas avec cette liste menée par l’ancien dirigeant de Greenpeace, cette horrible ONG dont la démarche consiste à demander beaucoup d’argent aux gens pour réaliser de grandes opérations « coup de poing » de communication (tout en rémunérant confortablement un certain nombre de personnes).

La description de beaucoup d’autres colistiers est du même acabit, avec des personnes relevant des institutions et pas des pratiques populaires.

5/ Parce que le point de vue n’est pas biocentré, mais anthropocentriste

S’il est dit que « la condition humaine n’est pas de détruire la vie sur Terre, mais de la préserver. », cela relève de la bonne phrase pour faire genre, et certainement pas d’une vision du monde biocentrée.

Il est en fait question partout ailleurs de l’humanité en péril, de part la dégradation de son environnement. Il est surtout expliqué que « notre destin est humain et terrestre », car nous n’avons pas d’autre planète, comme si le fait que l’humanité ne puisse pas aller ailleurs changeait quelque chose au problème de la Terre.

La phrase suivante en dit long sur la conception des gens ayant écrit ce programme :

« Le propre de notre espèce n’est pas la domination mais la coopération, c’est ainsi que nous survivons depuis toujours. »

Cela paraît bien, mais c’est anthropocentriste. L’humanité n’est en rien particulière, elle ne devrait même pas être le sujet ici. Elle n’est que le produit partiel d’un ensemble qui consiste en la vie sur Terre, qui est par définition le produit de développements symbiotiques.

S’il est dit que les animaux « sont exploités et maltraités pour une économie de surconsommation », ce n’est fait qu’au passage, dans une autre belle phrase. Jamais il n’est question des animaux ailleurs, à aucun moment le programme de la liste Europe écologie s’intéresse réellement, concrètement, aux animaux.

Ce qu’il faut retenir de ce plan d’action, c’est que :

« La question cardinale est celle de la dégradation du climat, puisqu’elle menace notre survie elle-même. »

6/ Parce qu’il y a une croyance idéaliste en le fait que les institutions européennes puissent devenir « écolo »

Ce qu’il faudrait, c’est une « justice environnementale » avec « un parquet européen autonome capable de lutter contre les écocrimes et les écocides, et la reconnaissance de droits à la nature : montagnes, fleuves, mers, océans, littoraux, plaines et forêts… »

Cela s’accompagnerait d’une « Chambre du vivant et du temps long » pour protéger les « communs environnementaux ».

Les choses sont considérées sous le prisme des institutions européennes, avec de nouvelles institutions qui seraient créées sur le modèle de ce qui existe déjà, pour faire de l’Union européenne une sorte de super-laboratoire de l’écologie.

On se demandera par quel miracle l’Union européenne pourrait devenir ce qu’elle n’est pas, mais il faudrait en tous cas considérer qu’elle est forcément le moyen de changer les choses :

« Certains, surfant sur la colère et le découragement, proposent de tourner le dos à l’Europe. C’est une faute. Comment gagner la bataille engagée en désertant le champ de bataille ? Seul.e.s derrière nos frontières, nous serions plus fort.e.s ?

C’est une illusion et une illusion dangereuse. Nous mesurons le désamour qui touche les institutions européennes. Et nous sommes en colère contre l’état actuel et le fonctionnement de l’Union européenne. Mais l’idée d’Europe, nous la faisons toujours nôtre.

Nous continuons à la défendre non pas parce qu’elle est parfaite telle qu’elle est mais par ce que nous ne confondons pas l’Europe avec ses dirigeants actuels. Nous ne céderons pas un pouce de terrain aux partisans du repli. Parce que, pour surmonter les épreuves que nous traversons, notre avenir est forcément Européen.

De la Suède à la Grèce, de l’Irlande à Chypre, nous défendons une autre Europe. »

On se demandera aussi, sans trouver de réponses, pourquoi il ne faudrait pas regarder tout autant du côté du Mali et de l’Algérie, de la Suisse et de la Turquie, du Canada et de l’Argentine, de la Mongolie et de la Corée du Sud, de l’Afghanistan et des Philippines, etc. ?

7/ Parce que Yannick Jadot est une sorte de « Macron vert »

Yannick Jadot est « un très bon copain » de Daniel Cohn-Bendit, ancien Vert qui soutien Emmanuel Macron. Il a aussi à peu près le même parcours qu’un Pascal Canfin, du WWF et dit peu ou prou la même chose qu’un François de Rugy, qui tous deux soutiennent Emmanuel Macron.

La perspective de ces gens est là même, consistant en un centrisme plus ou moins libéral économiquement, toujours libéral sur le plan des mœurs, pour déborder la Gauche par la droite.

Yannick Jadot parle ainsi beaucoup d’Emmanuel Macron, dont la liste est en fait la principale préoccupation :

« Emmanuel Macron fait des grands discours teintés de vert mais la politique qu’il conduit ne suit pas. »

La grande actualité politique serait le départ du gouvernement de Nicolas Hulot et il s’agirait de comprendre que « la cohérence et l’efficacité, c’est le groupe écologiste ».

