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Les 150 ans de la démocratie directe suisse

Les gilets jaunes ont comme leitmotiv le référendum d’initiative citoyenne (RIC), qu’ils considèrent comme la panacée pour résoudre les problèmes liés à la domination d’une « caste » technocratique. Ce 18 avril 2019, on célèbre justement les 150 ans de la démocratique directe à Zurich, ce qui a ouvert la voie au « style » référendaire à la suisse. C’est l’occasion de voir que ce que demandent les gilets jaunes n’est pas original, ni par ailleurs conforme aux exigences populaires.

Le 18 avril 1869, ce fut à Zurich le triomphe des populistes, comme Johann Caspar Sieber, qui entendaient réduire le parlement à une sorte de commission préparatoire. 60 % des voix se portèrent sur une réforme constitutionnelle, établissant le référendum comme base des décisions, supprimant donc la démocratie représentative pour la remplacer par ce qui sera par la suite appelé la « démocratie directe ».

Quelques années plus tard, la Suisse dans son ensemble effectuait un pas décisif dans cette direction ; rappelons qu’il s’agit d’une confédération, avec donc une très importante décentralisation. Mais c’est là justement le problème : comment le peuple peut-il s’exprimer dans son ensemble, si on le découpe en tranches ? Ou bien faut-il alors rejeter le principe de la souveraineté populaire à l’échelle nationale ?

Cette problématique a également beaucoup marqué le mouvement ouvrier, par exemple avec l’opposition entre Rosa Luxembourg et Lénine en 1917. Rosa Luxembourg était pour le maintien d’élections et d’un parlement, alors que Lénine était pour le pouvoir des soviets, c’est-à-dire des comités populaires organisés à la base.

Le système suisse, qui s’est ensuite également développé surtout dans l’Ouest américain sous l’impulsion des « populistes », n’a évidemment rien à voir avec les soviets. Il correspond en fait au rêve anarchiste de décentralisation absolue, où des individus décident de ce qui leur semble individuellement le plus adéquat. De nombreux penseurs socialistes utopiques en furent d’ailleurs une source idéologique locale.

À partir donc du 18 avril 1869, à Zurich, 5 000 citoyens peuvent appeler à un vote pour modifier une loi ou la constitution. Toute modification de la constitution ou des lois exige également un référendum, tout comme les dépenses supérieures à 250 000 francs suisses. La composition du gouvernement et les conseils communaux sont pareillement élus directement.

De manière très intéressante par rapport aux gilets jaunes, Zurich mit également en place une banque cantonale, pour faciliter l’obtention de crédits. Le parallèle est ici flagrant. Dans une même perspective, les impôts deviennent désormais progressifs, avec les riches devant payer davantage.

L’objectif est ici de souder la communauté, sur une base libérale solidaire, et de mettre de côté les patriciens, c’est-à-dire les capitalistes fortement développés et exerçant une pression conservatrice très forte. Leur grande figure était Alfred Escher, qui fut responsable du conseil d‘État, président du conseil d’administration du Crédit Suisse, président de la direction de différentes sociétés de chemins de fer, etc.

Il s’agissait ni plus ni moins que d’empêcher que les grands capitalistes fassent passer les institutions et l’administration sous leur coupe. C’est un peu la même chose avec l’opposition entre républicains et démocrates aux États-Unis. Mais c’est uniquement un conflit entre riches et ceux qui vont le devenir, tout comme Emmanuel Macron représente la nouvelle vague de riches contre l’ancienne.

Et il n’y a aucune expression politique populaire ni aux États-Unis ni en Suisse, car les bourgeois nouveaux combattent les bourgeois du passé en mobilisant le peuple contre ceux-ci, les accusant de tous les maux dans les institutions et l’administration. Comme en plus le système est particulièrement décentralisé, les mentalités se réduisent à des perspectives locales, empêchant toute envergure dans le raisonnement.

Impossible surtout de voir des classes sociales dans un tel découpage localiste, dans ces considérations individuelles et cette volonté de chasser les anciens pour mettre des nouveaux, sans qu’il n’y ait aucune considération sur le contenu. Tout serait une question de personnes, de nouvelles personnes contre les anciennes personnes.

C’est la raison pour laquelle la Gauche historique ne peut pas accepter cette logique populiste. La Gauche historique raisonne en termes de parti politique avec un programme établi par ses membres, avec une fonction d’avant-garde pour exprimer les intérêts du peuple. Le populisme propose lui un remplacement formel d’individus pour que le « système » se remette à fonctionner.

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Acte 22 des gilets jaunes : désormais comme Nuit debout

La petite minorité des gilets jaunes perpétue sa tradition, vaine et ayant lassé le pays depuis longtemps. C’est une faillite intellectuelle totale, mais les gilets jaunes ne conçoivent même pas de quoi il peut en retourner.

22 samedis d’affilée ! Sur ce plan, c’est un indéniable succès, la preuve d’une grande ténacité, et c’est bien le problème. Comme il était dit dans le monde romain, Errare humanum est, perseverare diabolicum, L’erreur est humaine, l’entêtement [dans son erreur] est diabolique. Tout ça pour ça, tout pour rien, avec comme seul horizon l’amertume, c’est terrible.

En 22 samedis, il n’y a eu aucune progression sur le plan des idées, de l’organisation, des valeurs. Il n’y a eu aucun saut qualitatif, et ce malgré les multiples changements de situation selon les samedis. Le grand symbole de ce 22e acte des gilets jaunes, c’est d’ailleurs leur nombre à Toulouse : 4 500. Un nombre ridicule de par l’ancrage de la ville dans un horizon marqué par l’engagement contestataire. C’est le symbole même d’une incapacité à avoir la moindre formulation politique.

Qui est-ce que cela va servir ? L’extrême-droite. Les un peu plus de 30 000 personnes ayant manifesté avec les gilets jaunes ce samedi n’ont qu’un seul rôle, celui de contribuer à saper la légitimité du régime, sans proposer rien d’autre, tout en diffusant les valeurs patriotiques et le refus de toute contestation de la propriété et de la bourgeoisie. Objectivement, ils servent l’extrême-droite, si ce n’est d’ailleurs subjectivement, tellement les raccourcis sur le plan des idées sont littéralement terrifiants.

Cela est vrai partout sur le territoire, des 500 personnes à Caen au 400 à Laval, des quelques centaines à Bordeaux aux 700 à Nantes, des 300 à Nancy au millier de personnes à Lille. C’est un véritable militantisme du néant, un travail au corps de la société française qui, heureusement, somme toute, a fini par se tenir éloignée de tout ça.

Car il est beaucoup parlé par certains de la popularité des gilets jaunes. Mais c’est là confondre une sympathie pour les luttes, pour la critique des puissants, avec une réelle sympathie pour les gilets jaunes. En pratique, n’importe quelle grande manifestation syndicale ou n’importe quelle journée de championnat de football mobilise bien plus de monde. Les gilets jaunes sont une sorte de micro-monde vivant en parallèle, avec une base totalement auto-intoxiquée, précisément comme hier Nuit debout ou les zadistes.

Quand on regardera les choses dans quelques années, on verra que la France a connu une poussée anti-politique, anti-culturelle, portée par les classes moyennes, avec un donc un esprit oscillant entre l’extrême-droite et le populisme anarchisant. On considérera les gilets jaunes comme une sorte de Nuit debout à l’échelle nationale, avec la même capacité d’imagination jusqu’au délire. Faut-il se rappeler du discours des gens de Nuit debout, qui s’imaginaient vraiment qu’une nouvelle constitution allait être mise en place grâce à eux, qu’il allait y avoir une nouvelle Révolution française !

Non, tout cela est anti-socialiste, tout cela est en-dehors de l’Histoire. Il ne reste d’ailleurs plus que le mythe pour porter les gilets jaunes : ceux-ci ont déjà annoncé que le 20 avril serait le prétexte d’une mobilisation de choc ! La fuite en avant continue… Jusqu’à ce que les combattants, épuisés, se jettent dans les bras de la démagogie fasciste.

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Acte 21 des gilets jaunes : l’essoufflement

Le mouvement des gilets jaunes s’essouffle de plus en plus après s’être totalement enlisé, enkysté dans des postures. Davantage réduit à un simple folklore, il diffuse l’attente d’un « événement » déclencheur qui, dans l’état actuel des choses, favorise l’esprit d’extrême-droite.

Un mois de prison avec sursis pour outrage, 300 euros de dommages et intérêts et 500 euros de remboursement de frais d’avocat, c’est ce qu’a reçu un gilet jaune comme peine pour avoir, lors d’un rassemblement de soutien à des gilets jaunes emprisonné à Lille… diffusé en vidéo sur facebook, en gros plan, les fesses d’une policière, en proférant des insultes.

Qui sait à quoi ressemble les rassemblements des gilets jaunes ne sera pas étonné de ce genre de choses. Les gilets jaunes sont totalement enkystés dans des postures plébéiennes, avec la Marseillaise comme hymne, se cantonnant dans des postures vaines, voire grotesques, comme à Paris cet homme en robe de bure, avec une sorte de haut en toile, portant une grande croix ! Ou bien ce drapeau breton, où le blanc a été remplacé par du jaune…

Les gilets jaunes représentent tellement un néant politique et une auto-intoxication forcenée qu’on a eu Francis Lalanne qui, lors de l’arrivée du cortège parisien des gilets jaunes à l’arche de la Défense, le quartier « business » à l’ouest de Paris, a affirmé que :

« C’est la fin du système capitaliste. Il est mort. Nous le célébrons. »

Le capitalisme n’est pas prêt de mourir avec de tels gens, dont le seul dénominateur commun idéologique est de refuser la Gauche, ses valeurs, son histoire. Tout sauf la Gauche ! Tout sauf le socialisme ! Voilà le fond de la pensée de ceux qui veulent que l’État leur donne plus de sous pour continuer à vivre comme avant.

Cette mascarade n’est plus crue que par ceux qui s’inventent une vie. Il y a eu samedi 6 avril 2019, pour l’acte 21, environ 22 000 personnes selon la police (naturellement, « France Police-Policiers en colère » en a vu 110 000), et dans tous les cas le chiffre le plus bas depuis le départ.

Ils furent environ 3 000 à Paris en deux cortèges, 1 300 à Montpellier, ainsi qu’à Toulouse où il y a eu des échauffourées. Il y en a eu autant à Bordeaux et Forbach, un peu moins à Rouen (censé pourtant être l’épicentre de cette 21e session), simplement quelques centaines à Lyon, pareil à Nantes.

À Dijon, le rond-point non loin de l’Ikea a été occupé, puis il y a eu une tentative d’introduction dans l’hôtel de ville, alors que le Palais des ducs a été tagué. Environ 200 manifestants, en provenance de Toulouse, Perpignan, Marseille, Montpellier, Toulouse… ont tenté de forcer le passage vers l’autoroute A9 au niveau du péage du Boulou dans les Pyrénées Orientales.

Enfin, parmi les tentatives de formalisation, il y a eu une seconde « assemblée » de délégués gilets jaunes. La première avait eu lieu à Commercy dans la Meuse le 27 janvier, cette fois cela s’est déroulée à Saint-Nazaire en Loire-Atlantique, avec quelques dizaines de personnes.

C’est là la parodie jusqu’au bout, car justement, ce qui caractérise les gilets jaunes, c’est leur absence de production systématique d’assemblées. L’assemblée, le fameux « soviet » russe, a toujours été générée lors de vraies mouvements populaires, lorsque la classe ouvrière s’était mise en branle. Il n’y a là rien de tout cela, car les ouvriers sont sciemment restés à l’écart des gilets jaunes.

