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Société

Le “football moderne” ne sanctionne pas Sergio Ramos pour son agression sur Mohamed Salah

Le football est un sport extrêmement populaire. Cela signifie qu’il est considéré de manière très sérieuse par une grande partie de la population, particulièrement chez les hommes d’origine ouvrière.

C’est ainsi que la blessure de Mohamed Salah, attaquant égyptien du Liverpool FC, provoquée par le capitaine du Real de Madrid, Sergio Ramos en finale de la Ligue des Champions de l’UEFA 2018, a suscité beaucoup d’indignation.

Lors d’un contact physique pendant une phase de jeu, le défenseur espagnol a en effet volontairement accroché le bras du numéro 11 de Liverpool pour le faire tomber de manière violente. Une pétition qui recueille à l’heure actuelle plus de 500 000 signatures réclame que l’UEFA s’appuie sur l’enregistrement vidéo pour le sanctionner a posteri.

Au vue des images, l’intention de faire mal est évidente.

Cela a d’ailleurs été souligné par un “tweet” de la fédération européenne de judo qui explique que cette technique est tellement dangereuse qu’elle est interdite dans leur sport !

Cela n’a pas manqué, Mohamed Salah a dû quitter le terrain quelques minutes après pour se rendre en urgence à l’hôpital. Il manquera très probablement le premier match de la Coupe du Monde avec la sélection égyptienne, dont il est la figure de proue.

Quand bien même le football n’est qu’un jeu, il représente quelque chose d’immense sur le plan culturel. Doit-il alors véhiculer des valeurs positives et morales, à travers le respect du jeu et de l’engagement ? Ou bien n’est-il, finalement, qu’un divertissement reflétant la société capitaliste, c’est-à-dire la concurrence exacerbée, la promotion du cynisme le plus vil pour arriver à ses fins ?

Manifestement, le football à notre époque correspond bien plus à la seconde description qu’à la première. C’est ce qui est désigné de manière critique comme étant le “football moderne”, ou le “football business”.

La faute de Sergio Ramos contre Mohamed Salah donne lieu à une confrontation typique entre les partisans du football tel qu’il existe actuellement, et ceux qui critiquent le “football moderne”.

Christophe Dugarry a défendu de manière on ne peut plus claire ce “football moderne” dans l’une des émissions de football les plus suivie en France :

“C’est un génie absolu, Ramos ! C’est le défenseur qui te fait gagner des titres, qui te fait gagner les compétitions. Ok, il est malin, il est vicieux. Mais tu ne dois avoir aucune retenue sur l’engagement ! »

Dans un autre genre se voulant plus intellectuel, mais tout aussi cynique et bourgeois, il y a eu un article du journal “Le Monde” qui affirme que Sergio Ramos est indispensable au football, expliquant que :

“il réalise une redoutable synthèse de vice et de brutalité”.

Au contraire, il y a eu toute une vague de colère face à ce geste, réclamant des sanctions. Cela d’autant plus que Sergio Ramos est connu pour avoir souvent une telle attitude immorale.

Rien que durant ce match, il a simulé une faute de manière odieuse face à Sadio Mané (ce qui a donné lieu à un carton jaune à son adversaire innocent) et a donné discrètement un coup de coude au gardien de but adverse Loris Karius (ce qui a probablement contribué à le déstabiliser puisqu’il commet juste après une bourde monumentale lui coûtant un but).

Le sentiment pour beaucoup d’amateurs de football est que la victoire du Real de Madrid est entachée par ces faits ayant empêché le Liverpool FC de s’exprimer réellement sur le plan sportif.

Cela n’est pas nécessairement vrai, ou du moins cela ne l’est qu’en partie puisqu’il faut considérer aussi que l’équipe anglaise ne peut pas ignorer la réalité du football à notre époque. Elle a donc failli par manque d’expérience, ce qui d’ailleurs se reflètent dans son jeu puisque Liverpool a littéralement foncé tête baissé dès le début du match, se jetant corps et âme dans la partie, “au talent”, en relativisant des considérations tactiques plus élaborées.

Toujours est-il que l’attitude de Sergio Ramos est injustifiable et qu’il devrait être sanctionné pour cela. La pétition réclamant une sanction par l’UEFA représente une exigence morale indéniable, une volonté de justice populaire positive.

Ajoutons également que la popularité de Mohamed Salah a largement contribué à déchaîner les passions. Ce joueurs s’est révélé durant cette saison, remportant les titres de meilleur buteur et de meilleur joueur de Premier League, le championnat anglais. Il est cependant une figure nationale en Égypte et dans le monde arabe depuis déjà quelques années. Il était déjà un joueur réputé lorsqu’il évoluait au FC Bâle puis à l’AS Roma, en passant par Chelsea FC et l’AC Fiorentina.

Le chef de l’Etat égyptien Abdel Fattah al-Sissi l’a qualifié de “symbole de l’Égypte ». Le mot clef “Ramos le chien” ( راموس_الكلب# ) – une insulte absurde pour les chiens – s’est répandue de manière virale sur Twitter, avec de multiples réactions sur différents médias.

Mohamed Salah représente en effet une certaine fierté dans le monde arabe. C’est un symbole de réussite, mais aussi une figure morale (largement liée à l’Islam) différente des autres stars du “football moderne”. L’Égyptien ne fait jamais parler de lui dans la presse, son attitude est toujours pudique et respectueuse, voire affectueuse notamment avec les jeunes. Il finance de nombreux projets dans son village natale, n’expose pas outrageusement ses richesses, signe toujours avec plaisir les autographes, accepte les selfies, ne célèbre pas ses buts contre ses anciennes équipes, etc.

Il est également très apprécié par la base des supporters de Liverpool, dont la ferveur populaire, voire ouvertement ouvrière, est connu mondialement. “The Egyptian King” dispose déjà de plusieurs chants, dont un qui dit, de manière affectueuse et subtile au vue de la situation politique anglaise :

Mohamed Sa-la-la-la-lah, Mohamed Sa-la-la-la-lah,
s’il est assez bon pour toi, il est assez bon pour moi,
s’il en marque quelques autres, alors je serai musulman aussi.

s’il est assez bon pour toi, il est assez bon pour moi,
Assis dans une mosquée, voilà où je veux être !

Voici la traduction du texte de la pétition appelant à sanctionner Sergio Ramos :

L’UEFA et la FIFA devraient punir Sergio Ramos pour avoir blessé intentionnellement Mohamed Salah

Sergio Ramos a intentionnellement gardé le bras de Mohamed Salah sous son aisselle, provoquant une luxation de son épaule. Non seulement il a manqué le reste du match, mais il manquera aussi la Coupe du Monde de la FIFA 2018.

En outre, il a continué à agir de manière à ce que les joueurs de Liverpool commettent des fautes, ce qui a amené l’arbitre à donner à Mané un carton jaune qu’il ne méritait pas.

Sergio Ramos représente un exemple terrible pour les futures générations de footballeurs. Au lieu de gagner des matchs équitablement, il utilise des tours qui défient l’esprit du jeu et le fair-play.

L’UEFA et la FIFA devraient prendre des mesures contre Ramos et des joueurs similaires, en utilisant les enregistrements vidéo des matches pour garder l’esprit du match.

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Politique

Le retour de de Gaulle le 30 mai 1968

La dernière semaine de mai 1968 est marquée par le retour en force du régime. En une semaine, tout est retourné, au point que même si les accords de Grenelle ne sont pas signés en raison de la protestation d’une part significative de la base populaire, les CRS et la police peuvent reprendre le contrôle de l’ensemble.

Voici comment cela s’est déroulé. Le 24 mai, de Gaulle annonçait, sans aucun impact, un référendum sur la participation. Il essayait en effet de s’en sortir de manière technocratique, cherchant en quelque sorte à profiter de l’impulsion de mai 1968 pour moderniser le régime né du coup d’Etat de 1958.

Il n’avait pas saisi à quel point tout avait vacillé.

En voici le texte.

Tout le monde comprend, évidemment, quelle est la portée des actuels évènements, universitaires, puis sociaux. On y voit tous les signes qui démontrent la nécessité d’une mutation de notre société. Mutation qui doit comporter la participation plus effective de chacun à la marche et au résultat de l’activité qui le concerne directement.

Certes, dans la situation bouleversée d’aujourd’hui, le premier devoir de l’Etat, c’est d’assurer en dépit de tout, la vie élémentaire du pays, ainsi que l’ordre public. Il le fait. C’est aussi d’aider à la remise en marche, en prenant les contacts qui pourraient la faciliter.

Il y est prêt. Voilà pour l’immédiat. Mais ensuite, il y a sans nul doute des structures à modifier. Autrement dit : il y a à réformer.

Car dans l’immense transformation politique, économique, sociale, que la France accomplit en notre temps, si beaucoup d’obstacles, intérieur et extérieur, ont déjà été franchis, d’autres s’opposent encore au progrès. De là, les troubles profonds. Avant tout dans la jeunesse qui est soucieuse de son propre rôle, et que l’avenir inquiète trop souvent.

C’est pourquoi, la crise de l’université, crise provoquée par l’impuissance de ce grand corps, à s’adapter aux nécessités modernes de la Nation, ainsi qu’au rôle et à l’emploi des jeunes, a déclenché dans beaucoup d’autres milieux, une marée de désordre, d’abandon ou d’arrêt du travail. Il en résulte que notre pays est au bord de la paralysie.

Devant nous-mêmes, et devant le monde, nous, Français, devons régler un problème essentiel que nous pose notre époque. A moins que nous nous roulions à travers la guerre civile, aux aventures et aux usurpations les plus odieuses et les plus ruineuses.

Depuis bientôt 30 ans, les évènements m’ont imposé en plusieurs graves occasions, le devoir d’amener notre pays à assumer son propre destin, afin d’empêcher que certains ne s’en chargent malgré lui. J’y suis prêt, cette fois encore. Mais cette fois encore, cette fois surtout, j’ai besoin.

Oui, j’ai besoin que le peuple français dise qu’il le veut. Or, notre Constitution prévoit justement par quelle voie il peut le faire. C’est la voie la plus directe et la plus démocratique possible, celle du référendum.

Compte tenue de la situation tout à fait exceptionnelle où nous sommes, et sur la proposition du gouvernement, j’ai décidé de soumettre au suffrage de la Nation, un projet de loi, par lequel je lui demande de donner à l’Etat, et d’abord à son chef, un mandat pour la rénovation. Reconstruire l’université, en fonction, non pas de ses habitudes séculaires, mais des besoins réels de l’évolution du pays, et des débouchés effectifs de la jeunesse étudiante dans la société moderne.

Adapter notre économie, non pas aux catégories diverses, des intérêts, des intérêts particuliers, mais aux nécessités nationales et internationales, en améliorant les conditions de vie et de travail du personnel, des services publics et des entreprises, en organisant sa participation aux responsabilités professionnelles, en étendant la formation des jeunes, en assurant leur emploi, en mettant en oeuvre les activités industrielles et agricoles dans le cadre de nos régions. Tel est le but que la Nation doit se fixer elle-même.

Françaises, français, au mois de juin, vous vous prononcerez par un vote. Au cas où votre réponse serait non, il va de soi que je n’assumerai pas plus longtemps ma fonction. Si par un oui massif, vous m’exprimez votre confiance, j’entreprendrais avec les pouvoirs publics, et je l’espère, le concours de tous ceux qui veulent servir l’intérêt commun, de faire changer partout où il le faut, les structures étroites et périmées, et ouvrir plus largement la route au sang nouveau de la France. Vive la République, vive la France !

Comprenant la gravité de la situation pour le régime, Charles de Gaulle laissa Georges Pompidou organiser les accords de Grenelle. Puis le 29 mai, il ajourne le conseil des ministres pour aller voir le général Massu à à Baden-Baden en Allemagne, où il y avait une base militaire française.

Assuré du soutien de l’armée, il revient dans la journée et tient alors une allocution à la radio, dont voici le texte. De Gaulle tint le discours à 16h30, pour appuyer le rassemblement de la droite organisé pour 18h à Paris, qui va rassembler entre 300 000 et un million de personnes, selon les sources.

Il annonce la dissolution de l’Assemblée nationale, et de nouvelles élections.

« Françaises, Français, Étant le détenteur de la légitimité nationale et républicaine, j’ai envisagé, depuis vingt-quatre heures, toutes les éventualités, sans exception, qui me permettraient de la maintenir. J’ai pris mes résolutions.

Dans les circonstances présentes, je ne me retirerai pas. J’ai un mandat du peuple, je le remplirai.

Je ne changerai pas le Premier ministre dont la valeur, la solidité, la capacité, méritent l’hommage de tous. Il me proposera les changements qui lui paraîtront utiles dans la composition du Gouvernement.

Je dissous aujourd’hui l’Assemblée nationale.

J’ai proposé au pays un référendum qui donnait aux citoyens l’occasion de prescrire une réforme profonde de notre économie et de notre Université et, en même temps, de dire s’ils me gardaient leur confiance, ou non, par la seule voie acceptable, celle de la démocratie. Je constate que la situation actuelle empêche matériellement qu’il y soit procédé.

C’est pourquoi j’en diffère la date.

Quant aux élections législatives, elles auront lieu dans les délais prévus par la Constitution, à moins qu’on entende bâillonner le peuple français tout entier en l’empêchant de s’exprimer, en même temps qu’on l’empêche de vivre, par les mêmes moyens qu’on empêche les étudiants d’étudier, les enseignants d’enseigner, les travailleurs de travailler.