Comme avec Emmanuel Macron qui parlait « Révolution » pour ne surtout rien changer, on a avec Yannick Jadot un discours institutionnel centriste, mais avec un slogan vindicatif :

« Le système, la politique, nos vies : tout doit changer. »

8/ Parce qu’il est parlé du « pouvoir de l’argent »

« L’histoire est en marche. Nous sommes convaincu.e.s qu’elle n’appartient pas à des élites dépassées, ridiculement conservatrices et dangereusement obsédées par le pouvoir de l’argent. »

De tels propos sur « l’argent » sont insupportables pour qui est à Gauche.

On ne sait que trop bien où mène ce populisme, cette sémantique anticapitaliste romantique digne de la France insoumise et du Rassemblement national, qui eux aussi parlent de « remettre la finance à sa place ».

L’extrême-droite la plus radicale, la plus antisémite, ne renierait pas de tels propos sur la « loi de l’argent » qui régnerait en « maîtresse de toute chose » actuellement en Europe.

C’est inacceptable.

9/ Parce que le capitalisme est critiqué sans être critiqué

Il y a dans ce programme de la liste Europe écologie un grand flou quant à la conception économique, qui révèle soit d’un manque de cohérence, soit d’un grand opportunisme, ou probablement les deux.

Il est par exemple expliqué :

« Un capitalisme barbare détruit la nature et humilie des millions d’êtres humains. »

On lit également des choses comme :

« Dans le secteur privé, la concentration du pouvoir économique et financier entre les mains de quelques-uns a engendré une perversion du système économique, le renchérissement des produits, l’usage de produits toxiques, des fraudes accrues et a renforcé le poids des lobbies. Nous proposons un plan anti-trusts contre les pollueurs. »

Il n’est cependant jamais expliqué par quoi on remplacerait le capitalisme, ni même s’il faudrait en fait remplacer le capitalisme. Les solutions consistent en tous cas en les recettes politiques habituelles, maintes fois répétées sous telles ou telles formes, avec toujours comme perspective le marché, et jamais le Socialisme :

« relever le budget de l’Union européenne à 5% de son PIB », « un grand plan d’investissement de 100 milliards d’euros », « réformer la BCE » (la Banque centrale européenne), contre le « diktat de la non-inflation », « racheter, restructurer et effacer les dettes publiques », « convergence macro-économique », etc.

10/ Parce que la classe ouvrière et les classes populaires n’existent pas dans le programme

Comme la liste Europe écologie de Yannick Jadot ne veut pas être de gauche, alors elle ne l’est pas. Il n’est jamais parlé des classes populaires, du monde du travail, sans parler évidemment de la classe ouvrière, qui n’existe pas dans la conception libérale des choses de ces gens.

Exit bien évidemment la lutte des classes, puisque le problème viendrait de mauvais choix faits par de mauvaises personnes. C’est tout à fait contraire à la conception historique de la Gauche, qui considère non pas les individus mais le système économique lui-même, ainsi que les orientations politico-culturelles de ses classes dirigeantes.

C’est que Yannick Jadot a en fait tout du style et des valeurs des classes dirigeantes, ou pour le dire plus clairement, de la bourgeoisie.

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La socialiste historique Élisabeth Guigou soutient Emmanuel Macron

Figure éminente de l’histoire du Parti socialiste, Élisabeth Guigou a écrit une tribune dans une publication ultra-libérale pour annoncer son soutien à la liste pro-Macron aux élections européennes. C’est toute sa vie politique qu’elle jette aux oubliettes, et la Gauche avec.

Incroyable, il n’y a pas d’autres mots. Qu’Élisabeth Guigou décide de soutenir la liste pro-Emmanuel Macron pour les élections européennes, c’est déjà agir tel un renégat quand on a été socialiste toute sa vie. Mais en plus le faire au moyen d’une tribune dans l’organe de presse ultra-libéral l’Opinion, là on est vraiment dans l’indignité la plus complète.

Vous vous imaginez ? On parle ici de quelqu’un au Parti socialiste depuis 1973 ! Qui auparavant était au PSU avec Michel Rocard… Qui a encore parrainé la candidature de Benoît Hamon pour la présidentielle de 2017… Quelqu’un qui est au bureau national du PS, qui a été secrétaire nationale du PS chargée des questions sociales de 1995 à 1997, secrétaire nationale du PS chargée de la réforme de l’État et des collectivités territoriales de décembre 2008 à 2012…

Quelqu’un qui, en tant que socialiste, a été entre autres député, député européen, ministre déléguée aux Affaires européennes du second gouvernement de Michel Rocard, ministre de la Justice puis ministre de l’Emploi et de la Solidarité du gouvernement de Lionel Jospin…

Quelqu’un qui, en mars encore, racontait avec fierté dans Libération avoir chanté l’Internationale et Le temps des cerises à la buvette de l’Assemblée nationale…

« Une nuit, en plein examen du projet de loi sur le pacs que je présentais, il devait être 2 heures du matin et on venait de subir quatre ou cinq heures de discours de Christine Boutin. J’étais sur le banc des ministres et je suis sortie faire un tour pour souffler. J’ai entendu des rires et j’ai alors vu une vingtaine de députés de tous bords à la buvette en train de boire et de chanter le Temps des cerises ou l’Internationale, sous la houlette de Louis Mexandeau [alors député PS du Calvados]. Je me suis jointe à eux quelques minutes qui m’ont fait oublier la fatigue. »

Comment Élisabeth Guigou peut-elle alors soutenir Emmanuel Macron ? Ce qu’elle explique dans la tribune qu’elle a écrit prend comme seul justificatif, comme seul indicateur, la construction de l’Union européenne, quelque chose « sans précédent et sans équivalent dans l’histoire du monde ». C’est là un peu vite oublier la formation des États-Unis d’Amérique, de l’Union Soviétique, de l’Union Indienne, etc.

