L’Équipe a diffusé sur sa chaîne télévisée un documentaire sur le RC Lens, club majeur et souvent très apprécié dans le football français en raison de son identité ouvrière. Durant quatre épisodes est montrée la vie du club de l’intérieur lors de la saison 2019/2020, qui s’est terminée dans les circonstances que l’on sait avec le confinement.
Ce qu’on y voit est forcément intéressant quand on aime le football et la culture populaire en général, mais n’a somme toute rien d’extraordinaire. On suit surtout des bourgeois dirigeants le club à la manière de bourgeois, faisant semble-t-il de leur mieux alors que les précédents dirigeants ont été désastreux. C’était en quelque sorte une anomalie que ce club soit en deuxième division et cela apparaît comme une réussite bienvenue de le voir à nouveau en Ligue 1 la saison prochaine.
Tel n’est cependant pas le principal intérêt du documentaire, qui nous rappelle surtout de manière particulièrement saisissante comment s’est finie cette saison de football en France. C’était il n’y a pas longtemps, mais cela paraît une éternité tellement il s’est passé quelque chose d’immense, d’inimaginable, de particulièrement historique.
La société française a été littéralement figée, du jour au lendemain, en raison du confinement qui était le dernier recours afin d’endiguer la vague épidémique de Covid-19, particulièrement alarmante. Le ciel est tombé sur la tête d’à peu près tout le monde en cette moitié du mois de mars 2020 et le football n’a bien sûr pas échappé à l’impératif sanitaire.
Le RC Lens était alors deuxième de Ligue 2, ayant même joué son dernier match à huis-clos en raison des premières mesures sanitaires. C’était là un premier « drame », car à ce niveau, le football sans supporters n’est plus vraiment la même chose… Et inversement, pour les supporters, le football sans le stade, ce n’est plus vraiment le football. Même quand on ne va pas au stade soi-même, un match à la télévision avec un stade vide, cela n’a aucune saveur.
Avec le confinement, le championnat a été suspendu puis la fin de saison décrétée, probablement à juste titre contrairement à ce qu’il s’est fait dans d’autre pays où les matchs sont joués sans public, pour finir « administrativement » la saison. En France, les classements ont été figés et le RC Lens s’est vu officiellement promu en Ligue 1 (et le Amiens SC a été honteusement poussé vers la Ligue 2). Mais une promotion sans supporters qui la fêtent, sans envahissement de terrain, sans défilé des joueurs dans la ville, sans salves d’applaudissement et autres manifestations d’une joie démesurée, quel sens cela-a-t-il ? Est-ce toujours ça, le football ?
Les images du documentaire montrant cela sont saisissantes… car justement il n’y a pas d’images. On a juste des rues lensoises désespérément vides et une promotion sportive qui s’avère n’être plus qu’une formalité comptable. Le supporter suivi toute la saison par le documentaire est ému par le titre, mais depuis son portable dans son salon. Pareil pour le président du club ou les joueurs intervenants. L’émotion est là, mais précaire, pas forcément forcée, mais semblant fortuite.
Et c’est là qu’on se demande : la magie du football a-t-elle disparu ? On est maintenant au mois de juillet et, donc, cette promotion du RC Lens en ligue 1, qui pourtant n’est pas quelque chose d’anodin, n’est pas fêtée, ne pourra pas être fêtée. Et si ça l’est, ce sera trop tard, formel, administratif, sans âme.
Il faut en dire de même d’ailleurs pour le titre de champion d’Angleterre du Liverpool FC, club extrêmement populaire localement ainsi que de part le monde, dont le titre était attendu depuis trente ans. Les matchs ont repris en Angleterre, sans public, avec tout un protocole sanitaire. Les « reds » ont obtenu le titre sportivement peu après la reprise, mais l’entraîneur est contraint de dire aux supporters de rester à la maison et que le titre sera fêté comme il se doit quand cela sera possible… Mais tout le monde sait que ce ne sera pas pareil. Il y aura forcément dans cette célébration, si tant est qu’elle ait lieu, une froideur, un décalage. Il manquera quelque-chose, un quelque-chose qui ne se décrète pas, qui est insaisissable et s’envole rapidement. Ce n’est probablement pas pour rien que « Liverpool » a complémentent manqué son premier match après l’officialisation de son titre, en s’inclinant presque honteusement 4 à 0 face à son dauphin, le Manchester City FC.
Quelque-chose a disparu, et ne reviendra probablement jamais, ou en tous cas pas comme avant. Parce que le football, particulièrement en Angleterre, est censé toujours être là, s’imposer à tout, à tous les accidents de la vie. On divorce, on perd un proche, son travail, une région est sinistrée économiquement, etc.… mais le club lui est toujours là. Malgré les défaites, malgré les joueurs, les entraîneurs et les dirigeants qui vont et viennent.
Ce qui est vrai en Angleterre est vrai pour tous les clubs dans le monde, forcément marqués par l’approche anglaise, au moins en partie. C’est vrai au RC Lens, ne serait-ce que par la physionomie de son stade, mais aussi par l’état d’esprit de ses supporters. D’ailleurs, si la frange la plus organisée et déterminée des supporters lensois relève au sens strict de la culture « ultra », d’influence italienne, cela n’est pas aussi franc quand dans d’autres clubs en France. L’influence anglaise, de type « Kop », est beaucoup très preignante dans le stade. Pour faire simple, disons que les « ultras » ont une approche unilatérale, s’inscrivant directement dans le jeu et se devant d’être « toujours présent », de ne jamais critiquer l’équipe pendant un match. Cela a sa dignité, mais c’est différent de l’approche « Kop » à l’anglaise, beaucoup plus festive, faisant plus facilement la différence entre le club (une identité d’ordre éternelle) et l’équipe sur le terrain, qu’on peut critiquer pendant le match, ou juste regarder sans applaudir ni chanter quand il n’y a pas d’emballement.
Toujours est-il que, pour les « Kop » ou les « ultras », ou pour le supporter lambda, le football relève d’une certaine magie, dans le sens où cela transcende la raison immédiate. Cela correspond d’ailleurs à toute une époque, commencée au milieu du XIXe siècle.
Cette « magie », aussi longtemps mise de côté depuis le confinement, pourra-t-elle réapparaître ? A-t-elle d’ailleurs vraiment existé ? Ou n’était-elle finalement qu’une belle illusion… ?