Ces moyens, ce sont l’intimidation, l’intoxication et la tyrannie exercées par des groupes de longue main en conséquence, et par un parti qui est une entreprise totalitaire, même s’il a déjà des rivaux à cet égard.

Si donc cette situation de force se maintient, je devrai pour maintenir la République, prendre, conformément à la Constitution, d’autres voies que le scrutin immédiat du peuple. En tout cas, partout et tout de suite, il faut que s’organise l’action civique.

Cela doit se faire pour aider le Gouvernement d’abord puis, localement, les préfets devenus ou redevenus Commissaires de la République, dans leur tâche qui consiste à assurer autant que possible l’existence de la population et à empêcher la subversion à tout moment et en tous lieux.

La France, en effet, est menacée de dictature.

On veut la contraindre à se résigner à un pouvoir qui s’imposerait dans le désespoir national, lequel pouvoir serait évidemment et essentiellement celui du vainqueur, c’est-à-dire celui du communisme totalitaire.

Naturellement, on le colorerait, pour commencer, d’une apparence trompeuse en utilisant l’ambition et la haine de politiciens au rancart. Après quoi, ces personnages ne pèseraient plus que leur poids qui ne serait pas lourd.

Eh bien ! Non ! La République n’abdiquera pas. Le peuple se ressaisira. Le progrès, l’indépendance et la paix l’emporteront avec la liberté. Vive la République ! Vive la France ! »

Aux  élections législatives françaises de 1968, les 23 et 30 juin 1968, c’est le raz-de-marée de la droite.

Le régime avait triomphé en s’appuyant sur la France profonde et en intégrant les syndicats. Mai 1968 avait échoué.

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Politique

Retour critique sur la «marée humaine» du 26 mai 2018

La France connaît une vague de populisme sans précédent, un populisme qui est en train de balayer la Gauche dans toutes ses valeurs historiques, si ce n’est déjà fait.

C’est l’alliance de l’esprit individualiste et du corporatisme, avec un sens aigu de la paranoïa, un goût assumé pour les simplifications et les explications délirantes.

A chaque fois qu’on lit les discours anarchistes ou de la France Insoumise, on croit que la France est à deux doigts de l’insurrection, que la police matraque, torture et tue, que l’apartheid aurait été instauré, qu’il n’y aurait plus de droits sociaux.

La photographie suivante du 26 mai 2018, où Emmanuel Macron est présenté comme un SS, avec les « S » utilisant le logo du dollar, témoigne tout à fait de cela ; c’est le prolongement populiste de la pendaison de l’effigie d’Emmanuel Macron, de la mise au feu de sa marionnette, lors de précédentes manifestations.

Ce relativisme des crimes nazis est inacceptable ; il reflète bien d’une hystérie de gens des couches sociales intermédiaires utilisant un discours outrancier pour prétendre être les victimes absolues et les vrais protagonistes de l’Histoire.

On remarquera aussi ce qui semble bien être le drapeau israélien sur le bras droit, une allusion désormais classique dans la mouvance d’ultra-gauche et de la France Insoumise, avec cet antisémitisme classique comme socialisme des imbéciles.

C’est là en rupture avec toutes les valeurs historiques de la Gauche, et on ne s’étonnera donc pas que Jean-Luc Mélenchon, dans une interview accordée à Libération, récuse le terme de gauche.

– Pourquoi ne voulez-vous plus revendiquer le mot «gauche» ?

Il a été tellement faussé par la période Hollande…

– L’enjeu n’est-il pas alors de le réinvestir ?

Il est réinvesti par les contenus que nous mettons sur la table : planification écologique, Constituante, partage des richesses. Les idées sont des matières vivantes, elles deviennent des forces matérielles si les gens s’en emparent. Tant que le mot «gauche» signifiera «la bande à Hollande», il repoussera plus qu’il n’agrégera.

– Le mot «gauche» ne se réduit pas à Hollande ! Pour beaucoup de gens, la gauche, ça veut encore dire quelque chose…

Je suis un homme issu de la gauche. Tout notre groupe parlementaire de même. Parmi les responsables politiques, je suis sûrement celui qui a le plus écrit sur l’idée de gauche et qui l’a le plus nourrie. Je n’ai jamais dit que ça ne voulait plus rien dire !

Mais dans le combat que nous menons, il faut laisser de côté la fausse monnaie. La gauche, ça n’a jamais été la politique de l’offre ou la soumission aux traités libéraux de l’Union européenne. L’enjeu majeur de 1789 à aujourd’hui, c’est la souveraineté politique du peuple. Le mot «gauche» est né de cela ! Notre stratégie révolutionnaire, c’est la révolution citoyenne par la Constituante.

La Gauche, c’est le mouvement ouvrier, et certainement pas François Hollande… On ne raye pas plus de cent ans d’histoire, d’expériences, de lerçons comme cela! Jean-Luc Mélenchon est un démolisseur, un liquidateur, un fossoyeur.

Et il est terrible qu’il y a une capitulation face à lui, comme en témoigne la très longue liste des soutiens à son initiative de prétendue marée humaine :

Alternative et autogestion – Alternative libertaire – EPEIS -ATTAC – Climat social – Collectif des Associations Citoyennes – Collectif National pour les Droits des Femmes – Collectif La Fête à Macron – CGT – Coordination nationale de défense des hôpitaux et maternités de proximité – Convergence nationale de défense des services publics – DIDF – DIEM25 – Droit au Logement – Ecologie sociale – EELV – Les effronté.es – Ensemble – Femmes Egalité – Fondation Copernic – France Insoumise – Gauche Démocratique et Sociale – MJCF – Mouvement Ecolo – Mouvement National des Chômeurs et Précaires – Nouvelle Donne – NPA – PCF – PG – Parti Ouvrier Indépendant Démocratique – PCOF – PCRF – République et Socialisme – Résistance Sociale – Snesup-FSU – Solidaires  – Syndicat des Avocats de France  – Syndicat de la Magistrature – UEC – UNEF – Union Nationale Lycéenne (ont également appelé la FCPE et la FSU)

Mais de cela, tout le monde se fout, à part les gens liés aux syndicats et à leur corporatisme, ou bien à une sorte de romantisme anarchiste totalement hors sol. Le résultat est ainsi très clair pour la pseudo marée humaine.

La police a compté 21 000 personnes à Paris, le cabinet Occurrence travaillant pour des médias institutionnels en a dénombré 31 700, la CGT 80 000.

A l’échelle du pays, la CGT a revendiqué 250 000 personnes, le ministère de l’intérieur en a compté 93 315 (on remarquera le souci de précision).

En clair, la population française a totalement boudé cette pseudo révolte, ayant très bien compris de quoi il en retournait. Malgré le printemps et la grève des cheminots, la sauce ne prend pas, car personne n’est dupe : c’est le populisme et le corporatisme qui sont à l’oeuvre.

Ainsi que, ne l’oublions pas, le néo-libéralisme culturel, que cette photo de la sénatrice Esther Benbassa résume parfaitement. La nouvelle pseudo gauche prend entièrement l’ancienne Gauche à contre-pied sur le plan des valeurs culturelles.

C’est à cause de cela que de jeunes ouvriers vont chez les nazis, s’imaginant que la Gauche ce serait juste un néo-libéralisme où chacun peut faire ce qu’il veut, sans responsabilités ni devoirs, sans morale ni valeurs.

Une autre photographie est également emblématique : celle où un manifestant tient une pancarte où il est écrit qu’un poulet serait mieux grillé. C’est bien entendu une allusion aux policiers, avec un goût sinistrement morbide.

Cet anarchisme de pacotille – très ironique quand on voit la drapeau d’air France, depuis quand un travailleur assume le drapeau de son entreprise ? – prêterait au mieux à sourire (cela ne sera pas notre cas) si désormais la condition animale n’était connue de tous.

Culturellement, là aussi on voit bien la faillite morale et intellectuelle, au profit de la posture.

Ce populisme, cette négation du contenu, est intolérable et montre bien la nécessité d’en revenir aux fondamentaux du mouvement ouvrier.

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Mai 1968 : de la grève générale aux accords de Grenelle par les syndicats

Le même jour que le meeting de Charléty, le régime sauvait sa tête au moyen des accords de Grenelle. Face à l’agitation « gauchiste » et à la seconde gauche, tant le PCF que le gouvernement et le patronat se retrouvaient être des alliés objectifs.

C’est que depuis le 13 mai, il y a une grève générale, qui finit par toucher huit millions de personnes, soit la moitié des salariés. On est à un point où tout peut changer : les mentalités, les conceptions politiques, les pratiques, les valeurs culturelles.

Le patronat préférait la stabilité, le gouvernement ne pas se faire déborder, le PCF conservait sa position relativement forte, satisfaisant tout à fait l’URSS : l’idée de changement, de socialisme, de révolution, etc. avait disparu.

C’est pourquoi la CGT mit tout son poids pour trouver un accord. Le 25 mai, le premier ministre Georges Pompidou organise une première discussion entre gouvernement, patronat et syndicats.

Les 25 heures de discussion aboutissent le 27 mai aux accords dits de Grenelle, car signés rue de Grenelle au ministère des affaires sociales. Ils ne seront pas signés, ce qui n’empêchera pas le régime de revenir en force quelques jours après.

La contestation de mai 1968 allait bien plus loin, en effet, que la question sociale ou économique. Mais il s’agissait pour le PCF, avec la CGT, d’empêcher une nouvelle situation à tout prix. Le régime intégrait donc ouvertement la CGT, en échange cette dernière venait s’intégrer au dispositif de la cinquième république.

En stoppant toute participation à la contestation par ailleurs rejetée au départ, la CGT permettait au régime de se réaffirmer trois jours après. En fait, la CGT s’est faite entièrement acheté fin mai 1968.

Le point central du dispositif fut la mise en place d’une section syndicale d’entreprise et du délégué syndical dans les entreprises de 50 salariés et plus. C’était là un cadeau en or pour la CGT.

Et ce cadeau fut donné par la droite gaulliste qui triompha entièrement lors des élections de juin 1968, au moyen de la loi du 27 décembre 68.

C’est un compromis historique, en quelque sorte.

Cela avait évidemment un coût pour satisfaire la base : les accords de Grenelle accordent 35 % d’augmentation au salaire minimum, 10 % d’augmentation des salaires, le temps de travail devant passer à 40 heures (et 48 au maximum au lieu de 50 heures).

Mais ce qui comptait surtout, c’était la mobilisation des syndicats de manière franche dans un sens institutionnel. Et cela marcha, puisque les syndicats participèrent entièrement aux différents projets étatiques, de manière décisive, pour cinquante ans.

Voici le document des accords de Grenelle.

Le « Constat » ou les « Accords » de Grenelle Projet de protocole d’accord

Des réunions tenues les 25,26 et 27 mai au Ministère des Affaires sociales sous la présidence du Premier Ministre (Ce texte ne sera pas signé)

Les organisations professionnelles et syndicales, Confédération Générale du Travail, confédération Générale du Travail Force Ouvrière, Confédération Française Démocratique du Travail, Confédération Française des Travailleurs Chrétiens, Confédération Générale des Cadres, Fédération de l’Education Nationale, Confédération Nationale des Petites et Moyennes Entreprises, Conseil Nationale du Patronat Français se sont réunies sous la présidence du Premier Ministre, en présence du ministre des Affaires sociales et du secrétaire d’Etat aux Affaires sociales chargé des problèmes de l’emploi les 25, 26 et 27 mai 1968.

1. Taux horaires du SMIG Le taux horaires du SMIG sera porté à 3 francs au 1er juin 1968.

Le salaire minimum garanti applicable à l’agriculture ne sera fixé qu’après consultation des organisations professionnelles et syndicales d’exploitants et de salariés agricoles et des confédérations syndicales nationales.

Il a été précisé que la majoration du salaire minimum garanti n’entraînerait aucun effet automatique sur les dispositions réglementaires ou contractuelles qui s’y réfèrent actuellement. Le problème posé par ces répercussions fera l’objet d’un examen ultérieur.

La question des abattements opérés en raison de l’âge et applicables aux jeunes travailleurs fera l’objet de discussions conventionnelles.

Le Gouvernement a, par ailleurs, fait connaître son intention de supprimer complètement les zones d’abattement applicables au SMIG.

2. Evolution des rémunérations des secteurs publics et nationalisés Les discussions relatives aux salaires des entreprises nationalisées se sont ouvertes dans l’après-midi du 26 mai, secteur par secteur, et sous la présidence des ministres de tutelle compétents ; la modification des procédures de discussion sera examinée ultérieurement.

En ce qui concerne les traitements des fonctionnaires, une réunion a été organisée le 26 mai après-midi à la Direction de la Fonction Publique pour préparer celle à laquelle participeront le 28 mai à 15 heures, sous la présidence du Premier ministre, les organisations syndicales intéressées.

3. Salaire du secteur privé Les salaires réels seront augmentés au 1er juin 1968 de 7%, ce pourcentage comprenant les hausses déjà intervenues depuis le 1er janvier 1968 inclusivement. Cette augmentation sera portée de 7 à 10% à compter du 1er octobre 1968.

4. Réduction de la durée du travail Le CNPF et les confédérations syndicales ont décidé de conclure un accord-cadre dont le but est de mettre en œuvre une politique de réduction progressive de la durée hebdomadaire du travail en vue d’aboutir à la semaine des 40 heures. Elles considèrent également comme souhaitable que la durée maximum légale soit progressivement abaissée.

Cette réduction progressive sera déterminée dans chaque branche d’industrie par voie d’accord national contractuel définissant les modalités et les taux de réduction d’horaires et de compensations de ressources.

