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Les Arméniens de France doivent se placer sous le drapeau de la démocratie, ici et en Orient

La Gauche française sait qu’il faut observer l’Orient avec attention. Et ceux et celles qui sont dans la perspective de la Gauche historique constatent depuis le début du conflit qui a ravagé le Karabagh arménien que le nationalisme turc comme le nationalisme arménien, en dépit d’une évidente dissymétrie, sont néanmoins les deux faces de la même pièce.

Si le nationalisme turc du régime d’Aliev et celui du régime d’Erdogan portent au premier rang la responsabilité de l’épuration ethnique en cours au Karabagh arménien, le nationalisme arménien a aussi une lourde responsabilité dans ce processus, qu’il est impossible, et criminel, de contourner. Prenons le temps ici de développer cette affirmation en s’adressant aux Arméniens de France.

La communauté arménienne de France est concrètement divisée en deux ensembles relativement différents. D’abord, il y a un bloc issu des réfugiés ottomans ayant fuit le Génocide, les persécutions de la Première Guerre mondiale et de ses suites, parlant formellement, quand ils le connaissent, l’arménien ottoman (dit « occidental » ou Արեւմտահայերէն).

Ceux-là sont le plus souvent très intégrés au reste de la société française et actif essentiellement sur le plan associatif en matière culturelle ou par l’organisation d’œuvres caritatives et solidaires, avec un goût prononcé pour l’expression intellectuelle de leur appartenance nationale. Mais en raison de leur histoire comme du cadre national français dans lequel ils se sont construit comme minorité nationale, ils cèdent trop souvent à l’essentialisme et au romantisme idéalisé.

Timbre arménien de 2015 en l’honneur de Missak Manouchian, une figure arménienne du mouvement communiste en France et de sa Résistance

Il y a ensuite, un ensemble plus récent composé de migrants venus de la République d’Arménie depuis 1991 et parlant la variante dite « orientale » de l’arménien ou Արևելահայերեն. Cette seconde population est souvent plus communautaire, exprimant aussi plus volontiers un nationalisme chauvin visible, parfois outrancier et formellement militarisé. Toutefois, c’est souvent pour fuir justement le régime corrompu et militarisé de Yerevan, ainsi que les dangers du service militaire pour leurs jeunes garçons, qu’ils ont décidé de quitter l’Arménie.

Si ces deux composantes sont différentes sur bien des plans, elles ont logiquement communié dans leur réaction face à la tragédie du Karabagh. Notons qu’elles appellent souvent à utiliser le terme Artsakh a toutes les sauces – depuis que les séparatistes arméniens du Karabagh ont décidé de proclamer sous ce nom l’indépendance de leur territoire – comme solution romantique à l’impasse dans laquelle le séparatisme a jeté le Karabagh arménien depuis 1994. Il y a une idéalisation de l’Arménie d’un passé lointain.

Leur détresse commune face à l’effondrement de celui-ci vient d’abord de l’écho épouvantable du Génocide de 1915 et des persécutions qui ont encore suivies la Première Guerre mondiale. Forcément la brutalité de ce drame actuel renvoie au Génocide : encore une fois il est question d’une volonté d’exterminer la nation arménienne sur son sol, encore une fois c’est un nationalisme turc qui accomplit cette extermination.

On pourrait toujours dire que les destructions et les victimes sont sans commune mesure avec l’ampleur du Génocide de 1915 (que les Arméniens appellent la « Grande Catastrophe »). Mais les effets qualitatifs sont exactement les mêmes et prolongent en effet l’effondrement de l’Empire ottoman, dont ne sont sortis ni les Arméniens, ni les Turcs, ni même l’ensemble des peuples orientaux en réalité.

L’empire ottoman à son apogée

La brutalité des nationalistes turcs, leur racisme forcené à l’égard des Arméniens et le fait surtout qu’ils nient obstinément et jusqu’à l’absurde tous les crimes des régimes génocidaires les ayant précédés (et pire encore qu’ils entendent poursuivre sans relâche) constituent un mur de haine sur lequel la douleur arménienne se fracasse. Ainsi sont bloquées les perspectives de réconciliation, l’élan de la culture et de la démocratie, que recherchent pourtant très largement l’immense majorité des Arméniens avec une grande dignité. C’est la dignité de cette quête qui vaut en grande partie la sympathie très largement partagée au sein des masses françaises pour cette composante de sa population.

Les Français apprécient énormément les Arméniens, ils respectent leur douleur. C’est un fait indéniable.

Cependant, face au nationalisme turc outrancier, les Arméniens ont raté leur rendez-vous avec l’universel. Et particulièrement en France ! Ce qui est un échec terrible qu’il faut analyser pour le corriger. Face au nationalisme turc et au traumatisme non réparé du Génocide, les Arméniens, même en France, ne sont pas parvenus à aller à la Démocratie, à la réconciliation et à développer un processus de rencontre avec les Turcs. La question du Karabagh en particulier a ici profondément pesé dans ce processus.

Face au nationalisme turc, les Arméniens, même en France, ont symétriquement développé pour eux-mêmes un nationalisme similaire, recyclant à leur manière l’Ancien Régime ottoman par lequel les Arméniens se sont constitués historiquement en tant que nationalité, se piégeant dans un face à face dissymétrique et sans issue, qui alimente l’épouvantable processus qui mène à leur propre destruction au bout du compte.

Des exemples des propos occidentalistes d’une lettre ouverte au ministre des Affaires étrangères, publiée dans Marianne et écrite par Robert Guédiguian , Simon Abkarian et Serge Avédikian, du milieu du cinéma français,

Sans qu’il soit ici question de développer la question du nationalisme arménien en tant que tel, il s’agit de voir quels ont été ses effets sur les Arméniens de France. Dans les grandes lignes, il a abouti à développer deux postulats aussi erronés l’un que l’autre qui ont progressivement mais implacablement piégé les Arméniens pour les conduire au gouffre dans lequel les Arméniens du Karabagh ont été précipités, et qui pourrait entraîner ensuite l’État arménien lui-même si rien n’est fait pour enrayer cette sinistre spirale.

Le premier de ces postulats, est la nécessité pseudo-existentielle d’une « Grande Arménie » sur le plan géographique, comme reflet d’une « Arménie éternelle » sur le plan historique.

À proprement parler, il est tenu pour évident que des choses historiquement aussi différentes que le royaume persan hellénisé des Artaxiades comme Tigrane le Grand, ceux des Parthes Aracides d’Arménie, des Bagratuni et de leurs successeurs, y compris en Géorgie d’ailleurs ou dans les émirats kurdes voisins, ou encore le royaume arménien de Cilicie relèveraient d’une seule et même chose : tout cela ce serait l’Arménie.

Plus exactement, cela est posé comme base de la légitimité territoriale à constituer une « Grande Arménie » à notre époque. Ce qui est nié par contre, c’est toute la période ottomane, à l’exception du Génocide, et toute la période soviétique, entre la courte indépendance de l’Arménie nationale autour de Yerevan, et l’indépendance de la RSS d’Arménie en 1991.

Carte de l’Arménie à l’apogée de son expansion sous la dynastie des Artaxiades, influencée par les Perses et les Hellènes (Source : Wikipedia)

Il y a ici toute une vue dominée par la géopolitique, prolongeant l’agression impérialiste sur l’Orient menée par les puissances capitalistes d’Europe occidentale à partir du XIXe siècle.

La France pour ce qui nous concerne, avec ses institutions comme l’INALCO notamment, a conduit une vaste offensive culturelle appuyant le développement du nationalisme arménien, en lui donnant une base scientifique et formellement pseudo-rationnelle de grande envergure. Par exemple, le rôle de la Revue des Études Arméniennes fondé par les linguistiques Frédéric Macler et Antoine Meillet en 1920 à Paris, est significatif de ce romantisme idéalisant l’Arménie. Quand on sait aussi que le fanatique des indo-européens Georges Dumézil en a aussi été le directeur, on aura en réalité tout dit.