C’est cela par ailleurs la véritable démocratie, et non pas un « référendum d’initiative populaire » qui fonctionne sur le principe du plébiscite, de la mesure démagogique, du populisme. Mais tout cela les gilets jaunes ne peuvent pas le saisir, ils sont dans leur bulle, et celle-ci perd toujours plus ses contours.

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Acte XX des gilets jaunes : peur sur la ville

Il y a un côté Tour de France avec les gilets jaunes, car outre que le mouvement est disséminé en divers endroits, il y en a toujours un qui ressort plus que les autres, selon les aléas de la colère des classes moyennes. En l’occurrence, c’est Bordeaux qui a tenu le haut du pavé, avec 5 000 personnes présentes. 

Des figures historiques comme Eric Drouet et Jérôme Rodrigues étaient à Bordeaux. Naturellement, il y a aussi quelques casseurs qui ont vandalisé une banque, cherché à faire une barricade au moyen de ce qui a été trouvé dans un chantier, etc.

On est cependant bien loin du drame annoncé par le premier comédien de la ville, le maire Nicolas Florian, qui annonçait « une journée apocalyptique ». Et pourquoi pas les zombies ou Fantomas ? On joue à se faire peur, encore et encore.

L’État, après l’avoir joué aux abonnés absents, étouffe le mouvement pour bien prouver qu’il est ce qu’il est. Il tape fort, à l’arrière-plan, pour faire passer le message, pour donner la leçon. Il fonctionne froidement, mécaniquement, efficacement.

Les gilets jaunes passant en procès pour dégradations prennent ainsi très cher. Ils n’ont pas l’habitude des procès pour la plupart, ils ont mal ou pas préparé leur défense, psychologiquement ils ne comprennent pas ce qui leur arrive par faible conscience politique : les choses tournent mal, la prison ferme est récurrente. C’est qu’au-delà du contenu des gilets jaunes, l’État vise clairement à faire peur au peuple.

Il y a ainsi quelqu’un qui a participé aux dégradations contre la préfecture de Nancy. Il a participé à lancer des pavés et arraché la grille d’entrée du bâtiment, mais il était le seul non masqué. Résultat : il paie seul les pots cassés, avec quinze mois ferme en comparution immédiate. C’est là totalement anti-démocratique et réduit la justice à une farce répressive. La dimension sociale est effacée, le côté politique est nié, les droits de construire une défense sérieuse passés à la trappe !

L’État a décidé de cogner, voilà tout ; quant à l’indépendance de la justice, on voit bien qu’il n’en est rien. Qui condamne une telle personne pour un tel acte, sans se dire : il faut laisser au prévenu le temps d’avoir le droit à de bons conseils de son avocat, dans un contexte peut-être apaisé, se place en-dehors de tout véritable esprit de justice.

Pareillement, ce samedi, il y a eu seulement autour de 2 000 personnes à Paris, où certaines zones étaient interdites, comme les Champs-Élysées. Cela s’est accompagné de 32 interpellations, 21 verbalisations sur le périmètre interdit, et surtout de 11 945 contrôles préventifs. Un chiffre énorme, qui montre que la police mène une grande opération d’intimidation et de pression.

Dans le même registre, d’autres farceurs, à la tête de la préfecture du Vaucluse, avait annoncé l’irruption de « groupes activistes violents » à Avignon et donc interdit tout rassemblement intra-muros de 9h à minuit. On joue au convoi de cow-boys qui regroupe ses chariots pour faire face aux « Indiens ». Il y a eu tout de même des manifestants dans la zone interdite, et dispersion par la police à l’arrivée de 80 motards sympathisants.

Le même scénario de la peur sur la ville devenue zone interdite s’est déroulé à Saint-Étienne, Toulouse, Épinal, Rouen, ainsi que Lille en partie. L’effet est dévastateur : n’en doutons pas. Après le rôle néfaste des gilets jaunes sur le plan des idées et de la culture, voici qu’on a un contre-coup également négatif, avec le climat de peur exercé contre la société civile. On perd sur tous les points.

Surtout que les gilets jaunes continuent leur initiative, avec les principaux rassemblements s’étant tenus à Toulouse, Marseille, Rennes, Caen, Rouen, Montbéliard, Strasbourg… Pour un total d’environ 34 000 personnes seulement.

Non seulement les gilets jaunes ne servent à rien, mais en plus ils éduquent l’État pour savoir comment faire lorsqu’il y aura une véritable contestation populaire ! Heureusement que lorsque celle-ci s’affirmera, les choses n’auront rien à voir avec cette comédie. Lorsque les ouvriers, qui ont refusé dès le départ de s’embarquer dans cette histoire (et ils ont eu raison), les choses auront une autre substance !

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Rapport entre les classes Société

La France périurbaine, une faillite morale, culturelle et sociale

Dans la France des lotissements, on s’ennuie et on travaille loin de chez soi. Mais on ne veut surtout pas du Socialisme. Les gilets jaunes ont exprimé à l’origine cette forme sociale profondément réactionnaire mise en place par le capitalisme.

La France périurbaine, c’est le plus souvent cette horreur architecturale de maisons individuelles en série, correspondant au rêve de petite propriété de pans entiers de la société française aliénée par le capitalisme, y compris dans la classe ouvrière. Même quand il n’est pas réalisé, le rêve est considéré comme à mettre en œuvre dès que possible.

Cette fascination pour la zone pavillonnaire comme refuge face au reste du monde exprime à la fois un besoin de s’arracher à la brutalité des villes qu’un repli individualiste forcené. L’égoïsme prime toutefois comme aspect principal, car avoir des enfants dans de tels endroits, c’est les condamner à une souffrance psychique et physique très importante.

Il n’y a rien pour eux. Pas de transports, pas de lieux culturels, pas de centres sportifs, juste de longs boulevards, avec des habitations individuelles à l’infini, entre les ronds points. C’est l’anéantissement de toute perspective de civilisation comme première prise de conscience de l’adolescence. Un véritable cauchemar, qui de par les faiblesses structurelles de la vie culturelle française, ne produit ni Nirvana, ni Minor Threat, deux groupes de musique d’une intensité sans pareil nés précisément d’un tel terreau aux États-Unis.

Ici en France, la seule révolte contre cet enfermement connu par plus de 15 millions de Français, c’est le Front National, désormais le Rassemblement National. Les instituts de sondages appellent cela « le vote des haies de thuyas », en référence à cet esprit petit propriétaire d’enfermement sur sa parcelle.

Avec les gilets jaunes, on a bien vu comment cette France de petits propriétaires ne peut pas supporter de faire face à l’effondrement économique. Elle sait bien que le Socialisme n’a qu’une chose à lui proposer : sa destruction. Il faut détruire ces zones, tout refaire. Elles ne sont ni des villes, ni des campagnes. Alors qu’il faut combiner les deux, avec les zones pavillonnaires on n’a justement ni la ville, ni la campagne.

La France périurbaine ne peut que le constater : elle n’a ni culture de la ville, ni sa densité en termes d’infrastructures médicales, scolaires, universitaires, administratives. Elle n’a pas non plus d’accès à la nature, d’environnement non bétonné. Aller plus loin ne servirait pas à grand-chose non plus : les représentants des chasseurs n’ont-ils pas expliqué que les forêts sont à eux et que si on n’aimait pas la chasse, il ne fallait pas habiter la campagne ?

Le souci fondamental dans toute cette histoire de toutes façons, c’est que la France périurbaine ne peut exprimer qu’un terrible ressentiment qui va renforcer le fascisme.

Parce qu’à la base, on a la même histoire que la Grenouille voulant se faire aussi grosse que le bœuf. Pleins de petit-bourgeois ou de bourgeois petits ont voulu mener la vie de château à peu de frais, achetant une grande maison et un terrain, pour s’apercevoir que finalement il n’y avait rien dans le coin, que les crédits s’éternisaient, que le terrain ne sert à rien en soi et demande de l’entretien, que la maison consommait beaucoup d’énergie et que sa qualité laissait à désirer.

On a également des prolétaires qui les ont imités, faisant la même-chose en moins grand et moins cher, dans des quartiers encore moins intéressants.

Ces gens-là sont tellement déçus de ne pas être devenus des sortes de petits châtelains qu’ils sont aigris, alors que leur vie privée a subi les contrecoups de cet isolement, que ce soit avec la perte de vue d’amis, le divorce, etc. Les prolétaires, de par leur rôle dans la production, expriment moins cette aigreur car ils ont plus facilement conscience de la nature sociale du problème. Mais dans sa substance, cette aigreur n’en est pas moins présente chez eux également.

Ce schéma est reproductible dans pleins de variantes, que l’investissement à l’origine ait été important ou pas. Dans tous les cas, la déception prédomine et désormais il y a la hantise de ne pas basculer socialement dans le prolétariat, ou de se voir assumer sa condition prolétaire de manière franche. Cette inquiétude est un grand moteur du fascisme, alors qu’elle devrait se transformer en une volonté de changement, pour le Socialisme.

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Acte XIX des gilets jaunes : paraître ou disparaître

Sans violence contrairement au samedi précédent, le 19e samedi a témoigné d’une énième modification dans la substance des gilets jaunes. Le mouvement est en effet cette fois devenu un abcès de fixation.

Le 19e samedi des gilets jaunes était très attendu, après la dévastation des boutiques des Champs-Élysées la semaine précédente. L’État a d’ailleurs voulu électriser l’ambiance justement en fermant l’avenue parisienne aux manifestants et en en appelant à l’Armée pour « sécuriser » des bâtiments. Une militarisation apparente visant à jouer des épaules pour montrer que l’État était bien en place.

Le préfet de Paris Michel Delpuech a également été éjecté, celui de Bordeaux, Didier Lallement, un « dur », prenant sa place, alors que la police exerçait en général de nombreux contrôles dans le pays autour des manifestations (8 545 contrôles préventifs rien qu’à Paris) et que de nombreuses zones avec interdiction de manifester avaient été mises en place, parfois de taille significative comme à Nice.

C’est dans ce climat donc relativement tendu qu’un peu plus de 41 000 personnes se sont mobilisés, dont plusieurs milliers à Paris, Toulouse, Lille ou Montpellier. C’est plus que le samedi précédent et c’est surtout cela qui compte. Ce qui reste des gilets jaunes, c’est désormais une sorte de « nuit debout » tous les samedis. Un mouvement de protestation où n’importe qui dit n’importe quoi, du moment que cela reste dans un esprit anti-Macron et que cela possède une dimension sociale.

C’est une sorte de variante néo-syndicaliste qui s’est affirmé avec ce 19e acte et on peut dire qu’il y en a trois qui ont du nez : Jean-Luc Mélenchon, Olivier Besancenot et Philippe Poutou ont en effet été présents dans le cortège parisien, ce qui est la démonstration d’un grand changement de mentalité. À la ligne revendicative anti-politique initiale s’est substitué un esprit réformiste radical.

C’est que la politique a horreur du vide et après avoir été une très violente charge d’extrême-droite, les gilets jaunes s’enlisent et ne peuvent donc que s’amalgamer à une pseudo-protestation sociale avec une forte résonance chauvine. On en revient à des revendications para-syndicales, même s’il faut noter qu’il y avait trois fois moins de monde qu’à l’initiative de la CGT quelques jours auparavant.