En tout état de cause, et comme mesure d’ordre général, une réduction de 2 heures des horaires hebdomadaires supérieures à 48 heures et une réduction d’une heure des horaires hebdomadaires compris entre 45 et 48 heures interviendra avant le terme du Vème Plan. Une première mesure dans ce sens prendra effet en 1968.

Le principe de mesures appropriées à la situation particulière des cadres est également retenu.

Dans le secteur nationalisé le principe d’une réduction progressive de la durée du travail est admis par le Premier ministre, les discussions devant être menées au sein de chaque entreprise pour en déterminer le montant et les modalités, celles-ci pouvant prendre d’autres formes que la réduction de la durée hebdomadaire du travail.

En ce qui concerne la Fonction publique, les discussions qui auront lieu le mardi 28 mai sous la présidence du Premier ministre, comporteront l’examen du problème, compte tenu des caractères particuliers des différents services.

Le problème d’un assouplissement de l’âge de la retraite, en particulier dans la cas de privation d’emploi et d’inaptitude au travail, a été posé par plusieurs syndicats. Le CNPF a accepté l’examen de la question ainsi posée.

5. Révision des conventions collectives

1° Les représentants des employeurs se sont engagés à réunir dès la fin de la présente négociation les commissions paritaires pour :

– la mise à jour des conventions collectives en fonction des résultats de la présente négociation ;

– la révision des barèmes de salaire minima afin de les rapprocher des salaires réels ;

– la réduction de la part des primes dans les rémunérations par leur intégration dans les salaires ;

– l’étude de la suppression des discriminations d’âge et de sexe ;

– la révision des classifications professionnelles et leur simplification.

2° Les organisations de salariés et d’employeurs se réuniront à bref délai pour déterminer les structures des branches et des secteurs en vue d’assurer l’application de l’accord-cadre sur la durée du travail.

3° Le Gouvernement s’engage à réunir aussitôt après la fin de la présente négociation la commission supérieure des Conventions collectives en vue d’examiner les conditions d’application de l’ordonnance du 27 septembre 1967 concernant le champ d’extension géographique des conventions collectives et de procéder à une étude approfondie du champ d’application des conventions collectives.

6. Emploi et formation Le CNPF et les confédérations syndicales ont décidé de se réunir avant le 1er octobre en vue de rechercher un accord en matière de sécurité de l’emploi et portant notamment sur :

– les mesures de nature à assurer les reclassements nécessaires en particulier en cas de fusion et de concentration d’entreprises ;

– l’institution de commissions paritaires de l’emploi par branches professionnelles et les missions qu’il convient de donner à ces commissions devant fonctionner en principe au niveau national et le cas échéant aux niveaux territoriaux. Ils ont convenu également d’étudier les moyens permettant d’assurer, avec le concours de l’Etat, la formation et le perfectionnement professionnels.

En ce qui concerne les cadres il a été convenu que la recherche d’un accord particulier sera menée par le CNPF et les organisations syndicales.

Le Secrétaire d’Etat à l’Emploi suivra les travaux des réunions prévues et mettra à la disposition des participants l’ensemble des documents nécessaires. Par ailleurs, le Premier ministre s’engage :

– à développer les crédits affectés aux services de l’emploi ;

– à mettre en place de manière prioritaire les moyens d’un développement d’une formation adaptée des jeunes.

7. Droit syndical Le document annexé ci-après, relatif à l’exercice du droit syndical dans les entreprises, sera examiné au cours de réunions avec les organisations professionnelles et syndicales, en présence du ministre des Affaires sociales, en vue d’éliminer les points de désaccord qui subsistent. Sur la base dudit document, éventuellement amendé, le Gouvernement élaborera un projet de loi relatif à l’exercice du droit syndical dans les entreprises.

Le Gouvernement, favorable à la liberté d’exercice de ce droit, entend que ce projet en règle concrètement les modalités. Il est prêt à favoriser, pour sa part, dans le même esprit, le libre exercice du droit syndical dans les entreprises publiques et la Fonction publique, sous réserve d’apporter au projet de loi les précisions et les compléments permettant son adaptation aux nécessités de ces services.

ANNEXE Droit syndical dans l’entreprise

1° La garantie de la liberté collective de constitution de syndicats ou de sections syndicales dans l’entreprise à partir des organisations syndicales représentatives à l’échelon national (les organisations syndicales demandent protection spéciale ; le CNPF estime que le droit commun suffit).

2° la protection des délégués syndicaux sera assurée dans des conditions analogues à celle des délégués du personnel et des membres du comité d’entreprise.

3° Les prérogatives de l’organisation syndicale dans l’entreprise et des délégués syndicaux : ses missions sont celles du syndicat dans l’organisation sociale, notamment la discussion et la conclusion d’avenant d’entreprise (addition proposée par les syndicats : et le droit de déterminer par accord les règles concernant la structure et le montant des salaires, primes et gratifications).

4° Des moyens d’expression de l’organisation syndicale et des délégués syndicaux :

a. Collecte des cotisations à l’intérieur de l’entreprise (pendant le temps de travail – syndicats) ;

b. Liberté de diffusion de la presse syndicale et des tracts syndicaux dans l’entreprise ;

c. Libre affichage des communications syndicales dans des conditions permettant une information effective des travailleurs, avec communication simultanée à la direction (réserve de la CFDT et de la CGT sur les mots soulignés).

d. Mise à la disposition des organisations syndicales d’un local approprié ;

e. Réunion : – un crédit est attribué :

o aux délégués syndicaux (CNPF),

o aux sections syndicales d’entreprise, pour répartition aux délégués syndicaux (syndicats) ;

– droit de réunir les adhérents de la section syndicale une fois par mois (pendant le temps de travail : syndicats ; en dehors des heures de travail : CNPF) ;

– droit de réunir tous les membres du personnel de l’entreprise à des assemblées générales du personnel, ce droit doit s’exercer pendant les heures de travail, une fois par mois (syndicats). 5° Bénéfice du congé éducation payé pour les délégués syndicaux (demande d’examen plus approfondi par CNPF). 6° Interdiction, en cas d’exercice du droit de grève, de tout abattement sur un élément quelconque de rémunération : prime, gratification ou autre avantage au-delà du prorata directe du temps d’absence (syndicats).

8. Sécurité sociale

Le Premier ministre a pris l’engagement d’accepter qu’un débat de ratification des ordonnances relatives à la Sécurité sociale ait lieu avant la fin de la session parlementaire en cours. Par ailleurs, il a décidé de ramener le ticket modérateur applicable aux dépenses médicales de visite et de consultation de 30 à 25%.

Le Gouvernement ne s’opposera pas à une initiative tendant à ce qu’il soit fait référence dans un texte de loi au décret du 29 août 1962 relatif aux règles d’évolution du plafond de cotisation. Le Premier ministre déclare qu’il n’est pas dans ses intentions d’augmenter le nombre de points de cotisations de Sécurité sociale portant sur la totalité des rémunérations.

Le Premier ministre a également indiqué que l’intervention des textes d’application des dispositions législatives réglementant d’une part le versement direct des prestations à des tiers et la participation obligatoirement laissée à la charge de l’assuré était suspendue, compte tenue des discussions en cours entre la Caisse nationale d’assurance-maladie et la Fédération française de la Mutualité. Le Gouvernement souhaite qu’un accord de ces deux organisations règle conventionnellement leurs rapports et rende inutile les dispositions envisagées.

9. Allocations familiales Le Gouvernement étudie un projet d’aménagement des allocations familiales en faveur des familles de trois enfants au moins et prévoyant la réforme des allocations de salaire unique et de la mère au foyer Ces textes seront mis au point à l’occasion de l’établissement du prochain budget.

10. Mesures en faveur de la vieillesse Le Gouvernement augmentera au 1er octobre prochain l’allocation minimum versée aux personnes âgées et aux grands infirmes.

11. Fiscalité Le projet de réforme de l’impôt sur le revenu, qui sera déposé à l’automne par le Gouvernement, contiendra des dispositions tendant à alléger les conditions d’imposition des revenus salariaux. Les principes de la réforme feront l’objet d’une consultation du Conseil économique et sociale, qui permettra aux représentants des organisations syndicales et professionnelles d’exprimer leurs vues avant le dépôt du projet.

Ces organisations seront à nouveau consultées par le Gouvernement sur l’avis rendu par le Conseil économique et social. Il ne sera pas proposé d’assujettir les salariés au régime de la retenue à la source.

12. Le Gouvernement réunira, au mois de mars 1969, les représentants des organisations professionnelles et syndicales, afin d’examiner avec eux, dans le cadre de l’évolution 6 économique et financière générale, l’évolution du pouvoir d’achat des salariés au cours de l’année 1968.

13. Le CNPF a demandé au Gouvernement qu’à compter du 1er juillet 1968, les entreprises françaises , ne soient pas assujetties, en ce qui concerne la détermination de leurs prix, à des contraintes plus strictes que les entreprises concurrentes établies dans les autres pays du Marché commun.

14. Journées de grève Les journées d’arrêt de travail seront en principe récupérées. Une avance de 50% de leur salaire sera versée aux salariés ayant subi une perte de salaire. Cette avance sera remboursée par imputation sur ses heures de récupération. Dans le cas où la récupération n’aurait pas été matériellement possible avant le 31 décembre 1968, l’avance ou son solde sera définitivement acquise au salarié. Ces mesures trouveront leurs répercussions dans le secteur nationalisé et la Fonction publique.

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27 mai 1968 : le meeting de Charléty

Le 27 mai 1968 est une journée importante pour la gauche qui n’est ni celle du PCF, ni celle des regroupements révolutionnaires (anarchistes, marxistes-léninistes c’est-à-dire maoïstes, trotskystes).

Cette gauche ne veut pas la révolution mais un socialisme modernisateur, elle est portée par l’UNEF, le PSU, la CFDT (qui peu de temps auparavant était encore le syndicat chrétien).

C’est ce qui historiquement nommé la seconde gauche.

Elle parvient, le 27 mai, à rassembler 30 000 personnes au stade Charléty. Pierre Mendès France est présent, mais il ne prend pas la parole. Cette figure historique de la gauche réformiste, membre alors de la Fédération de la gauche démocrate et socialiste, cautionne donc le meeting, mais en ne prenant pas la parole se présente comme recours possible, garant d’un ancrage au centre-gauche.

Voici l’appel de l’UNEF fait le 25 mai pour mobiliser le 27, puis des vidéos du meeting de Charléty.

Déclaration de l’U.N.E.F.

A la suite des événements qui se sont déroulés depuis trois semaines, et particuliçrement ces derniers jours dans toutes les villes universitaires de France et notamment à Paris, compte tenu de la situation présente, des déformations apportées par l’information officielle ou contrôlée par le gouvernement nous tenons à préciser les points suivants :

I. – LES FORCES DE L’ORDRE ET LE GOUVERNEMENT PORTENT L’ENTIERE RESPONSABILITE DES INCIDENTS QUI VIENNENT DE SE PRODUIRE ET L’U.N.E.F. SE DECLARE SOLIDAIRE DE TOUTES LES VICTIMES DES FORCES DE REPRESSION

Les incidents proviennent de la volonté du pouvoir tendant à créer une situation objectivement explosive et provocatrice pour les étudiants et les travailleurs luttant à leurs côtés :l’U.N.E.F. se déclare entièrement solidaire des victimes de la répression policière, quel que soit le moment où elle s’est exercée.

II – L’U.N.E.F. PROPOSE DE FAIRE DE LA JOURNEE DU LUNDI 27 MAI UNE GRANDE JOURNEE NATIONALE DE MANIFESTATIONS L’attitude de la police rend celle-ci entièrement responsable de tous les affrontements.

Particulièrement aujourd’hui et demain, la présence de forces importantes dans le quartier latin, leurs mouvements incessants, la façon dont ils dispersent les groupes sont autant de provocations : si des incidents se produisent, que le gouvernement sache qu’il est à l’origine de ceux-ci.

L’U.N.E.F. n’appelle pas à manifester aujourd’hui et demain. En revanche, elle propose à tous les militants de Paris et de province, de faire du lundi 27 mai une journée nationale de manifestations, celles-ci se tenant à partir de 17 heures.

III. – LES LUTTES UNIVERSITAIRES N’ONT DE SENS QUE S’INTEGRANT DANS LES LUTTES D’ENSEMBLE; LE GOUVERNEMENT QUI REFUSE DE VOIR LE SENS DE CE COMBAT COMMUN NE PEUT ETRE UN INTERLOCUTEUR

Depuis longtemps l’U.N.E.F. souligne que les luttes universitaires n’ont de sens que lorsqu’elles s’intègrent dans le cadre d’une contestation et d’une lutte contre le régime capitaliste : la démocratisation de l’enseignement ne peut être réelle qu’en liaison avec un renversement des rapports de production et la transformation des structures économiques par et pour les travailleurs.

Il est bien évident que sur tous ces points le gouvernement et le général de Gaulle n’acceptent pas de prendre en considération la nature de notre combat et qu’ils ne se placent que dans une optique de préservation du système actuel. Aussi considérons-nous que le régime n’est pas un interlocuteur.

IV. – L’UNIVERSITE, DE TOUTE FAçON, PREND EN MAIN SES PROPRES AFFAIRES Le 17 mai 1968, l’U.N.E.F. proposait à l’ensemble des étudiants et des enseignants quatre points précis d’intervention sur la situation.

