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Des « foulards rouges » en réaction aux gilets jaunes

Les gilets jaunes n’ont pas ébranlé l’ordre social, mais ils ont révélé des failles et ce moment de crise est considéré comme très stressant par des couches sociales éduquées et socialement parfaitement intégrées. C’est le début d’un remue-ménage digne des années 1930.

foulards rouges

La manifestation parisienne de dix mille personnes sous la bannière des « foulards rouges » n’est pas du tout quelque chose d’anecdotique. Cette « marche républicaine des libertés » montre au contraire qu’il y a une grande expérience politique en France, même si le niveau idéologique et culturel en rapport avec la politique est au plus bas. Pour dire le niveau, d’ailleurs, ces foulards rouges sont… une allusion aux fêtes de Bayonne.

C’est que les gilets jaunes ont révélé les faiblesses structurelles de la France, une grande puissance en perte de vitesse. Ils ne représentent pas une lutte de classes quelconque, mais sont une expression du ralentissement de la France, de la crise. Et forcément cela inquiète, beaucoup de couches sociales se remuent, agissent, se mettent en branle. Malheureusement pas les ouvriers, évidemment, pas encore.

En l’occurrence, les foulards rouges sont une expression ultra-minoritaire mais très hautement symbolique de couches petites-bourgeoises et bourgeoises éduquées, socialement intégrées, particulièrement posées dans leur style de vie. Forcément, elles sont profondément inquiètes du remue-ménage causé par les gilets jaunes. Ce qui cause des troubles les dérange, les agace, leur rappelle qu’on ne vit pas dans une bulle dont la construction européenne serait l’apogée.

Il faut également prendre en compte que ce qui se passe en France avec les gilets jaunes a attiré l’attention de l’opinion publique mondiale, qui se dit que vraiment les Français ont des mœurs étranges pour laisser un tel chaos se développer, jusqu’aux Champs-Élysées. Cette tolérance, voire ce goût pour la contestation exprimée de manière véhémente surprend, surtout somme toute pour des perspectives extrêmement floues. Ces couches sociales éduquées, mais hors sol, voient les choses de la même manière.

Du côté de l’État et de la haute bourgeoisie, on sait évidemment que les gilets jaunes, la casse, le petit chaos, etc. relève davantage du folklore symbolique qu’autre chose. C’est du théâtre ; cela fait des années que cela existe, c’est une manière de contenir les tensions, d’empêcher une politisation, etc. Ce n’est tout de même pas pour rien que la police laisse la casse se mener régulièrement, par exemple dans le centre-ville de Nantes.

Cependant, du côté des couches petites-bourgeoises et bourgeoises moyennes, urbaines, tout cela est considéré comme très mauvais, très dérangeant. Surtout quand les choses durent. Ces couches sociales, qui sont somme toute le public de Benoît Hamon, d’EELV, et bien évidemment d’Emmanuel Macron. Et elles ne l’ont pas soutenu dès le départ, pour se retrouver dans une telle situation !

Sur Europe 1, l’un des initiateurs des « foulards rouges », Théo Poulard, a très bien résumé cet état d’esprit :

« On n’est pas contre les ‘gilets jaunes’. On est contre les casseurs, les pilleurs et les extrêmes. »

La France n’est évidemment nullement aux mains des casseurs, des pilleurs ; quant aux extrêmes, il n’y a que l’extrême-droite. Mais ce rejet des extrêmes correspond au fonds de commerce de couches sociales républicaines, prêtes à du social, éduquées et intégrées, détestant tout ce qui menace par contre ses intérêts ou semble les menacer. Elles font toujours des efforts pour être dans la tendance à la stabilité : il faut bien se souvenir ici qu’elles ont joué un rôle important dans le cadre du Front populaire. Les radicaux de gauche alliés aux socialistes et aux communistes, ce sont précisément ces couches sociales. Il va de soi qu’en 1981, elles ont joué un rôle essentiel pour la victoire socialiste.

Elles sont donc toujours légitimistes, détestent les confrontations sociales, sans pour autant être réactionnaires. D’où les t-shirts avec inscrits « Stop aux violences » et « J’aime ma République », la banderole « Stop la violence La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale », les slogans « Non, non non à la révolution. Oui, oui, oui à la démocratie », les pancartes « On veut rester libres », « Non à l’intolérance ».

Il va de soi que gagner ces couches sociales sera dans tous les cas une des difficiles tâches de tout mouvement de Gauche cherchant à changer profondément les choses. Cependant, il faut bien voir qu’elles sont déboussolées ; elles voient bien qu’Emmanuel Macron les a plus utilisées qu’autre chose. Leur éloge d’Emmanuel Macron lors de la manifestation d’hier est surtout un appel à ce qu’il revienne dans « leur » camp.

C’est cependant trop tard et c’est bien pour cela que seulement une quinzaine de députés et cinq sénateurs de La République en marche ont participé à la manifestation. Emmanuel Macron représente la bourgeoisie moderniste prête à la marche forcée dans le sens de l’ultra-libéralisme, le contenu « républicain » ne l’intéresse pas du tout. Il suffit d’ailleurs de voir son soutien total aux chasseurs, à la chasse à courre, son arrogance liée à son parcours.

Ces couches sociales vont donc continuer à être ébranlées et les propositions d’une utopie européenne, comme le font EELV et Benoît Hamon, ne les satisferont pas. A la Gauche d’être en mesure de calibrer un rapport productif avec elles, en s’appuyant sur leur rejet des monopoles et leur conscience écologique.

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L’acte XI des gilets jaunes : un mouvement désormais cristallisé

Après la fin de l’explosivité sociale propre à des couches moyennes ayant la hantise de la prolétarisation, on a donc désormais les gilets jaunes comme mouvement structuré. Ultra-minoritaire, ils restent cependant en phase avec le populisme si fort en France, continuant eux-mêmes à empoisonner les esprits.

gilets jaunes

Le mot d’ordre le plus représentatif de ce onzième samedi des gilets jaunes, c’est bien sûr la « nuit jaune ». On a déjà vu que le mouvement des gilets avait changé de nature, perdant de son explosivité, cessant d’être un moment de crise sociale de couches moyennes saisissant avec effroi le risque de déclassement social. Il est désormais porté par une frange très clairement petite-bourgeoise, avec des lubies ultra-démocratiques, complotistes, anti-politiques, populistes, etc. D’où fort logiquement la tendance à revenir à « Nuit debout », comme la vaine tentative hier place de la Bastille à Paris.

Une vaine tentative montée par Eric Drouet, par ailleurs à l’origine d’un rassemblement à part à l’est de Paris avant de rejoindre le cortège général… Et qui s’inscrit dans le schéma général de cristallisation des gilets jaunes comme mouvement indépendant, structuré, avec une identité propre, même si évidemment diffuse. Il faut ainsi ajouter les deux listes pour les Européennes en train de se monter, une mise en place par la très médiatique aide soignante Ingrid Levavasseur, sous le nom de « Ralliement d’initiative citoyenne », l’autre par le chanteur Francis Lalanne.

De manière concomitante à ce changement de forme, et cela malgré le battage médiatique, le nombre de gilets jaunes se stabilise, en étant à autour de 70 000 hier, avec notamment 1 500 à Lyon, 4 000 à Paris, 5 000 à Bordeaux, 1 500 à Lille, 2 500 à Dijon, 1 500 à Montpellier, 2 000 à Nantes, 300 à Strasbourg, 90 à Coutances (dans la Manche), 4000 à Marseille… Avec les inévitables petits accrochages avec la police et des choses débiles et folkloriques comme un lâcher de lampions sur une plage à Saint-Laurent-du-Var pour essayer vainement (et heureusement) de perturber l’aéroport de Nice !

On notera qu’à Marseille, la CGT a participé au cortège, ce qui reflète toute une grosse problématique chez les syndicats. L’échec complet de la grève des cheminots a été un coup très rude pour eux et l’émergence d’un mouvement populiste comme les gilets jaunes risque d’autant plus de leur être fatal. La première victime des gilets jaunes, ce ne sera pas en effet Emmanuel Macron, qui est bien installé dans un régime lui-même parfaitement ancré, ce sera les syndicats, minoritaires dans le pays depuis toujours, porté par une logique de minorité activiste qui ne marche plus et qui plus est désormais remplacé par les gilets jaunes !

Les syndicalistes n’ont qu’un seul moyen de reprendre l’initiative : balancer par dessus bord la charte d’Amiens et enfin assumer la politisation à gauche. S’ils ne le font pas, ils seront balayés. Les gilets jaunes, avec leur ultra-populisme, leur démagogie sociale sans bornes, leurs propositions relevant du mythe mobilisateur comme le « référendum d’initiative citoyenne », ne feront qu’une bouchée d’eux. Il n’y a d’avenir syndicaliste que dans la liaison étroite avec les valeurs de gauche et cela de manière assumée. Il faut mettre un terme à la démarche française du syndicat au-dessus de la politique et assumer le modèle allemand du syndicat comme expression syndicale d’une orientation politique.

On sait à quel point les syndicalistes ne veulent pas de cela, cependant étant donné que la convergence des gilets jaunes avec l’extrême-droite est évidente, il faudra bien, à un moment donné, assumer dans un sens comme dans un autre.

De toutes manières, l’Histoire a fait son œuvre et on sait désormais que la vraie Gauche consiste en ceux et celles n’ayant pas cédé aux sirènes des gilets jaunes.

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L’insupportable émission « La parole aux français » de Cyril Hanouna et Marlène Schiappa

L’émission spéciale « grand débat national » avec Cyril Hanouna et Marlène Schiappa a tenu toutes ses promesses. On a eu le droit à ce grand étalage de populisme et de raccourcis insupportables, avec en face deux portes-paroles d’Emmanuel Macron venues expliquer qu’il fallait être raisonnable mais que beaucoup de choses étaient déjà faites par le gouvernement.

Intitulée « La parole aux français », l’édition spéciale de l’émission « Balance ton post » avait lieu en direct. Le secrétaire d’État Mounir Mahjoubi a parlé d’un « beau moment de démocratie ». Les auteurs des Lumières doivent se retourner dans leurs tombes ! La démocratie est ici réduite à une sorte de quête d’une formule magique populiste, qui emporterait l’adhésion au cours d’une émission de télévision racoleuse, où l’on vote sur twitter !

Voici comment Le Figaro raconte le principe qui a été mis en place hier :

« Face à la secrétaire d’État, plusieurs personnes issues de la société civile étaient venues pour exposer leurs propositions dans le cadre du «grand débat national». Ainsi, un agriculteur, une retraitée, un millionnaire qui porte les idées des «gilets jaunes», une auto-entrepreneuse ou un sans-emploi étaient présents.

À chaque proposition, les invités devaient écrire leur proposition sur le paperboard. L’objectif: mettre en place un «atelier interactif», selon les mots de Marlène Schiappa. Ensuite, après un débat entre les invités, Marlène Schiappa écrivait à son tour, en rouge, la proposition remodelée qui sera retenue. Les téléspectateurs étaient, dans le même temps, appelés à voter pour ou contre sur le compte Twitter de  Balance ton post! La plupart des propositions avaient recueilli, en quelques minutes, plus de 10.000 votes. La première concernait, par exemple, un taux de TVA à 0% sur les produits de première nécessité. »

Le fait que Le Figaro raconte cela de manière aussi simple, sans critique, dans un article publié alors que l’émission n’était même pas finie, reflète bien l’incroyable décadence générale que connaît la France. On est ici dans un cinéma grotesque, une animation pitoyable, une véritable insulte générale à la Raison. L’animateur « baba », qui dit sans cesse « mon chéri, je t’adore » à des gens qu’il ne connaît même pas, a trouvé en Marlène Schiappa un strict équivalent politique, avec ses airs de potiche voulant mettre tout le monde d’accord avec des phrases volontairement simplistes.

