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Culture Culture & esthétique

Playlist «soviet wave»

La chute de l’union soviétique en 1991 s’est accompagnée d’une vague de brutalité et d’une corruption massive, étouffant la société toute entière. Née dans les années 1990, la génération qui a franchi sa vingtième année dans les années 2010 est marquée par une enfance socialement et moralement troublée.

C’est l’essor d’un capitalisme russe issu de l’ancien appareil militaire d’État, s’appropriant tout ce qu’il peut, notamment en priorité la rente gazière et pétrolière, et laissant prospérer des activités décadentes auparavant réprimés (comme par exemple la banalisation de la prostitution, des drogues…).

Dans cette ambiance de déliquescence culturelle, PPK, un groupe de musique électronique très actif entre 1999 et 2003 et entre 2010 et 2011, a joué le rôle d’incubateur d’un style combinant une esthétique rétrofuturiste nostalgique de l’URSS, essentiellement abordée à travers la conquête spatiale, à des mélodies de synthétiseurs surfant sur la cold wave anglaise des années 1980.

Dans les années 2010, la génération née dans les années 1990 s’est appropriée ce style culturel donnant lieu à une grande vague musicale nommée la « soviet wave », un mélange de post-punk, de cold wave et de musique électronique fondée sur la nostalgie de l’URSS.

Il y a une progression de ce phénomène dans les grandes villes de Russie mais aussi dans l’ancienne ère soviétique (Ukraine, Lettonie…), que l’on trouve dans les très nombreuses playlist de « doomer music », le mouvement s’élargissant au-delà, avec par exemple le groupe italien « Soviet soviet ».

Un « doomer » (traduire par « condamné ») est une jeune personne précaire qui sombre dans une profonde tristesse sans pour autant tomber dans la violence misogyne des « incels ». Il est plutôt découragé, bloqué par une mélancolie existentielle, mais sans développer une rancœur. La « soviet wave » est une expression directe de l’état d’esprit « doomer » d’une génération Z, née après 1997, qui ne se reconnaît ni dans la ringardise des « boomer » (génération papy-boom) ni dans l’optimisme naïf des « bloomer ».

Il y a là un phénomène musical et culturel très intéressant à saisir dans le contexte de la société russe post-soviétique dominée par une oligarchie rentière anti-démocratique, et dans laquelle la jeunesse cherche, tant bien que mal et sans y parvenir, une nouvelle perspective pour l’avenir.

Voici la playlist :

Voici les titres de la playlist :

  1. Nürnberg – Adny (Minsk)
  2. дурной вкус – пластинки (Mauvais goût – Enregistrement / Saint Pétersbourg)
  3. Ploho – Город устал (« La ville est fatiguée » – Novorsibrisk)
  4. Где Фантом? – Это так архаично (Où est le fantôme ? –C’est tellement archaïque / Oufa)
  5. Molchat doma – Volny (Maisons silencieuses – Vagues / Minsk)
  6. Перемотка – Стреляй (Rembobiner – Tirer/Chasser / Yekaterrinburg)
  7. Стыд – Одинокий гражданин (Honte – citoyen solitaire / Tomsk)
  8. Nürnberg – Biessensounasc
  9. PXWLL – Лето (été, Riga, Lettonie)
  10. Улица Восток – Дурак (Vostok street – Fool / Kiev)
  11. Soviet soviet – Ecstasy
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Politique

Décès du fasciste russe Édouard Limonov

Le russe Édouard Limonov vient de décéder, ce qui est simplement une anecdote dans notre période actuelle si difficile. Mais comme il a été une grande figure du fascisme authentique – celui à prétention romantique – et qu’il est très connu en France, il y a lieu de rappeler sa nature trouble.

Si Édouard Limonov est connu, c’est en raison d’un roman d’Emmanuel Carrère, fils de la très connue et très réactionnaire Hélène Carrère d’Encausse, qui pendant la guerre froide était la principale soviétologue française. Ce roman, au titre sobre de Limonov, a gagné le prix Renaudot en 2011 et a connu un très grand succès dans les milieux littéraires du Paris raffiné, c’est-à-dire bourgeois et ennuyé.

Limonov y est présenté comme une sorte d’aventurier des temps modernes, « voyou à Kharkov, poète underground à Moscou, loser magnifique à New York, écrivain branché à Paris, soldat de fortune dans les Balkans et, à Moscou de nouveau, vieux chef d’un parti de « jeunes révolutionnaires ».

En réalité, Limonov fait partie de l’extrême-Droite russe, dont il a été une des principales figures. D’ailleurs, le roman à prétention biographique raconte avec détails la participation massive de Limonov et de ses partisans « nationaux bolcheviques » à l’opération russe de partition de l’Ukraine.

Initialement, Édouard Limonov est un écrivain mystique, à prétention avant-gardiste. De nombreuses œuvres de lui ont été publiées en français d’ailleurs.

Dès les années 1970, il part aux États-Unis dans les années 1970, en tant que jeune dissident d’une trentaine d’années. Rapidement sans le sou malgré une vraie médiatisation, il termine à Paris où il fréquente avec succès les milieux littéraires, avant de retourner en Russie fonder, dans les années 1990, le Parti national-bolchévique.

