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Politique

Le Saint-Hubert Club de France et ses conservateurs révolutionnaires

Le Saint-Hubert club de France, fondé en 1902, défraie la chronique chez les dirigeants des chasseurs par son positionnement élitiste et conservateur révolutionnaire digne des années 1920-1930. Le légitimisme pro-terroir et pro-notables trouve ici un concurrent vigoureux et très ambitieux, tourné vers la Russie et l’idéologie conquérante paneuropéenne.

L’Opinion est un quotidien de droite à la fois conservatrice et libérale, un peu comme le RPR de par le passé. Il a publié un article très intéressant : « Flirt d’extrême droite au plus vieux club de chasse de France ». Toute personne s’intéressant à la chasse doit le lire.

L’affaire concerne le Saint-Hubert club de France, la plus ancienne association de chasse en France, installée carrément dans la Maison de la chasse et de la nature à Paris où elle fait même des dîners. Pour le résumer sommairement, l’idée est la suivante : cette association assume entièrement la substance ultra-conservatrice et ultra-élitiste de la démarche de la chasse.

Or, cela va totalement à l’encontre de la démarche populiste-conservatrice de la direction des chasseurs. Et donc, le 10 avril 2019, le dîner caritatif de l’association au restaurant Chez Françoise, à côté de l’Assemblée nationale », a tourné à l’affrontement idéologique. On remarquera au passage que L’Opinion, en passant, nomme certaines personnes présentes :

« Parmi les convives qui lèvent leur verre, on aperçoit Jean-Frédéric Poisson, patron du Parti Chrétien-Démocrate ex-allié de Nicolas Dupont-Aignan ; le préfet Henri-Michel Comet, remercié dans le Rhône par Gérard Collomb, ou encore Patrick Gentil, industriel de la Sarthe passionné de chasse à l’ours dans l’Extrême-Orient russe. »

Willi Schraen, président de la Fédération Nationale des Chasseurs, est membre de l’association. Y était-il ? En tout cas, donc, Thierry Coste, conseiller chasse et ruralité d’Emmanuel Macron, et grand lobbyiste de la chasse, « venu à titre exceptionnel », a exigé que soit mis un terme au positionnement non directement populaire et légitimiste par rapport à l’État.

Cela s’est mal passé et le dîner a été fui par certains, alors que parmi les chants des convives restants, on a pu entendre, selon des témoins s’exprimant au quotidien L’Opinion:

« La Royale, hymne de l’Action française, ou le chant allemand des Fallschirmjäger, les parachutistes de la Wehrmacht »

L’article précise également que le dirigeant de l’association, Henri de Grossouvre, est un homme des réseaux russes et serbes, partisan d’une affirmation paneuropéenne par un axe Paris-Berlin-Moscou. On apprend également que le numéro deux de l’association a un profil correspondant à tout cela :

« Guillaume Beaumont organise des chasses au domaine du Naon, à Souesmes (Loir-et-Cher). Thierry Légier, ancien de l’Action française et proche de Jean-Marie Le Pen, en est un habitué. En décembre 2017, une battue a réuni Marion Maréchal, Jean-Frédéric Poisson et Louis-Alphonse de Bourbon, l’arrière-petit-fils de Franco. »

On a compris l’ambiance. La chasse, vecteur idéologique ultra-réactionnaire, a donc catalysé la formation d’un noyau dur idéologique rassemblant des gens de la haute société. On a le même schéma que dans l’Allemagne des années 1920 ou la France des années 1930, avec des milieux grands bourgeois qu’on peut désigner comme « conservateurs révolutionnaires ».

Ce noyau dur a pris la direction du Saint-Hubert club de France et va, on l’a compris, servir de levier pour interpeller la grande bourgeoisie dans son ensemble et la pousser dans la « solution » qu’est l’alliance de la droite conservatrice à la Marion Maréchal avec la droite populiste-démagogique de Marine Le Pen, pour « remettre de l’ordre ».

Ce n’est évidemment pas du goût des grands bourgeois légitimistes, préférant asseoir l’ancrage dans les institutions et n’ayant pas besoin d’une révolution conservatrice. C’est cela l’arrière-plan du conflit et la publication de l’article à ce sujet par L’Opinion est une torpille des seconds envoyés à destination des premiers.

Même si, du point de vue de la Gauche, les uns ne valent pas mieux que les autres, il serait totalement erroné de ne pas saisir leur contradiction relative et de ne pas saisir ce que cela signifie pour combattre tant l’un que l’autre, en cernant bien leur différence et surtout leur importance dans le processus de lutte contre la chasse.

L’opposition entre Willi Schraen le légitimiste et Henri de Grossouvre le conservateur révolutionnaire a un sens historique et on peut d’ailleurs être certain que les ultras-réactionnaires se renforceront toujours plus. Il faut bien saisir comment le terrain est mouvant et combien est importante la lutte pour gagner le plus de masses possibles contre les réactionnaires !

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Culture

Alex Beaupain – Au départ

« C’est une chanson d’amour de gauche qui dit qu’en amour comme en politique, tout commence par un immense espoir pour finir par une cohabitation. »

 

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Politique

« Transformer », « émanciper », des concepts-clefs à Gauche

Qu’est-ce-que la vie ? C’est un enchevêtrement d’éléments matériels différents qui s’agrègent puis fusionnent pour aller vers des organismes toujours plus complexes. Au cœur de cette dynamique, il y a modification, changement, dépassement d’anciennes conditions vers une nouvelle condition générale.

C’est l’illustration bien connu du papillon : d’abord larve, la chrysalide se transforme pour s’émanciper progressivement vers un être vivant complexe.

En tant que produit de la rationalité, la Gauche est l’agent de cette dynamique. Alors que la Droite veut bloquer le processus à un point donné, et que l’extrême-droite souhaite revenir à l’ancien état des choses, la Gauche est porteuse de la dynamique de la vie.

Elle en est même l’accélérateur et c’est pour cela qu’il a été parlé, parfois, de « progressisme » : il faut aller de l’avant, car l’avenir est forcément radieux. Cela ne veut pas dire que le processus se fait de manière lisse, sans difficultés et sans détours houleux. Comme l’on dit « la vie est ainsi faite » : on avance, on subit des échecs, on recule puis on rebondit avec une meilleure compréhension des choses…

Or, qu’est-ce-que le Socialisme si ce n’est l’expression de la transformation du capitalisme lui-même en autre chose ? Qu’est-ce-que le Socialisme si ce n’est le reflet de l’émancipation de la classe ouvrière de son aliénation ? Mais pour voir les choses ainsi il faut avoir un rapport au travail, justement à la transformation sociale.

Karl Marx n’a t-il pas écrit :

« Les animaux et les plantes que d’habitude on considère comme des produits naturels sont, dans leurs formes actuelles, les produits non seulement du travail de l’année dernière, mais encore, d’une transformation continuée pendant des siècles sous la surveillance et par l’entremise du travail humain. »

La base c’est la transformation des choses et cela passe par le travail. On ne peut pas sortir de cela, c’est la nature de la vie humaine. On ne peut pas stopper ce phénomène, qui est une dynamique objective de la société.

Et la grande leçon de Marx c’est d’analyser comment le capitalisme est lui-même en train de se transformer en une société nouvelle, supérieure, qui est le Socialisme. C’est la fameuse formule du Manifeste du Parti communiste comme quoi « la bourgeoisie produit ses propres fossoyeurs ». Il n’est pas question d’une dégradation absolue des conditions de vie mais bien d’une transformation de la société bourgeoisie en une nouvelle et supérieure organisation sociale.

Cette transformation se réalise évidemment à l’intérieur d’une contradiction, la lutte des classes. À la transformation correspond donc forcément l’émancipation, celle de la classe ouvrière qui, au cœur de la transformation de la matière, se libère du capitalisme et établit une nouvelle société.