C’est d’ailleurs elle qui lui a suggéré l’émission, et on a bien compris comment celle-ci est censée servir le plan d’Emmanuel Macron pour apparaître comme le recours raisonnable face au populisme non raisonnable. Les ficelles étaient d’ailleurs très grosses avec à plusieurs reprises un intervenant soulevant un problème puis la Ministre ou sa comparse députée LREM expliquant que cela était déjà en cours d’être résolu par le gouvernement.

Sur le fond, tout est fait pour engluer la pensée dans des considérations sans réflexions, sans envergure, sans enjeu. Tout est fait, disons-le plus simplement, plus directement, pour masquer la bourgeoisie, qui n’existe tout simplement plus dans un panorama où, d’ailleurs, le capitalisme lui-même n’existe plus.

On n’a même pas une critique du néo-libéralisme, ce qui ne voulait rien dire mais au moins disposait d’une certaine dignité. On a juste droit à la logique du « on veut vivre mieux », ce qui a l’air concret de prime abord, mais n’aboutit à rien à part aux gesticulations populistes et aux jugements à l’emporte-pièce. Le twitter de l’émission n’y est pas allé de main-morte d’ailleurs :

Il faut dire que depuis le début des gilets jaunes, la nouvelle émission de Cyril Hanouna « Balance ton post » a fait la part belle au mouvement. Ceux-ci vont totalement dans son sens, et inversement. Ce qui prédomine, c’est une démarche superficielle, refusant la complexité des choses, assumant les raccourcis et les postures grotesques.

Les quasiment quinze minutes d’autosatisfaction au lancement de l’émission ont donné le ton de cette grande insulte à l’intelligence populaire et au pouvoir démocratique. Le grand spectacle du direct et de l’authentique a ensuite été joué jusqu’au bout avec à la fin un pseudo vote à la manière d’un jeu TV pour sept propositions.

C’est lamentable, c’est honteux, et cela mène la société française droit à la catastrophe.

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Crime contre la culture : Cyril Hanouna – Marlène Schiappa pour le « grand débat national »

Pour toute personne cultivée, Cyril Hanouna est un cauchemar. Le fait qu’il soit au cœur d’une émission spéciale « grand débat national », sur C8, en dit long sur le niveau de populisme et de stupidité de la France. La présence de Marlène Schiappa comme co-animatrice, alors qu’elle est membre du gouvernement, montre bien qu’on a touché le fond.

Depuis plusieurs mois, la secrétaire d’État à l’Égalité entre les femmes et les hommes Marlène Schiappa se veut une porte-parole de la cause des femmes, n’hésitant pas à intervenir souvent et avec un grand relais dans les médias. Tout cela ne correspond qu’à un féminisme comme simple levier afin d’augmenter l’esprit de compétition entre les travailleurs, pas du tout à un vrai féminisme. On en a la simple preuve au fait qu’elle, pourtant membre du gouvernement, se retrouve comme co-animatrice d’une émission avec Cyril Hanouna.

Peut-on croire une seule seconde que Cyril Hanouna soit en adéquation, dans son style beauf, avec les exigences d’un véritable féminisme ? Absolument pas, bien entendu. L’ennemi des femmes, c’est avant tout les beaufs. Ceux-ci récusent tout changement et toute réflexion, or la cause des femmes implique une participation des hommes à leur rééducation morale et psychologique, par l’abandon du style patriarcal.

Cyril Hanouna correspond à un tel style et Marlène Schiappa montre que son féminisme est un simple opportunisme. Il y a ici une absence totale de dignité, un véritable jeu de massacre de la dignité des idées et de la vie politique. Ce n’est même plus ici de la dégradation, c’est de la destruction pure et simple. Il faut d’ailleurs rappeler ici le jeu sombrement infâme de Cyril Hanouna dans le cadre d’un populisme télévisuel débridé.

Avant le début des gilets jaunes, des infirmiers en colère étaient venus à la sortie des studios à Boulogne-Billancourt pour demander à Cyril Hanouna de les aider, et il les a invités à son émission. C’est pour cela que le 19 novembre des gilets jaunes ont fait pareil, et qu’il les a invités à « Touche pas à mon poste ». Une phrase prononcée à Cyril Hanouna par un gilet jaune le 19 novembre et largement soulignée par les médias alors résume tout:

« On veut que tu dises à Macron que le peuple souffre. »

Il y a un mot très simple et très compliqué pour résumer cela : le fascisme. Non pas qu’on soit dans le fascisme ou que ces gens soient fascistes, mais c’est le fascisme qui s’exprime à travers cette situation.

Car quand on en arrive au point où des gens opprimés ne parviennent même plus à se relier à la classe des travailleurs, qu’ils en arrivent à quémander un animateur télé pour qu’il demande au président de l’aide, c’est que tout est perdu. On en est au point où l’individualisme est complet, le niveau culturel à zéro. La société est aseptisée et est mûre pour basculer dans la quête d’un sauveur venant « rétablir » la justice.

Ce grand moment de télévision qui nous est promis avec Cyril Hanouna et Marlène Schiappa est une catastrophe culturelle, une insulte à la France des Lumières et à l’histoire des luttes de classes de ce pays. Ce n’est pas même une farce, c’est un crime contre la culture.

Voir des siècles de vie politique française réduits à un débat avec des demandeurs d’emploi, des retraités et des commerçants organisé par l’animateur Cyril « les nouilles dans le slip » Hanouna et un membre du gouvernement… ce n’est même plus de l’aberration, c’est de la folie pure et simple.

Ou, plus précisément, l’expression d’une décadence générale de la société française, littéralement anéantie culturellement par le libéralisme économique, politique et culturel.

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Gilets jaunes : un acte X sans explosivité ni remise en cause de rien

Le dixième samedi de manifestation des gilet jaunes a été marqué par leur changement de nature. À l’explosivité de couches sociale intermédiaires faisant face à leur déclassement succède une mise en scène de contestation dans l’esprit de « nuit debout ».

Les gilets jaunes ont manifesté de nouveau hier, avec 84 000 personnes comptabilisée en France. Ils étaient 10 000 à Toulouse, le plus gros rassemblement, 7 000 à Paris, 4 000 à Bordeaux, 2 500 à Angers ou Rouen, 2 000 à Nancy, 1 700 à Toulon, 1 500 à Bergerac ou Lille, 1 000 à Foix et La Rochelle, 900 à Besançon, 400 à Bezier, 300 à Boulogne-sur-mer ou encore 200 à Châtellerault.

Ils ont toutefois changé de nature. Fini l’explosivité propre à des gens liés aux couches populaires, on a désormais le style plus feutré de membres des couches moyennes ayant des considérations politiques assez avancées et l’habitude de les exprimer.

Sans aucun doute, le slogan qui résume le plus parfaitement le dixième acte des gilets jaunes est donc :  « de Pompidou à Macron, 50 ans de paupérisation ». Il résume en effet tout à fait la vision des gilets jaunes actuels, et reflète parfaitement leur décalage total avec les faits.

Non seulement il y a la négation des acquis sociaux de 1981, mais il y a également le mensonge total sur la croissance économique que la France a connu depuis quarante années. À écouter les gilets jaunes actuels, la France serait un pays arriéré économiquement avec un niveau de vie relevant du tiers-monde. La police serait meurtrière, l’administration de l’État digne d’une république bananière.

À les écouter, il y aurait une situation quasi insurrectionnelle, on serait à deux doigts de la révolution ou d’un changement de régime et Macron aurait déjà un pied en prison !

Pourquoi les gilets jaunes masquent-ils comme cela la nature de la France, très grande puissance à l’échelle mondiale, jouant un rôle colonial modernisé de manière très marquée ? Simplement parce que leur but n’est pas du tout le Socialisme, ou la révolution, ou quoi ce soit s’en rapprochant. Leur objectif est juste d’avoir une plus grande part du gâteau.

La position des gilets jaunes actuels, bien moins « explosifs » que ceux d’avant, au sujet du « grand débat national » d’Emmanuel Macron, est d’ailleurs le refus, au nom du fait qu’ils veulent peser sur les décisions prises et pas seulement donner leur avis. Peser comment ? Dans quelle perspective ? Ils ne le savent pas et ils s’en moquent.

On est là dans un jeu de pression tout à fait typique des classes moyennes, avec des discours riches en lyrisme pour masquer le fait que somme toute, la France n’est pas du tout touchée dans ses fondements.

Pour que la société française soit en effet ébranlée, il faut que soit mis en mouvement l’un des deux pôles de sa réalité sociale et économique : les ouvriers et les bourgeois. Les gilets jaunes s’opposent tant aux uns qu’aux autres, ils veulent devenir comme les uns et pas comme les autres, mais en même temps ont besoin des uns contre les autres.

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Politique

Certains doivent regretter d’avoir soutenu les gilets jaunes

Toute une gauche opportuniste s’est empressée de prendre le train en marche et de soutenir les gilets jaunes. Cela dans l’espoir d’en profiter quand tout sera fini. Le souci est que les gilets jaunes continuent et embarquent donc cette gauche opportuniste avec elle dans le populisme.

gilets jaunes

Les gilets jaunes correspondent à un moment de crise, pas à un « mouvement social » dans le cadre d’une situation pacifiée. Pour avoir confondu l’un avec l’autre, toute une gauche opportuniste se retrouve coincé.

Elle pensait que les gilets jaunes disparaîtraient et que sur les décombres il y aurait moyen d’en tirer quelque chose. Pour cela, il fallait donc hurler le plus fort, pour apparaître comme le plus radical aux yeux de ceux qui restent après cette lutte.

C’est cela qui explique la surenchère systématique, notamment de la part de l’ultra-gauche. On se situe ici entièrement dans la tradition de la tactique élaborée par Léon Trotski. Selon lui, il faut pratiquer la surenchère afin de dépasser les réformistes bloquant la révolution qui serait permanente. Cette conception a été élaborée dans Le programme de transition et correspondait à sa thèse selon laquelle le fond du problème est la « direction » de tout mouvement de lutte.

Tout cela est délirant, car il y a bien sûr des moments différents, des étapes dans toute prise de conscience, de plus le problème de fond n’est pas la « direction » mais bien la nature de la base. Avec les gilets jaunes, de par la matrice de leur mouvement, on ne peut pas diffuser des thèses rationnelles, des principes d’organisation, des valeurs socialistes.

Il s’avère donc que les gilets jaunes, en continuant sur leur lancée, vont entraîner avec eux toute une partie d’une gauche opportuniste dans le populisme le plus vil.

Naturellement, il va y avoir des retournements de veste : il va être dit qu’il ne s’agit pas des mêmes gilets jaunes, ou bien d’une minorité de gilets jaunes, etc. Il peut aussi être inventé que les gilets jaunes se divisent en deux tendances.

Mais c’est trop tard. La densité des gilets jaunes a été surestimée et le prix à payer est inévitable : tous ceux qui se sont reliés à eux vont être entraînés vers le fond. On ne joue pas impunément avec le feu. En politique, tout est une question de valeurs et le populisme est un piège terrible sur ce plan.