Ce mouvement, qui avait comme symbole le drapeau nazi où la croix gammée était remplacée par le marteau et la faucille, avait en réalité deux dirigeants. D’un côté, donc, Limonov, qui ramenait toute une scène alternative pour chercher à en faire des punks et des gothiques nazis. De l’autre, le véritable théoricien de l’entreprise, Alexandre Douguine, élabora toute une théorie où « l’Eurasie » a comme mission de rétablir l’ordre dans un monde en proie au chaos à cause des valeurs occidentales.

Légende : Limonov et Alexandre Douguine

Par la suite, le « douguinisme » deviendra pratiquement une composante de la stratégie de la Russie, alors que Limonov cherchera à faire vaciller le pouvoir. Mais le mouvement, qui regroupa environ 20 000 personnes et fut adoré par les médias occidentaux en quête de sensation forte, fut finalement interdit dans les années 2000.

Légende : Les « nationaux-bolcheviques » : aucun contenu mais beaucoup d’esthétisme

Limonov s’est alors cantonné en apparence dans des publications littéraires, tout en participant à l’opposition libérale à Poutine. Une opposition tout à fait fictive, malgré les arrestations et les ennuis judiciaires, car Limonov considère en fait que Poutine ne va pas assez loin, qu’il n’est pas assez « agressif », comme il le dit.

On a ici la posture classique de l’aventurier prêt à tout pour arriver à ses fins, à se dire de gauche, de droite, à soutenir Poutine, à être contre lui, à être pour les démocrates, à être contre, etc. Ce n’est pas pour rien que, lors de son séjour en France, il écrivait à la fois pour la presse du PCF et pour la revue d’extrême-Droite Le choc du mois, ainsi que pour le journal d’extrême-Droite se prétendant de Gauche L’idiot international.

Légende : Limonov en couverture du magazine Rolling Stone, version russe, avec sa compagne bien plus jeune que lui, nue : un cliché patriarcal pour l’opposant pop star apprécié des médias russes

Limonov avait déjà, dans les années 1990, participé à la guerre en Yougoslavie du côté des ultra-nationalistes serbes. Cela a servi de modèle, pour une tentative de coup d’État pro-russe au Kazakhstan du Nord, ainsi que lors de l’intervention russe dans l’Est de l’Ukraine. 2000 personnes des restes de la mouvance « national-bolchevique » ont en effet intégré les formations militaires anti-ukrainiennes, en espérant conquérir une autonomie politique du territoire sous leur contrôle.

Évidemment, la Russie en a bien profité pour son opération de partition de l’Ukraine, pour mettre ensuite au pas ces « nationaux-bolcheviques » qui ont servi d’idiots utiles. Des idiots utiles depuis longtemps d’ailleurs, car les « nationaux-bolcheviques » étaient en fait déjà impliqués dans un esprit de division pro-russe dans l’Est de l’Ukraine dès le début des années 1990. Limonov a lui-même grandi dans l’Est de l’Ukraine, à Kharkiv.

légende : Roman « Et ses démons » de Limonov avec en couverture une radio de sa tête

Édouard Limonov est le prototype même du type sordide, du poète mystique basculant dans des romans délirants et une posture politique fasciste. Il a été un ignoble produit d’un URSS des années 1970 en totale perdition alors que le complexe militaro-industriel asphyxiait toute vie démocratique.

Et son idéologie « national-bolchevique », prototype même de l’idéologie fourre-tout, justifiant tout et n’importe quoi, sans aucune valeur morale ni culturelle, est aussi exemplaire d’une société russe déboussolée dans les années 1990-2000, avant d’être devenue totalement atone aujourd’hui.

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Société

Piotr Pavlenski, le héraut de la postmodernité

Pseudo opposant russe et vraie figure de l’art contemporain, Piotr Pavlenski a joué, dans l’affaire Benjamin Griveaux, un rôle motivé par l’idéologie postmoderne. Pour lui, puisque La République En Marche assume le libéralisme libertaire, il faudrait aller au bout. En cela, il est simplement en avance.

Piotr Pavlenski est un hurluberlu libéral libertaire qui, par définition, est l’ennemi juré de la Gauche historique. Pour lui, la morale n’existe pas, les normes sont à rejeter par définition. Ses propos au quotidien Libération, où il explique son action contre Benjamin Griveaux, sont à vomir :

« C’est quelqu’un qui s’appuie en permanence sur les valeurs familiales, qui dit qu’il veut être le maire des familles et cite toujours en exemple sa femme et ses enfants. Mais il fait tout le contraire.

Ça ne me dérange pas que les gens aient la sexualité qu’ils veulent, ils peuvent même baiser des animaux, pas de problème, mais ils doivent être honnêtes. Mais lui veut être le chef de la ville et il ment aux électeurs. Je vis désormais en France, je suis parisien, c’est important pour moi. »

Après avoir échoué à diffuser son idéologie libérale-libertaire en Russie – un pays pour le coup prisonnier de son frère jumeau, le nationalisme traditionaliste – Piotr Pavlenski tente donc de jouer le coup à fond en France.

On parle d’une personne qui en Russie s’est cousu la bouche, cloué la peau de ses testicules sur la place Rouge, enroulé nu dans du fil barbelé devant l’Assemblée législative de Saint-Pétersbourg, s’est coupé un bout d’oreille devant un institut psychiatrique à Moscou, a mis le feu aux portes du siège du FSB (la sécurité intérieure russe).