« Transformer » et « émanciper » sont les concepts clefs de la Gauche et il est assez révélateur que ces manières de voir les choses ne sont pratiquement plus mises en avant dans la Gauche actuelle. Il y a pourtant toute une tradition de la gauche dite de « transformation » ! Malheureusement, tout a été réduit une vision basée sur l’ « opposition » : on serait ainsi « antilibérale », « anticapitaliste », « antiraciste », etc. La nature de l’engagement ne serait pas un élan vers l’avant dans le Socialisme, le Communisme, le métissage, la collectivité.

La Gauche historique c’est justement cela, celle de correspondre à l’accouchement de la nouvelle société en comprenant la transformation en cours, en travaillant à l’émancipation culturelle de la classe ouvrière.

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Société

Le pasteur Oberlin et le libéralisme

Reconnaître la dignité de l’œuvre du pasteur Oberlin (1740-1826) est une nécessité pour saisir à la fois la dimension historiquement progressiste du libéralisme et ses limites historiques. C’est cet héritage qui justifie encore la base populaire du libéralisme dans notre pays, mais de manière erronée désormais, celui-ci étant finalement incapable d’assumer et de pousser au bout les exigences démocratiques populaires.

"Le pasteur travaillant sur un chemin"

Le pasteur Jean-Frédéric (Johann Friedrich en allemand) Oberlin est une importante figure des Lumières et du libéralisme de la fin du XVIIIe siècle en Alsace, qui a une véritable dimension universelle.

Comme luthérien, il est bien entendu davantage connu en Allemagne, en Suisse ou même aux États-Unis d’Amérique, où son nom a été donné de manière significative à une grande école supérieure : le Oberlin College. Elle fut fondée dans la ville du même nom dans l’État de l’Ohio, qui se voulait dès l’origine un laboratoire du progrès et de l’universalité telle que portée par la bourgeoisie libérale. Cette école élitiste sur une base bourgeoise ouverte fut notamment la première à admettre et diplômer des femmes, puis des Américains descendants d’Africains dès les années 1830. Cela est d’autant plus remarquable que le pasteur Oberlin est mort en 1826. Son œuvre a donc très rapidement reçu un écho d’une grande envergure, en ce qu’elle porte dans la situation d’alors une incontestable dimension populaire et progressiste.

Le pasteur Oberlin est d’abord un ferme disciple ascétique et mystique du christianisme luthérien, partisan dès son plus jeune âge d’une stricte morale stoïcienne, prônant une frugalité exemplaire, une haute exigence morale et un grand niveau de dévouement pour le service aux autres.

Formé au Gymnase protestant de Strasbourg, il y obtient sa maîtrise en théologie à 23 ans, avec une solide éducation pratique à la médecine, à la botanique et à l’agriculture acquise par son expérience extra-scolaire. Il se signale de par ses qualités morales auprès du pasteur Stuber, qui lui offre son poste de pasteur dans une vallée isolée des Vosges alsaciennes, au Ban-de-la-Roche.

Ce secteur constitue une zone particulièrement arriérée encore sous l’emprise d’un féodalisme attardé, regroupant autour du petit bourg de Waldersbach quelques pauvres hameaux de protestants qui sont venus y chercher refuges par vagues successives suite aux persécutions des guerres de religions du XVI-XVIIe siècle, puis de la conquête française. Avant Oberlin, il n’y avait d’ailleurs même pas de route qui reliait de manière permanente ce fond de vallée au reste du monde, dont il était coupé de par ses denses forêts ou ses landes impropres à l’agriculture.

Le secteur faisait donc figure jusque là de zone de relégation. Mais avec le pasteur Stuber et surtout le pasteur Oberlin, cette zone acquiert la dimension d’un front pionnier, d’une terre d’expérience où déployer la puissante dynamique progressiste qui anime alors les libéraux éclairés comme le sont ces deux religieux.

Arrivé au sein de la communauté, le pasteur Oberlin y impose rapidement son autorité de part son dynamisme et sa capacité à répondre aux besoins des masses de ce secteur. On le voit déployer une activité tout azimut, ouvrant des routes, développant les activités agricoles et même industrielles avec l’appui du Président de la confédération helvétique Jean-Luc Legrand, qui investit en 1813 d’importants capitaux pour installer un atelier de production de rubans de soie employant près de 400 personnes dans le hameau de Fouday.

En l’espace de quelques années, le secteur sort de son arriération féodale pour passer à l’avant-garde de la société industrielle d’alors. Cet élan de modernisation libérale s’est accompagné d’un important effort d’éducation populaire qui fait gagner, plus encore que le reste, les masses du Ban-de-la-Roche à l’action du pasteur Oberlin.

Dès son arrivée, il mobilise en effet les énergies jusque là isolées, de certaines femmes dans les communautés villageoises qui assumaient l’éducation collective des enfants. La tâche étant déconsidérée par sa dimension domestique et soumise aux exigences du patriarcat. Celui-ci exigeait d’arracher aussitôt que possible ces femmes à leurs œuvres, pour les mettre à disposition des arrangements conjugaux nécessaires à la reproduction des liens établis dans le cadre de la société féodale locale. Le pasteur Oberlin a brisé ce rapport dès que possible et a établi cette fonction d’éducatrice de la jeunesse dans une dimension collective et officielle reconnu et rétribuée sous le terme de « conductrices de la tendre jeunesse ».

De l’invisibilité des rapports féodaux où ces femmes étaient de simples domestiques mises de côté pour une tâche somme toute subalterne, les voilà considérées comme des fonctionnaires rendant un service public contre une rétribution collective. De brillantes femmes vont donc appuyer l’action éducative d’Oberlin : comme Sarah Banzet et Louise Scheppler en particulier, que l’on considère comme les fondatrices de l’école maternelle moderne.

Dans le même ordre d’idées, la construction des bâtiments scolaires, de leur ameublement que la question de l’équipement pédagogique font l’objet d’une réflexion approfondie. Par exemple, la connaissance du monde est travaillée avec les enfants par des séries de cartes à manipuler et emboîtées à différentes échelles. Une grande place est accordée à la découverte par les jeux collectifs, l’exploration et l’expérience sensible. Oberlin constitue donc une dense documentation pédagogique, appuyée sur des collections d’objets remarquables à valeurs didactique, produit par les idées et l’expérience de son groupe.

En réalité, les pratiques des femmes de la vallée rencontrent au-delà d’Oberlin lui-même, les idées pédagogiques des grands penseurs Johann Coménius et aussi de Jan Hus, qui guident sa pensée et qui sont ici mises en œuvres de manière prolongée. Le programme scolaire est donc pensé de manière curriculaire et rationnelle, mais surtout, en rupture avec la base féodale entretenue jusque-là : il s’agit d’élever à la raison en brisant les superstitions et le carcan féodal des familles patriarcales. Outre les écoles, le pasteur fonde aussi une bibliothèque publique prêtant des livres à tous et il anime des cours d’éducation et de culture générale à destination des adultes.

L’expérience du Ban-de-la-Roche menée par Oberlin a donc une grande valeur historique. Il est bienvenu qu’un musée lui soit dédié à Waldersbach, rassemblant ses archives et les présentant dans un cadre accessible et ludique. Bien entendu, il faut souligner nécessairement aussi la dimension mystique et irrationnelle du pasteur, qui a toujours cherché à rattacher son œuvre à la religion, produisant à côté de ses remarquables innovations pédagogiques des cartes délirantes sur la géographie sainte du ciel et de l’âme.

De même, il était persuadé que les portraits qu’il pouvait réaliser par projection d’ombres révélaient les secrets de l’âme ou de la personnalité de quelqu’un. Sans doute a-t-on là immédiatement posé toutes les contradictions d’une personne qui entend assumer la rationalité, mais cherche néanmoins à le faire dans le cadre d’une religion. D’où la fuite en avant dans le mysticisme et l’incapacité au bout du compte à assumer la Raison complètement.

