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Culture

Les yeux des pauvres – Charles Baudelaire

Ah ! vous voulez savoir pourquoi je vous hais aujourd’hui. Il vous sera sans doute moins facile de le comprendre qu’à moi de vous l’expliquer ; car vous êtes, je crois, le plus bel exemple d’imperméabilité féminine qui se puisse rencontrer.

Nous avions passé ensemble une longue journée qui m’avait paru courte. Nous nous étions bien promis que toutes nos pensées nous seraient communes à l’un et à l’autre, et que nos deux âmes désormais n’en feraient plus qu’une ; — un rêve qui n’a rien d’original, après tout, si ce n’est que, rêvé par tous les hommes, il n’a été réalisé par aucun.

Le soir, un peu fatiguée, vous voulûtes vous asseoir devant un café neuf qui formait le coin d’un boulevard neuf, encore tout plein de gravois et montrant déjà glorieusement ses splendeurs inachevées.

Le café étincelait. Le gaz lui-même y déployait toute l’ardeur d’un début, et éclairait de toutes ses forces les murs aveuglants de blancheur, les nappes éblouissantes des miroirs, les ors des baguettes et des corniches, les pages aux joues rebondies traînés par les chiens en laisse, les dames riant au faucon perché sur leur poing, les nymphes et les déesses portant sur leur tête des fruits, des pâtés et du gibier, les Hébés et les Ganymèdes présentant à bras tendu la petite amphore à bavaroises ou l’obélisque bicolore des glaces panachées ; toute l’histoire et toute la mythologie mises au service de la goinfrerie.

Droit devant nous, sur la chaussée, était planté un brave homme d’une quarantaine d’années, au visage fatigué, à la barbe grisonnante, tenant d’une main un petit garçon et portant sur l’autre bras un petit être trop faible pour marcher. Il remplissait l’office de bonne et faisait prendre à ses enfants l’air du soir. Tous en guenilles.

Ces trois visages étaient extraordinairement sérieux, et ces six yeux contemplaient fixement le café nouveau avec une admiration égale, mais nuancée diversement par l’âge.

Les yeux du père disaient :

« Que c’est beau ! que c’est beau ! on dirait que tout l’or du pauvre monde est venu se porter sur ces murs. »

— Les yeux du petit garçon :

« Que c’est beau ! que c’est beau ! mais c’est une maison où peuvent seuls entrer les gens qui ne sont pas comme nous. »

— Quant aux yeux du plus petit, ils étaient trop fascinés pour exprimer autre chose qu’une joie stupide et profonde.

Les chansonniers disent que le plaisir rend l’âme bonne et amollit le cœur. La chanson avait raison ce soir-là, relativement à moi. Non-seulement j’étais attendri par cette famille d’yeux, mais je me sentais un peu honteux de nos verres et de nos carafes, plus grands que notre soif.

Je tournais mes regards vers les vôtres, cher amour, pour y lire ma pensée ; je plongeais dans vos yeux si beaux et si bizarrement doux, dans vos yeux verts, habités par le Caprice et inspirés par la Lune, quand vous me dites :

« Ces gens-là me sont insupportables avec leurs yeux ouverts comme des portes cochères ! Ne pourriez-vous pas prier le maître du café de les éloigner d’ici ? »

Tant il est difficile de s’entendre, mon cher ange, et tant la pensée est incommunicable, même entre gens qui s’aiment !

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Culture

Prestes Maia, le grand squat de São Paulo

Prestes Maia est un immeuble de São Paulo. Il est situé au centre ville, près de la gare de Luz, dans un quartier qui est littéralement sorti de terre au milieu de la décennie 1950. L’imposant bâtiment est remarquable pour son architecture, mais aussi pour sa destinée récente.

L’immeuble a pour l’essentiel une vocation industrielle. Les deux tours ont abrité à la fois le siège administratif et la principale unité de production textile de la Companhia Nacional de Tecidos (la Compagnie Nationale des Draps). Haut de 22 étages, l’immeuble est construit autour d’une infrastructure de piliers, de poutres et de lintaux de béton armés.

La conception du bâtiment est le fruit du travail de l’urbaniste Francisco Prestes Maia. Ce dernier, polytechnicien de formation, a complètement redessiné la ville de São Paulo à la dimension des grosses berlines US. Il a ainsi été récompensé pour son « Plano de Avenidas » par un prix lors du quatrième Congrès panaméricain des architectes à Rio de Janeiro en juillet 1930. Il sera aussi maire pour trois mandats.

La surface du bâtiment est faite d’un ciment brut bruni par la pollution qui accroche la lumière rasante comme une peau au grain épais. La façade est percée de larges ouvertures vitrées enchâssées directement, sans adoucissement. Au niveau du premier étage commun aux deux tours, en guise de frontispice, le nom de l’usine s’étale en lettres de métal, sur ce qui s’apparente à une corniche. La grande élégance de l’ensemble tient à sa sobriété, à ses lignes claires et épurées.

L’activité industrielle est depuis longtemps abandonnée, mais le bâtiment, quant à lui n’est jamais resté vide. Désaffecté au début des années 1990, bientôt racheté par un homme d’affaire pour un fond spéculatif, l’immeuble officiellement inoccupé est devenu l’un des plus grand squat du continent américain.

Au début ces années 2000, les blocs A et B du 911 Avenida Prestes Maia ont la réputation d’être un infâme coupe-gorge puant tenu par les petits dealers locaux. C’est alors qu’un groupe participant au Movimento dos Trabalhadores Sem Teto (Mouvement des travailleurs sans toit) organise l’occupation des lieux. Pied à pied, hall après hall et étage après étage, les lieux sont nettoyés. Les occupants sont invités à accepter la discipline imposée par le mouvement, faute de quoi ils sont contraints de partir.

A chaque étage, un représentant est élu par les habitants, il est chargé de faire respecter le règlement, d’organiser les travaux communs à l’étage et de faire circuler les informations communes à la communauté entière. La consommation de drogue est interdite, l’alcool est interdit dans les parties communes, il est interdit de faire du bruit passé 22h. Au bas des blocs, des habitants gardent les entrées : il est impossible d’entrer sans avoir été invité par un habitant. L’organisation des lieux est faite pour les familles de travailleurs, celles-ci paient d’ailleurs une participation aux travaux communs.

Les étages sont divisés en « huttes », c’est-à-dire en espaces cubiques plus ou moins de même taille faits de planches de bois enduites de plâtre. Au total, ce sont près de 500 familles, plus de 1600 personnes dont 300 enfants, qui ont trouvé à se loger dans des conditions décentes, le Mouvement garantissant l’eau potable et l’électricité. De nombreuses activités culturelles se déroulent dans l’immeuble : cours de musique pour les enfants, capoeira, gala de danse, etc. Les habitants disposent également d’une bibliothèque contenant 17 000 livres.

Coincé entre d’un côté, un projet de rénovation porté par le propriétaire de l’immeuble et soutenu par la justice, l’État et la Ville qui s’opposent à l’occupation précaire du bâtiment et, de l’autre côté, harcelés par les mafias gérant les réseaux de prostitution, les trafics de drogues et qui convoitent donc les lieux peu policés pour leurs activités antisociales, la communauté des travailleurs de l’immeuble de Prestes Maia est constamment sur le fil. Périodiquement évacué par la contrainte, l’immeuble est le plus souvent regagné par le Mouvement des Travailleurs Sans Toit.

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Politique

La fausse gauche et les migrants de l’Aquarius

Le bateau l’Aquarius est arrivé hier à Malte avec 141 migrants à son bord, qui seront ensuite répartis vers plusieurs pays. En France, et d’ailleurs presque partout en Europe, les forces issues de la Gauche appuient quasi-unanimement ce type de débarquement et en font un de leurs thèmes principaux.

Sos Méditerranée

L’épisode des migrants, traversant la Méditerranée dans des conditions tellement précaires qu’ils risquent leur vie, est au cœur de l’actualité, avec notamment « SOS Méditerranée » qui s’est fait une spécialité de les secourir.

En fait, l’actualité a régulièrement comme thème les migrants et le fait que des navires privés comme l’Aquarius soient lancés pour les sauver en mer en est l’une des expressions.

En effet, le migrant est un symbole : celui du droit de partir où l’on veut, sans responsabilités aucune par rapport à là où on vit, ni par ailleurs par rapport à où l’on va. C’est le droit de refaire sa vie individuellement, en remettant les compteurs à zéro, parce qu’on l’a choisi.

Dans ces cas comme celui de l’Aquarius, selon les chiffres donnés dans la presse française, cela coûterait 3 000 euros à 5 000 euros par personne pour tenter de traverser la Méditerranée. C’est absolument énorme en Afrique et montre à quel point ces tentatives, aussi désespérées puissent-elles être, sont très réfléchies et organisées.

C’est là fondamentalement libéral et c’est pour cela que toutes les forces libérales soutiennent les migrations. Le capitalisme n’est pas du tout fanatique des frontières, au contraire même : il a souvent cherché à faire tomber les frontières, comme en témoigne l’Union Européenne.

Parfois, il se referme sur lui-même dans certaines conditions, lorsqu’il y a des grandes entreprises qui font des États leur outil de conquête. C’est d’ailleurs inévitable : la Gauche sait que cela s’appelle l’impérialisme, le fascisme, la guerre.

Mais cela est « vieux jeu » pour la « Gauche » post-industrielle qui reprend les rêves du capitalisme du 17e siècle, qui veut faire de chacun un entrepreneur. À ce titre, les différents épisodes de l’Aquarius sont une démonstration des insuffisances fondamentales de cette « Gauche » post-industrielle, post-moderne.

Aquarius - sos Méditerranée

Croyant le capitalisme indépassable, cette fausse Gauche veut l’humaniser et reprend directement les valeurs longuement élaborées par l’Église catholique. Tel est d’ailleurs le ton du dernier communiqué du Parti Socialiste, signés par ses principaux membres, intitulé pompeusement « Aquarius : tout nous oblige ».

« Quelle image l’Europe a-t-elle donnée d’elle-même avec ses dirigeants fermant leurs ports et en même temps faisant assaut médiatique de leur humanité ? L’incurie des gouvernements et de l’Union européenne doit cesser. »

C’est là l’origine de la figure du « migrant » comme symbole du besoin de libertés individuelles absolues, remplaçant l’ouvrier dans le cadre de la lutte des classes. Il ne s’agit plus d’abolir le salariat, mais de faire du salarié un être fondamentalement indépendant de tout.

C’est là à l’opposé fondamental d’un mot essentiel du vocabulaire du mouvement ouvrier, celui d’internationalisme. Car chaque pays a le droit de se développer ! Et pas de se voir piller sa jeunesse au profit des pays riches. Chaque personne a le droit d’être membre de sa culture, de son pays, sans avoir à être amené objectivement ou subjectivement à devoir tout abandonner.

D’autant plus qu’il y a derrière ces flux migratoires des réseaux mafieux et esclavagistes avec une dimension gigantesque. N’importe quelle personne réellement de Gauche ne peut que vouloir les broyer et les anéantir. Mais certainement pas qu’ils soient accompagnés dans leur œuvre barbare par des organisations « humanitaires ».

Le cas des 141 migrants débarqués à Malte hier, dont a priori une moitié de mineurs et plus d’un tiers des femmes, est tout à fait typique.

Ils ont été entassés dans une embarcation de fortune et « déposés » à la limite des eaux internationales, au large de la Libye. Les passeurs ont lancé un appel de détresse puis s’en sont retournés, laissant ces personnes sans vivres ou presque, séparées parfois des membres de leur famille avec qui ils voulaient venir en Europe.

SOS Méditerranée - Médecins sans frontières

La plupart du temps, les migrants ne sont pas secourus et meurent noyés par centaine chaque mois. Ceux qui ne sont pas partis sont parfois retenus en esclavage par les « passeurs ».

Ceux qui arrivent en Europe vivent alors dans des conditions très précaires. Cela donne des situations inacceptables que les autorités laissent traîner volontairement, avec des camps de fortunes là encore à la merci des mafias, mais appuyés par des associations « humanitaires », souvent chrétiennes.

Les classes dominantes utilisent qui plus est par la suite facilement les arriérations culturelles sur le plan démocratique des immigrés des pays du tiers-monde d’un côté, le racisme de l’autre, pour diviser davantage encore plus le peuple.

Croire que l’Aquarius serait là pour réellement aider les gens, c’est croire en la bonté des capitalistes « de gauche », qui ne visent en réalité qu’à diviser pour régner, qu’à faire passer les valeurs ouvrières pour quelque chose de réactionnaire.

Être de Gauche, ce n’est certainement pas faire campagne en faveurs des migrations ou de l’Aquarius. C’est au contraire se lier internationalement aux personnes qui se battent pour leurs conquêtes démocratiques et le développement économique de leur pays.

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Culture

The Smiths : certains groupes sont plus grands que d’autres

The Smiths : le groupe anglais mythique des années 1980. Il est difficile d’exprimer toute la portée et l’influence de ce groupe venu de Manchester tant il aura marqué son pays et le monde. Mais qui est encore capable d’en apprécier le charme et la grâce aujourd’hui en France ? La jeunesse de notre pays est-elle complètement démunie, corrompue et molle qu’elle est incapable d’aller à la rencontre du romantisme des Smiths ? Ou bien a-t-elle rejeté leur beauté après être passée du côté de la réaction ?