Installé en France, il a mis le feu, en 2017, à l’entrée d’un bâtiment de la Banque de France à Paris. Le tout au nom bien entendu d’une sorte de pseudo révolte existentialiste de type libéral libertaire, qu’on retrouve dans son site « pornopolitique.com » qui a immédiatement fermé une fois l’affaire Benjamin Griveaux lancée.

Voici la présentation du site :

« pornopolitique est la première ressource pornographique avec la participation de fonctionnaires et représentants politiques créée par Piotr Pavlenski en 2020.

Notre rédaction invite tous ceux qui ont une histoire, une correspondance, des photographies ou vidéos dans lesquelles des fonctionnaires et représentants politiques interviennent en tant qu’acteurs et créateurs de contenu à caractère sexuel ou pornographique à nous contacter pour publication sur pornopolitique.

Vous pouvez envoyer vos contributions à: x@x

Seuls les fonctionnaires et représentants politiques qui mentent à leurs électeurs en imposant le puritanisme à la société, alors qu’ils le méprisent eux-mêmes, intéressent pornopolitique.

Ainsi le contenu pornographique diffusé n’est-il pas lié à la personnalité ni aux opinions politiques des fonctionnaires et représentants politiques mais à leur hypocrisie, devenue le fondement habituel du carriérisme politique et la cause de l’obscurantisme monstrueux dans lequel notre société s’est enlisée.

La confiance de nos sources est la première de nos deux priorités inconditionnelles. Par conséquent, l’identité de chaque contributeur restera anonyme s’il ne souhaite pas rendre son nom public.

La deuxième, mais non la moindre, de nos priorités inconditionnelles est la confiance que nos lecteurs nous accordent. Par conséquent, la ressource contient une rubrique « Doutes », dans laquelle nous publions tous les documents dont notre rédaction doute de la source et de la fiabilité. En cas de confirmation de sa fiabilité, le matériel est extrait de cette rubrique pour prendre dignement sa place parmi le contenu pornographique vérifié.

Ces deux priorités inconditionnelles forment le socle de notre réputation.

Nous comptons sur le soutien financier de nos lecteurs. Dons, crowdfunding ou toute autre forme de soutien sont les bienvenus. Nous excluons fondamentalement tout financement public afin de ne pas être soupçonné de partialité quant au contenu publié.

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Citoyens de France et d’autres pays ! Correspondez ! Faites, inspirez le porno !

Politiciens, fonctionnaires, représentants politiques – ils sont parmi nous, et ils sont nombreux !

Aujourd’hui, chacun de nous peut être auteur et réalisateur.

Bien ou mal, seul le temps sera juge. N’ayez peur de rien.

C’est notre seul moyen de sortir des marécages du puritanisme et de l’hypocrisie ! »

On reconnaît là les principes du « happening » postmoderne, censé être à la fois artistique et libérateur, alors qu’en réalité c’est du subjectivisme pur et simple, un egotrip de faux artiste prétendant « remuer » les choses.

Qui plus est, ce discours n’a été qu’un prétexte pour amener la chute de Benjamin Griveaux. Piotr Pavlenski est ainsi l’exemple même du crétin anti-démocratique, de l’idiot postmoderne au service de l’effondrement des valeurs – ce qui accélère la montée en puissance du Fascisme comme force de « régénération ».

> Lire également : Benjamin Griveaux ou la décadence du personnel bourgeois

Entre les nationalistes et les postmodernes, la démocratie et le peuple sont pris en étau. La Gauche doit briser cet étau, développer la démocratie du peuple, pour ne pas que la civilisation même soit broyée par le libéralisme post-moderne et le traditionalisme réactionnaire !

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Guerre

Vers la Guerre: les tensions militaires dans le détroit d’Ormuz

Depuis ce vendredi 27 décembre, un vaste exercice militaire conjoint entre l’Iran, la Russie et la Chine a lieu en mer d’Oman. L’exercice doit durer plus de quatre jours et sonne comme un nouveau avertissement quant aux jeux d’alliances entre puissances qui tendent à faire basculer le monde dans un conflit généralisé.

C’est une nouvelle épreuve de force que l’exercice de coopération navale militaire entre l’Iran, la Chine et la Russie qui se déroule entre le 27 et le 30 décembre dans le détroit d’Ormuz.

La Russie a dépêché trois de ses navires, dont une frégate, un pétrolier et remorqueur. La Chine en a, quant à elle, profité pour renouveler les tests sur l’un de ses redoutables destroyer, le Xining 052D mis en route en janvier 2017 et composé de missiles guidés.

Cela n’est pas anodin puisque ce type de destroyer, considéré comme l’un des meilleurs au monde et le plus moderne de l’armée chinoise, a été lancé à la construction en 2012 avec l’objectif d’en détenir à l’horizon 2030 une douzaine, le Xining 052D étant le cinquième mis en service.

Le partenariat militaire de la Chine dans cette zone est capitale pour s’assurer d’une totale souveraineté commerciale vis-à-vis des États-Unis, stratégie consolidée par la militarisation des îles en mer de Chine orientale et l’ouverture d’une « nouvelle route de la soie » à l’ouest du pays.

Cet exercice militaire a ainsi été salué par l’Iran, y voyant là la constitution d’un « nouveau triangle de pouvoir maritime », taclant les États-Unis sur le fait que le pays ne pouvait « être isolé ».