La Droite l’a également bien compris et se déchaîne désormais à l’encontre des gilets jaunes. Le soutien initial a disparu, car il a été bien vu que ce qui reste des gilets jaunes est d’une substance nouvelle, irrécupérable par la Droite. Le fait qu’au congrès des chasseurs, le président de leur fédération nationale dénonce ouvertement les gilets jaunes montre également qu’un cap était passé. Même s’il les avait toujours rejetés, le fait de se permettre de l’affirmer au congrès reflète le changement de situation.

Certains diront que c’était ce qu’il fallait attendre depuis le début et que c’est pour cela que la Gauche devait participer aux gilets jaunes. Il aurait été juste de participer pour ne pas rater le train, de virer l’extrême-droite puis d’être présents jusqu’au bout, en sachant que personne d’autre ne pourrait suivre. Mais c’est là prendre ses rêves pour la réalité.

En réalité, les gilets jaunes ont connu des changements importants lors de plusieurs tournants, comme une étude de chaque samedi le montre bien. Parler des gilets jaunes « en général » et croire qu’il s’agit du peuple est une abstraction. Leur nombre a également toujours été restreint. Et, et c’est là le principal, la matrice des gilets jaunes était nationaliste, anti-politique, anti-parlementaire, et c’est cela qui a traversé les samedis, de manière plus ou moins forte.

En ce sens, les gilets jaunes n’ont jamais été qu’un mouvement réactionnaire. Cela ne veut pas dire qu’il ne fallait pas travailler sa base populaire, mais certainement pas en faisant des gilets jaunes un nouveau mode d’expression adéquat, en appelant à les soutenir, en leur donnant une aura de gauche ou révolutionnaire. Les gilets jaunes sont un mouvement contre le drapeau rouge, contre la Gauche en général et on peut se douter à quoi ressemblerait une « gauche » qui se reconnaît dans les restes des gilets jaunes.

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Communiqué du Groupe communiste au Sénat contre la mobilisation des militaires de Sentinelle

Le Groupe communiste républicain citoyen écologiste (CRCE) au Sénat a produit un communiqué dénonçant la mobilisation des forces de l’opération Sentinelle pour le prochain samedi des gilets jaunes.

Il est rappelé par ces sénateurs, comme par la plupart des intervenants à Gauche, que ce recours à l’Armée n’est pas conforme à la pratique républicaine qui distingue la Police, qui relève du civil, c’est-à-dire d’un cadre démocratique particulier, de l’Armée, qui relève de la guerre.

La déclaration du gouvernement quant à la mobilisation de ces forces relève en grande partie de l’effet d’annonce, d’un pas de plus dans le grotesque, dans l’ambiance grotesque du pays en ce moment. Il est en effet expliqué par le Ministre de l’intérieur que le préfet de police pourra s’appuyer sur ces militaires, mais qu’ils « ne doivent en AUCUN CAS participer au maintien de l’ordre », et donc qu’ils devront en cas de besoin… appeler la Police.

Cela est absurde, et on aura bien compris que cela vise surtout à renforcer une posture, de manière politicienne, afin d’apparaître comme le parti de l’Ordre, alors qu’en réalité presque rien n’avait été décidé pour empêcher la casse samedi dernier, comme l’ont largement expliqué, franchement ou à demi-mots, les représentants policiers.

Il n’en reste pas moins que cette annonce du recours à l’Armée dans le cadre d’une manifestation sociale est inacceptable sur le plan politique, de part ce que cela sous-tend en arrière plan comme remise en cause du cadre démocratique.

Ainsi, une personnalité comme Ségolène Royale, qui n’avait déjà pas grand-chose de gauche, s’écarte définitivement de la Gauche en déclarant à ce propos :

« Je me suis demandée pourquoi ça n’avait pas été fait plus tôt », ajoutant que « les black blocs ne sont pas des terroristes mais ils sèment la terreur. Et donc c’est la même chose. »

Le recours à l’Armée dans le cadre d’une manifestation raisonne à Gauche comme un danger fascisant, et réveille la mémoire de la grande répression de 1948 faisant intervenir l’Armée. Plusieurs mineurs avaient été tués par les militaires dans le nord de la France après de grandes grèves.

Voici le communiqué du Groupe communiste républicain citoyen écologiste au Sénat :

« Emmanuel Macron doit renoncer au recours à l’armée à l’occasion de l’Acte 19 des Gilets jaunes

Emmanuel Macron a annoncé sa décision de recourir aux militaires de Sentinelle pour, dans le cadre de l’Acte 19 des Gilets jaunes, « sécuriser les points fixes et statiques conformément à leur mission ».

Contrairement à ce qui a été affirmé par Benjamin Griveaux, porte-parole du gouvernement, à l’issue du Conseil des ministres, ces militaires aucunement formés au maintien de l’ordre et équipés d’un matériel de guerre seront de fait associés à l’action de la police.

C’est une décision grave qui marque une étape inquiétante dans la surenchère sécuritaire en cours.
L’interdiction de manifester, la compétition malsaine entre le pouvoir et la droite la plus dure pour bomber le torse face au mouvement des Gilets jaunes, menacent de porter atteinte aux libertés fondamentales et en premier lieu au droit de manifester.

Les sénatrices et les sénateurs du groupe CRCE l’ont dit et répété, ils condamnent les destructions et les violences qui surviennent lors de certaines manifestations. Cette casse dessert le mouvement.
Mais ils ont également souligné l’attitude du pouvoir qui pousse à une escalade potentiellement dévastatrice pour notre pays.

Les sénatrices et les sénateurs du groupe CRCE estiment que le Parlement doit être informé et consulté pour une si grave décision.

En tout état de cause, Emmanuel Macron doit respecter la pratique républicaine en matière de maintien de l’ordre qui en réserve l’exercice à la police et à la gendarmerie.

Ils rappellent à cet égard que depuis 1921, le maintien de l’ordre dans le cadre des manifestations est confié à la gendarmerie et à la police.

Ce pouvoir a en effet été transféré, par un vote à l’Assemblée nationale, de l’armée aux effectifs de gendarmerie mobile.

Groupe CRCE au Sénat, le 21 mars 2019 »

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Les 10 propositions du PCF pour la France

Les 10 propositions du PCF pour la France :

« Face au mouvement des Gilets jaunes, aux mobilisations populaires, le président de la République a du ouvrir un grand débat national. Celles et ceux qui se sont exprimés y ont porté un message clair. Ils disent vouloir vivre dignement et être respectés. Ils disent que le travail doit payer. Ils disent que les injustices sociales et fiscales sont une honte. Ils disent, à l’échelle de leurs quartiers, de leurs lieux de travail, qu’ils veulent pouvoir décider. Ils disent que la fin du mois ne doit pas être opposé à la fin du monde. Ils attendent des réponses fortes et ambitieuses.

Avec cet objectif, le Parti communiste français présente 10 grandes propositions pour l’avenir de la France.

POUR UNE VIE DIGNE ET ÉPANOUIE

1 Hausser le Smic (20%), augmenter les salaires et les minima sociaux. Contraindre les entreprises à l’égalité professionnelle femmes-hommes. Porter les retraites à 1400 euros minimum

La France est devenue un pays de bas salaires et de contrats précaires. Les femmes en sont les premières victimes. Et trop de jeunes se débattent avec des petits boulots sous-payés. Il est temps que l’État réunisse une conférence nationale pour les salaires, la reconnaissance des qualifications, l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, le pouvoir d’achat des retraités.

2 Organiser un plan de lutte contre l’exclusion et la grande pauvreté. Rembourser les soins à 100%, indexer les retraites sur le salaire moyen

A la Libération, dans un pays dévasté, les Français ont conquis la Sécurité sociale et cela a contribué au redressement national. Aujourd’hui, quand quelques actionnaires et banquiers confisquent les richesses, la Sécu peut être consolidée et étendue. Et le système solidaire de retraites, fondé sur la répartition, doit être pérennisé et garanti.

POUR LA RELANCE ET POUR L’ÉGALITÉ

3 Lancer un grand plan d’urgence pour la reconstruction des services publics

Éducation nationale, hôpitaux, transports, petite enfance, énergie… : les services publics ne sont pas une « charge » mais un investissement pour l’avenir. Il faut en finir avec le dogme de la libre concurrence qui les détruit et fait de beaucoup de nos territoires des déserts. Il est urgent de les reconstruire au plus près des citoyens, et de recruter massivement des agents pour les faire fonctionner.

4 Nationaliser une grande banque privée, au service de l’emploi, de la renaissance industrielle, de la transition écologique

Les banques financent massivement la spéculation, les délocalisations, l’évasion fiscale, les investissements polluants. Les crédits doivent au contraire aller, avec des taux très bas, aux investissements qui créent des richesses et des emplois, qui développent les biens communs. La nationalisation d’une grande banque privée serait un levier important en ce sens.

POUR LA PLANÈTE ET LE CLIMAT

5 Prioriser les transports collectifs publics, avec extension de la gratuité pour les transports locaux. Doubler la part du fret ferroviaire, contre le tout-route

L’humanité est en péril. La production et les services doivent donc être réorientés vers un développement social et écologique. Cela passe par une effective priorité aux transports collectifs publics, décarbonés et accessibles à toutes et tous. Il faut en finir avec les politiques qui encouragent le transport routier au détriment de l’exigence écologique.

6 Rénover énergétiquement un million de logements et les bâtiments publics

Pour lutter contre le dérèglement climatique, il ne suffit pas de signer les accords de Paris puis de passer à autre chose. Il faut s’en donner les moyens. Une grande politique publique en faveur de la rénovation énergétique des logements et établissements publics serait une première avancée. Ce serait aussi un levier pour l’emploi et la relance de l’économie.

POUR LA JUSTICE FISCALE

7 Supprimer la TVA sur les produits de première nécessité, rendre l’impôt plus juste et progressif

Les impôts non progressifs (TVA, TICPE, CSG) représentent 67% des recettes fiscales. Les petits paient plus que les gros. Il faut les supprimer (TVA sur les produits de première nécessité) ou les abaisser fortement. L’impôt sur le revenu doit être calculé sur 9 tranches (contre 5 actuellement). L’impôt sur les sociétés doit devenir plus progressif, et être modulé selon les politiques d’emploi et d’investissement des entreprises.

8 Rétablir l’ISF, taxer les dividendes. Atteindre le zéro fraude fiscale. Supprimer le CICE et réorienter cet argent vers les PME et TPE

Une redistribution juste et efficace des richesses, c’est possible. En rétablissant l’ISF (4 milliards d’euros), en taxant les revenus purement financiers des entreprises et des banques (47 milliards), en agissant enfin contre l’évasion fiscale (80 milliards). Le CICE, qui ne crée pas d’emplois et est accaparé par les actionnaires, doit être supprimé et son montant (40 milliards en 2019) affecté à des prêts aux PME et entreprises qui investissent et créent des emplois.

POUR UNE RÉPUBLIQUE D’INTERVENTION CITOYENNE

9 Rendre le pouvoir au Parlement contre la monarchie présidentielle. Instaurer un référendum d’initiative populaire. Mettre en place des pouvoirs décisionnels des salariés à l’entreprise

Les citoyens veulent pouvoir décider. Diminuer les pouvoirs présidentiels, c’est doter le Parlement de nouveaux pouvoirs pour représenter mieux le peuple, et c’est aussi restituer aux collectivités locales les moyens d’agir. 500 000 électeurs doivent pouvoir faire soumettre à référendum des lois sur l’organisation des pouvoirs publics ou la politique économique et sociale. Les salariés ont besoin de nouveaux moyens d’intervention sur les choix des entreprises, à commencer par un droit de veto et de contre-propositions face aux plans de licenciements.