Les décisions prises librement par l’ensemble des étudiants vont très largement dans le sens des propositions faites par l’U.N.E.F. Il faut maintenant conclure et réaliser, là où cela est possible, en particulier dans les Facultés d’ores et déjà en gestion paritaire (Enseignants Etudiants), l’inauguration de fait du droit de veto sur les décisions prises. Seul le contrôle des décisions permet en effet d’assurer la contestation permanente de l’Université.

Là où les Universités sont autonomes il faut combattre toute déviation vers une espèce de gestion privée des facultés. L’autonomie, cela veut dire aussi l’ouverture très large de l’Université aux travailleurs. L’U.N.E.F. appelle donc l’ensemble de ses militants, et l’ensemble des étudiants à appliquer dçs maintenant leurs propres décisions. Elle appelle aussi à repousser l’ensemble des examens en septembre.

V. – POUR UNE LIAISON PLUS SOLIDE ENCORE DES LUTTES UNIVERSITAIRES, DES LUTTES OUVRIÈRES ET PAYSANNES L’U.N.E.F. se réjouit de la jonction effective des ouvriers en grève avec les étudiants : elle s’est faite à Paris le 24 mai, en province dans beaucoup de villes universitaires, dans les usines et les facultés. Dans tous ces cas des dizaines de milliers d’ouvriers en grève se sont joints aux étudiants.

L’U.N.E.F. adresse son salut chaleureux à tous les travailleurs engagés dans la bataille avec leurs syndicats.

Parce qu’elle estime qu’il est important de garder un front uni étudiants-travailleurs, elle demande aux syndicats ouvriers – de garder le même front sans faille face à la répression gouvernementale, or, l’interdiction de séjour de Daniel Cohn-Bendit est justement un élément décisif de cette répression – de se rappeler qu’elle reste sur une position simple : jamais, et en aucune façon elle n’entend donner de leçons aux organisations de la classe ouvrière, mais en revanche elle n’en acceptera aucune pour les luttes étudiantes..

Le débat permanent existe à la base entre étudiants et ouvriers, l’U.N.E.F., dans la mesure où les points précédents seront bien compris, propose que les mêmes débats s’instaurent à tous les échelons avec les organisations syndicales des travailleurs C’est dans la mesure où l’action menée à Paris a rencontré de larges échos en province, que l’extension au secteur ouvrier a été possible.

A l’heure actuelle, et dans le même souci de développement du mouvement, l’U.N.E.F. appelle tous les étudiants de toutes les villes universitaires à intensifier leur action :

– pour la poursuite de notre combat universitaire,

– pour l’unité des étudiants et des travailleurs,

– pour leur victoire commune.

Bureau National de I’U.N.E.F. 25 mai 1968.

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Le sens de l’engagement des premiers affrontements de mai 1968

L’intervention policière du 3 mai à la Sorbonne fut un profond traumatisme, avec un embryon de résistance. Mais le lundi 6 mai fut marqué par une véritable résistance, dans le sens de la confrontation avec la police.

Le régime était sûr de lui à la base, mais il n’avait pas compris qu’il faisait face pour la première fois à un bloc compact et décidé, faisant du quartier latin son bastion.

A la base c’est une protestation contre l’intervention à la Sorbonne et la répression, mais la police veut encore écraser le tout : elle s’aperçoit très vite qu’elle fait face à un bloc historique bien structuré, motivé, décidé. D’où encore plus de répression.

France-Soir note ainsi le 7 mai que « Le quartier Latin est en état de siège » car « plusieurs milliers de gendarmes mobiles et de policiers casqués et armés de mousquetons ont bouclés la place de la Sorbonne et les rues adjacentes. »

Des milliers d’étudiants se rassemblent en effet dans le quartier latin. France-Soir souligne leur unité :

« Les étudiants se révèlent toujours plus nombreux à manifester. Les forces considérables de police qui transforment le quartier Latin en une véritable place forte ont l’union sacrée chez les étudiants dont un grand nombre ne savaient pas bien, ces jours-ci, pourquoi ils manifestaient.

Maintenant, au coude à coude, rue des Ecoles, au boul’ Mich, ici et là dans Paris, ils ont en face d’eux la police, comme un défi. »

La police repousse les étudiants jusqu’au carrefour de la rue des Ecoles, mais France-Soir constate une résistance dix minutes après :

« 9 h 20. Quelques centaines d’étudiants barrent le boulevard Saint-Michel à l’angle de la rue des Ecoles. Ils crient : « Libérez les étudiants ! Roche, démission ! Des profs, pas des flics ! Presse, complice ! » »

Et :

« Leurs slogans : « A bas la répression ! » et « C.R.S., S.S. ! » énervent visiblement les policiers. Tout à coup les gendarmes mobiles avancent.

Ils serrent les manifestants, les coups de crosses sont nombreux. De l’autre côté du boulevard, des petits groupes de manifestants continuent à hurler leur mécontentement. »

Tout commence alors :

« Trois cents personnes descendent le boulevard Saint-Michel vers le carrefour Saint-Germain. Les policiers, de leur côté, remontent le boulevard. Un pavé est lancé.

Les étudiants s’enfuient devant les premières grenades lacrymogènes de la matinée. Un jeune homme, qui a reçu une grenade sur un oeil, semble sérieusement atteint.

Deux autres étudiants sont blessés – notamment une jeune fille qui a été intoxiquée par les gaz lacrymogènes. L’atmosphère est irrespirable. On compte maintenant plusieurs milliers d’étudiants dans le quartier.

 Une cinquantaine de cars de police stationnent autour de la faculté et, vers 10 h 15, les voitures des C.R.S. viennent se joindre en renfort aux gardiens de la paix et aux gardes mobiles. »

L’UNEF décide de repousser la manifestation, mais les événements se précipitent dans l’après-midi. Combat décrit les affrontements :

« A 15 heures, à l’angle de la rue Saint-Jacques et de la rue du Sommerard éclatèrent vraiment les premières échauffourées de la journée. Très vite ce fut l’émeute, pire encore que vendredi soir.

Les pavés volèrent au premier assaut, et les matraques s’abattirent. En quelques minutes, après un reflux rapide, le boulevard Saint-Germain se hérissa de barricades constituées essentiellement de voitures, les panneaux étaient arrachés et les pavés descellés.

Le front se stabilisa, les agents formés « à la tortue », boucliers en l’air sous le jet des pavés en bordure de la place Maubert. Celle-ci était transformée en no man’s land, une barricade défendait l’entrée de la rue Monge. Les combattants restèrent face à face près d’une heure et demie, échangeant des pierres et grenades lacrymogènes.

Les rues avaient un air de champ de bataille, la Croix-Rouge ramassait de part et d’autre des blessés. Aux environs de 17 heures, le service d’ordre de l’U.N.E.F. sous l’injonction du président Sauvageot tentait d’arracher les étudiants à une violence inutile.

Lentement le repli se fit vers la Halle aux vins, tandis qu’en arrière-garde quelques irréductibles déchaînés poursuivaient leur guérilla désespérée, retranchés derrière des barricades.

Un peu avant 18 heures, ce groupe se trouvait renforcé par un retour de plusieurs centaines de leurs camarades qui reprirent possession de la place Maubert. La contre-attaque des gardes mobiles et des agents de police fut violente et efficace et repoussa définitivement les étudiants hors de la place. »

L’Humanité raconte la suite :

« Boulevard Saint-Germain, au carrefour Mabillon, plusieurs centaines de policiers, gendarmes mobiles, en tenue de combat forment un barrage. Il est 19 h 30. De violents heurts se produisent rue du Four, à coups de pavés et de grenades lacrymogènes. Les forces de police attaquent, mais doivent reculer. Une voiture et une barricade flambent carrefour Mabillon.

Les manifestants crient : « A bas la répression », « Fouchet assassin », « Libérez nos camarades ». Le cortège se scinde en deux.

Tandis que deux à trois mille manifestants se heurtent aux forces de police qui doivent à nouveau reculer vers le carrefour de l’Odéon, la manifestation principale se déroule dans le calme. Il n’y a en effet aucune force policière rue de Rennes et place Saint-Germain.

 Les charges des gardes mobiles se font de plus en plus violentes et atteignent le degré de brutalité des heurts de l’après-midi. Les manifestants arrêtés sont sauvagement frappés. Aux fenêtres du boulevard Saint-Germain, des dizaines de personnes crient, révoltées : « Assez, assez ! ».

Les policiers frappent au hasard, même loin de la manifestation dans plusieurs rues adjacentes. Il y a de nombreux blessés. Des groupes de manifestants dressent plusieurs barricades avec des voitures qu’ils retournent entre Mabillon et la place Saint-Germain et la rue Bonaparte. La terrasse vitrée d’un café s’effondre.

Les gendarmes mobiles, puis des C.R.S. chargent à 20 h 40 et occupent la place Saint-Germain. Des manifestants refluent vers la rue des Saints-Pères et la rue de Rennes. L’air est irrespirable de gaz lacrymogènes. Des postes de secours de la Croix-Rouge s’improvisent dans des entrées d’immeuble. Il y a de plus en plus de blessés. Les sirènes des ambulances retentissent sans arrêt.

Tandis que des heurts très violents se produisent vers 21 heures, dans toutes les rues du quartier Saint-Germain-des-Prés, rue du Vieux-Colombier, rue Madame et à Saint-Sulpice, une nouvelle barricade est érigée sur le boulevard à la hauteur de la rue des Saints-Pères.

Deux autobus sont placés en travers à une dizaine de mètres, et c’est en s’abritant derrière ces deux barrages que manifestants et policiers se bombardent de grenades lacrymogènes, de pavés et de boulons. »

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Le sens des brutalités policières du 3 mai 1968

Si l’on peut passer aussi rapidement de l’intervention policière à la Sorbonne du 3 mai 1968 à un appel à généraliser la lutte et l’unifier comme le fait le mouvement du 22 mars le 24 mai 1968, c’est qu’en fait le 3 mai la police s’est littéralement lâchée.

Elle a voulu à tout prix écraser toute velléité de contestation et, certaine de l’hégémonie du régime, elle a cherché la casse. Si on ne saisit pas cela, on ne peut pas comprendre pourquoi Charles de Gaulle appelle, le même 24 mai, à un référendum, s’imaginant que la situation, somme toute, est sous contrôle.

C’est tout le régime qui s’est contracté et qui s’imagine que cela va passer. C’est le sens des brutalités policières généralisées dès le 3 mai 1968.

Un chercheur du C.N.R.S. raconte ce qu’il a vu ce jour-là :

« Vers 15 h 30, l’entrée du 17 rue de la Sorbonne était bloquée, et les forces de police de plus en plus nombreuses aux portes de la faculté ; on pouvait cependant entrer librement par la porte de la rue des Ecoles.

Dans la cour, les étudiants avaient décidé de transformer le meeting en une réunion de discussion sur les problèmes universitaires. A ce moment, certains étudiants quittèrent la Sorbonne.

Ceux qui restaient (à l’exception de quelques membres du service d’ordre), se regroupèrent sur les marches menant à la chapelle. Le débat, poursuivi sans haut-parleur, porta d’abord sur l’explicitation, par les étudiants de Nanterre, des buts de leur action ; bientôt une controverse s’engagea avec les représentants d’autres tendances ; je tiens à souligner que ce débat était absolument pacifique, et que tous ceux qui le voulaient avaient droit à la parole.

« Vers 16 h 45, on demanda aux membres du service d’ordre présents dans la cour de regagner leur poste ; autour de moi, on ignorait s’il s’agissait d’une attaque d’Occident, ou des renforts de la police.

La réunion sur les marches de la chapelle prit fin à ce moment ; certains étudiants tentèrent de sortir, mais l’issue de la rue de la Sorbonne semblait bloquée. Quelques minutes plus tard, nous vîmes apparaître sur toute la largeur de la galerie du fond de la cour, une rangée de gardes mobiles coiffés de casques ronds, et, je crois, armés de matraques. Les consignes données alors furent: « Sortez tous dans le calme et en silence ».

Les étudiants présents dans la cour regroupèrent autour de la sortie, mais sans pouvoir avancer. Très vite, toute la cour de la Sorbonne fut remplie de gardes mobiles qui empêchaient les étudiants d’emprunter une autre issue ; il s’agissait véritablement d’une souricière.

« Quand j’eus enfin passé l’étroit couloir qui mène à la rue de la Sorbonne je me trouvai entourée d’une double rangée de gardes mobiles protégés de boucliers carrés en métal, et armées de matraques.

« Cette haie menait les étudiants j’au car de police qui se trouvait un peu plus haut dans la rue (d’autres cars de police se trouvaient également tout le long de la rue de la Sorbonne). La lenteur de l’évacuation de la cour était liée au fait que les étudiants qui sortaient ne pouvaient se disperser librement, mais que tous étaient dirigés d’office vers ces cars de police.

« Moi-même, je fus relâchée après avoir pu montrer que je travaillais dans la rue de la Sorbonne et n’étais pas étudiante.

« Un peu plus tard, vers 17 h 30, des grenades lacrymogènes éclatèrent (je crois sur la place de la Sorbonne). L’accès de la rue de la Sorbonne était bloqué par les forces de police situées dans le bas de celle-ci. »

Voici le récit d’un étudiant coffré suite à sa participation au rassemblement contestataire à la Sorbonne :

« 15 heures : Cour de la Sorbonne. Je participe avec ma femme à la manifestation organisée. L’atmosphère est au calme. Quelques discours : Cohn-Bendit, Sauvageot, Chisseray. Le service d’ordre de l’U.N.E.F. garde calmement l’entrée de la Conciergerie ou l’entrée de la rue des Ecoles. Un orateur annonce que Paris vient d’être choisi comme siège des négociations pour le Vietnam : gros applaudissements.

