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Début février 2020: mais où est la grève?

Les syndicats, CGT en tête, nous ont promis monts et merveilles. L’ultra-gauche voyait même se pointer la crise de régime. En ce début février 2020, on peut constater cette simple chose : la mobilisation contre la réforme des retraites s’est fracassée sur la réalité du quotidien de la société capitaliste, entre indifférence et corporatisme bien calculé. Il n’y a pas que les patrons qui ont peur de la lutte des classes, les gens en ont tout autant peur.

Il ne s’agit nullement d’être pessimiste, bien au contraire. Tout mouvement populaire de lutte, même défait, apporte des enseignements aux gens. Ce qui est dommage ici, c’est que la défaite était prévisible et qu’à aucun moment, les syndicats n’ont cherché à se remettre en cause pour essayer de débloquer la situation.

On dit souvent à Gauche, dans le mouvement ouvrier, que les patrons ont peur de la lutte des classes. Que le drapeau rouge fait trembler le bourgeois. Mais c’est vrai également des gens. Les gens ont la trouille. S’il fallait définir la mobilisation contre la réforme des retraites, on doit dire qu’il s’agit aussi d’une mobilisation contre la mobilisation.

C’est une lutte conçue par les gens comme un moyen de ne pas lutter. Tout a été fait pour contourner la lutte des classes et on le voit très bien à ces signes qui ne trompent pas. Comme au moment des gilets jaunes, le capitalisme n’a pas été critiqué, pas plus que la bourgeoisie n’a été mentionnée.

On a une critique « anticapitaliste » qui affleure parfois, mais cela n’a rien à voir avec l’affirmation du Socialisme et du principe d’une société avec une hégémonie à tous les niveaux de l’esprit collectif. Les gens protestent parfois contre le capitalisme, car le capitalisme leur semble mal fait, ou parce que le capitalisme les dérange, ou bien même les agresse.

Mais ils ne veulent pas s’en débarrasser. Ils ne considèrent pas qu’ils sont aliénés, exploités. Tous pensent qu’ils peuvent tirer leur épingle du jeu dans le capitalisme. Tous pensent que le capitalisme est stable, qu’il va continuer comme avant, avec moins de droits certainement, mais sans changement en ce qui concerne le quotidien.

Les gens sont heureux de consommer sans recul, de se procurer le dernier matériel technologique mis à la disposition du public, de regarder des émissions de divertissement aussi stupides que les films hollywoodiens, de partir en vacances en se comportant comme de simples touristes.

Et ceux qui ne peuvent pas, parce qu’ils sont marginalisés socialement – et ceux-là forment une minorité de la société – ne rêvent que d’une chose : vivre comme les autres. La teneur du rap montre très bien quel est le degré de corruption qui prévaut.

Aucun régime n’est jamais menacé par des gens avec une morale aussi faible, une capacité d’engagement d’une faiblesse inouïe et la plupart du temps inexistante. L’extrême-gauche est composée de la petite-bourgeoisie intellectuelle, le monde associatif est sous contrôle de l’esprit bobo de manière complète, les ouvriers ne font rien ou, quand ils agissent, se placent au mieux de manière passive sous les ordres syndicaux.

Le niveau démocratique des masses est ce qu’on doit qualifier de catastrophique. Qui ne part pas de là vit dans un fantasme et est en total décalage avec la réalité de la société française. Est-ce à dire qu’il n’y aura rien ? Pas du tout et au contraire, car la lutte des classes se produit malgré les prolétaires s’il le faut. Mais qu’on s’imagine quel traumatisme cela va être quand la lutte des classes va reprendre ses droits, quelle fracture cela va être dans une société paralysée depuis les années 1960.

L’enfantement de l’époque qui s’ouvre va être terriblement douloureux.

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L’UNSA-RATP quitte la grève contre la réforme des retraites

Ce samedi 18 janvier 2020, malgré l’absence d’un quelconque recul de la part du gouvernement, l’UNSA-RATP a annoncé sa sortie de la grève contre la réforme des retraites, tout en prétendant aller de l’avant et ne rien lâcher.

Quand on capitule, on ne dit jamais qu’on le fait. On prétend avoir trouvé une nouvelle forme, plus approfondie, radicalement différente, qui apporterait davantage, etc. L’UNSA-RATP, premier syndicat à la RATP, a ici une posture tout à fait classique, surtout chez les syndicats : d’un côté le radicalisme verbal, de l’autre la porte de sortie négociée.

Preuve en est de la prudence du syndicat, les multiples sites et réseaux sociaux liés à l’UNSA se sont bien gardés de diffuser le communiqué de sortie de grève, largement repris par contre par la presse. Il s’agit de neutraliser la position prise, à tout prix, pour sauver la face.

Comme lors de précédents communiqués d’ailleurs, il y a également une précaution précise utilisée, à savoir le fait de se positionner derrière la décision des assemblées générales. C’est évidemment n’importe quoi puisqu’on sait très bien que ces assemblées générales sont, de facto, des intersyndicales, et qu’à la RATP, l’UNSA y est majoritaire…

À cela s’ajoute quelques tournures savamment dosées : « reprendre des forces », « la conviction et la détermination », etc. Puis la patate chaude est remise aux autres syndicats et à l’attente d’un mouvement généralisé à toutes les entreprises du pays. Et on conclut avec un « on lâche rien » qui n’engage à rien.

Maintenant, si l’on va voir l’article du 14 janvier 2020 sur le site de l’UNSA info, intitulé justement pas moins que « Enfin le retrait de l’âge pivot ! Un compromis sur l’équilibre financier permettant d’avancer », on lit la chose suivante :

« L’UNSA avait fait du retrait de cette mesure une condition indispensable avant la tenue de la conférence de financement.
Le courrier du Premier ministre l’indique clairement.
Cette mesure injuste qui aurait dû frapper tous·tes les salarié·es dès 2022 n’est plus d’actualité. C’est une avancée majeure, à mettre à l’actif de la mobilisation et de l’action de l’UNSA.

Les échanges peuvent enfin démarrer. L’équilibre financier, dès 2027 et à long terme, de notre régime de retraites est indispensable. La future conférence de financement doit y concourir et permettre de trouver rapidement un accord engageant partenaires sociaux et gouvernement.

L’UNSA y apportera ses solutions, la pérennité du système de retraite par répartition l’exige.
Parallèlement, sur les autres sujets contenus dans le projet de loi, l’UNSA poursuivra son action notamment auprès des parlementaires et du gouvernement afin d’obtenir les avancées, garanties et compensations permettant plus de justice sociale.