POUR EN FINIR AVEC L’AUSTÉRITÉ EUROPÉENNE

10 Sortir du pacte budgétaire européen : priorité aux dépenses sociales et écologiques

Les besoins vitaux des peuples et les impératifs écologiques ne peuvent plus être corsetés par un pacte antidémocratique, obsédé par l’équilibre budgétaire à n’importe quel prix et la réduction des dépenses publiques. C’est de coopération pour des dépenses d’avenir, socialement et écologiquement utiles, dont nous avons besoin, avec une Banque centrale européenne finançant à 0% un fonds européen de développement solidaire. »

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Politique

Acte XVIII des gilets jaunes : le triomphe du grotesque

Le samedi 16 mars 2019 a été marqué par d’importantes violences sur les Champs-Élysées, alors qu’Emmanuel Macron est revenu en catastrophe de son week-end au ski. C’est le triomphe du grotesque.

La France est un pays de cinéma et de théâtre, où l’on parle beaucoup et fort, mais où on ne fait finalement pas grand-chose. 18 samedis de gilets jaunes n’auront ainsi rien apporté et tout le monde sait désormais que la France est coincée à force de n’avoir rien assumé dans aucun sens.

Les 32 000 gilets jaunes hier en France, dont 10 000 à Paris, font maintenant parti du paysage le samedi, et les 237 personnes dont 144 placées en garde à vue, de la routine.

C’est là ce qui reflète l’inéluctable effondrement social et culturel du pays, même s’il s’auto-intoxique et s’imagine ouvert, bienveillant, moderne, efficace, etc.

C’est que les acteurs sont très mauvais, il faut bien le dire. Emmanuel Macron ne parvient pas à tenir son rôle de jeune fringant hyper moderne et les gilets jaunes n’arrivent pas à proposer un « retour en arrière » qui ait au moins en apparence des contours concrets. Tout le monde est nul, à l’image d’une France qui ne connaît plus rien aux idées politiques, dont le niveau culturel s’est effondré, dont le sens des valeurs est totalement émoussé.

Pour dire tout de même où on en est, vendredi c’était la fin du « grand débat » et Emmanuel Macron n’a rien eu de mieux à faire que de se montrer en week-end au ski, à La Mongie, dans les Hautes-Pyrénées. Es-ce là de la naïveté politique ? Une manœuvre pour se donner une image de normalité ? Dans tous les cas, son retour en catastrophe ce samedi renforce l’atmosphère pitoyable du moment.

Que penser également d’Édouard Philippe, le Premier ministre ? Voici ce qu’il a dit à la fin de la manifestation, alors qu’au même moment la véranda du célèbre restaurant Le Fouquet’s était incendiée en direct à la télévision :

« Force restera toujours à la loi. C’est le sens de la démocratie et de la république. ».

Prise de drogues hallucinogènes ? Possession vaudoue ? Ces propos sont tenus en effet alors que les médias du monde entier présentent les images du pillage en règle des Champs-Élysées.

Cela a consisté ni plus ni moins qu’en du self-service par des pillards organisés pour récupérer en masse, sur « la plus belle avenue du monde », des objets de luxe chez Bulgari, des chaussures upper class chez Weston, des macarons de luxe chez Ladurée, des sacs chics chez Longchamp, du matériel électronique chez Samsung, etc. À cette liste d’endroits pillés s’ajoutent une boutique de prêt-à-porter pour hommes Célio et une autre de Zara, celle de cosmétiques Yves Rocher, la boutique officielle du Paris Saint-Germain, la boutique de valises chics de Tumi. Ont également été ciblées les boutiques de Hugo Boss et de Nespresso, de Lacoste et d’Eric Bompard, etc.

Que dire également de l’incendie de la banque Tarneaud, filiale du Crédit du Nord, alors qu’il y a des habitations au-dessus, dont les habitants ont dû être évacués par les pompiers ?

Tout cela est grotesque, de bout en bout. Et malheureusement, c’est flagrant seulement à Droite. Celle-ci a un boulevard, car la majorité de la population sait que cela ne peut pas durer comme cela, qu’il faut remettre de l’ordre. Ce qui s’annonce, c’est le temps de la reprise en main, de la remise à plat, des temps terribles, où les travailleurs vont se faire – osons le terme – fracasser par la Droite, par l’État, par le patronat, par la bourgeoisie.

Il faudrait un Ordre Nouveau, mais pour ce qui reste de la Gauche en France, c’est une expression de fachos, alors qu’à la base c’était le titre d’un journal où écrivait le communiste italien Antonio Gramsci ! Et c’est là le fond du problème. Tant que la Gauche ne retourne pas à ses fondements historiques et n’assume pas de vouloir un ordre socialiste, elle restera à végéter comme appendice des libéraux libertaires, et sera condamnée à se faire broyer menu par la Droite qui voguera de succès en succès en proposant « l’ordre et la sécurité ».

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Politique

Acte XVII des gilets jaunes : l’échec de la bataille de Paris

L’acte XVII des gilets jaunes a été un fiasco par rapport aux prétentions initiales. Et il a montré que les gilets jaunes cherchent tous les moyens pour qu’il y ait une agitation, mais surtout pas de politique.

L’image de cet acte XVII des gilets jaunes, ce sont ces gens en train de danser avec un drapeau français, un drapeau palestinien, et un drapeau semblant être celui de la Roumanie. Est également passé celui de Cuba, avec le dessin du visage de Che Guevara. Du grand n’importe quoi, avec toujours une démarche primitive, pleine de féroce naïveté : les gilets jaunes s’imaginaient faire un sit in de deux jours à Paris, surtout sur les Champs-Élysées ! Maxime « Fly Rider » Nicolle avait fièrement expliqué : « on dormira sur place ». Et trente personnes rassemblées sous la tour Eiffel s’imaginaient littéralement pouvoir s’installer comme si de rien n’était…

Y voir une nature « populaire » est totalement erronée : le peuple, quand il s’exprime, est capable de politique. Les gilets jaunes sont, quant à eux, anti-politiques, au point d’accepter politiquement qu’il y ait eu au cours de leurs rassemblements 22 personnes éborgnées et cinq ayant une main arrachée suite aux actions de force de l’ordre, sans jamais entamer ne serait-ce qu’un embryon de réflexion sur le sens de l’Histoire, la nature de l’État, le rôle de la violence, la question des rapports de force.

Ici, on a simplement la plèbe, c’est-à-dire le peuple totalement imbriqué dans l’ordre dominant, protestant dans un cadre mental sans horizon à part l’immédiateté. Ce n’est même pas de l’empirisme, car cette philosophie s’appuie sur l’expérience ; c’est simplement du vitalisme. C’est véritablement la substance des gilets jaunes, pour qui en doutait encore.

Après dix-sept samedis, c’est donc toujours le néant, alors que la mobilisation continue son inéluctable effondrement. 160 000 personnes se sont mobilisées selon le très lyrique syndicat « France Police – Policiers en colère », et 28 600 selon le Ministère de l’Intérieur.

Les gilets jaunes espéraient pourtant beaucoup de leur acte XVII, alors que leur mouvement s’étiole. Leur objectif était double : d’abord, se concentrer sur Paris, ensuite essayer de former des ouvertures envers d’autres mouvements opportunistes cherchant à s’y agréger. Comprenant que la défaite est inéluctable, et qu’elle sera totale, les gilets jaunes ont ainsi essayé, encore une fois, de contourner la politique, en trouvant « autre chose ».

Eric Drouet a ainsi appelé les « quartiers » et les « gens de cité » à rejoindre les gilets jaunes, en s’appuyant sur l’agitation à Grenoble suite à la mort de deux jeunes ayant volé un scooter.

 

Des gilets jaunes ont bloqué le pont d’Iéna à Paris, conjointement avec des activistes luttant pour le climat (les associations Alternatiba et ANV-COP21 – Action non violente-COP21 )… ce qui a donné 50 personnes en tout. Ce sont des groupes féministes qui ont également ouvert le cortège parisien… dans un acte littéralement de masochisme vu le caractère beauf et ouvertement patriarcal du style « gilets jaunes »…

Un flashmob a eu lieu à l’aéroport parisien de Roissy pour protester contre sa privatisation… en essayant de surfer sur les protestations lancées à ce sujet, notamment par la Droite. À Nice, ce sont les « gilets roses », c’est-à-dire des assistantes maternelles, qui ont rejoint le cortège de leurs modèles.

De manière plus classique, un Monoprix a été pris pour cible à Caen, Auchan a connu des blocages à Saint-Omer, alors que Nantes a connu son habituel remue-ménage, cette fois dans la zone du centre-commercial Atlantis. Tout a été plus calme à Dijon, Lille, Nancy, Strasbourg, Rouen, Lyon, Saint-Brieuc, etc.

Et comme le prochain samedi, pour l’acte XVIII, ce sera le lendemain de la fin du grand débat, les gilets jaunes espèrent qu’alors tout reprendra. Ce qui encore une fois est un prétexte pour réfuter la question de la politique. Encore et toujours.

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Réflexions

Les gilets jaunes, un solipsisme dans les sables mouvants

Les Français sont cartésiens : ils pensent qu’ils existent, car ils pensent. Ce qui n’a pas de sens, car pour penser qu’on existe, il faut en avoir conscience et donc penser qu’on pense exister. Mais pour penser penser exister, il faut penser penser penser exister. Et cela à l’infini, d’où la tricherie des partisans de Descartes, qui troquent le « je pense donc je suis » en « je pense, je suis ». Cela ne change rien au fond du problème qui est qu’ils séparent le corps et l’esprit.

Et avec le triomphe de la consommation capitaliste, la « pensée » est consommatrice, faisant de ceux qui ont cette vision du monde un véritable egotrip. C’est proche du solipsisme (du latin solus, seul et ipse, soi-même), qui désigne ce moment où on remet en cause l’existence de toute chose, à part soi-même. Les gilets jaunes sont ici de bons Français.

Lors de ce samedi des gilets jaunes, c’est ce livreur en uniforme de travail qui cherche à récupérer son vélo qui se retrouve au milieu de CRS, en plein milieu des Champs-Élysées. La réponse ne se fait pas attendre, à coups de matraques. Qui donc peut aller chercher à arracher quelque chose, tout seul, à de nombreux CRS ultra-énervés en mode combattant ? C’est très révélateur de l’incompréhension fondamentale de la part des Français de ce qu’est la police, une manifestation, la violence, l’État, la lutte des classes. Plus personne ne comprend rien, les seules attitudes sont individualistes et consommatrices.

Un autre exemple de ce véritable solipsisme, concernant plus directement les gilets jaunes, a été, le 14 décembre 2018 dans le Jura, deux d’entre eux qui ont quitté leur rond-point pour essayer de tuer une brebis à coups de pelle et de fourche ! C’est la France comprise comme un self-service… Heureusement qu’ils ont raté leur coup, sinon on avait ici l’exemple le plus ignoble de toute cette affaire, dont il aurait fallu parler des années en raison de son exemplarité…

Un autre exemple de self-service a été le communiqué des ultras parisiens, se plaignant de la défaite de leur équipe du Paris Saint-Germain, comme si la victoire leur était due par définition. Le PSG est une équipe qui vaut des centaines de millions, les ultras se sont beaucoup investis, donc si l’équipe perd, c’est que les joueurs n’ont pas de « cou… ». Ceux-ci sont le bouc-émissaire explicatif du manque de retour sur investissement des ultras. Si on consomme, alors on a un produit adéquat.

Je pense donc je suis, je pense consommation donc je suis quelqu’un méritant que le produit soit conforme à mes attentes. Et cela se décline pour tout, jusqu’au couple. Les thèses des gilets jaunes sur le tirage au sort des élus, le référendum et autres fantasmagories relèvent ni plus ni moins que de cette déception consommatrice.