Ne pouvant dépasser Dieu et la foi, le pasteur Oberlin a fini par céder à l’irrationnel pour lequel il a toujours laissé un espace. L’industrialisation dans le cadre libéral aussi s’est vite aussi heurté aux besoins populaires locaux : la question du travail des enfants, de l’exploitation ouvrière, de celle de la nature aussi. De même, l’hypocrisie de l’encadrement moral religieux finalement, gêné par les excès et les brutalités du développement capitaliste, fourniront bien vite des sujets de contradictions. Le nouveau cadre capitaliste confrontant l’essor impulsé ici de manière remarquablement progressiste par le libéralisme, aux nouvelles exigences démocratiques toujours plus grandes et pressantes qu’il produit dialectiquement.

Il y a donc lieu de reconnaître toute la dignité de cette expérience historique. Cependant, il faut le faire non dans la perspective d’en faire un modèle, mais en considérer aussi toutes les limites, toutes les insuffisances. La figure du pasteur Oberlin illustre en effet tout aussi bien d’une part la nécessité de briser par les progrès de l’éducation et de l’industrie collective ce qui reste de réactionnaire, de féodal, dans notre pays, que d’autre part les limites du libéralisme pour accomplir cette exigence historique qui mène à la démocratie que le libéralisme est historiquement incapable de porter jusqu’au bout.

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Société

« Un modèle papa-maman qui ne tient plus »

À l’occasion de la question de la procréation médicalement assistée bientôt ouverte à toutes les femmes par le gouvernement, un article de Libération rappelle les fondamentaux de l’idéologie dominante : la biologie doit être abolie. Un exemple de plus de comment la fausse Gauche est en réalité le cheval de Troie de l’ultra-libéralisme.

Le fait d’avoir un père et une mère serait un préjugé du passé et la famille n’aurait aucun modèle naturel. Tout relèverait de choix individuels. Il y aurait donc un « droit à l’enfant » et une femme seule peut se outrepasser la nécessité naturelle de vivre en couple avec un homme pour en disposer. La technologie et la loi du marché viennent ici ouvrir de nouveaux espaces au « progrès » des droits individuels.

Et on a ici un paradoxe : l’écrasante majorité des gens sont contre une telle conception du monde. Mais formatés intellectuellement par le libéralisme, la grande majorité des gens accepte sa prédominance. Au nom du principe selon lequel on ne peut pas juger de rien ni de personne, que ce soit dans les arts ou dans les comportements (du moment qu’il n’y a pas « préjudice pour autrui »), l’indifférence prédomine.

Avec, donc, l’assentiment de la fausse Gauche, notamment estudiantine, faisant du combat contre le « conservatisme » sa seule préoccupation. La marchandisation du monde avance à grands pas, par l’intermédiaire de l’égoïsme capitaliste présenté comme un élargissement des droits individuels, alors que la nature est présentée comme foncièrement « réactionnaire » et que les auteurs de l’humanisme et des Lumières sont jetés à la poubelle.

Le quotidien Libération peut donc, dans un article sur la PMA ouverte à toutes, parler de :

« Un modèle papa-maman qui ne tient plus »

On sait comment Marlène Schiappa, la secrétaire d’État à l’Égalité entre les femmes et les homme, avait lancé en 2017 que :

« Nous sommes au XXIe siècle.Il n’y a pas un modèle unique de famille. »

C’est là directement servir les intérêts du capitalisme pour qui tout est choix, marché, possibilités d’échanges de marchandise. Mais c’est une utopie, car une société acceptant cela ne peut pas tenir. C’est donc surtout un boulevard à l’extrême-droite qui, face à un tel discours de « déconstruction », n’a plus qu’à dérouler pour se présenter comme garante de la civilisation.

Tout le problème de la Gauche est ici facile à comprendre. Tant que les acquis historiques ne sont pas préservés, tant qu’à sa tête intellectuelle et culturelle on a des gens aisés au mode de vie décadent – comme cette très grande figure du Parti socialiste qui roule en Maserati granturismo – rien ne sera possible.

> Lire également : Le droit à l’enfant en l’absence de choix d’un compagnon

À l’arrière-plan, il y a bien sûr la question des ouvriers. Tant que les ouvriers ne fourniront pas le noyau dur de la Gauche, il est inévitable que tout se fasse happer par le capitalisme qui, quoi qu’on en pense, fonctionne en France de manière suffisamment forte pour être à la fois stable et corrupteur. Seuls les ouvriers, de par leur travail et leur position sociale, ne relèvent pas de la fuite en avant dans l’ultra-libéralisme et ses « droits individuels » faisant que tout est marchandise, même le corps et la nature.

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Écologie

BLOOM : « vous mettez la France en position de porter une responsabilité historique dans la destruction de l’océan »

Voici un lettre ouverte très alarmiste au Président, par la fondatrice de l’association BLOOM qui mène un combat pour les océans, particulièrement contre la sur-pêche :

« Lettre ouverte au Président de la République française, M. Emmanuel Macron

Monsieur le Président,

Vous allez trop loin.

En appuyant la réintroduction des pires catégories d’aides publiques au secteur de la pêche européenne, vous mettez la France en position de porter une responsabilité historique dans la destruction de l’océan.

Depuis 20 ans, les scientifiques nous alertent sur la nocivité des subventions publiques qui fournissent aux flottes de pêche dans le monde une incitation financière à pêcher au-delà du raisonnable, au-delà du rentable, au-delà du durable et des seuils de renouvellement des populations de poissons.

Depuis 20 ans, les Etats membres de l’Organisation mondiale du commerce reconnaissent que le subventionnement néfaste des flottes de pêche mène inexorablement à la surexploitation des ressources marines et à la surcapacité des flottes.

C’est sur la base de ce consensus scientifique et politique que l’ensemble de la communauté internationale a adopté l’objectif de développement durable (ODD) 14.6 en 2015 aux Nations Unies.

L’objectif 14.6 engage les nations à éliminer d’ici 2020 les subventions encourageant la surpêche et la surcapacité des flottes.

Or que fait votre gouvernement à Bruxelles ? Il bafoue nos engagements internationaux en proposant de réintroduire les aides les plus nocives au sein de l’Union européenne, qui les avait pourtant éliminées.

Aujourd’hui, 69% des stocks de poissons européens sont surexploités. En France, la moitié des emplois ont été perdus dans le secteur de la pêche depuis 30 ans. Malgré la reconnaissance unanime de la destructivité des aides publiques qui encouragent la capacité de production, qui financent la construction de nouvelles unités de pêche, le renouvellement ainsi que la modernisation des flottes de pêche et qui mènent inexorablement à la surexploitation des ressources, la France a choisi de s’allier avec l’Espagne, première flotte industrielle européenne, et avec l’Italie de Salvini pour demander la mise en place de ces aides dans le cadre des négociations du Conseil sur le prochain instrument financier européen (le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, « FEAMP »), qui orientera, de 2021 à 2027, l’ensemble des fonds publics (plus de six milliards d’euros) alloués au secteur de la pêche en Europe. En outre, la France souhaite également élargir la définition de la pêche artisanale et amoindrir les obligations en matière de transparence et de contrôle des fonds publics.

Monsieur le Président, vous n’ignorez pas qu’en ouvrant la boîte de Pandore des subventions néfastes, vous mettez en péril la moindre chance de régler le problème de la surpêche dans le monde. La position du Conseil de l’Union européenne va être scrutée par nos partenaires internationaux et déterminera en partie l’issue d’un accord multilatéral sur le seul remède universel à la surpêche : l’interdiction des subventions néfastes.

Ainsi, au moment même où la France devrait mobiliser toutes ses forces diplomatiques pour mettre en œuvre l’élimination des subventions nocives qui mènent les flottes de pêche, notamment les opérateurs industriels, à creuser la tombe de l’océan dans une dépendance malsaine et non viable aux financement publics, notre pays, sous l’impulsion de votre gouvernement, est en train de détruire l’ambition environnementale de la communauté internationale.