Cela ne veut pas dire que cet effort savant n’a pas produit des avancées de grande valeur, mais il a alimenté depuis le début sur le plan culturel le nationalisme arménien dans ce qu’il avait de plus chauvin. Ni plus ni moins.

Le Traité de Sèvres de 1920 justement est la traduction politique de cette vue française sur l’Arménie. Le tracé de celle-ci sur la dépouille de l’Empire ottoman vaincu, dont le refus sera à la base du nationalisme revanchard de Mustafa Kemal, le futur Atatürk, est ce qui a entraîné ensuite la fondation en 1924 de la République de Turquie, à la fois comme liquidation de l’Empire ottoman et comme refus du Traité de Sèvres. Et donc aussi forcément de la « Grande Arménie ».

Le face à face du nationalisme turc et du nationalisme arménien part en réalité de ce point, qui conditionne toute la relecture ensuite du passé, y compris du Génocide, qui devrait tout légitimer pour les uns et qui doit totalement être nié pour les autres.

Seule la Révolution soviétique a permis de rompre avec cet engrenage destructeur, mais de manière incomplète. La Guerre Froide a permis de poursuivre le développement de ces nationalismes orientaux, soutenus par les impérialismes selon les intérêts du moment. Cela d’autant mieux qu’en URSS même, une fois devenue expansionniste dans les années 1950-1960, a entraîné le développement d’expressions nationalistes chauvines dans tout le pays, autant appuyées par des organisations dissidentes que par des oligarques corrompus. Mais toute cette dynamique décadente a été vu en Occident comme un « réveil » national et démocratique.

À l’indépendance en 1991, la question du Karabagh était devenue brûlante. Le fait que des Arméniens y faisaient face à des Turcs avait aussi tout pour galvaniser les Arméniens français dans leur nationalisme. La focalisation sur le territoire a aussi entraîné des effets terribles pour les Arméniens soviétiques, dont un tiers vivaient hors de la RSS d’Arménie, comme le montre le tableau suivant.

Mais ce qui comptait plus que tout, c’était l’orgueil territorial. Le développement des Arméniens hors de la République soviétique n’a jamais eu aucune importance pour les Arméniens de France, et rien n’a donc été fait pour sauver les Arméniens d’Azerbaïdjan ! Il y a eu simplement un appui romantique au séparatisme du Karabagh, comme seule solution aux pogroms et au nationalisme exterminateur qui se développait à Bakou. À partir de là, en dépit de la victoire arménienne, la polarisation n’a fait que se renforcer, jusqu’à l’effondrement actuel du Karabagh arménien.

On en est revenu donc aux années 1920 dans le Caucase sur le plan politique. Mais en pire, forcément. Seule la Géorgie a pu, bien difficilement, conserver la tentative démocratique d’unir les nationalités caucasiennes dans une nation commune qu’avait construit l’Union soviétique. Y compris d’ailleurs avec une communauté arménienne forte, majoritaire même au Javakh, région à la frontière de l’Arménie.

Mais la tentative démocratique soviétique a été vue toute entière par les Arméniens de France comme une « colonisation » impériale. Une lecture que les courants post-modernes depuis les années 1970 n’ont bien sûr pas manqué d’appuyer. Et la remise en cause de ces « frontières » a été comprise comme une émancipation. Il était donc convenu qu’Arméniens et Turcs ne pouvaient cohabiter, sinon à titre exceptionnel, et que la séparation territoriale devait être la règle.

Et comme corollaire à la chimérique « Grande Arménie » à reconquérir, le séparatisme territorial s’est doublé de la certitude de l’impossibilité, malheureuse mais « pragmatique », à construire une vie commune avec les Turcs. Là aussi, le passé soviétique en particulier met en défaut cette évidence nationaliste. Cela est si vrai que l’on peut entendre les arméniens nationalistes de France à la fois dénoncer les « frontières machiavéliques de Staline » tout en soulignant la nostalgie, incontournable pour qui connaît l’Arménie post-soviétique, de la vie commune et pacifique permise aussi longtemps que l’URSS a porté la ligne d’unité démocratique des peuples caucasiens.

On ne voit pour ainsi dire jamais les Arméniens de France mettre en avant dans leur presse ou dans leurs productions l’existence des Turcs d’Arménie, qui constituaient une composante de l’Arménie soviétique, tout comme les Arméniens en constituaient une de l’Azerbaïdjan ou de la Géorgie soviétique… Sinon pour dire que ces composantes aurait du être séparées territorialement et que cette ségrégation aurait évité les guerres actuelles !

Mais en fait, l’existence du peuple arménien comme nationalité ne se résume pas à une question territoriale, tout comme l’auto-détermination ne se résume à l’indépendance d’un État arménien qui rassemblerait tous les Arméniens. S’il faut défendre l’État arménien, il faut aussi penser la situation des Arméniens hors de cet État. Et cela il faut le penser sur le plan territorial comme sur le plan culturel, dans le cadre des nations voisines dont les Arméniens ne sont pas séparés, mais dont ils sont une composante indiscutable. Tout comme les autres minorités nationales, particulièrement les Azéris, auraient du être des composantes de l’État arménien.

Sur ce point, si on peut reprocher une chose aux « frontières » soviétiques, qui n’en étaient d’ailleurs pas fondamentalement, ce n’est pas d’avoir « disperser » les Arméniens, mais de ne pas avoir réussi à dépasser définitivement les chauvinismes des uns et des autres.

Troupe de théâtre azérie de l’Opéra d’État de Yerevan en 1939

On entend aussi jamais parler des liens culturels justement des Arméniens et de leurs voisins, en particulier Azéris, visibles dans la musique, ou encore la cuisine par exemple. Mais si on ne met jamais en avant cette base, cet héritage commun, et en particulier la valeur démocratique du passé soviétique, alors que reste-t-il ?

Il reste très exactement la situation actuelle qui en est la conséquence : il faudrait la Grande Arménie, séparée de la Turquie et de ses satellites, mais il ne faudrait pas la guerre. Il faudrait effacer l’héritage et les liens nationaux entre Arméniens et Turcs, mais il ne faudrait pas le racisme. Il faudrait le Karabagh, mais il le faudrait sans les Turcs. Il faudrait l’Arménie libre, sans le joug de la Russie, mais il faudrait que les Occidentaux s’en mêlent. Il faudrait se battre à mort pour la patrie, mais sans que la jeunesse n’en paie le prix.

A vrai dire, ce dernier point a été même sans doute le plus grand désaveu du nationalisme arménien. Malgré les appels aux volontaires face à l’agression du régime d’Aliev, il n’y a pas eu de « levée en masse » ou de milliers de volontaires prêts à faire barrage à l’Azerbaïdjan. Les illusions romantiques du nationalisme arménien se sont ici heurtées à une dure réalité : il n’y a pas eu de guerre populaire, la jeunesse arménienne n’a pas voulu mourir pour le Karabagh. Le nationalisme arménien était un tigre de papier, il a oublié que seules les masses comptent. Il leur a tourné le dos pour s’élancer dans ses chimères à toute force, pensant que les masses suivraient. Cela n’a pas été le cas. Impossible de contourner ce fait.

Vive la prospérité et la vie culturelle des kolkhozes et des kolkhoziens! (1938)

À la vérité, ce qui réparera le Génocide des Arméniens, ce n’est pas le projet impérialiste de dessiner des frontières injustes pour s’appuyer sur les uns contre les autres, jouant artistiquement des flatteries et des ressentiments comme savent si bien le faire les géopolitologues bourgeois. Ce qui libérera les Arméniens ce n’est pas le séparatisme territorial niant la vie commune et bloquant toutes perspectives d’avenir en offrant à la jeunesse qu’une vie en enclos, au milieu du militarisme et de la corruption, en attendant la prochaine apocalypse.

Ce qui permettra l’auto-détermination des Arméniens ce n’est pas le chauvinisme national et ses délires démagogiques précipitant le peuple arménien dans l’abîme par un face à face orgueilleux et suicidaire avec le nationalisme turc.

