Catégories
Politique

La Gauche historique ne fantasme pas sur la « grève générale »

L’anarchisme, l’anarcho-syndicalisme : une plaie dans notre pays.

Ce 7 mars 2023, les syndicats visent à organiser en France une vaste grève. Cette grève n’est pas organisée selon les principes de la Gauche historique. Elle relève de l’économisme, du trade-unionisme, c’est-à-dire du réformisme, dans son alliance à l’anarcho-syndicalisme qui rêve qu’une « grève générale », soit le prélude du « grand soir ». On est là dans le mythe mobilisateur théorisé par Sorel et tous les « socialistes français » rejetant le marxisme.

Rosa Luxembourg rappelle, dans Grève de masse, parti et syndicat, écrit en 1905, que la Gauche historique ne conçoit le mouvement ouvrier qu’à travers le prisme de la conscience politique. Elle nous dit de la position historique de la social-démocratie, du marxisme :

« Elle est dirigée contre la théorie anarchiste de la grève générale qui oppose la grève générale, facteur de déclenchement de la révolution sociale, à la lutte politique quotidienne de la classe ouvrière.

Elle tient tout entière dans ce dilemme simple : ou bien le prolétariat dans son ensemble ne possède pas encore d’organisation ni de fonds considérables – et alors il ne peut réaliser la grève générale – ou bien il est déjà assez puissamment organisé – et alors il n’a pas besoin de la grève générale.

Cette argumentation est, à vrai dire, si simple et si inattaquable à première vue, que pendant un quart de siècle elle a rendu d’immenses services au mouvement ouvrier moderne, soit pour combattre au nom de la logique les chimères anarchistes, soit pour aider à porter l’idée de la lutte politique dans les couches les plus profondes de la classe ouvrière.

Les progrès immenses du mouvement ouvrier dans tous les pays modernes au cours des vingt-cinq dernières années vérifient de la manière la plus éclatante la tactique de la lutte politique préconisée par Marx et Engels, par opposition au bakouninisme : la social-démocratie allemande dans sa puissance actuelle, sa situation à l’avant-garde de tout mouvement ouvrier international est, pour une très grosse part, le produit direct de l’application conséquente et rigoureuse de cette tactique. »

Dans ce même ouvrage, Rosa Luxembourg constate qu’en Russie un nouveau phénomène est apparu, qui exige de recalibrer la notion de grève. Il y avait en effet, dans toute la période menant aux deux révolutions russes de 1917, de multiples grèves. Mais elles avaient un caractère contestataire visant le régime et c’est pourquoi Rosa Luxembourg parle de « grève politique de masse ».

Ce qui se passe en France n’a rien à voir avec un tel mouvement secouant le régime. On est dans le réformisme, purement et simplement.

La Gauche historique, celle qui s’appuie sur la social-démocratie et le marxisme, refuse d’accorder une valeur à un tel réformisme qui rejette le Socialisme comme objectif incontournable.

Elle n’accepte pas non plus une ligne populiste visant à « manipuler » les travailleurs pour qu’ils passent sans s’en apercevoir de revendications au camp du socialisme – comme si une telle chose était possible.

Cette conception d’amener les travailleurs comme malgré eux dans le camp du Socialisme est celle, trompeuse, mensongère, du réformisme à prétention « révolutionnaire », du trotskisme avec le « programme de transition ». C’est une négation de l’importance de la conscience, et ce d’autant plus dans un pays comme la France où règne le 24 heures sur 24 du capitalisme.

La Gauche historique affirme que tout dépend du niveau de conscience. Dans son fameux ouvrage Que faire?, en 1902, Lénine salue comment le dirigeant de la social-démocratie Karl Kautsky valorise la conscience, lui reconnaissant le rôle central. Et il pose que :

« Du moment qu’il ne saurait être question d’une idéologie indépendante, élaborée par les masses ouvrières elles-mêmes au cours de leur mouvement , le problème se pose uniquement ainsi : idéologie bourgeoise ou idéologie socialiste.

Il n’y a pas de milieu (car l’humanité n’a pas élaboré une « troisième » idéologie ; et puis d’ailleurs, dans une société déchirée par les antagonismes de classes, il ne saurait jamais exister d’idéologie en dehors ou au-dessus des classes).

C’est pourquoi tout rapetissement de l’idéologie socialiste, tout éloignement vis-à-vis de cette dernière implique un renforcement de l’idéologie bourgeoise.

On parle de spontanéité. Mais le développement spontané du mouvement ouvrier aboutit justement à le subordonner à l’idéologie bourgeoise, Il s’effectue justement selon le programme du Credo, car mouvement ouvrier spontané, c’est le trade-unionisme, la Nur-Gewerkschaftlerei ; or le trade-unionisme, c’est justement l’asservissement idéologique des ouvriers par la bourgeoisie.

