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Réflexions

Le cycliste, un beauf comme un autre

Faire du vélo, c’est bien et c’est mieux que prendre la voiture, si on peut éviter. Mais croire qu’avec cela on évite l’agressivité, le fétichisme, l’individualisme, c’est lourdement se tromper.

bicyclettes

Ah, le vélo ! Quel plaisir de plonger dans les rues de la ville, libre de tout souci de transport en commun, en se précipitant à coups de pieds sur le pédalier ! « A bicyclette… » On se sent comme grisé, et cette euphorie n’a pas seulement un lien avec l’endorphine produit par l’effort donné. Il y a également ce sentiment, à la fois snob et rassurant, de faire quelque chose de bien pour l’environnement. On ne pollue pas, on ne contribue pas à la toute-puissance de l’automobile.

Et puis, les automobilistes, quelle bande de cons ! Entre leur agressivité, leur irresponsabilité, leur fétiche de la voiture, leur confiance aveugle en la route, l’autoroute, le pied sur le champignon comme vecteur du déplacement ! Quelle joie alors d’être cycliste, au cœur de la ville, loin des beaufs et de leur style de vie !

Ce dernier point de vue est-il une caricature ? Pas tant que cela, finalement. Car les cyclistes ressemblent finalement sur beaucoup de points aux automobilistes. Ils ont le même fétichisme complet de leur propre activité. Ceux qui relativisent celle-ci sont des ennemis et le mépris du cycliste pour le piéton vaut bien celui de l’automobiliste. Quant à l’agressivité, elle devient rapidement la même.

Il ne faut pas croire non plus que le vélo soit quelque chose de simple, du type on monte dessus et hop c’est parti. Il faut en effet aller d’abord le chercher, dans la rue ou dans le local à vélos. Il faut le décadenasser. Ah mais voilà que faire des antivols ? Alors, là, il faut soit l’accrocher sur le vélo, ce qui est une opération hautement intellectuelle, car il faut bien le caser pour pas que cela ne dérange quant on roule. Ou bien on le met dans un sac : ah, il faut un sac à dos! Mais quel type de sac ? Et il faut toujours l’avoir sur soi, même quand on s’est garé et qu’on n’a plus l’antivol ?

Ce n’est pas tout : il faut regarder la météo. La pluie exige un certain habillement. Et puis on a vite chaud quand on pédale, on est en sueur, il faut prévoir le coup pour ne pas être trop dérangé après coup. Il y a le vent également, à prendre en compte.

Et puis il ne faut pas oublier les lumières ! C’est une question de sécurité. Là évidemment on peut la jouer à la française, avec le style nonchalant. Toutefois une véritable sécurité, c’est une lumière fixe devant, une lumière clignotante derrière, des réfléchissants à la fois devant et derrière, ainsi que plusieurs sur chaque roue pour les côtés, et sur chacun des deux côtés de chaque pédale.

Ouf ! Tout cela pour dire que c’est une intendance. Que le côté spontané et libre du cycliste relève de la mythomanie. Que même si on prend un vélo empruntable sur abonnement, il reste la question de la conduite, de l’habillement, de le trouver, de le garer au bon endroit, etc.

Tout cela fait que le cycliste a une démarche complexe, que lui imagine simple, et c’est pourquoi il devient aussi bien un beauf, sans même s’en apercevoir, dans ses attitudes avec les autres, en particulier les piétons, mais aussi les autres cyclistes, ou bien les automobilistes.

Somme toute, le cycliste, c’est un peu le motard mais avec une moto sans moteur. Ce qui lui accorde une dimension écologiste indubitable, et puis cet aspect sportif. C’est plutôt bien ! Mais cela se retourne aussi bien en son contraire, avec la même pose que le motard, le même individualisme, la même attitude qui est celle de la caricature exposée dans les films américains, avec ce motard sans casque roulant à fond la caisse sur une route traversant le désert.

Les motards et les cyclistes se croient bien dans un désert, ne portant plus leur attention qu’envers eux-mêmes surtout…

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Société

L’échec du féminisme à la «me too» devant la culture beauf

Une certaine forme de féminisme a beau s’affirmer à la suite du mouvement « me too », il ne peut pas modifier la situation. Tant que la culture beauf dispose de gigantesques moyens d’expression, elle noiera toute opposition. Quelques pointes critiques n’ébranlent pas un véritable système d’attitudes et de comportements.

#metoo

La grande question à l’arrière-plan de tout programme féministe, c’est de savoir s’il faut s’adresser aux hommes ou à chaque homme en particulier. Et si le fond du problème consiste en une culture, beauf ou patriarcale comme on voudra, ou bien en des réactions individuelles erronées. Selon qu’on voit les choses d’une manière ou d’une autre, cela change tout, tant pour la manière d’exprimer le féminisme que pour évaluer ses réussites et ses échecs.

On sait comment l’individualisme n’a eu de cesse de progresser ces dernières années ; le féminisme n’a pas échappé à cela. L’une des conséquences immédiates, c’est qu’il a perdu tout sens critique. L’affirmation d’une femme, de quelque manière que ce soit, est considérée comme du féminisme… même si dans la pratique, il s’agit d’une soumission complète aux valeurs de soumission. C’est le principe de la femme « osant » se maquiller de manière professionnelle, poser nue, avoir telle robe et tels talons aiguilles, etc.

Il y a un nombre incalculable de mannequins, actrices, chanteuses, femmes de la politique et de l’économie, intellectuelles, qui se prétendent féministes simplement parce qu’elles font carrière. Le féminisme se réduit ici à la revendication de l’avancée sociale, du projet individuel. Le féminisme disparaît ici dans une sorte de magma pro-égalitaire, où les femmes sont mises sur le même plan que les étrangers, les immigrés, les migrants, les gays, les lesbiennes, les handicapés, etc. etc.

Évidemment à chaque fois, il ne s’agit pas des immigrés ou des handicapés, mais de chaque immigré, de chaque handicapé, pas des gays ou des lesbiennes, mais de chaque gay, de chaque lesbienne. C’est toujours l’individu qui est l’alpha et l’oméga de tout ce type de raisonnement. Et, par conséquent, cela ne peut aboutir qu’à des échecs, exprimés par de dramatiques « faits divers », notamment des agressions. Celles-ci apparaissent comme toujours incompréhensibles, car s’opposant au « droit » de chacun de faire ce qu’il veut.

Ce qui est ici gommé, de manière totale, c’est la culture beauf qui traverse toute la société. Il suffit pourtant de voir que le bombardement visuel d’un clip de rap diffusant tous les clichés sexistes a un impact concret bien plus important que n’importe quelle remarque en faveur de l’égalité. Même quelqu’un qui est favorable à l’égalité peut en arriver dans sa vie quotidienne à reproduire les traditions sexistes. Et cela est vrai pour les hommes bien entendu, mais également pour les femmes.

L’une des principales erreurs du mouvement féministe à la « me too », ou bien les Femen, voire en fait la plupart des organisations et regroupements féministes, c’est de partir du point de vue que toutes les femmes sont favorables au féminisme. Ce n’est malheureusement pas vrai du tout. La majorité des femmes même, peut-on dire, a tout à fait intégré des règles du jeu où elles assument une certaine passivité, afin de manœuvrer par derrière. Cela leur semble plus pertinent, plus vraisemblable, qu’un hypothétique féminisme où elles seraient vraiment autonomes.

Les films présentent d’ailleurs de manière ininterrompue un tel modèle. Même dans les cas où la femme a des initiatives, elle dépend de l’homme qui se retrouve être le protagoniste véritable. Il suffit de voir un James Bond récent, ou bien n’importe quel film catastrophe, de science-fiction, d’action. La femme qui agit se retrouve toujours coincé à un moment, et qui vient débloquer la situation ? L’homme, bien entendu. Il y a là quelque chose pernicieux, contribuant de manière massive à la prédominance des hommes. Et pourtant, on ne trouve aucune critique massive, ou même aucun début de critique, de ces insupportables scénarios.

Finalement, que voit-on ? Que le féminisme individualiste, tourné vers l’individu, est tout à fait acceptable pour le capitalisme. Il valorise l’individu, il donne une image de progrès de la société, c’est donc tout à fait utile. Par contre, jamais la femme en tant que femme n’est valorisée. Cela serait là du « naturalisme », ce serait là lui donner une « essence », ce qui est insupportable pour une société dont le fondement est l’existence individuelle radicalement séparée de tout le reste.

Ce qui amène au problème fondamental du féminisme : considère-t-il que la femme est un homme comme les autres, ou bien est-il dans l’optique que les hommes doivent se plier aux exigences des femmes ? Et dans ce dernier cas, dans quelle mesure les femmes sont-elles différentes ou bien supérieures aux hommes ? Ce qui aboutit inéluctablement à la question du rapport à la vie : la femme est-elle supérieure à l’homme, de par son rapport plus développé à la vie ?

On est tout à fait libre de le penser, et même est-ce sans doute un devoir. L’égalité hommes-femmes ne pourra pas se mettre en place sans, disons, un certain matriarcat. Croire qu’on pourra briser la culture beauf sans une certaine révolution des mentalités, sans une certaine soumission des hommes à des valeurs de paix, d’orientation vers la nature, les animaux, est une illusion pure et simple.

Cela n’intéresse pas du tout le féminisme à la « me too ». Il n’est pas du tout dans cette problématique et n’a aucune réflexion à ce sujet. Il est simplement une expression de la volonté de carrière de femmes appartenant aux couches supérieures de la société. Il exprime la volonté de ne pas être dérangé par la culture beauf – ce qui est déjà pas mal – mais il ne compte nullement supprimer cette culture beauf. Comment toutefois penser que cela serait possible ?

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Société

Le mariage des prêtres, entre histoire et théologie

La question du mariage des prêtres peut se prêter à un petit aperçu historique, prétexte à une compréhension plus approfondie de ce qu’est une religion. C’est un débat nécessaire pour la Gauche, qui a perdu énormément de terrain dans sa lutte anti-cléricale ou plus directement anti-religieuse.

Le mariage, Giulio Rosati, 1885

A l’occasion des propos du pape François sur le mariage des prêtres, un article publié sur agauche.org a affirmé que le refus de ce mariage était un principe théologique inaliénable du catholicisme. Aucune « modernisation » ne serait possible, ni même souhaitable finalement, car la religion ne sert que les réactionnaires.

Un lecteur a alors fait la remarque comme quoi le mariage des prêtres n’a été interdit qu’au cours du moyen âge, afin que les prêtres cessent « de léguer les propriétés religieuses à leurs familles ». La théologie, finalement, ne jouerait un rôle que secondaire.

Cette question est tout à fait intéressante, au-delà de son simple thème, car elle pose la question du rapport entre l’économie et la culture, l’idéologie, la théologie. Pour dire les choses plus crûment on a la vieille problématique que les marxistes appellent l’opposition infrastructures / superstructures, avec tout une panoplie d’évaluations différentes de leur rapport. Vu le poids des religions dans le monde, on n’échappe pas à l’approfondissement d’une telle mise en perspective.

Cependant, en ce qui concerne la question proprement dite, notre lecteur a vraisemblablement raté l’évolution, la transformation, l’actualité de ce qu’est l’Église catholique comme religion. Le refus de la réalité matérielle au profit d’un monde idéal immaculé est en effet le cœur du catholicisme et cela de plus en plus. Ou, si l’on veut, le catholicisme est bien plus que du cléricalisme : c’est un mysticisme complet. Ce que les gens religieux ne voient pas le plus souvent, parce qu’ils ne s’intéressent pas à de telles fantasmagories.

Regardons ce qu’il en est, de manière organisée. Déjà, le catholicisme refuse le mariage, par définition même, pour ceux qui font le choix de la pureté. Il fait en effet une grande distinction entre les croyants et le personnel religieux, et même au sein de ce personnel religieux il y a une hiérarchie très importante.

Cette hiérarchie est d’ordre mystique ; elle est notamment théorisée par le (pseudo) Denys l’aréopagite. Pour faire court, lors de l’Eucharistie, le pain est vraiment le corps du Christ et le vin vraiment son sang. Mais pour que cette opération qu’on peut appeler « magique » ait lieu, il faut un magicien. Ce magicien c’est le prêtre.

Et comment fait-il apparaître le corps et le sang ? En étant l’époux de l’Église. Il a, si l’on veut, des super pouvoirs parce qu’il est marié à un seul être, l’Église qui aurait été établie à la demande du Christ. S’il se mariait à quelqu’un d’autre, il perdrait ses super-pouvoirs : il ne peut donc pas se marier avec un être humain. Ou bien, on peut inverser la proposition : si avec les protestants on enlève la dimension « magique » du dimanche, alors le vin est seulement du vin, le pain seulement du pain, et le prêtre peut se marier (il est alors simplement pasteur, par ailleurs).