Ce qu’il faut en défense des Arméniens et de l’Arménie, c’est produire une Nouvelle Démocratie, rompant avec le séparatisme forcené, rompant avec les illusions impériales de la Grande Arménie, rompant donc aussi avec le romantisme appuyée par l’orientalisme français. C’est aussi défendre l’État arménien et les minorités nationales arméniennes qui composent les autres États d’Orient dans le cadre d’une affirmation de l’universel et de la fraternité entre les peuples.

Il est impossible d’oublier l’Orient pour qui veut défendre la Démocratie et le droit des peuples. Face aux exigences de notre époque, les Arméniens de France doivent être à la hauteur et rejoindre l’avant-garde qui combat pour affirmer ce futur. Il en va du sort des Arméniens, de l’Arménie, comme du sort du monde !

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Les réactions internationales à l’effondrement du Karabagh arménien: un pas en avant vers la guerre générale

La guerre au Karabagh, l’effondrement de l’organisation de la population arménienne de celui-ci lors du conflit ainsi que la victoire de l’Azerbaïdjan, largement appuyé par la Turquie, constitue une nouvelle étape de la désagrégation de l’Orient.

Celui-ci qui se fracture toujours plus en bloc aux contours de plus en plus nets. La crise capitaliste qui se généralise et que traversent les puissances impérialistes accélère la décomposition des sociétés orientales.

Celles-ci, déjà très fragiles, sont déstabilisés toujours plus, précipitant toujours plus loin les régimes corrompus et militarisés de ces pays dans la fuite en avant nationaliste et guerrière. En observant les conséquences et les réactions internationales à la fin de ce conflit, on voit ainsi se dessiner les tendances contre lesquelles la Gauche doit lutter sur le plan international.

En Arménie et en Azerbaïdjan : le renforcement du nationalisme chauvin

La guerre a eu d’abord pour double effet de sidérer et de galvaniser les masses populaires en Arménie. La capitulation, qui était de toute façon inévitable au vue du rapport de force et de la situation militaire, ainsi que la lourde défaite, ont sidéré les populations arméniennes du Karabagh qui ont dû se réfugier en Arménie au cours de la guerre. La détresse est particulièrement vive bien sûr concernant les habitants des villages ravagés par l’armée azerbaïdjanaise et désormais annexés, et en particulier pour les habitants de Shushi, qui ont absolument tout perdu.

Mais d’une manière générale, l’ensemble des Arméniens du Karabagh sont effondrés. La brutalité de la conquête, tout comme les perspectives totalement bloquées, alors que la situation antérieure était déjà particulièrement difficile, ne laissent pas de place à l’espoir. La cohabitation avec les futurs colons azéris ou turcs et les exactions redoutées à juste titre, comme les pressions et le progressif étranglement du territoire que redoutent les réfugiés, les poussent à se résigner à ne pas revenir dans leur foyer ou à planifier un exode définitif.

Le mur implacable de ces blocages est cependant totalement nié par une partie de la société arménienne, galvanisée et aveuglée par tout le socle des mensonges et des prétentions nationalistes grandiloquentes entretenues depuis des années et des années. L’opposition pro-russe, appuyée par les oligarques que le soulèvement de 2018 avait bousculés, se montre particulièrement offensive, et cherche à mettre toute la défaite sur le compte de Nikol Pashniyan, le dirigeant actuel, qui avait incarné le rejet du régime militariste pro-russe et corrompu, sur une ligne libéral-nationale. Les dirigeants des partis d’opposition appellent désormais ouvertement au renversement de Pashinyan et au coup d’État.

Symétriquement, la société azerbaïdjanaise est elle aussi galvanisée par son propre chauvinisme. La victoire de son armée et notamment la prise hautement symbolique de Shushi a été fêté avec une grande ferveur nationaliste dans les grandes villes. Il est certain que là aussi c’est l’aile la plus chauvine qui se renforce, au sein d’un régime déjà particulièrement nationaliste et raciste à l’égard des Arméniens.

Le discours du Président Ilham Aliev annonçant la victoire est bien entendu complètement allé dans ce sens, appuyant autant qu’il l’a pu l’humiliation des Arméniens et renforçant le sentiment chauvin flattant les préjugés suprématistes les plus caricaturaux, y compris en un sens religieux. Rien bien entendu n’a été dit de ce côté des réfugiés arméniens, des mines antipersonnel, des destructions et des morts, ni du devenir du patrimoine culturel. La perspective d’une réconciliation est ici tout simplement évacuée au profit de la rhétorique martiale de l’écrasement génocidaire. Il n’est pas question d’autre chose que de « faire payer » les Arméniens, de les chasser « comme des chiens » du territoire reconquis.

Le premier ministre arménien et le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev lors de la conférence de Davos, en janvier 2019, la photographie étant diffusé par le bureau de la présidence d’Azerbaïdjan.

Cependant, il faut dire aussi que la propagande de guerre azerbaïdjanaise a joué aussi sur un autre ressort, celui de la nostalgie du passé soviétique. Le député Tural Ganjaliyev, représentant au Parlement azerbaïdjanais le territoire séparatiste du Karabagh, a lancé un appel à la réconciliation nationale et a voulu assurer aux Arméniens du Karabagh que la reconquête n’avait pas de perspective d’épuration ethnique, que les biens, le patrimoine culturel tout comme les personnes seraient protégés et que la vie commune reprendrait comme lors des temps les plus pacifiques de l’époque soviétique. Il a mobilisé pour cela des images très concrètes :

« Nous n’avons pas oublié nos anciens jouant au nardik [très similaire au backgammon] sous les arbres ou autour d’un thé.

Nous n’avons pas oublié les gens se promenant ensembles dans les parcs, flânant dans les cafés, les restaurants, dans le bon air de nos montagnes.

Nous n’avons pas oublié la participation commune des athlètes arméniens et azeris dans les compétitions sportives. Nous n’avons pas oublié les jours où nous partagions ensemble les joies et les peines des uns et des autres ».

Un tel discours qui tranche avec les provocations outrancière du Président Ilham Aliev et avec la réalité du terrain, s’explique par la profonde empreinte démocratique de l’époque soviétique sur l’Azerbaïdjan, et d’ailleurs aussi sur l’Arménie, qui n’existe plus que comme nostalgie, mais qui constitue néanmoins une base très concrète pour faire pièce au chauvine racial ou nationaliste qui se développe avec l’appui du régime.

Sur ce point, il faut aussi avoir à l’esprit que contrairement à l’Arménie, l’Azerbaïdjan n’est pas un État ethnique, et que le chauvinisme turc porté par Ilham Aliev, et plus encore par la faction pan-touranienne de son épouse, n’a pas une prise totale sur la société azerbaïdjanaise, qui sans forcément se sentir concernée par les offenses racistes visant les Arméniens, par exemple l’interdiction depuis 2002 de porter un nom en –yan pour les citoyens nationaux, ne voit pas pour autant d’un bon oeil les manifestations trop ouvertes de chauvinisme turc.

Les réactions internationales à la fin du conflit : vers une logique de bloc contre bloc

À l’étranger, la victoire azerbaïdjanaise a aussi été saluée bien entendu par le gouvernement de la République de Turquie. Mais malgré l’engagement très clair au côté de l’Azerbaïdjan, cela n’a eu aucun effet populaire significatif, malgré les accents là aussi ultra-chauvins de l’exécutif turc. Il est à remarquer toutefois que pratiquement tous les ministres du gouvernement turc y sont allés de leur déclaration, saluant une victoire qui rendrait « sa fierté aux Turcs du monde entier » selon le Ministre des Affaires Étrangères Mevlut Cavusoglu. Pas moins.