Sans compter qu’elle précise immédiatement elle-même : « Il est vrai que ce fut avec le soutien des États-Unis dans un contexte de guerre froide », ou encore « l’ordre établi après 1945 sous l’égide des États-Unis cède la place à un monde imprévisible et dangereux ». C’est là ouvertement admettre que l’Union européenne n’est pas née sur une base de Gauche… et l’accepter. C’est là le drame d’Élisabeth Guigou. Elle est passée de la Gauche politique à la gauche des institutions, l’admettant elle-même en devenant la présidente de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale (2012-2017).

Elle a abandonné la Gauche et ses idéaux, pour se poser en pragmatique de gauche au sein des institutions. C’est le même parcours que François Hollande, Lionel Jospin et tant d’autres. Voici justement comme elle dresse le catalogue de ce que propose Emmanuel Macron, où on cherchera vainement quelque chose ayant un rapport avec le Parti socialiste des origines, dont elle a fait partie :

« Les propositions d’Emmanuel Macron ont le mérite de se concentrer sur quelques priorités : la souveraineté économique, technologique, monétaire, fiscale, sociale et écologique contre la concurrence déloyale des États dominants comme celle des géants du numérique et de l’intelligence artificielle ; la transition écologique financée par une banque du climat et la sécurité sanitaire, face à certains lobbies sans foi ni loi ; la cohésion sociale sans laquelle l’UE ne serait qu’un marché sans âme ; la protection et la promotion de l’Europe de la culture, qu’ont commencé d’incarner, bien insuffisamment, Erasmus et la protection des droits d’auteur ; la maîtrise des migrations par un meilleur contrôle partagé des frontières de l’Union et une solidarité accrue entre les États membres de Schengen ; la sécurité par la lutte contre les cyberattaques, et des règles européennes contre la diffusion par Internet des discours de haine et de violence ; de nouveaux progrès vers une défense réellement autonome, associant le Royaume-Uni en dépit du Brexit, dans un Conseil européen de sécurité intérieure. »

Dans Libération en mars, Élisabeth Guigou se plaignait du manque de reconnaissance des politiques, de « la violence, le mépris et l’antiparlementarisme ambiants… ». Mais ce sont des gens comme elle qui fabriquent cela. Quand on a défend toute sa vie des idées, et qu’on les jette par-dessus bord, on déboussole, on désoriente, on dégoûte. Et voilà ce que fait Élisabeth Guigou, et rien d’autre.

Et on ne sait même pas l’intérêt pour elle de le faire. Au lieu de chercher l’honneur de la loyauté et de s’inscrire dans la reconstruction de la Gauche, qui ne lui aurait pas coûté grand-chose, elle se vend pour strictement rien auprès de personne, car tout le monde s’en moque chez Emmanuel Macron, où elle va agir en simple anecdote pro-institutionnel. C’est idiot, et en plus c’est vide !

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De la FI au RN, Andréa Kotarac : l’inévitable convergence des populismes

De la France insoumise au Rassemblement national, il n’y a qu’un pas et on n’est pas étonné que celui-ci soit franchi par Andréa Kotarac. Le conseiller régional Auvergne-Rhône-Alpes a appelé hier soir à voter pour la liste conduite par Jordan Bardella pour les Européennes, alors qu’il a été membre de l’équipe de campagne de Jean-Luc Mélenchon en 2017 et qu’il était jusqu’à hier membre de la France insoumise.


Cela n’est pas une surprise, tellement l’orientation d’Andréa Kotarac était nationaliste. Celui-ci n’a pourtant pas été exclu de la France insoumise le mois dernier après sa petite escapade avec des fachos en Crimée, largement médiatisée. On imagine que le mouvement de Jean-Luc Mélenchon, malgré quelques divergences internes, voulait garder pour lui celui qui incarnait la ligne « pro-Russe », ouverte à la Russie, à une alliance entre la puissance française et la puissance russe, contre les États-Unis.

Ce « choix » de la Russie est partagé tant par Marine Le Pen que par Jean-Luc Mélenchon. On relèvera d’ailleurs qu’en fin de soirée hier, alors que le compte Twitter de Jean-Luc Mélenchon n’avait pas encore réagi à l’annonce d’Andréa Kotarac, il y était question de la Russie justement, avec une citation du meeting en cours à Besançon :

« Beaucoup de ceux qui sont dans cette salle ont voulu faire l’Europe pour la paix. Et aujourd’hui, on nous entraîne dans la guerre avec la Russie. Nous, nous parlons une langue universelle : plus d’écoles pour nos enfants, donc plus de professeurs ! »

Andréa Kotarac semble donc avoir fait le choix de l’orignal à la copie, en rejoignant le parti de Marine Le Pen . Il a présenté son ralliement, en direct à la télévision, par la volonté de faire « barrage » à Emmanuel Macron :

« J’appelle à voter pour la seule liste souverainiste, qui met en avant l’indépendance de la France, et qui est la mieux à même de faire barrage à Emmanuel Macron, de faire barrage à ce rouleau compresseur anti-social qu’est Emmanuel Macron : cette liste c’est celle de monsieur Bardella ».