En termes juridiques catholiques romains, cela donne cela dans le Code de droit canonique de 1983 :

« Can. 277 – § 1. Les clercs sont tenus par l’obligation de garder la « continence parfaite et perpétuelle » à cause du Royaume des Cieux, et sont donc astreints au célibat, don particulier de Dieu par lequel les ministres sacrés peuvent s’unir plus facilement au Christ avec un cœur sans partage et s’adonner plus librement au service de Dieu et des hommes. »

Le catholicisme est ici une religion « fusionnelle », comme l’hindouisme. Ni le judaïsme, ni l’Islam ne vont aussi loin dans ce rejet de la réalité matérielle. Voilà pour la dimension théologique.

Maintenant, on se doute bien que si telle ou telle conception a a gagné dans l’Église catholique romaine, ce n’est pas simplement parce que son argumentaire théologique était supérieur. Il y a des intérêts matériels que les différents points de vue reflétaient. Et effectivement pour empêcher la dispersion des biens de l’Église, le célibat a été instauré de manière rigide. Auparavant les hommes mariés avant de devenir prêtres pouvaient le rester, mais devenir abstinents. Comme cela ne marchait pas vraiment et qu’on avait peur que les fils réclament le poste ou les terres ou le privilèges, il a été procédé à la fin de 1100 à la suppression de l’ordination des hommes mariés.

Seulement, on aurait tort de voir simplement une sorte de machiavélisme de l’Église. Il faut en effet voir qu’avant l’an 800, l’Église n’était pas forte comme elle le fut justement après. Ce n’est qu’avec l’appui d’une féodalité développée que la religion a connu une expansion très forte qui a, on s’en doute, demandée davantage de personnel. On passe, si l’on veut, des petits monastères dans les campagnes, des églises romanes, aux églises gothiques, aux cathédrales. Avec le célibat forcé, l’Église a juste fait le ménage dans ses nombreuses recrues.

Ce qui a été machiavélique, ce n’est pas tant de décider subitement le célibat, mais de l’avoir mis de côté simplement pour devenir une religion de masse, et une fois établie, de remettre tout en ordre… De plus, si l’Église fait ce rappel à l’ordre, ce n’est pas simplement pour ses propres intérêts. C’était aussi en rapport avec sa concurrence avec la noblesse, mais ceci nous éloigne du sujet.

Donc, il y a eu ménage de fait, qui rentre évidemment en adéquation avec ses intérêts, mais il y a bien une vie autonome de l’Église. On peut prouver cela de deux manières. D’abord, l’Église d’Orient n’applique pas ce principe, sauf pour les moines et les évêques. On peut dire que l’orient n’a pas connu la même féodalité que l’occident, mais cela ne fait que déplacer le problème : pourquoi y a-t-il telle chose en occident, telle chose en orient ?

Ensuite, et c’est le grand paradoxe, le célibat du clergé ayant reçu les sacrements est, dans l’Église catholique, une règle de discipline et non d’un point de foi. Cela signifie concrètement qu’on ne touche pas au dogme si l’on instaure le mariage des prêtres : c’est juste une mesure administrative, rien de plus. C’est donc, somme toute, assez facile à mettre en place.

Mais l’Église catholique ne veut pas le faire, elle ne cesse de le rappeler. Pourquoi ? Parce qu’elle prétend être la porte vers l’au-delà. Et une structure tournée vers l’au-delà ne peut pas prétendre en même temps être tourné vers le monde matériel. C’est pour cela que les juifs, les musulmans, les protestants vaquent à leurs occupations, tout en étant de bons juifs, de bons musulmans, de bons protestants. Chez les catholiques, ce n’est pas possible : seul compte l’au-delà.

Si jamais se pose d’ailleurs la question ici des djihadistes, qui veulent atteindre l’au-delà, il faut bien voir que leur Islam « fusionne » le monde matériel et l’au-delà. Les lois musulmanes sur Terre sont déjà une préfiguration, voire un moment de l’au-delà. C’est la conception du Tawhid, de l’unicité divine.

Chez les catholiques, l’univers est quant à lui coupé radicalement en deux, et seul l’au-delà compte. La religion n’est pas qu’une structure liée à l’économie ou des intérêts matériels : elle naît aussi comme opium du peuple, inquiétude métaphysique, quête mystique de l’au-delà. En fait, elle se nourrit de l’absence de reconnaissance du monde matériel, à quelque échelle que ce soit.

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Guerre

La concrétisation de l’avion de combat franco-allemand

Le moteur franco-allemand de l’Union Européenne ne vise pas qu’à la réalisation de projets d’ordre directement économique. Il promeut également une grande perspective militaire, dont l’avion de chasse est un aspect important, à côté du projet de char commun.

 

Quand on fabrique des avions de combat, ce n’est pas simplement pour la défense quand c’est une grande puissance qui le fait. On ne peut pas être de Gauche et posséder une quelconque naïveté à ce sujet. Alors lorsqu’il s’agit de deux grandes puissances qui s’allient, on se doute de ce qui se trame.

En l’occurrence, il s’agit de la France et de l’Allemagne, pour un projet qui en apparence concerne un avenir assez lointain. Le « SCAF » (Système de combat aérien du futur) est censé entrer en fonction en 2040 seulement. Vues les tensions mondiales actuelles, vingt ans c’est plus que lointain, c’est pratiquement un autre horizon.

Cependant, les premiers éléments doivent être prêts déjà dans quelques années, avec une démonstration publique des moteurs. De plus, c’est une manière de faire pression sur les autres pays de l’Union Européenne. Ainsi, dans quelques semaines l’Espagne doit rejoindre le projet, mais le ministère français des armées a prévenu : il faudra forcément reconnaître « la prééminence et le leadership franco-allemand dans le développement du SCAF ».

Enfin, cela participe à une généralisation des initiatives franco-allemandes. Un projet sur le long terme est censé montrer le sérieux de l’ensemble et débloquer toute une série d’initiatives du même type. Quand on annonce que les Rafale français et les Eurofigther allemands vont disparaître au profit d’un avion commun muni de drones d’accompagnement, on montre que l’affaire est sérieuse, la tendance générale. L’Allemagne a de son côté également exclu les F-35 américains de Lockheed pour le remplacement de ses Tornado, pour bien souligner la rupture en cours.

Le projet de Scaf s’appuie évidemment sur le tout récent traité franco-allemand. Dans celui-ci la France et l’Allemagne annoncent qu’elles « entendent favoriser la compétitivité et la consolidation de la base industrielle et technologique de défense européenne ». Elles se posent « en faveur de la coopération la plus étroite possible entre leurs industries de défense, sur la base de leur confiance mutuelle », et se proposent « [d’]élaborer une approche commune en matière d’exportation d’armements en ce qui concerne les projets conjoints ».

Pour cette raison, le projet de Scaf est particulièrement goupillé : l’architecture du programme et le concept sont attribués à Dassault Aviation et Airbus, l’architecture et l’intégration du moteur à Safran, l’entretien et les services à MTU.

Safran vient pour ce faire d’inaugurer une fonderie de nouvelle génération d’aubes de turbine à haute pression, à Gennevilliers, en banlieue parisienne. La Direction générale de l’armement lui a attribué le Plan d’études amont « Turenne 2 », s’étalant de 2019 à 2024, pour 115 millions d’euros. L’idée est de faire en sorte que les moteurs soient plus puissants et supportent ainsi une température de 2100°C, au lieu de 1850°C. L’avion doit être en mesure de transporter effectivement plus d’armement encore.

Éric Trappier, PDG de Dassault Aviation, à l’occasion de la signature qui vient d’être faite il y a quelques jours justement à Gennevilliers par les deux ministres des armées, Florence Parly et Ursula von der Leyen, en a profité pour affirmer le traditionnel lyrisme des fabricants d’armes, comme quoi ils sont les meilleurs, etc.

« Cette nouvelle mesure est un élément fondamental pour assurer l’autonomie stratégique européenne de demain. Dassault Aviation mobilisera ses compétences d’architecte et d’intégrateur systèmes pour répondre aux besoins des nations et permettre à notre continent de rester à l’avant-garde du domaine primordial des systèmes de combat aériens. »

Dire que l’Europe est à l’avant-garde ne serait vrai que si l’on prend la Russie, et encore serait-ce là nier la haute technologie américaine, sans parler de la course effrénée de la Chine pour rattraper le niveau. A cela s’ajoutent les Britanniques, qui ont leur propre avion de combat, le Tempest, réalisé par BAE Systems allié au groupe italien Leonardo. On voit ici comment l’Italie mène sa propre barque.

C’est une véritable course à l’armement qui se joue et le moteur franco-allemand entend généraliser la démarche. Si pour l’avion de combat, c’est la France qui prime dans le projet, ce sera l’Allemagne qui aura le dessus pour la mise en place du « char de combat du futur », qui prendra la place tant du Leclerc français que du Leopard allemand. Pour ce faire, la société allemande KMV a formé une société à capitaux mixtes KNDS avec le français Nexter.

La Gauche doit refuser ce militarisme. Elle ne doit pas tomber dans le piège chauvin expliquant que la France doit avoir son « indépendance » militaire, mais bien lutter contre le militarisme.

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Réflexions

La culture se cultive

Le terme de culture doit être pris au sens strict : la culture cultive, se cultive et laisser les choses en friche, c’est se perdre. Cela va donc à l’opposé de la culture comme acquisition définitive d’idées ou de valeurs ou de connaissances.

Le Jardin des délices, Jérôme Bosch, 1500-1505

La culture a toujours été l’un des grands thèmes de la Gauche ; il y a toujours eu le souci d’élever le niveau des travailleurs et de leur donner l’accès aux connaissances scientifiques et techniques, aux arts, à l’histoire… Surtout qu’avant les années 1960, le niveau matériel était faible et il était très difficile d’y parvenir. Le mouvement ouvrier a donc toujours particulièrement souligné la valeur de la culture, qui ne devait pas rester dans les mains des couches sociales dominantes, mais parvenir entre toutes les mains, être saisi par tous les esprits.

Il va de soi qu’un telle conception n’était pas du tout partagée par les syndicalistes et par les anarchistes, partisans de la propagande par le fait et considérant tout cela comme des obsessions propres aux intellectuels. La Gauche française a été longtemps malmenée par un tel rejet de la culture et l’un des épisodes les plus dramatiques fut l’affaire Dreyfus. La Gauche, faisant de la culture son drapeau, voyait bien ce que cela représentait sur le plan de l’humanité, des valeurs, alors qu’évidemment les « ultras » s’en désintéressaient complètement.

On pourrait dire pareillement, toutes choses étant égales par ailleurs, avec les gilets jaunes, ce mouvement anti-intellectuel et apolitique qui est une véritable torpille prête à couler la Gauche. Quand on connaît la valeur de la culture, on ne peut que réprouver le style populiste des gilets jaunes dans sa définition même. Car la culture se cultive et avec les gilets jaunes, c’est la stérilité culturelle assumée.

On sait évidemment que certains ont trop cultivé la culture, tout au moins pas la bonne ; les cadres du PCF dans les mairies et ceux du PS dans les ministères se sont forgés une véritable culture, mais celle-ci est devenue toujours plus personnelle, plus corrompue par une forme d’aisance matérielle et de reconnaissance sociale. Là c’est fatal, car on se coupe du peuple, on s’en sépare et on ne le remarque même pas. Le résultat est une profonde incompréhension de part et d’autre et cela aide bien entendu le populisme.

Que doit faire la Gauche pour insister que la culture se cultive, sans pour autant s’embourgeoiser ? Eh bien simplement toujours avoir en tête que quand on se cultive soi-même, on doit faire passer le message. La transmission est la base de la culture, parce qu’elle la fait vivre, la confronte au réel. Quand on a appris quelque chose et qu’on le transmet, on adapte ses connaissances à ce sujet, on les affine. Ce qui a perdu la Gauche française, c’est de ne pas avoir fait vivre cette transmission.

Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu des moments importants de cela. Les militants du PCF allant faire du porte à porte pour vendre l’Humanité dimanche ont été de véritables vecteurs de culture et de socialisation, tout comme un mouvement comme Touche pas à mon pote. Il serait faux de dire que rien n’a été fait, qu’il n’y a pas eu des milliers et des milliers de personnes de Gauche qui se soient sacrifiées pour se faire le vecteur de valeurs, de principes, de connaissances.

C’est dans l’ADN de la Gauche et la fête de Lutte Ouvrière, si elle propose étrangement des jeux dans l’ambiance médiévale, n’oublie pas pour autant d’avoir des ateliers de présentation de grands concepts scientifiques.

C’est là une tradition des Lumières si l’on veut, mais une tradition renouvelée, portée par le mouvement ouvrier, avec l’idée que puisque les classes dominantes ne sont plus à la hauteur, alors on va porter la culture à sa place. Il va de soi que ce n’est pas là une idée dépassée, bien au contraire, c’est une idée tout à fait actuelle. Et même la grande idée du moment, si l’on voit la déferlante de la fachosphère, de la quenelle de Dieudonné, des gilets jaunes et de tout ce populisme diffus, malsain, s’exprimant sur la base d’une dynamique élémentaire, primitive.

Il faut que la Gauche réactive la démarche de la culture, de faire vivre la culture, c’est de ce terreau que la Gauche pourra partir à la reconquête de l’ensemble de la population laborieuse. Tout est une question de valeurs, de principes, de morale, de connaissances.