Le Président Recep Tayyip Erdogan, a lancé concrètement tout un programme devant appuyer la colonisation des terres conquises et l’épuration ethnique et culturelle appelé : « Souffle pour l’avenir, souffle pour la Terre », que chaque ministre du gouvernement est appelé à décliner selon son domaine de compétence, y compris dans le domaine des services de sécurité… D’abord dans ce domaine même à n’en pas douter! Ainsi le 10 novembre étaient déjà en visite en Azerbaïdjan plusieurs figures étatiques turques : le ministre des affaires étrangères Mevlüt Çavuşoğlu, le ministre de la défense Hulusi Akar, le chef des services secrets Hakan Fidan.

La photo officielle de la rencontre turco-azerbaïdjanaise, publiée par la présidence d’Azerbaïdjan

Sur ce point néanmoins, la Russie opère un retour offensif particulièrement marqué. L’armée russe avait déjà le contrôle de la frontière entre l’Arménie et la Turquie et une énorme base militaire dans le nord de l’Arménie, à Gyumri, historiquement le point d’appui de l’occupation russe au Sud-Caucase, qui avait doublé ses capacités déjà en 2019.

Elle obtient désormais le contrôle des frontières avec l’Azerbaïdjan, et le déploiement pour 5 ans renouvelable d’un contingent de plusieurs milliers de soldats au Karabagh, dans la partie restée arménienne et sur les principaux points d’accès restants. En outre, le régime russe ne peut que se satisfaire des effets de la capitulation arménienne sur la politique intérieure arménienne, puisque les velléités portées par le régime de Pashinyan, bousculé déjà depuis le début de l’année par l’opposition, ont perdu leur crédibilité au profit des nationalistes pro-russes. La satellisation de l’Arménie n’a jamais était aussi complète depuis son indépendance.

En Azerbaïdjan aussi la Russie consolide ses positions, puisqu’elle apparaît comme le meilleur pendant à une influence trop prononcée de la Turquie qui n’est pas du goût de toute la société, y compris dans l’encadrement militaire. Sur le plan militaire, la Turquie compte néanmoins accroître son influence et sa présence au Nakhitchevan, dans les parties reconquises du Karabagh et sur le corridor d’accès devant traversé le Zanguézour arménien.

Sev Ghul , la sentinelle noire, forteresse russe construite en 1834 et désormais sur la base militaire russe de Gyumri

En Iran, si le régime a pris position durant la guerre plutôt en faveur de l’Azerbaïdjan, dans le sens de la reconnaissance de ses frontières légitimes, aucun soutien militaire ou diplomatique significatif n’a pour autant été apporté au régime de Bakou. Le ministère des Affaires étrangères iranien a apporté sont total soutien à la solution russe et au déploiement de soldats russes au Karabagh.

Il a mollement appuyé la nécessité de voir les réfugiés arméniens revenir sur les terres conquises et appelé au respect de leurs droits, rappelant au passage ses liens avec l’Arménie et le fait que des Azéris et de Arméniens cohabitaient pacifiquement en Iran (les premiers formant au moins 15% de la population, les seconds moins de 1%). La principale source d’inquiétude de l’Iran vient de l’influence turque et de l’envoi de mercenaires jihadistes, Téhéran ayant appelé fermement au renvoi de ces milices. La presse iranienne a sobrement rendu compte de l’accord de paix, soulignant davantage le désarroi arménien, avec une sympathie manifeste, que la victoire azerbaïdjanaise et ses élans outranciers.

En Orient, seul le Qatar s’est réjouit à la victoire de l’Azerbaïdjan, mais cela ne constitue pas une surprise au vue des liens stratégiques entre ce pays et la Turquie. Au contraire, l’Égypte s’inquiète et condamne l’expansionnisme d’Ankara et son influence au Sud-Caucase, comme ailleurs en Orient. Malgré leur rhétorique islamique, les nationalistes turcs et leurs alliés azéris voit donc se consolider face à eux au moins deux blocs parmi leurs voisins : l’un emmené par l’Iran, derrière lequel se trouve aussi la Russie et la Chine au-delà, et l’autre autour de l’Égypte, de l’Arabie Saoudite et des Émirats, dans lequel Israël s’intègre de plus en plus, compliquant son soutien jusque-là constant à Ankara et à Bakou.

Photo de l’interview du président d’Azerbaïdjan par le Figaro, publiée par la présidence d’Azerbaïdjan

Les puissances occidentales semblent être pour le moment hors jeu. L’expansionnisme agressif de la Turquie s’est élancé de manière unilatérale, et entame partout la solidité des liens du régime avec ses alliés occidentaux. Le soutien militaire, notamment de la France, se tourne de plus en plus vers le bloc autour de l’Égypte et de ses alliés du Golfe. Dans cette perspective, le conflit du Karabagh n’est pas une menace prioritaire, d’autant qu’il fragilise aussi l’Iran indirectement. Mais l’accroissement de l’influence turque et son agressivité démultipliée pose forcément problème. Il est aussi à voir quelle orientation prendra la diplomatie américaine dans cette région.

Ce qui est clair, c’est que des blocs se dessinent toujours plus nettement, et ce conflit marque une étape inquiétante dans ce sens, dans celui de la marche à la guerre.

Avec la crise, et cela partout, les régimes nationalistes et chauvins, le militarisme et sa rhétorique, apparaissent comme renforcés, au détriment des peuples, de leur existence, et d’abord ici bien sûr au détriment des Arméniens du Karabagh. Mais plus généralement, c’est le piège du nationalisme agressif, c’est la mâchoire terrifiante de la guerre qui avance dans toutes les directions. L’échec des « printemps arabes » (poussé par le Qatar) et en particulier la guerre civile en Syrie avait ouvert un terrible brèche en ce sens. Mais il faut avoir conscience qu’une étape est ici franchie, impliquant des invasions, l’expansionnisme en mode « impérial » dont la Turquie est ici un exemple particulièrement agressif, et la constitution de blocs. C’est la tendance marquante sortant naturellement de la crise.

La Gauche a maintenant une responsabilité historique : elle doit déjouer cet engrenage, affirmer le droit à l’auto-détermination des peuples dans une perspective démocratique et pacifique, dénoncer tous les nationalismes, démonter tous les chauvinismes et refuser la fuite en avant criminelle et suicidaire dans la guerre, bloquer les jeux des puissances impérialistes ou expansionnistes et leur géopolitique militaire et tyrannique, qui partout bloque la paix, dresse des murs et des barbelés entre les peuples, jette les uns sur les routes, détruit, pille, conquiert et galvanise les autres dans des « victoires » dans lesquelles toutes les valeurs de notre commune Humanité s’effondrent.

En un mot, la Gauche se doit de réaffirmer l’Internationale et la Démocratie Populaire, comme seul et unique rempart à la barbarie qui avance !

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La cisjordanisation du Karabagh arménien

Ce qui reste de la « République d’Artsakh » va connaître un processus d’étouffement et de satellisation, de manière similaire à ce que va connaître l’Arménie.

Le premier ministre arménien, Nikol Pachinian, a tenu un discours le 12 novembre 2020, où il est absolument clair sur le fait que l’Azerbaïdjan a gagné militairement et qu’il s’agissait, au moyen d’un accord, de tenter de sauver ce qui pouvait l’être. Il expose de la manière suivante la situation :

« Le président de l’Artsakh a averti que, si les hostilités ne s’arrêtaient pas, nous pourrions perdre Stepanakert en quelques jours et, selon certains scénarios, même en quelques heures (…).

Si nous avions perdu Stepanakert, qui, comme le président de l’Artsakh Arayik Harutyunyan l’a déjà confirmé dans ses remarques publiques, était dans l’ensemble sans défense à l’époque, alors Askeran et Martakert auraient été perdus de manière prévisible et inévitable.

Tout simplement parce que ces villes étaient à l’arrière au moment où la guerre a commencé car elles étaient assez éloignées de la ligne de front et manquaient de structures défensives et de fortifications. Il n’y avait pas non plus assez de forces combattantes capables de défendre ces villes.