C’est pourquoi notre tâche, celle de la social-démocratie est de combattre la spontanéité, de détourner le mouvement ouvrier de cette tendance spontanée qu’a le trade-unionisme à se réfugier sous l’aile de la bourgeoisie, et de l’attirer sous l’aile de la social-démocratie révolutionnaire. »

La question est politique, toute question est politique. Une grève sur une base économique peut exister, mais en dernier ressort elle dépend d’une orientation politique : les syndicats sont une courroie de transmission du Parti menant au Socialisme.

Sinon, tout se joue dans le cadre du capitalisme et, en dernier ressort, sert le capitalisme pour trouver des manières de se ré-impulser, de se relancer!

Catégories
Écologie

Sahra Wagenknecht, Rosa Luxembourg et les animaux

La question des animaux revient inéluctablement en avant pour qui n’a pas abandonné son humanité.

Dans son éloge pour les cent ans de leur mort, Sahra Wagenknecht fait allusion à l’humanité profonde de Rosa Luxembourg et de Karl Liebknecht ; voici un passage de grande valeur reflétant cela pour celle qui fut la grande théoricienne de l’opposition à la guerre et au militarisme en Allemagne.

« Ah! ma petite Sonia, j’ai éprouvé ici une douleur aiguë.

Dans la cour où je me promène arrivent tous les jours des véhicules militaires bondés de sacs, de vielles vareuses de soldats et de chemises souvent tachées de sang…

On les décharge ici avant de les répartir dans les cellules où les prisonnières les raccomodent, puis on les recharge sur la voiture pour les livrer à l’armée.

Il y a quelques jours arriva un de ces véhicules tiré non par des chevaux, mais par des buffles. C’était la première fois que je voyais ces animaux de près.

Leur carrure est plus puissante et plus large que celle de nos boeufs ; ils ont le crâne aplati et des cornes recourbées et basses ; ce qui fait ressembler leur tête toute noire avec deux grands yeux doux plutôt à celle des moutons de chez nous.

Il sont originaires de Roumanie et constituent un butin de guerre… Les soldats qui conduisent l’attelage racontent qu’il a été très difficile de capturer ces animaux qui vivaient à l’état sauvage et plus difficile encore de les dresser à traîner des fardeaux.

Ces bêtes habituées à vivre en liberté, on les a terriblement maltraitées jusquà ce qu’elles comprennent qu’elles ont perdu la guerre : l’expression vae victis s’applique même à ces animaux… une centaine de ces bêtes se trouveraient en ce moment rien qu’à Breslau.

En plus des coups, eux qui étaient habitués aux grasses pâtures de Roumanie n’ ont pour nourriture que du fourrage de mauvaise qualité et en quantité tout à fait insuffisante. On les fait travailler sans répit, on leur fait traîner toutes sortes de chariots et à ce régime ils ne font pas long feu.

Il y a quelques jours, donc, un de ces véhicules chargés de sacs entra dans la cour. Le chargement était si lourd et il y avait tant de sacs empilés que les buffles n’arrivaient pas à franchir le seuil du porche.

Le soldat qui les accompagnait, un type brutal, se mit à les frapper si violemmment du manche de son fouet que la gardienne de prison indignée lui demanda s’il n’avait pas pitité des bêtes. Et nous autres, qui donc a pitité de nous? répondit-il, un sourire mauvais aux lèvres, sur quoi il se remit à taper de plus belle…

Enfin les bêtes donnèrent un coup de collier et réussirent à franchir l’obstacle, mais l’une d’elle saignait… Sonitchka, chez le buffle l’épaisseur du cuir est devenue proverbiale, et pourtant la peau avait éclaté. Pendant qu’on déchargeait la voiture, les bêtes restaient immobiles, totalement épuisées, et l’un des buffles, celui qui saignait, regardait droit devant lui avec, sur son visage sombre et ses yeux noirs et doux, un air d’enfant en pleurs.

C’était exactement l’expression d’un enfant qu’on vient de punir durement et qui ne sait pour quel motif et pourquoi, qui ne sait comment échapper à la souffrance et à cette force brutale…

J’étais devant lui, l’animal me regardait, les larmes coulaient de mes yeux, c’étaient ses larmes.

Il n’est pas possible, devant la douleur d’un frère chéri, d’être secouée de sanglots plus douloureux que je ne l’étais dans mon impuissance devant cette souffrance muette. Qu’ils étaient loin les pâturages de Roumanie, ces pâturages verts, gras et libres, qu’ils étaient inaccesibles, perdus à jamais.