Intérieur de la mosquée du Chah à Ispahan

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Écologie

Les devises existentialistes de la chasse à courre

Les équipages de chasse à courre ont traditionnellement une devise, qui reflète leur vision du monde. Cette dernière est un mélange d’esprit retors propre à l’esprit de traque et de raffinement aristocratique hautain.

chasse à courre

La chasse à courre correspond tout à fait à l’esprit d’extrême-droite, car elle est un mélange du raffinement le plus ultra et de la vulgarité la plus laide. Cela se voit particulièrement dans les devises employées, où il y a un vrai effort pour combiner ces deux aspects. Il faut que cela se voie : on est dans le chic et le sale, dans l’ordre et le désordre.

Quand l’équipage La Plaine a comme devise « Respect, chasse et discipline », c’est un triptyque devant souligner le côté ordonné d’une chose désordonnée par définition comme la chasse. Le respect est tant du côté ordonné que du côté désordonné : c’est cela qui fournit la dynamique réelle de la chasse à courre dans les attitudes, les postures, les manières.

On est très précisément dans la révolte contre le monde moderne, avec un rejet du confort et un éloge du raffinement. La traque est censée porter avec elle un dépassement de soi, elle est censée amener la formation d’un être humain d’autant plus régulier qu’il s’est comporté en sauvage, mais en sauvage organisé de manière méthodique.

Il y a par conséquent un esprit volontariste particulièrement marqué, avec un mot qui revient de manière régulière, persévérance : « Chasse avec passion et persévérance », « Perçant persévérant », « Méthode et persévérance », etc. La devise « Rends toi, nenni ma foi » va dans le même sens, avec davantage de pittoresque.

Il faut être capable d’être présent de manière entière dans cet affrontement, jusqu’au bout et sans être interrompu. On comprend pourquoi la présence d’opposants est un affront terrible pour des gens qui ont comme devise des « Courre toujours », « Toujours et partout », « Toujours au trou », « Chasse tout le temps à tout vent », « Chasser, toujours chasser », « Vas-y donc », etc.

Et leurs réactions sont d’autant plus agressives, que la chasse à courre oblige l’esprit à avoir un esprit de traqueur, de harceleur. Il y a un côté terriblement malsain dans la démarche, qui est typique d’une attitude médiévale à la fois pragmatique et perverse. Ce qui est mis en avant, c’est une posture très élémentaire, et très calculatrice en même temps.

L’équipage du rallye des Ambarres a ainsi comme devise « Ténacité et mauvaise foi », ce qui est d’un tel mauvais esprit qu’on pourrait l’attendre de gens à l’esprit mafieux, comme tel ou tel groupe de rap de banlieue. C’est l’esprit du forçage, du maintien coûte que coûte sans se préoccuper ni de l’avis des autres, ni des faits, ce qui est inévitable, car une fois qu’on est lancé dans la traque, il n’y a plus qu’elle qui compte.

Si les films Predator n’avaient une grande dimension critique anti-mafia (les prédateurs extra-terrestres s’amusent à chasser, mais ne visent que des tueurs, des criminels, et seulement si ceux-ci ont des armes à la main), ces gens adoreraient, en raison de l’ambiance pesante du filet qui se referme lentement sur la victime. La devise « Le matin au bois, le soir aux abois » est ici fascinante de perversité, si l’on peut dire.

Deux choses fondamentales sont alors liées à cette perspective : d’un côté, le social-darwinisme, avec le fait de se battre, de combattre pour survivre, et de l’autre la dimension censée être transcendante d’un affrontement avec la vie comme thème, exactement comme pour la corrida.

Pour le premier aspect, on a des devises comme « Exister c’est lutter », « Mériter », pour le second cela passe souvent par les animaux, vecteur de la transcendance : « Les chiens d’abord », « Au cul des chiens », « Petits par la taille, mais grands par leur courage » (pour la chasse aux lapins), ou encore « Par amour du lièvre » de l’équipage La Fontaine Saint Michel.

Cette dernière devise ne doit pas étonner. De la même manière que les afficionados considèrent que le taureau est mort dans une ode à la vie (qui est un « combat »), les veneurs font de l’animal traqué un symbole mystique du sens de la vie. La chasse à courre n’est pas pour eux une aberration, mais une démarche en fait strictement parallèle à l’existence, d’où des devises comme « Vénerie, la vie » ou encore « Chasse d’abord ».

La chasse à courre est un existentialisme, et en cela elle est résolument moderne. Elle est un existentialisme qui plonge dans l’attitude aristocratique où il n’y avait pas de sens de la vie, car pas de travail, mais avec toute la posture moderne du choix de l’identité.

Voilà pourquoi, par ailleurs, la gauche post-moderne, post-industrielle, ne s’y intéresse pas du tout. Le fond de la méthode est le même : on choisit qui on veut être, on donne un sens à sa vie, etc.

Cela explique aussi l’incompréhension totale des veneurs par rapport aux critiques qui leur sont faites. Ils se voient comme des gens aimant la vie, puisqu’ils lui donnent un sens. Tel rallye s’intitule Bon plaisir, tel autre Rallye bonne humeur avec, comme devise pour l’équipage, « Toujours gai ». Tel autre équipage a choisi « Qui va doux va loin ».

Qui veut donc critiquer la chasse à courre doit saisir cette dimension existentialiste, et soi-même échapper à l’existentialisme, sans quoi il y a le risque d’être fasciné, ou au moins d’éprouver un respect pour une entreprise difficile exprimant des choix individuels pour donner du sens à la vie.

Il faut savoir aimer la nature pour ce qu’elle est, apprécier le respect de la vie comme sens de la vie elle-même, et non pas chercher ce qu’il n’y a pas par oisiveté et désœuvrement, par nihilisme et aliénation.

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Réflexions

La disparition de la retenue dans l’intimité

L’ultra-libéralisme fait tomber toutes les frontières, toutes les limites, tous les principes, toutes les politesses. L’intimité disparaît ainsi également : le capitalisme a besoin d’individus, pas de personnes, de personnalités.

Echo et Narcisse, John Willian Waterhouse, 1903

L’irruption de la pornographie, du voyeurisme, de l’exhibitionnisme… est désormais une chose tout à fait acquise dans les mentalités françaises. Il y a évidemment un grand décalage entre les générations plus âgées et des jeunes pétris de la culture Instagram. Cependant, le triomphe de Facebook a suffi à exprimer le culte de l’ego qui était déjà solidement installé dans les esprits. Faire de sa vie une pièce de théâtre, un film, un show, ou plus exactement la présenter telle quelle, est une norme.

Naturellement, cela implique une fuite en avant pour se faire remarquer, d’où les phénomènes les plus extrêmes et les démarches les plus grotesques pour apparaître comme différent, au-dessus du lot, unique, totalement à part. Ce qui est ici frappant, c’est que ce n’est jamais par la culture qu’il est cherché à se distinguer, car cela prend trop de temps dans une société capitaliste qui exige de la rapidité, toujours plus de rapidité. Il faut que tout se déroule de manière courte, pour recommencer tout de suite après.

Les egos s’expriment donc surtout par l’axe du vêtement, où le combo Louis Vuitton x Supreme représente le nec plus ultra, la sexualité ou la présentation de son intimité. Il faut se souvenir ici de ce qui s’est dit en France au moment de l’arrivée de la téléréalité. Cela ne marcherait pas, c’est juste anecdotique, la France n’est pas l’Allemagne ou les Pays-Bas ou l’Angleterre, avec leur goût pour le trash. Et pourtant, la digue a bien cédé ; la télé-réalité est désormais incontournable à la télévision, et pas seulement, puisque avec internet, les possibilités d’exhibition sont très faciles, que ce soit avec des vidéos en ligne ou que l’on s’envoie au moyen des smartphones.

Les mœurs ont naturellement été radicalement modifiées par tout cela et il existe ici une différence très marquée entre les générations. Celles nées à partir de 2000, qui n’ont jamais connu aucun cadre normatif un tant soit peu serré, représentent la tendance la plus franche, l’avant-garde pour ainsi dire du libéralisme. Elles acceptent tout, ne refusent rien, faisant de chaque acte quelque chose qui ne doit pas être évalué par la morale, l’histoire, la philosophie, mais simplement par l’envie ou l’utilité. La seule opposition à cette démarche est au mieux religieuse.

Le retour en force des religions s’appuie beaucoup sur cette question de l’intimité. Les religions qui ont du succès sont des variantes ascétiques, anti-exhibitionnistes, des religions historiques. Il y a ainsi l’évangélisme, comme variante du protestantisme, le salafisme, comme variante de l’Islam, les Loubavitch, comme variante du judaïsme. Elles insistent particulièrement sur la défense de l’intimité. Elles n’insistent nullement sur son développement, sur l’affirmation de la personnalité, comme figure rationnelle, sensible, éduquée et ouverte à la nature. Bien au contraire, elles réduisent l’intimité à une chose non seulement privée, mais également tellement unique qu’elle doit être radicalement séparée de tout.

Le levier des religions est ainsi encore l’ego, tout autant que la critique de l’exhibitionnisme, de la pornographie, du voyeurisme. Les religions ne dépassent pas ces formes décadentes, elles les évitent, en s’appuyant tout comme celles-ci sur le ressort de l’ego. Avec les religions, on n’a pas des gens refusant le voyeurisme, mais l’évitant, se disant qu’ils valent mieux que ça. Or, ce dont on a besoin, c’est bien d’un rejet de exhibitionnisme, du voyeurisme, de la pornographie.

Cependant, et malheureusement, beaucoup de gens de gauche sont ici imprégnés de libéralisme. Ils pensent qu’il n’est pas besoin de combattre cela, car finalement chacun aurait le droit de faire ce qu’il veut, même si c’est erroné. Tout serait une question de points de vue, et par conséquent mieux vaut discuter, faire évoluer les points de vue. C’est là ne pas comprendre la dynamique à l’arrière-plan : celle du capitalisme qui a besoin d’individus faisant sauter toutes les frontières, pour élargir le marché.

C’est exactement comme les gens cherchant à faire évoluer les points de vue au sujet de l’achat de 4×4 ou bien de viande. Ils ratent ce qui se déroule à l’arrière-plan : une intense activité du capitalisme pour trouver de nouvelles choses à vendre, de nouvelles choses qui puissent être achetées. Le capitalisme trouve d’ailleurs très bien qu’il y ait de nouveaux consommateurs de vélos ou d’alimentation végétalienne. Du moment qu’il y a des consommations nouvelles, que les consommations rentrent en compétition, tout cela est très bon.

Même les religions ne présentent pas un obstacle, car il y en a plusieurs, qui se concurrencent, et qui concurrencent la disparition de l’intimité, ce qui renforce d’autant l’esprit de concurrence, de diversification, de choix de consommation possibles. Voilà pourquoi il faut il considérer l’exhibitionnisme, la pornographie, le voyeurisme non pas simplement comme des phénomènes, mais comme des réalités idéologiques, vecteurs d’agression contre la personnalité, visant à la déformer pour la façonner en fonction des besoins du marché.

La retenue dans l’intimité est une valeur qu’il est par conséquent essentiel de protéger, à tout prix, car elle est la base de l’intégrité, psychique et physique, de chaque personne qui ne veut pas se voir réduit au statut d’individu, aliéné, formé par le marché, disponible pour la consommation.

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Politique

Acte XIII des gilets jaunes : un 9 février 2019 au goût de 6 février 1934

Presque en phase avec le 85e anniversaire de la tentative de coup d’État fasciste du 6 février 1934, les gilets jaunes ont essayé pareillement de forcer l’entrée de l’Assemblée nationale. Est-il vraiment encore possible de dire que les gilets jaunes ne sont pas un mouvement de type pré-fasciste ou fasciste ?

L’acte XIII des gilets jaunes était un défi pour eux, puisque c’était la première mobilisation après que la CGT se soit lancé elle aussi dans un mouvement parallèle. Ce dernier n’a pas eu d’ampleur autre qu’habituelle ; quant aux gilets jaunes, ils restent fidèles à eux-mêmes, avec encore et toujours ces drames propres à un mouvement chaotique et velléitaire, jouant avec le feu de la révolte de manière désordonnée.

Un manifestant a ainsi eu la main arrachée devant l’Assemblée nationale : ce photographe « gilet jaune » prenait les photos des manifestants cherchant à forcer les palissades empêchant l’accès à l’Assemblée et a commis l’étonnante et très lourde erreur de repousser de la main une grenade de désencerclement tombé à ses pieds.

Forcer l’accès à l’Assemblée nationale ! Est-ce qu’on sait ce que cela signifie ? Que contrairement aux mensonges des populistes et de l’ultra-gauche, les gilets jaunes ne dépassent pas l’horizon pré-fasciste ou fasciste. Il ne se tournent pas vers la question sociale. Ils n’adoptent pas les traits relevant de la lutte des classes. Ils ne s’ouvrent pas aux questions d’idéologie, de politique, de culture, de projet social. Ils sont résolument extérieurs à la Gauche et ils comptent bien le rester. Ils sont un mouvement contestataire, mais de Droite.