Il y a quelque chose d’inévitable qui plus est dans cela. La France Insoumise n’a cessé de dire que la Gauche classique était dépassée. On a pu voir une alliance parisienne entre l’ultra-gauche et la CGT lors de nombreuses manifestations. Cette même ultra-gauche a même revendiqué le soutien de Marcel Campion pour organiser des blocages, ce « roi des forains » qui est un grand soutien de Philippot.

A force, cette course vers l’apparence de radicalité s’est ouvertement transformée en course vers le néant. Ces gens s’imaginaient les protagonistes de quelque chose, ils n’ont été que l’avant-garde… des gilets jaunes. Autant dire que ce n’est pas gratifiant.

Et on peut même remonter plus loin. Lorsque la CNT, le syndicat à la pratique anarcho-syndicaliste, syndicaliste révolutionnaire, émerge en France dans les années 1990, avec un pic en 2000, que dit-elle ? Finalement la même chose que les gilets jaunes : pas de politique, pas de parlement, pas de partis, tous pourris, les gens doivent décider…

Cette simplification à outrance, ce relent de proudhonisme, ce culte de la spontanéité à la Bergson et à la Sorel, ces valeurs horriblement françaises, tout cela était déjà là.

Pour qui s’intéresse à l’histoire des idées, des démarches concrètes, il y a là plus qu’un parallèle : c’est bien une ligne droite. C’est une vague de dénonciation de la Gauche… mais pas pour aller à gauche, pour basculer vers la Droite.

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Réflexions

La raison ne fait pas de bruit

Les gilets jaunes ont rappelé une chose essentielle : la raison ne fait pas de bruit. Analyser prend du temps, exige de l’énergie mentale. Or, le capitalisme apprend à consommer, à utiliser de manière pragmatique, il propage des valeurs abstraites, tout en étouffant la capacité à établir des abstractions intellectuelles.

Gilets jaunes

Quand on est de Gauche, de la gauche historique, celle du mouvement ouvrier, alors on sait que les termes « foule », « plèbe », voire même « peuple », cachent des emportements, des comportements brutaux, des vilenies. C’est pourquoi on leur oppose les mots de classe ouvrière, de prolétariat, de masses laborieuses.

La différence, c’est bien entendu le travail, notion qui change tout. Qui travaille sait ce que signifie transformer, qui sait ce qu’est une transformation a déjà les bases du raisonnement scientifique. C’est bien pourquoi la Gauche dit, dans sa substance, qu’un patron de par sa position, même s’il est sincère ou sympathique ou ce qu’on veut, n’est pas en mesure de porter un regard correct sur la réalité. Il est corrompu par sa position sociale. Et ce n’est pas de la sociologie, c’est en rapport avec le travail.

Le travail exige, comme on le sait, des efforts. Mais pas seulement, il demande des efforts prolongés, une attention soutenue. C’est cela qui aboutit si facilement à l’aliénation du travail à la chaîne. Le travail manuel ne permet en effet pas qu’on se disperse dans son activité. On peut éteindre en quelque sorte ses facultés de réflexion, à condition toutefois de rester plonger dans son activité.

Par conséquent, lorsqu’on réfléchit et qu’on a l’expérience concrète du travail, alors la raison s’impose dans toute son amplitude. Parce que l’effort est prolongé, parce qu’on connaît le principe de transformation et qu’on l’applique, par la force de l’habitude. Voilà pourquoi les ouvriers ont été en mesure de fonder des organisations syndicales, des partis politiques, d’avoir une littérature intellectuelle propre à eux, des conceptions leur étant propres.

Tout cela prend naturellement du temps. Il faut beaucoup d’heures pour lire, étudier, conceptualiser. Cela ne se voit pas forcément, le résultat n’est pas apparent avec toute une période d’incubation. Il est aisé de considérer alors que c’est sans intérêt : la raison ne fait pas de bruit.

Les gilets jaunes sont extérieurs à la classe ouvrière, justement parce que leur substance montre bien qu’ils sont opposés à la raison. Là où il faut du temps et payer le prix d’entrée pour cette raison, ils veulent un résultat facile en s’appuyant uniquement sur un « élan ». C’est là très français, le 19e siècle a pullulé de courants philosophiques et politiques en appelant à l’intuition, l’impression, un certain vitalisme. Il suffit ici de penser à Sorel, Proudhon, Bergson, Proust.

Les gilets jaunes ne font que réactiver cette tradition engourdie par tout un niveau de vie s’étant élevé depuis les trente glorieuses. Comme le capitalisme se ralentit, qu’il profite toujours plus à une minorité toujours plus réduite, cette tradition réapparaît, véhiculée par les classes moyennes appréhendant ce qu’elles voient comme un déclassement, une prolétarisation.

Cela apparaît comme d’autant plus efficace que la déraison, elle, fait beaucoup de bruit. La rage y a l’air puissante, l’élan donne l’impression d’être dans le vrai, la colère prend des airs de vérité. Alors qu’on a perdu pied avec les choses, on a la sensation fausse d’être précisément dans le juste. Si l’on ajoute à cela l’impression d’avoir été floué, volé, un sentiment propre à la petite-bourgeoisie, alors on a une sorte d’apparence de légitimité qui se forme, en quelque sorte une vengeance.

Mais le Socialisme n’est pas une vengeance, c’est l’appropriation des richesses pour faire passer un cap à la société, à la culture, à la civilisation. Cela implique la révolution, un affrontement avec l’oppression et l’exploitation, dans la connaissance qu’il s’agissait d’un phénomène objectif, et non pas d’un « complot » de manipulateurs ayant « choisi » d’agir de manière mauvaise.

D’ailleurs, la raison ne fait pas de bruit… au début. En réalité elle fait bien plus de bruit une fois qu’elle a établi de quoi s’exprimer pleinement. C’est là le sens de l’organisation, de la détermination, de la classe ouvrière organisée, de la classe ouvrière déterminée… et on sait très bien que cela ne ressemble strictement en rien aux gilets jaunes.

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Les gilets jaunes, un acte IX : cela n’en finit pas de finir

Les gilets jaunes continuent leur démarche, pour un neuvième samedi. La France regarde cela d’un air soucieux, compréhensif, critique ou favorable, mais toujours passivement. Il y a là un psychodrame comme le pays les aime : avec beaucoup de sentiment et aucun esprit de conséquence.

gilets jaunes

Quel curieux mélange sur les Champs-Élysées que ces petits groupes d’ultra-gauche à côté de gilets jaunes plus traditionnels et entonnant d’ailleurs « la police avec nous » ! Et quel curieux spectacle que cette France se regardant elle-même regardant la télévision pour savoir s’il va y avoir du grabuge fait par les 85 000 personnes ayant manifesté hier !

On sait que les Français apprécient le cinéma et les drames, mais tout de même, là on frise la lutte de classes version théâtre ou télé-réalité. Les gilets jaunes sont les acteurs, les policiers le public, et les gens regardent cette scène filmée, en se demandant quelle va être la suite !

Pour ajouter du piment, le gouvernement annonce de la casse, interdit tel ou tel rassemblement, et on se demande : les gilets jaunes passeront-ils ? Et hier, au bout du suspens, ils sont passés, manifestant dans le centre désert de la petite ville de Bourges, alors que le gouvernement a expliqué en long et en large que cela serait interdit…

Ce petit cinéma de la transgression n’en rate donc pas une. Et ses représentations ont eu lieu dans de nombreuses villes, au moyen de quelques centaines ou quelques milliers de personnes : Nîmes, Lille, Nantes, Bordeaux, Toulouse, Paris, Marseille, Rouen, Caen, Strasbourg… Ainsi, donc, que Bourges, spécialement choisie comme symbole de la France profonde, pour faire « authentique ».

Avec parfois de la casse, parce que cela fait partie du répertoire des petites vanités s’imaginant contestataires. Casser pour quelque chose peut avoir un sens, mais casser pour casser ?

Il y a vraiment quelque chose qui ne tourne pas rond dans ce pays, il n’y a pas à dire. Et la raison en est simple : somme toute, ni les partis politiques ni les syndicats n’ont de véritables assises de masse. Donc tout regroupement un peu mobilisateur prend le dessus en terme d’initiative, pour le meilleur et pour le pire.

Surtout pour le pire dans une société lessivée culturellement par le capitalisme, à un degré terrible. L’égoïsme prime à une degré tel que ce qui le concurrence, c’est seulement l’esprit d’entreprise ! Quant il n’y a pas cela, il n’y a que le repli sur soi ou la fuite romantique comme anticapitalisme communautaire.

Les gilets jaunes cumulent d’ailleurs tout cela, c’est pour cette raison qu’ils marchent. Ils veulent de l’argent pour vivre comme avant leur repli sur soi, ils s’organisent comme une petite entreprise, ils fantasment des solutions romantiques, le reste du monde n’existe pas aux yeux de leur égoïsme.

C’est la fin d’un style de vie, la fin d’un monde, et au lieu d’imaginer un autre monde et d’assumer que le capitalisme décide leur vie – ce qu’ils savent très bien – ils veulent retourner dans le passé. Ils minent puissamment la société.

Car est-il nécessaire de préciser alors quelles sont les conséquences sur une telle société de mots d’ordre lancés comme « Macron dictateur » ou « Abolition de la cinquième République » ? Les gilets jaunes, partout où ils passent, distillent simplisme, démagogie, complotisme, fureur plébéienne, passivité des esprits.

Ils servent objectivement (et même subjectivement pour beaucoup) la vague d’extrême-droite qui va déferler sur notre pays lors des prochaines élections, les Européennes dans quelques mois.

Il n’y a guère que Jean-Luc Mélenchon pour s’imaginer qu’il faut être encore plus populiste pour tenir le coup. Bien au contraire, seule la défense intransigeante des fondamentaux de la Gauche peut servir d’ancre, car seule la classe ouvrière est imperméable à l’irrationalisme.

Encore faut-il par ailleurs souligne un danger terrible qui peut s’ajouter. La France ne connaît pas en ce moment de crise économique majeure. L’économie tourne, le capitalisme fonctionne à un bon régime. S’il y a un ralentissement, une rupture, imaginons les terribles conséquences que cela aurait, l’accélération que le cours des choses connaîtrait !

Et quiconque n’a pas été happé par le train-train de la vie quotidienne sait que rien n’est plus instable que le capitalisme…

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Les cahiers de doléances de 1789, une expérience démocratique française marquante

A chaque crise politique, il ressort d’une manière ou d’une autre dans notre pays la référence historique aux « cahiers de doléances » et plus largement à l’expérience historique qu’a constitué la convocation des États Généraux entre le mois de janvier et de mars 1789.

Il y a dans cette épisode une réelle dimension populaire et même partiellement démocratique. Mais cette expérience a été située historiquement, et s’y référer aujourd’hui ne peut-être autre chose qu’une flatterie démagogique servant la dérive populiste contre toutes les exigences populaires à la véritable démocratie.

Le 21 janvier 1789, le roi de France Louis XVI lançait donc depuis Versailles la convocation des États Généraux du Royaume, sur la base d’une vieille institution féodale abandonnée depuis 1614. Les États Généraux étaient en effet jusque-là une assemblée à vocation fiscale censée représenter tout le Royaume organisé par « États » ou Ordres : le Clergé et la Noblesse d’un côté, en charge de l’appareil d’État, et de l’autre, le « Tiers État » regroupant l’ensemble des habitants en charge de la production et de la circulation des marchandises, largement dominé par les couches bourgeoises de la société française. Le vieil adage féodal concernant la levée de l’impôt était que « ce qui concerne tout le monde, doit être décidé par tous ».