The Smiths, Meat is murder, The Queen is dead
Trois premiers albums des Smiths

Les Smiths était un groupe ancré dans la réalité de son pays : l’Angleterre de Thatcher. Il ne sera pas arrivé seul. Tant de groupes ont émergé de cette époque, tous avec une forte sensibilité exprimée de différentes manières. Un mélange de mélancolie, de tristesse, d’ironie…

Les sonorités à la fois très pop et très accrocheuse du groupe suffisent à en faire une formation remarquable dans l’histoire de la musique. Mais les Smiths ne seraient pas les Smiths sans ces couplets, ces refrains, ces vers que l’on chantonne presque religieusement. Prenons trois exemples, tirés des trois premiers albums.

 

« The Hand that rocks the cradle », The Smiths

https://www.youtube.com/watch?v=2v2u9NNzF1g

 

Les notes légères et cristallines de la guitare flottent juste au-dessus des autres instruments. La mélodie produite donnent l’image d’une vieille berceuse usée par le temps et sur cette musique se pose la voix délicate de Morrissey. Le mariage est sublime.

La chanson parle de la relation d’un père avec son enfant de trois ans, de son amour, de la difficulté de le rassurer et de l’absence de la mère. Le texte donne l’image d’une personne brisée ne sachant pas comment s’y prendre, tout en ayant envie de bien faire.

Comme souvent, la dimension poétique va de pair avec un certaine flou. S’il n’y a pas autant d’interprétations que d’auditeurs, il reste toujours plusieurs manières de comprendre certaines détails et d’être touché par l’atmosphère de la chanson.

Cette même approche musicale se retrouve dans la dernière chanson de l’album, « Suffer little children ». Le rythme est plus lent, le ton plus posé, plus sombre : il est question d’une série de meurtres d’enfants entre 1963 et 1965, non loin de Manchester.

L’ambiance est dense et la phrase « Oh Manchester, so much to answer for… » du refrain marque tout au long de la chanson. Il y a une certaine distance, une pudeur qui s’accompagne d’un regard triste et désemparé sur la situation. La force des textes de Morrissey est d’arriver à trouver cette distance, cette justesse dans la manière de mettre sous forme de chanson toute une réalités sociales et des ressentis.

Le « iron bridge » de la chanson Still ill, à Manchester

 

« Well I Wonder », Meat is murder

 

Probablement l’une des chansons les plus denses du groupe.

Le personnage de la chanson est épris d’une personne qui ignore son existence. Son amour fou est à sens unique, et le pousse toujours plus près du précipice. Il n’a plus de prise sur le monde et sa propre existence. La justesse de l’écriture et la dimension tragique rendent la chanson unique.

Le travail autour de l’articulation entre le texte, le chant et les instruments est incroyable. La tragique est annoncé, il se met en place au fil de la chanson et la dernière minute purement instrumentale est inoubliable avec un bruit de pluie est monumental.

 

« There is a light that never goes out », The Queen is dead

https://www.youtube.com/watch?v=y9Gf-f_hWpU

 

Les Smiths sortent leur album mythique The Queen is dead en 1986. Un pallier a été franchi entre le précédent et celui-ci : il est une synthèse brillante de toute une tradition pop allant des Beatles aux Byrds. Le niveau d’écriture a lui aussi franchi un cap : beaucoup moins brut d’approche, plus sensible, plus subtile.

Avec la chanson « There is a light that never goes out », le tragique ne prend plus du tout la même forme. Avec une exagération presque humoristique de la situation lors du refrain, le morceau se chante presque facilement. Pourtant, la mélancolie du personnage est d’une force !

And if a double-decker bus crashes into us

To die by your side, is such a heavenly way to die.

And if a ten-ton truck kills the both of us

To die by your side, well, the pleasure – the privilege is mine.

Et si un bus à double étage, nous rentre dedans

Mourir à tes côtés, voilà une divine manière de mourir.

Et si un poids lourd, Nous tue tous les deux

Mourir à tes côtés, et bien, tout le plaisir, le privilège est pour moi.

Les Smiths auront réussi à allier discours social et sentimental. Souvent de manière brut mais toujours avec une très grande sensibilité. Le principal reproche possible est qu’ils n’ont pas su assumer ce qu’ils ont porté : le quatrième et dernier album est d’une qualité très inférieure, et le groupe s’est ensuite séparé. Son histoire aura été relativement courte, mais intense.

Le groupe aura réussi à mettre des mots sur ce qu’on pu ressentir et ce qu’ont pu continuer de ressentir des millions de personnes. Ils ont été, et sont toujours, ce groupe qui donne l’impression de ne pas être seul. Ils auront réussi à parler d’isolement, de violence sociale, de végétarisme ou encore de sujet très délicats, toujours avec une distance juste, comme l’avortement – dans la chanson « This night has opened my eyes ».

Seulement les Smiths sont un reflet trop fort, trop intense de toute une époque qui continue encore aujourd’hui. La difficulté est de ni sombrer dans une certaines complaisance romantico-dépressive, ni vider le groupe de toute sa substance. Il faut arriver à défendre et revendiquer toute la beauté qu’ils ont porté et espérer que cette écoute de « The Queen is dead » sera la dernière : espérer que demain sera le début d’un monde nouveau duquel les chansons des Smiths ne refléteront plus rien.

Manchester
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Société

Faire manger des crevettes aux enfants, l’utopie de la gauche pour Ian Brossat du PCF ?

Ian Brossat est quelqu’un de très actif sur Twitter. Cela lui permet de parler souvent sans avoir besoin d’avancer un contenu très élaboré. Avec des petites phrases, il pense pouvoir facilement se façonner une image de gauche, sans que cela n’engage à grand-chose dans le fond.

Parfois, quelques mots suffisent à en dire beaucoup sur la vision du monde d’une personnalité politique. C’est ainsi que dimanche soir, alors qu’il regardait probablement la télévision, celui qui est tête de liste du PCF pour les prochaines élections européennes a « tweeté »:

Quel bel horizon proposé pour la jeunesse populaire, manger des crevettes ! Outre le fait que la pêche à la crevette soit l’un des pires symboles de la destruction des océans, il y a là une perspective culturelle terrifiante.

Autant on peut imaginer que cela avait un sens dans les années 1950 de faire découvrir des produits de la mer aux enfants d’ouvriers de la banlieue parisienne, autant en 2018 cela relève de la supercherie la plus totale tellement le monde a changé depuis.

Si la plupart des enfants de Saint-Denis ne mangent pas de crevettes, c’est surtout parce qu’ils sont largement issus de l’immigration et que ce n’est pas dans leur habitude. Les crevettes ne valent pas plus cher dans un supermarché de banlieue que beaucoup d’autres produits très consommés.

La population, même dans un cité HLM, n’est pas misérable à ce point. Il faut vraiment être déconnecté des réalités de la classe ouvrière de France pour s’imaginer que la question se pose en ces termes.

Mais justement, Ian Brossat n’a pas grand-chose à voire avec la classe ouvrière. Il est un adjoint bien en vue à la mairie de Paris par Anne Hidalgo, dont il a été le porte-parole pendant sa campagne. Lui qui est depuis 2012 président de la Société d’économie mixte PariSeine (en charge du Forum des Halles et d’un certain nombre d’autres grands projets) ou bien qui est marié à un professeur de classes préparatoires du très bourgeois Lycée Louis-le-Grand.

C’est donc facile de regarder les « pauvres » de l’autre côté du périphérique s’organiser pour des vacances bas de gamme. Parce que si ces « colos » ne sont facturées que 100 euros à certaines familles, c’est bien la collectivité qui paye la différence. Ce sont les habitants eux-mêmes qui paient cela. Les riches ne paient pas leurs impôts locaux à Saint-Denis mais plutôt à Neuilly-sur-Seine ou à Paris, et d’ailleurs ils ont en général de nombreuses astuces pour éviter de les payer.

Ian Brossat n’a pas grand-chose à voir non-plus avec les traditions du parti communiste. Sinon, il ne citerait pas aussi facilement Capital sur M6. Cette émission est une sorte de condensé de ce que n’importe quel militant du PCF déteste. C’est une apologie grossière et racoleuse du business. Elle consiste à vendre du « rêve » capitaliste aux pauvres, en les prenant pour des imbéciles par ailleurs.

Car, même sans être communiste, n’importe qui ayant un minimum de culture et d’exigences culturelles ne peut qu’être horrifié par un tel contenu. Rien que le ton de la voix-off typique de ce genre de documentaire n’est pas acceptable. Il est d’ailleurs souvent moqué par les gens refusant une telle niaiserie.

Rejeter Capital sur M6, c’est la base pour quelqu’un de gauche. Et donc, on ne cite pas cette émission comme ça, au passage, sans la critiquer. À moins justement, encore une fois, d’être tellement déconnecté de la classe ouvrière qu’on en a pas compris le propos.

Car que disait ce reportage, qui est visible en « replay » sur le site de la chaîne moyennant le visionnage forcé de quelques publicités ? Il montrait cette « colo » communiste comme une vieillerie devant disparaître parce que les versions commerciales seraient mieux.

Ni plus ni moins, il s’agissait de dire que les établissements municipaux sont des gouffres financiers pour les mairies et sont ringards en termes de contenu. Capital faisait, comme c’est son rôle, la promotion du libéralisme en montrant les échecs du socialisme.

Ce centre, au milieu de plusieurs autres centre de vacances municipaux ayant déjà fermé, avec ses installations bas de gamme et son matériel vieilli, était tout sauf une publicité pour les communistes.

Il faut vraiment toute la candeur d’un bourgeois de l’entre-soi parisien pour y avoir vu quelque chose de positif pour le PCF, simplement parce qu’une jeune fille de banlieue y mangeait des crevettes pour la première fois de sa vie.

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Culture Nouvel ordre

La grande chanson ouvrière « L’Internationale »

L’Internationale est la grande chanson historique du mouvement ouvrier. En voici les paroles et une version chantée.

Debout, les damnés de la terre
Debout, les forçats de la faim
La raison tonne en son cratère,
C’est l’éruption de la faim.
Du passé faisons table rase,
Foule esclave, debout, debout
Le monde va changer de base,
Nous ne sommes rien, soyons tout.

C’est la lutte finale ;
Groupons nous et demain
L’Internationale
Sera le genre humain.

Il n’est pas de sauveurs suprêmes
Ni Dieu, ni César, ni Tribun,
Producteurs, sauvons-nous nous-mêmes
Décrétons le salut commun.
Pour que le voleur rende gorge,
Pour tirer l’esprit du cachot,
Soufflons nous-mêmes notre forge,
Battons le fer tant qu’il est chaud.

L’État comprime et la Loi triche,
L’impôt saigne le malheureux ;
Nul devoir ne s’impose au riche ;
Le droit du pauvre est un mot creux
C’est assez languir en tutelle,
L’Égalité veut d’autres lois ;
« Pas de droits sans devoirs, dit-elle
Égaux pas de devoirs sans droits. »

Hideux dans leur apothéose,
Les rois de la mine et du rail
Ont-ils jamais fait autre chose
Que dévaliser le travail ?
Dans les coffres-forts de la banque
Ce qu’il a crée s’est fondu,
En décrétant qu’on le lui rende,
Le peuple ne veut que son dû.

Les rois nous saoulaient de fumée,
Paix entre nous, guerre aux Tyrans
Appliquons la grève aux armées,
Crosse en l’air et rompons les rangs !
S’ils s’obstinent ces cannibales
A faire de nous des héros,
Ils sauront bientôt que nos balles
Sont pour nos propres généraux.

Ouvriers, paysans, nous sommes
Le grand parti des travailleurs,
La terre n’appartient qu’aux hommes,
L’oisif ira loger ailleurs.
Combien de nos chairs se repaissent !
Mais si les corbeaux, les vautours,
Un de ces matins disparaissent,
Le soleil brillera toujours.

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Écologie

Pourquoi la Gauche n’a-t-elle pas interdit la chasse à courre ?

Depuis 1981 et l’élection de François Mitterrand comme Président, il y a eu plusieurs gouvernements de gauche. Ils n’ont pas interdit la chasse à courre et n’ont jamais abordé la chasse non plus.

Chasse à courre

Pour la chasse, la raison en est bien connue : c’est la faute au PCF. Il se plaçait comme opposition radicale dans les années 1950 lorsqu’il était le plus grand parti politique français, mais à partir de 1958 avec le coup d’État gaulliste il s’est de plus en plus effacé. Et pour conserver son influence, il a été particulièrement populiste et a défendu la chasse avec acharnement, en disant que c’est un acquis de la révolution française.

Auparavant, seule la noblesse avait le droit de chasser et désormais, le régime républicain permettrait à chacun de le faire. Il est désormais pourtant évident qu’il ne s’agit pas que chacun puisse chasser, mais que personne ne puisse le faire. Aucune civilisation développée ne peut accepter le principe d’une personne se baladant avec une arme pour tuer un être vivant.

Cette idée d’assassinat s’appuie par ailleurs sur une approche résolument patriarcale, avec l’homme primitif abordant avec violence la réalité l’environnant. C’est un élément très important, car la chasse est une démarche partagée par des hommes, avec une idéologie viriliste agressive.

D’où justement le soutien unilatéral des structures officielles de la chasse à la chasse à courre, de par les ponts du virilisme avec la néo-féodalité, l’esprit néo-aristocrate des « équipages » de la chasse à courre et leur entourage obséquieux fasciné par le clinquant, la puissance locale, le style oligarchique.

La Gauche gouvernementale a capitulé pour cette raison devant la chasse à courre. Elle n’en a jamais fait un thème, parce que la chasse à courre est reliée à la chasse en général. Or, critiquer la chasse, ce serait rompre avec les valeurs traditionnelles, que la Gauche gouvernementale n’a jamais voulu heurter. Dans l’esprit de Sciences-Po, il y avait l’idée que tout gouvernement doit avant tout s’appuyer sur le « centre », donc sur les circuits traditionnels du régime en place.