Car il est des symboles en politique et peu importe même que les gilets jaunes sachent ou non que le 6 février 1934, l’extrême-droite ait cherché le coup de force en essayant de prendre l’assaut de l’Assemblée nationale. Ce moment critique a été suivi, comme on le sait, de l’unité immédiate des ouvriers communistes et socialistes afin de mobiliser sur une base antifasciste ; il en découlera le Front populaire, né de l’unité de toute la Gauche, à la base.

L’antiparlementarisme est une valeur étrangère à la Gauche et celle-ci a toujours su à quoi s’en tenir avec ceux qui dénonçaient les « voleurs », le « parlement », la « république », le « complot » des « élites », etc. Le mot d’ordre des gilets jaunes « On lâchera rien tant que Macron et la 5e république ne seront pas destitués ! » ne peut avoir aucun rapport avec la Gauche. On peut penser ce qu’on veut de l’Assemblée nationale et vouloir, si on le souhaite, un pays de Soviets. Mais jamais la Gauche n’a fait de l’antiparlementarisme le vecteur de son message. Qu’on soit pour le parlement ou qu’on pense que ce n’est qu’une marionnette du capitalisme, dans tous les cas l’antiparlementarisme est l’expression de forces anti-démocratiques.

L’attaque du Parlement ne peut avoir été menée que par des gens objectivement au service du populisme, de la Droite « révolutionnaire ». On notera également, non pas l’incendie d’une Porsche car cela n’est guère critiquable pour le fond symbolique de la chose, mais celui d’un véhicule de la mission Vigipirate sous la Tour Eiffel, ce qui pour le coup relève de la stupidité politique la plus totale.

Tout cela montre par ailleurs de la fuite en avant de la part de ceux qui cherchent à contourner la politique, la Gauche, le peuple. Plus le mouvement régresse numériquement, plus sa charge « ultra » est forte pour compenser. Les faits sont là : le nombre de manifestants s’estompe, contrairement aux prévisions fantasmagorique des populistes, de l’ultra-gauche et même de la CGT, qui s’imaginaient que le mouvement ayant « continué », il allait connaître un saut qualitatif.

Il y a eu 6 000 personnes à Toulouse, 4 000 personnes à Paris, Bordeaux et Lyon, 1 500 à Lille, Marseille et Montpellier ou encore 1 000 à Clermont-Ferrand.

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Culture

Comment parler d’un film ou d’un roman sans le dénaturer ?

Il est important de parler de cinéma, de musique, de littérature. Ce n’est jamais aisé, car il y a toujours le risque de dénaturer des œuvres d’art à en parler trop librement. C’est qu’une véritable œuvre d’art transporte beaucoup plus de choses que ce qu’elle montre de prime abord : là est la difficulté.

Persona

Parler d’une œuvre d’art, que ce soit en littérature, en cinéma, en musique, en photographie… c’est attirer l’attention sur elle ; c’est dire, déjà qu’elle existe. Parfois on en a entendu parler ou bien on la connaît déjà, ce qui est vrai pour ce qui est considéré à tort ou à raison comme étant quelque chose de classique, de devant être célèbre de par sa nature. Parfois, c’est une œuvre qu’il a fallu extirper d’une certaine forme d’oubli. Dans tous les cas se pose la question du contexte.

Pourquoi ? Parce que si on ne parle pas du contexte, alors on donne l’impression que l’œuvre d’art est une création. Tel artiste, à tel moment, arrive d’on ne sait où, formant quelque chose à partir de rien. Or, ce n’est pas vrai, une œuvre d’art est une production. Ce sont les gens de droite qui résument une œuvre d’art à son « créateur », et le créateur à sa vie privée, ses expériences personnelles, etc. Quand on est de Gauche, on attribue toujours une œuvre à un mouvement de l’Histoire, on cherche à savoir en quoi elle est une expression du progrès d’une époque.

Cela étant, ce n’est pas le plus difficile. Car le problème le plus ardu, c’est de parler d’une œuvre d’art sans en massacrer la découverte. Dans le cas d’une photographie ou d’une sculpture, voire d’une peinture même (même s’il faut être prudent à cet égard), le coup d’œil est facile et rapide. La présentation de l’œuvre n’est finalement rapidement qu’un commentaire, puisqu’on a déjà vu à quoi ressemble ce dont on parle. En musique, cela revient au même, car il faut écouter la musique dont il est parlé et on peut le faire avec une oreille neuve, quoiqu’on ait appris à ce sujet.

Mais que faire pour les romans, les films ? On se doute que le premier point est qu’il ne faut surtout pas raconter la fin. Ce serait là enlever l’intérêt du film ou du livre, à moins de s’y consacrer avec le froid regard de l’expert, ce qui a sa dignité, mais tout le monde n’est pas obligé d’être un cinéphile ultra-averti ou un littéraire professionnel. Le souci naturellement est que la fin de l’œuvre correspond à une certaine mise en perspective et que parler de l’œuvre sans parler de sa fin est malaisée…

L’autre défi, c’est bien entendu de parler de ce qui se passe dans l’œuvre. Cependant, parler de ce qui se déroule dans un film ou roman, dans une pièce de théâtre, c’est déjà en dire trop, c’est en révéler les ressorts, c’est montrer l’architecture de l’œuvre qu’on est censé, justement, non pas tant découvrir que vivre. Il faut ainsi en parler, inévitablement, mais sans en dire trop. Il ne s’agit pas tant de l’écueil de faire un résumé en mode fiche de lecture, que d’enlever la fraîcheur de l’œuvre, d’effacer ses particularités, de nuire à sa force.

Notons bien que ce n’est pas l’œuvre qui est ici menacée. C’est la personne qui la lit, qui la voit, qui la vit. Car elle doit être marquée par les classiques, formée par les classiques. Les classiques sont inébranlables, on peut les lire ou les voir à l’infini, ils ne bougeront pas. Ce qu’il ne faut pas rater, c’est l’ouverture entière du lecteur et du spectateur, son interaction avec l’œuvre. C’est là la véritable substance de la culture.

Il ne s’agit pas de faire de l’œuvre d’art quelque chose aux propriétés magiques, dont il ne faudrait pas gâcher les effets. Il s’agit d’avoir en tête que la personne qui se confronte aux classiques doit devenir meilleure, qu’elle doit devenir une personne accomplie, ayant développé ses facultés. Il serait terrible donc de dénaturer une œuvre, en la réduisant à une forme devant procéder d’une accumulation, telle une simple référence abstraite, de snob ou d’intellectuel universitaire.

Sans doute que, pour éviter l’échec, faut-il toujours parler immédiatement d’une œuvre en en présentant la dimension vivante, l’aspect chatoyant, le côté lumineux, printanier pourrait-on dire. Quand on a exprimé cela, alors on peut en présenter le côté plus concret, présenter « de quoi ça parle ». Toutefois, il faut avant tout sacrifier, en quelque sorte, à la déesse de la culture, en montrant en quoi l’œuvre d’art dont on parle est une fleur pour la vie humaine, dans ses aspects naturel et social.

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Politique

L’appel de Benoît Hamon en faveur d’une votation citoyenne pour l’union de la Gauche

Génération.s a appelé hier à une « votation citoyenne » en faveur de l’union de la Gauche ; un site internet a été ouvert à ce sujet, votationcitoyenne.eu. L’idée est que les bases des organisations à Gauche court-circuitent les appareils.

Pour parler de la votation citoyenne proposée par Benoît Hamon, il faut prendre en compte un souci qui n’est pas anecdotique. Le site internet ouvert pour celle-ci a un lien vers une interview accordée par Benoît Hamon au journal Le Monde, où il explique le fond de sa pensée. Malheureusement, celle-ci est en accès réservé aux abonnés.

C’est pour le moins étrange, dommage ; cela reflète sans doute, voire certainement, le statut social de beaucoup de gens soutenant Benoît Hamon. Mais dans tous les cas, ce n’est pas comme cela qu’on touche tout le monde. Quoi qu’il en soit le tout début de l’interview est accessible et Benoît Hamon dit la chose suivante :

« Je fais un double constat. Le premier, c’est qu’on n’arrive pas à parler d’Europe, de cet enjeu fondamental. Il y a vraiment besoin de débattre de l’action de l’Union européenne, parce qu’on perçoit que le projet européen est menacé.

On trouve d’autant moins d’espace pour en discuter que le choix du président de la République et de la majorité actuelle est de refuser un débat démocratique sur ce qu’on pourrait faire de différent en Europe. Ils se sont choisi un adversaire, les nationalistes, et ont réduit le choix à ceux qui sont pour ou contre l’Europe. C’est extrêmement dangereux, parce qu’à force de faire monter [la présidente du Rassemblement national] Marine Le Pen comme seule opposition, on finira par avoir Le Pen en France. On a donc un débat européen escamoté par le chef de l’État, avec le grand débat national.

A cela s’ajoute une confusion née de la dispersion à gauche et chez les écologistes. Les différences entre les organisations justifient-elles de partir séparément ? Elles ne sont pas indépassables. Si on fait reposer l’unité sur les appareils, il n’y aura pas d’union. Cela doit passer par un vote citoyen. Le grand moment politique que vit la France depuis plusieurs semaines nous y invite. »

Heureusement, on dispose d’un communiqué de Génération.s à ce sujet. Le voici, présentant quatre idées, si l’on veut résumer :

– il faut une liste de Gauche, car sinon c’est la déroute ;

– il faut un « new deal vert » européen ;

– il faut que la base des structures de Gauche soit en révolte ouverte contre les appareils ;

– la liste aux élections serait le choix d’une sorte de vote à choix multiples.

 

Pour une Votation Citoyenne pour l’Union !

Donnons aux citoyen-ne-s le moyen de faire en un vote ce que des appareils inertes n’arrivent pas à réaliser.

Depuis trop de temps, les citoyens ont été exclus du projet européen. Le fossé démocratique de 2005 n’a jamais été comblé.

Aujourd’hui, Emmanuel Macron voudrait nous enfermer dans un faux débat. D’un côté, son libéralisme autoritaire ; de l’autre, des nationalistes ultralibéraux. Le référendum qu’il propose n’est qu’un étouffoir pour la démocratie européenne. Face à la confiscation du débat, il faut faire la place aux citoyen.nes.

La responsabilité de la gauche et des écologistes est immense. Nous seuls portons l’alternative au libéralisme destructeur comme au repli passéiste. Et pourtant nous offrons l’image de nos divisions et trop nombreux sont ceux qui abandonnent le terrain des idées.

Depuis des mois, Génération.s propose son projet avec le Printemps européen. Un New Deal vert européen, pour sauver l’Europe en préparant l’avenir. Une Constituante européenne pour refonder notre démocratie commune. Un ISF européen pour conquérir la justice fiscale.

Depuis des mois, Génération.s a fait beaucoup pour permettre l’unité. Interview après interview, discussion après discussion, nationalement et dans nos territoires, nous avons proposé de nous réunir sur une démarche commune. Nous avons reçu un millier de candidatures citoyennes.

Mais que nous propose-t-on ? Des réunions de sous-sol pour régler des problèmes de listes entre appareils. Cela ne débouchera sur aucune unité, et ne réglera aucun problème. Nous constatons que l’unité ne se fait pas alors que chacun sent qu’elle est nécessaire.

Nous proposons une ultime solution, que les citoyen-ne-s décident !

Donnons aux citoyen-ne-s le moyen de faire en un vote ce que des appareils inertes n’arrivent pas à réaliser.

Confrontons nos idées, débattons, imposons tous ensemble le débat européen qui manque aujourd’hui.

Aujourd’hui, nous demandons aux responsables politique de prendre leurs responsabilités comme nous le faisons : êtes-vous prêts à laisser les citoyen-ne-s décider ? Assumez ce qui apparaît comme un risque mais qui est en réalité l’opportunité de nous placer collectivement en tête le 26 mai. Avons nous des désaccords ? Oui. Pouvons-nous les dépasser et nous rassembler sur une orientation politique et une stratégie communes ? Oui aussi.

Organisons, d’ici au mois d’avril, une votation citoyenne pour l’union sur le principe du vote préférentiel.

Le jour de vote, chacun pourra choisir les 3 listes candidates qu’il préfère et leur attribuer trois, deux et un point. La liste désignée sera celle qui sera la plus choisie, et non celle qui aura éliminé toutes les autres. Le binôme paritaire qui la porte sera chargé de constituer une liste unitaire, en proportion des résultats obtenus.

Ce processus est inédit en France. C’est moderne, cela fait confiance, cela rassemble. Ce sera la votation citoyenne de l’avenir, la votation écologique et sociale, la votation démocratique.

Nous en appelons également à tous les citoyens et citoyennes qui s’engagent depuis des années pour l’unité. N’attendez pas les partis : c’est à vous de rendre le rassemblement possible. Dès maintenant, rendez-vous sur www.votationcitoyenne.eu pour soutenir la démarche.