Ce n’est pas seulement incohérent. C’est effrayant.

Le monde est au bord du gouffre et vous profitez de l’opacité institutionnelle de Bruxelles pour le faire basculer dans l’irréversible.

BLOOM a vu le jour sous Jacques Chirac, a collaboré avec le gouvernement Sarkozy puis le gouvernement Hollande. Jamais, nous n’avions assisté à un tel recul environnemental. Jamais, le hiatus ne fut plus grand entre les discours et les actes d’un Président. Jamais, l’équipe de BLOOM n’avait atteint un tel niveau de désespoir et d’impuissance.

Vous trahissez les engagements de toute la communauté internationale et de l’Union européenne. Vous ignorez les citoyens. Vous piétinez la démocratie. Vous déshonorez la France. Vous mettez notre avenir en danger.

Les citoyens sont comme nous : désemparés, abasourdis, inquiets. Ils vous ont rédigé plus de 4000 messages sur le site de BLOOM. Allez les consulter. Prenez la mesure de ce que le décalage entre vos discours et vos actes génère dans la population. Prenez la mesure de la gravité de la situation et de votre rôle.

Monsieur le Président, des milliers de scientifiques nous alertent régulièrement sur notre trajectoire de collision avec le monde naturel. Il nous reste peu de temps pour repenser de fond en comble les modèles de production et de consommation sur lesquels reconstruire notre maison commune. Si nous échouons, le monde basculera vers un effondrement de tout ce qui nous est aujourd’hui familier et acquis, de ce qui nous est cher.

Vous pouvez encore refuser de porter la responsabilité de l’échec de l’Agenda 2030 en vous assurant de mettre en œuvre son premier objectif : l’élimination des subventions perverses d’ici 2020. L’océan, les pêcheurs artisans et les citoyens ne peuvent plus faire les frais de l’absence de volontarisme politique et de l’entrisme des lobbies industriels.

La décision publique n’a jamais revêtu une telle importance.

Le 8 juin, journée mondiale de l’Océan, vous avez déclaré « je tiens à réaffirmer avec force l’engagement de la France pour protéger nos océans et notre biodiversité. »

Agissez en conséquence.

Respectueusement,

Claire Nouvian, fondatrice de BLOOM

Au nom de l’équipe de BLOOM et des 4 395 citoyens vous ayant adressé un message personnel à propos de la position de la France pour laquelle nous n’avons pas été consultés. »

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Rapport entre les classes Réflexions

Le souci : les gens détruits sont fascinés par la destruction

Il y a des gens très éprouvés par la vie dans notre société ; ils ont subi des choses très dures, violentes au point de les avoir défigurés psychologiquement. Outre la difficulté à surmonter le passé pour continuer à vivre et avancer, il y a une certaine fascination qui reste : la violence en impose. C’est qu’à l’arrière-plan, cette violence est sociale.

Il est fondamentalement erroné de réduire les mésaventures d’une personne à la vie personnelle de celle-ci. Un enfant battu n’est pas un individu écrasé par un autre, c’est une personne humaine avec un certain développement social écrasée par toute la société à travers un individu. C’est totalement différent. Si l’on perd de vue tout cet arrière-plan, on ne comprend pas pourquoi les horreurs subies sont tellement pénétrantes dans la personne brisée.

Les êtres humains sont en effet des êtres sociaux, ils appartiennent à la société, et inversement. Ce qui les frappe n’est jamais un simple événement, cela prend toujours la proportion de la société toute entière. C’est pour cela qu’une simple agression, un épisode somme toute banale dans notre société empli de brutalités, prend une telle dimension pour les gens qui l’ont subi. C’est comme si le ciel leur était tombé sur la tête, comme si toute la société leur tombait dessus.

Et comme la société n’abolit pas ce qui la tourmente, ne supprime pas les phénomènes produisant des monstres, les victimes ressassent, connaissent des obsessions. Seule une contre-violence destructrice leur semble le moyen de s’affirmer. Il ne s’agit pas du tout ici d’une violence révolutionnaire, au sens d’un engagement plein de confrontation avec le capitalisme, l’État, les institutions, etc. Non, il s’agit de la tentative de reproduire ce qu’on a subi, ailleurs, sur un autre mode, en étant cette fois le protagoniste.

Cette sorte de catharsis produit par une contre-brutalité inversée est un phénomène bien connu : on sait comme souvent les hommes faisant des enfants des victimes sexuelles ont eux-même été des victimes sexuelles. C’est le fameux thème de la reproduction de la violence – mais, en fait, ce thème est-il si fameux ? Car dans notre société individualiste, si prompte à parler de sociologie pour finalement en revenir toujours à l’individu, qui raisonne encore en termes de violence sociale, de reproduction de phénomènes à l’échelle de la société elle-même ?

Le faire, c’est nier la particularité de l’individu, c’est admettre que les êtres humains sont déterminés. Seuls les partisans du socialisme peuvent raisonner ainsi. Et force est de constater par ailleurs que les victimes, ayant connu une dégradation de leur personnalité, se mettent justement à se replier elles-mêmes sur leur individualité, à se comporter comme des individualistes, afin de chercher une voie pour exister, pour survivre.

Le socialisme, pour le comprendre, demande un esprit de synthèse, une capacité d’abstraction. Cependant, lorsqu’on est victime, on est seulement dans le dur, dans le concret immédiat. Il n’y a pas de place pour les raisonnements à moyen terme, pour le repli philosophique. Il y a les faits, les secondes qui passent les unes après les autres et qu’il faut remplir à tout prix. D’où la fascination pour la puissance de ce qu’on a subi, d’où la quête de trouver aussi fort, d’avoir à sa disposition quelque chose d’aussi explosif.

C’est là naturellement contourner le rapport à la violence sociale. Il ne peut en aucun cas s’agir de reproduire la violence subie, mais de lui opposer une contre-violence sociale, définie par l’alternative collective. Cela n’implique pas le refus de la vengeance, mais cela exige au préalable la transformation de soi-même et la participation à la transformation du monde. Sans quoi on devient soi-même un monstre.

Sans cela qu’aurait-on, et qu’a-t-ton ? De la reproduction sociale de la violence à tous les niveaux. Un tel qui trompe un tel qui par conséquent trompe un tel et ce à l’infini. Quelqu’un qui ment à un tel qui ment à un tel par conséquent et ce à l’infini. Cela donne une société où l’amitié et l’amour se retrouvent si fragiles, alors que leur loyauté devrait être à toute épreuve.

C’est bien cela le pire. En cherchant à se préserver, les victimes pratiquent la fuite en avant. Et perdent alors tout, et reproduisent le phénomène, à l’extérieur d’elles-mêmes et pour elles-mêmes. Et là plus rien ne tient… jusqu’à la prochaine fois où l’on recommence, et ainsi de suite.

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Politique

La Gauche contre la privatisation de la société Aéroports de Paris

Plusieurs forces de gauche ont fait du rejet de la privatisation des aéroports de Paris un thème important. Il y a depuis hier la possibilité via un site internet officiel de participer à une initiative permettant de réclamer un référendum sur la question. Il faut pour cela aboutisse que près de 5 millions d’électeurs (4 717 396 précisément) se signalent sur le site : referendum.interieur.gouv.fr

Voici une sélection de réactions contre la privatisation d’Aéroports de Paris par des organisations ou personnalités à Gauche :

Voici également un sélection d’articles sur le sujet :

  • « ADP : IL FAUT UN RÉFÉRENDUM POUR QUE LES FRANÇAIS PUISSENT DÉCIDER ! », Entretien avec Fabien Gay sénateur communiste de Seine-Saint-Denis >> lavantgarde.fr
  • « Pourquoi le site du référendum contre la privatisation d’ADP est-il si critiqué ? » >> liberation.fr
  • « Stopper la privatisation d’ADP c’est possible… et ça commence ce 13 juin ! », par Coralie Delaume >> marianne.net
  • « Les privatisations sont au profit d’intérêts privés, financiers, des multinationales et au détriment des salariés et des usagers » >> france.attac.org
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Politique

Le débat « gauches : « maintenant, parlez-vous ! sur Médiapart live

Le site Médiapart organisait hier soir un débat entre différentes forces liées à la Gauche suite aux élections européennes. La première moitié de l’émission était consacrée à la question de l’unité politique à Gauche et sa reconstruction ; en voici un long résumé, dans le but d’aider à analyser les choses.