Par là même, on doit sans doute dire que la Gauche gouvernementale a échoué du moment même où elle a capitulé devant sa volonté, juste après 1981, de supprimer l’école privée. Le front catholique en défense de « l’école libre » a été assez puissant pour casser la dynamique de Gauche, pour la faire capituler sur le plan des idées.

Chasse à courre

On dit souvent que c’est la crise économique qui a obligé la Gauche gouvernementale à abandonner sa démarche, avec également la fuite de gens très riches notamment en Suisse. Ce n’est pas vrai : la France est un pays très riche et il y avait les moyens d’avancer indépendamment des crises du capitalisme, et même contre elles. La réalité est qu’il y a eu un abandon des valeurs culturelles de Gauche, au profit d’un esprit de gestion, d’amélioration du capitalisme, comme avec les nationalisations ayant abouti à des privatisations finalement.

De toutes façons, la Gauche gouvernementale n’avait pas réellement réfléchi à tout cela. Elle est le pendant « réaliste » de la Gauche « utopiste », les deux étant nés avec 1958 comme la « nouvelle gauche », et ayant connu leur moment de gloire avec mai 1968. L’idée a toujours été de parvenir au pouvoir d’une manière ou d’une autre, afin de mettre un terme à la domination de la Droite.

C’est un grand problème de la Gauche et c’est également cette même absence de contenu bien déterminé qu’on retrouve au moment du Front populaire. Ce dernier a été construit dans l’urgence antifasciste et est un exemple historique à forcément suivre. Il est dommage cependant que l’absence de contenu ait été si important qu’il se soit justement effondré rapidement après, sans tracer de perspective.

Cela souligne l’importance de la lutte contre la chasse à courre. C’est une réalité historique qui ne peut que fédérer la Gauche, qui ne peut que la forcer à comprendre que les riches vivent à part et comme ils veulent, qu’ils ont des valeurs pratiquement fondamentalistes : la grande propriété et sa domination sur la population, l’utilisation de la nature selon les « besoins » du divertissement jusqu’au plus absurde, l’appui le plus grand aux « traditions ».

Cela ne peut qu’aider à faire se remettre en cause les hommes de Gauche qui ont été happés par la chasse, sans voir qu’ils cédaient ici culturellement à la Droite, obéissant à des valeurs contraires à ce qu’eux-mêmes défendent.

La Gauche n’a pas interdit la chasse à cour, car elle n’était pas réellement elle-même : il est temps qu’elle le soit !

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Culture

Nausicaä de Miyazaki : un film tourné vers le passé

Nausicaä de la vallée du vent est un film d’animation japonais de Hayao Miyazaki sorti en 1984, un an avant la fondation du studio Ghibli. Le film est basé sur un manga que son réalisateur avait commencé en 1982 et est une de ses réalisations les plus connues et souvent considéré à tort comme une œuvre écologiste.

Nausicaä de la vallée du vent

L’histoire se déroule dans un monde post-apocalyptique mille ans après une guerre qui a balayé la civilisation. L’humanité est disséminée entre différentes communautés et villes, séparées par des désert et une jungle toxique. Celle-ci abrite des colonies d’insectes géants qui sont capables de tout ravager lorsqu’ils entrent dans un état de rage. Les plus imposants, les « Ohms », hauts comme un immeuble et tout en longueur, sont dotés d’une carapace indestructible, ce qui rend les armes à feu dont se servent les humains complètement caduques. Ils sont le symbole de ce nouveau monde et de l’opposition entre les humains et la jungle.

Le personnage principal est la jeune princesse Nausicaä de la vallée du vent, une communauté humaine retournée à société féodale. Aimée de tous, elle est présentée comme une personne pacifique et douée d’une très forte empathie qui l’amène à se soucier du sort de tous les êtres vivants : aussi bien les humains que les plantes, la jungle et ses insectes.

La perception de Nausicaä

Le film a été perçu comme une fable écologiste contre la folie destructrice de l’Homme, et s’il y a des éléments du film qui vont dans ce sens, le fond du film n’a rien de tel.

Il y a, dans la forme, une sensibilité vers ce qui semble être la nature : c’est ce qui fait dire que le film est écologiste. Cependant, les rapports aux insectes et à la jungle sont toujours regardés du point de vue des colonies humaines.

D’une part, Nausicaä est sensible à la beauté de la nature mais sa manière de la considérer se fait selon des critères d’utilité : pour soigner la maladie de son père, et pour comprendre comment vivre avec la jungle toxique. Pour ce qui est de la protection de la nature, Nausicaä a davantage une position de princesse totale aimée d’abord par les humains, et petit à petit par la jungle qui leurs semble si hostile. A la vision utilitariste s’ajoute une dimension mystique où la nature en tant que telle s’efface encore un peu plus.

Nausicaä de la vallée du vent

D’autre part, la jungle est défendue par des insectes géants… des animaux peu considérés voire détestés par l’humanité. Cette vision de la nature (hostile) est pour le moins déplacée pour un conte écologiste. Tout dans la jungle est gigantesque : insectes, arbres, plantes, spores… En revanche, les arbres et les animaux que l’on découvre dans le monde de Nausicaä sont tous de taille raisonnable : l’être humain peut les appréhender et reste dans une position de maître et de possesseur. Le propre de la jungle toxique est de ne plus être sous le contrôle et l’emprise des humains.

Enfin, notons aussi un détail révélateur : au tout début du film, Nausicaä n’hésite pas à récupérer un morceau d’une carapace morte d’Ohm pour la rapporter au village.

Il n’y pas de Nature dans le film, seulement différentes formes de vie et d’organisation qui doivent cohabiter. Ceci traverse tout le film et va à l’encontre de l’image écologiste du film.

Nausicaä de la vallée du vent

Retourner en arrière

On ne peut pas dénoncer la folie guerrière de l’humanité et appelant à retourner en arrière, qui plus est dans un système féodal idéalisé. Ceci est d’autant plus choquant quand on sait que le Japon est loin d’avoir brisé toutes les entraves féodales de la société…

A la fascination pour un passé féodal jugé bon s’ajoute le repli sur soi, garant de calme et d’une vaine sécurité. La vallée du vent est isolée et semble coupée du temps jusqu’à ce qu’un vaisseau venant d’un autre groupe d’humain s’écrase dans la vallée : le navire a permis à des spores de la jungle toxique de s’y poser ce qui pourrait causer sa fin si les villageois ne parviennent pas à détruire tous les spores qu’ils trouvent (quitte à prendre des mesures radicales).

Non seulement le monde extérieur est perçu comme une menace, mais l’idée même d’unification de l’humanité est décriée : le seul groupement d’humains désirant cette unité ne le fait que dans une optique d’asservissement des autres contrées.

Nausicaä de la vallée du vent

Belle réalisation et absence de contenu progressiste

Esthétiquement, le film est plaisant et la musique est travaillée. L’ensemble se regarde sans problème. S’il n’y avait pas de contenu, Nausicaä de la vallée du vent serait un film parmi tant d’autres que l’histoire aurait vite plongé dans l’oubli. Mais Nausicaä n’est pas une œuvre vide de contenu, et surtout n’est pas l’œuvre de n’importe qui.

Ce décalage entre ce que porte réellement le film et ce qu’il s’imagine véhiculer est un problème qui se retrouve dans d’autres grandes œuvres de Miyazaki. Ce dernier bénéficie d’une aura progressiste en raison de la place des personnages féminins dans ces films. Il y a une dimension positive, c’est vrai. Mais celle-ci est vite brisée par un passéisme qui lui n’a absolument rien de progressiste.

Le piège se voit très bien dans Nausicaä : la princesse est une femme qui a une place important dans sa communauté. Elle est aimée de tous et veut cohabiter pacifiquement avec les autres humains et la jungle toxique. Elle est une femme forte qui s’oppose à la guerre et à la violence, quitte à mettre sa vie en danger. Mais en définitive, Nausicaä ne propose pas un monde nouveau tournée vers la paix et la vie harmonieuse. Le film propose non pas un autre futur, mais un autre passé.

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Écologie

L’ONF réclame 55 000 € à trois opposants à la chasse à courre

Le collectif AVA – Abolissons la Vénerie Aujourd’hui est victime d’une nouvelle manœuvre d’intimidation de la part de l’État, par le biais de l’ONF – Office National des Forêts. Cet établissement public a en effet intenté une action en justice le 27 juillet 2018 pour réclamer pas moins de 55 000 euros à trois personnes désignées comme « meneurs ». La démarche vise à casser brutalement le mouvement populaire contre la chasse à courre qui prend de l’ampleur dans le pays.

La chasse à courre sera abolie en France, comme elle l’a été en Allemagne en 1950, en Belgique en 1995, en Écosse en 2002 puis en Angleterre en 2005. C’est inévitable, car la population ne peut plus tolérer une telle pratique arriérée et brutale, pour ne pas dire barbare.

En attendant, les forces réactionnaires s’organisent et cherchent des moyens pour freiner la marche de l’Histoire. agauche.org a déjà signé et relayé la tribune dénonçant cette répression.

> Lire : Chasse à courre et répression (tribune)

Celle-ci prend une dimension nouvelle avec l’assignation d’AVA devant le Tribunal de grande instance de Compiègne. Outre le fait qu’elle a lieu au plein milieu de l’été pour tenter d’isoler la défense, les sommes énormes qui sont réclamées visent clairement à intimider les opposants à la chasse à courre partout en France.

De plus, comme l’a expliqué l’avocate Barbara Vrillac au Courrier-Picard :

«  L’ONF fait le sale boulot. Pourquoi en prendre trois au hasard, même s’ils ont eu les honneurs de la presse. Au niveau juridique, il va y avoir un problème. »

Depuis la fin de la dernière saison de chasse, les déclinaisons locales d’AVA se sont multipliées et l’État considère que cela devient problématique. Quand on dit l’État, il faut bien sûr penser à Emmanuel Macron, car la France a un fonctionnement de type monarchique donnant un pouvoir immense au Président de la République. C’est sous son autorité que sont désignés tant les Préfets que les directions des Établissements publics comme l’ONF (par décision du conseil des ministres, sur proposition de l’Élysée).

> Lire également : Plus de 30 000 personnes appellent à la démission du préfet de l’Oise

Dans sa communication, reprise dans l’assignation en Justice, le Préfet de l’Oise explique qu’il a écrit au Ministre de l’Intérieur et qu’il a donné des consignes pour la prochaine saison de chasse afin de disperser les « entrave au droit de chasse ».

Mais comme tout le monde le sait, le Préfet n’est qu’une autorité exécutive, un relais de l’État dans son département.

C’est la même chose pour l’ONF et on notera d’ailleurs que le Président de son conseil d’administration, Jean-Yves Caullet, est un ancien socialiste s’étant rallié à Emmanuel Macron pour la présidentielle 2017. Il a ensuite été investi par En Marche dans la 2e circonscription de l’Yonne pour les élections législatives, qu’il n’a pas remportée.

Il est évident aujourd’hui qu’Emmanuel Macron entend soutenir la vénerie et empêcher le mouvement populaire de s’exprimer. Lui qui souhaite rouvrir les chasses présidentielles et qui a fêté ses 40 ans au Château de Chambord en assistant à une chasse de manière aristocratique.

Car justement, c’est de cela dont il est question avec la chasse à courre : soit l’on considère que la France doit évoluer sur le plan culturel, soit l’on trouve qu’il est acceptable qu’une bande de notables vêtus comme des aristocrates d’un autre temps pénètre brusquement des habitations ou des terrains, traverse les routes n’importe comment et cause un raffut pas possible dans les forêts.

Outre la chasse en elle-même, que l’on peut ne pas apprécier par compassion pour les animaux, il y a surtout la manière de la chasse à courre qui est rejetée par la population.

Faut-il le rappeler, celle-ci ne consiste pas simplement à tuer un animal, mais à le poursuivre pendant des heures pour l’épuiser, le terroriser, l’isoler, le « soumettre » en lui frappant les pattes, puis le tuer avec une dague, avant de le laisser dévorer par la meute de chien.

Ce sont des notables, souvent des châtelains, qui s’adonnent à cette activité très hiérarchisée et codifiée de manière féodale. Ils ont avec eux un certain nombre de suiveurs, c’est-à-dire des gens n’ayant pas le même rang social et n’ayant pas le droit d’être à cheval. Ils peuvent quand-même se voir récompenser d’un trophée (par exemple le bois d’un cerf) si leur dévouement est considéré par le maître d’équipage.

> Lire également : La chasse à courre : une véritable néo-féodalité

Un tel panorama est absolument détestable, et n’importe qu’elle personne de gauche ne peut que souhaiter l’interdiction de cette pratique, et soutenir AVA.

Le mouvement populaire contre la chasse à courre a pris de l’ampleur après que différentes vidéos aient circulé sur internet ces dernières années. Elles montrent le comportement des veneurs qui se considèrent au-dessus de tout, à la manière de grands seigneurs sur « leur » domaine.

AVA fait un travail démocratique remarquable, en mobilisant des personnes qui étaient auparavant isolées, ne trouvant pas les moyens d’y faire face.

Cela consiste à :

  •  créer des « réseaux de voisins capables de se rassembler rapidement en cas d’intrusion » et « transformer chaque village, chaque lotissement en sanctuaire pour les animaux » ;
  •  surveiller les chasses à courre en suivant les équipages ;
  • dénoncer cette pratique par des vidéos et des plaintes ;
  • rassembler des gens capables d’aider des maires à parfaire leurs arrêtés municipaux pour protéger les villages ;
  • permettre des réunions publiques afin de sensibiliser la population et faire connaître le mouvement d’opposition ;
  • contribuer à faire avancer l’abolition de la vénerie sur le terrain parlementaire.

