Le dernier livre d’Eric Zemmour, Destin français, prolonge la proposition nationaliste qui est la sienne, tentant de contourner la question de l’antisémitisme propre au nationalisme de notre pays. Il s’agit pour lui de reformuler ce nationalisme, sa base, son histoire, pour la dériver de sa tendance à l’antisémitisme vers la lutte contre un « mondialisme nomade » auquel précisément il ne parvient pas à donner une forme alternative.
Eric Zemmour a beau contourner le problème, il en revient au même point : la centralité de la question antisémite pour le nationalisme français. Sa vaine tentative n’est donc qu’un appui à un élan qui le dépasse et qui l’emportera inévitablement en tant que Juif. Il n’aura somme toute formulé qu’un « nationalisme des imbéciles » ne voulant pas voir l’antisémitisme comme tel, tout symétriquement comme la « gauche » antimatérialiste formule inlassablement un « anticapitalisme » antisémite, comme « socialisme des imbéciles ».
Eric Zemmour est un intellectuel français issu de la minorité nationale juive algérienne, qui se présente comme relevant de la Droite conservatrice la plus réactionnaire. Il a saisi partiellement ce qu’est le nationalisme et partiellement ce qu’est l’antisémitisme. Il est même parvenu à saisir comment la Gauche se tort dans ses contradictions lorsqu’elle rejette le matérialisme qui la constitue, et sombre d’une part dans les démarches post-modernes et d’autre part dans l’antisémitisme.
Mais Eric Zemmour ne fait pas confiance à la Gauche pour dépasser cette contradiction. Il cherche une solution, un remède politique et intellectuel, depuis la Droite et pire même depuis le nationalisme. C’est à ce titre qu’il a produit dans son dernier livre un exposé sous la forme d’une autobiographie et d’une galerie de portraits l’ayant « construit » (par opposition à ceux qu’il présente comme les « déconstructeurs » de la gauche post-moderne) comme français, au sens politique et même clairement nationaliste.
La base que pose Eric Zemmour pour sa proposition nationaliste est sans surprise celle de la France des années 1960, complètement idéalisée sous la forme d’une société moderne mais qui serait encore marquée significativement du sceau de la « tradition », de « l’identité » française juste avant le basculement dans la post-modernité du capitalisme des années 1970, suite à la « rupture » de Mai 1968. Il entend ici donner une densité, une « incarnation » à cette base en la présentant sous une forme autobiographique, « vécue », comme un témoignage, dans une démarche toute romantique, mais suintant l’esprit de la réaction la plus brutale.
Cet aspect globalement réactionnaire, voire ultra-réactionnaire de son livre, poussant au nationalisme le plus décomplexé, n’a bien sûr pas échappé aux journalistes de la petite-bourgeoisie intellectuelle. Mais comme ceux-ci ne saisissent pas correctement ce qu’est l’antisémitisme, ils ont pensé qu’il suffirait de mettre à jour ce que Eric Zemmour affirme du Maréchal Pétain, pour le présenter comme un dangereux nationaliste poussant à l’antisémitisme et à la haine raciale.
Or, précisément, Eric Zemmour rejette ces critiques comme superficielles. Ce n’est pas son sujet, il ne voit ni l’une ni l’autre de ces questions comme centrale à son analyse. Avant d’en arriver au Maréchal Pétain, Eric Zemmour pose en effet le cadre de l’État français, qui est le principal personnage de son livre, le sujet même de sa réflexion. Pour Eric Zemmour, l’État est ce qui donne corps à la nation française, ce qui « matérialise » en quelque sorte son « génie » identitaire dont il propose justement de suivre le « destin ». Le choix même de ce terme traduisant toute la perspective qu’il met en avant.
Là où la Gauche dit que ce sont les masses qui font l’Histoire, pour Eric Zemmour, ce sont des élites, en mesure de contrôler l’État qui la font, le peuple se bornant à n’appuyer que ses élites « naturelles » ou à se faire dévoyer par des saboteurs plus ou moins conscients. Là où Eric Zemmour voit de la permanence « naturelle » dans l’affirmation identitaire de la Nation par l’État, la Gauche voit des ruptures historiques en fonction des cadres successifs de l’économie politique par lesquels notre pays est passé.
Là où Eric Zemmour voit le mouvement historique comme un affrontement à mort entre « nomades » et « sédentaires » dans un pays de « guerre civile », aboutissant à la victoire du « réel », à la « revanche de l’Histoire », c’est-à-dire soit au triomphe de la réaction soit à celui de « l’invasion », la Gauche voit la lutte des classes et le mouvement général et contradictoire de la matière vers toujours plus de science, toujours plus de symbiose.
L’Histoire de France selon Eric Zemour se voit donc ratatinée par ce prisme étroit de la « destinée » de la Nation, par la trajectoire unilatérale de l’État qui l’incarnerait. La répression des Protestants, l’élaboration de l’administration centralisée, la formulation de l’absolutisme monarchique, le tout aboutissant à l’épopée napoléonienne, constituent ainsi autant de jalons de la « longue durée », de la supposée permanence d’un « esprit » français, politique mais néanmoins quasiment providentiel, remontant à « Rome ».
L’influence maurrasienne sur la pensée d’Eric Zemmour est donc manifeste. A ceci près qu’il se montre d’un monarchisme moins anti-républicain, dans le sens où la « substance » de la France comme il la définit, a selon lui été incorporée par la République qui, sous son meilleur jour, la prolonge.
C’est ainsi qu’il peut mettre en avant certaines figures qu’il tente d’annexer au nationalisme de manière définitive : Robespierre, Napoléon bien sûr, et plus particulièrement, Pétain et De Gaulle. Ce qu’il avance à ce sujet est correct sur le fond : Pétain et De Gaulle, ce sont tous les deux des figures de ce qu’est la France, au plan historique, en tant que Nation.