Étaient invités Manon Aubry pour la France insoumise, Guillaume Balas pour Génération-s, Ian Brossat pour le PCF, David Cormand pour Europe écologie-Les verts et Raphaël Glucksmann pour Place publique (et indirectement, le Parti socialiste). Il y a eu environs un millier de personnes (Facebook + Youtube) suivant le débat en direct, qui est maintenant disponible ici.

Pour Manon Aubry, les débats sur la Gauche seraient trop « théoriques » et ne concernent pas les gens, ni elle-même, quoi qu’elle s’est contre-dite plus tard en expliquant qu’elle se sentait de gauche et que c’est important pour elle.

À l’inverse, David Cormand a tout de suite assumé la nécessité d’analyser les choses et de se poser la question du rassemblement des forces issues de la Gauche. Il pense cependant, lui aussi, que la Gauche est dépassée et qu’il faut redéfinir les choses. Le clivage se fait selon lui sur la question de l’écologie, parce qu’il ne faudrait plus des « imaginaires politiques héritiers du 20e siècle » mais un nouveau champ de bataille.

Pour les trois autres, Raphaël Glucksmann, Ian Brossat et Guillaume Balas, il faut au contraire assumer le terme de « Gauche » et aller à l’unité, contre le libéralisme et l’extrême-droite.

Il y a par contre une différence entre Raphaël Glucksmann qui considère que la Gauche a un vivier en France, qu’il faut ranimer, et Ian Brossat qui pense qu’il y a un risque imminent de disparition de la Gauche. Guillaume Balas dit pour sa part que la question est plus large que celle de la Gauche elle-même, avec un risque de disparition non pas simplement de la Gauche, mais de l’esprit même des Lumières et de la « société démocratique ».

Beaucoup de temps a été passé à reprocher à Jean-Luc Mélenchon d’avoir rejeté la Gauche après le premier tour à l’élection présidentielle de 2017. Le thème de l’hégémonie d’une force politique sur les autres a alors été longuement abordé.

Il a été introduit par David Cormand qui explique que Jean-Luc Mélenchon a voulu être hégémonique en exhortant les autres forces à le rejoindre unilatéralement, alors que ce n’est jamais ce qu’a fait le Parti socialiste historiquement. Il a fait la différence entre l’hégémonie politique et le leadership politique, qui sert à inculquer une dynamique de rassemblement sans écraser les autres forces.

C’est précisément ce qu’il propose de faire avec les Verts, avec une nouvelle organisation qui devrait être proposée bientôt. Il se tourne pour cela vers la Gauche, tout en expliquant qu’il ne suffit pas d’être la Gauche « amendée de l’écologie ».

C’est au contraire ce que dit Raphaël Glucksmann, qui pense justement qu’il faut réécrire le clivage Gauche / Droite par le prisme de l’écologie, mais en assumant ce clivage, cela d’autant plus que la Droite assume d’être de droite.

Guillaume Balas semblait plutôt d’accord avec David Cormand et cette idée qu’EELV avait en ce moment « la main » pour non-pas être hégémonique mais insuffler un leadership autour d’une nouvelle définition des choses, unitaire, autour de l’écologie.

Sur la question de l’unité elle-même entre les différentes forces liées à la Gauche, tous n’étaient pas d’accord. Si Raphaël Glucksmann semble être le plus « pragmatique » et a un discours tendant à dire qu’il faudrait rassembler depuis les Verts jusqu’à la France insoumise, tant Manon Aubry que les trois autres semblaient d’accord pour dire que ce n’est pas vraiment possible.

Ian Brossat reproche une certaine trahison de la part de Jean-Luc Mélenchon, Guillaume Balas a dit en quelque sorte qu’il avait très peu de points commun avec la France insoumise et David Cormand a expliqué dans le détail en quoi il pensait que Jean-Luc Mélenchon représentait un populisme.

Sur le plan idéologique, il a expliqué que pour lui ce populisme revient à céder à l’urgence en simplifiant les débats et que les raccourcis ne mènent jamais à rien de bon. Il faut au contraire assumer une sorte de romantisme politique, autrement dit de grandes idées, en remobilisant par l’imaginaire, en l’occurrence via l’écologie.

Sur le plan plus politique, et donc la question précise de l’unité, il a pointé du doigt le risque lié au fait que les stratégies hégémoniques fonctionnent dans un premier temps et permettent un gros score. Seulement, cela n’est pas suffisant pour prendre le pouvoir d’État et Guillaume Balas a rappelé que seul ce pouvoir est à même de changer les choses. Il sont d’accord tous les deux pour dire qu’il faut pour cela nécessairement des alliances.

David Cormand est très lucide sur la portée relative du « gros » score de Yannick Jadot et sur le fait que cela a été permis avec le même genre de stratégie « hégémonique » et presque populiste, rejetant la Gauche et la Droite, alors qu’il faudra pour prendre le pouvoir, faire des alliances et éviter le populisme.

Tant Ian Brossat que Guillaume Balas et Raphaël Glucksmann semblaient d’accord sur ces points, contrairement à Manon Aubry. Selon elle, la France insoumise serait déjà une stratégie d’alliance en elle-même, qu’il faudrait rejoindre et ne pas faire de politique « politicienne » entre les « appareils ».

Selon elle, quoi qu’on veuille, l’électorat est dépolitisé et il faudrait alors se faire une raison en assumant un discours dépolitisé – le populisme donc. Elle a également justifié son rejet des alliances par le fait que François Hollande avait trahi, et qu’il était impossible de se lier au Parti socialiste.

Raphaël Glucksmann a expliqué que ce n’était pas la question, et que d’ailleurs tous étaient d’accord pour dire que François Hollande avait en quelque sorte trahi la Gauche : il faudrait justement s’allier pour éviter cela, mais sur des bases claires et solides. Ils pointent tous les cinq du doigt le régime antidémocratique de la Ve République qui permet ce genre de revirement.

Raphaël Glucksmann pense également que la faiblesse de toutes les organisations est en fait une sorte de chance, qui permettrait de se mettre d’accord humblement pour aller à l’unité. Guillaume Balas a expliqué pour sa part que, s’il faut assumer les divergences, celles-ci sont relativement minimes et sans commune mesure avec les divergences qu’avaient le PCF et le PS à l’époque du programme commun.

On finira pour conclure sur ce qui n’a pas été dit : si tout le monde était d’accord, sauf Manon Aubry, sur la nécessité des alliances pour la Gauche, personne n’a parlé de la base, des bases militantes et culturelles de la Gauche, qui devraient selon nous être au cœur de la reconstruction de la Gauche.

Aucune de ces cinq personnes n’a assumé par contre la notion de Socialisme, ni même la lutte des classes ou la centralité de la classe ouvrière, pourtant essentielles dans la définition de la Gauche historiquement. Tous ces gens relèvent d’une manière ou d’une autre du post-modernisme et d’une Gauche post-industrielle, voir d’une post-Gauche dans les cas de Manon Aubry et de David Cormand. Si le libéralisme est rejeté économiquement par tous, il est assumé par tous sur le plan des valeurs et les questions sociétales, avec le thème de la défense de l’immigration comme totem commun, qui a fait l’objet d’une longue discussion par la suite.

Seul Raphaël Glucksmann a fait un rappel historique en disant que la Gauche, d’abord issue du républicanisme contre la monarchie, puis des radicaux contre les réactionnaires, a un héritage lié au Socialisme par l’apport de Karl Marx, mais sans assumer lui-même cet héritage lié au marxisme.