L’UNSA, sur tous les fronts, continue de défendre les salari·é·es

Après le retrait de l’âge pivot par le Premier ministre, Laurent Escure, le 12 janvier, sur RTL, a exposé les préconisations de l’UNSA pour parvenir à l’équilibre financier, dès 2027 et sur le long terme. »

On lit bien : « Les échanges peuvent enfin démarrer », l’UNSA « apportera ses solutions ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire négocier. L’UNSA a d’ailleurs toujours affirmé être un syndicat constructif, de négociation, etc.
L’UNSA RATP pôle traction avait alors refusé de s’aligner sur cette position de l’UNSA nationale.
C’est désormais chose faite. Pourquoi ? Parce que l’abandon de tout conflit réel de la part des syndicats est inévitable. C’est une lutte de classe qu’il fallait, avec des assemblées générales, pas des intersyndicales réduisant le conflit à des points technocratiques perdant tout le monde et isolant le reste des travailleurs.
Que ce soit en 1936 ou en 1968, c’est la Gauche qui a amené le changement, les syndicats étant des courroies de transmission. La centralité syndicale ne peut amener qu’à de l’accompagnement.
L’UNSA-RATP opère désormais à un alignement qui ne dit pas son nom.
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Grèves: la faiblesse de la Gauche fait la force de l’extrême-Droite

La Gauche a refusé la politique et a laissé faire le syndicalisme pour mener la grève contre la réforme du système des retraites. Non seulement cela s’annonce de plus en plus comme un échec, malgré une forte tension à la base dans de nombreux secteurs, mais en plus cela a directement tracé un boulevard pour le Rassemblement national et son populisme nationaliste.

Marine Le Pen a lancé dimanche dernier la campagne du Rassemblement national pour les municipales en se tournant vers la Droite, car les réalités politiques dans les communes exigent de telles alliances. Dans le même temps, elle assume une position « sociale » très forte sur la question des retraites, profitant des faiblesses de la Gauche pour se présenter comme l’opposante numéro un au gouvernement.

Elle soutien le mouvement et demande même de « continuer cette contestation contre la réforme des retraites », en expliquant bien sûr qu’elle retirera la réforme si elle parvient au pouvoir.

La dirigeante du Rassemblement national torpille ici littéralement la Gauche sur son propre terrain, tout en assumant la Droite sur le plan des valeurs. Il ne faut pas s’y tromper : on a à faire ici à une démarche typiquement fasciste, consistant à critiquer la Gauche tout en assumant ses thèmes, mais avec des valeurs de droite.

C’est un rouleau compresseur qui se met en marche afin de proposer le nationalisme comme recours politico-culturel au libéralisme. La Gauche, en ayant laissé l’extrême-Droite s’emparer de la contestation sur les retraites, va se retrouver désemparer. Cela d’autant plus qu’elle a elle-même contribué à baisser le niveau en acceptant le populisme des gilets jaunes.

La situation sera d’autant plus catastrophique si la grève est un échec : le populisme nationaliste aura tout loisir d’attribuer cet échec à la Gauche, et pas au syndicalisme. Le populisme nationaliste de Marine Le Pen est d’ailleurs très clair sur ce point : il ne critique pas le syndicalisme. Au contraire, il propose au syndicalisme de se ranger derrière le nationalisme, qui serait plus à même de lui garantir des succès que la Gauche.

Elle a donc refusé de critiquer la grève, malgré la tradition anti-grève de l’extrême-Droite française, expliquant tout simplement que :

« Les syndicats sont dans leur rôle, nous les partis politiques nous sommes dans le nôtre. »

De manière très habile cependant, elle fait en sorte de critiquer la direction de la CGT, en fustigeant son secrétaire national Philippe Martinez, qu’« on a toutes les raisons de détester » car il est « sectaire, odieux, il refuse le processus démocratique ».

Ce n’est pas tout. Pour être certain que tout le monde ait bien compris son positionnement, pour couper l’herbe sous le pied à l’argument faisant de l’extrême-Droite une force d’appuis aux syndicats « jaunes » (le surnoms des casseurs de grève), elle précise dans Le Parisien :

« Les syndicats réformistes sont les idiots utiles du macronisme »

Elle en appelle même à la base de ces syndicats, en l’occurrence surtout de la CFDT, première organisation syndicale représentative dans le privé, les opposant à leurs directions :

« Ils devront en répondre auprès de leur base qui n’est probablement pas dupe. »

Cet appel du pied de l’extrême-Droite au syndicalisme est un tournant historique, ou plutôt un « retour » historique, car c’est là l’essence du fascisme. La Gauche, quand elle a été forte, politique, ancrée dans les classes populaires, a été le meilleure rempart au nationalisme.

Maintenant qu’elle est faible, isolées dans les centre-villes et soumise au syndicalisme, elle laisse un boulevard au populisme nationaliste. Et ce n’est pas Philippe Martinez qui sauvera la Gauche, car il n’a absolument rien à dire contre le nationalisme. Sa critique du Rassemblement national est totalement à côté de la plaque :

« Les solutions de gens qui sont racistes ne sont pas les bienvenues dans les mouvements sociaux »

Cela n’a aucun rapport, puisque Marine Le Pen ne mobilise absolument pas avec le racisme, mais avec le nationalisme. Alors, quand Philippe Martinez défend ensuite l’immigration en s’imaginant que cela soit utile pour combattre l’extrême-Droite (« le problème dans notre pays ce n’est pas l’immigration, c’est le partage des richesses »), il ne fait que contribuer au grand lessivage nationaliste à venir… À moins que la lutte de classe s’affirme réellement et mette à bas le populisme nationaliste de Marine Le Pen !

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Réflexions

Les Français s’ennuient

Les Français s’ennuient. Mais ils ont trop le sens de l’envergure pour ne pas le savoir. Ils sont corrompus et donc l’acceptent. Jusqu’à une génération en rupture, qui en a simplement assez, qui sature.

Ce qui caractérise actuellement notre vie publique, c’est l’ennui. Les Français s’ennuient. Ils ne participent ni de près ni de loin aux grandes convulsions qui secouent le monde. Le réchauffement climatique les émeut, certes, mais elle ne les touche pas vraiment. Sur le plan de la vie quotidienne, ils restent fidèles à eux-mêmes et donc à leurs habitudes. L’élection de Donald Trump aux États-Unis et de Bolsonaro au Brésil a bien troublé les esprits, provoquant des sentiments violents et des opinions tranchés, puis on est vite passé à autre chose.