Il ne s’agit pas d’un mouvement d’activistes isolés, mais bien un mouvement populaire qui s’organise démocratiquement, en se donnant les moyens d’être efficace.

La plainte de l’ONF vise évidement directement cela, et son objet n’est qu’un prétexte. L’argumentation est d’ailleurs assez grotesque puisqu’elle consiste à dire qu’AVA a empêché l’exécution du plan de chasse annuel.

Cette institution considère en effet que la nature n’est pas capable de fonctionner sans les humains, et qu’il faut donc « réguler » des équilibres dans les forêts. Elle établit donc un plan de chasse et délivre des permis afin qu’il soit réalisé par des gens en faisant leur loisir.

Cela est totalement contradictoire, et en fait n’a aucun sens. Soit il y a un loisir, soit il y a une mission de service publique indispensable, mais les deux ne sont pas compatibles. Les plans de chasses ne sont qu’un prétexte pour le « loisir », et cela est flagrant avec la chasse à courre.

D’ailleurs les veneurs expliquent eux-mêmes qu’ils ne tuent pas beaucoup d’animaux en définitive et que leur action permet d’éliminer les individus les faibles… pour renforcer les espèces !

Quelle prétention, et surtout quelle mauvaise foi !

Pour l’instant, aucune date n’a été fixée pour le procès. D’ici là, pour faire face aux frais de justice et organiser sa défense, AVA a lancé une souscription populaire de soutien dont voici le lien :

Cagnotte leetchi.com Frais de justice AVA

Cet épisode de répression est un obstacle, mais il n’empêchera pas le mouvement populaire. L’opposition va forcément se généraliser pour aboutir à l’abolition de la chasse à courre en France. C’est en tous cas indispensable si l’on souhaite que le pays évolue sur le plan des mœurs et de la civilisation. Il s’agit d’une cause démocratique essentielle, et cette tentative de procès en est un moment important.

Comme le dit AVA :

« Tous les habitants et usagers des forêts, les amis de la Nature, les démocrates, les progressistes, les élus des campagnes, les artistes et intellectuels engagés doivent faire front pour défendre ce mouvement authentiquement populaire qu’est AVA ! Ensemble, nous devons faire échouer cette manoeuvre anti-démocratique ! »

La liste des groupes pour rejoindre des habitants en forêt près de chez soit est disponible en suivant ce lien.

Voici pour finir le lien vers le communiqué d’AVA :

http://ava-picardie.org/2018/08/07/lonf-reclame-55-000e-a-trois-personnes/#more-756

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Politique

Jeremy Corbyn et le Labour face à la question antisémite

Le Labour (parti travailliste) au Royaume-Uni – l’équivalent du parti socialiste – a un très gros problème, que l’on connaît bien en France, mais plutôt du côté du PCF et de la France insoumise. En effet, après un tournant pro-gouvernemental sous une forme libérale de gauche (très proche d’ailleurs d’Emmanuel Macron) avec Tony Blair, le Labour cherche depuis plusieurs années à revenir à gauche et à gagner de nouveau aux élections sur cette base.

Jeremy Corbyn

Mais il ne le fait pas en se tournant vers les socialisme, l’histoire du mouvement ouvrier. Il le fait sur un mode populiste de gauche, avec évidemment une très large ouverture à l’antisémitisme, ce socialisme des imbéciles.

Au lieu de parler de la classe ouvrière, le mot Palestine a acquis dans le Labour une dimension pratiquement magique pour avoir l’air de gauche, tout au moins de cette gauche « moderne », post-industriel, post-moderne, post-colonial, post-tout ce qu’on voudra.

Cela a pris des proportions toujours plus extrêmes, avec des attitudes et positionnements que l’on connaît bien de ce côté-ci de la Manche, pas du tout chez les socialistes mais vraiment beaucoup chez la France Insoumise et énormément au PCF.

Seulement, à un moment donné il faut être sérieux et passer soit dans l’antisémitisme ouvert, soit finalement dans son refus. Le dirigeant du Labour, Jeremy Corbyn a ainsi été obligé vendredi dernier de chercher à se sortir de ce pétrin, en publiant dans le Guardian une lettre où il affirme vouloir déraciner les antisémites de son parti.

Cela suit la publication conjointe de la part de journaux de la communauté religieuse juive le présentant comme une « menace existentielle », une rhétorique bien entendu absurde, d’ailleurs très largement poussé par les rabbins britanniques, mais qui montre le problème de fond.

Car les nombreuses initiatives antisémites dans le Labour, allant du complotisme sur le 11 septembre jusqu’à l’éloge de Hitler ou la dénonciation des « banquiers juifs », se sont engouffrées dans une critique (elle non antisémite) de l’État israélien. En fait, on peut très bien voir que sans assumer le socialisme, la critique du sionisme devient un outil pour les enragés ne voulant pas le socialisme, mais une sorte de troisième voie.

I will root antisemites out of Labour – they do not speak for me (Jeremy Corbyn)

On connaît bien cela en France avec par exemple les Indigènes de la République, mais le PCF et la France insoumise ne sont guère différents dans le fond ; eux non plus ne veulent pas du socialisme, de l’histoire du mouvement ouvrier. La Palestine est surtout pour eux un argument masquant leur défense de la « politique arabe de la France ».

Jeremy Corbyn devait donc choisir entre faire comme si de rien n’était ou bien réfuter l’antisémitisme. Il devait adopter une critique non-antisémite de l’État israélien ou bien maintenir son populisme.Il a choisi de couper la poire en deux, ce qui n’est pas possible, car hostile à l’universalité du socialisme qui rejette toute religion et exige la fusion de toute l’humanité.

Il se positionne ainsi :

« J’ai mené campagne toute ma vie pour la reconnaissance de la force d’une société multiculturelle. La Grande-Bretagne ne serait pas ce qu’elle est sans nos communautés juives (…).

Dans les années 1970, certains à gauche ont expliqué de manière erronée que « le sionisme est du racisme ». C’était faux, mais l’assertion que « l’anti-sionisme est du racisme » est également fausse. »

Cela n’a pas de sens. Soit on est pour une culture universelle et on refuse le communautarisme, auquel cas on ne peut pas accepter de particularisme religieux, national, ethnique, etc., soit on est pour le multi-particularisme mais en ce cas on ne peut plus critiquer le sionisme, ni aucun nationalisme ou tribalisme d’ailleurs.

Et cela montre que Jeremy Corbyn n’est pas sérieux dans son engagement à gauche, que la question antisémite est un vrai problème chez lui aussi, lui qui en 2010 participait le jour de l’anniversaire de la Shoah à une conférence intitulée « Plus pour personne – d’Auschwitz à Gaza » assimilant les activités de l’État israélien aux crimes illimitées du nazisme.

C’est pourquoi Jeremy Corbyn est également coincé face à la député du Labour Margaret Hoge, qui est juive et membre du Labour depuis cinquante ans, qui lui a lancé en plein parlement : « Tu es antisémite et raciste ».

Ce qu’elle lui reproche, c’est de ne pas faire en sorte que le Labour accepte la définition de l’antisémitisme formulé par l’International Holocaust Remembrance Alliance, en raison de trois points.

Le premier est la question de l’assimilation de l’État israélien à l’Allemagne nazie, que désormais Jeremy Corbyn rejette également, du moins en apparence. Le second est la question de la dénonciation de personne juives comme plus fidèle à l’État israélien qu’à leur propre pays, le troisième est la question de la considération comme quoi le sionisme a une base ethnique, donc raciste.

Jeremy Corbyn

Cette dernière question n’a pas toujours été en débat à gauche. A l’origine, la gauche soutenait le sionisme et inversement ; l’URSS a été le premier pays, sous Joseph Staline, à reconnaître l’État israélien.

Puis, rapidement, le sionisme ayant choisi de se placer sous le parapluie américain, la gauche a rejeté le sionisme, dès le début des années 1950 et en particulier à parti de 1967, période d’émergence de la gauche palestinienne.

L’État israélien se refermant toujours plus sur lui-même, s’ouvrant à la religion contrairement à auparavant, ce rejet s’est amplifié, malgré la désormais non-existence à peu de choses près de la gauche palestinienne

Il va de soi aussi que la modification toute récente de la constitution israélienne, où les Israéliens arabes deviennent des citoyens de seconde zone, ou encore le blocus maritime de Gaza par une sorte de grand mur, ne vont pas amener les choses à changer de ce point de vue.

Le Labour a alors proposé à Margaret Hoge qu’elle s’excuse, afin de ne pas avoir à faire de mesure disciplinaire à son encontre. Naturellement, elle n’a pas voulu, polarisant cette situation terrible pour la gauche britannique. Le Labour a finalement décidé de ne prendre aucune sanction à son encontre.

Cela a, au moins, le mérite de poser une question importante, à l’opposé d’en France où il n’y a eu strictement aucune autocritique de la Gauche par rapport à l’antisémitisme diffusé sous prétexte d’antisionisme. Il a fallu le mouvement Je suis Charlie pour que l’antisémitisme connaisse un coup d’arrêt, la base de la Gauche s’exprimant enfin.

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Culture

Joël Robuchon a-t-il révolutionné la gastronomie française ?

Le décès de Joël Robuchon a donné lieu à toute une série d’éloges consacrant son talent et son rôle pour la cuisine française. Il est partout expliqué qu’il a bouleversé les traditions de la gastronomie en bousculant les codes.

Joël Robuchon est connu pour avoir dit :

« À part quelques expériences intéressantes, la grande cuisine française m’emmerde ! »

C’était dans un entretien au magazine l’Express, publié le 11 juin 2009. De manière plus précise, il expliquait juste avant :

« Le concept d’Atelier […] est une formule gagnante, surtout en temps de crise, car elle correspond exactement à ce que les gourmets et les hommes d’affaires veulent aujourd’hui : un comptoir qui donne directement sur les fourneaux, une cuisine minute et sans chichis, des produits de première fraîcheur, des sets de table, des couverts en Inox, un service décontracté et une addition raisonnable.

Il y a peu de temps, j’ai eu une conversation avec François Pinault, qui fréquente mes Ateliers dans le monde entier et qui me disait qu’il supportait de moins en moins les grands restaurants. »

Il précisait ensuite :

« Les plats sophistiqués à l’extrême, les nappes matelassées, l’argenterie, le ballet de trois garçons pour vous servir une assiette et les additions stratosphériques, j’ai assez donné. Il y aura toujours une place pour ce genre d’établissements, mais les clients exigent désormais plus de simplicité, quels que soient leurs moyens. Allez faire un tour dans les restaurants trois étoiles à Paris : la plupart d’entre eux sont à moitié vides… »

Ce grand chef français avait donc fait le choix de satisfaire une clientèle mondiale, cosmopolite, en quête de modernité et de rapidité.

     Lire également > Joël Robuchon, la grande cuisine française pour les riches

Les fioritures de la table française traditionnelle apparaissant pour nombre de ces gens comme dépassées, inutiles, voire encombrantes. Il y a bien-sûr, aussi, une coquetterie de grands-bourgeois qui veulent toujours du nouveau, pour s’imaginer différents, particuliers.

Dans un autre entretien à l’Express, en janvier 2016, Joël Robuchon expliquait :

« Les États-Unis font partie des pays où il y a le plus de végétariens. Même de vegan. On doit avoir des menus pour eux. A Las Vegas [dans son établissement], 20 à 30% de la clientèle est végétarienne, certains jours. »

Il affirmait également :

« Des pays qu’on n’attend pas se rendent compte de tous les bienfaits des produits sains, naturels, sans pesticides ou autres. La France est un des derniers d’Europe dans ce domaine. De toute façon, il faudra changer. »

On a là encore une volonté de s’adapter à une société changeante. Il adoptait un point de vue pragmatique, avec une démarche ouverte, non sectaire.

En mai 2013, dans un entretien au Figaro cette fois, il présentait un projet de restaurant à orientation végétarienne, à Bombay en Inde, avec ce discours :

« Mon constat est simple. C’est maintenant que se jouent les dix prochaines années. Elles s’appuieront sur la santé, et en cela, la cuisine végétarienne sera l’un des axes de cette évolution. Je veux être là. Voilà pourquoi, malgré l’avis de mes proches collaborateurs, j’ai décidé d’ouvrir un Atelier à Bombay à la fin de l’année. J’ai besoin d’apprendre leur cuisine et de suivre leur talent pour jouer avec les légumes et les épices. On n’imagine pas combien un simple plat de lentilles, de pois chiches, de courgettes ou de soja peut être grand… Aujourd’hui, je suis un apprenti, je recommence à zéro. »

Et quand les journalistes lui demandent si la cuisine végétarienne est vraiment de la gastronomie, il répondait franchement :

« Oui, regardez ce que font Alain Passard et Frédéric Anton avec une simple betterave. Le tout, c’est de ne pas s’enfermer dans la haute gastronomie et ses prix astronomiques, mais de rester sur terre. À l’image de ce que nous avons fait dans les Ateliers créés il y a dix ans: de la haute cuisine abordable avec un service convivial. Pas besoin de se compliquer la vie et de multiplier les prix par trois (étoiles). »

De manière intéressante, il a pu dire également :

« Nous quittons la cuisine sophistiquée pour aller vers plus de sagesse, ensuite ça tournera encore. La simplicité reste l’un des plus durs des challenges. Je rêve de voir le concours du Meilleur Ouvrier de France se jouer autour d’un panier de légumes ! »

Ce discours de « bons-sens », de simplicité élaborée, il l’a multiplié à l’envi. C’était comme une marque de fabrique, sa signature, à l’image de sa fameuse « purée ».

Joël Robuchon était-il une figure importante ayant fait avancer la gastronomie française ou bien a-t-il surtout eu un discours conforme à ses exigences commerciales dans une économie mondialisée ?