Il ne leur viendrait pas à l’idée de s’investir en politique, d’appartenir aux partis les ayant déçus. Il ne leur vient pas à l’idée que la déception la plus grande qu’ils doivent ressentir, c’est par rapport à eux-mêmes. Ils doivent se transcender et ils ne le veulent pas, ils doivent tout assumer et ils ne veulent rien assumer.

Ils veulent rester dans leur bulle, sans responsabilité, juste à faire leur job, juste à chercher une vie dans un endroit normalisé pour ne pas avoir de complications. Pour eux le romantisme n’est qu’un mot, au mieux un mouvement littéraire ; le Socialisme, une abstraction, quelque chose qui n’a aucun sens. La réalité est pour eux un concept philosophique, leur seule certitude est leur relativisme.

Et ils veulent que ce vide continue, encore et encore ; ils ne s’aperçoivent même pas que le vide n’existe pas et qu’il y a toujours quelque chose, ils ne remarquent même pas à quel point en s’imaginant se tirer vers le haut, ils s’empêtrent entièrement. Les gilets jaunes, c’est un solipsisme dans les sables mouvants, qui à force de ne pas réfléchir à ce existe autour de leurs propres egos, s’agitent et renforcent d’autant plus leur enfermement dans le monde capitaliste qui les broie.

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Politique

Un acte XVI des gilets jaunes simplement vulgaire

L’image symbolique de l’acte XVI des gilets jaunes, ce sont ces femmes en gilets rouges avec une cocarde rouge sur la capuche, des bandes noires sur la bouche pour symboliser que la France serait bâillonnée, en train de pointer du doigt une succursale de la BNP à Lille. C’est, somme toute, le symbole de « la France » contre « la finance », c’est-à-dire, pour dire les choses clairement, un exemple de plus du caractère tout à fait brun des gilets jaunes.

Comment qualifier autrement ce qui relève d’une dénonciation du « mauvais » capitalisme, présenté comme parasitaire, sans aucune critique rationnelle du capitalisme en général ? Quiconque est de Gauche ne peut que s’apercevoir que depuis trois mois, les gilets jaunes étouffent littéralement toute contestation politique, toute lutte sociale, tout mouvement à la base. Le populisme des gilets jaunes, avec ses simplifications outrancières et sa démagogie, a asséché massivement toute « opposition ».

Les 40 000 personnes qui se sont mobilisées hier en France témoignent par ailleurs d’une énième transformation des gilets jaunes : désormais, c’est un style. Il y a une manière gilets jaunes de poser les questions, de formuler les réponses. C’est la conséquence logique de l’hégémonie des gilets jaunes sur « l’opposition » au gouvernement.

C’est donc désormais bien un mouvement politique à part entière. En passant d’environ 300 000 à un noyau dur d’autour de 40 000 personnes, il y a eu beaucoup de contorsions, mais les bases sont maintenant posées, le populisme à la gilet jaune a des contours bien définis. Sur le plan des idées, c’est un syncrétisme, puisant au populisme de Jean-Luc Mélenchon, à l’ultra-gauche, à l’extrême-droite complotiste, au nationalisme. Il est parlé de la « tyrannie de la Macronie », d’une « France pillée par l’oligarchie ».

Les approches, quant à elles, sont éclectiques, comme hier. À Paris, les quelques milliers de gilets jaunes ont marché sur douze kilomètres, avec encore et toujours les Champs-Élysées, cette obsession. Il n’y avait qu’une vingtaine de personnes à Nice, alors qu’à Nantes un peu moins de 2000 personnes étaient rassemblées pour ce qui devait être le grand rassemblement de l’Ouest, avec une traditionnelle ultra-gauche très agressive comme à son habitude, alors que sa variante toulousaine a mis en place des ballons remplis d’excréments comme projectiles.

À Angers, un centre commercial a été bloqué, tandis qu’un millier de gilets jaunes était présent dans le centre de Toulon ; à Soissons c’est le centre commercial Cora, qui accueillait Miss France, qui a été le lieu d’un petit rassemblement, alors qu’un petit groupe organisait un péage gratuit à Chartres. Un autre petit groupe a tenté de bloquer la plate-forme Colis Poste à Erstein, plus d’un millier de personnes était présente à Colmar, cinq cent à Strasbourg, etc.

C’est là du folklore, du pittoresque, mais rien de politique, au sens où il n’y a ni perspective, ni valeurs, ni projet de société. Le drapeau français et l’image d’une France « assaillie » par la finance est le seul horizon de ce qui est une vision du monde véritablement grossière. Ou devrait-on peut-être dire vulgaire ?

Le terme a comme étymologie le mot latin vulgus, désignant la multitude. C’est donc ici très utile, car les gilets jaunes se prétendent le peuple, mais ne sont qu’une foule se vautrant dans l’outrance et la symbolique à peu de frais. C’est donc vulgaire, au sens où cela manque d’élévation, de distinction. Il n’y a pas de valeurs, de culture, d’organisation, tout ces traits du mouvement ouvrier historique, de la Gauche politique qui l’a porté.

En ce sens, si les gilets jaunes s’imaginent de grands rebelles, ils ne sont que le produit du grand lessivage apolitique de ces vingt dernières années, et l’ennemi le moins dangereux qui soit pour le capitalisme que, de toutes façons, les gilets jaunes ne remettent nullement en cause. La seule chose que remettent en cause les gilets jaunes, c’est la politique, et donc la Gauche, car finalement, qui a besoin de la politique à part la Gauche, la classe ouvrière, les exploités et les opprimés ?

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Politique

Acte XV des gilets jaunes : et toujours rien !

Le quinzième week-end de mobilisation des gilets jaunes à réuni un peu de moins de 50 000 personne dans toute la France selon les chiffres du Ministère. Dans une impression de déjà-vu, avec un mouvement qui tourne entièrement autour de lui-même.

S’il y a une chose marquante avec l’acte XV des gilets jaunes, c’est le néant. Il n’y a rien. Il y a bien eu environ 50 000 personnes qui se sont mobilisées, un peu partout dans le pays, depuis des ronds-points jusqu’à des rassemblements ou des pique-niques, mais cela ne porte pas. Il n’y a pas de densité, aucune envergure. C’est le vide. Les gilets jaunes sont passés dans le rituel, la forme symbolique répétée tel un mantra magique.

Il est flagrant à toujours plus de monde que le mouvement des gilets jaunes ne représente pas une force sociale en tant que telle, qui aurait des objectifs, des intérêts précis ou particuliers. Il n’y a de manière toujours plus lisible qu’un magma informe de gens pas contents, dont la seule expression est de reprocher quelque chose à Macron, sans que l’on sache d’ailleurs finalement vraiment quoi.

C’est le prix à payer : quinze week-ends de suite d’agitation pour en arriver à l’absence de la moindre formulation politique, ce n’est pas sans effet sur un mouvement. Reste l’esbroufe et les coups médiatiques, comme avec Eric Drouet, que Mélenchon glorifiait comme une figure historique en début d’année, qui n’a eu rien d’autre de mieux à faire ce samedi que venir les mains dans les poches au salon de l’agriculture, en espérant parler à Macron.

Cela a donné une pathétique mise en scène de sa part, où il explique aux journalistes que le dialogue est rompu, alors qu’il sait très bien qu’il y a un protocole et que le Président a tout un tas d’autre choses prévues, dans ce rituel, théâtralisé lui-aussi, du défilé présidentiel au milieu des agriculteurs. Cela est d’autant plus ridicule qu’Eric Drouet avait lui-même refusé au dernier moment une rencontre avec le Premier ministre, pour ne pas avoir à assumer la moindre responsabilité.


Cela fait par ailleurs plusieurs semaines que de prétendues coordinations de gilets jaunes sont annoncées, mais cela n’aboutit jamais, car personne n’est d’accord sur rien, ni n’a vraiment quelque chose de concret à dire, proposer, ou exiger. On a même vu dimanche dernier Ingrid Levavasseur, l’une des principales figures, se faire conspuer et exfiltrer d’un rassemblement de gilets jaunes à Paris. C’est là quelque chose de hautement symbolique, témoignant de l’incapacité à une expression rationnelle, tendant à une expression politique.

D’où les inévitables casses ici et là dans quelques centre-villes, notamment à Clermont-Ferrand ou à Rennes, relevant d’un mélange de folklore et de nihilisme.

On est ainsi passé des gilets jaunes comme forme anti-politique à une forme pratiquement apolitique, et il n’est guère difficile de comprendre que cela ne peut que céder la place à une expression populiste, nationaliste, d’extrême-droite assumée. L’utilisation massive du drapeau français et de la rhétorique patriote pour justifier des mesures sociales a formé une véritable matrice diffusant massivement une approche proto-fasciste ou fasciste. Le prix à payer va être énorme, de par les dégâts causés par les gilets jaunes dans la conscience populaire.

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Acte XIV des gilets jaunes : la routine malsaine est installée

Les restes des gilets jaunes ont désormais atteint leur maturité. Alors qu’il y a une semaine avait lieu leur pathétique tentative d’un 6 février 1934, quatre-vingt cinq ans après, ils sont désormais installés dans la routine : celle du populisme haineux, de l’aigreur coriace et de la rancœur néfaste.

Le grand symbole du quatorzième samedi des gilets jaunes, c’est bien entendu la série d’invectives plébéiennes contre le philosophe Alain Finkielkraut, avec des propos évocateurs des arrières-pensées : « sale sioniste », « la France elle est à nous », etc.

Il faut voir les images, où on a des gens qui se forcent à jouer la haine, qui en-dehors de tout raisonnement se précipitent dans la mise en scène de l’aigreur, de la rancœur. Voilà le visage du fascisme, voilà ce qui est le contraire du socialisme. L’agressivité barbare contre un vieil homme, contre un penseur… ne peut être porté que par la lie de l’humanité.

On a maintenant un même et unique schéma, improductif, totalement limité sur le plan politique. Des déambulations plus ou moins inorganisées en début d’après midi dégénèrent et se transforment en relative pagaille en fin d’après-midi, avec des gens très hostiles.

Les chiffres du ministère donnent toujours moins de participants, avec cette fois-ci un peu plus de 40 000 personnes dans toute la France, autour de 5 000 à Paris et à Bordeaux, à peu prêt autant à Lyon et Toulouse, 1 600 à Nantes, 110 seulement à Strasbourg, etc.

Quiconque observe ces scènes avec un petit peu d’attention voit bien que la police est cependant très sereine, qu’elle ne fait pas spécialement grand-chose pour empêcher ces gens. Tout au plus sont-ils contenus dans tel ou tel quartier, à l’aide de fumigènes, de tirs de balles en caoutchouc et de grenades de désencerclement.

Contrairement à ce que prétendent les gilets jaunes de manière hystérique, la police ne fait presque pas usage de la force. Au contraire, elle contient très bien ces foules informes, de manière minutieuse, sans quasiment aucun contact, puisque c’est la doctrine du maintien de l’ordre en France que d’éviter l’affrontement. Dans d’autres pays, ou il y a quelques dizaines d’années en France, on aurait dans de telles situations des images permanentes de gens en sang, de policiers usant énergiquement de leur matraque, avec certainement plusieurs morts déjà.