L’explosion récente de la pauvreté la plus sombre en Argentine, frappant désormais le tiers de la population, n’a pas été remarqué. Il en va de même pour les très violentes manifestations au Chili à la suite de l’augmentation du ticket de transport dans la capitale de 30 pesos (1 euro fait 848 pesos), faisant au moins 26 morts et pratiquement 3000 blessés. Ni même les mobilisations massives en Colombie, en Iran, en Irak, en Algérie… Seul le mouvement à Hong Kong a été remarqué, parce que les médias en ont parlé comme c’est une mobilisation pro-occidentale.

C’est que l’Europe est en paix et les dirigeants, Emmanuel Macron en tête, ne cessent de dire que c’est fait pour durer. De toutes façons, on n’est plus concerné : les États-Unis et la Chine décident de tout de par leur poids, alors pourquoi changer, ou même faire des efforts ? Tout peut continuer comme avant et rien n’atteint le train train de la vie quotidienne.

Mais la jeunesse s’ennuie. Nés après 2000, les jeunes n’ont pas les préjugés des anciens et ils profitent de la modernité sous la forme d’accès à ce qui forme le goût le plus immédiat : les habits, la musique, le style. Ils sont individualistes et tête en l’air, mais savent en même temps qu’ils sont en rupture complète avec le passé. On les méprise : eux répondent en ignorant ce qu’il y avait avant.

Ils sont une force tranquille, à rebours des gilets jaunes, ces mis de côté qui refusent la modernité au lieu de s’en saisir. Les gilets jaunes veulent geler la France, la faire retourner dans le passé, et les syndicats sont la même posture culturelle avec leur ligne purement défensive, nostalgique des droits acquis hier. Cela ne parle pas à la jeunesse. Comment pourrait-il en être autrement ?

Dans son article du Monde du 15 mars 1968, Quand la France s’ennuie, Pierre Viansson-Ponté constatait la même ambiance étrange où la France semblait en décalage avec tout, même avec elle-même. Et il notait :

« Cet état de mélancolie devrait normalement servir l’opposition. Les Français ont souvent montré qu’ils aimaient le changement pour le changement, quoi qu’il puisse leur en coûter. »

Cela ne semblait alors pas le cas, puisqu’il ne se passait rien. Alors vint mai 1968 juste après, comme expression de la contradiction massive entre une France enkystée dans les vieilles habitudes et une jeunesse en total décalage dans sa manière de concevoir les choses. Il va en être de même pour la France d’aujourd’hui.

Car les Français sont trop éduqués, trop conscients des rapports d’oppression, d’exploitation, trop culturels, trop fiers de leur héritage contestataire, pour ne rien faire. Et s’ils consomment jusqu’au bout, s’ils pratiquent l’individualisme jusqu’au bout, c’est pour bien être certain d’avoir essayé jusqu’au bout de rien faire. Cela aussi, c’est très français. La certitude de l’impossibilité de continuer comme avant acquise, de manière cartésienne à leurs yeux, ils vont alors rentrer dans le jeu historique.

Et cela n’aura, bien sûr, rien à voir avec la tragi-comédie des gilets jaunes. Lorsque se mettent en mouvement les jeunes et les ouvriers – car ils seront là – tout change. Le contenu sera alors ce qui compte. Car c’est toujours ce qui compte, tels les fleurs, les animaux, le bleu du ciel, le bruit de la musique, tout quoi !

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La pétition du 5 janvier 2019: le tournant politique de la grève

Le Journal du Dimanche a publié une tribune appelant le gouvernement à stopper la réforme des retraites et à négocier avec les syndicats. C’est que la grève se prolongeant, tout risque de commencer à être bousculé socialement et d’ouvrir la porte aux révoltes. C’est hors de question pour la direction de la CGT et la gauche institutionnelle, tous deux à l’origine de la tribune. C’est une opération de récupération et surtout d’évitement de la lutte des classes, qui cherche à torpiller la gauche du mouvement de grève.

La grève continuant, les choses deviennent politiques, comme prévues. Qu’on le veuille ou non, on est dans une opposition entre des syndicats et le gouvernement, ce qui pose la question de la légalité, de la légitimité, donc de l’État.

C’est là ouvrir une porte à ce que la société française soit ébranlée. Tant mieux ! dit-on si on est de Gauche et qu’on espère enfin qu’en France, il y ait un mouvement populaire. Hors de question ! dit-on si on considère que tout doit rester dans le cadre institutionnel.

La tribune publiée dans le Journal du Dimanche du 5 janvier 2019 est ainsi très brève. En quelques lignes, on a un « appel au calme » signé des principales figures politiques classées à gauche, tels Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise), Olivier Faure (PS), Fabien Roussel (PCF), Julien Bayou (EELV), à quoi s’ajoute Philippe Martinez, le dirigeant de la CGT.

On a également parmi les signataires Gérard Filoche de la Gauche démocratique et sociale, Guillaume Balas de Génération-S, Raphaël Glucksmann de Place publique, Marie-Noëlle Lienemann de la Gauche républicaine et socialiste, Olivier Besancenot et Philippe Poutou du Nouveau Parti anticapitaliste.

De plus, pour faire bien, la liste comprend des comédiens, des historiens, etc. et dispose d’un site où signer la tribune-pétition.

« Une majorité de citoyennes et de citoyens le demandent : retrait de la réforme Macron !

Depuis le 5 décembre, des millions d’hommes et de femmes se retrouvent dans les grèves, dont beaucoup en reconductible, et les manifestations à l’appel des organisations syndicales.

Ils et elles rejettent la réforme du système de retraites que veulent leur imposer le président de la République et son gouvernement.

Ce projet n’est pas acceptable, car il est porteur de régression des droits de chacune et chacun : toutes les hypothétiques avancées proposées par le gouvernement devraient être financées par des baisses de pensions ou par l’allongement de la durée de la vie au travail. D’autres choix sont pourtant possibles.

C’est pourquoi nous demandons le retrait du projet présenté par le Premier ministre, afin que soient ouvertes sans délai de vraies négociations avec les organisations syndicales, pour un système de retraites pleinement juste et solidaire, porteur de progrès pour toutes et tous, sans allongement de la durée de la vie au travail. »

Tout est ici très compréhensible, voire logique même si l’on veut, s’il n’y avait pas le dernier paragraphe. Car s’il y a retrait du projet de réforme des retraites, qu’y a-t-il à négocier ?