Nous en appelons aux consciences morales de la gauche, (chercheur.se.s, intellectuel.le.s, personnes engagé.e.s…) : soyez les garants de l’unité !

Engagez-vous dans l’organisation indépendante de la votation.

Génération.s se met au service de l’avenir. Soyons au rendez-vous !

Cette histoire de listes ( lesquelles d’ailleurs ? ) avec des choix multiples n’est pas très claire et sans doute que Pierre Jouvet, un des porte-paroles du Parti socialiste, a résumé la perplexité de chacun en disant :

« Je n’ai pas exactement compris le système. Techniquement je ne vois pas comment il veut faire ça. »

Politiquement, on voit cependant de quoi il en retourne : il s’agit de provoquer une secousse pour avoir une alliance qui, en l’état, concernerait le PCF, Place publique et le Parti socialiste, même si Benoît Hamon ne veut pas de ce dernier. Europe Écologie Les Verts et La France insoumise ont quant à eux déjà refusé hier une telle initiative, même s’il est vrai que la base d’Europe Écologie Les Verts peut être réceptive à cette démarche de « primaires ».

Est-ce le type d’unité au-delà des structures politiques qui est souhaitable ? Peut-on se passer du débat d’idées et surtout du renouveau de la culture, de la politique, des principes à Gauche ? On va très vite savoir si c’est quelque chose de positif ou si au contraire c’est en décalage total avec la réalité.

Mais une chose est certaine : en prenant une initiative en faveur de l’unité de la Gauche, Benoît Hamon exprime le point de vue de la majorité des gens de Gauche.

 

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Politique

La crise du journal l’Humanité

Le journal l’Humanité a été un élément historique du mouvement ouvrier français. Il est depuis de nombreuses années en perte de vitesse et a été placé jeudi 7 février en redressement judiciaire avec poursuite d’activité par le tribunal de commerce de Bobigny.

La bourgeoisie en France a toujours disposé d’une presse de qualité et ce fut un enjeu majeur pour la classe ouvrière d’en disposer également. Le journal l’Humanité a rempli ce rôle très tôt dans l’Histoire, d’abord sous l’égide des socialistes et de Jean Jaurès puis directement du Parti communiste.

Alors qu’il tirait au mieux de son histoire à 400 000 exemplaires en 1945, le titre a enclenché un long déclin strictement parallèle à celui du PCF pour ne plus tirer qu’autour de 100 000 exemplaires dans les années 1980.

Il s’est déclaré en cessation de paiement le mois dernier et le tribunal de Bobigny le maintient maintenant sous tutelle pour une période de six mois. Deux administrateurs judiciaires ont été désignés et une « spécialiste » du sauvetage d’entreprises est chargée de redresser la barre.

Le tirage de l’Humanité a oscillé pour la période 2017/2018 entre 45 000 et 50 000 unités. De manière plus précise, il faut regarder sa diffusion payée qui a été pour cette période de 32 724 exemplaires quotidiens. Cela a représenté un recul de 6,24 % par rapport à la période 2016/2017, elle-même en recul par rapport à la période précédente.

À titre de comparaison, la diffusion payée du Figaro a été pour 2017/2018 de 308 953 exemplaires et celle du Monde de 283 678 exemplaires. Les diffusions payées des Échos, de La Croix et de Libération ont été respectivement de 128 573, 87 883 et 69 636 exemplaires.

Les chiffres de ventes de l’Humanité apparaissent donc comme relativement faibles, mais représentent tout de même quelque-chose de conséquent. Cela est possible grâce à une base liée au PCF tenant absolument à acheter « l’Huma » par tradition, refusant par exemple par principe toute offre de réduction. L’influence politique de l’Humanité est cependant très faible, quasiment nulle.

Son expression ne consiste globalement qu’en un para-syndicalisme vaguement antilibéral, faisant de ce journal bien plus celui de la CGT que du PCF. Sur le plan du style, des valeurs, de la culture, il n’y a absolument rien d’alternatif, de propre à la classe ouvrière, au point qu’une figure réactionnaire comme Natacha Polony a récemment appelé à « sauver l’Huma » sous prétexte de ses pages littéraires.

L’Humanité n’a pas, ou plus, été capable de proposer une expression organique pour le prolétariat, c’est-à-dire d’affirmer en même temps le besoin de civilisation et l’antagonisme vis-à-vis de la bourgeoisie. Cela fait que le journal ne correspond pas du tout à la vie quotidienne des masses, à leur réalité. Il n’a jamais rien été compris aux jeux-vidéos, au sport, à la musique techno ou métal, à la protection animale, au cinéma, à la mode ou encore à internet.

Le journal est surtout passé largement à côté de la marche du monde de ces trente dernières années. Cela fait que l’Humanité n’a jamais vraiment parlé d’écologie, si ce n’est de manière abstraite et très récemment, pour seulement coller à l’air du temps, comme l’a fait également la bourgeoisie (en mieux) dans ses propres journaux comme Le Figaro ou Le Monde.

Si l’Humanité n’a pas encore disparu, c’est qu’il est porté à bout de bras par une somme immense de subventions d’État et des souscriptions régulières. Sur le plan commercial, le titre n’est en fait absolument pas viable, se maintenant dans une illusion totale par rapport à ce qu’il est réellement. La taille de sa rédaction est disproportionnée par rapport à ses ventes et il est connu que les salaires y sont élevés pour la profession, avec quasiment que des gens ayant le statut de cadre.

Alors que le reste de la presse s’est réformé avec l’avènement du numérique, le site internet de l’Humanité est d’une pauvreté affligeante, ayant une existence très faible.

Il y a pourtant avec internet un outil formidable pour faire un quotidien de la classe ouvrière, avec des coûts de production plus faibles, ou en tous cas bien plus faibles qu’avec le papier et ses lourds réseaux de distribution, qui par ailleurs se dégradent.

Cette question d’internet n’est de toutes façons qu’un aspect, car en réalité la presse continue d’exister en grande proportion en France. Les quotidiens régionaux sont encore très lus dans les classes populaires. La diffusion payée de Ouest-France, le plus tiré, est par exemple de 659 681 exemplaires. Si l’on cumule les 53 quotidiens régionaux, cela donne un chiffre immense avec une diffusion totale payée de presque 4 millions d’exemplaires.

Il y a là un potentiel énorme, et la Gauche devrait absolument se soucier d’arracher des milliers de prolétaires de la lecture de ces quotidiens horribles, lisses, faisant des faits-divers leur fonds de commerce et des simplifications leur moyen d’expression. Mais ce n’est pas ici que regarde « l’Huma », préférant organiser une grande soirée parisienne pour bobos à La Bellevilloise le 22 février. Qu’il soit mit en avant en tête d’affiche de cette soirée le peintre d’art contemporain Hervé Di Rosa en dit long sur les aspirations de ses organisateurs. On sait pourtant très bien qu’il n’y a aucun rapport, ni de près ni de loin, entre ce genre d’artiste abstrait et les classes populaires.

Hervé Di Rosa est d’ailleurs très engagé dans le soutien, comme le rapporte le site internet du Parisien :

« Je n’ai jamais eu ma carte, mais j’ai une longue histoire avec ce journal. Mon père était à la CGT à la SNCF. L’une de mes filles est communiste. Quand il y a une crise, je réponds présent, même si moi, je suis catholique. Le PCF est un parti qui a accueilli tellement d’artistes, de Picasso à Fernand Léger. Cette époque est révolue, mais le journal reste très intéressant, avec des points de vue différents qu’on ne lit pas ailleurs, y compris sur l’art. Si ça s’arrêtait, ce serait quand même terrible. »

On peut citer également le soutient de Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre de la Culture de Jacques Chirac, qui a présidé le Château de Versailles :

« Même si vous n’êtes pas toujours d’accord avec ce journal, comment imaginer l’humanité sans L’Humanité ? Personne ne peut rester insensible à ce titre créé par Jaurès, toujours de qualité, et que je continue de lire presque chaque jour. Il représente une grande famille de pensée à la gauche de la gauche. Dans le débat politique, il est nécessaire. »

Dis-moi qui te soutient et je te dirai qui tu es, pourrait-on dire. Et manifestement, l’Humanité n’est pas l’organe de presse de la classe ouvrière organisée, de la Gauche historique, de l’alternative au capitalisme.

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Politique

Génération.s et l’Europe : un soutien unilatéral

Benoît Hamon porte une ligne résolument pro-européenne. Le souci est qu’on a beau chercher, on n’y voit guère de différence avec ce que dit Emmanuel Macron. C’est un peu plus radical, avec un peu plus d’écriture inclusive, mais le fond est le même.

Génération.s se met en branle pour les élections européennes et voici comment le mouvement de Benoît Hamon présente ce qui est sa ligne :

« Face aux nationalistes et aux libéraux qui détruisent l’Europe, Génération.s s’engage avec détermination dans la campagne des élections européennes.

L’enjeu des ces élections européennes est de taille, mais il n’y a pas de fatalité ! L’Espoir et le Printemps Européen sont entre nos mains !

Génération.s propose des solutions positives et concrètes pour la justice sociale, pour l’écologie et pour le respect de tous les citoyens européens. »

Lee refus des nationalistes et des libéraux est bien un dénominateur commun des gens à Gauche, cela est évident. Mais il y a un souci dans ce qui est dit : l’Europe a toujours été le grand thème des libéraux. C’est l’UDF de Giscard, de Simone Veil, etc. qui a toujours dit que l’Europe en élargissant le marché, en le libéralisant, allait améliorer la société française. L’expression « Printemps Européen » est exactement ce dont ils auraient pu parler, de par son côté vague et romantique.

Si donc Génération.s veut une autre Union Européenne, de laquelle parle-t-il ? Parce que personne en Europe n’a, à Gauche, formulé d’alternatives. Même en admettant que Benoît Hamon ait raison, il faudrait qu’il l’explique, et qu’ensuite il présente des alliés dans toute l’Europe. Ce n’est pas le cas.

Il faut également appeler un chat un chat. Dire qu’on est pour « la justice sociale, pour l’écologie et pour le respect de tous les citoyens européens », cela ne veut rien dire : à peu près tout le monde peut le dire. Ce n’est même pas que cela dit tant quelque chose de valable pour tous, c’est surtout que cela ne veut rien dire du tout. Les pro-nucléaires peuvent se dire écologistes car le nucléaire exige moins de Co2 que le charbon en apparence, la Droite peut se dire pour la justice sociale par l’ouverture à la concurrence au profit soi-disant des consommateurs, quant au respect de tous les citoyens européens c’est une règle posée d’office dans le cadre de l’Union Européenne.

Dernier souci et non des moindres de tout cela : Génération.s n’est pas anti-libéral. Génération.s revendique de s’opposer au libéralisme dans le domaine économique. Génération.s assume par contre entièrement le libéralisme dans les domaines politique et culturel, avec une revendication très forte de libéralisme dans le domaine migratoire. Il n’y a donc pas le rejet des « libéraux » en général, seulement de certains libéraux.

Ce qui ramène directement à ce que porte Emmanuel Macron, puisqu’on est pas ici dans une perspective de la Gauche historique, mais celle d’une bourgeoisie moderne, branchée, celle de l’art contemporain et des start ups, à l’aise dans toutes les très grandes villes du monde, favorable à la remise en cause de toutes les règles, de la déconstruction générale de toutes les valeurs sociales.

Génération.s a-t-il alors réellement un espace, alors qu’Emmanuel Macron porte en quelque sorte la plupart de ses valeurs politiques et culturelles ?

Si Benoît Hamon a véritablement une densité suffisante le distinguant historiquement d’Emmanuel Macron, alors Génération.s trouvera un espace. Mais sinon, les élections européennes rendront sa situation intenable.

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Culture

Cris et chuchotements, d’Ingmar Bergman

En présentant la vie intérieure de quatre femmes dans un moment-clef de la vie marquée par une souffrance extrême de l’une d’entre elles, Ingmar Bergman met à nu la densité psychologique féminine, niant tout simplisme et réduction à la femme-enfant. En conséquence de quoi, le film est d’une violence sans pareille.

cris et chuchotements

Très grand classique du cinéma datant de 1972, Cris et chuchotements est connu surtout en France pour être pratiquement un véritable crashtest : passer les premières minutes est considéré comme un exploit, voir le film en entier comme héroïque, savoir comment l’apprécier une chose réservée aux cinéphiles. Les complications ressenties pour le supporter comme pour le décrire sont dans tous les cas attribuées à l’approche existentielle – esthétique d’Ingmar Bergman.

En réalité, c’est que c’est avant tout un film d’adulte, d’abord, et un film qui traite des femmes, surtout. Cela fait deux obstacles très importants, car il faut déjà avoir un certain âge, un certain vécu pour saisir la question de la fragilité de la vie, de l’importance symbolique que peut avoir tel objet, telle montre avec son tic-tac inlassable. Cela demande une conscience posée, une dimension littéraire pour ainsi dire, et c’est donc avant tout un film pour qui est capable de retour en arrière sur sa propre vie, sur sa propre personnalité dans ce qu’elle a vécu de manière authentique.