A-t-il révolutionné la gastronomie française ?

La France est un pays de lettres, donc quand il y a un sujet, il y a souvent au moins un auteur ou un écrit qui lui est associé. En ce qui concerne le gastronomie, c’est l’ouvrage La Physiologie du goût de Jean Anthelme Brillat-Savarin qui fait office de référence.

Publié en 1825, il y a près de deux siècles, toutes les prétentions de Joël Robuchon en termes de simplicité, de bon goût, d’authenticité dans les saveurs, d’intérêt pour la santé, y figurent déjà. Et en mieux, car c’est affirmé d’une manière bien plus radicale et universelle.

Le point de vue est évidemment bourgeois, mais il prend le parti de la civilisation, et non pas de simplement satisfaire quelques clients fortunés à travers le monde.

Jusqu’en 2018, Joel Robuchon a donc surtout été un homme en retard de deux siècles par rapport aux prétentions qu’a pu avoir la bourgeoisie en ce qui concerne la gastronomie.

L’ultra-formalisme et l’entre-soi porté par la grande cuisine française, ou du moins ce qu’elle est devenue au XXe siècle avec ses étoiles au guide Michelin, doit bien-sûr être critiqué, rejeté.

Mais il faut pour cela se tourner vers la population française elle-même, et non pas pratiquer la fuite en avant cosmopolite, au service d’une minorité d’ultra-riches mondialisée.

Bien sûr, la démarche d’ouverture sur le monde est forcément positive ; elle est d’ailleurs constitutive de l’identité française, et donc de la gastronomie française. Mais cela ne signifie pas qu’il faille pour autant jeter par la fenêtre l’héritage culturel français de la grande cuisine et tout l’art de vivre qu’il porte en lui.

La question du végétarisme, et surtout en fait du véganisme, est ici quelque chose de très intéressant. À partir du moment où la question des animaux dans l’alimentation est posée et qu’il est matériellement possible d’y répondre, une société pacifiée et civilisée doit forcément y répondre.

Joël Robuchon n’a pas vu cela, car il ne s’est pas intéressé à la société. Il a simplement entrevu cette possibilité, en tant qu’opportunité commerciale et défit technique. On peut penser que cela est utile, contribuant à faire évoluer les mentalités de par l’influence qu’il a sur la société en tant que grand chef. Mais ce n’est bien sûr pas suffisant. Sa démarche n’était qu’anecdotique, incapable d’aller dans le sens d’un réel engagement.

En ce sens, on ne peut pas dire que Joël Robuchon ait révolutionné la gastronomie française, il l’a simplement modernisé dans un sens plus conforme à son époque.

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Culture

Joël Robuchon, la grande cuisine française pour les riches

Le chef Joël Robuchon est décédé ce lundi 6 août, à 73 ans. Il est unanimement salué et reconnu comme une figure de la grande cuisine française, qu’il a largement participé à promouvoir dans le monde, mais uniquement pour les riches.

À vrai dire, peu de personnes ont réellement goûté à la cuisine de Joël Robuchon. Celle-ci était en effet réservée à une minorité de gens ayant les moyens économiques et culturels de manger dans ses établissements.

Il en est ainsi du luxe et d’une manière générale, de l’art de vivre à la française, accaparé de manière quasi-exclusive par la bourgeoisie. Pour autant, on aurait tort de croire que cette exigence ne concerne que les plus riches simplement parce qu’ils s’en réservent le résultat, réel ou supposé.

L’image d’une immense brigade de cuisiniers en blancs s’affairant sans répits avec des casseroles traditionnelles et des produits frais méticuleusement choisis, est quelque-chose qui plaît largement, à travers toutes les couches sociales.

Joël Robuchon est en ce domaine très apprécié car il incarnait précisément ce style français. Son succès, outre son talent qu’on imagine certain, vient du fait qu’il a su se présenter comme prônant la sophistication, dans une quête de l’excellence.

Il est systématiquement présenté par ses pairs comme un forçat de travail, précis et perfectionniste. Le chef du restaurant parisien trois étoiles L’Arpège, Alain Passart, dit par exemple de lui :

« Il avait une main redoutable et goûtait merveilleusement bien. Il savait corriger un assaisonnement olfactivement. Il avait également une oreille de dingue : il écoutait les cuissons et rectifiait à distance si besoin. »

Sa rigueur vient bien sûr de sa formation originale en pâtisserie, qui est une branche de la cuisine française particulièrement stricte. Il expliquait ainsi lui-même :

« Lorsque vous avez été pâtissier, vous regardez les choses avec un autre oeil. Vos gestes dans la cuisine ne sont pas les mêmes. Il faut faire preuve d’encore plus de précision. Le travail [de pâtisserie] n’est que formule et technique pure. Et ces qualités vous aident plus tard, lorsque vous arrosez un poulet en train de rôtir, quand vous déglacez un plat ou troussez une volaille. »

Joël Robuchon a été formé à l’école des Compagnons du tour de France des Devoirs unis, c’est-à-dire dans un style tout à fait traditionnel, puis a été Meilleur ouvrier de France en 1976. Rapidement, il a décroché deux étoiles au guide Michelin, puis une troisième, la plus haute distinction, en 1984.

Bien que classique, son approche se voulait néanmoins moderne, et donc tournée vers le business. En 1990, il était sacré « meilleur cuisinier du siècle » par le guide Gault & Millau, représentant du courant moderniste de la « Nouvelle cuisine », issue des années 1970

     Lire également > Joël Robuchon a-t-il révolutionné la gastronomie française ?

Après avoir pris sa retraite de chef cuisinier en 1996, à 51 ans, il a développé à travers le monde tout une série de restaurants se voulant à la fois classiques à la française et modernes de manière cosmopolite.

Dans son édition d’aujourd’hui, le journal de droite Le Figaro, qui apprécie largement la démarche du chef, explique :

« Lassé de la haute gastronomie, des plats hyper techniques et des multiples contraintes d’un quotidien harassant, il se ressource et découvre une autre culture, un autre mode de vie. Cela lui inspirera le concept de l’Atelier, qu’il dupliquera partout dans le monde quelques années plus tard, oubliant son désir de retraite oisive. »

Ensuite, il a multiplié les concepts avec des dizaines d’établissements, à Paris, Bordeaux, Tokyo, Hongkong, New York, Bangkok, Las Vegas, Londres, Macao, ou encore Shanghai.

En homme d’affaire aguerri, il n’avait pas la gestion de ces lieux. Il les supervisait simplement, parfois à bord d’une Rolls-Royce mise à disposition, après avoir élaboré la carte et choisi les équipes. Il percevait en échange une redevance, à la manière d’une franchise ou de droits d’auteurs.

Ses contrats de licence et ses marques étaient partagées avec un fonds d’investissement luxembourgeois. Ce parfait capitaliste a très tôt goûté au monde des affaires en s’associant au groupe Fleury Michon dès 1987, puis à la marque Reflets de France de Carrefour en 1996.

Le grand public le connaît surtout pour l’image du chef traditionnel et quelque peu ringard qu’il a su façonner à la télévision. Durant neufs saisons, de 2000 à 2009, tous les midis en semaine, il a conclu chaque épisode de son émission de la même manière : Au revoir, et bon appétit bien sûr !

Pendant 4 min, il expliquait succinctement une recette dite traditionnelle, sans que cela ne soit réellement transposable dans sa cuisine pour le quidam, malgré les prétentions populaires de l’émission.

Ce qui semble avoir le plus marqué les esprits est l’épisode dans lequel il «révèle» comme cadeau de fin d’année le « secret » de sa purée de pomme de terre, particulièrement appréciée dans ses restaurants.

Cela est très cocasse pour celui qui est censé être le chantre de la gastronomie française, car il ne s’agit nullement d’une recette raffinée mais plutôt d’un goût très grossier, permis par une quantité immense de beurre. Il ne conseillait pas moins que 250 g de beurre pour 1 000 g de pomme de terre ! Et cela sans compter les « 20 à 30 centilitres de lait entier » à ajouter.


Cette émission d’un populisme outrancier résume bien la carrière de Joël Robuchon. Sa démarche n’était pas démocratique, mais tournée vers l’enrichissement personnel.

La grande cuisine française a forcément une valeur autre que symbolique, et Joël Robuchon en est certainement un grand représentant, comme l’affirment nombre de spécialistes. Il n’est pas question ici de nier la tradition classique française, avec son raffinement et son art de table issue largement du Versailles de Louis XIV.

Cependant, du point de vue populaire, l’excellence à la française n’est qu’une fiction inaccessible. Elle n’a d’utilité, en matière de gastronomie, que comme faire-valoir pour l’agro-industrie et les entrepreneurs capitalistes du « terroir », eux-mêmes liés à cette agro-industrie et à la grande distribution.

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Culture

La chanson « La jeune garde »

La chanson « La jeune garde » relève du patrimoine ouvrier français, avec ses qualités mais également ses grandes limites. Elle est encore connue, parfois, dans certains milieux ayant conservé une tradition relevant, il est vrai, plus du folklore qu’autre chose.

Elle est née en 1910 (ou en 1912 selon les sources) comme Chanson des jeunes gardes, avec un texte de Gaston Montéhus (en fait Gaston Mardochée Brunswick, 1872 – 1952) et un arrangement musical de Saint-Gilles (pseudonyme d’une personne morte en 1960).

Son succès repose sur la dynamique d’une opposition : d’un côté il s’agit d’une mise en garde aux ennemis de la Gauche, de l’autre d’un appel à former une jeunesse sur ses gardes.

Voici les paroles (le premier couplet manque dans la version ci-dessus).

Nous somm’s la jeune France
Nous somm’s les gars de l’avenir,
El’vés dans la souffrance, oui, nous saurons vaincre ou mourir ;
Nous travaillons pour la bonn’cause,
Pour délivrer le genre humain ,
Tant pis, si notre sang arrose
Les pavés sur notre chemin

[refrain] Prenez garde ! prenez garde !
Vous les sabreurs, les bourgeois, les gavés, et les curés
V’là la jeun’garde v’là la jeun’garde qui descend sur le pavé,
C’est la lutte final’ qui commence
C’est la revanche de tous les meurt de faim,
C’est la révolution qui s’avance,
C’est la bataille contre les coquins,
Prenez garde ! prenez garde !
V’là la jeun’garde !

Enfants de la misère,
De forc’ nous somm’s les révoltés,
Nous vengerons nos mères
Que des brigands ont exploitées ;
Nous ne voulons plus de famine
A qui travaille il faut des biens,
Demain nous prendrons les usines
Nous somm’s des homm’s et non des chiens

Nous n’ voulons plus de guerre
Car nous aimons l’humanité,
Tous les hommes sont nos frères
Nous clamons la fraternité,
La République universelle,
Tyrans et rois tous au tombeau !
Tant pis si la lutte est cruelle
Après la pluie le temps est beau.

On voit aisément le ton qui est, somme toute, très XIXe siècle, avec un fond culturel éminemment républicaniste et syndicaliste.

Utilisée d’ailleurs initialement par les jeunesses de la Section Française de l’Internationale Ouvrière (SFIO) avant la première guerre mondiale, elle devint pour cette raison, après le congrès de Tours de 1920, une chanson tant par des jeunesses liées au Parti Communiste – Section Française de l’Internationale Communiste que de celles liées à la « vieille maison ».

Sa période de gloire date d’ailleurs du Front populaire ; les communistes changeront cependant le « Nous sommes la jeune France » en « Nous sommes la jeune garde ».

Deux couplets s’ajoutèrent par la suite.

Quelles que soient vos livrées,
Tendez vous la main prolétaires.
Si vous fraternisez,
Vous serez maîtres de la terre.
Brisons le joug capitaliste,
Et bâtissons dans l’monde entier,
Les États-Unis Socialistes,
La seule patrie des opprimés.

Pour que le peuple bouge,
Nous descendrons sur les boulevards.
La jeune Garde Rouge
Fera trembler tous les richards !
Nous les enfants de Lénine
Par la faucille et le marteau
Et nous bâtirons sur vos ruines
Le communisme, ordre nouveau !

La chanson a toutefois relativement perdu sa valeur, se maintenant uniquement par un esprit folklorique qu’on peut librement trouver ridicule ou pathétique.

Voici ainsi une vidéo du Parti socialiste du Bas-Rhin lors du premier mai de 2009, puis une chorale à la fête de l’Humanité en 2016, et enfin la version la plus connue de la chanson, avec une image de Castro et Guevara qui ne doit pas étonner, puisque la chanson fut largement appréciée par les Jeunesses Communistes Révolutionnaires, dont le trotskisme se voulait également en quelque sorte guévarisme.

Vu comme cela, ça ne donne pas envie et cela révèle beaucoup de choses sur les faiblesses des traditions de la gauche française. Tout repose ici sur un symbolisme dont le manque de consistance est patent.

Il est à noter que la chanson a eu son importance en Espagne. Reprise par la Jeunesse Communiste, elle devint l’hymne des Juventudes Socialistas Unificadas après l’unification des jeunesses du Parti Communiste d’Espagne et du Parti Socialiste Ouvrier Espagnol en mars 1936.

Le texte est plus volontaire, puisque c’est « le bourgeois insatiable et cruel » qui est mis en garde, avec la fin de l’exploitation annoncée par l’appropriation des usines.

La chanson « La jeune garde » fait partie du patrimoine, mais le maintien de son existence en France reflète un fétichisme d’une affirmation purement symbolique de la lutte.

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Politique

La réponse de Dieudonné face à « Jeunesse contre la Haine Haute-Savoie »

Il y a quelques mois, le 14 avril 2018, l’humoriste antisémite Dieudonné prévoyait de jouer à Annecy (Haute-Savoie).