Tous les occupants sont rassemblés au pied de la chapelle, assis ou debout sur les marches. Et soudain, une annonce : « Ils arrivent. » La plupart pensent qu’il s’agit de groupes Occident qui veulent pénétrer à l’intérieur de la Sorbonne.

Une voiture et un panneau sont placés le long de la porte de la galerie de la rue des Ecoles. Les participants se resserrent sur les escaliers de la chapelle. Certains ont un morceau de bois qui vient d’une Vieille table délabrée qui traînait dans un coin de la cour (et non pas de mobiliers détériorés, comme l’a dit M. Peyrefitte).

Mais surprise, par une aile latérale, pénètre une masse impressionnante de gardiens, casqués, lunettes, boucliers, tels des chevaliers teutoniques avec un côté Obélix.

L’atmosphère alors se tend, tout le monde se resserre près des marches. Le service d’ordre de l’UNEF recommande le calme et tend les mains pour canaliser les manifestants en nous demandant d’évacuer la cour de la Sorbonne.

Ce qui se fit. Mais quelle surprise ! En sortant de la cour, nous ne vîmes point les commandos Occident ou autres groupes, mais bien les gendarmes casqués qui nous font monter dans les camions blindés.

Nous montons dans le premier camion. Le policier devant nous soulève son siège avant et en sort, avec une satisfaction évidente, des barres de cuivre (je crois) qu’il passe à ses collègues qui sont à l’extérieur. Le chauffeur du car exprime que « dans un moment ça va chauffer » car des cordons de C.R.S. arrivent. Nous sommes coincés au milieu des agents et de la foule. Au bout d’un moment, le camion démarre suivi de beaucoup d’autres.

On nous emmène d’abord au commissariat de Saint-Sulpice, puis à Notre-Dame-des-Champs. Et alors, c’est la longue attente des identifications individuelles ; puis on nous entasse à la cave où bientôt nous nous retrouvons au nombre de deux cents personnes environ.

Il est 18 heures. En attendant la « libération », des groupes de discussion se forment, ce sont déjà les comités d’action. »

Voici un autre témoignage :

« Je passais boul’Mich, vers 18 heures, arrivé à proximité d’un cordon de C.R.S., un gradé m’a sommé de faire demi-tour, ce que je fis sans protester, puis je pris un coup de matraque derrière la tête, puis ils ont chargé sur les quelques personnes, dont moi, qui étaient boul’Mich, après quoi je fus emmené au poste jusqu’à une heure du matin pour un contrôle d’identité, après m’avoir copieusement injurié et menacé, je pus enfin regagner mon hôtel.

Le lendemain je fus voir un médecin puis à l’Hôtel-Dieu pour des radios. Depuis ce jour, j’ai des migraines et des saignements de nez.

J’ai essayé de déposer une plainte au commissariat d’où je fus éjecté très incorrectement. »

Un autre témoignage :

« Le vendredi 3 mai, des brigades de C.R.S. ont chargé sur tous les gens qui se trouvaient dans les rues, sans faire aucune distinction entre les manifestants et les non-manifestants. Ils ont notamment matraqué un jeune motocycliste.

« Ces faits ne sont sans doute pas parmi les plus marquants, mais je tiens tout de même à vous en faire part, car je ne peux oublier les cris des blessés de cette nuit tragique.  »

Un autre encore :

« L’un des gardes s’en prit à une jeune fille blonde, vêtue d’un tailleur bleu marine, qui s’était réfugiée sous un porche, près du cinéma « le Latin ». Il la matraqua sauvagement (dix à vingt coups violents sur la tête et le cou).

La jeune fille, chancelante, tituba jusqu’au banc qui se trouve devant le cinéma et s’écroula sans connaissance.

L’ambulance que l’on avait appelée immédiatement n’est arrivée qu’une heure plus tard. La jeune fille n’avait pas repris connaissance. Si la jeune fille vit encore et si elle souhaite porter plainte, nous sommes prêts à lui apporter notre témoignage. »

Un témoignage encore :

« Je remontais le boulevard Saint-Michel, avec dans les bras un enfant d’un an, il était environ 18 h – 18 h 30, je me suis trouvée prise dans la manifestation, je n’ai reçu aucun coup de la part d’étudiants, mais presque au niveau de la place de la Sorbonne, il y a eu une charge de C.R.S. qui matraquaient les passants sans discrimination, exemples : une vieille femme, une jeune maman ont reçu des coups. J’ai reçu un coup de matraque, le bébé caché sous ma veste a reçu aussi un choc qui a laissé un « bleu ».

Devant le café du Départ, j’ai vu à 20 h 30, le même jour, un motocycliste arrêté et matraqué par un policier qui disait « circulez-circulez ». Un monsieur âgé s’interpose « ne le battez pas, il n’a rien fait, il arrive, il ne manifeste pas. » Le monsieur est frappé par un premier C.R.S., se protège la figure, un second C.R.S. intervient et frappe : « Ça vous apprendra à toucher à mon camarade. » La femme du monsieur crie, pleure : « Ne le battez pas comme cela, laissez-le » ; elle est battue également, presque évanouie. »

Un autre témoignage encore, d’une personne de nationalité suisse :

« Je me trouvais place Edmond-Rostand, isolé sur le trottoir à l’angle du boulevard Saint-Michel lorsqu’un agent de la force publique, casqué et matraque en main, m’a frappé sur la tête à coups de matraque malgré mes vives protestations alléguant que j’étais un touriste, puis m’a intimé l’ordre de déguerpir.

J’obtempérai en descendant vers l’Odéon, mais un commando d’une dizaine de C.R.S. remontait sur le même trottoir.

Le premier policier leur cria en me désignant :  Tapez-lui dessus ! Tapez-lui dessus !

Je tentai de m’effacer pour les laisser passer, mais six ou sept d’entre eux m’assaillirent et me frappèrent sauvagement à la tête à coups de matraque et à coups de pied au bas du corps. Je réussis à m’enfuir, le nez ensanglanté. 

Je vis notamment un jeune couple et un noir qui passaient simplement rue Cujas, qui furent conduits dans un car stationné devant la place de la Sorbonne, par la rue de la Sorbonne, les bras tordus derrière le dos et à coups de matraque, le noir recevant deux fois plus de coups que les autres. »

Un dernier, soulignant le racisme :

« Le vendredi 3 mai, voulant me rendre au cinéma, je descendais la rue Cujas vers 19 h 30 et je regardais les manifestations, très calmement ; un autre individu regardait aussi, très calme également ; à un moment, la force de l’ordre nous enjoignit de remonter la rue Cujas. Nous le fimes très lentement et un agent des forces de l’ordre, avisant un curieux, assez grand, légèrement basané et coloré, le bouscula puis lui appliqua un violent coup de matraque avec ces mots : « Tiens, voilà pour toi, l’Arabe ».

Deux jeunes hommes blancs, un noir et une jeune fille se sont enfuis vers la rue Cujas. Au coin de la rue Cujas et de la rue Victor-Cousin, il y avait des forces de police. Elles les ont interpellés, les ont pris par le col et jetés dans le car. Le jeune homme noir a été tout de suite jetés dans le car. Le jeune homme noir a été tout de suite frappé, tiré par terre jusqu’au car où il est jeté aussi. Ensuite, on a entendu le bruit de matraques en frappant. Après ils sont partis. »

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Mouvement du 22 mars : « Votre lutte est la nôtre! »

Voici le tract du Mouvement du 22 mars

 

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La journée du 3 mai, le début de « mai »1968 »

Comprendre comment mai 1968 s’est lancé n’est pas forcément évident, aussi voici un aperçu relativement simple présentant ce qui s’est passé le 3 mai, où a commencé la « boule de neige » de mai 1968.

Le doyen de la faculté de Nanterre était quelqu’un de très cultivé : Pierre Grappin avait été résistant durant la seconde guerre mondiale, et un germanophone si averti qu’il réalisa le principal dictionnaire franco-allemand, appelé d’ailleurs « le Grappin ».

Cependant, il avait décidé que l’agitation ayant lieu à Nanterre nécessitait une sorte de pause. Voici sa justification de la fermeture de Nanterre :

« En conséquence, après accord du ministre de l’Education nationale et du recteur de l’Académie de Paris, j’ai décidé de prendre les mesures suivantes : à partir du vendredi 3 mai 9 heures, et jusqu’à nouvel ordre, les cours et travaux pratiques sont suspendus à la faculté des Lettres de Nanterre. »

France-Soir parle alors le lendemain d’une « décision sans précédent », Pierre Grappin disant au journal :

« Il s’agit là de mesures exceptionnelles dont je mesure toute la gravité mais que les excès de quelques-uns ont rendues nécessaires. »

C’est une décision purement administrative, censée calmer le jeu. Cependant, parallèlement, la pression s’exerce sur les rebelles ; la veille de la fermeture, Le Monde constatait ainsi :

« Le parquet du tribunal de Paris a décidé ce mardi d’ouvrir une information judiciaire pour « menaces verbales de mort sous condition et coups et blessures volontaires », à la suite de la plainte déposée par un militant de Nanterre de la Fédération nationale des étudiants de France, M. de Kervenoël, contre un des leaders du mouvement d’extrême gauche de Nanterre, M. Daniel Cohn-Bendit. »

Daniel Cohn-Bendit et cinq autres étudiants étaient également convoqués à une réunion du conseil de discipline de l’Université de Paris.

A cela s’ajoute l’attaque des fascistes du groupe « Occident », raconté de la manière suivante par Marcel Durry,  doyen de la faculté des lettres de Paris :

« Un incendie a été allumé ce jeudi matin à la Sorbonne dans les locaux de la Fédération des groupes d’études de Lettres, l’organisation des étudiants de la faculté des Lettres de Paris.

Le feu a ravagé une salle de réunions et détruit les meubles et le matériel de bureau et les vitres de la salle.

D’autre part, le téléphone a été arraché. Les dégâts sont estimé a à 10.000 francs au minimum.

L’incendie a été, semble-t-il, allumé par des éléments d’extrême droite. Le cercle barré d’une croix qui constitue l’insigne du mouvement « Occident », a en effet été peint sur la cheminée de la pièce. »

Voici la réaction du syndicat étudiant, l’UNEF :

« Les fascistes du mouvement « Occident » ont attaqué la F.G.E.L., l’ont mise à sac et incendiée. Dans le journal Minute paru ce jour même, ils annoncent leur intention d‘attaquer les militants de Nanterre.

La semaine dernière déjà, ils avaient attaqué l’assemblée générale de l’U.N.E.F. et, deux jours après, ses locaux. Les concentrations importantes de troupes fascistes encadrées d’anciens paras ou légionnaires, concentrations qui se font depuis plusieurs jours avec la montée de troupes fascistes de province font peser une lourde menace sur la démocratie et la vie même des militants progressistes.

L’U.N.E.F. appelle toutes les organisations et les syndicats, particulièrement les syndicats d’enseignants, à se joindre à elle pour organiser la réponse aux attaques fascistes. Tenant compte de ces événements, de la liaison manifeste qui existe entre la Fédération des étudiants de Paris et le groupe « Occident », l’assemblée générale de l’U.N.E.F., prévue pour ce jeudi soir, est reportée à une date ultérieure. »

Les activistes de Nanterre font alors un meeting à la Sorbonne le 3 mai 1968 et le recteur de Paris Jean Roche panique devant ces 200 activistes, surtout qu’en raison des menaces d’attaques du groupe « Occident », le service d’ordre est conséquent.

Il appelle la police, qui intervient, provoquant une réaction virulente des étudiants.

Le journal Combat raconte, le lendemain et le surlendemain, les événements :

« Plusieurs centaines de gardes mobiles et de gardes municipaux, casqués, armés de matraques, de boucliers et de gants de protection, ont pénétré à l’intérieur de la Sorbonne par l’entrée principale, tandis que plusieurs centaines d’étudiants massés rue des Ecoles, criaient : « CRS SS », « Gestapo », « Libertés syndicales ».

« Les forces de l’ordre ont gagné la cour intérieure de la Sorbonne où elles se sont déployées en étau. Par une pression lente et continue elles ont refoulé vers la sortie de la rue de la Sorbonne les quelque 400 militants l’U.N.E.F. et des organisations révolutionnaires qui continuaient à y tenir un meeting. »

La police embarqua 574 personnes, mais les étudiants s’étaient alignés sur la position de défense des activistes. L’affrontement était posé, le choc inévitable, de par l’arrière-plan historique : les étudiants se posaient en première ligne contre le régime, s’y opposant de manière frontale.

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Jeunesse Communiste Révolutionnaire : « Travailleurs, étudiants »

Alors que progresse le mouvement de 1968, la Jeunesse Communiste Révolutionnaire entend proposer des démarches concrètes autour de ses mots d’ordre.

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Politique

Le troisième numéro d’Action

Le troisième numéro d’Action, au format pdf (cliquer sur l’image pour l’obtenir) ; rappelons qu’il a été lancé comme organe du syndicat étudiant l’UNEF, des CAL (comités d’action lycées) et du mouvement du 22 mars.

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PCMLF : « En avant pour un pouvoir populaire révolutionnaire »

Participant de plein-pied à mai 1968, le Parti Communiste Marxiste-Léniniste de France voyait dans la situation la possibilité de démasquer le Parti Communiste Français devenu à ses yeux révisionniste et de s’affirmer comme nouveau pôle communiste. Voici son communiqué du 20 mai 1968

EN AVANT POUR UN POUVOIR POPULAIRE RÉVOLUTIONNAIRE

Déjouons les manoeuvres des politiciens au service de la bourgeoisie,

Arrachons leur le pouvoir à la base dans les entreprises, dans les universités.