Son propos nationaliste était accompagné de cette immonde verbiage populiste, anti-politique, faisant de la haine personnelle un argument :

« Ma mission personnelle c’est de faire en sorte que librement, en tant qu’homme libre, je fasse baisser le plus bas possible le score de LREM, mais vraiment le plus bas possible, c’est-à-dire au niveau du charisme de Nathalie Loiseau. »

Ce genre de propos à la « gilets jaunes », cette puanteur de l’esprit, est typique de l’extrême-droite et a en effet toute sa place au Rassemblement national de Marine Le Pen.

Le soutien d’Andréa Kotarac à la liste conduite par Jordan Bardella a d’ailleurs été préparé en amont pour que la convergence soit totale. En même temps que l’annonce à la télévision, il y en a eu une autre, en ligne, d’un entretien dans la revue Éléments à paraître en kiosques vendredi.

Cette revue représente une sorte d’avant-garde intellectuelle du fascisme en France. Son but a été durant ces dernières années de promouvoir et de définir un altermondialisme de droite, qui a été assumé tout autant par Marine Le Pen, de manière institutionnelle, que par les franges les plus radicales de l’extrême-droite, de manière plus virulente et culturelle.

Les quelques extraits trouvables en ligne sont sans ambiguïtés, montrant un positionnement farouchement contre la Gauche et l’esprit de la Gauche.

Personne n’imaginera qu’Andréa Kotarac se soit métamorphosé du jour au lendemain : ses considérations anti-Gauche ont largement cours à la France insoumise.

Cela commence d’ailleurs à faire beaucoup, après l’hostilité anti-allemande de Jean-Luc Mélenchon, le populisme assumé de François Ruffin, le rejet ouvert de la Gauche par Alexis Corbière – et son entretien à Valeurs actuelles, ou encore le départ de Djordje Kuzmanovic pour lancer un nouveau mouvement nationaliste.

De la France insoumise au Rassemblement national, les populismes convergent, car ils disent la même chose, ont le même style et surtout, la même finalité : rejeter la Gauche, la contourner, l’éliminer.

À la Gauche d’être à la hauteur, pour faire barrage donc, non pas simplement à Emmanuel Macron, mais à toute cette ambiance nauséabonde dans le pays, issue de la Droite. Il faut un Front populaire, une large unité de la Gauche sur les bases de son héritage historique, en assumant le Socialisme contre le fascisme.

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Des socialistes anglais, espagnols, allemands, autrichiens… mais pas français, pourquoi ?

Pourquoi la social-démocratie est-elle encore si puissante en Allemagne, en Angleterre, en Espagne, en Autriche ? Parce que dans ces pays, la social-démocratie a été un mouvement de masse à l’origine. Elle est ancrée dans la population. Il n’y a jamais eu rien de tel en France.

Il faut bien une explication ! Pourquoi le Parti socialiste est-il si faible ? Parce qu’il a participé au gouvernement, qu’il est corrompu ! Allons donc ! En Allemagne et en Autriche, les socialistes participent aux institutions depuis 1945, ont formé d’innombrables gouvernements d’alliance avec la Droite. Ils sont pourtant toujours là ! En Angleterre, le Labour a été au pouvoir plusieurs fois, et Tony Blair était encore plus libéral que François Hollande. En Espagne, le PSOE a toujours plus trahi ses traditions aussi. Et il existe encore, puissant !

Non, la réponse ne peut pas être la corruption de la direction, la participation au gouvernement. Car une direction, cela se change, une orientation, cela se modifie. Mais justement, en Allemagne, en Angleterre, en Autriche, en Espagne, il y a une base pour impulser ce changement, pour le forcer. En France, il n’y a pas cela. Et cela s’explique par des raisons multiples.

Primo, le Parti socialiste n’a jamais atteint une réelle base de masse, il a toujours été un petit parti électoral avec beaucoup de voix, et ce déjà à l’époque de Jean Jaurès. Par contre, en Allemagne et en Autriche c’était un vaste mouvement politique marxiste qui faisait le choix de participer aux élections (et de former des syndicats). En Angleterre, c’était un mouvement syndical qui a fait le choix d’établir un parti politique et de participer aux élections pour gagner de l’espace pour ses revendications. En Espagne, ce fut un mouvement de masse également, avec une histoire plus tortueuse.

Secundo, les traditions historiques jouent. Les socialistes se sont donnés comme naissance historique le congrès d’Epinay, fusion organisé par François Mitterrand de plusieurs courants socialistes, dans les années 1970. Cela ne peut pas suffire. Les socialistes allemands, anglais, autrichiens, espagnols, assument eux un siècle de mouvement. Et vues les histoires tourmentées de l’Espagne, de l’Autriche, de l’Allemagne, forcément, assumer l’identité socialiste, cela pèse.