Et que se passerait-il après la chute de ces villes ? Les deuxième, troisième, quatrième, cinquième, sixième, septième défenses de l’armée de défense seraient assiégées par l’ennemi, ce qui signifie que plus de 20000 soldats et officiers arméniens auraient pu se retrouver encerclés par les troupes ennemies, risquant inévitablement d’être tués ou capturés. Dans ces conditions, bien entendu, la chute des régions de Karvachar et Kashatagh aurait été inévitable, conduisant à une catastrophe complète. »

Le premier ministre arménien explique pourtant en même temps à l’opinion publique arménienne que la « République d’Artsakh » aurait désormais davantage de chance d’être reconnue. C’est évidemment mensonger et ne vise qu’à calmer une très grande agitation nationaliste en Arménie. L’opposition est vent debout et le même jour que le discours, ses dirigeants ont été arrêtés.

Ce qui est réclamé, c’est ni plus ni moins que le retrait des forces russes d’interposition et la reprise d’une guerre censée repousser l’Azerbaïdjan et reprendre les territoires perdus, conformément aux plans d’une « grande Arménie ».

Tout cela relève de la fiction, une fiction largement partagée dans la diaspora, le média français armenews.com (Nouvelles d’Arménie magazine) étant un exemple de cela avec une rhétorique guerrière, expansionniste, nationaliste-religieuse, etc. Une fiction bien entendu aux dépens du peuple arménien du Karabagh et du peuple arménien en général.

Le Caucase, c’est en effet comme les Balkans : si les petits peuples luttent les uns contre les autres, ils se massacrent et passent sous la coupe de grandes puissances. S’ils s’unissent, alors par la Démocratie ils peuvent avancer et progresser.

Maintenant, les nationalistes pro-grande Arménie portent la responsabilité de la satellisation des Arméniens, de leur étouffement, de leur effacement même.

Panneaux à Yerevan : marché de Rostov sur le Don à 7 mètres, Stepanakert (au Nagorny Karabagh) 332 km, Dubai 1951 km

Il suffit en fait de regarder la carte de la « République d’Artsakh » pour comprendre comment elle est prise en étau et comment elle va se faire immanquablement phagocyter par l’Azerbaïdjan. Pour saisir ce qui va se passer, il suffit de regarder ce qui se passe en Cisjordanie, avec Israël grignotant au fur et à mesure des territoires et faisant en sorte que, dans tous les cas, ce qui reste de la Cisjordanie soit totalement satellisée.

La « République d’Artsakh » est encerclé ; l’Arménie, pays au régime corrompu, est à genoux économiquement et n’a les moyens de rien. Il n’y aura donc pas d’investissements, alors qu’en plus les réfugiés ne reviendront pas pour la plupart. Inversement, l’Azerbaïdjan va investir massivement pour faire en sorte que toute la zone autour soit extrêmement solide. L’Azerbaïdjan va déverser des pétro-dollars d’un côté, l’Arménie ne va rien pouvoir faire du tout.

Il va y avoir par conséquent un décalage énorme entre les deux territoires, aux dépens du Karabagh arménien qui comme on le voit sur la carte est à un endroit coupé en deux par une bande azérie. Impossible de procéder à un développement dans un territoire déjà isolé !

Source : Wikipédia

Il faut ajouter à cela les dévastations militaires, les mines partout, le climat délétère, la désorganisation, la pression existante et future, avec forcément des provocations, des chicanes administratives, des contrôles policiers et militaires, etc. Pour exister, la « République d’Artsakh » ne repose en fait que sur la médiation russe : la Russie va faire la pluie et le beau temps sur le Karabagh arménien, et même sur l’Arménie d’ailleurs.

L’Arménie, déjà un satellite russe, avait secoué ce joug avec le premier ministre actuel Nikol Pachinian nommé en 2018, mais là l’échec est complet. Les forces russes reviennent en force en Arménie, notamment avec, au sud du pays, la question du corridor devant relier l’Azerbaïdjan à la région du Nakhitchevan, la région arménienne de Syunik se trouvant désormais pris en sandwich par les deux. Au nord du pays, il y a déjà une très importante base russe.

Le peuple arménien mieux que tout autre ici doit comprendre qu’il est au pied du mur. Ses préjugés nationalistes et ses illusions chauvines ne l’ont ni protégé ni même préservé du pire. L’épouvante du Génocide qui pèse sur l’esprit des Arméniens ne sera pas dépassé par la ségrégation territoriale voulue et l’affrontement permanent avec les peuples turcs.

Le peuple arménien n’a ainsi plus le choix. La chimérique « Grande Arménie » relève d’une idéologie réactionnaire et par ailleurs impossible. Ce qui compte avant tout, ce qui compte plus que tout, c’est préserver la vie et l’existence du peuple arménien. Et pour exister, il faut la Démocratie, l’amitié de tous les peuples.

Sans cela, le peuple arménien va se faire lentement mais sûrement étouffer et se faire effacer. Maintenant, voici le choix historique à prendre : ou le peuple arménien se tourne vers l’universel et porte cette nouvelle démocratie à venir, seule capable de démolir à son tour les préjugés et le nationalisme turc, soit il s’effondre toujours plus dans ses propres préjugés et s’éteindra dans le nationalisme.

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Guerre

Novembre 2020: l’effondrement du Karabagh arménien

L’offensive turco-azérie sur le Nagorny-Karabagh était entrée dans une nouvelle phase avec la conquête de la ville de Chouchi, ancienne citadelle verrouillant la région de la capitale du territoire, Stepanakert. La prise de ce verrou et les conséquences de l’exode de masse provoqué par la guerre ont ouvert la voie à cette tragique évidence : le Karabagh arménien vit sans doute ses derniers jours en tant que tel, alors que le président arménien est parvenu à trouver un accord in extremis, satellisant l’Arménie.

Le premier ministre arménien Nikol Pashinyan, après avoir martelé pendant des semaines un discours martial et triomphaliste, a annoncé qu’un accord de cessation de la guerre avait été réalisé avec l’Azerbaïdjan, par l’intermédiaire de la Russie. C’est une double défaite pour celui qui prétendait émanciper l’Arménie de la tutelle russe et réaliser en pratique les objectifs d’une grande Arménie. C’est le contraire qui se réalise : l’Arménie devient encore plus un satellite russe, alors que le Nagorny-Karabagh rentre dans un processus de désagrégation aux dépens des Arméniens y vivant.

Le message du président est très clair sur le sens de cette défaite, même s’il prétend qu’il n’y a ni vainqueur, ni vaincu.

« Chers Compatriotes, sœurs et frères,

J’ai pris une décision personnelle grave, extrêmement grave pour moi et pour nous tous. J’ai signé avec les présidents de Russie et d’Azerbaïdjan une déclaration mettant fin à la guerre du Karabagh à une heure. Le texte de la déclaration, qui a déjà été publié, est indescriptiblement douloureux pour moi et pour notre peuple.

J’ai pris cette décision après avoir analysé en profondeur la situation militaire et sur la base de l’avis des personnes qui maîtrisent le mieux cette situation. Également en me fondant sur la conviction que vue la situation, c’est la meilleure solution possible.  »

L’accord prévoit en effet un retrait des troupes arméniennes de nombreux secteurs,  avec obligation d’un libre passage par l’Arménie entre la République d’Azerbaïdjan et la République autonome du Nakhitchevan. Le tout est supervisé par l’armée russe qui sera présente dans ces zones comme en Arménie !

C’est la conséquence d’une défaite militaire. Les deux principales routes du Karabagh étaient pratiquement coupées, il y avait une offensive azérie depuis le nord (la plaine de Martuni, qui permet ensuite de rejoindre le lac Sevan) et depuis le sud vers Chouchi, cette position donnant un net avantage pour assiéger Stepanekert, déjà vulnérable à l’Est. Si de plus la route de Latchine était coupée, c’était la catastrophe complète.

Maintenant, que va-t-il se passer? En théorie le coeur du Karabagh ne connaît pas de changement et il y aura un petit corridor de connexion avec l’Arménie. Sauf que l’Arménie est affaiblie, encore plus satellisée et que l’Azerbaïdjan va étrangler le Karabagh, lentement, sûrement et discrètement. La population civile a dû fuir, la situation sur place est désastreuse, et surtout les perspectives sont bloquées.