C’est une question essentielle pour l’Iran, rongé par une contestation intérieure contre le régime à la suite de l’élévation du prix du carburant (notamment à cause de l’embargo américain).

Tirant sa position de la rente pétrolière, la fraction au pouvoir en République islamique d’Iran vacille. Il lui faut assurer son pouvoir, en assurant un leadership militaire régional et cela passe par l’unité militaire et nationale pour contre-carrer les pressions populaires intérieures.

Il faut dire que depuis 2018, la tension est des plus fortes dans le détroit d’Ormuz, véritable poudrière en tant que carrefour stratégique pour le transit d’un cinquième du pétrole mondial.

Après la sortie unilatérale des États-Unis en 2018 de l’accord de Vienne signé en 2015 afin d’encadrer le programme nucléaire Iranien, de nouvelles sanctions économiques contre l’Iran ont mis en difficulté le pays.

À cela s’est ajoutée l’attaque de pétroliers par des mines flottantes au large de l’Iran le 13 juin 2019, suspectée par les États-Unis d’être commanditée par l’Iran. Les États-Unis avaient ainsi renforcé leur présence locale en débarquant mille nouveaux soldats.

Bref, avec cette opération de coopération navale en mer d’Oman, on assiste à la constitution d’un bloc militaire supervisé par la Chine opposé au bloc militaire de l’OTAN supervisé par les États-Unis.

Ce nouveau bloc militaire s’était déjà rendu visible avec l’opération Vostok en septembre 2018, un immense exercice entre Extrême-Orient russe rassemblant la Russie, la Chine et la Turquie. Ce furent plus de 30 000 soldats, un millier d’engins aériens, 36 000 véhicules terrestre, et 8 navires qui participèrent à cette manœuvre.

Ces deux blocs sont bien évidemment traversés par des contradictions, comme lorsque les États-Unis ne parviennent pas à convaincre le Japon ou l’Allemagne de constituer une coopération navale dans la zone du moyen-orient.

La guerre générale prend une tournure toujours plus réelle, toujours plus concrète, alimentée par des poudrières régionales et dont les contours relèvent de plus en plus d’un affrontement entre ces deux blocs.

Ce qui se joue, c’est la mécanique infernale des jeux d’alliance entre puissances sur fond d’aiguisement de la concurrence économique et de tensions sociales. Cette mécanique est terriblement connue comme celle ayant fait basculer le monde dans d’atroces guerres mondiales au siècle dernier.

Il est temps que la Gauche et l’ensemble des forces démocratiques se ressaisissent pour construire une mobilisation populaire contre cette nouvelle guerre qui vient.

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Politique

Andrea Kotarac de la France insoumise à un forum russe avec l’extrême-droite

Le conseiller régional Auvergne-Rhône-Alpes et membre de la France insoumise Andrea Kotarac était présent la semaine dernière à un forum international organisé par le pouvoir russe à Yalta. Il y a croisé Marion Maréchal et Thierry Mariani, ancien député de la Droite ayant rejoint Marine Le Pen pour les Européennes. La question de l’alliance avec la Russie est un sujet important pour ces personnes, dans une perspective nationaliste évidente.

Selon la démagogie classique de l’extrême-droite, largement partagée par Jean-Luc Mélenchon et la France insoumise, la France devrait se libérer d’une certaine emprise américaine. Selon eux, le pays ne serait pas suffisamment indépendant et l’alliance avec la Russie serait un moyen de se renforcer sur le plan international.

C’est un point de vue nationaliste, qui envisage le monde en termes de blocs et de concurrence entre ces blocs, avec l’idée d’y tirer son épingle du jeu. C’est exactement le genre de raisonnement qu’a eu la partie des élites britanniques favorable au Brexit.

La Gauche, historiquement, ne sait que trop bien à quel point de telles perspectives sont des poisons pour le peuple et ne mènent qu’à la guerre et au fascisme. Si la question du racisme est souvent considérée comme l’aspect principal de la lutte antifasciste en France, cela est une erreur, car le danger majeur est vraiment le nationalisme.

La présence d’Andrea Kotarac à ce forum du pouvoir russe est ainsi pleine de sens, comme le sont ses propos relayés dans Le Monde :

« Je ne suis pas d’accord avec Mariani et Maréchal sur de nombreux sujets. Mais sur la défense de la souveraineté nationale et sur la nécessité de s’allier à la Russie, je suis d’accord »

« Je suis venu pour dire qu’une partie de la gauche française ne considère pas la Russie en ennemi, bien au contraire. »

Selon ce même journal, le Lyonnais prétend « avoir l’oreille de Jean-Luc Mélenchon » sur les questions internationales. Ce n’est pas étonnant, car ses propos sont conformes à la perspective sociale-chauvine du chef « insoumis ». La prose nationaliste d’Andrea Kotarac n’est de toute manière pas nouvelle et n’a jamais été condamnée par son organisation.

Il y a pourtant de quoi sauter au plafond quand on lit, dans sa tribune publiée dans Marianne le 8 mars dernier, que :

« La patrie doit être au peuple ce que la religion est à Dieu. »

Il s’agissait pour lui de défendre les gilets jaunes qui montreraient « à l’oligarchie française et européenne, promotrice d’une société post-nationale, que le peuple et la nation ont encore un sens. »

Andrea Kotarac s’est donc rendu à un Forum intitulé « Monde, Russie, Crimée » aux côtés de nombreuses figures nationalistes du monde entier. Il a justifié sa présence au site Sputnik en expliquant que «la Russie n’est pas un ennemi» et qu’il souhaite que les relations françaises avec ce pays s’améliorent.