Tertio, même lorsqu’il y a eu des références au-delà des années 1970, les socialistes n’ont rien pu en faire. Léon Blum ? Ouvertement marxiste, pas possible. Jean Jaurès ? Parfait car mélangeant tout de manière confuse mais avec un grand lyrisme, et pourtant par là même inutilisable. Les autres ? Tous aussi confus, tous incapables de formuler une doctrine.

Restèrent donc les grandes personnalités. Les François Mitterrand, Michel Rocard, Lionel Jospin, ou même François Hollande. Des gens avec de la culture, de la prestance, de l’ambition mais politique, bien cadré, bien posé. Ce sont des gens qui sentent les choses, qui portent les événements, qui comprennent, et qu’on comprend, cette chose si rare en politique. Oui, mais tout cela n’a rien de spécifiquement socialiste comme approche, et une fois les types partis, que reste-t-il ? Pas grand-chose, au mieux, des décombres, au pire.

Il ne reste plus qu’à reconstruire par en bas, donc. Mais avec quelle base ? Le Parti socialiste a eu ces dernières années une base où les entrepreneurs prenaient une place toujours plus importante. À part certaines sections, l’embourgeoisement était flagrant. Ces gens-là sont partis, évidemment. Et les autres aussi ! Il n’y a pas eu la fierté d’être socialiste, de maintenir le drapeau. Même les derniers volontaires ont quitté le navire, allant avec Benoît Hamon faire autre chose ou bien parasiter Jean-Luc Mélenchon en attendant mieux.

C’est que le Parti socialiste était un parti comme les autres. Ce n’est pas le cas des partis sociaux-démocrates d’Allemagne, d’Angleterre, d’Autriche et d’Espagne. Cela ne veut pas dire qu’ils ne peuvent pas s’effondrer, s’enliser, échouer. Mais eux ont une histoire, alors que le Parti socialiste a montré qu’il n’aura été qu’un appareil électoral ou bien gouvernemental.

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Le volontarisme du manifeste écologiste de Génération-s

Les efforts de Benoît Hamon sont sincères, volontaristes, mais très inégaux. L’appel à ce que l’écologie soit assumée à Gauche est une initiative excellente. Mais pas une seule fois il n’est parlé des animaux, ce qui expose un manque immense tout de même lorsqu’on parle d’écologie, et surtout le Manifeste récuse tant le Socialisme que le « système libéral-productiviste ».

« Ils sont dans une espèce de surenchère écologique à quelques jours des élections européennes » : c’est ce qu’a affirmé Jordan Bardella sur LCI au sujet de la LREM et de sa proposition que l’Union Européenne mette 1 000 milliards d’euros dans la transition écologique d’ici 2024. La critique est révélatrice : au lieu de dénoncer le populisme de LREM (car LREM ne peut rien proposer du tout au niveau de l’Europe, seulement participer), c’est l’écologie qui est dénoncée.

> Lire : Le Manifeste pour l’écologie du monde qui vient

L’écologie est source de panique chez les forces conservatrices et Jordan Bardella ne fait même pas semblant de faire de l’écologie différemment, ce qui était pourtant la ligne de Marine Le Pen pour le lancement de la campagne de ces élections européennes.

Elle est par contre source d’inspiration pour les gens comprenant le besoin de transformation. Génération-s a ainsi rendu public un Manifeste pour l’écologie du monde qui vient, sous-titré Engageons le cycle des « trente vertueuses ». Benoît Hamon, dans la préface, résume avec un grand lyrisme ce besoin de transformation :

« L’Europe a définitivement tout à voir avec l’écologie, car elles nourrissent l’une et l’autre le besoin viscéral de se projeter dans un avenir commun positif. Là où l’idéologie libérale a supprimé depuis trente ans tout repère collectif, l’Europe et l’écologie recréent du commun, du lien, une fraternité. »

Pourquoi l’Europe et pas le monde, l’idée d’un gouvernement mondial ? Après tout c’était déjà le rêve d’Emmanuel Kant, ce grand penseur des Lumières, et la chanson l’Internationale demande justement cela aussi. L’écologie n’a de toutes façons pas de sens si l’on ne se place pas dans une perspective mondiale. Les anti-écologistes le rappellent suffisamment en disant que tant que les États-Unis et la Chine ne changeront pas leur approche…

Mais gageons que Benoît Hamon propose simplement de faire de l’Europe un levier pour changer les choses dans le monde, une sorte de modèle. Et c’est ce qu’affirment justement les dernières lignes du Manifeste. Benoît Hamon parle de l’Europe, pour parler du monde, il veut trouver une voie positive dans le monde, et cela passe par l’Europe. Cela peut sembler naïf ou idiot, mais quand on lit cette perspective, on se dit : un type bien, ce Benoît !

L’idée proposée dans le Manifeste est que les prochaines années soient donc justement idéales, à l’opposé des années passées. Aux « trente honteuses » du passé sont opposées les « trente vertueuses » de l’avenir, en allusion aux « trente glorieuses », les années 1945-1975 d’importantes croissance dans les pays occidentaux.

L’idée a un vrai contenu, mais il est considéré que ce serait là quelque chose de naturel, que les « trente vertueuses » ont en fait même déjà commencé :

« La jeunesse mondiale qui manifeste dans la rue ouvre majestueusement le cycle des « trente vertueuses ». Avec l’intransigeance propre à son âge, une détermination proportionnelle à ses craintes et une indignation indexée sur son dégoût, la génération qui vient prend son destin en main et nous intime d’agir.