De plus, en présentant l’agonie d’une femme dans un manoir, le réalisateur a surtout osé présenter un huis-clos sur la vie intérieure de femmes (ici Harriet Andersson, Kari Sylwan, Ingrid Thulin, Liv Ullmann), avec leur formidable richesse intérieure, mais également donc leur extrême violence due à des situations les aliénant, estompant leurs personnalités, leurs désirs, leur être tout entier. L’affirmation féminine est totalement exigée dans ce film qui montre justement comment en son absence, cela cause de terribles dégâts.

Le maître-mot est d’ailleurs la violence féminine, avec la femme présentée comme porteuse du sens de la vie ; les cris et chuchotements auxquels on échappe en apparence dans la vie quotidienne quand on prétend être « stable » sont ici présentés comme une expression inévitable d’une vie qu’on a mis de côté et qu’on a donc mutilé. Le film a cette mutilation de la vie comme obsession, avec tout l’arrière-plan luthérien incessamment présent pour soutenir cette perspective, au point par ailleurs que, religion oblige, la souffrance et l’extase se combinent dans un espoir d’absolu.

Cela n’empêche nullement le film de s’ancrer dans le concret et de traiter avant tout de l’existence comme réalité physique, sociale et naturelle. En ce sens, Cris et chuchotements est avant tout un film sur les femmes ayant l’exigence d’être avant tout elles-mêmes, le film osant présenter leur densité formidable par rapport à la simplicité stupide, bornée, patriarcale des hommes. Le fait que le film se déroule à la fin du 19e siècle accentue la démonstration critique de l’inanité du rapport maître-valet en général, la servante ayant un rôle central, portant la grâce, la rédemption, la miséricorde, tout en faisant face à l’injustice et l’indifférence.

Il est intéressant de savoir qu’Ingmar Bergman a mis toute une partie de ses économies pour pouvoir produire le film, que les actrices elles-mêmes et le directeur de photographie (qui reçut un oscar pour ce film) rendirent leurs salaires sous la forme de prêt à la production, pour qu’il puisse être tourné. On est ici dans un engagement artistique total et on ne sera pas étonné que Liv Ullmann raconte que le jeu des actrices fut bon justement en raison de leur rejet du système de Stanislavski utilisé par l’Actor’s Studio, avec tout son formalisme où l’acteur doit « mimer », « devenir » le personnage.

Elle souligne la dimension naturelle, ainsi qu’un aspect essentiel : pour réaliser ce film en couleurs, ce qui est une exception chez lui, Ingmar Bergman et le directeur de la photographie Sven Nykvist ont profité de la lumière naturelle surtout, notant tous les jeux de lumières dans le manoir pour jouer les scènes en fonction, au bon moment. Cela donne une dimension très particulière aux couleurs, le rouge étant présent systématiquement et de manière quasi agressive, côtoyant principalement seulement du noir et du blanc.

Cris et chuchotements est un film incontournable ; il est souvent associé à deux autres films d’Ingmar Bergman, Le silence et Persona, pour sa présentation de la densité psychologique des femmes, pour l’affirmation du caractère complet de leur existence intérieure.

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Société

L’Union Européenne refuse la fusion d’Alstom et de Siemens Mobility

En refusant la fusion de deux grandes entreprises du ferroviaire, l’Union Européenne s’oppose à la concentration économique, qui est en même temps une norme à l’échelle mondiale. Cela va donc provoquer des tensions immenses entre les nations et l’Union Européenne.

La commissaire européenne à la Concurrence, Margrethe Vestager, a annoncé hier le refus par son institution de la fusion d’Alstom et Siemens Mobility pour former un géant de l’industrie ferroviaire et de la signalisation. C’est là un épisode très important de la vie économique dans l’Union Européenne.

Deux points de vue semblent s’opposer. Margrethe Vestager a affirmé dans une conférence de presse, avant même son refus, que :

« Notre écosystème est plus fort s’il ne dépend pas entièrement d’une ou de quelques entreprises géantes. »

C’est là en l’apparence la défense de la libre-entreprise contre les monopoles, dans une optique de défense de l’initiative capitaliste et des consommateurs. C’est le principe selon lequel un capitalisme n’est sain que s’il est concurrentiel, tandis que le capitalisme ayant atteint des formes monopolistiques dérègle le système.

L’autre point de vue se veut quant à lui pragmatique. Jeo Kaeser, le dirigeant de Siemens, a justifié la fusion de par l’existence d’une concurrence mondiale :

« La protection des intérêts des consommateurs ne doit pas empêcher l’Europe d’affronter sur un pied d’égalité la Chine et les États-Unis. »

On a donc en apparence une opposition entre des entreprises ayant un besoin de se renforcer au niveau mondial et une Union Européenne garante des droits des petites entreprises et des consommateurs. Margrethe Vestager a particulièrement insisté à ce sujet hier, disant par exemple que :

« En l’absence de mesures compensatoires suffisantes, cette concentration aurait entraîné une hausse des prix pour les systèmes de signalisation qui assurent la sécurité des passagers et pour les futures générations de trains à très grande vitesse. »

Tout cela n’est cependant qu’une apparence, car les choses sont bien plus compliquées que cela. Car, depuis 1989, la commission européenne à la à Concurrence a approuvé 6 000 fusions et n’en a bloqué qu’une trentaine. On ne peut donc pas vraiment dire que l’Union Européenne est un frein au capitalisme de type monopolistique. Elle est un frein à certaines formes capitalistes monopolistiques.

Lesquelles ? Cela dépend tout simplement des rapports de force. Là, si la fusion a été refusée, c’est tout simplement parce que cela formerait un monstre franco-allemand, qui deviendrait une entreprise monopolistique jouant un rôle-clef dans le moteur franco-allemand. Beaucoup de pays de l’Union Européenne ne veulent pas se soumettre à ce moteur franco-allemand : ils font donc un blocage de tout processus allant en ce sens.

Évidemment, les responsables français et allemand sont fous de rage. Ils annoncent déjà qu’ils feront en sorte de modifier le cadre légal de la commission européenne à la Concurrence, pour la soumettre aux États et aux gouvernements concernés. En clair, la France et l’Allemagne disent : nous sommes les plus forts, vous serez obligés de nous suivre.

Il y a ainsi une initiative commune immédiate du ministres français de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire et de Peter Altmaier le ministre allemand de l’Économie. Voici ce que le Français a dit de son côté :

« Je propose qu’on retienne comme marché pertinent, celui où on analyse la concurrence, le monde entier et pas que l’Europe (…). Je propose en deuxième lieu que le Conseil européen c’est-à-dire les chefs d’État puisse s’exprimer sur la décision européenne en matière de concurrence. »

Voici ce qu’a dit entre autres l’Allemand :

« N’y a-t-il pas des domaines tels que l’aviation, les chemins de fer, les banques où vous devez prendre le marché mondial comme référence plutôt que l’européen? »

De telles affirmations sont une provocation directe pour les institutions de l’Union Européenne, qui se voient ici directement remises en cause. Les deux ministres de l’économie des deux plus puissants pays annoncent ouvertement qu’ils comptent remettre en cause les règles dérangeant leurs propres intérêts.

Ils affirment également ouvertement que l’Europe n’est qu’un tremplin pour le monde, et pas une valeur en soi. Le projet européen se voit réduit à une fonction utilitaire pour les capitalismes nationaux.

À vrai dire, il n’a jamais été autre chose, malgré tel ou tel aspect concret obtenu dans une période de croissance où il y a l’illusion que le projet européen devenait autonome et concret, qu’il était un objectif atteignable, des États-Unis d’Europe.

La vraie conséquence de tout cela, surtout, cela va être que les forces nationalistes de France et d’Allemagne vont être d’autant plus renforcées, car elles vont dire que l’Union Européenne bloque l’affirmation de l’économie nationale et qu’elle n’est pas réformable, puisque même Angela Merkel et Emmanuel Macron ne parviennent pas à organiser les choses de manière adéquate.

Les propriétaires d’Alstom et de Siemens Mobility ne vont évidemment pas rester passifs, ils vont renforcer le nationalisme, la dimension « indépendante » des décisions allemandes par rapport à l’Union Européenne. Et cela sera pareil pour tous les industriels et financiers ayant « tiré la leçon » de cette histoire.

C’est là la contradiction essentielle d’un capitalisme qui s’appuie sur des entrepreneurs, mais qui aboutit à des monopoles, de manière inéluctable de par la concurrence. Et comme la concurrence est mondiale et que l’Union Européenne n’est pas une structure réelle mais « flotte » au-dessus des pays, la situation ne peut être marquée que par une explosion des instabilités, des troubles, des remises en cause, des affirmations unilatérales des égoïsmes nationaux.

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Guerre

L’Armée française a frappé plusieurs fois au Tchad depuis dimanche

Des avions de chasse de l’Armée française ont frappé depuis dimanche à plusieurs reprises sur le sol tchadien. Ils visaient une colonne d’une cinquantaine de pick-up armés d’un groupe d’opposition au pouvoir en place, montrant l’ingérence de la France dans les affaires locales.

Conformément à la Constitution, le Premier ministre Édouard Philippe a informé hier les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat que des frappes aériennes ont été menées au Nord du Tchad les 3, 5 et 6 février, « contre des groupes armés venus de Libye ». Celles-ci sont pourtant menées en toute confidentialité, cachées à la population française, pour masquer le fait que le pays agit toujours de manière coloniale en Afrique.

L’état-major français a expliqué dans un communiqué que « l’action des Mirage 2000, engagés depuis la base de N’Djamena, appuyés par un drone Reaper, a permis au total de mettre hors de combat une vingtaine de pick-up ».

Il est précisé que « ces interventions, menées à la demande des autorités tchadiennes, ont été conduites de façon proportionnée, graduée et précise », ne précisant pas qu’elles ont fait, logiquement, de nombreux morts. Quiconque à Gauche n’a aucune illusion sur la prétendue souveraineté de cette « demande » tchadienne, tant on sait que les pays de l’Afrique sont largement sous la domination des grandes puissances mondiales. Les régimes sont constitués d’élites corrompues, formées souvent dans les grandes universités françaises, anglaises, américaines et aimant les grandes avenues parisiennes ou les quartiers chics de Londres ou Manhattan.

Que l’Armée française ait une base à N’Djamena est déjà en soit une offense à l’indépendance nationale Tchadienne, une survivance du colonialisme. C’est pour cela que les partis d’opposition tchadiens sont obligé de critiquer cette intervention militaire en déclarant à l’AFP qu’elle est « inappropriée » et qu’elle « viole le droit international ».

Il s’agit effectivement ici de l’ingérence de la France dans les affaires tchadiennes. Les véhicules et troupes frappées étaient de l’Union des forces de la résistance (UFR), un groupe armé ayant tenté de prendre le pouvoir en 2008, mais qui fut stoppé par l’intervention française. Le porte-parole en exil de l’UFR avait déclaré plus tôt dans la semaine que leur colonne avançait vers la frontière du Soudan, dans l’Ennedi, mais l’état-major français a considéré que « le raid de cette colonne armée dans la profondeur du territoire tchadien était de nature à déstabiliser ce pays ».

Ce groupe dont l’ambition affichée est de former « un gouvernement de transition réunissant toutes les forces vives du pays » et « d’organiser des élections », considère évidemment que « le peuple tchadien répondra, [que] cela peut passer par manifester une hostilité à l’encontre des Français » et que « Paris est devenue une force hostile au peuple tchadien ».

On a là, on l’aura compris, un pays profondément déchiré, déstabilisé, avec un chef de l’État Idriss Déby quasiment mis en place directement par la France en 1990, qui est opposé à son propre neveu, Timane Erdimi, membre de la même ethnie des Zaghawa, originaire du nord-est du pays.

Les grandes puissances comme la France ont directement intérêt à diviser les pays d’Afrique, les maintenir dans la guerre, l’émigration et le sous-développement. La Gauche en France ne peut pas accepter cela et elle se renie elle-même en fermant les yeux sur ces interventions, ces ingérences relevant d’une forme moderne de colonialisme.

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Politique

Fiasco de la « grève nationale » de la CGT du 5 février 2019

Malgré le fol espoir en les gilets jaunes, la « grève nationale » n’aura finalement concerné qu’entre 137 000 et et 300 000 manifestants, principalement issus du secteur public et sans aucun impact sur l’économie. La prochaine initiative du même type étant pour la mi-mars, on voit aisément que le fiasco est reconnu par la CGT elle-même, au-delà des discours triomphaux usuels.

Hier a eu lieu la « grève nationale » organisée par la CGT : il faut mettre des guillemets, car comme c’est la règle, les travailleurs du secteur privé ne sont pas de la partie. Il ne faut jamais oublier cet aspect essentiel : les discours sur les travailleurs ne sont pas les discours des travailleurs ; ceux-ci ne sont engagés dans leur écrasante majorité ni dans les grèves, ni dans les cortèges, ni dans les syndicats, ni dans les partis de Gauche.