C’est là qu’on comprend que cette tribune-pétition a comme cible toute la gauche du mouvement de grève, pour qui cette grève porte sur bien plus que la question des retraites. La pétition-tribune, très largement diffusée dans les milieux syndicaux, est une manière de limiter la question aux retraites, d’exiger une porte de sortie rapide à la crise.

C’est doublement criminel.

Déjà, car il s’agit de demander à Emmanuel Macron de réactiver la gauche institutionnel et la CGT, sur le dos de la grève.

Ensuite, car c’est espérer quelque chose d’un gouvernement fer de lance du capitalisme sur le plan des privatisations, ce qui est absurde.

À l’arrière-plan, la chose s’explique comme suit : Philippe Martinez, le dirigeant de la CGT, veut couper l’herbe sous le pied du syndicalisme dur à la CGT, et empêcher à tout prix que s’ouvre une nouvelle séquence de lutte, bien plus dure et généralisée.

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Politique

«Serons-nous débarrassés de Macron ou de la CGT?»

Il est un article sans intérêt de la revue de droite Causeur dont le titre dit par contre beaucoup de choses. Si la grève contre la réforme des retraites échoue, la CGT va profondément reculer et c’est un coup symbolique contre le « communisme ». Si Emmanuel Macron recule, il part perdant aux prochaines élections présidentielles et c’est un boulevard pour l’alliance Droite/extrême-Droite.

L’article de Causeur, en date du 31 décembre, reflète parfaitement les espoirs de la Droite et de l’extrême-Droite. Une partie importante de la bourgeoisie s’est rangée derrière Emmanuel Macron le progressiste, le moderniste. S’il échoue dans ses réformes, il perd sa crédibilité et cela laisse de la place pour une nouvelle proposition stratégique, celle d’une remise à plat sous la forme d’un tournant à la fois militariste et nationaliste.

Cela est d’autant plus vrai qu’une large partie de la Gauche ayant soutenu Emmanuel Macron au second tour de la présidentielle, au nom du rejet de l’extrême-Droite, dit ouvertement aujourd’hui qu’elle ne le refera pas, que Marine Le Pen n’aurait pas fait pire, etc. C’est une position absurde, mais malheureusement de plus en plus partagée.

On retrouve ici l’illusion selon laquelle il faudrait la terre brûlée et tout reprendre à zéro. Comme si l’extrême-Droite allait attendre que la Gauche se reconstitue ! Il faut ici avoir conscience que le barrage à toute avancée de l’extrême-Droite est primordiale. Croire qu’un basculement dans une alliance Droite/extrême-Droite ne changerait rien, voire aiderait à reconstituer la Gauche, cela s’appelle une pensée suicidaire !

Il faut être réaliste et bien voir que l’échec de la grève contre la réforme des retraites implique un profond élan populiste. Inversement, la victoire de la grève implique un passage à la lutte de classes que les syndicats ne veulent pas. Les syndicats ne posent aucune question selon un agenda politique de gauche ; ce qui les intéresse, c’est leur insertion dans les rapports sociaux, comme leviers pour les négociations. Il n’en ressort donc rien.

L’incohérence est particulièrement marquée du côté de la CGT. Le 1er janvier, le secrétaire général de la CGT Philippe Martinez était invité sur BFM TV et la radio RMC, et il a appelé à mener « des grèves partout, dans le public, dans le privé ». Cependant, cela ne se décrète pas et encore moins plusieurs semaines après le début du mouvement. Et jusqu’à présent, la CGT a toujours cherché à maintenir la chape de plomb syndicale, s’opposant de fait à l’affirmation du principe des assemblées générales au-delà des syndicats.

> Lire également : Assemblée générale et non intersyndicale ou gilets jaunes

La Gauche est donc coincée, car elle dépend d’une CGT qui refuse la politique, sans parler de Force Ouvrière qui est très violemment anti-politique et a toujours été opposé de la manière la plus farouche à l’hégémonie de la Gauche politique (ce qui n’est pas étonnant pour un syndicat ouvertement né avec l’appui de la CIA juste après la Seconde Guerre mondiale, afin de faire barrage à toute union de la Gauche en France).

Et la Gauche est aussi bloquée par l’immense faiblesse de ses forces, qui plus est éparpillée. Cela laisse peu de perspectives à part un intense travail de fond, qui accapare les énergies et qui est moqué par l’ultra-gauche s’imaginant la France au bord du grand soir, alors qu’on est bien plus proche de l’instauration d’un État autoritaire assumé, au nom de l’unité nationale.

Déjà Emmanuel Macron y est allé de sa petite phrase, lors de ses « vœux présidentiels » :

« 2020 doit ouvrir la décennie de l’unité retrouvée de la Nation.

Je vois trop de divisions au nom des origines, des religions, des intérêts. Je lutterai avec détermination contre les forces qui minent l’unité nationale et dans les prochaines semaines je prendrai de nouvelles décisions sur ce sujet. »

Emmanuel Macron a joué ici les mystérieux, mais l’on sait ce que cela signifie : la crispation militariste et nationaliste de l’État, parallèlement à celle du pays.

Seule la lutte de classes peut débloquer la situation. Et cela ne passe pas par la CGT, mais par son dépassement démocratique à la base, dans un élan populaire politique reconstituant la Gauche culturellement et politiquement.

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120 000 euros de capital pour chaque jeune de 25 ans: la proposition du bobo Thomas Piketty

Dans une vidéo Kombini, site plus connu pour raconter les dernières futilités concernant Drake ou Kim Kardashian que de contribuer à changer le monde, l’« économiste » Thomas Piketty présente sa dernière trouvaille, issue du dernier livre qu’il a à vendre : donner un « héritage » de 120 000 euros à chaque jeune à 25 ans. Voilà typiquement une idée de bobo n’ayant aucun sens des réalités.

Le capitalisme va mal ? Alors il faut le capitalisme pour tous ! Voilà la grandiose idée de Thomas Piketty, apprécié par les bobos du monde entier, à commencer par Barack Obama lui-même.

Le capitalisme serait donc tellement formidable qu’il faudrait que chacun puisse en profiter au début de sa carrière. C’est un peu comme au Monopoly : chacun la même mise de départ et c’est partie pour le grand jeu de la concurrence. Génial !

On a fait le calcul. D’après l’INSEE, les personnes ayant 25 ans durant l’année 2018 étaient 691 249. On multiplie par 120 000 et cela donne 82 949 880 000. Il faudrait donc 83 milliards d’euros par an.