Comment ces jeunes ne seraient-ils pas « plus chauds que le climat » face à l’état ravagé de la planète dont ils héritent, la cupidité de leurs aînés, le cynisme des dirigeants, l’obséquiosité des politiques, l’hypocrisie du système ? La lâcheté et l’égoïsme qui ont caractérisé d’abord l’Occident puis l’ensemble du monde dans son sillage sont honnis. Le modèle productiviste est mort. La pression populaire pour engager la transition, maintenant, est considérable. »

Ces lignes sont incompréhensibles. La jeunesse mondiale ne manifeste pas du tout, la jeunesse française encore moins. Les quelques initiatives ont été téléguidées par les réseaux sociaux et ne sont nullement ancrées dans la réalité. Il n’y a aucune intransigeance non plus. Les jeunes sont très modernes, ils vont changer le monde, mais pour l’instant ils mangent des kebabs et vont au Mc Donald’s.

D’ailleurs, notons au passage que sortir un tel Manifeste sans mentionner une seule fois le terme « animal » au moment où pareillement est sorti un rapport de l’ONU sur la biodiversité, c’est au mieux ballot, au pire criminel. Franchement, quoi !

De plus, contrairement à ce qui est dit, la pression populaire est inexistante, soit parce que les gens sont passifs, soit parce qu’ils veulent vivre comme avant, comme le montrent très bien les gilets jaunes (que le Manifeste attribue à une simple colère sociale, ce qui est réducteur et même faux).

Cet idéalisme n’étonnera pas qui connaît Benoît Hamon et ses partisans, qui s’imaginent que la « gauche » post-moderne répond à des exigences naturelles. Et comme souvent, cela va avec de véritables exigences, très justes, ou au moins très sympathiques. Il y a de l’envergure dans les propos suivants du Manifeste :

« Les 2,5 millions de signataires de la pétition pour le climat confirment la fin du déni humain et la force de l’attente. En France et partout dans le monde, nous disons que « l’Affaire du siècle » sera de sortir la Terre de son asservissement, de définir ses droits et d’ouvrir une nouvelle ère de partage de la vie. C’est une force immense qui exige de changer d’échelle et invente les moyens d’agir. En créant de nouveaux droits pour que la nature puisse se défendre et s’opposer à la violence d’un marché vorace et destructeur, elle engage un nouveau monde. »

La Manifeste, qui fait une vingtaine de pages, consiste alors à dire que l’écologie ne peut exister qu’avec la justice sociale, qu’elle ne peut pas être apolitique, qu’elle implique une rupture complète avec le « système libéral-productiviste ». D’un côté, on se dit : bravo, il faut soutenir Benoît Hamon, il y a une vraie affirmation d’une utopie de Gauche. Surtout qu’on lit ces lignes favorables à la Gauche historique, étonnantes car telle n’est pas du tout la ligne assumée par Génération-s :

« Notre première responsabilité est de changer radicalement de mode de production, de consommation, et de repenser notre rapport au temps et au travail.

Sous une forme renouvelée, ces sujets ne sont autres que ceux des mouvements ouvriers du XIXe siècle, du Front populaire de 1936, du Conseil national de la résistance de 1945. L’écologie est la réponse à la question sociale de notre siècle. »

Bravo, vive le mouvement ouvrier, vive le Front populaire, vive l’esprit de la Résistance ! Dommage d’avoir oublié mai-juin 1968, mais bon (on notera au passage que le programme commun de 1981 est également soigneusement oublié), il y a déjà les fondamentaux du point de vue de la Gauche historique.

De l’autre, il y a un souci, c’est un côté ni Capitalisme ni Socialisme qui sonne très années 1930, dans sa variante spiritualiste. Il ne faut pas oublier qu’à l’origine, Benoît Hamon est un rocardien, c’est-à-dire quelqu’un de la droite du Parti socialiste, un partisan d’une sorte de « troisième voie ». Pas bon ! Et les lignes suivantes, qu’on lit dans le Manifeste, sont précisément infestées des idéologies d’Emmanuel Mounier (et le personalisme), de Martin Heidegger (et l’existentialisme), de tous les discours des années 1930 sur une autre richesse que celle matérielle, sur le besoin spirituel dans le rapport à la réalité :

« Aveuglés par des mécanismes de marché qui n’ont jamais intégré la question de la finitude des ressources, les néolibéraux courent sans cesse après un nouveau modèle de croissance qui ne vient pas. Les productivistes sont, eux, terrifiés à l’idée de perdre tout ressort de redistribution des richesses – qu’importe si le système qui les produit est la cause même de la crise sociale et environnementale.

Les mêmes symptômes guettent les mouvements collectivistes, qui ne croient qu’en un système de production centralisé et planifié incompatible avec l’économie des ressources. Il ne s’agit plus de savoir comment produire à tout prix des richesses pour les redistribuer plus ou moins. Il s’agit de changer fondamentalement de logiciel, de s’interroger sur la notion même de richesse, qui n’est plus aujourd’hui l’accès illimité au « confort matériel » mais à un air respirable, une eau buvable, des aliments comestibles, une terre cultivable, une santé préservée, une vie possible. »

Ici, il faut dire : halte-là, Benoît Hamon ! Si tu bascules dans la métaphysique de la sobriété de la petite production, tu changes de camp ! Tes exigences néo-humanistes sont appréciables, mais si ton mouvement publie un Manifeste avec de telles lignes, c’est qu’il y a un problème. Et ce problème, c’est que le système de références n’est pas la Gauche historique, mais les discours intellectuels bobos à la Pierre Rabhi.