La crise générale que traversait en 1789 le Royaume de France poussait justement à la réforme, il fallait définitivement casser l’ordre féodal et ses privilèges. C’était là l’idée du ministre des Finances de Louis XVI, Jacques Necker, le père de l’auteur Mme de Staël : s’appuyer sur le Tiers État pour obtenir une nouvelle levée d’impôts générale qui concernerait tous les Ordres de manière plus juste. C’est la raison pour laquelle tous les débats, qui mèneront finalement à la dissidence des députés du Tiers État notamment, porteront précisément sur l’organisation des votes au sein de l’Assemblée. Au traditionnel vote par Ordre, défavorisant le Tiers État, il était préféré un vote par tête, avec un doublement des députés du Tiers État, ce qui revenait donc à donner le pouvoir à cet Ordre contre les deux autres.

La convocation des États Généraux sous cette forme est donc déjà une nouveauté qui s’inscrit dans le processus révolutionnaire centré sur l’affirmation de la bourgeoisie, qui porte alors un véritable élan démocratique, tel que concevable dans le cadre d’alors.

Mais surtout, cette convocation est le premier véritable exercice de participation populaire à l’échelle de tout le Royaume, dessinant et affirmant comme jamais auparavant le cadre national français.

D’abord, l’organisation de l’assemblée est minutieusement décidée par le roi et son Conseil. Les ordres sont envoyés depuis le centre vers les masses, en suivant une organisation administrative encore très imparfaite, que la Révolution bourgeoise viendra justement réformer avec les départements et les préfets, jusqu’aux assemblées locales. Il n’existe pas encore de Commune à ce moment, ce découpage sera lui aussi une autre réalisation de la Révolution bourgeoise. Mais la base est déjà là, demandant simplement sa rationalisation. C’est bien d’ailleurs ce qu’exprime l’État royal dans sa lettre de convocation :

« Cependant le respect pour les anciens usages et la nécessité de les concilier avec les circonstances présentes, sans blesser les principes de la justice, ont rendu l’ensemble de l’organisation des prochains États généraux, et toutes les dispositions préalables, très-difficiles et souvent imparfaites. Cet inconvénient n’eût pas existé si l’on eût suivi une marche entièrement libre, et tracée seulement par la raison et par l’équité ; mais Sa Majesté a cru mieux répondre aux vœux de ses peuples, en réservant à l’assemblée des États généraux le soin de remédier aux inégalités qu’on n’a pu éviter, et de préparer pour l’avenir un système plus parfait. »

Il est décidé l’organisation de débats au sein de chaque Ordre dans absolument tout le territoire soumis au roi de France, y compris dans les colonies. Ces débats seront organisés au sein des assemblées régulières de ces Ordres : les assemblées et conseils pour la Noblesse, les différentes institutions religieuses pour le Clergé, à l’exception notable des Hôpitaux et des écoles pourtant sous son contrôle, mais déjà considérées par l’État royal comme des institutions relevant non du Clergé, mais de de facto de l’administration publique.

Concernant le Tiers État en particulier, l’organisation de ces espaces de débats s’est naturellement coulée dans les nombreuses assemblées régulièrement tenues au sein des corporations des arts et métiers ou des arts libéraux dans les villes et dans le cadre des paroisses dans les villages. Mais déjà se sent l’étroitesse de ce cadre issu de la période féodale : les habitants non incorporés dans une profession sont convoqués à titre individuel à l’Hôtel de ville, et les communautés paroissiales rurales sont explicitement placées dans l’orbite d’une ville proche où leurs doléances exprimées au sein de ces assemblées seront synthétisées avec celle de la ville dont elles dépendent. Seule la ville de Paris dispose toutefois d’un cadre municipal institutionnalisé, les autres agglomérations doivent donc développer, sur la base de l’expérience et de l’adaptation, des formes hybrides, qui poussent à briser celui des corporations au profit d’une unité territoriale de la ville basée sur l’Hôtel de ville. Au bout du compte, c’est d’ailleurs à l’Hôtel de ville que tous les cahiers de doléances de la ville et des campagnes alentours seront synthétisés.

Les personnes amenées à participer aux débats sont aussi précisées par l’ordre royal :

« A laquelle assemblée auront droit d’assister tous les habitants composant le tiers-état, nés Français ou naturalisés, âgés de vingt-cinq ans, domiciliés et compris au rôle des impositions, pour concourir à la rédaction des cahiers et à la nomination des députés. »

La participation des femmes est possible, mais elle n’est exprimée que dans le cas des communautés religieuses féminines dans l’Ordre du Clergé et dans celui de femmes tenant un bénéfice, c’est-à-dire une charge publique ou une seigneurie, dans l’Ordre de la Noblesse.

Si la participation populaire est générale, elle est bornée par les formes même de cette organisation décidée par la monarchie, s’appuyant largement sur la bourgeoisie. Partout, y compris dans les villages par le rôle des notaires notamment, c’est elle qui tiendra le premier rôle, assumant la charge de greffier et celle de porter les doléances aux échelons supérieurs. L’écrasante majorité des députés ainsi désignés seront directement issus de la bourgeoisie, qui ne représente qu’une minorité de tout le Tiers État.

L’idée d’exprimer un compte-rendu de chaque assemblée sous la forme d’un cahier de doléance, mettant à l’écrit les décisions ou les voeux de ces assemblées est en soi un témoignage précieux de la culture politique de notre pays à ce moment de son histoire. Pour la première fois, d’une manière aussi généralisée, le peuple s’exprime.

Le délai pour réunir ces assemblées était relativement court : en 94 jours, tout devait être fait et prêt à être remonté à Versailles. Mais leur succès est fulgurant, on en conserve aujourd’hui encore plus de 500, provenant de toute la France. Certains témoignent certes d’une obséquiosité totale à l’égard des traditions et de l’ordre féodal, mais d’autres sont extrêmement revendicatifs, sortent même complètement de l’idée initiale et servile de « doléances » c’est-à-dire d’une demande faite à un supérieur « naturel » avec humilité.

On y trouve des demandes reflétant l’exigence de prendre en main le quotidien, de décider collectivement ce qui est bon pour tous : l’accès à la forêt, la restriction des droits de chasse de la Noblesse, l’inquiétude par rapport à la pollution de telle rivière, la volonté de faire durer ces assemblées, d’étendre encore leurs pouvoirs bien au-delà des seules questions fiscales.

Mais toutes ces revendications populaires n’ont pu trouver leur chemin, car l’élan révolutionnaire était alors tout entier appuyé sur la bourgeoisie, qui était seule en mesure de se dresser contre l’Ordre féodal à bout de souffle et de conquérir l’État, mais non de satisfaire pleinement toutes ces attentes démocratiques. Ce sera là tout le grand succès contradictoire de la Révolution bourgeoise de 1789 et de ses suites, jusqu’à la fin définitive des illusions en 1848.

On a donc là une expérience ayant marqué l’Histoire de notre pays de manière significative, en particulier bien entendu la bourgeoisie. Il y a dans cette référence l’idée d’une participation sous contrôle réussie du peuple, d’une mobilisation bornée. L’idée du gouvernement de réactiver cette expérience en réponse au mouvement des Gilets Jaunes relève donc de la répétition historique forcée, c’est-à-dire de la farce sinistre, qui ne pourra que dégoûter encore davantage les masses de la participation politique dans les formes des institutions officielles.

Tenir aujourd’hui dans les mairies des « cahiers de doléances », organiser de-ci de-là quelques assemblées à la va vite ne produira pas d’effets démocratiques majeurs si les choses en restent dans ce cadre, c’est l’évidence même. Mais cela rassure la petite-bourgeoisie et flatte la culture réactionnaire de la bourgeoisie qui y voit la réitération de ses propres succès, de sa capacité à mobiliser le peuple, que ce soit d’ailleurs en faveur du gouvernement ou non. Toute l’idée du RIC et des débats annoncés s’inscrit dans ce cadre qui relève donc de la pure mobilisation populiste : il s’agit de s’appuyer sur les masses, pas de leur donner le pouvoir. Soit pour confirmer le gouvernement, voire le régime, soit au contraire pour tenter de le renverser au profit d’une autre fraction de la bourgeoisie, en l’occurrence son aile la plus réactionnaire.

Toutes les illusions d’une personne comme Jean-Luc Mélenchon et plus largement même de son mouvement de la France Insoumise tiennent aussi à leur idéalisation complète de ce que fut la Révolution de 1789, qu’ils perçoivent comme un genre de « mouvement citoyen » avant la lettre. C’est-à-dire comme celui qu’ils pensent incarner. Alors même qu’il s’agit désormais d’une pure flatterie démagogique de la bourgeoisie, qui au-delà des luttes entre ses propres fractions, partage entièrement cette idée que le peuple n’est là finalement que pour servir de point d’appui à l’arbitrage d’un conflit borné dans le cadre de ses institutions ou du moins de ses intérêts.

Pour la Gauche, les cahiers de doléances témoignent en revanche tout à la fois de la profonde vitalité, des idées inépuisables et des capacités d’organisation collectives gigantesques de notre peuple, des masses populaires. Mais ils sont aussi un marqueur politique, une étape historique qu’il faut nécessairement dépasser. Ils sont pour le dire clairement, la borne de ce qui relève aujourd’hui de la simple démagogie populiste qui ne mène à rien sinon au fascisme, contre la réelle mobilisation démocratique et populaire, qui pousse avec raison à sortir du cadre, à se réunir collectivement en assemblée et de plus en plus régulièrement, autour de soi, dans son quartier ou au travail.

S’assembler pour discuter de ce qui doit changer, trouver la voie collective pour poser les problèmes et exprimer les solutions, sans plus se mettre à la remorque de la bourgeoisie et de son populisme, ni du cadre de ses institutions, voilà une tâche pratique à laquelle la Gauche toute entière de notre pays doit s’atteler.

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La pétition réclamant la démission d’Emmanuel Macron

Une pétition issue des gilets jaunes et réclamant la démission d’Emmanuel Macron a recueilli 492 467 signatures, ce qui est assez révélateur de l’état de la société française.

Pétition : démission du président Macron

Évoquons tout d’abord l’objectif de cette pétition : la démission d’Emmanuel Macron, comme solution au manque de démocratie de la Cinquième République, et à tous les problèmes de la population.

Comment peut-on prétendre que changer de Président plus tôt que prévu changerait quoi que ce soit dans les institutions de l’État français ? On atteint là des profondeurs insoupçonnées dans le gouffre de la déliquescence idéologique de notre société. Ce niveau de réflexion, qui ne dépasse pas la discussion de bistrot, est d’ailleurs revendiqué :

« Avons-nous réellement besoin de disserter des années pour comprendre la base du problème ? »

C’est vrai, quoi ! Pourquoi réfléchir, quand on peut faire du populisme de bas étage ? Si tout va mal, c’est la faute d’Emmanuel Macron, « élu avec [sic] 16 % des électeurs ». Rien à voir, évidemment, avec le mode de production capitaliste, avec le fait qu’il soit en crise ou que l’État n’en soit que le reflet institutionnel.

L’explication n’est pas « un peu brève » : elle est inexistante. Cela n’empêche pourtant pas son initiateur, « Lucchesi », de présenter sa pétition comme l’initiatrice de « grands changements ».

Peu importe que l’initiateur de la pétition confonde président et gouvernement (on nous dit qu’il faut virer le président… car le gouvernement décide des guerres… ce qui est faux, une fois encore), et n’envisage sa pétition que comme une espèce de test pour vérifier une dernière fois si la France est une démocratie ou non (« cela nous prouverait que le peuple n’est pas souverain »).