Sa perspective nationaliste est là encore assumée de manière franche, avec des propos nationalistes que ne renierait pas Marine le Pen :

« la France aujourd’hui, après le Brexit, c’est la seule nation qui dispose de l’arme nucléaire en Union européenne, c’est la seule nation qui dispose d’un siège au Conseil de sécurité de l’ONU et c’est un pays qui doit être en avant-garde pour maintenir des relations stables et un partenariat avec la Russie ».

Il s’agirait pour lui, toujours d’après Sputnik, de promouvoir une France «ni prorusse, ni proaméricaine, simplement indépendante et qui gère ses intérêts sur le continent européen en partenariat avec la Russie».

Cette prose nationaliste est un poison, d’autant plus quand elle est mélangée à des prétentions sociales, avec l’idée que les classes sociales devraient s’unir derrière le drapeau national. .

La Gauche doit ici faire front contre ce qui représente une horreur historique, qu’on a connue dans les années 1920-1940 et qui a mené l’humanité à une catastrophe gigantesque. Si la critique des idéologies individualistes post-industrielles est juste, elle ne doit pas s’appuyer sur le romantisme nationaliste, mais sur la perspective de la Gauche historique : le Socialisme.
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Culture

Many Nights – Motorama (2018)

Motorama est un groupe russe qui propose une une cold-wave puissante et envoûtante. Leur dernier album Many Nights continue d’explorer une approche très esthétique du post-punk anglais avec une touche post-soviétique tout à fait moderne et plaisante.

Tout le monde le dit tellement c’est flagrant : la voix du chanteur Vladislav Parshin rappelle celle de Ian Curtis de Joy Division. On n’est plus cependant à Manchester dans les années 1980 mais à Rostov-sur-le-Don au XXIe siècle, au carrefour entre l’Asie et l’Europe.

Le ton est plus mélancolique que torturé ; les thèmes abordent souvent la nature et pas seulement les tourments individuels. Ce sont les steppes orientales qui sont évoquées dans le magnifique Kissing the ground, les montagnes de l’Altaï dans Homeward ou bien une île de la mer de Bering dans le très immersif Bering island.

Le propos et l’approche sont malgré tout souvent pessimistes, comme dans He will disappear. La démarche du groupe apporte en tous cas une grande attention à l’authenticité plutôt qu’à une musique formatée et insipide :

« J’essaie d’enregistrer le tout dans un seul élan pour conserver l’ossature dans sa fragilité. A mon sens, parfois, voire souvent, les maquettes sont meilleures que les versions définitives. »

Cela se ressent en concert avec un set très long, des instruments basiques et une certaine froideur qui peut déconcerter, mais n’est pas surjouée. Des images sympathiques sont projetées en fond, en noir et blanc, avec de la nature sauvage et des petites scènes pop’ de la vie quotidienne russe d’avant ou d’alors.

Les clips du groupe sont également toujours très cinématographiques. La musique de film influence leur démarche, notamment avec le soviétique Edouard Artemiev qui a composé pour Tarkovski.

> Lire également : Le film “Stalker” d’Andrei Tarkovski (1979)

Loin de se limiter à cet horizon très riche, les influences de Motorama sont multiples et volontairement mondiales, avec cette recherche de l’universel qui caractérise les grands artistes.

Many Nights de Motorama est sortie le 21 septembre 2018 sur le label indépendant bordelais Talitres.

wearemotorama.com

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Culture

Le film « L’Enfance d’Ivan » d’Andrei Tarkovski (1962)

Après avoir intégré l’Institut fédéral d’État du cinéma (VGIK) en URSS en 1959, Andreï Tarkovski réalise plusieurs court-métrages, puis le moyen métrage Le rouleau compresseur et le violon, film pour enfant de fin d’étude.

Si ce dernier lui permet déjà de se faire remarquer dans les milieux cinéphiles c’est surtout avec son premier long métrage, L’Enfance d’Ivan, sorti en 1962, qu’il gagnera un statut de niveau international, remportant même le Lion d’or à la Mostra de Venise.

Dès cette oeuvre, Andreï Tarkovski s’impose comme l’un des plus grands cinéastes, voire le plus grand comme l’expliqua Ingmar Bergman.

On suit ainsi le jeune Ivan en pleine seconde guerre mondiale, qui a rejoint l’Armée Rouge en tant qu’éclaireur après l’assassinat de sa famille par les nazis.

Le film se veut cependant séparé de toute lecture héroïsante pour ainsi dire, afin de se tourner vers l’enfant lui-même.

Un enfant dont la fragilité a ainsi été volé par la guerre et la barbarie nazie. La guerre n’apparaît d’ailleurs que de manière assez abstraite dans le film. On ne voit presque aucun ennemi. En revanche elle ne lâche jamais Ivan, elle est marqué, gravé en lui, en son être.

La figure d’Ivan est donc très marquée, tout à la fois durcie et brisée ; il n’hésite pas à tenir tête aux adultes et aux gradés de l’armée, animé par un profond sentiment de vengeance.