Car s’il y a une constance dans la communication du Président de la République d’Azerbaïdjan, Ilham Aliev, outre la conviction de son bon droit unilatéral sur le Karabagh, c’est que les habitants arméniens qui y vivent n’y ont pas leur place, n’ayant rien à voir avec la population de son pays. C’est tout de même une drôle de conception que de vouloir reconquérir ce territoire au nom de la légitimité des frontières soviétiques… alors qu’il est explicitement connu de tous que le Karabagh était dans la République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan un oblast, un district, autonome, majoritairement et culturellement arménien. Cela sans parler bien sûr du reste des Arméniens d’Azerbaïdjan.

Ilham Aliev comme les nationalistes turcs, plus ou moins possédé par la mystique pantouranienne, veut donc le Karabagh, mais ne veut pas des Arméniens qui y vivent. L’épuration ethnique en cours selon sa perspective est une opération conforme à la base même de son chauvinisme national. Peu lui importe donc les écoles écrasées sous les bombes, peu lui importe l’héritage monumental et les sites archéologiques dévastés, peu lui importe de jeter sur les routes des femmes, parfois enceintes, et des enfants, des vieillards quand ils le peuvent, qui s’entassent désormais par milliers dans la capitale de la République d’Arménie, Yerevan.

Il faut savoir que le gouvernement arménien et les associations qui l’appuient avaient en réalité planifié la possibilité de cette attaque et d’une catastrophe humanitaire de cette ampleur. Même si l’épidémie du Covid complique ici aussi les choses, la situation est chaotique, mais néanmoins en voie d’être contrôlée, pour ce qui est des urgences les plus élémentaires du moins.

Cette conception jusqu’auboutiste reflète les préjugés terribles et lamentables dans lesquels se sont vautrés les dirigeants arméniens, et il faut le dire, avec eux les Arméniens de l’étranger et notamment en France. Depuis la fin de la guerre en 1994, rien n’a été sérieusement fait, rien n’a même été sérieusement pensé pour chercher une solution démocratique et pacifique avec l’Azerbaïdjan. Et sur ce point, le nationalisme possédé et raciste du gouvernement Aliev n’excuse rien et n’explique pas tout.

Comme si la société azerbaïdjanaise, ou comme si la société turque n’existait pas ! Combien d’Arméniens ont migré vers Istanbul durant ces années ? Combien d’occasions se sont présentées pour se rapprocher de Bakou ?

Mais tout a été bloqué en raison de la force des préjugés chauvins et d’une lamentable mentalité semi féodale semi coloniale à l’égard de la Russie, dont la défense de l’Arménie n’a jamais constituée en rien une priorité. Ce même aveuglement a permis un développement des superstitions religieuses au point où l’on voit aujourd’hui le clergé de l’Église arménienne brandir une soit-disant « relique de la Vraie Croix du Christ » comme une sorte de talisman devant protéger le Karabagh et l’armée arménienne. De même on ne compte plus sur les réseaux sociaux les images et les chansons mêlant nationalisme outrancier et militarisme débridé avec une symbolique religieuse frisant l’irrationalité la plus complète.

La vérité est que l’Arménie a cherché depuis 1991, et même avant, une base d’existence là où il n’y avait rien : dans une alliance militaire avec la Russie, dans sa religion et surtout dans ses propres préjugés nationaux. Il faut regarder cela en face aujourd’hui, car avant de basculer dans le gouffre tragique où s’effondre aujourd’hui la population arménienne du Karabagh, l’Arménie s’est précipitée dans une impasse et le sol s’est immanquablement dérobé sous ses pieds. Que pouvait-il arriver d’autre en fait ?

Il aurait fallu se tourner vers le peuple, non pas de manière mystique, mais sur une base démocratique. Même aujourd’hui, pour qui connaît l’Arménie et le Karabagh, il est impossible de discuter du passé, de l’histoire du Karabagh ou de l’Arménie sans entendre d’innombrables anecdotes sur les liens, sur les moments et les lieux communs, sur la culture qui unit Turcs et Arméniens, et plus largement les peuples du Caucase et de la Perse. Ce sont ces liens, c’est ce commun qu’il faut appuyer, c’est sur cette base qu’il faut construire.

Première version de l’emblème de la république soviétique de Transcaucasie, dans les années 1930. La transenne (l’entrelacement en grillage) fait référence aux Géorgiens, le croissant aux Azéris, le mont Ararat aux Arméniens.

Les Turcs n’ont pas plus une « essence » identitaire qui les pousseraient au nationalisme que les Arméniens. C’est de la pure haine ethnique que d’entretenir les préjugés qui vont dans ce sens. Quelques timides avancées avaient commencées à germer au sein du peuple arménien suite au soulèvement populaire de la jeunesse et des ouvriers en 2018, dont Nikol Pashinyan, l’actuel dirigeant de la République d’Arménie avait été l’incarnation, dans un sens libéral-national. Mais cela a été trop tard et trop peu, même si cet effondrement du régime nationaliste et militaire pro-russe à Yerevan et l’exemple de ce timide élan démocratique a certainement aussi joué dans la décision d’Aliev de lancer l’assaut.

Un Karabagh arménien séparé de l’Azerbaïdjan est une chose qui n’avait pas de sens, pas plus qu’une Arménie coupée de ses voisins turcs. La haine furieuse des uns est le reflet de la haine méprisante des autres. Ce sont les deux faces de la même pièce. Il y a bien sûr une montagne de préjugés à franchir de part et d’autre, mais gravir cette montagne, pour la dépasser, pour élever Arméniens et Turcs, est le sens même du combat de toute personne authentiquement à Gauche. Voilà la voie qui rassemblera pas à pas, mais avec détermination, les peuples, voilà le sentier lumineux vers la paix qu’il faut emprunter, qu’il faut affirmer.

Le mont Ararat vu depuis Yerevan

Cette situation est d’autant plus significative qu’elle a un écho dans tout l’Orient, de la Syrie aux Balkans, de la Palestine au Caucase, partout en fait où s’étend encore l’ombre pesante de l’Ancien Régime ottoman. Cet Ancien Régime n’a pas encore été complètement surmonté par ces peuples, il s’est transformé en une mosaïque atomisée d’Etats ou de prétentions semi-féodales semi-coloniales qui biaisent les revendications nationales et dévient puis ruinent l’élan de la démocratie. Le problème se pose partout ici dans des termes similaires.

Le drame terrifiant du Karabagh a aussi un écho sur la société française. N’est-il pas incroyable de ne pas voir en France de manifestations populaires appelant à la Paix et à la Démocratie dans un pays aussi avancé ? Et ce alors même que la France compte en son sein près de 600 000 Arméniens et 700 000 Turcs ? Comment est-il possible qu’aucune organisation de Gauche ne soit en mesure de proposer ou même de relayer des appels à l’unité entre Arméniens et Turcs pour affirmer ensemble, ensemble et avec le reste de la population de notre pays, ces idées qui sont le fondement même de ce qui fait la Gauche ?

Au lieu de cela, on a les articles possédés des médias arméniens et les communiqués parfois délirants de personnalités ou d’associations arméniennes, appuyés de manifestations chauvines incompréhensibles au reste de la population, même si elle les regarde néanmoins avec sympathie, mais aussi avec un sentiment de distance, de superficialité. Et bien sûr on a aussi les agressions et les tentatives brutales d’intimidation de bandes littéralement fascistes agissant sous drapeau turc et la propagande bien entendue des islamistes de type « Frères Musulmans » du bloc qataro-turc.

Sur cela aussi, il faut être à la hauteur de notre époque. L’amitié entre les peuples, la défense de la Paix, l’Internationale en un mot, n’est pas un vain mot pour la Gauche de notre pays, qui doit se mobiliser sur la bases de ses valeurs et de son héritage. L’Orient aussi a besoin d’une France socialiste.