Passons sur l’idée qu’un président idéal doit, selon Lucchesi, contenter entre 50 et 100 % de la population, ce qui indique bien l’ignorance et la négation totale de la lutte des classes.

Passons également sur l’idée, finalement centrale, selon laquelle tout doit passer par le Président. Passons également sur l’objectif de réunir « 50 % des électeurs », soit entre 18 500 000 et 23 800 000 de personnes, selon qu’on se réfère aux inscrits ou aux votants.

Cette pétition est anti-Macron, mais certainement pas dirigée contre les institutions capitalistes, ni même au minimum contre la cinquième République…

Ce qui est inquiétant, c’est de constater que cette pathétique tentative soit en mesure de recueillir autant de signature. Certes, ce ne sont pas 492 467 signatures sur une pétition aussi ridicule qui vont avoir une impact direct. En revanche, cela indique que 492 467 personnes ont jugé utile d’apposer leur signature au bas d’une réflexion comptoir, qui véhicule l’idée qu’il suffit que le « peuple », bourgeois, petit-bourgeois et prolétaires confondus, s’unisse pour changer le gestionnaire de l’État capitaliste, pour que l’État devienne démocratique et populaire.

Bien sûr, les commentaires sont à l’avenant. Si deux ou trois sortent du lot, en ce qu’ils sont un cri de révolte authentique d’un peuple qui souffre du capitalisme ( « Honteux la réduction des retraites savez vous combien coûte une maison de retraite et sans plus beaucoup de personnel ! »), on y trouve, grosso modo, tout ce qui, finalement, compose le mouvement des gilets jaunes. On y lit (assez péniblement d’ailleurs) des commentaires de bistrot (« casse toi », « pas voter mr macron », « marre de ce type », « macron démission », « dégage »), des phrases pseudo-lyriques, typiques de la petite bourgeoisie qui verse dans le pathos, la théâtralisation et le verbiage (« Il n’aime pas les français, pourquoi devrions-nous l’aimer ? », « Finisson avec l exclavages .. », « Les tyrans, dehors ! », « Le ROI doit descendre de son piédestal, l’époque des rois et seigneurs est finie depuis longtemps », etc.).

On trouve des insoumis (ou assimilés), qui parlent de VIe République, qui défendent le « peuple » contre la « finance » (sans jamais parler de capitalisme, bien évidemment), avancent même parfois tout leur programme (comme si la démission de Macron signifiait leur victoire immédiate), quelques altermondialistes, qui prônent tel ou tel système de vote (« Vive le Jugement Majoritaire. Regardez sur Google. ») ou glosent sur le vote blanc, qui serait la solution miracle.

Et, bien sûr, il y a les fascistes. Les fascistes qui, probablement, s’ignorent sont ceux qui jugent Macron « inefficace », « incapable » de gérer l’État. Ils montrent bien là leur logique de gestion par en-haut de l’État. Les autres sont des fascistes bien plus ouverts et crient à la « trahison de la Nation », à la « vente de la France », jugent que Macron est un « pédéraste » qui représente la « secte maçonnique », et en appellent à la renaissance de la France, à la « FRANCE en marche », et crient « France d’abord ».

Cette pétition et ses commentaires symbolisent finalement très bien comment l’apolitisme et les délires altermondialistes de la gauche petite-bourgeoise et anti-ouvrière mènent au fascisme, le renforcent et l’accompagnent.

 

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Gilets jaunes : la France coincée entre Emmanuel Macron et les populistes

Le huitième samedi des gilets jaunes a mobilisé 50 000 personnes et souligne bien une chose : la France va se retrouver coincée entre des pro-Européens regroupés autour d’Emmanuel Macron et une vague populiste portée par l’extrême-droite et soutenue par l’ultra-gauche.

La raison s’évapore, la rationalité disparaît ; le nihilisme triomphe, la confusion nationale et sociale s’impose et Emmanuel Macron cherche à se placer comme seul recours.

La « gauche » qui a soutenu les gilets jaunes s’est d’ailleurs littéralement suicidée : c’était prévisible, désormais c’est acté. Il est désormais flagrant que les gilets jaunes véhiculent un style, une démarche, une perspective, pour ne pas dire une idéologie, totalement opposé aux valeurs de la Gauche.

Le huitième samedi des gilets jaunes a d’ailleurs connu quelques épisodes assez typiques du genre, dans une sorte de mélange de révolte brouillonne et de radicalité diffuse, propre à la panique face au déclassement. On a pu voir un boxeur professionnel, ancien champion de France, boxer des policiers à visage découvert, un acte d’une naïveté terrible amenant directement à la case prison.

On a pu également voir des gilets jaunes détournent un engin de chantier à Paris pour aller défoncer l’entrée des locaux du porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux. C’est là pour le coup tellement énorme qu’on a du mal à y croire : aucun État moderne ne peut avoir de tels problèmes de maintien de l’ordre, surtout avec quelques milliers de personnes seulement défilant à Paris.

Il en va de même pour l’attaque par 30 personnes d’une caserne à Dijon. Trente personnes dégradant soixante mètres de grillage, pénétrant dans la caserne, lançant des panneaux de signalisation et des barres de fer, avec un gendarme blessé à la tête de manière grave, perdant plusieurs dents… cela serait impossible si l’État avait décidé une répression réelle.

On devine ainsi qu’en réalité, le régime laisse faire et table sur un pourrissement du mouvement, il compte sur la lassitude des gens, et il sait très bien que les classes populaires ne participent pas, regardant cela de loin. Le but d’Emmanuel Macron est de se présenter comme recours pro-européen face aux populistes, il joue donc ouvertement avec le feu en laissant ceux-ci s’agiter.

Ce n’est là pas sans ressemblance avec l’Italie des années 1920 et l’Allemagne des années 1930, avec les forces libérales, s’imaginant incontournables face au populisme, laissant celui-ci se développer par opportunisme, pour apparaître comme incontournable. Cela ne veut pas dire qu’il ne faille pas préférer le libéralisme au fascisme, et les vrais gens de Gauche ont voté Emmanuel Macron pour barrer la route à Marine Le Pen. C’était autant de temps de gagné.

Mais il faut bien prendre conscience du caractère terrible de la situation. Les gilets jaunes expriment une hantise du déclassement, de la part de gens ne voulant surtout pas du socialisme, de la révolution ou de quoi que ce soit de Gauche. Ils veulent vivre comme avant, ils veulent la France du passé.

Ils ne veulent ni politique, ni rationalité ; ils ne portent que l’antiparlementarisme, le populisme comme solution aux problèmes. Ils refusent catégoriquement de viser les riches, les bourgeois, ils font comme si ceux-ci n’existaient pas. Il y aurait une sorte d’oligarchie, et l’État serait le seul souci. On a là un confusionnisme malsain et totalement idéaliste, qui ne sait que retrouver dans le bleu-blanc-rouge une identité.

C’est là une catastrophe intellectuelle et morale, tant sur le plan des exigences de l’Histoire en ce qui concerne le dépassement du capitalisme que sur celui de l’écologie, avec la lutte nécessaire contre le réchauffement climatique.

Les gens de Gauche peuvent le voir maintenant aisément et l’angoisse les saisit. L’ombre du fascisme s’agrandit désormais chaque samedi et pétrifie les espoirs d’un monde nouveau. Nous sommes censés apprécier l’ordre présent ou bien lui préférer l’ordre du passé, d’il y a quelques années… Un choix inacceptable !

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Les propos grandiloquents de Jean-Luc Mélenchon sur Eric Drouet

Jean-Luc Mélenchon a présenté hier ses « remerciements » de manière grandiloquente en l’honneur de la figure des gilets jaunes Eric Drouet. Il valorise la posture contestataire des gilets jaunes, les présentant comme des figures historiques alors qu’ils ne sont qu’une manifestation hystérique et improductive de la crise du capitalisme.

Jean-Luc Mélenchon aime s’imaginer important et adopter la posture de celui qui commente l’Histoire avec un grand H. C’est ainsi qu’il a déterminé hier dans un petit texte sur son blog, pour finir l’année 2018, que « l’histoire de France a pris un tournant » avec les gilets jaunes. Rien de moins ! Comme si un petit message au soir du 31 décembre suffisait à déterminer ce qui est historique pour la France.

Lui et son mouvement La France Insoumise considèrent en fait depuis le début ce mouvement comme étant de grande valeur. Dans un autre commentaire publié la veille le 30 décembre, il expliquait que les gilets jaunes justifient l’ orientation populiste, à rebours de la Gauche historique :

« Car le fait est que bien des organisations politiques de la gauche traditionnelle en France finirent aussi leur naufrage intellectuel dans cette circonstance. En effet, l’évènement confirma l’obsolescence de leurs logiciels d’analyse. L’obsession anti-populiste et l’hostilité de principe aux choix stratégiques des insoumis ont été de bien piètres boussoles. »

Il s’agirait donc avec les gilets jaunes d’une « révolution citoyenne », dont Eric Drouet serait une figure. De manière totalement délirante, il met ce dernier en parallèle avec un homonyme acteur de la Révolution française à qui Napoléon aurait dit « sans vous l’histoire de France aurait été toute différente ».

Cette comparaison est très intéressante car elle permet à Jean-Luc Mélenchon d’expliciter sa conception des choses, de la politique. Ce qui est flagrant, c’est qu’il n’est pas quelqu’un prônant la rationalité et la culture, mais plutôt le coup de force comme expression populaire.

Pour lui, ce ne sont pas les Lumières, en tant qu’expression idéologique et culturelle de la lutte des classes entre la noblesse et la bourgeoisie soutenue par les masses populaires qui ont permis la Révolution. Ce sont simplement des individus qui auraient osé s’opposer, dans un grand élan spontané.

Il est ainsi incroyablement parlant de voir une explication comme celle-ci de la part de Jean-Luc Mélenchon :

« Ce Drouet-là est un vrai modèle dans ce qu’est une révolution populaire : on n’attend pas les consignes pour agir ! Le peuple qui accourut pour ramener le roi à Paris, les soldats qui refusèrent de passer en force sur le pont, tous ont pour point de départ la situation créée par Drouet. »

Un tel propos propos n’a rien de Gauche, ni de près ni de loin. Il a d’ailleurs traditionnellement bien plus à voir avec le fascisme qui a toujours valorisé le spontanéisme, à l’image d’un George Sorel.

Parce que justement, sans organisation, sans la rationalité ouvrière, sans une grande remise en cause et de grands bouleversements sur le plan culturel, aucun réel mouvement populaire n’est possible.

Sauf que le fascisme ne veut pas d’un mouvement populaire, il n’en est que l’illusion, ou plutôt le détournement.

Et c’est précisément pour cela que les gilets jaunes ne représentent en définitive rien de bon ; ils ne se sont pas organisés de manière démocratique et populaire. Leur attitude diffuse et vindicative est tout à fait conforme au fascisme.

Jean-Luc Mélenchon explique être fasciné par Eric Drouet, par sa « sage et totale détermination », alors qu’il est en fait précisément une expression de la vacuité des gilets jaunes.

Il avait marqué les esprits au mois de décembre pour avoir refusé de se rendre à une convocation du Premier Ministre à Matignon, précisément pour cette raison du caractère disparate, nébuleux, du mouvement. Rien n’y a fait pour autant, les gilets jaunes n’ont à aucun moment permis une organisation démocratique, il n’y a jamais eu de structuration ni d’expression élaborée.

Ils sont restés figés dans la posture hystérique historiquement insignifiante de gens se contentant de dire « non », « Macron démission ».