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Politique

La fusion entre Alternative Libertaire et la Coordination des Groupes Anarchistes

Alternative Libertaire et la Coordination des Groupes Anarchistes ont fusionné pour donner naissance à l’Union Communiste Libertaire. Leurs traditions historiques sont pourtant totalement opposées, mais l’anarchisme français est de toutes façons le simple reflet d’un révolutionnarisme à la sans-culotte et d’une grande importance de la petite propriété.

Le fait que l’anarchisme n’ait pas disparu en France est un très grave symptôme, témoignant de la faiblesse de la Gauche historique, qui n’a pas su écraser les courants « ultras » faisant du rejet de la politique l’alpha et l’oméga d’une critique du capitalisme. C’est l’esprit des sans-culottes qui, si utile pendant la Révolution française, est totalement négatif depuis, s’exprimant notamment pendant la Commune de Paris, puis avec le syndicalisme révolutionnaire, l’anarchisme estudiantin.

Ces courants végètent, parasitent la Gauche, pour toujours la poignarder dans le dos dès qu’il y a un mouvement de luttes ou d’affirmation politique. Ils sont particulièrement néfastes. Surfant sur le populisme anti-politique, ils profitent de la moindre avancée pour la faire dévier en vaine agitation de surface, sans aucun fond. Il ne faut pas interpréter différemment la fusion d’Alternative Libertaire et de la Coordination des Groupes Anarchistes qui, on peut aisément le deviner, ne produira pas une organisation solide de toutes façons.

La raison en est simple : la fusion est un saut pour encore davantage abandonner les principes de la Gauche dans son parcours historique. Alternative Libertaire vient en effet du courant « organisé » des anarchistes, les « communistes libertaires » qui assument une plate-forme. Le représentant historique de ce courant est l’Ukrainien Nestor Makhno, mort en France dans le dédain total des anarchistes, qui rejetaient une telle lecture « bolchevique ».

La Coordination des Groupes Anarchistes, comme son nom l’indique, vient quant à lui du courant anarchiste individualiste portée par la Fédération anarchiste. Elle s’est cependant tournée vers ce qui est appelée « Especifismo » au Brésil et consiste en l’affirmation du besoin d’une organisation anarchiste davantage structurée que dans une simple fédération. C’est en quelque sorte le même esprit que la FAI dans l’Espagne des années 1930 agissant au sein de la CNT.

Il ne faut toutefois pas se leurrer et y voir une structuration de l’anarchisme, impossible par nature. C’est en réalité une simple mutation de plus, dans le sens de l’esprit post-industriel, post-moderne. Alternative Libertaire a toujours été historiquement, y compris dans ses formes passées, proche des trotskistes de la LCR. Le changement fait est un simple accompagnement, avec beaucoup de retard, du changement de cette dernière en le NPA.

Quant à la Coordination des Groupes Anarchistes, en grande perte de vitesse, elle n’a cessé ces dernières années d’adopter les thèmes « modernistes » (LGBTIQ+,  « système de domination raciste en France ». Une récente scission, donnant naissance à l’Organisation anarchiste, a encore plus compliqué les choses.

L’Union Communiste Libertaire, qui vient de naître ce 11 juin, est ainsi une fuite en avant, qui ne peut être soutenue que par ceux qui sont trop heureux de liquider les expériences passées sans tirer un quelconque bilan. Il n’y a aucun esprit critique qui est fait, c’est encore et toujours le principe de « s’unir » dans quelque chose de « nouveau » et de prétendre que cela serait une solution à tous les problèmes.

C’est le refus catégorique d’assumer quoi que ce soit politiquement, d’établir des bilans, des analyses de fond quant à l’histoire et à la culture de la France, d’évaluer les succès (ou non) des luttes, des méthodes employées, etc. C’est le refus de ce qui a été la social-démocratie historiquement.

La naissance d’un groupe ultra « nouveau » ne changera rien, car il existe déjà bien d’autres groupes du même genre. Mais cela contribuera à la confusion et des esprits se feront piéger, par incapacité de voir que c’est de la camelote anarchiste d’avant le siècle dernier, une attitude anti-socialiste, anti-communiste, anti-rationalité.

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Écologie Planète et animaux

Pourquoi le cochon, l’oie, la poule ? Et pas le chat ?

Il y a quelque chose de profondément troublant dans ce dessin d’un boucher qui caresse un chat, alors qu’il fait face à de nombreux autres animaux qui, eux, peuvent terminer à l’abattoir, voire n’existent que pour cela. Cela expose une vérité simple et dérangeante en même temps.

C’est qu’on se demande, en toute bonne logique : pourquoi l’un et pas l’autre ? Et naturellement, on ne se dit pas que le chat lui aussi devrait faire partie des animaux servant d’alimentation. Strictement personne ne va penser cela. Telle est d’ailleurs finalement la preuve qu’à terme, on ne mangera plus d’animaux. Si on est socialiste avec le chat, si on l’intègre à notre vie et qu’on lui fournisse plein de choses, alors pourquoi pas l’autre, si on peut ?

On dit d’ailleurs que le chien, par exemple, fait partie de la famille. C’est inexact : il rejoint la famille, il est un élargissement de la famille naturelle. Il est pratiquement un élargissement de la vie communautaire familial, une extension du communisme familial à quelque chose d’extérieur. Aimer les animaux, c’est en quelque sorte élargir encore plus le champ du partage, de la collectivité, même du collectivisme.

Est-ce à dire qu’on aura un jour des poulets et des cochons chez soi, comme membres de la famille ? Et que rien ne changera pour ces animaux jusque-là ? Il va de soi que non et qu’à l’arrière-plan, il s’est déroulé des convergences faisant que les chats et les chiens font irrémédiablement partie de l’humanité. Il y a une symbiose qui s’est faite. Cela est vrai d’ailleurs pour d’autres animaux, tels certaines espèces de pigeons, largement domestiquées et qui restent par la suite, même libérées, dans les zones où les humains se rassemblent : les villes.

Quant aux animaux où cette convergence a été inexistante ou malheureuse pour elle, comme les cochons, les poules et les coqs, les chevaux et les moutons, il est évident cependant qu’à un moment, la dynamique du partage va les attendre aussi. Une fois qu’on est sorti de la démarche de compétition, d’arrachage de tout et n’importe quoi juste pour satisfaire sa consommation, ses caprices, on sort d’un irrationnel allant jusqu’au meurtre.

Car, franchement, qui a envie de tuer ? Qui se voit un couteau à la main en train d’égorger ? Rien que l’idée est odieuse. Certains le peuvent, effectivement, mais ce n’est pas qu’ils sont forts, c’est qu’ils sont devenus insensibles. Après tout, quand on voit les images atroces des islamistes égorgeant des gens ligotés, on ne dit pas : oh, comme ils sont forts ! On se dit : quelle horreur, ces gens sont des monstres !

Il y a bien entendu de nombreux hommes, et même des femmes, pour célébrer la dimension patriarcale du « triomphe » de l’humanité sur la nature. Vu comment les choses tournent dans le rapport entre l’humanité et la nature, ces gens feraient bien de définitivement se taire. Et comme ils ne veulent pas, il a falloir les forcer à se taire.

Parce qu’ils sont odieux, parce qu’ils relèvent du passé, parce qu’il sont des criminels.

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Politique

La réponse de la présidente de l’Unef Mélanie Luce à la scission

Dans un article publié sur un blog Médiapart, la présidente de l’Unef Mélanie Luce répond à l’importante minorité qui a quitté la structure récemment pour en former une nouvelle. Elle leur reproche de « jeter l’éponge », alors que le congrès se profile pour le mois de décembre et qu’elle propose de reconstruire le syndicat de manière unitaire.