Cela équivaut (d’après la loi de finance 2019) à l’addition de tout l’impôt sur le revenu (70,4 milliards nets) et de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (13,1 milliards nets).

Pour se donner une idée également, avec 83 milliards d’euros on a (toujours d’après la loi de finance 2019) quasiment les budgets consacrés à l’éducation et à l’Écologie/développement durable en France (85 milliards d’euros).

Plutôt que de doubler les budgets consacrés à l’écologie et à l’éducation (le plus gros budget), Thomas Piketty suggère donc que cela serait mieux d’en donner un bout à chaque jeune, pour qu’il fasse de son côté son petit bout de chemin capitaliste.


Comme par magie, cela résorberait les inégalités et le capitalisme deviendrait vertueux. Il faut vraiment être totalement imprégné de la pensée bourgeoise pour penser une telle chose… Mais cela n’est pas étonnant de la part d’un ancien de « Normal Sup’ » et de la London School of Economics.

Pour l’anecdote, il faut savoir qu’à l’époque où Dominique de Villepin voulait imposer à la jeunesse l’immonde Contrat Première Embauche, il mandatait Thomas Piketty pour faire une London School of Economics à la française à Paris.

Et dire que Benoît Hamon avait fait de Thomas Piketty son conseiller économique pour sa campagne en 2017… Tout cela parce qu’il a écrit un succès d’édition, Le Capital au XXIe siècle, qui en 2013 lui a accordé beaucoup d’estime dans les couches intellectuelles cherchant des réformes sociales mais à tout prix sans luttes des classes.

Quelle catastrophe pour la Gauche. Si Jean Jaurès, Léon Blum ou Maurice Thorez voyaient ça, ils n’en reviendraient pas.

Thomas Piketty se moque littéralement du monde ici avec ses 83 milliards d’euros par an tombés du ciel, comme s’il suffisait de le décréter pour faire apparaître tout cet argent, comme si la crise économique n’était qu’une invention de la Droite.

Une telle somme existe cependant, il n’a pas tord de ce point de vue là. Il faudrait la prendre aux riches, ou au « capital » comme il le dit pour se donner un genre « Karl Marx » (bien qu’il déteste Karl Marx, qui selon lui se serait trompé sur tout et n’aurait aucun contenu).

En l’occurrence, les riches, le capital, la bourgeoisie, ne se laisserait pas faire. Seul un pouvoir de gauche très fort, porté par les classes populaires menant une lutte de classe très intense, avec en tête la classe ouvrière massivement organisée dans des assemblées générales puissantes, pourrait arracher une telle somme, dans une situation quasi insurrectionnelle par ailleurs.

Il serait alors hors de question de disséminer tout cet argent individuellement à chaque jeune de 25 ans pour entretenir l’illusion du capitalisme ! La Gauche portée par les classes populaires aurait de biens meilleures idées pour ces moyens, en planifiant de manière rationnelle les dépenses dans un sens collectif et responsable.

Il paraît d’ailleurs que cela s’appelle le Socialisme. Et cela n’a rien à voir avec le populisme light et prétendument « de gauche » du vaniteux Thomas Piketty.

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Politique

Qui est Pierre Ferracci?

Le Canard Enchaîné (18 décembre 2019) révèle des informations utiles pour connaître la nature de Pierre Ferracci, dont les villas construites en Corse en zone protégée ont été l’objet d’une tentative de destruction cette semaine.

 

Il est également parlé de lui dans un autre article :

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Société

Le système universel de retraite d’Édouard Philippe en quatre points

Le projet de réforme du système des retraites a été présenté pour la première fois hier. Ce qui se joue, ce n’est pas qu’une remise en cause des régimes spéciaux, mais une mise en perspective du système des retraites, pour le mettre en adéquation avec l’individualisme forcené des Français qui acceptent leur atomisation dans le capitalisme.

Regardons quels sont les points essentiels présentés par le Premier ministre Édouard Philippe au « Conseil économique, social et environnemental » au sujet de son plan de réforme du système des retraites.

Le premier point, c’est que le système français des retraites est un puissant levier d’unification sociale et de stabilité. En effet, comme on dépend de ceux d’après pour remplir sa caisse de retraite, on a tout intérêt à prôner la stabilité, la reproduction de ce qui existe, etc. Il faut que la génération d’après soit conformistes, pour qu’elle paie ! Édouard Philippe utilise même une rhétorique anti-capitalisme financier littéralement démagogique.

« Ce système, beaucoup nous l’envient. Avec raison. Surtout dans un monde où le chacun pour soi et les logiques marchandes l’emportent souvent sur le reste. En France, on ne voit pas sa retraite partir en fumée à cause d’une crise financière ou parce qu’un fonds d’investissement a fait de mauvais choix. La retraite par répartition est un trésor national. »

Le second point, c’est que les individus sont atomisés et le capitalisme va à grande vitesse. Il y a de grands changements dans le type d’emploi, dans ce qui est produit et vendu, etc. Aucun corporatisme ne peut avoir de sens.

« Des filières disparaissent. De nouveaux métiers se créent. »

Pour bien comprendre cet aspect, lire également notre article : Le système universel de retraite d’Édouard Philippe et la transformation des institutions.

Troisième point, les individus atomisés circulent tels des marchandises dans toute la société capitaliste. Ils passent d’entreprises en entreprises comme une marchandise de main en main. Il faut donc assumer cette universalisation du capitalisme en accélération.

« Aujourd’hui, les travailleurs français changent plusieurs fois de carrière, voire de statuts durant leur vie active. Beaucoup d’actifs connaissent des périodes de chômage. Certains en sortent en devenant travailleur indépendant pendant un temps. Les parcours sont beaucoup plus fragmentés qu’il y a un demi-siècle. On peut le regretter, mais c’est la réalité et nous devons mieux protéger les Français contre ces aléas. »

Le quatrième point, essentiel, est que les mentalités sont totalement favorables à l’accumulation de richesses personnelles. Les Français ne sont en rien des hippies et ne voient pas de problème à « travailler plus pour gagner plus ».

« Depuis quelques années, l’idée de travailler plus longtemps n’est pourtant plus taboue. Ni pour la droite, ni pour la gauche. Et encore moins pour les Français, qui travaillent d’ores et déjà aujourd’hui plus longtemps que l’âge légal pour bénéficier d’une meilleure pension : au régime général, ils partent en moyenne à 63,5 ans ! En un sens, ils ont déjà un peu tranché le débat. »

Pour résumer :

– le système « la génération d’après paie pour celle d’avant » renforce le conformisme ;

– les métiers se modifient rapidement ;

– les gens changent rapidement d’entreprises ;

– tout le monde est capitaliste.