Il veut absolument participer à l’effort de guerre et refuse catégoriquement d’entendre que celle-ci n’est “pas son affaire”.

Il est d’ailleurs intéressant de noter que le titre de la nouvelle de Bogomolov était simplement Ivan, c’est Andreï Tarkovski qui a ajouté “l’enfance”. Celle-ci se retrouve justement mise en scène non seulement dans les actions, mais également dans des séquences oniriques, pleine de poésie sur l’innocence et la joie, sauf que la guerre y agit comme un poison, les transformant en cauchemars.

Le film est, par cette raison même, un véritable chef d’œuvre sur le plan plastique, celui de la trame, du montage, de la précision du propos, de sa densité dans la mise en scène.

Le rapport à Ivan comme figure tourmentée est davantage problématique. Il y a un psychologisme indéniable qui est ici mis en avant, au grand plaisir de Jean-Paul Sartre qui, en octobre 1963, se fendit d’une longue lettre au quotidien italien L’Unità pour défendre L’enfance d’Ivan justement pour sa dimension pratiquement existentialiste, avec le refus d’une affirmation de l’héroïsme, des vertus de la mentalité communiste, etc.

Jean-Paul Sartre réduit ainsi l’intervention soviétique dans la seconde guerre mondiale à sa dimension simplement négative, passive, pleine de souffrance ; il explique ainsi qu’un enfant mis en pièce par ses parents, c’est une tragi-comédie bourgeoise, alors que des millions d’enfants détruits ou vivant par la guerre, ce serait l’une des tragédies soviétiques.

Cette réduction à une tragédie est une absurdité insultant profondément le dynamisme de la société soviétique et même assimilant les Russes à des êtres passivement tourmentés pour l’éternité.

C’est précisément, malheureusement, à un tel cliché qu’obéit Andreï Tarkovski lui-même avec ses incessantes références religieuses dans le film.

Il est ici dans l’ordre des choses que Jean-Paul Sartre puisse tenter de réduire le film à cette dimension, mentionnant comme prétendu exemple dans son article l’histoire d’un enfant juif mettant de l’essence sur son matelas pour se laisser brûler vif après avoir appris la mort de ses parents dans un camp d’extermination.

Et cette faiblesse psychologisante est typique des œuvres du « dégel » caractérisant l’accession de Nikita Khrouchtchev au poste de dirigeant du Parti Communiste d’Union Soviétique.

Andreï Tarkovski lui-même n’abandonnera pas cette tendance, qui est le grand travers de ses films.

L’enfance d’Ivan présente ainsi déjà les principales caractéristiques d’Andreï Tarkovski, alors qu’il n’a pas choisi d’adapter la nouvelle de Vladimir Bogomolov. Une première adaptation avait été commencée puis arrêtée par le studio faute de résultat satisfaisant. Il a alors été proposé à ce jeune réalisateur tout juste sorti de l’école de reprendre le projet avec le budget restant.

Celui-ci accepta aux conditions de tout reprendre de zéro, de créer sa propre équipe de tournage et de pouvoir intégrer des séquences de rêve d’Ivan. Il refusa même de regarder les rush du premier projet.

On y retrouve son sens de l’éclairage, ses plans très “photographiques”, la mélancolie, l’onirisme et l’aspect “vie intérieur” qui se dégage de ses films – on pourra, en quelque sorte, évidemment reconnaître là des traits typiquement russe, tant pour la forme que le contenu, l’esprit que l’âme.

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Guerre

Non à l’intervention militaire, aux bombardements en Syrie!

La guerre, la guerre et toujours la guerre ! A force de se tourner vers le protectionnisme et le nationalisme comme seules solutions « accessibles », les pays les plus développés assument la compétition « géopolitique », avec l’assentiment d’une partie significative de la population.

Ce que cela signifie, c’est simplement la guerre, il faut bien le dire. Et on est tellement dans un jeu malsain que c’est par un message Twitter que Donald Trump l’escalade, disant à la Russie de se tenir prête face à l’intervention américaine en Syrie.

« La Russie jure d’abattre n’importe quel missile tiré sur la Syrie. Que la Russie se tienne prête, car ils arrivent, beaux, nouveaux et “intelligents” ! Vous ne devriez pas vous associer à un Animal qui Tue avec du Gaz, qui tue son peuple et aime cela. »

Il n’a pas hésité à écrire, pour en rajouter :

« Notre relation avec la Russie est pire maintenant qu’elle ne l’a jamais été, et cela inclut la Guerre froide. »

C’est là préparer l’opinion publique à la guerre, avec des cibles désignées : la Syrie tout d’abord, mais également l’Iran, ainsi que la Russie elle-même.

La visite du prince héritier saoudien,  Son Altesse Royale le prince Mohammed ben Salman ben Abdulaziz al-Saoud, à Paris ces derniers jours – il a pu manger son repas avec Emmanuel Macron devant le tableau « La liberté guidant le peuple », quelle honte – participe à ce mécano militariste, puisque l’Arabie Saoudite prône la guerre contre l’Iran.

L’Arabie Saoudite a même reconnu que les Israéliens avaient droit à un territoire, rompant avec sa position officielle traditionnelle, montrant qu’on est désormais dans le dur, dans le concret, dans la « realpolitik ».

La Grande-Bretagne l’a bien compris et Theresa May a ordonné l’envoi de sous-marins à proximité de la Syrie, alors qu’un autre sous-marin fait des manœuvres avec deux navires américains dans la zone arctique, pour la première fois depuis dix ans.