Ce qu’elle dit va cependant dans le même sens apolitique que ces derniers, qui disaient refuser « d’être la “maison commune de la gauche” sur les établissements d’enseignement supérieur. »

> Lire également : La scission au sein de l’UNEF

Elle propose pour sa part d’assumer un syndicalisme apolitique, quasiment corporatiste.

On retrouve le même état d’esprit dans les deux longs documents bilan et projet publiés hier en vu des élections au Conseil National de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, où l’Unef assument totalement sa participation institutionnelle et entends accroître son rôle au sein des institutions universitaires .

Voici l’article de Mélanie Luce :

« De l’urgence de renouveler le syndicalisme étudiant

L’éducation, et ainsi l’enseignement supérieur, constitue un pilier central de notre société. Pourtant celui-ci est dans un état déplorable. Nos universités censées permettre à chaque jeune, quelle que soit son origine sociale son genre ou identité de genre, sa couleur de peau ou encore son orientation sexuelle, de se former et de s’émanciper continuent de reproduire les inégalités. Seul∙e∙s 7% des étudiant·e·s en master sont enfant d’ouvrier·e·s. Si nos universités se sont un temps massifiées, nous constatons depuis de trop nombreuses années que l’ascenseur social est en panne. Pire, la politique mise en œuvre par le gouvernement actuel ne fait qu’alimenter cette crise de l’élévation sociale. En rupture avec l’objectif même de notre enseignement supérieur, Emmanuel Macron ne cesse de fermer progressivement les portes de nos établissements sans jamais répondre aux véritables enjeux auxquels nos universités sont confrontées (manque de budget, refonte nécessaire de nos pédagogies, concurrence entre des établissements censés avoir un seul et même objectif : former les générations de demain). A l’inverse, il fait des étudiant·e·s la variable d’ajustement d’une politique néfaste pour nos universités et notre société.

A l’heure où beaucoup remettent en cause le rôle des organisations syndicales, je suis convaincue qu’elles restent le meilleur outil pour organiser les populations qu’elles représentent. En effet, à l’heure où les jeunes sont taxés d’individualisme exacerbé, ne s’engageraient pas assez d’après certain·e·s, de manière trop extrême d’après d’autres, seul un syndicat à leur image peut capter ces nouvelles formes d’engagement. A l’heure où les étudiant·e·s voient leurs droits s’amenuiser et la précarité étudiante progresser et face à un gouvernement qui a tourné le dos à la démocratisation de l’enseignement supérieur sans l’assumer et qui refuse d’écouter toute contestation, le meilleur outil pour faire avancer et défendre nos droits, c’est un syndicat étudiant fort qui rassemble autour d’un projet.,

Le syndicalisme étudiant est en pleine évolution. Nous devons nous demander : quel type de syndicalisme pour agir au mieux ? Quelles instances démocratiques ? Quelle place à chacun·e en son sein ? L’UNEF a traversé de nombreuses périodes difficiles, elle est affaiblie par sa place de deuxième organisation étudiante et ses crises internes. Dans ce contexte certain·e·s font le choix d’abandonner et de morceler le mouvement étudiant en imaginant qu’un nouvel organe résoudra tout. Pourtant le morcellement est la pire des solutions. Une nouvelle organisation ne change rien si nous ne faisons pas évoluer nos pratiques. Si certain·e·s préfère jeter l’éponge et se rassurer derrière l’artefact de la nouveauté, je me refuse à accepter la prétendue fatalité d’une fuite en avant, à accepter qu’il faille être toujours plus radical pour se faire entendre, à accepter la résignation et l’action individuelle comme seules issues face au gouvernement. Je refuse de renier la bannière syndicale, outil historique de lutte pour nos droits. Je suis à l’inverse convaincue que nous devons le reconstruire, le faire avancer.

Pour reconstruire le syndicalisme étudiant, nous devons nous appuyer sur un syndicat qui a des bases solides. La première : celle de n’avoir qu’une boussole, l’intérêt des étudiant∙e∙s, qu’un seul propriétaire, ses adhérent·e·s. L’UNEF doit s’appuyer sur ses fondations, ce qui fait sa force, c’est-à-dire, un projet : garantir l’accès et la réussite de tou·te·s dans les études supérieures quel que soit les déterminismes sociaux qui nous touchent et permettre l’émancipation de chacun·e, une volonté : rassembler les étudiant·e·s derrière ce projet, et une démarche : utiliser tous les outils pour nous faire entendre (aussi bien la mobilisation que notre place dans les instances).

D’après certain·e·s, nous devrions renier ces mêmes fondations. Nous ne devrions plus être la « maison commune de tou·te·s les étudiant·e·s » et ainsi nous adresser qu’à certain∙e∙s d’entre nous. Au contraire, je dis que c’est la seule issue. Notre condition sociale, nos aspirations nous unissent, ne laissons pas les divisions s’installer ! Acceptons les débats internes tant que ce qui nous rassemble est plus fort que ce qui nous divise ! Ce qui fait la force de l’UNEF, c’est aussi notre capacité à nous saisir de tous les cadres pour nous faire entendre (aussi bien de la mobilisation que de notre place dans les instances et ainsi des élections) et notre indépendance vis-à-vis des partis politiques, des syndicats professionnels, de l’administration. Ces éléments sont la clef de voute d’un syndicat qui n’appartient qu’à ses adhérent·e·s.

Au-delà de nos fondations, reconstruire le syndicalisme étudiant passe également par regarder vers l’avenir. Nous devons nous poser les bonnes questions pour trouver les bonnes réponses. Notre défi est celui de redonner envie aux étudiant·e·s de s’engager dans le syndicalisme et de donner leur avis sur ce qui se passe dans leurs universités, nous devons redonner confiance dans l’efficacité et la force que nous avons quand nous agissons tou·te·s ensemble. Il devient essentiel de démontrer l’utilité concrète de l’action syndicale, de permettre à tou·te·s les étudiant·e·s de se saisir du syndicat pour défendre leurs droits, d’adapter nos modes d’actions aux enjeux actuels et de répondre à l’envie croissante de démocratie dans l’ensemble des pans de notre société. Voilà les défis que nous avons à relever !

Faire avancer les droits des étudiant·e·s, lutter contre la précarité et pour l’accès de tou·te·s aux études supérieur, lutter pour une société et un enseignement supérieur qui s’engage pour la transition écologique, lutter contre les discriminations doit passer par ces réflexions si nous voulons être efficace. Ces questions transcendent l’ensemble du mouvement social et nous n’avons pas la prétention d’y répondre seul·e·s. C’est un processus long et un travail que nous avons engagé depuis longtemps et auquel chacun·e doit pouvoir participer. Le congrès de l’UNEF qui aura lieu en décembre doit nous permettre d’apporter certaines réponses, de repenser nos pratiques syndicales et de permettre à tou·te·s les étudiant·e·s qui le souhaitent d’avoir voix au c

«

hapitre. Dans cet objectif nous permettrons à chaque militant·e·s, adhérent·e·s, étudiant·e·s membres de l’UNEF ou non de s’exprimer sur la feuille de route que doit avoir l’UNEF pendant les deux prochaines années dans le cadre de notre congrès.

Les enjeux sont nombreux. Nous sommes dans une période charnières, nous ne pouvons laisser le gouvernement détricoter nos droits, nos universités se dégrader, leurs portes se refermer et continuer à regarder celles-ci passer à côté de l’enjeux essentiel qu’est la transition écologique. C’est notre quotidien et notre droit à l’avenir qui sont en jeu : ce combat est celui de tou·te·s les étudiant·e·s !

Mélanie Luce, Présidente de l’UNEF »

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Politique

Les tags antisémites menaçant Madame Ibn Ziaten

Le domicile de Madame Ibn Ziaten, mère d’une des victimes de l’attentat de Toulouse de 2012 – visant une école juive et des militaires postés devant, qui était un soldat de l’armée française, a été vandalisé à l’extérieur avec des inscriptions tels que « Juif bientôt mort », « on va t’avoir », « vive Merah » (le nom du terroriste islamiste), « salle juif ».