Alors, comment faut-il considérer le Manifeste : comme un texte pro-zadiste, pro-décroissance, très années 1930 ? Comme un appel à ce que la Gauche assume enfin l’écologie ? Le Manifeste lui-même dit tout et son contraire et assume de ne pas choisir :

« Il ne s’agit pas de refuser ou d’épouser les théories de la décroissance, mais d’inventer une nouvelle forme de prospérité collective qui tienne compte des limites de la biosphère. »

Et, assumant son incohérence, se conclut par un appel à la Yannick Jadot, avec un appel à un capitalisme décentralisé et vertueux :

« Dans la course contre la montre qui s’impose à nous, force est de constater que les États ne sont pas à la hauteur, pris dans l’inertie économique et technocratique qui les empêche d’agir vite. En revanche, les acteurs non étatiques, citoyens et ONG, entreprises et collectivités territoriales lucides, s’emploient à faire émerger un avenir désirable.

Les appels à la mobilisation se multiplient, la jeunesse donne l’alerte et prend les devants pour secouer la léthargie établie, les actions des associations et des lanceurs d’alerte font date et sont salvatrices. Notre responsabilité est de donner un débouché politique concret à cette énergie puissante.

Une bataille sans merci doit être menée face aux acteurs économiques qui exploitent les biens communs pour s’enrichir en épuisant les ressources et notre santé.

En revanche, toutes les forces économiques pleinement intégrées dans la dynamique de transition énergétique et écologique qui développent des modèles alternatifs de production et de gouvernance doivent être considérées et soutenues comme moteurs des politiques publiques qui produiront de nouvelles opportunités de développement raisonné et résilient. »

Il y aurait donc les bonnes entreprises et les mauvaises entreprises, la bonne consommation et la mauvaise consommation. Ce ne serait pas le peuple qui devrait décider, mais les acteurs conscients. Pas très démocratique, tout cela ! Et même pas démocratique du tout !

Pourquoi les ONG auraient-elles une légitimité ? Pourquoi les collectivités territoriales auraient-elles une nature particulière par rapport au reste ? Qui décide que le telle entreprise propose un avenir désirable, telle autre non ? Qu’est-ce qu’un modèle alternatif de gouvernance ? Qu’est-ce qu’un modèle alternatif de production ?

Le fait est que ni Génération-s, ni Benoît Hamon ne parviennent à se transcender. On a ici le programme de la CFDT des années 1970, du PSU ou d’Alternatives Rouge et Verte, des Alternatifs, bref des rocardiens liés aux « mouvements sociaux » (du type LIP, le Larzac, etc.). Si Benoît Hamon veut rééditer cela, qu’il le dise. S’il veut faire autre chose, qu’il l’assume.

C’est tout de même un garçon étonnant : il a clairement une très grande envergure, il a saisi les enjeux immenses du siècle… mais il ne dispose que de vieux outils, même pas fonctionnels. En ce sens, il reste une partie de la solution, et pas du problème. Et le Manifeste est un intéressant appel à réfléchir, se positionner, assumant par ailleurs de ne pas être un programme réponse à tout.

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Élections européennes : les dix points de la Fédération des Associations Familiales Catholiques

La famille est un thème essentiel pour l’Église catholique, au sens où pour elle c’est le point de départ et d’arrivée de l’individu et de la société. Sa lecture est, de fait, anti-historique et anti-culturelle, mais face au libéralisme économique et à la « déconstruction » promue par les libéraux culturels, elle trouve le moyen de maintenir ses positions et de repartie à l’offensive.

La Fédération des Associations Familiales Catholiques en Europe, présente dans 18 pays de l’Union Européenne, a rédigé un Manifeste proposant un engagement en dix points aux candidats aux élections européennes. Ce n’est pas rien : même si on refuse l’hypothèse d’un divinité omnisciente, omnipotente, etc., la religion est un phénomène social ayant de multiples caractères, qui porte historiquement également de nombreuses valeurs culturelles et civilisationnelles.

Ici, on sait comment on fait face à deux courants unilatéraux : celui qui fait de la religion une chose sacrée, le noyau de la civilisation, et celui qui, ne faisant confiance qu’à l’individu-roi, ne prend pas en compte en l’Histoire et donc la question religieuse. Ce second courant a largement travaillé la Gauche, malheureusement, et cela se lit très bien si l’on imagine les réponses possibles aux dix points de la Fédération des Associations Familiales Catholiques en Europe.

Surtout que l’Église catholique romaine est d’une intelligence rare. On ne le dira jamais assez. On comprend donc que tout est très subtil, très construit, résolument machiavélique. Prenons le point 7. La Gauche historique est bien entendu d’accord avec ce point en général, car il a une lecture biologique, naturelle. Les courants post-industriels, post-modernes, le rejettent par contre catégoriquement.