Il faut donc universaliser le travailleur atomisé et cesser tout corporatisme. Et il y a un levier pour faire travailler davantage, en élevant l’âge de la retraite au nom du fait qu’il faut bien de l’argent pour payer (si on ne fait pas payer la bourgeoisie). Les Français, individualistes, seront tout à fait d’accord s’ils en voient les effets sur le plan financier.

> Lire également : Le sens historique de la réforme des retraites de décembre 2019

C’est une programmatique qui tient la route et qui est tout à fait réaliste quant aux mentalités. Malheureusement ! Ce qui pourrait bloquer cela, c’est de dire : rien du tout ! Lutte des classes, le capital payera les retraites. Mais aucun syndicat n’est en rien prêt à dire cela… Et les travailleurs non plus. Pour l’instant.

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Assemblée générale et non intersyndicale ou gilets jaunes

Dans une intersyndicale, les travailleurs n’ont pas la parole ; chez les gilets jaunes, ils sont subordonnés aux revendications délirantes des couches moyennes. Il n’y a que dans les assemblées générales que la démocratie est à l’œuvre et permet d’avancer.

Beaucoup de gens de la Gauche ont compris qu’il y avait un souci profond dans la mobilisation du 5 décembre 2019. Les directions syndicales cherchent en effet déjà à se placer pour des négociations avec le gouvernement, ce dernier abattant ses cartes très lentement pour le projet de réforme des retraites, afin d’imposer son propre calendrier.

Il y a tous les ingrédients pour un enlisement et l’espoir d’un mouvement populaire côtoie le scepticisme. Les assemblées générales forment alors un thème qui refait surface, de manière normale puisque c’est un principe d’organisation populaire par définition.

Il est toutefois un problème très simple à comprendre : on trouve des gens de gauche disant oui aux gilets jaunes, oui aux syndicats, oui aux assemblées générales. Or, cela n’a aucun sens. Ces formes d’organisation ne sont pas que différentes, elles sont même résolument antagoniques, car elles affirment des lieux différents pour l’expression.

Le syndicat dit que ce sont les syndiqués qui décident, ce qui signifie bien souvent : la direction syndicale. Les gilets jaunes disent que ce sont les gens impliqués qui décident, ce qui est un volontarisme plus proche du Fascisme italien que d’autre chose.

L’assemblée générale dit que tout le monde s’exprime, que les décisions sont prises de manière démocratique par elle, que tout dépend d’elle. L’assemblée générale n’est pas composée que des gens le plus volontaires (comme chez les gilets jaunes ou les pseudos assemblées générales étudiantes). Elle est composée de tous.

> Lire également : Grève: qu’est-ce qu’une assemblée générale ? Qu’est-ce qu’un «soviet» ?

Il ne s’agit pas d’une unification des syndiqués, comme dans l’intersyndicale, il s’agit de l’affirmation d’une unité de tous les travailleurs, à la base même. L’assemblée générale, ce n’est pas une « mobilisation » d’une partie des travailleurs, c’est le lieu d’existence sociale et donc politique de tous les travailleurs.

C’est pour cela que seule la Gauche politique peut appeler à l’assemblée générale. La nature d’agora ou de forum (ou de soviet) de l’assemblée générale témoigne de sa nature démocratique et seule la Gauche politique peut affirmer cette démocratie.

C’est d’autant plus vrai en France où le syndicalisme est toujours resté un odieux volontarisme dans la perspective du syndicalisme révolutionnaire. Cela est tellement vrai qu’aujourd’hui anarchistes et CGT convergent ensemble, depuis plusieurs années déjà.

Si l’on valorise les syndicats ou les gilets jaunes, on est dans le volontarisme, dans le substitutisme. On ne peut pas dire qu’il faut forcer le cours des choses et vouloir la démocratie à la base. Si l’on prend l’exemple italien, on ne peut d’ailleurs que craindre les effets d’une valorisation du volontarisme dans un esprit syndical ou à la mode des gilets jaunes… Le Fascisme en tant qu’idéologie ne peut ici connaître qu’un profond regain.

La Gauche politique doit d’autant plus soutenir la démocratie à la base. Seules des assemblées générales peuvent par ailleurs sauver le principe même de démocratie, à une époque de consommation de masse supervisée par un capitalisme envahissant tous les aspects de la vie.

Même le régime républicain en place, déjà très peu démocratique avec sa démarche présidentielle, avec les préfets… parvient de moins en moins à donner l’illusion d’impliquer les gens dans les choix. Avec l’individualisme triomphant, on court donc à la catastrophe.

Il faut un formidable élan démocratique de la part du peuple. Sans cela, ce sera la mise en place d’un régime autoritaire « réglant les problèmes » par en haut, dans le sens du militarisme et de la guerre afin de satisfaire les besoins de conquête du capitalisme.

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5 décembre 2019: une grève à l’esprit irréaliste

Allons donc ! Au lieu de travailleurs dans une lutte des classes, on a des gens revendiquant leurs acquis sur un mode corporatiste, avec quelques anarchistes perdus dans la masse. À croire que le capitalisme ne changera pas dans les 10, 20, 30 ans, qu’une guerre mondiale est impossible, que le réchauffement climatique n’existe pas. L’irréalisme est complet.

La grève du 5 décembre 2019 a été marquée d’une forte mobilisation et n’est qu’un début. Espérons qu’elle se transforme, qu’elle se dépasse. L’esprit qui y prédomine est en effet odieusement oiseux, faiblard et, pire encore, vague. Le flou prédomine pour une ligne de conduite dont la seule orientation est de se raccrocher à 1995.

Faisons comme en 1995 et nous conserverons nos acquis particuliers, tel est ce qui est ressort. Après tout, quel est le sens de la vie ? Avoir un bon salaire, une bonne carrière, une bonne retraite… Acquérir une petite propriété, former un patrimoine, normal quoi ! L’horreur !

Seulement, 2019 n’est pas 1995 et inversement. Qu’en 1995, on pense le capitalisme éternel, la société française entièrement stable, c’est ce que faisait 99 % des gens. Seule une infime minorité, même à l’extrême-Gauche, maintenait la théorie de l’effondrement.