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Politique

Noussommespour.fr : un populisme en-dehors de la Gauche

Il existe deux formes traditionnelles d’organisation à Gauche, qui viennent d’un côté du socialisme français, de l’autre de la social-démocratie allemande et autrichienne avec son prolongement russe de type bolchevik.

Il y a la tradition socialiste française historique, de la SFIO, reprise par le trotskisme : l’organisation a plusieurs tendances, elles sont reconnues, elles ont le droit d’exprimer leur avis de manière organisée, il y a une représentation proportionnelle du poids de ces tendances au niveau de la direction.

Le Parti socialiste s’appuie sur cette démarche, notamment défendue par Léon Blum au congrès de Tours en 1920.

Il y a ensuite la tradition communiste, importée du bolchevisme, mais qui prolonge directement la social-démocratie : unité organique, homogénéité, le Parti fait bloc.

Le PCF a repris cette conception centraliste démocratique en 1920 à sa fondation, pour l’abandonner progressivement au profit d’un certain fédéralisme puis, après 1989, de courants le traversant.

Ces modes d’organisation traversent toute la Gauche historique, jusqu’aux syndicats étudiants des années 1980, puisque l’UNEF-ID liée aux socialistes et aux trotskistes reconnaissait le droit de tendance, alors que l’UNEF liée au PCF (avec de petites poches maoïstes parfois) ne le reconnaissait pas.

Dans tous les cas, les décisions prises par l’organisation sont prises dans l’organisation et ne dépendent que d’elles. C’est la notion, si on veut, d’avant-garde, ou en tout cas de minorité plus avancée en termes de conscience politique.

Le modèle Démocrate américain importé en France

Depuis une dizaine d’années, cette tradition de la Gauche historique est mise à mal par une approche calquée sur les Démocrates américains, qui sont l’équivalent de nos libéraux. L’idée n’est pas de centraliser les forces vives, mais au contraire de chercher à élargir la base à mettre en mouvement, en avalant des propositions venant de-ci de-là, afin de former une sorte d’entonnoir pour attraper des gens prêts à se bouger.

C’est pourquoi la Gauche se voulant moderne a instauré les primaires, allant bien au-delà des rangs des partis et organisation. C’est là, bien entendu, du populisme. L’idée repose d’ailleurs sur le contrat : je te soutiens si tu prends certaines de mes idées, et même si tu n’es pas le candidat choisi, lui-même va reprendre certaines de mes idées donc je vais le suivre, et ainsi de suite.

Jean-Luc Mélenchon lance noussommespour.fr

Jean-Luc Mélenchon, qui récuse la Gauche historique et assume ouvertement le populisme, a fait ce choix en proposant qu’il y ait 150 000 signatures pour le « parrainer ». Il a ouvert un site pour cela, noussommespour.fr.

Cela avait très bien marcher lors de l’élection présidentielle précédente, notamment chez les jeunes, qui se sont sentis investis d’une « mission »… pour disparaître totalement dans la foulée.

C’est que ce genre de populisme n’est qu’un fusil à un coup. Une fois qu’on a tiré, il ne reste rien, mais cela ne dérange pas ceux qui sont uniquement dans une perspective électoraliste. Jean-Luc Mélenchon a la même démarche : il suffit de lire ses propos dans sa vidéo de présentation.

On chercherait en vain un contenu et il est évident que c’est du racolage de première.

« Alors vous le savez : je propose ma candidature pour l’élection présidentielle de 2022. Mais pour déposer définitivement cette candidature, je demande une investiture populaire. C’est-à-dire 150 000 personnes signant pour me parrainer.

Pourquoi 150 000 ? En fait j’ai déjà utilisé ce nombre pour une proposition de loi déposée à l’Assemblée Nationale.

L’idée c’est que chaque personne, du seul fait qu’elle est inscrite sur une liste électorale, puisse parrainer une candidature à l’élection présidentielle. Pour l’instant ce droit est réservé exclusivement aux élus.

Alors, si vous êtes 150 000 à signer ici je me considèrerai investi par vous pour l’élection présidentielle, avec mon programme « l’Avenir en commun ». Il a déjà recueilli 7 millions de voix en 2017. Il est toujours d’actualité, il répond aux besoins du pays et du moment dans lequel nous vivons.

La suite dépend de vous. Ici, il s’agit de signer et puis vous pouvez suivre le parcours en 3 étapes.

Vous déciderez librement de ce que vous voulez faire pour aider.

Merci d’être d’avoir été là, à mes côtés, dans ce moment décisif. »

Un tel populisme peut-il fonctionner encore une fois ? Et ce d’autant plus dans une situation de crise dans tous les domaines ? Bien sûr que oui… mais à Droite. Quand on se joue à ce petit jeu là des raccourcis et des coups à trois bandes, quand on s’imagine Machiavel, on rentre dans le mur, à moins d’être un fasciste. Seule la démagogie la plus totale sait s’adapter et réussir.

Quand on est de gauche, on veut de la conscience, de l’intellect, de la raison. On cherche à élever le niveau, à arracher les gens à une société capitaliste exploiteuse et aliénante. On contribue à des analyses de fond, à une vision du monde claire et lisible, on propose des valeurs aux contours bien définis.

Jean-Luc Mélenchon n’a très clairement plus rien à voir avec la Gauche et on voit bien qu’il cherche à la torpiller. Il n’y parviendra pas.

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Écologie

Extermination au Danemark de 17 millions de visons

Au Danemark, une variante du virus au cœur de la crise sanitaire actuelle connaît une version mutée dans les élevages de visons. La réponse est celle de l’extermination.

C’est un exemple ô combien révélateur de la situation de l’humanité. D’un côté, on reconnaît que le rapport à la nature est sans dessus-dessous, de l’autre on continue comme si de rien n’était !

La Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), un organisme de l’ONU, vient ainsi de publier un rapport sur la biodiversité (ici en anglais). Dans le communiqué de presse en français, il est bien indiqué que :

La pandémie de COVID-19 est au moins la sixième pandémie mondiale depuis la pandémie grippale de 1918, et bien qu’elle trouve son origine dans des microbes portés par des animaux, comme toutes les pandémies, son émergence a été entièrement déterminée par les activités humaines, indique le rapport publié ce jeudi.

On estime à 1,7 million le nombre de virus « non découverts » actuellement présents dans les mammifères et les oiseaux, dont 827 000 pourraient avoir la capacité d’infecter les êtres humains.

« Il n’y a pas de grand mystère sur la cause de la pandémie de COVID-19, ou de toute autre pandémie moderne », a déclaré le Dr. Peter Daszak, président de EcoHealth Alliance et de l’atelier d’IPBES.

« Ce sont les mêmes activités humaines qui sont à l’origine du changement climatique, de la perte de biodiversité et, de par leurs impacts sur notre environnement, du risque de pandémie. Les changements dans la manière dont nous utilisons les terres, l’expansion et l’intensification de l’agriculture, ainsi que le commerce, la production et la consommation non durables perturbent la nature et augmentent les contacts entre la faune sauvage, le bétail, les agents pathogènes et les êtres humains. C’est un chemin qui conduit droit aux pandémies. »

Et au lieu de comprendre le sens de cela, à quoi a-t-on droit ? À une extermination de 17 millions de visons. Ces pauvres animaux vivaient déjà l’enfer – 17 millions, c’est un chiffre énorme. Et ces millions d’êtres vivants sont rassemblés… dans un peu plus d’un millier d’élevages. On sait que le rapprochement avec l’holocauste est un thème très polémique chez les défenseurs des animaux, mais là que dire ? On a des constructions sommaires, des êtres enfermés et l’extermination.