Comme là-bas tout – le soleil levant, les beaux cris des oiseaux ou l’appel mélodieux des pâtres – comme tout était différent. Et ici cette ville étrangère, horrible, l’étable étouffante, le foin écoeurant et moisi mélangé de paille pourrie, ces hommes inconnus et terribles et les coups, le sang ruisselant de la plaie ouverte…

Oh mon pauvre buffle, mon pauvre frère bien-aimé, nous sommes là tous deux aussi impuissants, aussi hébétés l’un que l’autre, et notre peine, notre impuissance, notre nostalgie font de nous un seul être.

Pendant ce temps, les prisonniers s’affairaient autour du chariot, déchargeant de lourds ballots et les portant dans le bâtiment. Quant au soldat, il enfonça les deux mains dans les poches de son pantalon, se mit à arpenter la cour à grandes enjambées, un sourire aux lèvres, en sifflotant une rengaine qui traîne les rues.

Et devant mes yeux je vis passer la guerre dans toute sa splendeur… »

Rosa LUXEMBOURG, Ecrits de prison

Voici également, en accord avec cet esprit, une publication récente de Sahra Wagenknecht.

2 800 000 animaux, avant tout des souris, des poissons et des rats ont été utilisés en 2017 en Allemagne pour l’expérimentation animale. La politique doit s’engager de manière active pour une transition à une recherche sans utilisation d’animaux. En haut : « Le nombre d’animaux servant pour l’expérimentation animale et l’industrie sont hauts de manière constante depuis des années. Trop peu est fait pour passer à une recherche sans expérimentation animale. Afin de pouvoir s’en passer sur le long terme, des structures de soutien doivent par exemple être mises en place pour appuyer les méthodes alternatives. »

Catégories
Politique

Sahra Wagenknecht et Rosa Luxembourg

Sahra Wagenknecht, figure de la Gauche allemande, assume très clairement les thèmes de la Gauche historique.

« Aliéné et humilité n’est pas seulement celui qui n’a pas de pain, mais aussi celui qui n’a pas part aux grands biens de l’humanité » (Rosa Luxembourg) Plus haut : « Aujourd’hui, Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht ont été assassinés il y a cent ans. Les deux sont une grande inspiration pour moi. Contre toutes les oppositions ils se sont posés contre le militarisme et la guerre, ils sont restés fidèles à eux-mêmes et étaient en même pourtant profondément humain. Leurs luttes sont actuelles jusqu’à aujourd’hui : la justice et la liberté restent encore en 2019 le grand objectif. »

À l’occasion du centenaire de l’assassinat de Rosa Luxembourg, la radio publique Norddeutscher Rundfunk a posé quelques questions à Sahra Wagenknecht.

Voici l’une des questions-réponses, relevant d’une approche qui intéressera ceux et celles s’intéressant aux positions de cette dirigeante actuelle de la Gauche allemande.

NDR : Ce qui s’est passé pour Rosa Luxembourg, à l’origine une social-démocrate, pendant sa période d’emprisonnement, relèverait aujourd’hui du concept de radicalisation. Elle a dans ses derniers écrits clairement appelé aux armes et à la lutte. Cela ne peut pas être aujourd’hui la mise en perspective, n’est-ce pas ?

Sahra Wagenknecht : Rosa Luxembourg n’a pas appelé aux armes, bien au contraire. Elle appartenait dans le Parti à ceux qui se sont massivement refusé à ce qu’on tente de changer les choses par la violence des armes.

Elle a largement promu la participation aux élections – malheureusement, elle n’a pas eu la majorité à ce sujet lors du premier congrès du Parti Communiste d’Allemagne.

Rosa Luxembourg était une démocrate de bout en bout, seulement le système d’alors n’était pas démocratique : nous parlons ici toujours de l’Empire, nous parlons du fait que la révolution de novembre a été finalement freinée et annulée, alors qu’il s’agissait de déposséder du pouvoir les élites qui avaient commencé cette guerre et en avaient également profité.

Son meurtre est également la preuve de comment la démocratie a été mise de côté alors. Dans une démocratie, les opposants n’ont pas le droit d’être assassinés, et cela n’est arrivé qu’en connaissance de cause de la part des forces réactionnaires, mais également de gens comme Gustav Noske, donc de sociaux-démocrates.

Cela a été une époque où beaucoup de choses diffèrent d’aujourd’hui, parce que le système politique était encore un autre. Mais en ce qui concerne les rapports économiques, il y a beaucoup de parallèles jusqu’à aujourd’hui.