Tel n’est pas du tout le cas ici. Et s’il y a un peu de casse, des tags, quelques vitrines brisées, et des simulacres d’affrontement avec la police, avec une volonté de violence certaine de la part des manifestants les plus offensifs, cela ne représente en fait pas grand-chose. Ce spectacle de « révolution » suffit néanmoins, pour l’instant, à combler l’esprit vide et bien triste de gens s’imaginant perturber le système, alors qu’ils ne perturbent rien d’autre que le quotidien des gens présent dans ces centre-villes. Et encore, parce qu’en fait les Français vaquent à leurs occupations, occupent les terrasses des cafés en plein soleil, font les magasins, se baladent dans les parcs, mais s’écartent quand le ou les quelques milliers de gilets jaunes locaux arrivent dans le secteur.

On a là une routine terrible qui s’est installée en France, nauséabonde, extrêmement malsaine. Il ne faudrait pas croire que le problème concernerait seulement les gilets jaunes, qui pourrait facilement être contenus, ou même réorientés dans certains cas, si la société le voulait. Ce qui est le plus inquiétant, c’est cette passivité, cette lassitude du reste de la population mais qui ne s’exprime pas : elle se contente de ne pas apprécier, tout en acceptant la routine des samedis après-midi.

Il est évident que le pouvoir en place s’en satisfait, qu’Emmanuel Macron entend bien profiter pleinement de l’espace politique que cela lui offre. Sauf que cela est un jeu très dangereux.

On a en France avec les gilets jaunes quelques dizaines de milliers de gens au style fasciste, presque toujours très politisés, penchant tantôt à l’extrême-droite, tantôt à l‘ultra-gauche, qui s’acharnent encore et toujours dans le nihilisme, les raccourcis idéologiques, la faiblesse politique et la plus grande fainéantise sur le plan culturel.

Ces gens s’enfoncent dans une attitude et des pratiques qui ne mènent à rien, ce qui ne peut que contribuer à les maintenir toujours plus dans l’irrationnel, dans l’hystérie et le chaos.

La Gauche a ici une grande responsabilité. Dans leur grande majorité, les dirigeants de la Gauche française sont tellement coupés des classes populaires françaises qu‘ils n’osent pas critiquer les gilets jaunes, de peur de critiquer le cœur prolétarien de la France. C’est là une terrible erreur, une grossière erreur, qui aura malheureusement des conséquences désastreuses avec ces répétitions de samedis malsains.

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Réflexions

La France, un pays de petits propriétaires

Si les gilets jaunes n’ont pas abordé la question de la petite propriété, c’est qu’ils correspondent à la situation française, avec la majorité du pays qui est formée par une très large couche de petits propriétaires. Et cette couche qui rêve d’accumulation est bloquée non pas tant par les 1 % les plus riches, mais par les 10 % des Français qui possèdent la moitié du patrimoine total. Les gilets jaunes expriment une petite-bourgeoisie asphyxiée par la bourgeoisie.

Maison de la cité Jolivet, quartier La Fuye-Velpeau, à Tours

Quand on voit le panorama de la propriété en France, du patrimoine, on comprend tout de suite pourquoi la division entre « riches » et « pauvres » est dans notre pays une caricature, qui ne vise qu’à masquer que les vraiment pauvres sont entièrement mis à l’écart, d’où leur absence de participation aux gilets jaunes.

La moitié des ménages selon la définition de l’INSEE, donc un peu plus de la moitié des français (un ménage comportant parfois plusieurs personnes), dispose en effet d’un patrimoine d’environ 160 000 euros, consistant à 80 % en la propriété d’un logement. En fait, ce sont environ 60 % des Français qui possèdent leur logement ou sont en train d’en payer les traites.

C’est un chiffre énorme, faisant de la France avant tout un pays de petits propriétaires. Bien entendu, cette petite propriété n’a pas une valeur énorme, et les intérêts de la grande majorité de ces petits propriétaires sont les mêmes que celles des pauvres. Le souci c’est que disposer d’une petite propriété amène une mentalité de petit propriétaire.

Le petit propriétaire est conservateur, opposé au socialisme, avec une mentalité de petit entrepreneur, va dans le sens du respect des traditions, etc. Il entend protéger son bien et pour cela il a besoin que la société soit stable, les conflits gelés. Les gilets jaunes ne lui ont justement pas fait peur, parce que jamais ils n’ont aborde de thèmes allant dans le sens d’une remise en cause de la propriété.

C’est précisément pour cela que les gilets jaunes sont un mouvement réactionnaire, appuyant l’idéologie conservatrice de la France profonde, où l’État n’est conçu que comme tampon avec les « riches ». L’État n’est vu que comme pompe à fric redistributrice. Les gilets jaunes parlent de crise sociale, mais de par leur mode de vie, c’est finalement une crise du patrimoine qu’ils expriment.

Car au-delà du fait que les riches deviennent plus riches, il y a le fait que la vie coûte plus cher. Les riches imposent un rythme financier bien trop haut. On sait par exemple à quel point une ville comme Paris est devenu un bastion bourgeois ces 25 dernières années. Le slogan « Paris soulève toi » est en décalage complet avec la réalité : il suffit de regarder le prix au mètre carré et le nombre de propriétaires.

En fait, si l’on prend les 10 % des Français les plus riches, ceux-ci ont un patrimoine d’environ 600 000 euros. Avec cela, ils écrasent les autres, pas seulement parce qu’ils sont plus riches, mais parce que ce patrimoine représente à peu près la moitié du patrimoine en France. Ils peuvent truster les meilleures choses, leur compétition entre eux balaie littéralement les autres.

En fait, personne ne peut suivre et il ne reste que les miettes, les marges du pays. Ils forment le véritable problème dans notre pays, bien plus que les 1 % qui ont plus de deux millions d’euros de patrimoine et qui vivent dans leur bulle ! Mais comme les petits propriétaires rêvent de devenir des grands propriétaires, ils ne peuvent pas dénoncer les grands propriétaires, seulement les très grands propriétaires.

A cela s’ajoute l’existence des « indépendants », ces petits capitalistes qui ont eux en moyenne pratiquement 600 000 euros de patrimoine. Eux « vivent » le capitalisme et sont en permanence sous pression, en raison de la concurrence mais aussi de leur démesure. Ils ont joué un rôle essentiel dans le démarrage des gilets jaunes, cette rébellion de l’intérieur du capitalisme lui-même.

Cette lecture en termes de patrimoine éclaire beaucoup de choses : non seulement la nature des gilets jaunes, mais également la vanité de nombreux discours misérabilistes masquant que la France est un pays de petits propriétaires.

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Acte XIII des gilets jaunes : un 9 février 2019 au goût de 6 février 1934

Presque en phase avec le 85e anniversaire de la tentative de coup d’État fasciste du 6 février 1934, les gilets jaunes ont essayé pareillement de forcer l’entrée de l’Assemblée nationale. Est-il vraiment encore possible de dire que les gilets jaunes ne sont pas un mouvement de type pré-fasciste ou fasciste ?

L’acte XIII des gilets jaunes était un défi pour eux, puisque c’était la première mobilisation après que la CGT se soit lancé elle aussi dans un mouvement parallèle. Ce dernier n’a pas eu d’ampleur autre qu’habituelle ; quant aux gilets jaunes, ils restent fidèles à eux-mêmes, avec encore et toujours ces drames propres à un mouvement chaotique et velléitaire, jouant avec le feu de la révolte de manière désordonnée.

Un manifestant a ainsi eu la main arrachée devant l’Assemblée nationale : ce photographe « gilet jaune » prenait les photos des manifestants cherchant à forcer les palissades empêchant l’accès à l’Assemblée et a commis l’étonnante et très lourde erreur de repousser de la main une grenade de désencerclement tombé à ses pieds.

Forcer l’accès à l’Assemblée nationale ! Est-ce qu’on sait ce que cela signifie ? Que contrairement aux mensonges des populistes et de l’ultra-gauche, les gilets jaunes ne dépassent pas l’horizon pré-fasciste ou fasciste. Il ne se tournent pas vers la question sociale. Ils n’adoptent pas les traits relevant de la lutte des classes. Ils ne s’ouvrent pas aux questions d’idéologie, de politique, de culture, de projet social. Ils sont résolument extérieurs à la Gauche et ils comptent bien le rester. Ils sont un mouvement contestataire, mais de Droite.

Car il est des symboles en politique et peu importe même que les gilets jaunes sachent ou non que le 6 février 1934, l’extrême-droite ait cherché le coup de force en essayant de prendre l’assaut de l’Assemblée nationale. Ce moment critique a été suivi, comme on le sait, de l’unité immédiate des ouvriers communistes et socialistes afin de mobiliser sur une base antifasciste ; il en découlera le Front populaire, né de l’unité de toute la Gauche, à la base.

L’antiparlementarisme est une valeur étrangère à la Gauche et celle-ci a toujours su à quoi s’en tenir avec ceux qui dénonçaient les « voleurs », le « parlement », la « république », le « complot » des « élites », etc. Le mot d’ordre des gilets jaunes « On lâchera rien tant que Macron et la 5e république ne seront pas destitués ! » ne peut avoir aucun rapport avec la Gauche. On peut penser ce qu’on veut de l’Assemblée nationale et vouloir, si on le souhaite, un pays de Soviets. Mais jamais la Gauche n’a fait de l’antiparlementarisme le vecteur de son message. Qu’on soit pour le parlement ou qu’on pense que ce n’est qu’une marionnette du capitalisme, dans tous les cas l’antiparlementarisme est l’expression de forces anti-démocratiques.

L’attaque du Parlement ne peut avoir été menée que par des gens objectivement au service du populisme, de la Droite « révolutionnaire ». On notera également, non pas l’incendie d’une Porsche car cela n’est guère critiquable pour le fond symbolique de la chose, mais celui d’un véhicule de la mission Vigipirate sous la Tour Eiffel, ce qui pour le coup relève de la stupidité politique la plus totale.

Tout cela montre par ailleurs de la fuite en avant de la part de ceux qui cherchent à contourner la politique, la Gauche, le peuple. Plus le mouvement régresse numériquement, plus sa charge « ultra » est forte pour compenser. Les faits sont là : le nombre de manifestants s’estompe, contrairement aux prévisions fantasmagorique des populistes, de l’ultra-gauche et même de la CGT, qui s’imaginaient que le mouvement ayant « continué », il allait connaître un saut qualitatif.

Il y a eu 6 000 personnes à Toulouse, 4 000 personnes à Paris, Bordeaux et Lyon, 1 500 à Lille, Marseille et Montpellier ou encore 1 000 à Clermont-Ferrand.

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Gilets jaunes, actes 12 : vers un dénouement accompagné par la CGT

Le mouvement des gilets jaunes touche à sa fin, il s’essouffle, se survivant à lui-même en cultivant sa propre image de lui-même. Et il est rejoint par l’ultra-gauche et la CGT, qui y voient le moment pour appeler à la grève générale. Il n’y a pas à dire : la France est un pays étrange où la rationalité semble avoir disparu, tout autant que la culture politique.

Il est toujours étonnant de voir des gens confondre le début de la fin avec la fin du début. Il n’y a pour ainsi dire presque plus personne sur les fameux rond-points et de moins en moins de monde le samedi – près de 60 000 hier selon le Ministère de l’intérieur. Les gilets jaunes se ratatinent à chaque fois davantage et au moment où cela chute sérieusement, il y a toute une vague d’opportunistes ou de naïfs, on ne sait trop, qui interviennent dans l’histoire. Espèrent-ils tirer les marrons du feu ? N’ont-ils rien d’autre de mieux à faire ? Ou bien voient-ils un tournant réel, un moment historique ?