« 7. Reconnaître la complémentarité de l’homme et de la femme
La famille est le premier lieu d’ingénierie créative pour toute la société. Je reconnais la complémentarité de l’homme et de la femme, et m’opposerai à toute politique qui tenterait de gommer la différenciation sexuelle. »

Seulement voilà, à la dialectique homme-femme, il a été ajouté la famille comme « ingénierie créative pour toute la société ». C’est là un autre thème. Dire que l’humanité repose sur une opposition homme-femme productive, c’est une chose. Faire de la famille la base de la société, c’est autre chose. On voit comment, de manière subtile, l’Église profite des errements ou délires des courants post-industriel, post-moderne, pour réactiver le thème réactionnaire de la « famille » conservatrice, repliée sur elle-même, niant le reste de la société.

L’un des points proposés par la Fédération des Associations Familiales Catholiques en Europe est même explicite en ce sens :

« 2. Mettre en œuvre le « Family Mainstreaming »
La famille est la pierre angulaire de toute société. L’UE doit prendre en compte le développement des familles dans toutes ses décisions, dans le respect du principe de subsidiarité.

Je m’engage à promouvoir la mise en œuvre du « Family Mainstreaming », examen préalable des conséquences sur la famille, pour toutes les politiques publiques de l’UE. »

Le reste est du tout avenant : l’économie doit être au service de la famille (c’est dit tel quel, point 4), les associations familiales doivent se voir accorder un rôle significatif (point 3), il faut leur donner de l’argent pour relancer la démographie (point 1), la vie professionnelle doit s’adapter à la forme familiale (point 6).

Le point 5 est, quant à lui, un exemple pratiquement parfait d’anticapitalisme romantique, avec la « personne » avant l’économie et la finance, etc.

« 5. Un travail digne et productif, nécessaire pour chaque famille
La famille est un acteur premier et naturel dans la promotion de l’inclusion sociale. Je m’engage à travailler en faveur de politiques publiques n’abordant pas le marché du travail sous l’angle exclusif de l’économie et de la finance, mais d’abord en considérant la personne et ses talents, capable de contribuer au bien commun et de prévenir la pauvreté.

Je m’engage également à soutenir la reconnaissance du travail domestique accompli par les mères et pères de famille, et de la valeur du bénévolat comme contribution à la cohésion sociale. »

Le point 10 serait malheureusement accepté par toute une partie de la Gauche, devenue relativiste, communautariste. Il est considéré comme odieux, inacceptable, pour les partisans de l’universalisme, pour la Gauche historique.

« 10. Père et mère, premiers et principaux éducateurs de leurs enfants.
Les familles s’inscrivent toujours dans une perspective de long terme, et travaillent à un avenir durable. Je m’assurerai que les programmes de l’UE en faveur des jeunes respecteront et protégeront le droit des parents à diriger l’éducation de leurs enfants conformément à leurs traditions culturelles, morales et religieuses qui visent leur bien et leur dignité. »

Le point 9 est décevant et montre que l’Église n’est pas en mesure d’affronter les questions morales de notre époque. Il fait en effet seulement allusion à l’avortement et à l’euthanasie. Cela montre que l’Église est du passé, qu’elle n’est pas capable d’affronter l’ultra-individualisme et son utilitarisme.

Une partie de la Gauche non plus d’ailleurs, qui considère l’avortement comme une simple formalité administrative, alors que cela pose la question du rapport à un être vivant en partie formée. La question de l’euthanasie est pareillement très délicate : si on peut juger tout à fait logique de vouloir abréger les souffrances (ce que l’Église catholique refuse), il n’en est pas moins vrai que vue la société, les critères vont être très bas afin de se débarrasser des indésirables, des inutiles…

« 9. Respecter la dignité de l’être humain jusqu’à sa mort naturelle
La famille est le lieu naturel de l’accueil de toute vie nouvelle. Je soutiens le respect de la dignité inhérente à toute vie humaine, à toutes ses étapes, depuis sa conception jusqu’à sa mort naturelle. Je soutiendrai les politiques et les bonnes pratiques accordant un soin particulier aux enfants avant et après leur naissance et à leurs mères, ainsi qu’aux familles d’accueil et aux familles adoptantes. »

Le point 8 contourne quant à elle la question du droit au mariage homosexuel, en disant qu’il ne faut pas modifier les lois sur le mariage dans l’Union Européenne et que cette dernière ne doit pas donner pas de définition légale du mariage. C’est là rater ce qu’est le libéralisme, qui ne vise pas tant à élargir le mariage, qu’à supprimer la notion même de couple, en appelant à une infinité de formes familiales, d’alliances individuelles, etc.

Il est vrai que l’Église catholique romaine cherche simplement à maintenir ses positions, pas à supprimer le libéralisme culturel ni le libéralisme économique, car elle a accepté le capitalisme. Cela n’était pas vrai encore dans les années 1930-1940, où elle cherchait une troisième voie, national-catholique et corporatiste (notamment avec l’Espagne et l’Autriche, ses deux bastions). D’un côté, tant mieux qu’elle cesse de diffuser un romantisme fasciste. De l’autre, ses prétentions à s’opposer à l’individu-roi sont devenues bien légères sans la charge de ce romantisme. Il n’y a même pas un semblant d’idéalisme à la Bernanos… L’Église est bien dépassée !