Et, comme on le sait, ce qui est d’autant plus grave, l’extrême-droite a un écho très fort chez eux. Il faut donc enfin du réalisme quand on parle de tout cela, il faut cesser toute auto-intoxication. Car il y a auto-intoxication : de la part des syndicats en général, mais surtout de la CGT, de l’ultra-gauche, des populistes. Leur idée est pratiquement de raconter comme quoi il y aurait quelque chose qui se passe, afin qu’il se passe quelque chose, comme une sorte de prophétie autoréalisatrice, ou plus précisément de mythe mobilisateur.

C’est donc du théâtre, avec peu d’impact. La grève n’a en rien touché l’économie, ni paralysé quoi que ce soit. 5% seulement des enseignants étaient en grève, alors que la RATP n’a à Paris pas connu de perturbations. Le nombre de manifestants est restreint et traditionnel, ce qui contredit la thèse selon laquelle les gilets jaunes auraient révolutionné la France. Il y a eu environ 25 000 personnes à Paris, 10 000 à Toulouse, 6000 au Havre, 5 000 à Marseille, 4 000 à Lyon, 2000 à Caen, Lille et Clermont-Ferrand, 1500 à Strasbourg et à Nîmes, 1000 à Tours, 800 à Beauvais, 500 à Rennes, 400 à Amiens, etc.

Cela ne pèse pas lourd, cela n’apporte rien de nouveau, mais pour correspondre à cet esprit théâtral, le dirigeant Philippe Martinez a affirmé :

« Aujourd’hui c’est un succès qui en appelle d’autres. »

La preuve qu’il ment et qu’il le sait, est que la CGT a appelé à une nouvelle mobilisation… pour la mi-mars. Comme on bat le fer quand il est chaud, autant dire que rien n’est un chaud et que c’est plutôt un fiasco. L’appel pour la mi-mars est là pour sauver la face d’un syndicalisme CGT qui va de défaite en défaite.

Et pourtant, outre le soutien ouvert (et vraiment très forcé dans le ton) aux gilets jaunes, la CGT avait fourni une liste de revendications tapant le plus large possible, au point que le dirigeant de la CFDT, Laurent Berger, l’a qualifié de « liste à la Prévert ». Les voici et on peut facilement voir que c’est une sorte de très vaste et très réformiste dénominateur commun à toute la Gauche :

• une augmentation du Smic de 20% (1800 euros brut), du point d’indice, de tous les salaires et pensions ainsi que des minima sociaux ;
• l’égalité salariale entre les femmes et les hommes ;
• une réforme de la fiscalité par un impôt sur le revenu plus progressif et une TVA allégée sur les produits de première nécessité, le rétablissement de l’ISF et une imposition plus forte des plus hauts revenus et de la détention de capital ;
• le contrôle et la conditionnalité des aides publiques aux grandes entreprises ;
• le développement des services publics ;
• le respect des libertés publiques, tel que le droit de manifester remis en cause par le gouvernement ;
• le renforcement des droits et garanties collectives, des droits au chômage, de la sécurité sociale, notamment de la retraite ;
• une transition écologique juste et solidaire.

Il n’est d’ailleurs pas difficile de voir qu’au sens strict, ces revendications ne relèvent pas du syndicalisme, qui se veut une lutte d’entreprises, de secteurs professionnels. Ici, on a des propositions de type social, des exigences de réformes économiques, qui relèvent de la politique. Quand la CGT parle par exemple du développement des secteurs publics ou de transition écologique juste et solidaire, elle dépasse largement le cadre des revendications directement syndicales. D’un côté, tant mieux ! Mais tout d’abord c’est trop tard, et ensuite c’est traditionnel avant des élections et on a ainsi, à très grands traits, le programme de La France Insoumise et du PCF.

On sait cependant que la CGT est liée au PCF et La France Insoumise a pour cette raison été obligée de la jouer subtil, et même très subtil. On a ainsi vu réapparaître… le Parti de Gauche, disparu totalement des radars depuis que la « marque » La France Insoumise est devenue la norme. L’occasion a été celui d’un communiqué commun paru la veille de la grève dans la revue de gauche Politis, signé également par certaines structures à la même volonté de profiter des gilets jaunes (Groupe parlementaire France Insoumise, Génération.s, Nouveau parti anticapitaliste, Ensemble, Gauche républicaine et socialiste, Fondation Copernic, Alternative libertaire, Solidaires, Sud PTT, Gauche démocratique et sociale, ATTAC, Union départementale CGT 75, Parti ouvrier indépendant…).

On y lit que :

« Pour la première fois depuis le début de la mobilisation, les gilets jaunes ont décidé de se joindre à une grève annoncée par les syndicats le 5 février 2019.

Nous voyons dans cette convergence une possibilité de victoire sociale majeure, en permettant un mouvement d’ensemble durable et reconductible incluant l’ensemble des salarié-es, la population des quartiers populaires et la jeunesse. Nous souhaitons que la grève et les manifestations soient les plus massives possible afin de faire aboutir ces revendications légitimes. C’est pourquoi nous apportons tout notre soutien à cette date. »

Mouvement d’ensemble ? Victoire sociale majeure ? Union des salariés, des quartiers populaires et de la jeunesse ? On est ici dans une fiction complète.

Il faut voir la réalité en face. Toutes les valeurs de la Gauche sont démantelées, l’agitation sociale a une expression patriotique exacerbée, l’extrême-droite a un socle électoral populaire et même ouvrier, l’antisémitisme a contaminé des pans entiers de la société, la fachosphère pullule d’activités depuis des années, l’extrême-gauche est devenue une ultra-gauche post-moderne, le rempli nationaliste est une tendance de fond à l’échelle internationale.

Nous sommes en train d’assister à un véritable suicide politique, alors que l’ombre du Fascisme s’avance sur la France.

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Réflexions

Portrait critique du Français

Le Français ne comprendra jamais une chose : pourquoi les autres ne sont pas français. Comment peut-on ne pas être français ? Il est pourtant logique d’être français.

Palais du Luxembourg

Le Français est un fin connaisseur de la vie, du moins s’imagine-t-il, aussi privilégie-t-il la posture du sceptique souriant, prenant toute chose avec assez de hauteur pour ne pas s’y attacher. Être modéré en tout, même dans la modération, voilà ce qui semble parfait au Français, ainsi prompt à l’hypocrisie jésuitique pour à la fois pratiquer et critiquer quelque chose.

Cela impose une certaine légèreté : le Français adore badiner, flirter, batifoler, compter fleurette, s’empêtrer dans une multitude de situations qui n’auront ni suite, ni lendemain. L’ancêtre du Français aimait flâner, le Français apprécie désormais de traîner et il se traîne dans sa vie, cherchant à écrire ses prochains jours comme un dessinateur d’une bande dessinée essaie de prévoir la prochaine case.

C’est que le Français est sensible, mais il a bien plus d’imagination encore et celle-ci doit permettre la formation d’une belle apparence. Ce qui se pense bien s’énonce bien et présente bien, et inversement. Aussi le Français préfère avoir l’air amoureux que tendre, et l’air galant qu’amoureux. Mais cette galanterie est donc plus forme que fond.

Car rien ne porte à conséquence chez le Français et aussi voit-il en le principe d’organisation une perpétuelle épée de Damoclès toujours prête à lui tomber dessus. L’État, la famille, le couple, le syndicat, le parti, les transports en commun, l’avion, le train, tout cela est insupportable au Français qui exige la simplicité d’une terrasse de café, d’un comptoir où il peut, au choix, rester ou s’en aller, commander de nouveau ou bien ne pas le faire, commander la même chose ou bien autre chose, etc.

Il appréhende, autant qu’il les déteste et est fasciné par eux, l’Anglais et l’Allemand. La premier a trop d’opiniâtreté dans son caractère, le second trop de cohérence dans sa fiabilité. Cela fait deux qualités fortes que le Français ne peut que vouloir démolir, par souci de maintenir avant tout ce qu’il considère comme de l’esprit.

L’esprit avant toute chose est sa devise et, prolongeant Descartes, il refuse d’aller trop profondément au fond des choses, ne voulant pas risquer de ne pas pouvoir envoyer tout balader, d’un coup, dans un acte de panache étant la marque du grand esprit.

Le Français est ainsi parfaitement commode et il se considère même comme le seul réellement vivable au monde. Comment peut-on être Kényan, Indien ou Suédois ? La vie n’est heureuse que si l’on est français ! Seuls les peuples latins échappent à son regard sourcilleux sur les mœurs des autres pays du monde qui, par ailleurs, selon lui, devraient tous savoir parler français.

Il est donc plaisant, agréable, jamais hostile ; il sait se tenir. C’est toute une philosophie de la vie : chaque Français sait qu’il est en quelque sorte un représentant commercial de Chanel, Dior, Louis Vuitton, Longchamp et Hermès. Il sait donc mimer les bonnes manières, en toutes situations, ou au moins faire que cela ressemble à cela. Tel est l’avantage de son image que peu importe la manière dont il se comporte, on se dit que cela relève d’un certain sens de la correction.

Pour garder toute cette constance, le Français sait être railleur à l’occasion, en quoi il révèle un côté franchement mauvais, mesquin, tenace dans son fiel. Malheur à qui par trop raisonne, malheur à qui penche vers ce mot ignoble, haï par lui : sys-té-ma-tique. Car l’enfer, pour lui, c’est le bout des choses.

Cela n’arrive pas souvent, heureusement, et le Français sait surtout être routinier : un peu de politique et d’aventure dans la jeunesse, rien de tout cela celle-ci passée. Beaucoup de bière au départ de la vie, un peu de vin à son arrivée ; la quête de grandes choses pour soi à l’initial, puis finalement les petits riens sont si plaisants quand même.

Le Français, et c’est là selon lui une de ses grandes qualités, est un adepte du consensus avant tout, y compris avec lui-même. Toute forme pondérée apparaît lui correspondre et se présente à lui comme une véritable sagesse, bien loin du bouddhiste vietnamien, du bolchevik russe, du hippie américain ou du marabout d’Afrique noire. Car le Français procède vite à la caricature quand il parle de l’Orient, et pour lui l’Orient, c’est tout ce qui entoure la France, c’est tout qui n’est, non pas français, mais pas encore français.

Selon lui, tout le monde sait, même sans vouloir l’assumer. Tout le monde veut aller en France, tout le monde rêverait d’être français. Et, parfois, dans le brouhaha d’une fin de soirée, dans des rues fortement éclairées après un repas copieux, le Français regrette lui-même de ne pas pouvoir faire cette chose si grande, si forte, si unique : devenir français. Qui sait ? Après tout, Napoléon ne disait-il pas qu’impossible n’est pas français ?

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Politique

L’inévitable prochaine montée de l’antisémitisme

L’antisémitisme, cette infamie, est profondément enraciné dans la société française. Après les gilets jaunes, il connaîtra une inévitable progression, tant quantitative que qualitative. Et autant par la droite que par une « gauche » coupée de la Gauche historique.

Manifestation pro palestinienne à Sarcelles, juillet 2014

L’antisémitisme ne s’est pas exprimé, à part de manière extrêmement marginale, lors des gilets jaunes. C’est logique : l’antisémitisme sert historiquement de paratonnerre, de fiction anticapitaliste. Quand la crise l’emporte malgré tout, cette fiction perd son sens. La dimension sociale réelle l’emporte. Mais comme rien ne sortira des gilets jaunes, l’antisémitisme reprendra forcément sa fonction. Et avec la crise sociale approfondie, il réapparaîtra de manière bien plus renforcée.

Il y a ici quelque chose de fondamentalement mécanique. L’antisémitisme est consubstantiel aux pays marqués par une idéologie religieuse chrétienne où le moyen âge a fait de certains Juifs des banquiers, le prêt à intérêt étant interdit entre coreligionnaires. L’antisémitisme médiéval s’est maintenu par la suite, notamment dans tout le milieu monarchiste, avec son anticapitalisme romantique idéalisant le moyen âge. Et il s’est modernisé, devenant le leitmotiv de tous les communautarismes, religieux comme nationaliste ou « anticapitaliste ».

La situation en France va donc être mauvaise, elle aurait pu pourtant être bonne si la loi Gayssot avait été appliquée. Mais l’État a laissé faire tous les foyers d’antisémitisme, avec leur propagande, leurs innombrables publications, leurs activités culturelles et politiques. Que Dieudonné ne soit pas en prison est une absurdité historique, et il en va de même pour Alain Soral. Cela montre bien que l’État est dans les mains de gens non pas incapables, mais totalement vendus aux couches dominantes, qui se désintéressent de tout ce qui n’est pas eux.

Ce qui est malheureux, avec cet antisémitisme, c’est que les Juifs réagissent, là aussi c’est mécanique, en se repliant sur eux-mêmes. Le sionisme ne prend pas : au-delà d’une sympathie certaine pour Israël, il n’y a aucune vague de départ réelle et les Juifs se sentent dans notre pays français avant tout. Même ceux qui partent sont considérés par les Israéliens irrémédiablement français dans leur style, leur culture, leur attitude.