Il est nécessaire ici d’aller voir en détail la nature des nombreuses vidéos « selfie » diffusées en « live » sur Facebook par cet Eric Drouet. Disons-le franchement, le niveau est lamentable, il y est raconté tout et n’importe quoi, avec des commentaires à l’emporte pièce sur différents sujets qui ne sont pas étudiés, avec beaucoup de choses imprécises qui sont dites, voir même des contre-vérités.

Il s’agit là de gens qui débarquent, ne connaissent rien à la politique, en tant qu’actualité économique, culturelle et sociale du pays, refusent même tout étude de la politique, et s’imaginant pouvoir peser, juste parce qu’ils donnent leur avis et qu’à un moment donné il y a des milliers de personnes qui les écoutent.

Que Jean-Luc Mélenchon trouve cela fascinant, qu’il s’agisse pour lui de « la fin d’année politique la plus motivante de [sa] longue vie d’engagements » en dit long sur ce qu’il représente, sur son populisme.

Ce populisme qui est d’ailleurs tout à fait en phase avec la rhétorique nationaliste antisémite critiquant « l’argent roi » emprisonnant le pays :

« J’ai donc le cœur plein de gratitude pour ces gilets jaunes qui mènent avec tant de bon sens, tant de sang-froid, tant de constance, le combat pour libérer notre pays des chaînes de l’argent roi. »

Les gilets jaunes ne représentent rien d’historique en eux-mêmes, ils ne sont qu’un sous-produit, un soubresaut populiste annonçant l’avancée terrible du fascisme dans la France en crise du XXIe siècle.

Et Jean-Luc Mélenchon converge avec ce phénomène.

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Un acte VI des gilets jaunes toujours plus faible à tous les niveaux

Malgré une médiatisation de très haute importance et un activisme débridé, les gilets jaunes disparaissent, leur base sociale ne relevant somme toute que des classes moyennes. Cet effondrement s’accompagne d’une théâtralisation des gilets jaunes soulignant une fois de plus qu’on est là en-dehors de la lutte des classes.

Gilets jaunes

Les rassemblements des gilets jaunes pour un septième samedi consécutif reflètent le fiasco général de ce mouvement. Sur le plan du nombre, on doit tourner autour du tiers par rapport à la semaine dernière, où il y avait à peu près 40 000 personnes de mobilisées.

Malgré tout le tapage médiatique, l’utilisation massive des réseaux sociaux, les multiples blocages de routes et les initiatives les plus diverses, le mouvement des gilets jaunes s’étiole, s’efface littéralement. Rien de concret ne le porte, à part la rancoeur des classes moyennes.

Sur le plan des idées, la dimension politique révèle par conséquent désormais ouvertement ce qui était déjà clair pour qui avait des yeux et osait voir, pour qui avait des oreilles et osait entendre. Les drapeaux français ont été la norme, les dénonciations de « l’oligarchie » le principe, l’appel à un référendum « citoyen » un mythe mobilisateur digne de Georges Sorel.

On a là un mouvement élémentaire, dans l’esprit de la jacquerie fiscale, le rejet de toute réflexion politique. Rien de bon ne peut en sortir et les gens ayant une conscience sociale de Gauche ont raison de craindre que ce ne soit l’extrême-droite qui tire les marrons du feu. Le mode opératoire des gilets jaunes est trop en phase d’ailleurs avec le style de l’extrême-droite pour qu’il n’en soit pas ainsi.

Le portail de la banque de France a été incendié à Rouen, le drapeau européen enlevé devant Radio France à Paris, alors que cette ville a vu également des rassemblements devant BFM TV et France Télévisions, ce qui relève d’une lecture complotiste des médias, qui « manipulerait » l’opinion, qui relèveraient simplement de quelques banquiers décidant de tout, etc.

Gilets jaunes

Non pas que les médias soient « neutres », mais justement, protester contre eux en demandant pourquoi ils ne le sont pas, c’est une naïveté apolitique convergeant avec le fantasme petit-bourgeois d’un État « neutre », au-delà des bourgeois et des ouvriers. Ce n’est pas pour rien justement que les gilets jaunes ont systématiquement évité les thèmes risquant de mettre en mouvement les bourgeois et les ouvriers.

Ils ont fait comme si les bourgeois et les ouvriers n’existaient pas… Pour justifier leur existence sociale et donner de l’importance à une révolte élémentaire sans queue ni tête. Et il est effarant de voir le contraste suivant : les blocages des gilets jaunes ont été marqués par la mort de dix personnes, que 1500 manifestants ont été blessés (une cinquantaine grièvement), sans pour autant que cela aille de paire avec une véritable affirmation politique.

C’est là totalement fou ! Il y a quelque chose d’ampleur, mais en dehors de toute politique. C’est très exactement ce qui correspond au Fascisme. Et quand on voit le philosophe Michel Onfray saluer un prêtre faisant une messe de Noël avec 250 gilets jaunes, on a compris ce qui se passe : c’est l’émergence d’une révolte des classes moyennes, avec la convergence des idéalismes, la fusion du national et du social, la spontanéité primitive érigée en lutte.

Le temps des fachos et d’une extrême-droite conservatrice-nationaliste est fini, voici désormais le Fascisme qui ressurgit historiquement, comme mouvement anticapitaliste romantique par en bas. C’est un tournant dans l’histoire de notre pays.

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L’effondrement des gilets jaunes mène au Fascisme

Comme cela était prévu, le mouvement des gilets jaunes s’effiloche toujours plus. De par sa nature sociale, il s’éteint, les « classes moyennes » étant incapables de porter quoi ce soit de positif par elle-même. Et forcément, ce n’est pas beau à voir : on a droit à des scènes littéralement baroques de grossièreté, de stupidité et d’arriérations intellectuelles.

Depuis la « quenelle » de Dieudonné entonnée sur les marches de la butte Montmartre à Paris au pantin représentant Emmanuel Macron dont la tête a été coupé à la hache par un « bourreau » à Angoulême, en passant par les violences stériles contre les policiers, on est dans le simplisme et la farce.

C’est un véritable cinéma qui prend fin, et il faut bien voir également qu’il y aura eu peu d’acteurs. 40 000 personnes mobilisées hier, c’est peu, et même si l’on prend le pic, avec un peu moins de 300 000 personnes le 17 novembre, c’est tout à fait comparable à une mobilisation syndicale ayant un peu de succès.

Le succès des gilets jaunes s’explique par la conjonction des opérations coup de poing sous l’égide de la petite-bourgeoisie radicalisée, des médias, de franges populistes se lançant dans la mêlée, avec également l’appui d’une partie de la bourgeoisie elle-même.

Car les gilets jaunes, c’est comme le Fascisme : c’est social, mais cela ne critique pas le bourgeois, cela n’utilise pas le terme de capitalisme mais désigne comme ennemi seulement la « banque » et « l’oligarchie ». L’état d’esprit est patriotique, la vision du monde est complotiste, la démarche communautaire, le degré de conscience politique est à zéro avec une même haine de la politique et du principe de parti.

C’est un cadeau des dieux pour la bourgeoisie, trop heureuse d’avoir affaire à un tel type de révolte, à une sorte d’anti-lutte des classes. Et le contre-coup va être énorme. L’ultra-gauche s’imaginait que les gilets jaunes portaient la révolution, en réalité ceux-ci sont une expression de crise et ils vont être un vecteur historique du Fascisme.

La vague post-gilet jaune arrivant va être terrible, elle va ébranler les fondements culturels de la société française. Ce qui a été remué, ce qui a été transporté – et notamment la convergence ultra-gauche / extrême-droite – va nous exploser à la figure.
Bien entendu si on imagine que le Socialisme ce sont des gens qui protestent en cassant des vitrines, on peut continuer de rêver. Mais si on sait que le Socialisme c’est la rationalité, l’organisation, la classe ouvrière, une réflexion intellectuelle avec une exigence de haut niveau, alors on voit bien que les gilets jaunes, c’est l’anti-Socialisme.

Quand on connaît l’histoire de France, on ne peut que voir en les gilets jaunes les ombres de Bergson et Sorel, de Proudhon et des Croix de Feu. Cette ambiance de gens qui ont « vécu », dans une logique de rudesse et de vitalisme, de négation de la politique avec une vision du « peuple » comme au-delà des classes… relève du fascisme, au mieux du proto-fascisme.

Cette expérience historique des gilets jaunes va marquer les esprits et va générer une multitude de structures relevant de cet état d’esprit. Cela est valable pour avant l’émergence des gilets jaunes, car il s’agit d’une convergence historique de toute une couche sociale. Le parallèle entre l’émergence d’une ultra-gauche glorifiant la casse pour la casse ces dernières années et celle des gilets jaunes doit être constaté avec rigueur, en en tirant les conclusions qui en découlent.

Nous vivons l’agonie de la petite-bourgeoisie, et cette agonie s’exprime par le symbolisme de la révolution, pour une contre-révolution par en bas. Cela mène tout droit au Fascisme.

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Le « référendum d’initiative populaire » contre la démocratie

La généralisation du référendum n’est pas une démarche démocratique servant les intérêts des classes populaires. Il relève du populisme le plus élémentaire, en niant la complexité des choses, en dépolitisant les sujets, ce qui mène tout droit au fascisme en contribuant à tuer la société civile.

Le « RIC », référendum d’initiative citoyenne, est la grande revendication du mouvement des gilets jaunes depuis le début de son effondrement. Dépouillé de ce qu’il pouvait avoir de populaire, quand il portait une révolte contre la vie chère et le mode de vie dépendant à l’automobile, le mouvement affirme maintenant pleinement sa nature populiste.

Il y a en effet quelque-chose de profondément idéaliste, pour ne pas dire irrationnel, à s’imaginer que la démocratie puisse s’incarner en des réponses « oui » ou « non » à quelques grandes questions.

La démocratie n’est pas un formalisme consistant en la somme des « points-de-vue » des individus. C’est quelque-chose de bien plus grand, un mouvement devant pénétrer chaque moment de la vie, avec un pouvoir populaire s’animant de manière concrète sur chaque aspect de la vie. C’est ce qu’on appelle la société civile, avec des gens s’organisant dans des moments particulier de la vie quotidienne et du monde qui nous entoure, débattant et façonnant des points de vue élaborés, en rapport avec des choses concrètes qu’ils connaissent et pratiquent vraiment.

Résumer cela en des questions posées aux électeurs, même régulièrement, et trouvant leur issue par « oui » ou « non », est une insulte à l’idée même de pouvoir populaire. La motivation du « RIC » n’est de toutes façons pas démocratique, mais se veut seulement une réponse rapide et facile à l’indignation de petit-bourgeois pris de rage face à leur propre situation.

Les gilets jaunes ne veulent pas faire de politique, ils ne veulent pas saisir la complexité du monde et des rapports sociaux, ils veulent simplement pouvoir dire « non ». Le « RIC » est la quintessence du consumérisme petit-bourgeois, complètement aliéné par le capitalisme, où tout est question de choix individuel, de défendre les intérêts de sa petite personne, sans aucune considération plus élaborée ni pour la planète, ni pour la communauté.

On imagine d’ailleurs très bien les dégâts si la société fonctionnait ainsi, car évidemment il ne serait plus possible d’avancer collectivement, plus personne ne voudrait plus rien mettre en commun ni se plier à l’exigence collective.

Le problème de notre société n’est pas que les hommes politiques soient incompétents ou qu’ils aient « trahi », comme le résument les populistes, mais qu’ils servent des intérêts de classe. Il ne s’agit donc pas de pouvoir simplement dire « oui » ou « non », mais de renverser le pouvoir de la bourgeoisie qui accapare la culture et les richesses, pour au contraire défendre les intérêts culturels et matériels des classes populaires.