Là où il commet deux erreurs gigantesques et impardonnables c’est d’abord en nuançant de manière outrancière le caractère non exterminateur du régime de Vichy à l’égard des Juifs, en tout cas des Français juifs. Le régime de Vichy ne fut certes pas un régime unifié. Plus précisément, seules ses fractions catholiques traditionalistes et planistes dans une moindre mesure, n’adhéraient pas à la perspective ouvertement génocidaire. Mais c’était pour prôner un antisémitisme assimilateur ou éducateur, sur la même base de l’anticapitalisme romantique réactionnaire que les mouvements plus authentiquement fasciste.
Eric Zemmour tente de contourner cela, en rejetant totalement les milieux les plus collaborationnistes et génocidaires comme hors de Vichy, et donc de sa perspective « française », et surtout en éludant la question de l’antisémitisme en tant que tel au sein des nationalistes, à partir du moment où elle se pose comme seulement pour ainsi dire « éducatrice », « assimilationniste » sur la base d’une contre-révolution nationale-conservatrice.
Celle-ci serait acceptable en ce qu’elle manifesterait finalement une dimension « post-juive » de la France, qui s’appuyant sur la tradition catholique depuis la monarchie capétienne, se vit comme un « nouvel Israël ». Cela n’est ni plus ni moins que la tradition même du christianisme romain depuis ses origines, qui fonde d’ailleurs son anti-judaïsme, mais Eric Zemmour semble découvrir dans cela une sorte de clef qui relierait sa propre judaïté à la ligne réactionnaire qu’incarne aujourd’hui cette tradition.
La seconde erreur, consiste à penser la Gauche comme anti-française.
Fondamentalement, la Gauche ne peut être « française » selon Zemmour qu’en cédant au nationalisme, à « l’esprit » national qu’il tente de décrire. Par conséquent, certaines figures de gauche peuvent être incorporées. Mais pas toutes. A la base de la rupture, dans le prolongement de la Révolution française, heureusement cadrée par Napoléon en fin de compte, il y a Victor Hugo. Eric Zemmour en fait une sorte d’ancêtre des post-modernes selon une logique très forcée. Mais le grand renversement, la « victoire » de la Gauche sur le « destin » national c’est bien sûr l’élan post-moderne poursuivant Mai 1968.
C’est là toute l’insuffisance par laquelle il tente vainement de saisir ce que représenta une figure comme celle du Général De Gaulle, qu’il oppose de manière erronée à ce post-modernisme. Cette erreur de perspective s’explique essentiellement en raison du fait qu’Eric Zemmour ne voit la figure de De Gaulle qu’à travers la question actuelle du néo-gaullisme pour la Droite. Pour lui, cette proposition néo-gaulliste permettrait le développement d’un nationalisme à la fois traditionnel dans sa forme, moderne sur le contenu, permettant aussi de constituer sinon un rempart, du moins une alternative au fascisme, ce qui est partiellement vrai, et surtout à l’antisémitisme, et ce qui est relativement faux.
Ce que tente en réalité de formuler Eric Zemmour, c’est un nationalisme ultra-conservateur, dans la droite ligne de Charles Maurras, prolongé par une démarche populiste et réactionnaire, mais qui ne serait pas antisémite. Un « nationalisme des imbéciles » en somme qui ne peut tout simplement pas exister comme tel, réplique symétrique et vaine, par la réaction et par la Droite, au « socialisme des imbéciles » de la Gauche égarée.
C’est là toute sa tentative : « noyer » l’antisémitisme dans sa critique des déconstructeurs, en particulier de la Gauche, et dans le rejet du « nomadisme » de la mondialisation, qu’illustre de manière sensible les circulations de capitaux, de marchandises et des migrants.
En quelque sorte, l’antisémitisme nationaliste serait une expression faussée, dévoyée, de cette lutte contre le « nomadisme » de la haute bourgeoisie capitaliste, réduite à une oligarchie « financière » et à quelques grandes firmes, à ses soutiens ou idiots utiles libéraux, de la Gauche post-moderne et des grands médias.
Face à ces « nomades », c’est l’intangibilité de l’État, souverain et autoritaire, qu’il convient de restaurer, quitte à aller à la « guerre civile » et la répression contre les libéraux et la Gauche.
Eric Zemmour prétend donc faire de l’Histoire mais il ne saisit ni ce qu’est le nationalisme, ni ce qu’est l’antisémitisme, ni même ce qu’est finalement l’Histoire de France. Il bricole simplement une sorte de théorie « néo-maurrasienne » qui tente de reformuler l’antisémitisme des nationalistes en rejet du « nomadisme mondialiste » et de pousser à la réaction par le néo-gaullisme propre à la Droite conservatrice de notre époque. Ceci alors même que l’antisémitisme l’a déjà devancé sur ces deux terrains.
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En outre, Eric Zemmour tente de proposer un style, un populisme « cultivé » en mesure de flatter l’esprit « populaire » propre à la petite bourgeoisie réactionnaire qui constitue son public. Celle-ci se flatte de ses images relevant de la France d’Audiard, de Johnny, de celle de Nicolas Dupond-Aignan, de Laurent Wauquiez, de Marine Le Pen, de Marion Maréchal, mais aussi de Michéa ou de Soral.
C’est-à-dire de toute la clique réactionnaire et populiste à laquelle la Gauche doit faire face, avec sa culture, ses valeurs et la seule analyse claire et nette sur ce qu’est l’antisémitisme, ce qu’est le fascisme, ce qu’est le nationalisme français, et l’Histoire de France.