Impossible de ne pas penser à ces lignes d’une œuvre d’Isaac Bashevis Singer :

« Dans les relations avec les animaux, tous les gens sont des nazis ; pour les animaux, c’est un éternel Treblinka. »

On sait bien que l’humanité a agi sur le tas et que l’utilisation d’animaux à grande échelle est un produit pour ainsi dire naturel du capitalisme. Le parallèle ne tient pas, mais là il commence à tenir, car l’humanité sait très bien ce qui se passe. On ne peut pas dire à 280 000 personnes dans le nord du Jutland qu’elles vont connaître un confinement spécial et ne pas se dire : l’élevage pose un problème sanitaire relié à un problème moral, il faut tout stopper, tout de suite !

La situation de l’humanité est mauvaise, très mauvaise. Affronter les faits et pratiquer la destruction comme solution… montre que les valeurs du capitalisme ont pétri les esprits, façonné les mentalités, obscurci la raison. Il va falloir une réelle déchirure dans les consciences pour arriver à quelque chose. L’Histoire va connaître une accélération sans pareil, parce que pour sortir de là, les nouvelles consciences vont devoir agir avec envergure et profondeur. Le changement d’époque va être très douloureux.

Et le premier pas de ce changement d’époque devra être un rapport différent aux animaux. L’extermination de 17 millions de visons est un crime innommable, c’est de la barbarie destructrice la plus folle. Elle doit pousser à la révolte complète, à l’insurrection des consciences. Tout cela doit prendre fin, maintenant.

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Société

Opération islamiste meurtrière à Vienne: la crise d’une époque

L’attentat de l’État islamique dans la capitale autrichienne reflète une fuite en avant commune à toute une civilisation, qui cherche à se survivre à elle-même, à se régénérer en forçant. C’est l’agonie d’un mode de vie, d’une civilisation, soulignant la nécessité de dépasser au plus vite ce nihilisme menant à l’abîme.

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L’opération islamiste à Vienne, visant à réaliser un massacre dans les rues du centre où se trouvent les bars (dans le même esprit qu’à Paris en 2015), a blessé 23 personnes, dont plusieurs grièvement, et fait quatre morts. L’État islamique, parallèlement aux campagnes anti-françaises de type « anti-mondialistes » portées par la mouvance d’Al Qaïda, se rappelle à l’opinion publique avec sa vision apocalyptique du monde.

Avec la crise sanitaire, on a toujours plus l’impression de se retrouver dans un film, mais pas le bon. Il y a une pression dans l’atmosphère qui indique qu’on connaît vraiment une période historique, de grand changement. On n’a comme perspective pourtant pour l’instant que les tourments.

Un assassin islamiste encore une fois produit par la société

Naturellement, le pays se retrouve traumatisé et fait face à un fait très simple : l’assassin, tué par la police, est né à Vienne ; d’origine de Macédoine (du Nord), il avait voulu rejoindre l’État islamique et avait été condamné à 22 mois de prison, étant libéré au bout de quelques mois en raison de son jeune âge alors.

On a ce schéma, bien connu en France, d’une production de romantiques réactionnaires idéalisant un paradis perdu pour combiner nihilisme assassin et obscurantisme. Si la France tient d’ailleurs le premier rang dans les départs pour « l’État islamique », l’Autriche tient la quatrième place, avec une scène islamiste très active.

Elle repose sur l’immigration, mais une immigration récente, pas vraiment celle qui est turque et d’ailleurs deux jeunes Turcs sont intervenus pour amener un policier blessé à une ambulance, ainsi que mettre une autre personne à l’abri. L’un deux a été blessé et sur Instagram ils se sont empressés d’envoyer un message de solidarité et de fraternité.

« Un petit tir, mais pas d’inquiétude je vais bien, j’espère que la police [=le policier] s’en sortira bien, nous aimons notre pays l’Autriche, la terreur n’a pas de religion n’a pas de nation, peu importe si juif, chrétien, musulman nous nous serrons les coudes, pray for vienna »

L’esprit démocratique face à la réaction

La question est toujours de savoir si l’esprit démocratique peut faire face au populisme, au racisme, à la démagogie nationaliste… qui profitent de ce genre d’action. Il faut un peu de temps pour voir ce qu’il en est, mais l’Autriche est comme l’Allemagne : ces vingt dernières années, la société a radicalement changé, la jeunesse a connu des mélanges et l’ouverture vers le monde. C’est très important, car l’esprit démocratique a besoin qu’aucune digue ne saute.

Il semble qui plus est que l’assassin ait agi seul : on est a priori dans la situation d’un pèlerin du néant, qui par le nihilisme a voulu donner un prétendu sens à sa vie. Cela a ceci de rassurant qu’il n’est pas l’expression directe d’un réseau. En même temps, les islamistes représentent un monde révolu, comment pourraient-ils produire des gens fiables, organisés, rationnels ? S’ils en produisaient, ce ne sont pas des actions de ce type qui auraient lieu. On est vraiment dans le nihilisme, avec un fou furieux courant les rues d’une ville pour tuer, comme dans le jeu GTA.

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Il faut ainsi savoir prendre de la hauteur et voir comment le capitalisme, qui n’a plus de perspectives, produit de la consommation nihiliste et du nihilisme consommateur, tout en détruisant la planète et nous précipitant dans la guerre. Si on veut un autre avenir… il faut savoir poter le nouveau !

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Politique

Deux tribunes absurdes anti-confinement à gauche

Surfant sur la dynamique petite-bourgeoise anti-confinement, deux tribunes se revendiquant de la Gauche dénonce le confinement comme une manœuvre politique sans fondement.

Ce sont deux étranges tribunes, extrêmement offensives, qui dénoncent le confinement avec les mêmes arguments que l’ultra-gauche ces dernières semaines. Le second confinement reposerait sur un mensonge gouvernemental, le but serait de faire peur, d’instaurer un État pratiquant une surveillance généralisée, décidant par en haut, etc.

C’est de la paranoïa petite-bourgeoise tout à fait traditionnelle, avec la dénonciation de l’État, des décisions centralisées, des mesures collectives, avec une lecture complotiste où les mesures relèveraient d’une opération machiavélique, avec un agenda caché, etc.


La tribune Le confinement constitue un remède pire que le mal pour la société française, parue sur Regards.fr

C’est une longue tribune, signée par des gens relevant de la bourgeoisie intellectuelle: professeur d’université, maître de conférence d’université, médecin, psychiatre, chercheur au CNRS, biologiste, vétérinaire, etc.

Ces 350 signataires disent que le reconfinement a été prévu depuis des mois, qu’on a un alarmisme qui est une construction intellectuelle afin de faire peur, que les arguments pour le reconfinement seraient un délire, que la démocratie serait mise entre parenthèses, etc.

La tribune En finir avec l’état d’urgence et d’exception, publiée par Libération

Cette tribune est portée par quelques personnes seulement, avec notamment le député LFI et ultra-populiste François Ruffin, Lenny Benbara qui est fondateur du think tank Institut Rousseau, William Bouchardon qui est responsable de la rubrique Économie du Vent se lève.

Là encore il est dénoncé une atteinte aux libertés publiques, avec des décisions par en haut donc mauvaises, pour une situation accentuant qui plus est les inégalités sociales.


On croit rêver à lire ces tribunes. Le capitalisme veut évidemment faire tourner la machine à plein régime, donc il ne veut certainement pas de nouveau confinement. S’il le fait, c’est qu’il n’a pas le choix – et d’ailleurs il le fait mal. Il n’y a pas trop de confinement, il n’y en a pas assez. Mais pour les petits-bourgeois, l’ennemi c’est l’État, donc celui-ci a toujours tort, et en même temps il faut toujours se tourner vers lui pour obtenir de l’aide. D’où cette démagogie sur les libertés publiques, les décisions par en haut, etc., comme si toutes les décisions n’étaient pas prises par en haut depuis longtemps !

Dans la situation de crise sanitaire que l’on connaît, il faut se souvenir de ces deux tribunes, car bientôt leur caractère scandaleux sautera aux yeux, leur caractère petite-bourgeois sera évident et sera source de leçons. On verra aisément qu’il s’agissait de démarches anti-collectivistes, anti-populaires, d’expressions de terreurs devant les nécessaires décisions à la fois étatiques et populaires.