Cela est bien plus complexe que des « RIC », car il faut s’organiser sur le long terme, connaître et défendre le long cheminement de la civilisation, avoir une opinion élaborée et aboutie conformément à la complexité de chaque phénomène particulier et des rapports sociaux et naturels en général.

Le référendum n’est bien sûr pas un outil qui serait mauvais en lui-même, car il ne s’agit que d’un vote et il est utile en démocratie que les débats et les réflexions puissent être tranchés à un moment donné. Mais le « RIC » ne consiste pas en cela. Il s’agit juste du prolongement du mouvement des gilets jaunes opposés aux taxes sur le carburant, qui veulent pouvoir lancer leurs pétitions à grandes échelles et faire voter tout le monde sur la fin d’une taxe, puis certainement d’autres taxes, etc.

Il ne faut pas s’étonner ici de voir une figure populiste comme François Ruffin de La France Insoumise soutenir pleinement le « RIC », qui figurait au programme en 2017 tant de Jean-Luc Mélenchon que de Marine Le Pen. Il y a eu cette polémique récemment car, lors d’une conférence à l’Assemblée Nationale, François Ruffin a félicité le fasciste Étienne Chouard qui est un initiateur reconnu du « RIC ».

Cela est logique, et tous ceux à Gauche qui ont refusé le populisme savent très bien qu’il existe depuis le référendum sur la constitution européenne en 2005 une grande convergence entre les nationalismes. Étienne Chouard n’est ici qu’un pont parmi d’autre entre la France Insoumise et le Rassemblement National, par l’intermédiaire d’Alain Soral notamment.

Ce qui est ironique par contre, c’est que la France Insoumise ne bénéficie pas du mouvement des gilets jaunes, malgré le fait qu’elle dise la même chose, car finalement les gilets jaunes préfèrent le Rassemblement National, la version originale, plutôt que sa pâle copie insoumise teintée de bons sentiments dépassés. C’est que la France Insoumise est encore trop « politique », et on imagine d’ailleurs que le Rassemblement National, qui a pourtant poussé très loin le populisme et le refus de la « politique-politicienne », des clivages politiques, est encore de trop pour certains gilets jaunes.

Leur « RIC », en tant qu’objet antipolitique et antidémocratique, en tant que fausse promesse démocratique et populaire, en tant qu’illusion populiste, en tant que négation de la lutte des classes, mène alors tout droit au fascisme.

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Politique

Gilets jaunes et chemises noires

Quiconque s’est intéressé un tant soit peu aux mouvements élémentaires comme les chemises noires ou les SA ne peut pas manquer de voir chez les gilets jaunes des similarités très nettes. Si l’idéalisme manque, la dynamique reste la volonté de « restauration » communautaire, au-delà des classes sociales.

gilets jaunes

La victoire du Front populaire a malheureusement fait oublier l’importance dans les années 1930 en France du Fascisme comme mouvement élémentaire, avec surtout le Parti Social Français du colonel De La Rocque, issu des Croix de Feu. A cela s’ajoute la volonté des historiens des universités de masquer ce fascisme français, en prétendant qu’il n’a jamais existé…

Les Français voient les SA comme un mouvement de robots défilant au pas de l’oie, conformément à ce qu’est censé être l’esprit allemand, et ils voient les chemises noires comme une sorte de truc chaotique d’hurluberlus en chemise noire tapant dans tous les sens, en correspondance avec une sorte de caricature des Italiens. L’esprit français serait évidemment au-delà de telles choses primitives, le Français étant « cartésien » par principe et éloigné de tout extrémisme. N’a-t-on pas une franc-maçonnerie où discuter entre gens de gauche et de droite, de manière raisonnable ?

Si l’on sort de tels raccourcis et qu’on porte un regard en historien, c’est-à-dire qu’on regarde les faits et qu’on en généralise des concepts, on voit pourtant que les gilets jaunes ont, dans leur attitude et dans leur positionnement, un mode de fonctionnement très proche des chemises noires et des SA.

Le principe des chemises noires et des SA est en effet le suivant. Il faut exiger une remise à plat de la société, dans le bon sens. Il faut donc adopter un esprit d’unité totale, dans le sens de l’affirmation de l’intérêt de la communauté générale. Il ne s’agit pas de discuter ou d’élaborer des concepts, mais d’affirmer des slogans et une volonté commune. Pour cela, un symbole identitaire est adopté dans l’habillement.

Il n’y a pas d’assemblée générale, pas d’élections, pas de hiérarchie. Mais il y a des meneurs, des chefs, qui s’affirment « spontanément ». Cette non-hiérarchie hiérarchique se constitue « spontanément » en allant de plus en plus haut. Elle devient le point de repère d’un mouvement diffus à la base, où des gens vont, viennent, dans un turn-over relativement important, tout se maintenant uniquement par esprit affinitaire.

Là le Fascisme se distingue des gilets jaunes, car le premier a un idéalisme que le second n’a pas, ou pas encore. Le Fascisme propose une mobilisation pour affirmer une forme de restitution d’un idéal qui aurait été volé. Les gilets jaunes n’en sont pas loin, mais ils sont surtout dans une nostalgie des décennies précédentes, avec leur stabilité. Malgré tout le misérabilisme qu’on entend ici ou là, voire partout, la France n’est pas du tout l’Italie des années 1920 ni l’Allemagne des années 1930.

Un argument contre cette manière de voir les choses pourrait constituer à dire que les gilets jaunes n’ont pas choisi de camp et qu’on peut encore les pousser dans telle ou telle direction, alors que les fascistes sont par définition des ennemis de la Gauche. C’est là une grossière erreur. Toute l’autocritique des antifascistes italiens et allemands a justement consisté à dire qu’il aurait fallu chercher à faire décrocher la base fasciste du Fascisme.

Non pas qu’il n’y ait pas eu de tentatives en ce sens, par ailleurs : on doit imaginer le courage de ces communistes venant dans les meetings nazis pour apporter la contradiction. Ces gens-là sont des héros. Il fallait un cran terrible pour aller dans un meeting avec des centaines de personnes a priori fondamentalement hostiles, pour trouver la force de trouver des failles dans la démagogie fasciste, pour prendre alors la parole et taper là où ça fait mal, afin de retourner l’opinion.

Il y a de nombreux autres exemples d’une approche similaire justement après la défaite, comme « la lettre aux chemises noires » du Parti Communiste italien, visant à démolir les certitudes fascistes. Le Parti Communiste français a fait quelque chose d’équivalent d’ailleurs (« Nous te tendons la main… »).

Dans un même ordre d’idées, après la défaite, il a fallu également mettre son ego de côté et assumer d’infiltrer les organisations fascistes de masse, les organisations para-syndicales, pour miner le régime de l’intérieur, pour toucher un maximum de gens et les pousser dans le bon sens. Un travail harassant et horrible : être de Gauche et devoir s’habiller en fasciste, faire semblant de l’être… C’est dégradant, et pourtant…

Par conséquent, considérer que les gilets jaunes présentent des similarités très fortes avec le fascisme ne signifie pas le rejeter de manière unilatérale. Cependant, cela veut dire ne pas croire qu’il suffit d’y participer ou de le fréquenter pour l’appréhender de manière adéquate.

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Politique

Benoît Hamon : les gilets jaunes comme « Printemps arabe »

Dans une interview au journal Le Monde, Benoît Hamon pose enfin une vision claire de comment il voit les choses. Le mouvement des gilets jaunes lui a évidemment forcé la main.

Benoît Hamon

Benoît Hamon, qui a fondé Génération-s afin de donner un nouvel élan à la Gauche, se retrouve dans une situation difficile de par la faiblesse de celle-ci, la faiblesse de son mouvement, l’émergence d’un concurrent direct (Place publique) et encore plus avec les ambiguïtés (au minimum) et l’ampleur d’un mouvement comme les gilets jaunes.

Il a tenu jeudi dernier un meeting à Paris, qui a été présenté comme un succès avec tout au plus 2 000 personnes, afin de se lancer en prévision des élections européennes. Dans le même temps, c’est part une longue interview au Monde qu’il a exposé quelques traits généraux de son orientation.

Enfin, pourrait-on dire, tellement Benoît Hamon oscillait entre un discours assez dur avec un retour aux sources, utilisant parfois même le terme de bourgeoisie, et une démarche ouvertement postmoderne, postindustrielle, avec des appels incessants à soutenir les migrants.

Aujourd’hui, une telle oscillation n’est plus possible. S’il était très prudent en effet auparavant, ne voulant se fermer aucune option, Benoît Hamon n’est plus en mesure de tergiverser. Il faut poser les choses.

Au Monde, Benoît Hamon ose donc enfin. Cela donne les choses suivantes. Il y a déjà les gilets jaunes : « cela marque le réveil du peuple français », c’est une « convulsion profonde de la société française ».

S’il dit qu’on ne sait pas si cela donnera plus de libertés ou un régime autoritaire, il évacue de la manière suivante la nature des gilets jaunes, au nom de ce qu’on peut appeler le « mouvementisme » :

« Ce qui me fascine, c’est la tétanie et la peur d’une grande partie des élites politiques par rapport à ce mouvement social.

Certains y voient de l’égoïsme, des gens qui préfèrent leur plein de diesel à l’avenir de leurs enfants. D’autres ne voient que les groupuscules fascistes ou insurrectionnels ; d’autres encore, que les racistes et antidémocratiques. Cela existe. Mais ce qui réunit les 80 % de Français qui soutiennent ce mouvement, c’est la volonté de transformer une société inégalitaire qui a perdu le sens de l’intérêt général et de la justice sociale (…).

Peu importe l’étincelle qui déclenche le mouvement actuel, il a un double moteur qui parle à tous les Français : les inégalités et le sentiment d’être pris pour quantité négligeable. A certains égards, ce mouvement qui mêle demandes sociales et démocratiques, ressemble aux « printemps arabes ». »

C’est là assez opportuniste, dans la mesure où Benoît Hamon se détourne de se confronter à la réalité en tant que telle des gilets jaunes. La référence aux « printemps arabes » est qui plus est extrêmement floue, puisque ceux-ci ont eu des formes difficilement saisissables, sans parler du rôle essentiel du média Al Jazira et des Frères Musulmans.

Mais, de manière intéressante sur le plan des idées, d’autres font pareillement référence aux « printemps arabes » au sujet des gilets jaunes, précisément dans toute la sphère intellectuelle voyant les choses en termes de « société postindustrielle ». Il s’agit des intellectuels s’inspirant de « l’autonomie italienne » et appréciant la « spontanéité » des mouvements sociaux « postindustriels ».

On est là dans la croyance. Il y aurait une sorte de mouvement flottant au-dessus des classes et surtout de l’État – qui transporterait une force citoyenne établissant des rapports sociaux meilleurs. Cette conception est très exactement celle de Michel Foucault, qui l’a très longuement exposé dans son analyse très positive de la révolution iranienne.

Faut-il ici y voir une sorte de romantisme orientaliste ? En tout cas, on a la même perspective postindustrielle d’une révolution qui serait une sorte de révolte de la société contre l’État.

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Politique

Fin des gilets jaunes, l’échec des petits-bourgeois pris de rage

D’après les chiffres officiels, il y a eu ce samedi 15 décembre deux fois plus de forces de l’ordre mobilisées que de gilets jaunes, respectivement 69 000 contre 33 500. L’« Acte 5 » du mouvement est assurément celui de son effondrement, la fin d’une agitation de petits-bourgeois pris de rage.