En 2019, par contre, tout est instable. Le réchauffement climatique est désormais une donnée parfaitement intégrée par tout le monde. Rien qu’avec cela rien ne sera plus comme avant. Et de toutes manières, la crise est générale. Le militarisme prend une ampleur toujours plus grande avec en toile de fond l’affrontement sino-américain. Un million de personnes ont manifesté il y a peu au Chili et en Colombie, alors que l’Équateur vient de connaître un changement de régime, que l’Algérie, l’Irak et l’Iran vacillent sous les protestations. Plus d’un tiers des Argentins vit sous le seuil de pauvreté.

Et voilà donc des gens qui disent : ah mais nous ne sommes pas des travailleurs, nous sommes des individus qui travaillons et chacun, ensemble mais séparément, réclame la défense de « ses » acquis comme si le reste du monde n’existait pas. Au point de dire : ah ben il y a les cadres aussi, c’est très bien ! Les cadres ! Cette entité intelligente, mais beauf, cette source de nivellement par les bas !

Si encore, cela a été demandé aux riches, ou à la bourgeoisie, bon… mais non, c’est à l’État que cela est demandé. Et avec un discours misérabiliste servant à masquer qu’on vit en France dans l’un des pays les plus riches du monde. À un moment donné, tout cela devient ignoble. Encore une semaine comme cela et la grève va dans le mur.

La palme de tout cette médiocrité petit-bourgeoise va en tout cas indubitablement à la CGT Ingés Cadres Techs – UGICT, avec des affiches réussies sur la forme, mais d’un contenu même pas navrant, mais pathétique. Étudier, c’est travailler ? Ben non, travailler c’est travailler. Cette prétention de la petite-bourgeoisie diplômée est affolante : c’est à peine s’ils ne disent pas ouvertement que les ouvriers doivent leur payer leurs études. Car ils ne vont pas demander cela aux bourgeois : ils veulent le devenir !

Tout cela est lamentable et on sait à qui on le doit. À l’hégémonie des cadres, d’entreprises comme syndicaux, à une mentalité de beauf, à une fainéantise complète des travailleurs français qui préfèrent voter Le Pen en masse plutôt que d’assumer la transformation de la société.

Que cela soit la faute historique de la Gauche, c’est indéniable. Il n’en reste pas moins que cette médiocrité dominante est une obscénité historique. Il faut les ouvriers pour faire sauter les verrous du conformisme corporatiste !

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Grève du 5 décembre 2019: une mobilisation massive mais loin d’être inédite

Le premier jour de la grève de ce mois de décembre commence fort, mais pas du tout avec l’ampleur escomptée. De fait, on est dans la norme pour une grande mobilisation, tant pour les chiffres que pour la part des secteurs économiques impliqués.

Lors du mouvement contre la réforme des retraites en France en 2010, il y a eu quatorze journées de manifestations. La première fois, le 23 mars, la CGT a revendiqué 800 000 personnes présentes, puis notamment un million le 27 mai, 2,7 million le 7 septembre, 3 millions le 23 septembre et autant le 16 octobre, 3,5 millions le 19 octobre.

Pour le 5 décembre 2019, la CGT parle de 1,5 million de manifestants. On ne comprend donc pas vraiment pourquoi le communiqué de la CGT dit que :

« Ce haut niveau de mobilisation est historique, tant au regard du taux de mobilisation dans chaque grande ville que du niveau de grève dans les entreprises. Il démontre le refus d’une grande majorité des travailleurs, des retraités et des jeunes, de voir notre système de protection sociale sacrifié sur l’autel du libéralisme économique. »

Ce n’est tout simplement pas vrai. On a juste un peu plus de monde que pour les manifestation de mars et juin 2016 pour la loi travail. Il est vrai que le communiqué explique le pourquoi de tout cela, un peu plus loin :

« Si le président de la République refuse d’entendre les aspirations sociales, il démontrera de nouveau son dogmatisme et sa recherche de confrontation sociale. Il exposera le pays à un conflit social majeur et en portera l’unique responsabilité. »

Il y a surtout la grande trouille que tout cela se transforme en luttes de classes, ce qui amènerait la CGT à être débordée et surtout dépassée. Il s’agit donc de prétendre être arrivé déjà à quelque chose, pour conserver l’image de combatif et raisonnable, etc.

Après, il y a l’aspect principal : la grève. Là encore, la mobilisation n’a rien d’inédite. Pour l’éducation nationale, on a eu 51,15 % d’enseignants grévistes dans le primaire et 42,32 % dans le secondaire (collèges et lycées).

Du côté de la SNCF, 55,6% à la SNCF de grévistes, dont 85,7% chez les conducteurs et 73,3% chez les contrôleurs. Pour EDF, 43,9 %, chez Renault, 5 %.

Dans la fonction publique hospitalière, le chiffre est de 15,9 % de grévistes, pour la fonction publique territoriale de 10 %.

Bien entendu ces chiffres officiels sont minorés par les directions des entreprises concernées. Ce sont des chiffres importants, mais rien d’exceptionnels pour la France.

La seule chose vraiment nouvelle, ce sont sept des huit raffineries françaises en grève. Voilà qui est intéressant, tout comme ce dont on ne sait pas à moins d’y être impliqué. Car il y a eu de nombreux débrayages dans les usines. Pas forcément aussi important que chez Williams Saurin à Pouilly-sur-Serre en Picardie, Ysco à Argentan en Normandie, etc. Mais il y a eu du mouvement.

Or, c’est le blackout. Les syndicats n’en parlent pas à part localement et encore, à cela s’ajoute le problème bien entendu de ne pas placer les grévistes dans la situation inconfortables de devenir des cibles des ennemis (y compris intérieurs) du monde du travail.

C’est là que tout se joue. Si la classe ouvrière parvient à s’élancer, alors tout changera radicalement. Sans cela, on a un mouvement social tout ce qu’il y a de traditionnel dans notre pays et ce ne sont pas les quelques heurts avec la police menés par des franges anarchistes, surtout à Paris, qui modifient quoi que soit.

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Grève lancée le 5 décembre 2019: la Gauche politique est le seul repère

Le climat est délétère et il y a envie d’en découdre. Le souci est que tout le monde a envie d’en découdre, c’est vrai autant à Gauche qu’à Droite. Sauf que la Gauche est déstructurée, alors que la Droite est en reconstitution, avec une extrême-Droite formant un véritable pôle. Toute réduction à du syndicalisme, tout suivisme de la part de la Gauche politique serait un suicide. Cela va être malheureusement difficile de par les tendances à l’auto-intoxication promues par l’ultra-gauche, les syndicats et les populistes de La France Insoumise.