ORGANISONS NOUS A LA BASE ET DANS L’ACTION

 » Pour faire la révolution, il faut qu’il y ait un parti révolutionnaire.

Sans un parti révolutionnaire, sans un parti fondé sur la théorie révolutionnaire marxiste-léniniste et le style révolutionnaire marxiste-léniniste, il est impossible de conduire la classe ouvrière et les grandes masses populaires à la victoire dans leur lutte contre l’impérialisme et ses valets. » Mao Tsé toung

Au troisième jour du grand mouvement révolutionnaire contre le pouvoir des monopoles, la grève paralyse toutes les industries, toutes les administrations et services publics, toute l’université.

Malgré le refus des états-major syndicaux de lancer le mot d’ordre de grève générale illimitée, les travailleurs unis à la base et dans l’action, débordent largement tous ceux qui s’emploient à freiner le développement de la lutte.

Malgré les consignes bureaucratiques et autoritaires de Georges Seguy, secrétaire général de la C.G.T., les Ouvriers pratiquent des formes nouvelles de lutte des classes plus dures et plus efficaces que celles déjà expérimentées en 1936 et en 1947 : par exemple, ils enferment dans leurs bureaux les directeurs et présidents-directeurs généraux.

Au surplus, ils se refusent à limiter leurs objectifs de combat à des revendications seulement sociales, comme le voudraient Seguy et Descamps, et politisent spontanément le mouvement en posant comme exigence prioritaire le renversement du POUVOIR DES MONOPOLES.

De tels faits attestent d’une très grande combativité des masses laborieuses.

Les adhérents et militants de base de la C.G.T. comme du P. »C ».F. agissent souvent de façon positive contrairement aux directives qu’ils reçoivent de leurs plus hauts dirigeants et qu’ils désapprouvent en de nombreux cas.

Face à cette situation dont ils n’ont pas eu l’initiative et qui les a débordés, les dirigeants révisionnistes et réformistes des « grandes centrales », C.G.T. entête, essayent de tenir avec habilité et souplesse leur rôle historique de défenseurs de la société capitaliste, infiltrés dans les rangs de la classe ouvrière.

C’est pourquoi ils multiplient leurs efforts pour empêcher tout contact entre les ouvriers en grève et les étudiants qui ont allumé les premiers, et au prix de leur sang, l’étincelle de la révolte contre le régime qu’incarne le directeur de banque Pompidou.

Ils tentent également d’isoler les grévistes les uns des autres.

Dans ces entreprises, ils reçoivent l’appui actif et intéressé de tous les organes de la bourgeoisie affolée : grande presse, radio et télévision, qui reprennent hâtivement les calomnies et arguties du bureau politique du parti de Waldeck Rochet ou du bureau confédéral de Georges Séguy, et qui utilisent abondamment l’actif soutien apporté à De Gaulle tant par les ultra-révisionnistes de Roumanie que par la clique dirigeante de l’Union Soviétique.

LES TROIS ASPECTS PRINCIPAUX DE LA SITUATION

La situation ainsi créée se caractérise donc :

l°- par la volonté révolutionnaire des travailleurs manuels et intellectuels auxquels vont se joindre les masses paysannes. L’ensemble de ces couches sociales représente l’immense majorité des forces productives de la nation, aspirant au socialisme.

2°- par la résistance du pouvoir des monopoles, que manifestent les nombreuses réunions tenues par Pompidou et ses ministres avec De Gaulle revenu précipitamment de Roumanie en présence des plus hauts responsables des organes répressifs de l’état bourgeois; armée, police, gendarmerie et par l’alliance ouverte dans la rue des groupes activistes gaullistes et fascistes.

3°- par les manoeuvres des dirigeants révisionnistes et réformistes des syndicats, du faux parti communiste, et de la social-démocratie, tous ces politiciens sclérosés et corrompus annonçant à grand tapage qu’ils sont prêts à « assumer leurs responsabilités » et à « s’emparer du pouvoir » tout en s’efforçant de rassurer la bourgeoisie qu’ils entendent sauver et servir une fois de plus.

UNITE A LA BASE ET DANS L’ACTION !

Dans ces conditions, le comité central du Parti Communiste Marxiste-Léniniste de France, traduisant la volonté profonde des travailleurs de notre pays, lance un appel solennel pour que se réalise, à la base et dans l’action, la plus solide unité de combat révolutionnaire entre ouvriers, paysans et étudiants.

Seule une telle unité, solidement implantée dans les usines, sur les chantiers, dans les administrations et services publics, dans les campagnes, dans les facultés, lycées et collèges, peut parvenir au renversement du pouvoir des monopoles, empêcher que la bourgeoisie ne recoure, pour préserver ses intérêts et privilèges de classe, au service des politiciens sociaux -démocrates et révisionnistes, stopper net enfin toute tentative de putch de caractère fasciste.

COMMENT REALISER L’UNITE DU COMBAT REVOLUTIONNAIRE ?

Cette unité est possible à la condition que les masses agissent conformément à la volonté des ouvriers les plus exploités, des paysans les plus pauvres, des étudiants les plus avancés.

Pour permettre à cette volonté de s’exprimer et de se consolider, les masses en mouvement doivent constituer d’urgence et partout, des comités de base, conseils ouvriers, paysans ou étudiants, plaçant sous leur contrôle permanent tout dirigeant qu’elles désignent et qui reste susceptible d’être immédiatement remplacé s’il trahit.

Au surplus, ces comités de base doivent établir immédiatement des liaisons entre eux pour coordonner leur combat.

Si le pouvoir des monopoles est contraint à se démettre, la bourgeoisie essayera de le remplacer par des formes parlementaires qui ont déjà fait la preuve de leur nocivité.

Mitterand, Mendès-France, Waldeck Rochet, et Georges Séguy lui offrent déjà leurs services dans ce but.

Le pouvoir devra rester aux masses populaires dont la vigilance devra s’exercer avec intensité pour empêcher que ne soit usurpée leur victoire révolutionnaire.

Il convient tout spécialement de déjouer les manoeuvres de la social-démocratie qui sont appuyées en sous-main par l’impérialisme américain et de ce fait bénéficient des faveurs des centristes Lecanuet, Giscard d’Estaing et autres réactionnaires de tous poils.

VIVE LE POUVOIR OUVRIER DANS LES USINES !

VIVE LE POUVOIR DES PAYSANS PAUVRES A LA CAMPAGNE !

VIVE LE POUVOIR DES ETUDIANTS REVOLUTIONNAIRES A L’UNIVERSITE !

VIVE LE POUVOIR POPULAIRE ET REVOLUTIONNAIRE !

Paris, le 20 Mai 1968 – 14 heures

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Politique

Henri Weber et mai 1968

A la mi-avril 2018, Henri Weber signait une tribune dans Libération, intitulée « Il n’y aura pas un nouveau Mai 68 ». Il y analysait la différence entre aujourd’hui et il y a cinquante ans ; il la signait en tant que « Ancien sénateur et député européen socialiste », mais en réalité son identité politique est bien plus complexe, ce qui donne à son opinion une valeur très importante.

Henri Weber est en effet un des cadres de l’Union des Etudiants Communistes qui donne naissance à la  la Jeunesse communiste révolutionnaire en 1965. Il joue un rôle important durant mai 1968 de par sa fonction au sein de la JCR.

Dans la foulée, il devient l’un des plus hauts responsables de la Ligue communiste (puis Front communiste révolutionnaire, puis Ligue communiste révolutionnaire), étant notamment directeur de l’hebdomadaire Rouge et de la revue Critique communiste jusqu’en 1976, ce qui lui confère un poids idéologique très important.

A cela s’ajoute qu’il appartenait également à la direction de la « Commission très spéciale », c’est-à-dire l’organisation clandestine, à visées militaristes ou militaires, de la Ligue. Le changement de nom de cette dernière a comme origine l’attaque d’un meeting d’extrême-droite en 1973 à Paris, organisé conjointement avec le Parti Communiste Marxiste-Léniniste de France.

Le film « Mourir à trente ans », de 1982, retrace ce moment « chaud » de la Ligue, avant le tournant institutionnel.

Henri Weber reflète justement ce tournant. Il arrête la politique en 1981, pour rejoindre le Parti socialiste, dont il devient une figure d’importance. Voici donc comment il voit les choses, cinquante ans après, à partir de l’identité d’un ex-révolutionnaire ayant rejoint les socialistes.

On est en droit de considérer qu’il réduit tout de telle manière à justifier sa propre position se limitant à une dénonciation du libéralisme économique.

Il n’y aura pas un nouveau Mai 68

Ce qui explique la puissance et l’ampleur du soulèvement de la jeunesse il y a cinquante ans, c’est la combinaison de trois facteurs.

Le premier est «sociétal», comme on dit aujourd’hui, ou culturel : la France s’était beaucoup modernisée sur les plans technologique et économique depuis 1945.

Elle s’était industrialisée et urbanisée à pas de géant. Mais sur les plans des mœurs et des rapports d’autorité elle était restée engluée dans le XIXe siècle. L’autoritarisme et le traditionalisme répressifs, hérités de la société catholique et rurale, pesaient de tout leur poids sur la jeunesse.

La révolte de celle-ci fut d’abord culturelle : capillaire, vestimentaire, musicale, sexuelle, esthétique.

Le second facteur fut politique: dans les années 60 du siècle dernier, «le fond de l’air était rouge», comme le titrait le cinéaste Chris Marker. Les peuples coloniaux avaient pris les armes pour conquérir leur indépendance et volaient de victoires en victoires, au prix de longues et sanglantes guerres de libération nationale.

C’était «l’heure des brasiers». Les «baby boomers» sont venus massivement à la politique par indignation et révolte contre les exactions des impérialismes, occidentaux et soviétique, que leur montrait quotidiennement le journal télévisé.

Le troisième facteur fut universitaire : entre 1962 et 1968, le nombre des étudiants a triplé, sans que les méthodes pédagogiques et les programmes ne soient adaptés à ce nouveau public. La réponse des autorités fut au contraire principalement malthusienne : le plan Fouchet préconisait (déjà !) la sélection à l’entrée des facultés.

A cela s’ajoute en France un autoritarisme patronal spécifique renforcé par la victoire du général de Gaulle en 1958-62. Les syndicats ouvriers en étaient réduits à manifester devant le siège du CNPF (le Medef d’alors) pour obtenir l’ouverture de négociations !

Ce n’est pas par hasard que «l’étincelle» étudiante a si aisément «mis le feu à la plaine» ouvrière. Celle-ci était sèche et archi-sèche.

Cette combinaison a nourri un lourd contentieux entre la jeunesse et la société des adultes. Celui-ci a engendré des situations d’autant plus explosives que la génération des baby-boomers était habitée par un formidable optimisme historique : l’homme avait marché sur la Lune, la croissance économique dépassait 5%, le plein-emploi semblait assuré, la société de consommation, d’abondance, de loisir déployait ses promesses…

Le contexte sociétal, politique, social, idéologique est bien différent aujourd’hui, même si les raisons de mécontentement ne manquent pas.

Le contentieux entre la jeunesse et la société adulte existe, mais il est  incomparablement moins fort. La France de 2018 est beaucoup plus libérale, au sens politique et culturel du terme, que celle des années 60. Le contexte géopolitique et idéologique a profondément changé.

Désormais «le fond de l’air est brun» : les populismes xénophobes et les «démocratures» ont le vent en poupe, les démocraties sont fragilisées et menacées. L’institution universitaire demeure en crise, mais sa réalité s’est considérablement diversifiée.

A côté des «facs parkings» existent beaucoup d’établissements de bonne qualité, voire d’excellence, y compris dans les filières techniques courtes. Ce contentieux est aussi plus fragmenté : beaucoup plus fort chez les jeunes issus de l’immigration et relégués dans les banlieues déshéritées, que chez ceux des centres-villes.

Des conflits sectoriels, durs et prolongés, sont probables, et mêmes inévitables, en cette ère de changements accélérés et de réformes nécessaires et, pour certaines, impopulaires.

Des «convergences» partielles des luttes peuvent se produire, mais sûrement pas une explosion généralisée comparable, même de loin, à celle de 1968. Il faudrait pour cela qu’une alternative politique et sociétale crédible existe et soit portée par des forces capables de la mettre en œuvre.

Ce qui, on en conviendra, est loin d’être le cas. Les syndicats réformistes et la gauche social-démocrate doivent mettre à profit les mobilisations en cours pour faire valoir leurs propres solutions progressistes, alternatives à celles du gouvernement d’Edouard Philippe.

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Écologie

La fin de la « ZAD » à Notre-Dame-des-Landes

Il en est fini de la « ZAD » à Notre-Dame-des-Landes dans sa dimension prétendument rebelle et vraiment anarchiste. L’État a mené hier une opération de grande envergure visant à expulser ce qu’il reste des « zadistes » récalcitrants.

Dix-neuf escadrons de gendarmerie étaient mobilisés, ce qui représente 1 500 à 1 700 militaires. Ils accompagnaient deux huissiers chargés de mener les procédures, des agents de déminage de la sécurité civile, ainsi que des ouvriers (masqués) devant procéder au démantèlement des habitations illégales.