On a ainsi un « Journal des gilets jaunes » qui existe désormais, publié par un groupe de presse côté en bourse, Lafont-Presse, qui entend se faire un peu d’argent facile. Il y a aussi des professeurs, des « stylos rouges », qui persévèrent dans la mode colorée et protestataire. Ils étaient une cinquantaine seulement hier non loin du ministère de l’éducation nationale, avec des revendications qui sont d’une pauvreté affligeante pour des gens censés instruire les jeunes. On a aussi l’ultra-gauche, désormais lyrique sur les gilets jaunes, qui s’imagine que si les choses continuent, elles ne peuvent que déborder, et qu’elle en profitera.

Et il y a les syndicalistes cégétistes qui se sont décidés à entrer en scène, avec l’intention de prendre les gilets jaunes d’assaut et faire de la grève du 5 février le levier pour que cela marche. Avec l’idée de pouvoir relancer un syndicalisme au point mort niveau victoire, alors qu’en plus la CFDT est passée devant la CGT au niveau national.

Ainsi, alors que la CGT a sciemment refusé les gilets jaunes au début – soit par volonté de se conserver son monopole protestataire, soit par véritable esprit de Gauche refusant le style plébéien – elle est désormais totalement en leur faveur :

« Depuis de nombreux mois, les salarié-es, les retraité-es, les privé-es d’emploi et la jeunesse se mobilisent dans notre pays. Depuis la fin de l’année 2018, le mouvement dit des Gilets jaunes mobilise les attentions et révèle un regain de confiance en l’action collective.

La démultiplication des mobilisations s’oppose à la profonde injustice sociale et exige une autre répartition des richesses créées par le travail.

Cependant, plus le temps passe, plus le patronat et le gouvernement méprisent les revendications pour les détourner en détruisant les solidarités, plus les revendications sociales débordent.

Parti de la hausse des carburants, le mouvement des gilets jaunes a évolué. Des exigences nouvelles rejoignent désormais celles exprimées par les salarié-es, les retraité-es, les privé-es d’emploi, avec la CGT. C’est pourquoi, partout où cela est possible, la CGT continuera à travailler les convergences avec les Gilets jaunes. »

On remarquera l’écriture inclusive, preuve de la déconnexion avec les travailleurs et leur réalité. Quoi qu’il en soit, c’est, pour dire les choses franchement, un peu l’intervention commune des « losers », pour utiliser un terme passéiste mais assez évocateur.

Cela n’intéresse d’ailleurs vraiment ce qui reste des gilets jaunes, qui vivent dans leur monde et qui n’ont qu’un seul objectif : faire en sorte de présenter leur mouvement comme étant d’une grande actualité. On reste dans la démarche des classes moyennes cherchant à faire vivre la fiction comme quoi elles sont au centre de la vie sociale française.

Une des expressions de cela a été la « grande marche des blessés » à Paris, qui a exigé que soit mis un terme à l’utilisation des grenades de désencerclement GLI-F4 et GMD et des lanceurs de balle de défense (LBD). Pas moins de 20 personnes ont été blessées grièvement à un œil par LBD, avec la plupart du temps la perte de cet œil. Cependant, il ne faut pas être naïf et croire que les gilets jaunes s’intéressent à la question de la violence inhérente à l’État tel qu’il existe sous une forme bureaucratique, avec des hauts fonctionnaires inamovibles, des préfets, des responsables militarisés, etc.

Leur position rejoint la victimisation de type anarchiste, avec le fantasme petit-bourgeois d’un État terroriste, spoliateur, qui surveille tout le monde, etc. C’est une manière pour les gilets jaunes de chercher à retourner en leur faveur la situation après leur grande vague d’ultra-violence anti-politique à leur début, qui a considérablement ému une partie de l’opinion, et profondément choqué toute une partie de la Gauche, qui a reconnu là l’ombre de la plèbe fasciste.

Les échauffourées restent d’ailleurs la norme, comme hier lors des cortèges à Paris (14 000 personnes) et Valence (6 000), alors qu’il y avait également plusieurs milliers de personnes à Bordeaux, ainsi qu’à Strasbourg et Toulouse, 2 000 à Marseille, 1500 à Nantes, 1 000 à Montpellier, moins encore à Nice, au Mans, à Angers, à Dijon et à Cherbourg. La préfecture a également prétendu qu’à Valence, aux points de contrôle, une centaine d’armes blanches, dont des haches, des sabres, des couteaux, des machettes et des gourdins, auraient été saisies.

Comment résumer tout cela, alors ? Comme le dénouement des gilets jaunes, avec une auto-intoxication particulièrement brutale. C’est tellement énorme même qu’on ne peut pas ne pas se dire que ces gens ne le sachent pas. Ils appliquent forcément, tout au moins pour une partie d’entre eux, le principe sorélien du « mythe mobilisateur ».

Il est en tout cas très clair, du point de vue d’une Gauche qui s’assume, que ces enfants du populisme de Marine Le Pen et de l’ultra-gauche, de la CNT et d’Alain Soral, de la quenelle de Dieudonné et de Johnny Hallyday, de toute la propagande anti-politique, anti-Gauche, ne peuvent pas réaliser quelque chose de bénéfique pour l’Histoire.

La CGT, en embrayant sur les gilets jaunes, assume de sortir entièrement du champ de la Gauche politique : c’est une erreur complète, aux conséquences qui vont s’avérer catastrophiques pour elle.

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Les gilets jaunes ou la France comme terrain vague

Les gilets jaunes sont l’expression d’une France devenue un terrain vague où l’on construit n’importe où et n’importe comment, où chacun considère qu’il peut faire comme il l’entend. Si les gilets jaunes veulent vivre comme avant, ils n’en représentent pas moins une modernité rejetant tout héritage culturel et historique.

gilets jaunes

Chaque pays dispose d’un patrimoine d’idées et de luttes, sans parler de certains goûts, de certains centres d’intérêt. Cela n’a de sens cependant que si l’on se place dans un cadre collectif et qu’on ne se réduit pas soi-même au rang de simple individu. Les gilets jaunes récusent cela de manière explicite : ils ne se battent pas pour tous, disent-ils, mais pour chacun. Leur « ennemi » n’est d’ailleurs lui-même pas collectif, mais diffus : ce sont les « taxes ». L’État lui-même n’existe que telle une abstraction et se voit réduit aux « politiques », présentés comme tous corrompus.

C’est là l’expression de la conception de la France comme terrain vague. Les entreprises et ceux qui se considèrent comme de simples individus envisagent comme un droit la capacité à réaliser des projets bancaires, industriels, architecturaux, commerciaux, etc. Ce serait un droit de construire un pavillon où on le peut si on en a les moyens financiers, ce serait un droit de vendre tel ou tel produit s’il y a des clients, même si c’est du cannabis.

C’est le triomphe du principe du contrat et l’un des exemples les plus absurdes de ce principe est le « remplacement » des zones humides. On peut en France détruire une zone humide… si on la « remplace », ce qui évidemment est totalement abstrait et correspond à une mentalité d’apprenti sorcier. Une telle démarche est pourtant cohérente du point de vue de la France comme terrain vague : il y a de la place pour tous dans un terrain vague et tout est possible.

Cela est vrai naturellement pour la culture. Aucune personne de cultivée ne laisserait jamais un gilet jaune devenir ministre de la culture, il y aurait trop la peur que les musées soient fermés car leur entretien est trop cher ou bien que le patrimoine soit vendu à la découpe ! Il n’y a aucune exagération à dire cela : il suffit de voir que les gilets jaunes se prétendent un mouvement radicalement nouveau, sans exemple. Ils agissent également comme si rien n’avait jamais existé avant eux.

C’est vrai d’ailleurs de tous les « révoltés », qu’ils soient à La France Insoumise ou à Génération-s, qu’ils soient anarchistes ou d’ultra-gauche. Il y a eu un grand lessivage, où au maximum on peut s’inspirer ! Mais jamais apprendre, jamais devenir l’élève de quelque chose du passé, jamais prendre des modèles. Un tel lessivage correspond à l’esprit consommateur de l’ultra-libéralisme, avec le « droit » de piocher comme on l’entend et ce dans n’importe quelle situation. La France comme terrain vague, c’est ainsi la France comme supermarché, où les idées relèvent du prêt-à-porter.

Certains disent que c’est une tendance historique inévitable, que c’est une bonne chose, qu’au « dogmatisme » a succédé un esprit de participation, un populisme qui correspondrait enfin au peuple dans sa diversité, pour des initiatives les plus diffuses.

C’est pourtant là la mort de la Gauche et que voit-on justement ? Que plus ce populisme a avancé, plus la Gauche a reculé. Il suffit de voir l’impact dévastateur sur la Gauche de l’ouverture de la prise de décision aux sympathisants et non plus aux adhérents. C’était là l’ouverture au populisme et on sait qu’une fois qu’on lui a ouvert la porte, il ne repart plus, il s’installe. Les gilets jaunes sont aussi le produit de l’existence de « primaires » organisées par le Parti socialiste pour les élections présidentielles.

La Gauche ne peut exister que dans l’opposition à la conception de la France comme terrain vague. Elle doit valoriser le patrimoine historique des luttes, mais aussi le patrimoine sur le plan de l’organisation. Cela ne peut se faire que si les situations locales sont étudiées et connues, si la Gauche est présente concrètement, ancrée dans la population, ainsi que dans son vécu. C’est tout un travail de fond, invisible bien souvent, ingrat parfois, prolongé dans tous les cas, qu’il est nécessaire de mener.

Ce travail est inévitable et aucune « recette », méthode ou technique magique ne pourra le remplacer. Les succès rapides sont éphémères et ne jouent pas sur la société, sur l’histoire. La Gauche a un immense travail de fond à mener.

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Les défections de la liste électorale des gilets jaunes conduite par Ingrid Levavasseur

Cinq jours après avoir annoncé qu’il en serait le directeur de campagne, le gilet jaune Hayk Shahinyan a finalement quitté la liste électorale conduite par Ingrid Levavasseur pour les élections Européennes. Cette grande confusion montre l’absence de rationalité et de perspective historique d’un mouvement qui n’est qu’une agitation hystérique des classes moyenne en perte de vitesse.

Ingrid Levasseur est une figure médiatique depuis le début du mouvement des gilets jaunes, mais elle est opposée à d’autres figures comme Priscillia Ludosky ou Eric Drouet.

Ces derniers ont un positionnement plus radical, imaginant plutôt un soulèvement insurrectionnel pour faire plier les institutions. Au contraire, la liste « gilets jaunes » s’imagine pouvoir changer les institutions en s’y intégrant.

Le nom de la liste est ouvertement populiste puisqu’il reprend l’anagramme du référendum d’initiative populaire (RIC) pour devenir «Rassemblement d’initiative citoyenne». Il n’y a pas de contenu, simplement un état d’esprit « gilet jaune » avec l’idée de surfer sur la vague du mouvement en rassemblant « des gens qui ont fait cette mobilisation depuis le début sur les ronds-points ».

Cela est donc fait à la va vite, sans véritablement de sérieux dans la forme elle-même. Rien que la question pourtant primordiale du financement n’est pas réglée puisqu’il a été proposé un « crowdfunding », alors que cela n’est pas vraiment autorisé par le code électoral.

Mais, plus significatif, il y a cette démission du directeur de campagne cinq jours après l’annonce de la liste. Hayk Shahinyan a en fait cédé à la pression des gilets jaunes qui ne supportent pas cette initiative. Ses justifications en disent long sur le caractère velléitaire des gilets jaunes, qui vont loin dans la prétention mais ne sont capables de rien assumer concrètement.