Cela va cogner et il faut avoir suffisamment de réseaux, d’alliances, de participations ici et là pour tenir. Ne pas comprendre que cela va cogner ou pire le nier est une faillite intellectuelle et morale – la guerre est inévitable, à moins de changements de régimes dans les pays concernés.

C’est bien pour cela, justement, que l’Europe comme projet politique a eu tellement de succès chez les peuples. L’Europe permet, en théorie, de dépasser les nationalismes, les patriotismes étriqués, et il y a 25 ans tous les Français pensaient qu’il y aurait à moyen terme un passeport européen, et bientôt un gouvernement européen, des États-Unis d’Europe.

C’est pour cela que beaucoup de gens croient encore en l’Union Européenne comme moyen d’éviter les conflits, tout en espérant souvent, en même temps, de manière directement impérialiste, que cela soit un empire face aux États-Unis et à la Chine.

Naturellement, c’est au nom des droits de l’homme encore une fois que les missiles sont présentés comme essentiels. L’hypothèse d’une attaque chimique en Syrie à Douma du 7 avril sert ici de prétexte à une immense campagne en faveur de la guerre, tout comme la question kurde pour l’intervention française annoncée il y a quelques jours.

Il ne s’agit pas ici, naturellement, de dédouaner la Syrie, l’Iran et la Russie. Ces régimes sont odieux. Cependant, l’ennemi c’est toujours notre propre nationalisme, notre propre chauvinisme, notre propre impérialisme. Les prétextes pour refuser cela ont permis la guerre de 1914-1918, alors qu’une révolte dans un pays aurait produit des révoltes dans les autres.

Il ne faut jamais accepter les initiatives militaires, militaristes, de la part de son propre pays !

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Le film « Le miroir » d’Andrei Tarkovski (1979)

Regarder Le Miroir, film d’Andreï Tarkovski de 1975, est au sens strict une expérience impossible pour un spectateur français, qui se dira nécessairement qu’il aura moins de mal à saisir ce que disent des extra-terrestres qu’à comprendre quoi ce soit à ce film.

Il y a trois raisons amenant à cet état de fait. Tout d’abord, les personnages du film ne peuvent pas s’empêcher d’être eux-mêmes et cela est montré avec tellement de densité que cela en est perturbant pour des spectateurs français habitués au contrôle de soi ou au psycho-drame surjoué.

Ensuite, ces personnages ne pouvant pas s’empêcher d’être eux-mêmes sont russes, avec tout ce que cela signifie en termes d’expression de la mélancolie, de sens de l’interrogation sur l’existence, avec les inévitables longues citations de poésie et références à la littérature (Tchékhov, Dostoïevski).

Le troisième point est le plus délicat, faisant que ce film est, finalement, davantage un film pour les réalisateurs que pour le public. Il se retrouve d’ailleurs systématiquement au plus haut des grandes références chez les réalisateurs.

Cela se concrétise de la manière suivante : le film montre des tranches de vie d’un cinéaste qui va mourir, l’œuvre se voulant par ailleurs autobiographique.

Or, non seulement on découvre cela à la fin, mais qui plus est la même actrice joue la mère et la femme du cinéaste, alors que le même acteur joue le cinéaste et le père de celui-ci au moment de sa jeunesse. Pire encore, on passe de l’année 1975 à 1935, puis à 1975 avant d’aller en 1937, pour retourner en 1975, pour se retrouver en 1942, puis en 1975, en 1935, en 1942 et finalement en 1975.

On ne s’y retrouve pas et le titre a été choisi pour montrer comment la vie reflétait de multiples aspects vécus, un miroir étant d’ailleurs présent dans de nombreuses scènes.

On peut interpréter alors l’œuvre de deux manières. La première, la plus juste, est de rattacher Le miroir à la culture russe et d’y reconnaître un sens de l’interrogation sur le statut de sa propre personne dans l’ensemble.

C’est la fameuse quête typiquement russe d’un sens cosmique général à l’existence – qu’on trouve dans le matérialisme dialectique de Lénine et Staline comme dans les icônes de l’Église orthodoxe ou la mystique de l’Eurasie formulée par Alexandre Douguine.

Reste à savoir dans quel sens va cette interrogation : est-elle un fétiche de sa propre vie, une tentative de saisir la profondeur de sa vie, une réflexion sur l’existence à travers ou malgré la situation de l’Union Soviétique alors ?

Après tout, une importance essentielle est accordée à la maison dans la campagne, avec une identité russe particulièrement marquée.

Et surtout – c’est l’argument principal – le film n’est en tant que tel pas sur le cinéaste, mais sur deux femmes, voire sur la profondeur féminine, la densité de sa psychologie.

Il y a ici la même caractéristique que chez Ingmar Bergman et c’est l’argument décisif montrant bien qu’il s’agit ici d’intimisme et non pas de « psychologisme » partant dans tous les sens.

L’autre manière d’interpréter Le miroir est d’y voir un équivalent soviétique de la réflexion propre à la littérature « moderne », avec son existentialisme, sa quête des « flux de la conscience », sa déconstruction permanente des identités.