Les moyens mobilisés étaient importants, avec trois véhicules blindés, des véhicules tout-terrains, un hélicoptère, des drones et des tractopelles. L’officier de gendarmerie chargé de la communication a tranquillement et publiquement annoncé tôt dans la matinée les lieux devant être expulsés et détruits :

« de manière à ce qu’il n’y ait pas de surprise et pas d’inquiétude chez ceux qui ne seraient pas concernés » (c’est-à-dire les personnes ayant déposé une demande d’occupation légale des lieux).

Le ton était calme et serein, avec la volonté de montrer la toute-puissance de l’État :

« C’est un site complexe, mais qu’on va traiter de manière méthodique, comme toujours : ordre et méthode, de manière à ce que force reste à la loi. »

En pratique, l’opposition a été faible et très parcellaires, les opérations ont pu être menées facilement et rapidement par les forces de l’ordre.

La résistance des « zadistes » n’a été que symbolique, et bien inférieure à celle des précédents affrontements sur le site. La « ZAD », isolée et repliée sur elle-même, sans cause légitime à défendre, s’effondre comme un château de carte.

Le projet d’aéroport, qui n’était qu’un prétexte à une rhétorique réactionnaire anti-modernité pour la plupart des zadistes, n’est déjà plus qu’un lointain souvenir. Les manœuvres de division et d’encerclement ont fonctionné parfaitement, montrant la faiblesse et la vanité des prétentions anarchistes à affirmer leurs positions.

Libération pouvait citer avec un certain goût du pittoresque les propos d’un zadiste réagissant à l’intervention militaire :

« Enlevez vos armures et vos casques et venez nous voir. Ici, on peut faire des potagers, du pain, de la musique et on peut faire l’amour ! »

Les éléments les plus radicaux n’auront servi qu’à afficher une radicalité de façade, voire plutôt folklorique, à des projets agricoles expérimentaux. La « ZAD », à défaut d’avoir été une place forte de l’écologie en France, aura été une sorte de laboratoire protéiforme et rudimentaire à des projets agricoles et communautaires.

Seules les personnes acceptant l’autorité de l’État vont désormais pouvoir continuer leurs « expérimentations ». Ce « laboratoire » de la « ZAD » devrait maintenant se transformer en une sorte de pépinière servant à la modernisation de l’agriculture capitaliste.

Il ne pourra en être autrement puisque cela est directement encadré par l’État, avec le soutien de différentes autorités institutionnelles.

C’est ainsi que des personnalités avaient lancé récemment « un appel solennel au gouvernement français » pour qu’il laisse du temps aux différents projets voulant continuer légalement sur le site de Notre-Dame-des-Landes. L’idée étant à terme de former un Comité d’Accompagnement et de Conseil, ce qui avait été relayé par les « zadistes » eux-mêmes, sur leur site internet.

On trouvait parmi ces gens, cité en premier, un ancien directeur de recherche à l’INRA. Il s’agit de l’Institut National de la Recherche Agronomique, c’est-à-dire la pointe en termes d’agro-industrie capitaliste encadrée par l’État en France. Suivaient parmi les signataires, différents universitaires, pour la plupart au CNRS, mais aussi d’Agrocampus Ouest, ou alors de l’Office National des Forêts, etc.

La presse a également remarqué que l’un des signataires, Marc Dufumier, professeur émérite à AgroParis Tech, est membre du conseiller scientifique de la Fondation Nicolas Hulot, qui est comme on le sait ministre de l’Écologie.

C’est-à-dire qu’on nage ici dans les plus hautes sphères du pouvoir en France. Il s’agit pour ces gens de revitaliser le capitalisme, par en haut, par les biais de projets individuels, d’entreprises ou de petites entreprises individuelles.

On est ici à l’opposée d’une tradition de Gauche qui, s’appuyant sur le mouvement ouvrier, promeut des solutions collectives et démocratiques, avec une dimension sociale et universelle, plutôt que communautaire.

Le libéralisme communautaire de petit-entrepreneurs agricoles radicalisés va fusionner avec le libéralisme institutionnel de gens ayant fait une carrière universitaires. Voilà ce qu’il restera de la « ZAD » de Notre-Dame-des-Landes dans les années à venir.

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Politique

Gaza : le drame palestinien du 14 mai 2018

Le drame du peuple palestinien, dans le silence. Le 14 mai est passé, mais l’indignation qui a suivi d’une faiblesse extrême. Le peuple palestinien reste victime.

Victime du soutien massif des États-Unis d’Amérique à Israël, jusqu’à cette situation terrible du 14 mai, avec 62 Palestiniens tués, 2400 blessés.

Cela, en raison de l’application sanglante à Gaza, à l’encontre d’un rassemblement de masse, du règlement selon lequel toute personne dans un périmètre de 100 à 300 mètres de la barrière de sécurité serait une « menace » devant être abattue.

Victime du soutien massif des pays du Golfe à l’islamisme, avec le Hamas ayant englouti les initiatives, quand elles ne sont pas démolies par une OLP totalement bureaucratisée et corrompue.

Et prise en otage, dans sa nature, dans son humanité même, par une poignée de radicaux en Europe, qui sont bien plus proches de l’extrême-droite que des valeurs classiques de la gauche et du mouvement ouvrier.

Pendant que les Palestiniens meurent, l’étudiant occupant Sciences-Po lève le drapeau palestinien, le populiste d’extrême-gauche en fait son fond de commerce, le populiste de gauche rêve d’un interventionnisme français impérialiste mais « pour la bonne cause ».

Une situation odieuse, terrifiante même de par le rythme où vont les choses. Car, bien loin des fantasmes sur une résistance palestinienne ayant un poids quelconque, Israël agit en rouleau compresseur.

La Cisjordanie est devenue un protectorat et l’inauguration de l’ambassade américaine à Jérusalem le 15 mai 2018, à l’occasion des 70 ans de la fondation du pays, en est le symbole le plus direct.

Quant à Gaza, cette bande de terre de 41 km de long, avec 360 km² pour pratiquement deux millions d’habitants, c’est une enclave en perdition. Qui, à l’horizon 2020, sera invivable sur le plan de l’eau et de l’énergie si le blocus israélien continue.

Et, donc, bien loin des fantasmes sur la résistance palestinienne qui est désorganisée, corrompue, islamiste, l’État israélien s’en moque totalement. Il a le rapport de forces suffisant, ce que justement la gauche palestinienne avait très bien compris dans les années 1970.

C’est la raison pour laquelle elle avait choisi la voie, évidemment erronée, de la prise d’otages dans les pays occidentaux. Cependant, elle avait vu qu’il y avait un décalage terrible entre l’armée israélienne, moderne et financièrement portée par les États-Unis, et les Palestiniens.

Il y avait une véritable réflexion à ce sujet. Ne pas voir cela est meurtrier, surtout alors qu’Israël a le vent en poupe. Aussi, la tentative de passer en force la frontière séparant Gaza d’Israël, le 15 mai 2018, relève d’un acte stratégiquement erroné.

Israël en a profité pour en rajouter dans sa pression militaire, avec le prix du sang. Comme on est loin de l’esprit, ouvert, tolérant, mis en avant par la candidate israélienne lors de l’Eurovision d’il y a quelques jours !

Et rappelons ici que le manifestations ont rapport non pas avec l’inauguration de l’ambassade, mais avec la célébration de l’anniversaire de la « catastrophe », la Nakba, ayant suivi la défaite de l’offensive militaire arabe à la naissance de l’État israélien.

Ce dernier a célébré sa victoire jusqu’à l’ignominie. Mettant un terme symbolique à tout espoir d’accord de paix, de solution à deux États.

Humiliant l’ensemble des Palestiniens, leur déclarant tout un mépris avec un profond sens de l’humiliation.

Mettant aussi un terme définitif, également, au rêve d’un mouvement démocratique unissant tous les pays arabes. Le silence de ces derniers est assourdissant. Désormais, c’est bien chacun pour soi, de manière décidée, et l’alliance entre Israël et l’Arabie Saoudite se fait donc aux dépens des Palestiniens.

D’ailleurs, à la fin avril, le parlement israélien a voté une nouvelle loi : désormais le pays pourra entre en guerre non pas avec l’aval de la majorité des ministres du gouvernement, mais en cas de « conditions extrêmes » simplement sur décision du Premier ministre et du ministre de la Défense.

Israël s’aligne totalement sur Donald Trump, sur les partisans d’une guerre avec l’Iran, l’Arabie Saoudite rejoignant ce tandem militariste.

La guerre, toujours la guerre !

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Politique

Jeunesse Communiste Révolutionnaire : « Le régime en question »

Au 16 mai 1968, la Jeunesse Communiste Révolutionnaire considère que le régime est aux abois.

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Guerre

Les frappes en Syrie et le complexe militaro-industriel français

Emmanuel Macron est incontestablement un président de la République décidé à affirmer la puissance militariste de la France. A ce titre, il constitue une menace à la fois pour la paix mondiale et aussi pour notre pays en développant la pratique impérialiste.

C’est à ce titre qu’il convient de revenir sur les frappes décidées le mois dernier en Syrie, dans la nuit de du 13 au 14 avril. Hors de tout mandat international, au côté des États-Unis et du Royaume-Uni, elles visaient des sites supposés de production d’armes chimiques, dont la France et ses deux alliés accusent d’utilisation, sans toutefois détenir de preuves formelles, le régime de Bachar al-Assad, lui-même soutenu par la Russie et l’Iran.

Sans revenir sur la question du refus de ces frappes que nous avons déjà exprimé, il faut bien voir que, de toute manière, celle-ci avaient aussi un objectif symbolique, au-delà de toutes considérations tactiques.

Pour la première fois, la Marine française a fait usage de missiles de croisières naval (MdCN), lancés à partir de deux frégates de type FREMM (Frégates Muti-Missions), réputées furtives.

Ces navires ultra-modernes, ont été développés en partenariat avec l’Italie et Général Electrics pour la propulsion et sont capables de déployer 16 de ces missiles. Ils sont assemblés à Lorient, et outre la France et l’Italie, le Maroc et l’Egypte en ont aussi passé commande.

Les missiles en eux-mêmes sont construit par MBDA, une filiale d’Airbus (associé au britannique BAE systems) notamment installée à Le Plessis-Robinson dans les Hauts-de-Seine, mais dont l’usine d’assemblage se trouve à Selles-Saint-Denis dans le Loir-et-Cher, qui produit à elle seule près de mille missiles chaque année.

Cette arme est présentée comme un missile d’une grande précision, utilisant un signal GPS et capable de frapper de manière coordonnée, rapide et précise sa cible depuis une frégate ou un sous-marin. Les sous-marins français devraient d’ailleurs en être prochainement équipés.

L’engin pèse en tout près d’une tonne et demie, pour une longueur de plus de 6 mètres et embarque une charge de près de 250 kg à la vitesse de 800km/h. Il s’agit donc une arme particulièrement horrible et meurtrière, dont le coût à l’unité revient à 2,86 millions d’euros !

La « nouveauté » est que cela donne à la Marine française une capacité de frappe de près de 1000 km, autant dire presque n’importe où dans le monde depuis un littoral, sachant que plus de 70% de la population mondiale vit à moins de 100 km des côtes.

Jusque là, la France ne disposait pas de telles armes et devait utiliser des missiles embarqués sur des avions pour ses frappes. Seuls les États-Unis et la Russie et dans une moindre mesure le Royaume-Uni (mais depuis des sous-marins) avaient la capacité de telles frappes depuis des navires de surface.

Le choix de mobiliser ce nouvel armement, dont les média ont largement relayés l’information, est donc totalement délibéré : il s’agit de montrer les capacités modernes de l’armée française et de la placer au rang des principales puissances militaires. C’est donc une affirmation chauvine et impérialiste de premier ordre.

C’est aussi une opération de communication commerciale, ces missiles étant proposés à la vente depuis 2015, mais seule l’armée française en a jusque là acquis. Pour le coup, il était prévu de tirer 6 de ces missiles, mais seulement trois ont été effectivement lancés, depuis la frégate Aquitaine, la frégate Languedoc ayant échoué à tirer les siens.

Regardons les choses en face. Il est capital de se dresser contre la politique impérialiste d’Emmanuel Macron et de densifier cette opposition en nous attaquant à l’appareil militaro-industriel de notre pays qu’il nous faut identifier et combattre.

Il s’agit là d’une question de civilisation, de rapport à la vie. Ces armes n’ont rien à faire dans nos vies et n’apportent rien de bon au monde. Dénoncer les monopoles de l’armement en France, leurs sites, leurs entreprises, est une tâche nécessaire pour construire une France populaire, démocratique et pacifique.

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Culture

Netta et la chanson « Toy » de l’Eurovision

5,16 millions de téléspectateurs ont regardé avant-hier soir l’Eurovision, cette entreprise de spectacle, plutôt beauf ou au moins kitsch, dans la veine de l’institution italienne du festival de Sanremo.

Artistiquement, c’est souvent faible, même si certaines années ont vu des artistes d’envergure tels que l’auteur-compositeur Serge Gainsbourg y proposer des titres ; plus récemment, c’est devenu une sorte de prétexte à un délire sans trop de prétention, avec costumes délirants, représentations culturelles nationales présentées sous un axe sympa, esprit bon enfant, etc.

Il y a quelque chose de ridicule mais d’irrésistiblement attirant, une sorte de minimalisme régressif mais pas trop. Justement, cette année, il semble que l’accent a été mis sur les chansons à message.

On pense notamment à Mercy des français Madame Monsieur qui évoque le sort d’une enfant réfugiée et le titre de l’Italie chanté par Ermal Meta et Fabrizio Moro en hommage aux victimes des attentats djihadistes. Il y a aussi l’israélienne Netta Barzilai qui a brodé un titre électro sur le thème de #metoo, gagnant finalement l’Eurovision.