Voici ce qu’il dit pour se dédouaner, avec une prétention assez hallucinante pour quelqu’un qui abandonne ses comparses en plein vol :

« Ce que l’on reproche toujours à ceux qui nous « dirigent » c’est de ne jamais reconnaître leurs erreurs, être incapables par un égo surdimensionné de faire un pas en arrière pour corriger le tir et avancer mieux, penser avec arrogance que leurs certitudes incarnent la vérité.

Penser que le « doute » est réservé aux Hommes faibles.

J’ai toujours pensé que douter, à une dose raisonnable, est un signe de sagesse et d’intelligence, se poser des questions, se remettre en question, corriger ce qui doit être corrigé.

La précipitation avec laquelle je me suis laissé emporter dans une configuration différente de ce que je prônais depuis des semaines, suivie de la blessure grave de Jérôme que je connais et pour qui j’ai beaucoup de respect et l’accumulation des blessés graves, l’approche de la grève générale illimitée dont l’appel fut lancé, la certitude que quelque chose de structuré doit pourtant naître de tout cela, sous une forme ou sous une autre, l’approche d’une échéance électorale qui peut constituer une opportunité si elle est préparée de manière intelligente, la sortie prochaine de la période hivernale qui pourrait voir la mobilisation s’intensifier d’avantage, la fin du grand débat et les déceptions évidentes qui vont suivre et pourraient renforcer la mobilisation, et bien d’autres paramètres encore créent le doute.

Celles et ceux qui affirment avec certitude détenir LA solution, je m’en méfie toujours, je préfère ceux qui réfléchissent objectivement et calmement sans crier des affirmations en permanence.

J’ai pris la décision de me retirer de toutes mes activités, revenir à Lyon, et prendre une semaine pour analyser, réfléchir, préparer des propositions, et prendre du recul.

J’ai toujours été et je serai toujours un homme libre, que cela plaise ou non.

Je ne lâcherai pas le combat. Jamais.
Mais je dois retrouver du recul. »

Ces propos sont lamentables tellement ce n’est pas sérieux. On a là quelqu’un qui devait cinq jours avant diriger la campagne d’une liste promise à un grand écho médiatique, qui explique en fait que tout cela a été fait dans la précipitation et que peut-être bien qu’il va se passer autre chose de mieux autrement ! Il parle d’ailleurs d’une hypothétique grande grève générale, un mythe typiquement syndicaliste, alors que la liste qu’il devait diriger a en quatrième position un chef d’entreprise, ce qui est complètement antinomique.

Ce chef d’entreprise d’ailleurs, Frederic Mestdjian, qui reste sur la liste, le défend pourtant malgré sa défection. Il explique que « Hayk a besoin d’un peu de temps pour lui», précisant qu’il avait tout laissé de côté sur le plan professionnel et qu’il a des « échéances administratives ».

Tout cela n’a aucun sens et en dit long sur cette grande catastrophe politico-culturelle qu’est le mouvement des gilets jaunes. Cela part dans tous les sens, tout et n’importe quoi y est raconté sans que cela n’ait aucune valeur.

Notons également la défection de celui qui devait être en huitième position sur la liste, Marc Doyer. Il part pour ne pas nuire au projet suite aux critiques à propos du fait qu’il avait été candidat à l’investiture La République en marche (LaREM) aux législatives de 2017. Ce gilet jaune est donc un « déçu » d’Emmanuel Macron, qui passe d’un bord à l’autre, d’un populisme à un autre, sans aucune constance, sans aucune cohérence.

C’est typique, absolument typique, et il faut bien comprendre de toute façon que le gouvernement d’Emmanuel Macron voit d’un très bon œil cette liste gilets jaunes, tant pour affaiblir son opposition que comme moyen d’empêcher toute expression rationnelle, toute critique s’inscrivant dans la lutte des classes.

La Gauche française a ici une grande responsabilité, car en se retrouvant isolée, divisée, affaiblie, elle offre un boulevard pour ce type de démarche et cette grande confusion sociale.

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L’interprétation des gilets jaunes par Lutte Ouvrière

Dans différents documents, l’organisation Lutte Ouvrière expose son point de vue approfondi à propos des gilets jaunes, ce qui est intéressant puisqu’il s’agit d’une des très rares structures de gauche à disposer de relais réels chez les ouvriers. Son point de vue est d’ailleurs formel : ceux-ci sont restés à l’écart.

Voici les extraits des passages les plus significatifs, avec les liens vers leurs sources. Pour reprendre la distinction faite pour la liste des positions de la Gauche sur les gilets jaunes, Lutte Ouvrière fait partie de la Gauche « des idées », des « cadres ».

> Lire également : Les points de vue de la Gauche sur les gilets jaunes

« Les gilets jaunes ont fait de Macron et de l’État leurs seules cibles, sans chercher à combattre, ni même à dénoncer, le grand patronat et sa responsabilité dans la situation. C’est une limite importante.

Le mouvement mêlait dans le même combat plusieurs catégories sociales aux intérêts divers, parfois opposés: des travailleurs, des chômeurs ou des retraités qui ne s’en sortent pas avec des salaires ou des pensions trop faibles; mais aussi des artisans, des agriculteurs ou des petits patrons, eux aussi victimes de la crise économique et du grand capital mais qui sont plus prompts à dénoncer ce qu’ils appellent les taxes. Pour assurer l’unité du mouvement, les gilets jaunes ont banni de leurs revendications ce qui était source de désaccords.

C’est pourquoi les intérêts spécifiques et les revendications de classe des travailleurs, c’est-à-dire celles qui opposent les salariés au grand patronat, ne se sont pas exprimés clairement. »

Brochure « Contre le grand capital, le camp des travailleurs »

« Notre conviction de marxistes est qu’il ne peut pas y avoir d’issue positive pour le monde du travail si la classe ouvrière n’intervient pas sur la base de ses intérêts de classe et surtout sur la base de ses perspectives de classe. Le prolétariat organisé dans les grandes entreprises est le seul à même de porter le combat contre la bourgeoisie et l’ordre capitaliste, à porter les perspectives révolutionnaires pour toute la société. Le paradoxe, c’est que les travailleurs qui peuvent le plus se battre sont, en ce moment, ceux qui le veulent le moins.

Mais les choses ne sont pas figées. Quand cela commence à bouger, bien des perspectives s’ouvrent non seulement pour ceux qui sont dans l’action mais aussi pour ceux qui regardent. Alors il nous faut tout à la fois nous adresser aux travailleurs des entreprises où nous militons et à ceux qui participent au mouvement des gilets jaunes.

Les gilets jaunes constituent un mouvement disparate par sa composition sociale, qui réunit le monde du travail de la France rurale ou périurbaine, comme on dit, c’est-à-dire des salariés, des retraités, des chômeurs et beaucoup d’artisans, d’autoentrepreneurs, d’indépendants, parfois des agriculteurs, sans compter cette catégorie qui a fait masse dans de nombreuses villes, les motards, qu’il est bien difficile de classer. Cette composition fluctue selon les régions, selon les villes et même selon les différents points de blocage près d’une même ville.

Quant au prolétariat présent, c’est un prolétariat de petites entreprises, dispersé, bien souvent non syndiqué, et très lié au monde artisan et commerçant : les uns et les autres appartiennent aux mêmes familles, se côtoient en permanence dans les associations diverses et variées et partagent souvent le même niveau de vie. Des coiffeuses, des fleuristes, des artisans du bâtiment, ne vivent parfois pas mieux que les salariés au smic ; et bien des autoentrepreneurs vivent encore plus difficilement.

Alors tous combattent ensemble. Mais nous, c’est à la partie prolétarienne de ce mouvement que nous voulons d’abord nous adresser et proposer une politique, pas au mouvement dans son ensemble. Car il serait vain et erroné de vouloir repeindre les gilets jaunes en… gilets rouges.

Nous militons pour que les travailleurs en gilets jaunes aient conscience de leurs intérêts de classe, pour qu’ils se rendent compte qu’ils ont leurs revendications propres, que leur salaire est leur seule richesse et qu’il faut se battre pour lui. Nous militons pour qu’ils soient conscients du fait que, s’ils se cantonnent à la fiscalité, ils risquent de donner un coup d’épée dans l’eau.

La plupart des gilets jaunes qui sont des travailleurs salariés ne se voient pas du tout se battre contre leur patron. Nombre d’entre eux estiment que leurs intérêts vont de pair et que le combat est à mener, non pas contre le grand capital, mais contre Macron et l’État. De fait, ils sont très éloignés des idées de lutte de classe, voire les rejettent.

Si l’augmentation du smic est une revendication qui est un peu reprise par les gilets jaunes, c’est aussi parce que, dans l’esprit du plus grand nombre, elle s’adresse au gouvernement et à Macron bien plus qu’aux patrons. Et comme l’a déclaré le dirigeant du Medef, il n’est pas contre une augmentation du smic, à condition que ce soit l’État qui la paye ! Et c’est un peu ça qu’il y a dans pas mal de têtes.

Autrement dit, nous n’appelons pas, comme le NPA, à « fédérer les colères », nous visons à les séparer. Nous visons à séparer les dynamiques de classe représentées d’un côté par les travailleurs exploités, et de l’autre par les petits patrons (…).

On connaît dans bien des entreprises des ouvriers qui, après le boulot, foncent sur tel ou tel barrage, ne serait-ce que pour y passer un peu de temps. Autant ils se posent le problème de participer aux gilets jaunes, autant mener la bagarre dans leur entreprise, contre leur patron, leur semble encore impossible. Nous ne savons pas si le mouvement des gilets jaunes peut, comme la révolte étudiante de 1968, déboucher sur une grève générale, mais il faut en défendre la nécessité auprès des travailleurs, qui prennent justement 1968 comme référence (…).

Et les gilets jaunes ont compris une chose, que les dirigeants syndicaux ont voulu faire oublier, c’est que l’essentiel est dans le rapport de force. Tout cela illustre ce que nous répétons souvent : les travailleurs ont des ressources extraordinaires, quand ils se mettent en branle, ils apprennent vite. Si le mouvement ouvrier organisé pouvait s’inspirer de tout cela, ce serait déjà bien ! »

Les révolutionnaires et le mouvement des Gilets jaunes

 

« Il est également dans la logique des choses qu’une explosion de colère comme celle qui a conduit au mouvement des gilets jaunes mélange des colères de catégories sociales diverses. Celles du monde du travail, des retraités qui peinent à survivre, des chômeurs sans espoir de trouver du travail dans leur région, des travailleurs qui n’en ont trouvé un qu’à des dizaines de kilomètres de leur lieu d’habitation et pour qui le prix du gazole est une composante vitale de leur pouvoir d’achat, des aides-soignantes, des mères seules, des jeunes qui galèrent d’embauches précaires en petits boulots, des ouvriers, employés, techniciens de petites entreprises.

Ces colères venant du monde des salariés se sont mélangées avec celles des couches petites bourgeoises qui ont le plus de mal à s’en sortir. La méfiance à l’égard des partis institutionnels, qui prend facilement la forme d’un apolitisme affiché, s’enracine dans le désir de préserver l’unité entre les différentes composantes du mouvement. Cette unité, et la fraternité forgée sur les ronds-points occupés et dans les actions menées en commun, semblent être le gage de la victoire.

De quelle victoire ? De qui et contre qui ? Le mouvement des gilets jaunes a d’autant plus de mal à répondre à ces questions et même à se les poser que, derrière l’unité dans la colère, les intérêts des uns et des autres divergent, tout comme aussi les voies pour exprimer cette colère. »

Les gilets jaunes : l’expression d’une colère, la recherche d’une perspective