Dieudonné

Un groupe de jeunes progressistes nommé « Jeunesse contre la Haine Haute-Savoie » a prit la décision de lancer une véritable offensive face à Dieudonné. N’étant que très peu nombreux, et avec des moyens limités, ces derniers ont dû mener une bataille pour empêcher sa venue. Ce ne fut pas chose aisée, face au libéralisme ainsi qu’à l’antisémitisme ayant gangrené la gauche.

Ces jeunes progressistes ont donc tracté dans les rues d’Annecy, essayant d’alerter la population locale face à cette menace, et ont également lancé une pétition…

Ce n’est qu’après une campagne médiatique qu’un certain écho est revenu : un peu plus de 200 personnes avaient signé la pétition le 14 avril 2018 et plusieurs élus locaux avaient également apporté leur soutien, ce qui avait permis d’annuler la réservation de la salle où Dieudonné devait initialement se produire.

Il a alors rusé, pour finalement se produire dans un champ.

>> La page Facebook Jeunesse-contre-la-haine-Haute-Savoie

Les idées progressistes de « Jeunesse contre la Haine Haute-Savoie » ayant réussi à contrer l’installation de Dieudonné dans un cadre « officiel » , mais n’ayant pas réussi à mobiliser la population locale montrent deux choses très importantes :

  • premièrement, que la gauche est en totale décomposition, incapable de s’en tenir à ses idées fondamentales, tel le progressisme ;
  • deuxièmement, que sans un appui dans les masses populaires, on ne peut que freiner les idées réactionnaires, et non les stopper.

Vincent Lapierre, « journaliste » pour Égalité et Réconciliation TV, le média d’Alain Soral, a réalisé une vidéo gratuite de plus de 23 minutes en compagnie de Dieudonné, et une version payante plus longue, qui n’a comme seul but que de faire passer Dieudonné pour une victime du système et « Jeunesse contre la Haine Haute-Savoie » comme une « obscure association », qui ne « représente qu’elle-même ». Elle se représente visiblement si bien « elle-même », qu’elle a réussi, même avec une large supériorité numérique des fans de Dieudonné dans la région, à empêcher sa venue dans une salle.

Dans cette vidéo, on y voit d’abord Vincent Lapierre poser des questions aux spectateurs.

Ces questions font référence au texte de la pétition proposée par « Jeunesse contre la Haine Haute-Savoie » posant la question : «  Trouvez-vous que Dieudonné est antisémite ? »

Les personnes interrogées répondent qu’ « il faut sans cesse se remettre en question » et ajoutent que Dieudonné n’est pas antisémite.

Tout le reportage est filmé de manière à faire croire que « Jeunesse contre la Haine Haute-Savoie » est derrière tout ça, menant un véritable délire complotiste. À partir de la troisième minute de la vidéo, on apprend que la salle à Annecy sera annulée pour Dieudonné, et nous avons une véritable impression de surprise et d’émotion : le caméraman a choisi de faire un plan rapproché sur Hervé, la personne s’occupant de la réservation des salles pour Dieudonné, au moment où ce dernier semble inquiet.

S’ensuivent plusieurs minutes de dialogue entre Hervé et Vincent à propos d’Annecy.

On y voit Hervé inquiété par la victoire des idées progressistes.

Par la suite, Vincent interroge Dieudonné sur la manière dont il vit cela. Ce dernier répond en osant se comparer à l’un des plus grands écrivains et dramaturges français :

«  Molière en d’autres temps, qui était chassé par le roi à un moment donné parce qu’il a pas dû faire rire et donc il se retrouve sur les routes avec sa roulotte, bah c’est un peu ça ».

Ce passage montre une nouvelle fois le caractère complotiste de Dieudonné, le roi étant ici « Jeunesse contre la Haine Haute-Savoie ».

Nous voyons bien là qu’il cherche à discréditer le groupe de jeunes progressistes, en se basant uniquement sur le nombre de mentions « j’aime » sur leur page Facebook.
C’est pathétique.

Il ne s’attaque même plus à un contenu, mais à la forme… De même, il ajoutera à propos de l’interdiction de son spectacle : « est-ce que c’est vraiment la police[qui a fait pression sur le propriétaire de la salle], ou pas ? » rajoutant, en moins de deux minutes, une nouvelle théorie délirante. Durant les 16 minutes suivantes, on y suit Dieudonné cherchant un lieu pour sa représentation, qui finalement sera un champ à 12 km d’Annecy.

Dieudonné et Alain Soral au tribunal
Dieudonné et Alain Soral au tribunal

Dieudonné a eu besoin d’une vidéo de 23 minutes et d’un article sur « Égalité et Réconciliation TV » pour dire que ces attaques ne l’atteignaient pas, alors qu’on sait que ce dernier n’en menait pas large quant au devenir de sa représentation à Annecy.

Cela sera finalement une demi-victoire pour « Jeunesse contre la Haine Haute-Savoie », qui a réussi à tenir sa ligne, à freiner Dieudonné dans son élan, ainsi qu’à bien l’importuner pendant quelque temps.

Notons que ce dernier prévoit à nouveau de jouer à Annecy, le 14 mars 2019. Cette fois, il n’aboutira à rien et ne fera même pas de « spectacle » dans un champ !

> À lire ailleurs : une présentation de « Jeunesse contre la Haine Haute-Savoie » par le site annecygauche.noblogs.org

 

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Culture

La Saline Royale de Claude-Nicolas Ledoux

La Saline Royale d’Arc-et-Senans est un ensemble industriel conçu par Claude-Nicolas Ledoux au dernier quart du 18ème siècle.

La situation géographique du site est dictée par les contraintes économiques. L’agencement des bâtiments quant à lui répond à une ambition d’un genre nouveau; il s’agit d’intégrer la vie des travailleurs toute entière dans le lieu de production.

Le sel est une marchandise précieuse sous l’ancien régime. La fiscalité du royaume repose en effet en partie sur la perception d’un impôt sur le sel, la gabelle.

La diversification des procédés de fabrication incluant le sel et l’essor de la bourgeoisie et de son mode de vie, deux phénomènes liés au développement du capitalisme, provoquent une hausse importante de la demande en sel.

Claude-Nicolas Ledoux est commissaire des salines de Franche-Comté, de Lorraine et des Trois Evêchés (les régions de Metz, Toul et Verdun).

Il doit faire face aux rendements insuffisants du principal site de production de cette province, situé à Salins-les-Bains. Il élabore un projet intégralement nouveau : ce sera la Saline Royale d’Arc-et-Senans.

Le site choisi pour l’implantation du nouvel outil de production dispose de nombreux atouts. La forêt de Chaux, l’une des plus étendue de France, pourra fournir le combustible nécessaire, le massif du Jura offrira la protection et la pente nécessaire au procédé de transformation de la matière première, et l’eau douce, abondante dans le secteur, permettra aux hommes de vivre.

La Saline Royale répond à un plan en demi-cercle. Il ressort une grande harmonie du dessin général du site. Cinq bâtiments alignés forment un segment servant de diamètre à un arc de cercle composé lui-aussi de cinq bâtiments.

Neuf allées disposées en rayon découpent l’espace. La maison du directeur, comme un point d’équilibre, est située au centre de cet hémicycle de 185 mètres de rayon.

Imprégné des philosophes de son siècle et de la pensée rationnelle qu’elles portent, Claude-Nicolas Ledoux produit une oeuvre architecturale guidée par la symétrie et la rigueur des formes géométriques.

Il puise largement dans l’antiquité grecque pour le dessin de ses bâtiments, répétant dans un alignement parfait les voûtes en demi-cercle (dites en plein cintre) et les frontons triangulaires portés par des colonnes. Les bâtiments de la Saline Royale sont typiques de l’architecture néo-classique.

Néanmoins, il ne faut pas se méprendre, l’ensemble architectural n’a pas de vocation philanthropique. Tout a été pensé pour servir les intérêts de la Couronne dans la production de sel. Ainsi, le large mur d’enceinte n’est percé que d’une unique porte facile à garder.

De même, la maison du directeur est placée au centre du plan, de manière à pouvoir surveiller les autres bâtiments, notamment au travers de l’oculus placé sur le fronton de la façade. De chaque côté de la maison du directeur sont positionnés symétriquement les bernes, c’est-à-dire les ateliers.

Ce sont des bâtiments abritant les dernières étapes du processus de transformation de l’eau saumâtre en sel, la cristallisation par chauffage et évaporation. Aux extrémités du segment se trouvent les bâtiments administratifs, dont le bâtiment de la gabelle.

Claude-Nicolas Ledoux a réparti les bâtiments afin de limiter les déplacements au maximum, pour éviter les efforts inutiles et ainsi gagner du temps dans les étapes de production.

Les bâtiments occupés par les forges, les maréchaux et la tonnellerie font ainsi face aux bernes.

Ledoux a envisagé la Saline Royale comme le cœur d’un projet plus ambitieux encore. Une sorte de cité idéale nommée Cité de Chaux. Organisée en une série de cercles concentriques, elle aurait consisté, si cette ville avait vu le jour, en un ensemble de bâtiments destinés à combler les besoins des travailleurs de la Saline Royale et de leurs familles dans tous les domaines.

Le projet de Cité comporte un marché, des boutiques et des ateliers artisanaux, un hôpital, un palais de justice, une nécropole, une église et des bains.

Le dessin cherche à la fois l’harmonie dans les proportions et l’équilibre entre la pierre et les arbres, en adéquation avec la pensée rousseauiste.

Seule la partie strictement productive du projet est sortie de terre. La Cité est donc réduite à l’unité de production, la Saline Royale. Les logements des ouvriers berniers ont fait l’objet d’un soin particulier. Ils sont situés au plus près des ateliers, afin de limiter les déplacements et ont été conçus pour être plus confortables que les logements communs des ouvriers de l’époque. L’idée est de fixer la population ouvrière et de conserver au mieux sa capacité de travail.

Les bâtiments des logements ouvriers présentent douze chambres de quatre lits et une grande salle commune prévue comme cuisine et pourvue d’une cheminée monumentale. A l’extérieur, les ouvriers disposent d’une surface de terrain pour la culture potagère.

Environ 240 personnes vivent et travaillent à la production, la Saline Royale met sur le marché entre 3000 et 4000 tonnes de sel par an. L’exploitation cesse en 1895 et le site restera à l’abandon près d’un siècle avant d’être entièrement restauré à la fin du siècle dernier, avec désormais un musée.

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Réflexions

Un manque de suite dans les idées dans le métro parisien

Les Français manquent de suite dans les idées : c’est un constat simple, mais qui semble si vrai dans les petits détails. La dernière fois, à Paris, sur une de ces lignes du centre-ville, une femme encore jeune, habillée de manière si ce n’est cossue au moins chic, s’aperçoit qu’elle devrait descendre.

Elle le fait tardivement ; elle avance, elle recule, elle tergiverse, elle ajourne son élan,

Enfin, la sonnerie retentit, les portes se ferment ou quasiment et elle, consciente de cela, passe tout de même ou du moins, tente seulement bien sûr de passer, pour s’encastrer dans les battants se fermant. Tout cela devant les yeux de contrôleurs présents juste à côté d’elle.

Un abîme de perplexité sur le visage de ceux-ci. Une attitude humaine, avec cet air gêné, qui veut éviter la moquerie mais s’aperçoit du caractère pittoresque de la scène, presque burlesque même avec les mimiques de la femme.

Puis, il y a les réactions. « La sonnerie a retenti » dit l’un, alors que l’autre a écarté les portes pour l’aider à s’extraire. La femme descend, titube en faisant quelques pas en ayant l’air de dire qu’en fait elle n’aurait pas dû descendre. Elle fait mine de remonter, alors que la sonnerie retentit de nouveau ; elle fit finalement un geste de la main qui semble vouloir dire : « tant pis ! ».

Faut-il ici se demander si dans un pays du Nord, plus policé dans ses mœurs, les contrôleurs l’eurent vertement enguirlandé, ou bien si la femme en question n’eut pas l’idée d’une telle aberration ? C’est que les Français n’ont pas de suite dans les idées. Adeptes de l’immédiatisme, ils se précipitent. Si je le pense, c’est que je le suis !

C’est comme, une chose unique à voir quand on y pense, ces Parisiens commençant à courir dans le métro, alors que la sonnerie du métro retentit et qu’ils sont loin : en haut d’un escalier, voire dans un couloir, à trente mètres, où la dite sonnerie résonne.

On se dit alors : c’est trop tard, on l’a raté. Mais comme il n’y a pas de suite dans les idées, c’est la fuite en avant. Ou bien est-ce un manque d’esprit d’à propos ?

Autre fait, plus grave, plus écœurant aussi : cette manière de laver, ou plus précisément de ne pas laver les barres métalliques plantées dans les rames de métro et servant à se tenir. Avez-vous déjà assisté à un lavage d’une de ces barres ? C’est très français.

Arrive en effet un pauvre hère, mal payé, qui très visiblement vit mal son travail. Il prend une sorte de chiffon d’une couleur indescriptible, voire non identifiable. Il le fait passer sur la barre de bas en haut. Aucun produit n’a été utilisé pour rendre utile la démarche.

Puis, il passe à la barre métallique se situant juste à côté de la première, à une cinquantaine de centimètres peut-être. Il conserve le même chiffon, faisant exactement les mêmes mouvements, avec toujours comme l’âme paralysée, l’esprit ankylosé.

Il faut se figurer ce que cela signifie. Le chiffon sale se voit ajouté de la saleté, servant de grand intermédiaire de la saleté se projetant de barre en barre, acquérant la propriété quasi magique de projeter son contenu de part en part, participant à l’essaim des saletés s’éparpillant de manière exponentielle dans toutes les rames !