Cependant, il y a un repli communautaire avec la religion servant de romantisme. Les prénoms donnés ne sont souvent plus des prénoms juifs, même pas des prénoms israéliens ; ce sont des prénoms bibliques jamais employés jusqu’à présent. Cela alors qu’auparavant, c’était des prénoms français qui étaient choisis de manière quasi systématique !

Ce repli, regrettable, critiquable, est évidemment secondaire et sans importance par rapport à l’antisémitisme, ce véritable danger, cette barbarie arrachant aux esprits tout ce qu’il peut y avoir de dignité, de rationalité, d’humanité. Et ce qui est terrifiant, c’est vraiment le terme, c’est que l’antisémitisme profite de larges appuis dans une « gauche » qui n’est plus la Gauche historique. Les populistes et les « ultras », ayant rejeté les principes et traditions de la Gauche, vivent en cercle fermé intellectuellement parlant, dans un romantisme forcené, avec un antisémitisme rampant à l’arrière-plan.

Il y a ici une convergence avec l’utilisation d’un argumentaire « social » dans le camp nationaliste. Comme dans les années 1920 en Italie et dans les années 1930 en Allemagne, on a le refus de la Gauche historique, au profit d’une sorte de spontanéisme populiste, sans principes autre que le succès pragmatique, avec des raisonnements à court terme.

La clef de tout cela, c’est bien entendu la destruction de la culture, qui se généralise. La destruction de la culture musicale, de la culture historique, de la culture littéraire, de la culture cinématographique, de la culture des idées. L’antisémitisme apparaît ici comme une anti-culture, comme une idéologie ayant l’apparence d’une culture, comme un véritable prêt à porter intellectuel. C’est là où réside son terrible danger.

On n’en pas a fini avec cet horrible défi que représente l’antisémitisme, tant sur le plan de son ancrage que de sa diffusion. On peut même dire qu’on ne fait que commencer avec ce problème, tellement rien n’a été fait de manière solide, durable, malgré l’épisode positivement marquant de « Je suis Charlie », qui a fragilisé et freiné la vague antisémite d’alors.

Il appartient à la Gauche de ne pas se contenter de postures ou de positions, mais bien de mener un travail de fond pour analyser et extirper les racines de l’antisémitisme. Les morts de la destruction des Juifs d’Europe nous avertissent du danger !

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Politique

Décadence ou inversion des valeurs ?

A moins de penser que tout va pour le mieux ou d’être nihiliste, il y a deux manières de considérer les choses. Soit on assume le point de vue de la Gauche qui avait bien compris dans les années 1920 qu’il y avait une décadence des valeurs, car les riches ne pensent qu’à se goinfrer et ont jeté la culture par-dessus bord. Soit on adopte le point de vue de l’extrême-droite comme quoi les valeurs auraient été inversées.

Illustrataion Phèdre (Jean Racine), Acte V

Le grand discours de la « fachosphère » depuis une décennie est qu’il y aurait une inversion des valeurs. Les criminels seraient mieux traités que les victimes, les femmes adopteraient un patriarcat inversé, les élèves compteraient davantage que les professeurs, etc. La France aurait été prise d’assaut et il y aurait eu un retournement de la hiérarchie de ce qui compte vraiment. Il faudrait donc un retour aux sources.

Certains prônent donc un retour à la France des années 1960, avec un racisme marqué, mais d’autres ont une autre approche. La grande idée d’Alain Soral et de Dieudonné est ainsi de s’appuyer sur une partie des gens issus de l’immigration pour prôner ce « retour aux valeurs », en s’appuyant sur leurs préjugés religieux, leurs valeurs patriarcales, leur romantisme anticapitaliste. Cela a donné une forme « populaire » à ce discours de la « fachosphère ». Alain Soral a eu de très grands succès de ventes avec ses écrits complotistes.

Et il est impossible de ne pas remarquer que les gilets jaunes sont ici en partie les successeurs des tenants de la quenelle de Dieudonné. Il y a le même populisme, le même rejet des « élites », la considération selon laquelle les politiques sont « tous pourris », une obsession petite-bourgeoisie pour l’État, etc. Avec la « quenelle », Dieudonné a popularisé avec un très grand succès un certain style rentre-dedans, revendicatif, sur la base de valeurs anticapitalistes romantiques.

L’antisémitisme virulent, le complotisme délirant, les fascinations pour les élites manipulatrices, etc., tout cela correspond à la mentalité comme quoi les choses auraient été déréglées, que des forces « obscures » auraient procédé à une inversion des valeurs. Comme ce qui devrait compter ne compte pas, on s’imagine qu’elles ne comptent plus, car n’est-il pas logique qu’elles aient compté par le passé, puisqu’elles doivent compter ?

On retrouve ici la logique de nombreux gilets jaunes, qui s’aperçoivent qu’ils sont exploités et pauvres, mais qui ne conçoivent pas que cela soit possible. Ils imaginent donc qu’avant ils n’étaient ni exploités, ni pauvres, alors qu’ils l’étaient également, mais qu’il y avait un peu plus de marge, et que donc ils ne le saisissaient pas… Ils idéalisent alors le passé, au lieu de s’assumer comme pauvres. C’est très étrange que cela : on a des pauvres ne voulant pas être pauvres, mais refusant le fait de s’assumer pauvres. Comme si c’était une honte et qu’il fallait, plutôt que de s’assumer prolétaire, toujours en revenir à la classe moyenne, cette forme sociale idyllique, au-delà du bien et du mal (c’est-à-dire des bourgeois et des ouvriers).

Ce qui saute aux yeux bien sûr, c’est que chez les tenants de l’inversion des valeurs comme processus « sabotant » la France, la culture est un thème qui n’existe pas. On est dans un style violemment beauf, avec une négation brutale de toute réflexion fondée sur la culture. Il n’y aucune référence en termes de romans, films, sculptures, monuments, peintures, pièces de théâtre, etc. On est dans un mouvement « élémentaire », brut de décoffrage, et qui s’assume comme tel. D’où tous les raccourcis, la paranoïa, le complotisme, la rage éparpillée, etc.

Il est important de voir cela, parce que cela montre que la fachosphère ne prône justement pas de réelles valeurs. La question de l’art contemporain est ici un très bon exemple. La fachosphère explique qu’il est scandaleux que l’art contemporain s’impose autant. Cependant, elle ne propose rien en remplacement. Le discours de la fachosphère consiste uniquement à parler d’une inversion des valeurs, pour mettre en avant des valeurs réactionnaires, mais de manière floue. Il ne faut pas croire que la fachosphère mette en avant Raphaël, Donatello, Michel-Angelo ou Leonardo de Vinci.

La fachosphère ne consiste pas à dire que Racine c’est autre chose maître Gims ou Molière autre chose que Booba ; la fachosphère n’est que du ressentiment. La culture n’y existe pas et pour cause : l’extrême-droite n’est que le produit de la décadence de la société française. Une décadence qui a une source simple : les couches sociales dominantes se goinfrent, de manière barbare, ayant abandonné ou abandonnant toujours plus la moindre valeur culturelle. L’ultra-consommation sur un mode nouveau riche devient la règle. On se moque beaucoup des oligarques russes et des millionnaires chinois consommant de manière ostensible et sans réel goût, mais croit-on vraiment que les riches français soient différents ?

La France va mal, elle est en crise, mais ce n’est pas qu’une crise sociale : c’est une crise morale, culturelle, idéologique. C’en est fini de la bourgeoisie hyper éduquée, extrêmement posée, techniquement efficace des années 1960. La bourgeoisie nouvelle est libérale, seulement libérale, et ne peut plus assumer son rôle de dirigeante de la société. D’où la décadence.

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Fondation du nouveau parti « Gauche républicaine et socialiste »

La gauche du Parti socialiste qui a quitté celui-ci sans avoir rejoint Benoît Hamon a décidé de finalement passer sous la coupe de la France insoumise. Elle en sera une composante lors des prochaines élections européennes.

Ce week-end s’est tenu à Valence un congrès constitutif d’une nouvelle organisation à gauche, ayant pris comme dénomination « Gauche républicaine et socialiste ». Au sens strict, ce n’est pas quelque chose de nouveau, car il s’agit de l’organisation de Marie-Noëlle Lienemann et Emmanuel Maurel, « Aprés », qui change de nom, abandonnant sa tentative d’exister de manière autonome. Marie-Noëlle Lienemann a exprimé ses regrets de la manière suivante :

« J’en veux à la gauche française, nous avions une trame idéologique potentielle pour résister à l’ultra-liberalisme; il faut créer de nouvelles formes politiques. Nous sommes dans une phase de décomposition. »

Il est apparu en effet soit qu’il n’y avait pas d’espace à gauche du Parti socialiste alors qu’il y avait déjà Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon, soit qu’il n’y avait pas les cadres pour développer une organisation aux contours bien délimités, selon comment on voit les choses. Le manque de temps ou de confiance en ses propres idées (ou moyens) a donc abouti à un changement radical d’orientation.

Marie-Noëlle Lienemann et Emmanuel Maurel, qui étaient depuis plusieurs mois alliés au Mouvement Républicain et Citoyen (MRC), ont fondé une nouvelle structure et rejoints Jean-Luc Mélenchon. La présence de l’ancien MRC dans la nouvelle organisation est un gage auprès de Jean-Luc Mélenchon, car c’est une structure « souverainiste » de gauche, fondé par Jean-Pierre Chevènement qui a toujours tenu une orientation qu’on peut qualifier comme « patriote » ou nationaliste de gauche.

De manière surprenante, ce positionnement souverainiste a été ouvertement assumé et exprimé par Emmanuel Maurel :

« La question de la souveraineté est essentielle. Souveraineté des peuples, reprise en main pour défendre les biens communs contre les intérêts privés. Cela passe par des ruptures radicales ! »

Il est, quoiqu’on pense de l’importance, de la validité de la question, toujours inquiétant de voir annoncer une « rupture radicale » au sujet d’une question nationale. La forme ici employée ne peut que choquer la Gauche. C’est cependant le prix à payer pour le passage dans le camp de la France insoumise.

Il ne s’agit par ailleurs pas d’une remarque dispersée, mais bien d’une approche générale ; en voici quelques exemples qui ont dits pendant le week-end de fondation :

« La politique de dumping, de casse sociale et la désindustrialisation en France et la politique « austéritaire » Bruxelloise sont les deux faces du même euro. »

« Le traité franco-allemand, c’est Merkel qui dit à Macron : « Donne-moi ta montre, je te donnerai l’heure. » »

Dans un même ordre d’idée, les gilets jaunes sont considérés comme quelque chose non seulement de très bien, mais même de nouveau. On l’a deviné, c’est le prétexte employé pour passer sur la ligne « populiste » de La France Insoumise. Gael Brustier a pour sa part considéré que « les gilets jaunes donnent une opportunité incroyable pour la gauche telle qu’elle n’en avait jamais eu depuis trois décennies » et Marion Beauvalet a expliqué que ce qui est intéressant c’est que c’est « un mouvement au-delà des clivages gauche/droite [qui] oppose le peuple et l’élite ».

> Lire également : Emmanuel Maurel et le mouvement ouvrier

On remarquera l’incohérence qu’il y a à parler de gauche d’un côté, de dépassement du clivage droite/gauche de l’autre, mais on devine que jeu de va et vient entre affirmation de la gauche et populisme va être incessant pour la Gauche républicaine et socialiste. Ce n’est qu’un début et on voit mal comment il va être continué à parler de Front populaire alors que La France insoumise a coupé les ponts avec l’histoire de la Gauche.

Emmanuel Maurel a pour sa part affirmé au sujet des gilets jaunes que :

« Il y a trop d’ambiguïté d’une partie de la gauche sur les gilets jaunes. Nous les soutenons ! »

Ce soutien est donc à ajouter à celui, tout récent, de la CGT, alors que pareillement l’ultra-gauche est désormais dithyrambique au sujet des gilets jaunes. Il y a là une véritable orientation nouvelle, résolument populiste ; on a d’ailleurs droit la semaine dernière à Marie-Noëlle Lienemann expliquant que l’émission de Cyrille Hanouna avait été quelque chose de positif au résultat conforme aux idées de gauche.

La base de la Gauche républicaine et socialiste est-elle d’accord avec tout cela ? Dans tous les cas elle va devoir s’y habituer, ou bien revenir dans le giron de la Gauche historique, qui reste à recomposer. Elle compte surtout sur son nombre, 2 538 personnes sont annoncées comme ayant participé au vote pour le choix du nom, pour pouvoir à un moment faire pencher la balance.

Le problème est que déjà que la rupture avec le Parti socialiste s’est déroulée de manière non démocratique, quoiqu’on pense du parti socialiste, aller rejoindre La France insoumise c’est franchement se lancer dans l’aventure.

On devine au fond qu’il est espéré que la formation de Jean-Luc Mélenchon n’est qu’une étape vers quelque chose de nouveau. Mais outre que c’est là du machiavélisme, que c’est là jouer avec le feu, comment espérer que la négation de la Gauche puisse aboutir à son renforcement ?