Le philosophe Gilles Deleuze, l’un des chefs de file philosophiques de cette vision du monde, est très lyrique au sujet du miroir :

« Le miroir constitue un cristal tournant à deux faces, si on le rapporte au personnage adulte invisible (sa mère, sa femme), à quatre faces aux deux couples visibles (sa mère et l’enfant qu’il a été, sa femme et l’enfant qu’il a).

Et le cristal tourne sur lui-même, comme une tête chercheuse qui interroge un milieu opaque : Qu’est-ce que la Russie, qu’est-ce que la Russie…?

Le germe semble se figer dans ces images trempées, lavées, lourdement translucides, avec ses faces tantôt bleuâtres et tantôt brunes, tandis que le milieu vert semble sous la pluie ne pas pouvoir dépasser l’état de cristal liquide qui garde son secret. »

Gilles Deleuze considère que la qualité photographique du film va dans le sens d’une lecture subjective du film, dans le cas contraire il faudrait considérer celle-ci comme allant dans le sens d’une quête du concret, du solide, au-delà des tourments existentiels.

On comprend la densité de ce film et, en un certain aussi, son ambiguïté.

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Le film « Stalker » d’Andrei Tarkovski (1979)

Stalker est, dans l’histoire du cinéma, considéré comme l’un des plus grands chefs d’œuvre du 20e siècle.

Son grand paradoxe est de présenter une action extrêmement lente combinée à une capacité de capter l’attention avec un magnétisme d’une très grande puissance, avec une vigueur graphique de la plus haute qualité, et servi par la musique profonde d’Edouard Artemiev.

Il y a de quoi désarçonner par cette esthétique résolument étrangère, très oppressante. C’est d’autant plus dépaysant, si l’on peut dire, que la base même de cette capacité à saisir l’intégralité de l’esprit des spectateurs repose sur la perspective « cosmique » propre à la culture slave, plus particulièrement la culture nationale russe.

L’environnement ne peut être compris que comme totalité, comme cosmos ; c’est la raison pour laquelle la Russie a produit au même moment, outre Lénine (1870-1924), le théoricien du voyage spatial Constantin Tsiolkovski (1857-1935) et le théoricien de la planète comme Biosphère Vladimir Vernadsky (1863-1945).

On est dans une sorte de spinozisme modernisé et Stalker est une sorte d’avatar extrêmement captivant et dérangeant en même temps.

Le scénario, on s’en doute, est particulièrement tortueux, afin de justifier la progression du film et d’acteurs particulièrement déroutants.

Dans Stalker, réalisé en 1979 en URSS, Andrei Tarkovski reprend la trame du roman Pique-nique au bord du chemin, de Boris et Arkadi Strougatsky, tout en effaçant cependant l’aspect science-fiction.

Ainsi, au lieu d’avoir une « zone » marquée par des phénomènes étranges en raison des restes d’une pause faite sur terre par des extra-terrestres lors de leur voyage, on a une allégorie de l’univers comme ayant une dimension complexe, où tout est relié.

Stalker se situe ainsi dans le prolongement direct des questionnements cosmiques propres à l’URSS des années 1930-1950, dans la perspective ouverte en Russie à la fin du 19e siècle.

Mais, en même temps, il rompt avec cela dans une partie significative ; de par les conditions propres à l’URSS alors, le film bascule dans un existentialisme pessimiste absolument typique de l’esprit du « dégel » ayant suivi la mort de Staline.

La tendance à la réflexion métaphysique devient alors le grand leitmotiv du film, la véritable obsession des personnages.

Le film, aux images d’un niveau éblouissant sur le plan photographique, se focalise donc sur les affres intellectuelles et spirituelles d’un écrivain et d’un professeur guidés dans la « zone » par un Stalker, c’est-à-dire un passeur, être ultra-sensible rompant avec les valeurs dominantes d’un monde indifférent et cynique.

C’est également car il possède une charge critique virulente : la critique de la situation soviétique d’alors est patente et juste, exposée d’ailleurs par une alternance entre le noir et blanc (le monde hors de la zone) et la couleur (celle de la zone, qui est la nature elle-même, en opposition au monde abîmé).

La pollution, la militarisation de la police, l’oppression du secteur militaro-industriel en général, notamment avec le nucléaire, sont dénoncés de manière indirecte mais flagrante.

L’URSS des années 1970 est présentée comme une sorte d’État policier et d’organisation spatiale particulièrement sordide, entre béton, chaos et profonde laideur.

Le film culmine de ce fait dans un appel romantique, reprenant un poème du très important poète russe Fiodor Tiouttchev (1803-1873) : « J’aime tes yeux mon ami. J’aime les flammes qui y jouent quand tu les lèves soudain et que, telle la foudre, tu embrasses tout de ton regard. Mais plus puissant encore est leur charme quand, baissés comme pour se prosterner, au moment de l’étreinte passionnée, au travers des cils, j’entrevois le feu sombre et terne du désir ».

Cela en fait un film difficile d’accès, si l’on cherche une vue d’ensemble. Si l’on omet de comprendre le caractère fondamentalement russe de Stalker, on sombre dans une interprétation unilatéralement mystico-philosophique d’un film, dont le filigrane est en réalité le panthéisme cosmique dans son approche slave.

Derrière les références à Lao Tseu et au Christ, aux considérations métaphysiques, se retrouve la question de saisir un monde unifié, naturel et tourné vers la bonté. En ce sens, c’est un film particulièrement sombre, mais plein d’espoir.