Serait-ce là une allégorie de cette léthargie qui se répand, se propage, s’empare des Parisiens, les endormant au point qu’ils ne voient plus le rythme oppressant, l’aliénation sous-jacente à la « vie » dans une grande ville ? Qui les prive de cette suite dans les idées qui, après tout, est tout de même la base de toute orientation correcte dans la réalité ?

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Culture

Joint Security Area (2000)

Le film Joint Security Area, du réalisateur sud coréen Park Chan-wook, est un oeuvre à voir absolument pour qui s’intéresse à la culture coréenne, et plus généralement pour toute personne portant les valeurs de l’universalisme.

Joint Security Area

Sorti en 2000, il est souvent considéré comme le film marquant le début de ce qu’on appel la Nouvelle Vague du cinéma sud coréen.

En France ce statut est plus généralement accordé à Memories of Murder de Bong Joon-ho l’autre réalisateur phare de cette Nouvelle Vague (auxquels ont pourrait ajouter Kim Jee-woon). Cela s’explique notamment par le fait que celui-ci marque l’arrivée du cinéma sud coréen dans les cinémas de France, bien que de manière assez confidentielle, attirant principalement les cinéphiles amateurs de culture asiatique.

Joint Security Area, s’il a connu un énorme succès dans son pays d’origine, n’a pas eu accès à la sortie en salle en France et n’est sorti en DVD qu’en 2009, alors que la réputation de Park Chan-wook était déjà établi par sa « trilogie de la vengeance ».

Joint Security Area

Si ses autres films ne sont pas dénués d’intérêt Joint Security Area reste sans nul doute son oeuvre la plus aboutie et la plus intéressante, un très grand film de cinéma, et bien plus que cela.

L’histoire prend place fin des années 90 dans la « Zone coréenne démilitarisée », une zone qui longe la frontière entre Corée du Nord et Corée du sud, et plus précisément au sein de la « zone de sécurité commune » (« joint security area » en anglais), qui est sous le contrôle de l’ONU.

En ouverture du film on retrouve justement l’ONU qui a dépêché une enquêtrice Suissesse d’origine sud coréenne pour démêler le vrai du faux dans une affaire qui vient d’éclater dans la zone : un soldat sud coréen s’est retrouvé dans le poste frontière nord coréen juste en face de son propre poste de garde et y aurait abattu deux soldats du nord, un seul autre ayant survécu.

Joint Security Area

La version de la Corée du sud est qu’il s’est fait enlevé par ces soldats et a réussi à prendre la fuite en en tuant deux pour se défendre.

La version de la Corée du nord est qu’il s’est infiltré avec pour but de tuer.

Très vite, lorsque l’enquêtrice va interroger les deux soldats impliqués, on se rend compte que l’histoire est sûrement plus compliquée qu’une de ces deux versions.

La majorité du film prend alors lieu dans des flashbacks « subjectifs » dans le sens où ces flashbacks correspondront aux versions racontées par les différentes protagonistes et pas nécessairement à l’histoire telle qu’elle a réellement eu lieu.

Par l’avancée de l’intrigue et donc l’avancée des flashbacks le film va monter tout du long en intensité dramatique, jusqu’à un climax assez éprouvant, mais magnifique.

Joint Security Area

Park Chan-wook y mêle à merveille cette tension de plus en plus insoutenable à un humour bien senti qui permet d’apporter un peu d’air, sans pour autant jamais tourner en ridicule les situations. C’est d’ailleurs une particularité qu’on retrouvera souvent dans ce cinéma sud coréen, notamment dans le très dur mais parfois très drôle Memories of Murder déjà cité.

Ce difficile équilibre où de nombreux films se cassent les dents sur l’un ou l’autre des aspects (voir les deux) est possible grâce à la grande maîtrise de la mise en scène de Park Chan-wook ainsi que par la formidable prestation des acteurs qui sonne très vraie et tout simplement très… humaine. Il y a une vraie chaleur humaine qui se dégage de nombreuses séquences.

Il est d’ailleurs à noter que ce film marque aussi l’arrivée sur le devant de la scène de plusieurs acteurs que l’on retrouvera dans de nombreux films majeurs de cette nouvelle vague, dont principalement Song Kang-ho (Memories of Murder, The Host, Le bon, la brute et le cinglé…), mais aussi Lee Byung-Hun (Le bon, la brute et le cinglé, A bittersweet life, A meet the devil…), soit les deux acteurs principaux de JSA, les deux survivants de l’affaire.

Joint Security Area

Mais au delà d’un film parfaitement maîtrisé dans sa forme, c’est aussi un film important et éblouissant quand à ce qu’il raconte, ce qui en ressort, à savoir une ode à l’unité du peuple coréen. Aussi bien par l’histoire, par l’intrigue qui place la fraternité au centre, que par la mise en scène.

La plus grosse partie du film prend place dans une zone très restreinte : au niveau des deux postes de garde frontière, juste séparé par un pont de quelques mètres.

La réalisation n’aura de cesse de jouer sur cette frontière par différents plans de caméra. Ou  par des scènes comme celle où des soldats se retrouve perdus, ne sachant même pas de quelle côté ils sont.

Joint Security Area

Et cette mise en scène va plus loin puisqu’elle se joue aussi de la frontière non pas au sol, entre deux pays, mais culturelle, entre deux peuples qui ne font en fait qu’un, dans de superbes plans, transitions, ou tout simplement par le décor, les costumes, les dialogues.

Ces frontières, ces divisions, deviennent alors totalement artificielles.  

Park Chan-wook ne s’attarde jamais sur la politique des deux états, tout juste sont-ils évoqué et subtilement critiqués (comme l’ONU par ailleurs) surtout pour leur agressivité envers leur voisin. Ce qui l’intéresse vraiment c’est le peuple coréen, représenté ici par plusieurs soldats qui exercent leur service militaire, et par l’enquêtrice dont le passé que l’on découvre vers la fin du film, est lourd de sens.

Joint Security Area

Il est à noter que l’éditeur et distributeur français La Rabbia a lancé un remasterisation 4K du film tout récemment, et a permis sa diffusion dans quelques salles de cinéma. Une version DVD/BluRay a également de grande chance de sortir l’année prochaine si on s’en tient aux pratiques de l’éditeur.

Une bande annonce accompagne cette ressortie, malheureusement celle ci en révèle un peu trop sur le film dans lequel il est préférable de se lancer en en sachant le moins possible si l’histoire elle-même tellement la maîtrise du récit est totale. Rien n’est laissé au hasard que ce soit sur la forme ou dans le fond. Tout fait sens, sert le film, son propos, son intensité narrative, jusqu’à ce plan final déchirant où s’entremêlent passé et présent.

Très grand film donc, de par ce qu’il représente pour le cinéma sud coréen et même mondial, pour la Corée en terme culturel, et tout simplement par sa puissance humaniste qui ne peut laisser insensible.

Joint Security Area

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Culture

Amesoeurs d’Amesoeurs (2009)

Amesœurs est un groupe français des années 2000 qui aura réussi à incorporer des éléments de black metal à une base entre post-punk, new wave et shoegaze. La production du groupe sera décriée par nombre d’amateurs bas du front de black metal, et la formation sera en même temps qualifiée, par des personnes venant du post-punk, de la new wave, de fasciste à cause des parcours des membres du groupes. Faisons un aperçu réaliste et de gauche sur un groupe présentant une réelle valeur historique.

amesoeurs

Nombre d’amateurs de black metal ont été et sont toujours incapables de saisir la dimension romantique qui traverse l’histoire de cette branche très particulière du métal. Romantique dans l’importance accordée à la nature, dans la dimension épique de certaines formations, un certaine élitisme, dans le soin accordée à l’esthétique…

S’il ne faut pas se voiler la face, et réaliser que nombre de groupes sont tout simplement mauvais et ne sont que des copies de copies, il est impossible de ne pas voir cette tendance de fond qui est une des caractéristiques du genre. L’album Transilvanian hunger de Darkthrone en est l’exemple le plus frappant malgré toutes les polémiques.

C’est en ce sens qu’il faut savoir saisir la subtilité d’Amesœurs, qui commença avec un premier EP prometteur, Ruines humaines, en 2006.

Puis vint l’album éponyme, en 2009.

La toute fin des années 1970 et les années 1980 ont été une période de grandes productions. Elles vont vu naître des groupes de post-punk, de pop indépendante, de musique électronique influencée par la scène industrielle, comme Depeche Mode, the Smiths, the Cure ou encore le son proto-gothique de Joy Division. On y retrouve une dimension romantique, plus ou moins torturée.

A l’inverse du romantisme black metal, celui-ci est davantage introverti. Et aussi souvent bien plus profond et travaillé.

On comprend très vite qu’il y a forcément des ponts à construire entre ces deux mondes, entre romantisme du black metal et romantisme post-punk. Ceux-ci se font assez logiquement pour une petite partie des auditeurs. Et il est logique que trois décennies après les débuts de Joy Division et des Cure et que deux décennies après les débuts sulfureux du black metal norvégien, des personnes aient cherchées à réunir toutes ces influences au sein d’un album.

amesoeurs

Si l’on s’intéresse à l’album d’Amesœurs dans sa totalité, on est frappé par sa dimension expressionniste et par la critique du monde moderne et de ses villes déshumanisées. Que ce soit par les rapports entre personnes, la déshumanisation des grandes villes, l’anonymat… Le groupe qualifiera très justement leur premier et unique album de « Kaleidoscopic soundtrack for the modern era » (Bande son kaléidoscopique du monde moderne) dans le livret.

« Flânant au pied des ruches grises,

Je lève les yeux

Vers un ciel qui de son bleu

Inhabité me cloue à terre ;

Plus absent que moi encore.

Dans la vie que je mène

Chaque jour se ressemble

Et guêpe parmi les guêpes,

J’ai offert mes ailes

Aux bons plaisirs des reines imbéciles

La nuit et ses lueurs glaciales

Ont transformé la ruche malade

En un beau palais de cristal ;

Puis au petit matin,

Le soleil dévoile les plaies obscènes

De ces mégalopoles tentaculaires

Dont le venin et les puanteurs

Étouffent et violent les âmes

Qu’elles gardent en leur sein. »

Les ruches malades

Si l’on regarde l’album, le black metal est un aspect secondaire sur la plan strictement musical. Une chanson comme Les ruches malades n’en incorpore pas – du moins pas aussi clairement qu’Heurt. Il se fera ressentir principalement sur le chant : Neige crie ses paroles, Audrey S. les chante avec sa voix langoureuse qui correspond parfaitement à l’ambiance intense et mélancolique de l’album.

Toutefois, au fil de l’album, on comprend très facilement d’où vient l’atmosphère tourmentée. L’influence de Joy Division ou des Sisters of mercy se mélangent avec la noirceur du black metal.

Si la dimension expressionniste-tourmentée est un peu forcée, on ne peut qu’être admiratif du talent qui se déploie tout au long de l’album. Musicalement, c’était quelque chose d’attendu, un déploiement de toute une culture marginalisée en appelant à la sensibilité.

Même si la formation n’arrive pas au niveau des groupes anglais, cet album est une prouesse marquante. Black metal, shoegaze, post-punk et new wave se côtoient et se mêlent même par moments. Résultat : les « mégapoles tentaculaires » et la destruction de nos sens sont au cœur des paroles.

« Après une courte réflexion

Qu’une seule chose en tête :

Se perdre dans le noir, le noir abyssal,

Là où simplement rien n’existe,

Juste le vide et le refuge du silence.»

(Troubles (éveils infâmes))

On comprend qu’il soit difficile de continuer un tel projet quand on voit la noirceur qui s’en dégage. Ces Sisters of mercy français tant attendus arrivaient de plus sans l’époque capable de porter le groupe.

Eux-mêmes ne cernaient pas ce qu’ils portaient ; ils furent incapables de voir l’horizon positif nécessaire, notamment la défense de la nature, des animaux, le besoin existentiel de révolution, ce qui est ou devrait être au coeur de l’identité romantique.

Le groupe se séparera avant même la sortie de l’album. Neige continuera son groupe principal : Alceste et participera à Lantlôs. Fursy T. participera à un groupe nommé Les Discrets. Tous ces groupes sont dans la continuité d’Amesœurs. Mais aucun n’arrivera à reproduire quoi que ce soit du même niveau : trop esthétisant, trop aérien…

Quant à la chanteuse, son romantisme sombrera dans le nihilisme de l’extrême-droite. Tout cela est un véritable gâchis.

amesoeurs

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Écologie

Nicolas Hulot prétend défendre l’écologie pour servir Emmanuel Macron

Nicolas Hulot a expliqué dans un entretien au Journal du dimanche qu’il faudrait « une union sacrée sur le climat ». Le ministre de la Transition écologique et solidaire d’Emmanuel Macron se prétend à l’avant-garde de la défense de la planète mais sa démarche est erronée.

L’action du gouvernement auquel participe Nicolas Hulot consiste surtout à élargir et intensifier le prisme de l’économie marchande sur la société tout entière. Il est le Ministre d’État d’un Président et d’un chef du Gouvernement qui ne parlent pour ainsi dire jamais d’écologie.

Son rôle est donc de s’exprimer régulièrement sur le sujet, avec la posture de celui qui sait, qui alerte et tente d’emmener un mouvement ; dans le monde des entreprises on appelle cela du greenwashing.

Son entretien au Journal du dimanche allait pleinement dans ce sens. C’est un exercice grotesque dans lequel il prétend avoir des considérations écologiques, alors qu’il ne fait que de la communication au service de la modernité d’Emmanuel Macron.