Il s’agit d’une pastille très colorée, comme nous y a habitué la pop internationale depuis l’époque de MTV. Des danseuses y changent de tenue à chaque plan dans un décor fait d’artifices visuels, dans un montage découpé à l’extrême. Pendant ce temps-là, la chanteuse explique que les « poules » ne sont pas des jouets, dénonçant le machisme et sa stupidité.

Les références, ou récupérations, sont nombreuses, dans l’imagerie bien davantage que dans la profondeur de l’ambition artistique, on aura parlé de Beth Ditto et de Björk.

Mais le titre Toy a surtout pour objectif principal de faire danser, dans l’esprit simpliste de l’Eurovision. Cette musique electronique est clairement formatée pour les clubs et la diffusion commerciale.

Le texte présente donc par contre plus d’aspérité et cela a frappé les esprits, cela a été vraiment apprécié.

On note ainsi que le clip de Netta ne présente que des femmes, ce qui parait évident vu le thème de Toy, mais marque donc un certain essentialisme : on parle de femmes, pas de genre ou de queer. L’expression des corps -féminins donc- s’impose dans la danse et d’une certaine manière dans une moindre mesure par le chant au travers des onomatopées.

Netta est une femme qui interpelle les hommes, pour leur apprendre des choses, pour les obliger à voir.

Elle rejette l’homme qui se comporte comme un prédicateur des temps modernes et rejette du même geste la superficialité dans les relations (elle moque les smartphones, le bling-bling et les femmes potiches).

Avant tout, elle affirme que les femmes ne sont ni des jouets pour les hommes (d’où le titre !), ni de perpétuels enfants. Netta affirme le caractère puissant et sacré de la femme, les femmes doivent avoir confiance en elles-mêmes!

L’un des ressorts littéraires du texte est l’utilisation du terme d’argot anglophone « buck », qui qualifie les mâles du règne animal en particulier dans le vocabulaire des chasseurs, mais aussi dans l’imaginaire machiste. Netta joue avec ce terme, pour se moquer des hommes au comportement inapproprié et le renverse au profit des femmes pour qualifier son rythme de « motha-bucka beat ».

L’Eurovision est de plus un évènement très populaire qui rassemble probablement plus de 100 millions de téléspectateurs (il n’est pas possible d’avoir des chiffres fiables) dans plus de 40 pays. On doit donc considérer comme positif qu’un tel message, qui dénonce le comportement inapproprié qu’ont des hommes, soit diffusé de manière positif aussi largement.

On retrouve là un mouvement dit « d’empowerment », de prise de parole, de pouvoir comme à pu l’être #metoo sur les réseaux sociaux.

Avec ses limites également, car Netta y fait un constat très subjectif, un point de vue d’artiste en somme, qu’il n’est pas possible de généraliser quand on est une femme du quotidien. C’est dommage, mais c’est un fait : le féminisme se réduit ici surtout à un show et à des bons sentiments.

D’où d’ailleurs l’appréciation unilatéralement favorable de la chanson par la scène « LGBTQ+++ » toujours prompte à récupérer ce qui est démocratique pour célébrer la marge et l’ultra-individualisme. Netta joue il est vrai beaucoup là-dessus également, avec le fétiche du surprenant, de l’étrange, etc.

Le problème qui est la cause de cela, c’est bien entendu que Netta voit les choses avec un prisme qu’on peut qualifier de « Tel Aviv », de cette ville israélienne de fête et de vie sociale bien différente du reste du pays, cultivant une approche festive décadente.

Là on s’éloigne, avec cette esthétique sortant du fun pour passer dans le difforme, du démocratique pour passer dans la mise en scène.

Netta s’insère ainsi donc aussi dans le soft power israélien. Lorsqu’elle dit de manière féministe  « Wonder Woman, n’oublie jamais que / Tu es divine et lui, il s’apprête à le regretter », c’est aussi une allusion l’actrice israélienne Gal Gadot ayant joué Wonder Woman.

Lorsqu’elle dit à la fin de l’Eurovision, après la victoire, « J’aime mon pays, l’an prochain à Jérusalem! », elle met littéralement les pieds dans le plat alors que Donald Trump a rendu ultra-sensible la question de la capitale israélienne.

Ce faisant, elle rate l’universel, que devrait amener l’Eurovision : le dépassement du particulier dans un grand brassage féérique et populaire. Dommage !

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Le second numéro d’Action

Le second numéro d’Action, au format pdf (cliquer sur l’image pour l’obtenir) ; rappelons qu’il a été lancé comme organe du syndicat étudiant l’UNEF, des CAL (comités d’action lycées) et du mouvement du 22 mars.

 

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La mort de Naomi Musenga : un drame, un crime et non une tragédie

Le 29 décembre 2017, Naomi Musenga, jeune mère apparemment célibataire d’une petite fille de 2 ans, habitant dans un quartier populaire de Strasbourg, est morte selon toute vraisemblance d’une défaillance multiviscérale sur choc hémorragique, selon l’autopsie pratiquée quelques jours après son décès au CHU de Strasbourg.

Le pronostic d’une telle affection, généralement causée par un syndrome d’infection générale de l’organisme est malheureusement très souvent mortel, dans 30% à 100% des cas, en raison de sa brutalité qui nécessite une intervention médicale d’urgence pour rétablir l’homéostasie (soit l’équilibre général de l’organisme).

Le 9 mai, s’est ouvert l’enquête préliminaire devant éventuellement conduire à un procès sur demande du Parquet de Strasbourg suite à une plainte de la famille.

L’émoi national provoqué par cette affaire est la suite de la publication le 27 avril des échanges entre Naomi Musenga et les services de secours par un magazine local au contenu racoleur et suintant la culture « beauf » qui parait sous le titre de l’Heb’di.

Passons sur ce journal, qui a donc publié le contenu des échanges téléphoniques de Naomi Musenga et le SAMU, que celle-ci contacte après avoir eu en ligne les pompiers.

L’opératrice qui la reçoit adopte un ton distant voir franchement moqueur, dans la suite de celui des pompiers qui l’ont reçu en premiers.

Elle finit, contre tout le protocole, et contre tout principe d’humanité par l’abandonner à son sort en lui demandant de contacter elle-même SOS médecins, qui la prend immédiatement en charge. Mais au vu de son état critique, Naomi Musenga décède malheureusement 6 heures après son appel.

Voici l’enregistrement du dialogue (commençant à 1:42). Ce qu’on entend est d’un cynisme froid, glacial. On ne peut qu’imaginer avec terreur ce qu’a dû ressentir la famille de Naomi Musenga à ces mots assassins, cette indifférence immonde.

C’est un drame, et non pas une tragédie. Le destin n’a rien à voir avec cela : la société n’a pas fait son devoir. Cette affaire suscite donc une indignation méritée.

Déjà, il est évident de dire qu’il y a dans cette affaire une part reflétant la culture patriarcale et même raciste qui pourrit les services de secours comme les pompiers, dans une situation de confrontation de plus en plus violente avec des conditions sociales en plein effondrement, notamment dans les campagnes éloignées des centres de secours, de plus en plus concentrés dans les villes, et même au sein de celles-ci, dans les zones dégradées où s’entasse un lumpen-prolétariat rongé par la précarité, les valeurs réactionnaires religieuses, en particulier de l’islam, et la criminalité.

Dans ce contexte, cet appel d’une jeune femme noire, s’est bien entendu heurté immédiatement à une somme de préjugés immondes hantant l’esprit des services de secours, qui ont empêché le pompier qui a reçu l’appel comme ensuite l’opératrice du SAMU de saisir sérieusement l’état de détresse de Naomi Musenga.

Cela est vrai bien entendu, mais il est erroné et injuste que s’en tenir à ce constat. L’opératrice en question est une femme expérimentée, qui a fait déjà une dense carrière au sein des services d’urgence et elle est actuellement effondrée et dépassée par les suites de cette terrible affaire.

Que cette femme puisse avoir été fautive de par ces préjugés ne signifie pas que ceux-ci soit constitutif de sa personne ou de son engagement, en un mot, il est peu probable et c’est peu dire, que cette femme soit une raciste acharnée ayant délibérément abandonné à son sort Naomi Musenga en raison du fait qu’elle fut une habitante noire d’un quartier populaire. Les préjugés racistes de cette femme sont en réalité le fruit de son expérience mal comprise.

N’importe quelle personne travaillant dans les services d’urgence à Strasbourg comme dans les autres métropoles de notre pays fait souvent quotidiennement l’expérience de la confrontation dure et parfois violente avec des personnes précaires, mais pas seulement puisque l’esprit vulgaire et agressif de la bourgeoisie décadente suinte de tout les pores de notre société, lors de leur admission ou de leur arrivée aux urgences.

Ces personnes sont aussi quotidiennement confrontée à une détresse sociale qu’ils perçoivent justement en augmentation et contre laquelle ils ne peuvent pas grand chose, mais aussi diverses magouilles et abus qui usent leur sensibilité.

En un mot, le développement de leurs préjugés sociaux et parfois racistes sont le fruit même de la politique libérale, à l’échelle de la société et même plus directement de l’hôpital en lui-même.

Depuis les années 1980, les services hospitaliers n’ont cessé de faire l’objet d’une offensive prolongée du capital sous l’aspect de réformes libérales prônant la privatisation, la concurrence, la réduction des moyens, la concentration des services et des équipements, le management à la performance et donc l’atomisation des formes du travail.

Aujourd’hui, même l’Etat ne peut plus masquer le terrible constat de l’effondrement général non seulement des urgences mais de l’ensemble du système hospitalier, du moins dans sa capacité à rendre un service public aux masses, étant donné que dans le même temps, on ne peut pas dire que l’accès au soin se soit effondré pour tout le monde.

L’hôpital, comme l’école d’ailleurs, reflète simplement et implacablement la ségrégation croissante produite par le libéralisme. Et bien entendu, cette ségrégation est perçu souvent sous l’angle du racisme. En réalité, il s’agit là de saisir que si cet aspect peut être réel, il n’est pas l’aspect principal de la question.

Naomi Musenga n’est pas morte du racisme à précisément parler, elle est morte du libéralisme. Tous les personnels de la santé, tout les patients des services hospitaliers, connaissent nombres d’anecdotes reflétant de telles « erreurs », avérées ou parfois évitées heureusement de justesse.

Mais cette situation n’est pas uniquement une « faute professionnelle », c’est un état général. Comment penser qu’un opérateur, quel qu’il soit, quelle que puisse être son expérience ou sa conscience professionnelle, puisse gérer parfois jusqu’à 1000 ou même 2000 appels de détresse par jour ? Soit entre 2 et 4 appels par minute en non-stop sur 8 heures de travail!

Et cela sans s’épuiser, sans finir par commettre une erreur ? Sans céder au découragement, sans céder à la perception erronée et superficielle d’une situation aliénante ou presque constamment, on se voit confronter à la misère et à son cortège décadent de comportements, que l’ignominie du racisme, dont l’expression est généralisée dans les services publics, permet d’expliquer en apparence?

Il est bien entendu hors de question de dédouaner cette personne de ces fautes et de ses préjugés, mais la justice bourgeoise n’a rien à dire à cette personne, ni aucune justice à rendre à la famille de Naomi Musenga et aux masses indignées.

L’enquête ouverte par le Parquet en effet s’est fait sur le motif de non-assistance à personne en péril, même si les média ont relayé le fait qu’il y avait une perspective d’ensemble, systémique, à l’attitude coupable de l’opératrice, rien bien entendu ne sera fait pour enrayer la logique libérale.

Le gouvernement, en la personne d’Agnès Buzyn, a convoqué les médecins urgentistes, ce qui est déjà le témoignage d’une vision faussée et bornée du problème, les appels n’étant pas traités par les médecins, et ceux-ci font trop souvent preuve de mépris à l’égard des personnels médicaux, professions souvent plus fémininisées, comme les infirmières, les opératrices ou les aides-soignantes, encore plus exposées qu’eux à la précarité générée par le libéralisme.

Le ministère ne parle que de « dysfonctionnement », de « procédures », de « professionnalisme ».

Bien sûr que cela compte, mais le libéralisme assumé du gouvernement Macron et plus généralement les évolutions de l’Etat bourgeois n’a de leçon à donner à personne, il est le premier responsable de la situation produite par ce terrible incident et de toute façon, tout sera fait pour faire peser sur l’opératrice, voire sur le pompier qui a reçu avant elle l’appel, l’entièreté de la responsabilité de la mort de Naomi Musenga et dans le meilleur des cas, les opératrices bénéficieront de quelques heures de formation bidon à l’« éthique », de quelques recrutements non significatifs.

Mais rien ne sera fait pour changer les conditions inacceptables du travail des services d’urgence. Et nécessairement, implacablement, un tel drame se reproduira. Les faits sont têtus.

Les personnes de Gauche exigent que personne ne soit délaissé, surtout pas et jamais une personne appelant à l’aide, exigent de chaque personne un haut niveau de culture et ne pardonnent donc pas le racisme et les préjugés assassins, mais elles savent identifier et ordonner les problèmes, que la lutte est avant tout politique, systématique et que le pouvoir est la question principale.

L’indignation populaire doit se saisir de cette affaire et se soulever contre Agnès Buzyn, contre le Ministère de la Santé et sa politique libérale meurtrière qui est coupable de la mort de Naomi Musenga et de tant d’autres fautes.