À part de la casse, des arrestations et un horizon borné à la contestation de l’impôt, le mouvement des gilets jaunes n’aura pas apporté grand-chose dans le paysage social-culturel de la France du XXIe siècle. Il s’effondre maintenant aussi vite qu’il est apparu, avec toutefois un grand nombres d’irréductibles continuant à vouloir forcer les choses ici et là, en s’imaginant faire la révolution alors qu’ils n’obtiendront plus rien.

Cela montre la dimension velléitaire des gilets jaunes, et on doit ici vraiment citer Lénine qui a donné une définition précise de la nature du petit-bourgeois pris de rage :

« On ne sait pas encore suffisamment à l’étranger que le bolchevisme a grandi, s’est constitué et s’est aguerri au cours d’une lutte de longues années contre l’esprit révolutionnaire petit-bourgeois qui frise l’anarchisme ou lui fait quelque emprunt et qui, pour tout ce qui est essentiel, déroge aux conditions et aux nécessités d’une lutte de classe prolétarienne conséquente.

Il est un fait théoriquement bien établi pour les marxistes, et entièrement confirmé par l’expérience de toutes les révolutions et de tous les mouvements révolutionnaires d’Europe, – c’est que le petit propriétaire, le petit patron (type social très largement représenté, formant une masse importante dans bien des pays d’Europe) qui, en régime capitaliste, subit une oppression continuelle et, très souvent, une aggravation terriblement forte et rapide de ses conditions d’existence et la ruine, passe facilement à un révolutionnarisme extrême, mais est incapable de faire preuve de fermeté, d’esprit d’organisation, de discipline et de constance.

Le petit bourgeois, « pris de rage » devant les horreurs du capitalisme, est un phénomène social propre, comme l’anarchisme, à tous les pays capitalistes. L’instabilité de ce révolutionnarisme, sa stérilité, la propriété qu’il a de se changer rapidement en soumission, en apathie, en vaine fantaisie, et même en engouement « enragé » pour telle ou telle tendance bourgeoise « à la mode », tout cela est de notoriété publique. Mais la reconnaissance théorique, abstraite de ces vérités ne préserve aucunement les partis révolutionnaires des vieilles erreurs qui reparaissent toujours à l’improviste sous une forme un peu nouvelle, sous un aspect ou dans un décor qu’on ne leur connaissait pas encore, dans une ambiance singulière, plus ou moins originale. »

Dans, La Maladie infantile du communisme (le « gauchisme »)

Ces propos sont des plus actuels, ils illustrent parfaitement la petite parodie d’insurrection populaire ayant eu lieu hier midi place de l’Opéra à Paris avec la prise de parole de quelques « leaders » dont le délirant « fly riders » ou Priscillia Ludosky, à l’origine d’une pétition à succès.

Il faut au contraire, pour changer les choses, une conscience claire de ce qu’est le capitalisme et de comment la bourgeoisie en tire profit, en tant que classe exploiteuse. Il faut un style rigoureux, assumant l’idéologie, la politique, la raison et le bouleversement à grande échelle des habitudes pour changer la vie, mettre à bas ce qui nuit.

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Réflexions

Johnny Halliday, le gilet jaune, l’écran plat, McDonald’s

Malgré une élévation relative de leur niveau de vie, les couches populaires restent expressément bloqués dans un nombre de références particulièrement restreint. Elles sont très corrompues par le mode de vie fourni par le capitalisme.

Gilets jaunes

Il y a dans le peuple des gens qui savent tout en un certain domaine, en particulier dans les choses concrètes, depuis les circuits électriques d’un flipper jusqu’aux opéras. Pourtant, pris dans l’ensemble, le système de références des gens est vraiment très restreint. Si les couches supérieures disposent d’une capacité à s’appuyer sur de nombreuses conceptions, de nombreux concepts, de nombreux faits, etc., on a toujours l’impression que les couches populaires partent de zéro et font avec les moyens du bord.

Ces moyens du bord se retrouvent dans l’environnement immédiat. Le mouvement des gilets jaunes a par exemple comme symbole le chasuble obligatoire depuis quelques temps dans chaque voiture, en cas de panne. Une autre référence des gilets jaunes a été le drapeau tricolore, le drapeau national. Là aussi, on ne va pas chercher bien loin.

Et c’est typique : pris personnellement, chacun a énormément de choses à dire, une vraie complexité. Pris individuellement, c’est la catastrophe et le nivellement vers le bas, ce qui est visible d’une manière bien nette lors d’un mouvement social, d’une manifestation syndicale, etc. C’est comme si les gens étaient cassés en deux et perdaient toute complexité. Pire, comme s’ils n’en voulaient plus.

Quiconque perd de vue cette capacité à refuser la complexité se retrouve dans la situation de ne pas être en mesure de comprendre ce qu’est le fascisme. Le fascisme, c’est l’abaissement au degré zéro des « complications » d’ordre philosophique, politique, théorique. C’est la simplicité grossière, une sobriété intellectuelle réduite à la stupidité béante.

On a dit ici et là que les gilets jaunes ont un horizon borné parce qu’après tout c’est normal, ils débutent en politique, ils ne connaissent rien. Ce n’est pas vrai. Le peuple connaît plein de choses. S’il voulait, il pourrait. Or, il ne veut pas. Il privilégie le simple, il refuse le complexe.

Il choisit d’avoir comme horizon l’écran plat des télévisions. Il sait très bien – il y a l’école, l’histoire en elle-même, et même internet – qu’il y a des possibilités de révolte, de révolution, du critique du capitalisme. Mais il reste étranger à cela.

Ce n’est pas qu’il n’en a pas conscience, c’est qu’il ne veut pas avoir l’éventualité de cette conscience. Il choisit d’accepter la corruption par le capitalisme. De manière relative, mais c’est un choix quand même. Il sait que McDonald’s, c’est « mal ». Car mauvais pour la santé, les salaires des employés, les animaux, l’écologie. Mais il relativise. Il ne veut pas savoir.

Toute cette attitude provient des succès du capitalisme avec les « trente glorieuses » et ce qu’il en est resté par la suite. A quoi s’est ajouté la chute du bloc de l’est, l’irruption de la Chine comme usine du monde, cela a aidé le capitalisme.

Aujourd’hui cela se termine. Cependant cela fait quand même cinquante années que cette attitude dure grosso modo, et forcément cela laisse des traces. Pas seulement dans la faiblesse des conceptions, mais également dans la fainéantise. D’où l’acception de cet horizon restreint, qu’il faudrait même défendre ! Johnny Halliday, le gilet jaune, l’écran plat, le McDo…

Croire que parce que les gilets jaunes forment un mouvement social, il y aura spontanément du contenu qui va tomber du ciel, un accroissement formidable du niveau culturel, c’est ne pas comprendre que les gens vont devoir choisir de rompre avec la corruption historique qui les a marqués.

Et ce n’est pas gagné. Beaucoup préféreront renforcer la France, aller à la confrontation avec d’autres pays, piller le tiers-monde. Pour ne pas toucher à rien, pour ne rien remettre en cause…

Cet aspect là est peut-être l’un des plus complexes en France dans l’affrontement avec le capitalisme !

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Politique

Un discours d’Emmanuel Macron qui converge avec la montée du refus de la démocratie

Emmanuel Macron n’a pas compris le sens des gilets jaunes et propose des mesures sociales, accompagnées de propositions pour renouveler la gestion de l’État. C’est une démolition par en haut des principes démocratiques, les gilets jaunes agissant par en bas pour les détruire également. Cela forme un boulevard pour la démagogie fasciste.

 

Le discours « à la nation » d’Emmanuel Macron en réponse au mouvement des gilets jaunes a été d’une faiblesse ahurissante. On a immédiatement vu le fossé qui sépare quelqu’un comme lui, ou Nicolas Sarkozy, François Hollande, des véritables ténors politiques du passé comme François Mitterrand, Georges Pompidou ou Valéry Giscard d’Estaing.

Ses mesures sont de véritables recettes de cuisine sociale, consistant en des annonces censées étouffer les motivations sociales (annulation de la CSG pour les retraités gagnant moins de 2000 euros par mois, suppression des impôts et charges pour les heures supplémentaires dès 2019, augmentation du Smic de 100 euros par mois en 2019).

Il passe complètement à côté de la nature de la révolte des gilets jaunes, dont le noyau dur consiste en une petite-bourgeoisie prise de rage par les déséquilibres du capitalisme. Ce qu’elle veut ne peut pas être défini, conceptualisé, et donc a fortiori on ne peut y répondre autrement que par l’apparence de modifications du régime lui-même, au minimum.

Tout va donc encore plus rapidement qu’on ne pouvait le craindre. Emmanuel Macron a asphyxié Marine Le Pen lors de l’élection Présidentielle, ce qui était autant de temps de gagné, mais là on se retrouve déjà dans la période d’après, où son positionnement libéral se confronte à une immense secousse populiste.

Il est évident que c’est là non seulement le résultat d’une question française, mais aussi le produit de toute une situation internationale marquée par le Brexit, la victoire de Donald Trump et de Jair Bolsonaro, l’arrivée de l’extrême-droite au gouvernement en Autriche et en Italie, la montée de l’AFD en Allemagne, la poussée expansionniste de la Russie et son soutien aux courants ultra-nationalistes en Europe occidentale.

La machine capitaliste s’emballe et la Gauche est inexistante pour mobiliser et encadrer. Pire encore, la révolte se développe désormais de manière populiste, de manière soi-disant apolitique, donc nécessairement portée par des populistes, des cadres d’extrême-droite, des gens qui récusent le débat intellectuel et les questions démocratiques et ne raisonnent qu’en termes de référendum, de corporatisme « par en bas ».

C’est l’effondrement de la démocratie « à l’ancienne » et il y a désormais convergence avec ce qu’Emmanuel Macron représente justement : une « modernisation » servant de tremplin à la liquidation de la démocratie « à l’ancienne ».

Dans son discours, Emmanuel Macron a d’ailleurs souligné l’importance que des gens sans-partis soient présents dans les débats, que l’État cesse sa gestion « trop centralisée » car « depuis Paris », etc. C’est une contribution directe à la tendance à la négation de la démocratie comme principe général.

Il ne s’agit pas de dire qu’auparavant on était en démocratie, mais qu’il y avait au moins l’apparence de l’exigence de celle-ci. Là on est dans sa liquidation, par en bas et par en haut. Les couches supérieures de la société sont dans une gestion technocratique et avec les gilets jaune on a le vecteur direct des exigences du fascisme comme mouvement romantique en bas.

Comment dans un tel contexte la Gauche peut-elle exiger la raison, la réflexion, des principes, une discipline de parti autour d’un programme ? Il va de soi que cela va demander un vrai travail de fond, de la part des gens conscients que le mouvement ouvrier est social et démocrate, que le socialisme qu’on doit exiger s’appuie sur une forme d’organisation rationnelle, réfléchie, avec des principes bien déterminés.

Quiconque fantasme sur les gilets jaunes doit bien voir qu’en quatre semaines, il n’est jamais allé dans le sens des grèves, des assemblée générales, de la formation de conseils populaires. C’est pourtant le critère de base pour juger la nature démocratique, au sens révolutionnaire, d’un mouvement.

Il faut bien être conscient qu’en n’étant pas capable de canaliser les gilets jaunes comme révolte des « classes moyennes », Emmanuel Macron et le régime laissent le champ libre au fascisme comme mouvement romantique par en bas.