 

> Lire également : Allemagne : Sahra Wagenknecht lance une Gauche non postmoderne

 

 

Catégories
Politique

Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht, assassinés il y a cent ans

Il y a cent ans, le 15 janvier 1919, Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht étaient tués en raison de leur rôle de dirigeants dans la révolution spartakiste en Allemagne. Le fait que les socialistes soient à la tête de la répression d’un insurrection de socialistes devenus communistes allait avoir des conséquences historiques dramatiques en Allemagne.

Karl Liebknecht, Rosa Luxembourg

Rosa Luxembourg est une figure relativement connue en France, et souvent très appréciée par les gens de Gauche. Ils y voient une figure historique de premier ordre, avec il est vrai souvent beaucoup de romantisme. Ils négligent souvent le fait qu’elle a été une des principales figures du mouvement ouvrier allemand, en tant que l’une des dirigeantes de la social-démocratie.

Ce qu’on retient surtout d’elle, c’est son opposition à la guerre de 1914, puis son soutien à la révolution russe. On sait aussi qu’elle a formé un Parti Communiste « spartakiste » et que les événements ont été terribles pour elle, puisqu’elle a été assassinée par des regroupements paramilitaires d’extrême-droite, les corps-francs, sur ordre des socialistes à la tête de la république venant d’être fondée, Philipp Scheidemann, Friedrich Ebert, Gustav Noske.

Ce dernier est connu pour avoir déclaré, après avoir dirigé l’écrasement des spartakistes à Berlin :

« Il faut que quelqu’un fasse le chien sanguinaire : je n’ai pas peur des responsabilités. »

Rosa Luxembourg est donc un symbole d’engagement et de fidélité à ses idéaux, et c’est bien pour cela que les communistes ont voué une haine farouche à la direction du parti socialiste allemand, le SPD, qui d’ailleurs le lui rendait bien.

Le problème est que cette confrontation produisait le blocage de l’unité des socialistes et des communistes face à la menace fasciste. Les socialistes et les communistes connurent alors bien souvent les camps nazis, et ce n’est qu’à partir de 1935-1936 qu’un esprit d’unité réapparaît, du côté communiste d’abord. Cela ira jusqu’à la fusion des socialistes et des communistes en Allemagne de l’Est après 1945, les communistes se faisant rapidement interdire à l’ouest.

Il faut rappeler ici que la particularité des socialistes allemands (ou autrichiens) alors, était qu’ils assumaient de vouloir le socialisme tout autant que les communistes, qu’ils se revendiquaient encore du marxisme. De plus, les socialistes étaient encore soutenus par une large partie des ouvriers. C’était un débat à l’intérieur du mouvement ouvrier.

Et il y a beaucoup d’actualité, somme toute, dans cette problématique, ce conflit entre les pragmatiques ou « réalistes » d’un côté, les purs et les durs de l’autre, qui se veulent tout aussi réalistes d’ailleurs. Il est vrai que François Hollande n’a pas écrasé d’insurrection et que Benoît Hamon n’est pas Rosa Luxembourg, et que si on a beaucoup de gens pragmatiques à gauche (quand ils ne sont pas passés chez Emmanuel Macron), on a peu de révolutionnaires.

Toutefois, la question de l’unité de la Gauche dans son ensemble est la même que de par le passé. Comment concilier la Gauche disant qu’il faut influer sur les mesures gouvernementales et la Gauche disant que sans affrontement rien n’est possible ? On connaît la réponse de Jean Jaurès : dire oui à tout, quitte à faire semblant. François Mitterrand a fait de même. Le résultat a toujours été l’amertume et l’effondrement de la Gauche face aux valeurs hégémoniques de la Droite.

On peut dire qu’une telle conciliation n’est pas possible dans le cadre d’un capitalisme disposant d’un État très fort, car dans ce cas-là, la récupération par le système est inéluctable. La fusion des socialistes et communistes après 1945 en Allemagne, ainsi que dans d’autres pays, n’a pu avoir lieu que parce que l’État s’était effondré, il fallait repartir sur une base saine. Or, quand il y a le capitalisme et qu’il y a un État à son service, rien n’est sain, naturellement.

Mais quand le capitalisme connaît une crise au point qu’il est terriblement agressif, que l’État à son service devient Fascisme, alors là il y a une ouverture pour l’unité générale de la Gauche. Ce serait cependant terrible de dire qu’il faille une telle expérience pour en arriver là, surtout que l’Histoire a déjà enseigné cela. Mais malheureusement, la Gauche française est si peu structurée, si faible, que les leçons risquent d’être à réapprendre…

Rosa Luxembourg