Comment interpréter cela autrement quand on lit quelque chose d’aussi énorme que :

« Si on ne veut pas décourager ceux qui commencent à intégrer cette mouvance, reconnaissons les avancées plutôt que de prêcher entre convaincus. Il y a quelques mois, qui aurait pensé qu’EDF ou Total se mettraient à faire des énergies renouvelables, ou que la FNSEA chercherait des solutions alternatives au glyphosate ? »

C’est absurde ! Une recherche rapide sur les sites internet de Total et EDF permet bien sûr de constater que les premiers disent qu’ils sont « engagés depuis plus de 30 ans dans le développement des énergies renouvelables » et que les seconds affirment être le « 1er producteur d’énergies renouvelables en Europe ». Cela n’a donc rien de nouveau.

Une telle légèreté sur un point qui est au cœur de son discours en dit long sur la vanité de sa démarche.

Quant à la question du glyphosate, on se demande si ce n’est pas une provocation tellement, justement, c’est l’inverse qui est vrai. Nicolas Hulot avait subit un sacré revers sur ce sujet au mois de mai puisque les députés de la Majorité avaient sous l’impulsion du Ministre de l’agriculture refusé l’interdiction du glyphosate.

Cet exemple du glyphosate, qui rappelons-le est un puissant herbicide typique de l’agro-industrie, montre à quel point la question économique est primordiale. Nicolas Hulot prétend que les choses avancent alors qu’il y a eu ici une pression économique immense et une défaite nette sur une question très partielle.

Les changements nécessaires contre la pollution et contre les émissions de gaz à effet de serre sont pourtant incommensurablement supérieurs à un simple amendement de loi visant un produit.

L’humanité est très loin du compte et la tendance ne s’inverse pas.

En attendant, s’il y a de l’argent à faire, le Ministre de la transition écologique et solidaire est là pour aider, comme le lui confèrent ses missions officielles.

« Depuis mon entrée au gouvernement, nous avons renégocié les appels d’offres des six champs d’éoliennes offshore, pour en construire plus sans dépenser plus. J’ai donné un cap pour que l’industrie automobile propose, dans un délai très court, des véhicules électriques à tout le monde. »

L’écologie est en effet considérée par de nombreux entrepreneurs et décideurs comme un relais de croissance. La France, en tant que grande puissance économique, cherche à se placer afin d’être à la pointe technologiquement et industriellement sur ces secteurs économiques.

Mais cela ne représente rien concrètement, aujourd’hui. À tel point que finalement Nicolas Hulot est obligé de le reconnaître. Quand il lui est fait remarquer que la France ne respecte pas ses engagements et « laisse ses émissions de gaz à effet de serre augmenter de 3 % par an », il répond :

« Sur certains sujets, je l’admets, la France n’est pas dans les clous. Tant que nous ne serons pas sur la bonne trajectoire, je ne m’en satisferai pas. Je l’ai souligné à l’occasion du bilan de la première année du plan climat. »

Son rôle est ici d’expliquer que ce n’est pas si grave, il ajoute ensuite :

« Pour moi, ce n’est pas un échec, c’est simplement que nous devons faire plus. Nous entrons maintenant dans la période des solutions, car elles sont là : ce sont les énergies renouvelables, la voiture électrique, l’agroécologie. Nous avons tout pour réussir, si nous n’hésitons plus. »

Qu’il existe, potentiellement, des solutions techniques, c’est une chose. Mais que celles-ci soient généralisées de manière conformes aux enjeux écologiques, c’en est une autre. À Gauche, du moins pour les personnes qui n’ont pas abandonné le cœur de la pensée de Gauche, nous n’avons aucune confiance en l’économie capitaliste pour cela.

Car, soit il y a la concurrence et le profit privé, comme le prône Emmanuel Macron que sert Nicolas Hulot, soit il y a une planification économique de manière démocratique et utile socialement.

Ce ne sont pas les besoins de la population, mais des quêtes d’enrichissement pour quelques-uns qui imposent le glyphosate, la multiplication de panneaux publicitaires ultra-lumineux, l’accumulation de marchandises de mauvaise qualité produites à l’autre bout du monde, le sur-emballage, la pêche intensive, la généralisation des transports polluants et le démantèlement du chemin de fer ou encore une mine d’or en pleine forêt Amazonienne, etc.

Nicolas Hulot, pour justifier sa propre inutilité, explique qu’il n’est responsable de rien, voire que ce serait la faute des autres :

« Nous avons collectivement une immense responsabilité. On le voit bien quand certains partis politiques rechignent encore à faire figurer le changement climatique et la biodiversité dans l’article premier de la Constitution, comme si c’était une préoccupation mineure. Même constat avec les états généraux de l’alimentation et la loi sur les hydrocarbures. Ils n’ont pas compris que ce sujet conditionne tous les autres.

Nous ne pouvons plus entretenir des divisions, réelles ou factices, alors que cet enjeu appelle une réponse universelle. La confrontation politique est nécessaire, mais sur ce point, faisons la paix. J’appelle à une union sacrée sur le climat. Ne tombons pas dans la querelle des anciens et des modernes. Le feu est à nos portes, au sens propre comme au sens figuré. »

Et :

« Je fixe un cap, je prends des mesures. Mais tout le monde doit comprendre qu’un homme, un ministre, un gouvernement seuls ne peuvent rien faire. »

À le lire cela, on croirait qu’il est un Ministre hyper actif, déployant des moyens énormes, promouvant une refondation radicale du mode de production et des institutions, et faisant face à une organisation politique structurée contre l’écologie.

Cela n’est pas vrai, c’est de la démagogie, de la poudre aux yeux. L’écologie en tant que telle n’existe pas. Elle n’est qu’à la marge, parfois comme faire-valoir, souvent comme seulement une démarche individuelle.

C’est le rôle de la Gauche de la faire exister, de lui donner corps dans un projet idéologique et culturel de grande envergure, propre à soulever les masses.

L’actualité est intense en termes d’événements liés au dérèglement du climat. Les records de chaleurs se succèdent de monstrueux incendies et autres catastrophes font rage à travers le monde. La question n’est plus de savoir si l’on va bouleverser les équilibres naturels de la planète ; c’est déjà fait, comme tout le monde le sait.

On se demande maintenant jusqu’où ira-t-on avant d’essayer, enfin, d’inverser la tendance.

Nicolas Hulot a un rôle néfaste en ce sens, puisqu’il est là pour prétendre que des choses sont faites, afin que surtout rien ne change, que le capitalisme ne soit pas remis en cause.

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Politique

Emmanuel Macron et le capitalisme modernisé

Sous cette forme et à ce moment de notre histoire, Emmanuel Macron ne représente rien de positif pour notre pays et pour les masses. Toute sa démarche vise concrètement à briser l’esprit collectif, démocratique, et les avancées sociales au profit de l’individualisme bourgeois et du capitalisme entrepreneurial.

Sur le plan culturel, sa politique est celle d’un cosmopolite qui nie la culture française, au nom d’un différentialisme universel, relativiste, où tout se vaut, encourageant la « diversité », c’est à dire l’atomisation. Sur ce point, il vide littéralement le contenu de la gauche post-moderne dont il n’hésite pas à s’approprier le jargon « post-colonial » ou même franchement raciste, comme l’illustre sa sortie à l’occasion du « Plan Banlieue ».

Or, la gauche, celle qui connaît sa tradition, celle qui réfléchit et n’a pas cédé au post-modernisme décadent, défend précisément tout l’inverse. La défense de la culture française collective, en vue de sa fusion universelle, est une base essentielle de la démocratie, il y a lieu de défendre et promouvoir la culture, au singulier, dans l’héritage et le métissage, contre les cultures au pluriel, dans la consommation et l’individualisme.

Mais plus profondément encore, Emmanuel Macron et son gouvernement entendent élargir la base capitaliste de l’économie et de la société de notre pays. Il est question ici d’un véritable assaut libéral généralisé, il s’agit concrètement de briser ce qui reste du consensus social construit après la Seconde Guerre Mondiale : mater les syndicats, atomiser les travailleurs à l’échelle de l’entreprise, voire de leur propre « carrière » individuelle, briser les secteurs jusque là protégés du capitalisme d’État comme la SNCF, EDF et les entreprises publiques, l’Éducation Nationale, les Hôpitaux.

Il s’agit donc de faire reculer la fonction sociale de l’État et de développer à sa place les entreprises privées. Emmanuel Macron présente cela comme une « libéralisation », un « progrès » à même de donner à chacun la possibilité de faire carrière en relançant un nouveau cycle de croissance.

Et il est évident de dire que cela parle à une partie des masses, travaillées malheureusement par l’esprit compétitif et individualiste de la bourgeoisie. Même par attentisme, elles comprennent cette perspective et espèrent, faussement, pouvoir compter sur la réussite de ce « pari ».

Cela constitue un frein conséquent aux mouvements sociaux qui se dressent légitimement contre la politique libérale du gouvernement pour en faire un puissant mouvement de masse, mais ceux-ci, captifs des insuffisances idéologiques et des outrances stériles de la « gauche » populiste ou racialiste post-moderne, échouent face à la simple volonté du gouvernement. Cela parce que sa base populaire est plus large, même par attentisme ou résignation, mais les masses ne suivent pas cette gauche.

Pour rendre son projet plus crédible aux yeux des masses, Emmanuel Macron s’appuie sur les secteurs dynamiques du capitalisme français, ceux qui incarnent le mieux sa réussite : la « French Tech », les ETI (ou Entreprises de Taille Intermédiaire) et les banques de type « capital-investissement » comme Rothschild & Cie où travailla justement Emmanuel Macron.

Contrairement aux fantasmes démagogiques et antisémites des populistes, cette banque et le secteur bancaire auquel elle appartient ne sont pas d’immenses entreprises monopolistiques investissant massivement dans la spéculation, comme le sont la Société Générale ou le Crédit Lyonnais par exemple.

Emmanuel Macron s’appuie au contraire sur le capitalisme encore peu concentré, qui laisse croire à la possibilité de chacun de se lancer, de tenter sa chance, devenir entrepreneur, « monter sa boîte », ou du moins de faire une belle « carrière ».

Enfin sur ce plan, Emmanuel Macron propose aussi une « aventure » à travers l’Union Européenne : lancer les entreprises françaises à la conquête du continent et même du monde. D’où son activité militariste et sa promotion par ailleurs de la défense européenne. Emmanuel Macron est ouvertement un partisan de l’aventure capitaliste impérialiste. Il y a donc un réel élan libéral et face à celui-ci, il faut impérativement être à la hauteur, sortir des caricatures « merguez-fanfares » de la gauche populiste et élever le niveau, les exigences.

Enfin et pour finir, sur le plan plus politique, s’appuyant sur la figure qu’il représente et sur son projet économique et social, il faut encore ajouter qu’Emmanuel Macron développe l’idée d’un gouvernement d’expert, réduit, efficace, pragmatique.

En cela, il développe toute une culture de la pratique autoritaire du pouvoir, déjà profondément encouragée par les institutions et surtout contribue très dangereusement à dépolitiser notre société, d’autant que chaque « citoyen » est invité à participer à l’aventure libérale qui s’ouvre non par la pratique démocratique, en se politisant, mais tout au contraire individuellement, en se concentrant sur sa carrière, qui commence au bas mot dès le lycée, sur sa volonté d’entreprendre et sur la consommation, y compris « culturelle ».

Cela est d’autant plus inquiétant qu’Emmanuel Macron et son gouvernement développent eux-mêmes tout un discours populiste articulé entre la lutte des « progressistes » qu’ils seraient, contre leurs adversaires « conservateurs ». On voit bien là que le danger est justement de valider le populisme de tendance nationaliste qui lui répond sur le mode « le peuple » contre « l’oligarchie », que ce soit à la sauce FN ou même FI, entraînant dangereusement notre pays dans la pente de l’effondrement vers le fascisme.

Emmanuel Macron ne représente donc pas simplement qu’un libéral voulant privatiser les secteurs protégé du service public qu’il s’agirait de défendre. Il représente une figure de la bourgeoisie nationale française particulièrement développée, différentialiste et relativiste sur le plan culturel, partisan d’un capitalisme généralisé et impérialiste (bien qu’encore avec comme base le capitalisme industriel le moins concentré appuyé sur un secteur bancaire relativement encore diversifié), et autoritaire et anti-démocratique sur le plan politique.

A tous les niveaux, Emmanuel Macron représente un réel danger, pour le dire clairement, une étape dans l’organisation d’un courant fasciste dans notre pays.

Non qu’il le soit en lui-même bien entendu, mais parce que si on analyse les bases qu’il construit, elles ne sont en rien démocratiques, mais elles préparent précisément ce dont à besoin un État autoritaire, voire même plus tard fasciste, ouvrant en tout cas la voie à la dictature directe des monopoles et des secteurs les plus réactionnaires de la bourgeoisie en affaiblissant la société et l’esprit collectif.

La tâche de la Gauche face à Emmanuel Macron et à son « monde », c’est-à-dire la bourgeoisie libérale, est donc absolument d’être au niveau, de politiser les mouvements sociaux qui se développent pour élever le niveau de conscience, générer des organismes de lutte collective, rassemblant le plus grand nombre pour l’organiser, démocratiquement, dépassant les revendications velléitaires et creuse ainsi que l’horizon borné des principales organisations syndicales qui se contentent beaucoup trop souvent de négocier à leur avantage la « cogestion » des secteurs privilégiés dans une démarche corporatiste.

Il s’agit de rompre avec les illusions libérales décadentes d’Emmanuel Macron tout en refusant parallèlement son « double » sous la forme du populisme, quelque puisse être sa forme, car celui-ci c’est la défaite, c’est la porte vers le nationalisme. Ces deux courants, libéralisme ou populisme, l’un comme l’autre nous entraînant, par des voies différentes mais parallèle, au fascisme et à la guerre.