Le grand risque du mouvement de grève qui s’ouvre ce 5 décembre 2019, c’est l’auto-intoxication. On peut critiquer les cadres historiques du Parti socialiste, comme Jean-Christophe Cambadélis et Julien Dray, pour leur froid pragmatisme et leur sens, disons, de faire prendre aux choses une tournure relevant du calcul. Mais au moins avec eux les choses sont présentés comme elles sont.

Au contraire, prenons ce que dit le média Révolution Permanente, expression d’un courant du Nouveau Parti Anticapitaliste, dans l’article Vers une grève générale politique contre Macron ?. La première phrase est la suivante :

« Tout indique que la grève générale du 5 décembre sera d’une ampleur absolument inédite, sans doute la plus grosse mobilisation depuis celles de 1995, 2006 et 2010. »

Ce serait donc une ampleur « absolument inédite », mais on l’aurait déjà vu pas moins de trois fois ! Comment peut-on raconter une chose pareille ? Et c’est typique, c’est malheureusement un excellent exemple de ce qu’on voit régulièrement dans les expressions de soutien à la vague de grève qui se lance.

Pour les uns, on est à deux doigts de la démission d’Emmanuel Macron, de la fin du gouvernement, voire du capitalisme. Pour d’autres, il y a phénomène de convergence de tous les mouvements possibles qui est en train de se jouer.

Les gilets jaunes – un mouvement réactionnaire culturellement qui a toujours concerné une minorité du pays – aurait révolutionné les luttes et les syndicats se mettant en branle, tout va changer du tout au tout !

Ce n’est pas réaliste. Si le mouvement prend vraiment de l’ampleur, alors cela sera :

– une bataille ardue faisant une expérience formidable ;

– mais une bataille avec des larmes et du sang, au sens propre ;

– produisant inévitablement une puissante vague de Droite en réaction,

– provoquant un électrochoc à Gauche avec une compréhension que tout va se jouer à pas grand-chose, vu le peu de temps qu’il reste avant l’instauration d’un régime au minimum autoritaire et nationaliste.

Il faut arrêter de vendre du rêve, de prétendre qu’Emmanuel Macron c’est le fascisme, que la police frappe tout le monde et démantèle les manifestations. Parce que c’est ce qu’on lit, dans une surenchère folle.

Il faut les faits, politiquement. Et la Gauche est inexistante politiquement, alors que l’extrême-Droite a une véritable proposition stratégique. Que le programme de Marine Le Pen ne tienne pas debout n’est pas la question : pour l’instant, au moins la moitié des ouvriers sont attirés par cela. Il faut ajouter qui plus est à ce panorama la vague de type « conservatrice révolutionnaires » portée par Marion Maréchal, Éric Zemmour, Valeurs Actuelles, etc.

Soit le mouvement se lançant le 5 décembre devient politique et culturel, parce qu’il porte la lutte des classes. Soit il se réduit à une protestation économico-contestataire sans envergure et c’est l’échec assuré.

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« ouvriers » ou « classe ouvrière »  ? 

Disparue des discours politiques des années 1990-2000, les ouvriers sont réapparus, notamment en 2007 avec Nicolas Sarkozy et le « travailler plus, pour gagner plus ». Mais si les ouvriers sont là, la classe ouvrière est invisible des stratégies et des discours à Gauche, ce qui est une grande différence.

« Toute l’histoire n’a été que l’histoire des luttes de classe » disaient Marx et Engels dans le fameux Manifeste du Parti communiste. Cela signifie que les classes sociales qui s’entre-choquent sont le moteur de l’histoire. Ce n’est pas une affaire d’individus isolés, mais une production collective, indépendante des individus.

Or, il est facile de remarquer que ces catégories mêmes de collectivité historique comme « bourgeoisie », « petite-bourgeoisie », « classe ouvrière » ne fournissent plus la matière pour analyser la société. Non pas qu’il n’y aurait pas d’inégalités sociales, non pas qu’il n’y aurait pas des « bourgeois », des « ouvriers », mais plutôt le fait qu’on ne pourrait pas tout réduire à des déterminations sociales et historiques. C’est pourquoi il y aurait simplement des « défavorisés » dans leur conquête de réussite sociale.

En parlant des « ouvriers » et non pas de la classe ouvrière, on commet l’erreur de parler typiquement comme le postmodernisme et de voir les choses de manière séparée, isolée les unes des autres. Un ouvrier serait un individu, ni plus, ni moins.

C’est cela que la sociologie a réussi comme grand tour de force : nous aurions assisté à la fin de la classe ouvrière, mais non pas la fin des ouvriers. Évidemment, il serait difficile de les nier lorsqu’ils représentent plus de 6 millions de la population active et de part leur poids fondamental dans les zones rurales et périurbaines.

Cependant, la classe ouvrière n’existerait plus en tant que sujet politique. En effet, la classe ouvrière n’est plus une force organisée telle que cela a pu être le cas par exemple entre les années 1930 et 1970 par des grands partis, comme la SFIO ou le PCF. L‘étiolement de ces partis ouvriers permettrait cette annonce que la classe ouvrière a disparu.

Mais c’est là ne pas saisir c’est qu’est une classe, et donc cette classe ouvrière. Karl Marx a montré qu’une classe était d’abord un regroupement « en soi » de gens, grosso modo selon leur mode de vie. Puis ce regroupement social, objectif, se reflète dans une manière de voir les choses, une analyse de la société, des représentations, etc. Bref, la classe « pour soi », la conscience de classe.

Or, prenons par exemple un dernier sondage sur la question de la grève du 5 décembre dans les transports : 81 % des ouvriers la trouve justifiée. C’est la catégorie sociale qui se prononce le plus favorablement pour la grève. Tout comme au plus fort des gilets jaunes, ce sont plus de 60 % des ouvriers qui souhaitaient voir continuer le mouvement, sans évidemment y participer.

Les « ouvriers » ne se comportent donc pas comme des individus éparpillés, isolés, fragmentés, mais ont en commun une attitude politique et culturelle. C’est en ce sens qu’ils forment la classe ouvrière. L’existence d’une conscience de classe est alors traversée par différentes idées portées par différents partis politiques, sources médiatiques, etc.

Il est évident que la drame actuelle de la classe ouvrière est qu’elle est déformée par la dépolitisation qui ne profite qu’à l’extrême-Droite. Cela n’en fait pas moins une classe sociale qui n’existe que parce qu’elle s’oppose en permanence à la classe opposée, la bourgeoisie.