Latifa Ibn Ziaten, n’est pas juive, mais il paraît impossible pour des fascistes islamistes qu’une personne pratiquant l’Islam puisse défendre la vie des Juifs et Juives. Il serait donc nécessaire -d’après ces islamistes- que celle-ci soit reliée à des Juifs, ou qu’elle soit elle-même Juive cachée. On est en plein dans un discours anticapitaliste romantique, où le juif contrôle tout. Il est guère étonnant d’apprendre également qu’il y a une partie des revenants de Syrie, qui ayant constaté l’échec de Daesh, se tourne vers le nazisme, partageant la même base économique.

Madame Ibn Ziaten a aussi été attaquée car elle est à l’origine de l’association Imad qui lutte pour la paix et contre la radicalisation.

Elle a tweeté ceci le matin du 10 juin:


Cet acte illustre bien la triste période vers laquelle on se dirige et sans un nouveau Front populaire, les masses juives sont véritablement en danger de mort imminent…

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Politique

Ensemble ! : « Réflexions sur les jours d’après »

La reconstruction de la Gauche exige de poser les choses, en assumant une réflexion profonde qui aille dans le sens de l’unité. C’est précisément l’objet de ce document écrit par Jean-Claude Mamet et publié sur le site de l’organisation de gauche « Ensemble ! », dont il est porte-parole.

Le point de vue défendu par Jean-Claude Mamet dans le texte ci-dessous est différent à plusieurs égards des positions défendues habituellement ici, mais ces divergences relèvent du débat à l’intérieur de la Gauche. Il absolument nécessaire de mener ce débat.

Il faut confronter les points de vue, fraternellement, démocratiquement, en visant l’unité pour un nouveau Front populaire, en ayant à cœur de défendre les intérêts des classes populaires et de la planète, en voulant vraiment changer la vie !

« Réflexions sur les jours d’après

L’après 26 mai 2019 pourrait être simple : les gauches qui ont postulé aux suffrages pour les élections européennes ont été tellement en concurrence (alors qu’une partie des listes disaient des choses semblables ou non contradictoires) qu’elles devraient raisonnablement en tirer la conclusion qu’il faut discuter. Notamment face au danger des droites extrêmes et des néolibéraux. Mais l’effort subjectif pour dépasser les postures qui durent depuis plus d’un an sera vraiment considérable et coûteux.  Selon toute vraisemblance, une médiation sera nécessaire pour parvenir à un débat constructif.

On peut aussi espérer que dans Ensemble, les clivages s’apaisent et qu’Ensemble ! dans son entier puisse jouer un rôle passerelle. Le pire serait qu’on pousse au rassemblement, et qu’on continue à s’entredéchirer dans Ensemble !

Aucune des forces et organisations qui étaient en compétition à gauche le 26 mai ne peut à elle seule prétendre incarner une solution d’avenir. Mais ces forces (je ne parle pas du PS ici, mais il faudra le faire aussi) ont dans leur sillage ou leurs propositions des richesses de propositions, d’innovations et de militantisme qui, mises en commun, pourraient devenir attractives pour faire du neuf. Encore faut-il le vouloir. Mais aussi définir une méthode.

Quelles pourraient être les pistes de méthode pour avancer ?

J’en voit quatre.

* La première serait donc d’accepter l’échange et le débat.

a) Dans un premier temps, l’échange devra se faire d’abord entre des courants proches par leur histoire ou par affinités pour reconstruire une confiance commune.

b) Pour un projet plus large, à la hauteur de la situation, on connait l’argument ressassé sur l’alignement des sigles qui ne produirait rien de bon. Après cette campagne européenne, cet argument devient presque évident : pourquoi un rabibochage par un cartel de sigles serait-il d’un seul coup crédible alors que tout a été fait pendant des mois pour discréditer au maximum toute pratique unitaire (et certains l’ont fait au nom de l’unité !). Il conviendrait donc dans un premier temps de dire modestement : parlons-nous et débattons. Sans forcément en faire une publicité tapageuse, pour ne pas créer de faux espoirs, voire des tromperies sur la marchandise. Et en distinguant le court terme et le long terme : que faire ici et maintenant, puis quelle stratégie pour les années à venir (il vaut mieux …ne pas commencer par 2022).

* La deuxième piste serait donc l’action commune doublée de propositions politiques communes. Certains répondent à cela : mais on le fait déjà ! Ou encore : ce n’est pas cela qui définit un projet politique. Il faut donc bien clarifier ce dont on parle. Les forces politiques de gauche et écologistes soutiennent en général des luttes, ou des exigences, chacune séparément. Il leur arrive de le faire ensemble : par exemple au printemps 2018 pour soutenir par des conférences de presse la lutte des cheminots. Ou encore bien plus difficilement pour soutenir en commun les manifestations de Gilets jaunes, agir contre la répression. Ou plus rarement pour s’afficher dans les manifestations climat.

Mais ces cadres communs de solidarité ne font pas évènement, parce que rares sont les composantes qui veulent leur donner un sens politique réel. La question est : est-ce que cela suffit d’être solidaires ? Le vrai engagement politique commun serait de prolonger la solidarité élémentaire par des propositions politiques : sur les services publics européens, sur les priorités écologiques, sur la démocratie. Mais là, il n’y a plus personne ! Chacun reste dans son couloir : la place est jalousement gardée et protégée. Alors que bien souvent, les propositions des uns et des autres pourraient au minimum converger ou alors susciter publiquement des controverses utiles. Mais c’est précisément cela que certaines forces ne veulent pas partager.

Car admettre un cadre pluraliste convergent avec des débats publics profitant à tout le monde, c’est admettre que l’on construit un espace socio-politique commun. C’est renoncer à son pré-carré. Voilà pourquoi l’action commune prolongée de propositions communes sont en réalité très engageantes pour faire voir au quotidien qu’un projet politique est possible. L’offre politique doit être enracinée dans l’action, sinon elle court le risque du projet en surplomb auquel il faut se rallier, sans être appelé à coconstruire. L’émancipation implique la participation à la fabrique du politique.

Exemples concrets :

– Cédric Durand et Razmig Keucheyan ont écrit une tribune (parue dans Le Monde) avec des propositions sur la place de l’intervention publique pour définir une transition écologique, avec des axes hiérarchisés. Voilà ce dont il faut discuter.

– Ou encore : quelle proposition alternative à la retraite par points dite « universelle » de Macron ?

– Ou sur l’assurance-chômage avec bonus-malus ?

Si les forces de gauche et écologistes n’ont rien de commun à construire sur ces sujets, en lien si possible avec les acteurs-trices directement engagés, alors quelle est leur crédibilité politique ? On peut répondre : mais cela se fait déjà souvent à l’Assemblée nationale, voire au Parlement européen. Cela se fait parce qu’il y a contrainte : empêcher des projets, rendre plus audibles des sujets. Pourquoi cette contrainte parlementaire (parfois purement formelle) ne pourrait-elle pas se déployer dans l’arène publique ? Il conviendrait donc de mettre en place des groupes de travail thématiques.

* La troisième piste nécessite justement de construire des espaces démocratiques citoyens ou populaires, impliquant non seulement les forces ou courants politiques organisés, mais d’emblée des animateurs-trices de luttes ou d’associations, et les personnes volontaires.  On rejoint par là la forte exigence démocratique que nous observons partout. Il s’agirait de mettre en place une sorte d’agora démocratique et ouverte, des assemblées citoyennes ou populaire. Certains parlent de « processus constituant ». Pourquoi pas ? C’est là la médiation à mettre tout de suite en chantier. Si on vise une alternative émancipatrice à vocation majoritaire, il faut chercher à faire en sorte que la politique implique le plus grand nombre. Les forces et courants politiques doivent être partie prenante du partage d’expérience sans en faire un enjeu de concurrence passant par-dessus l’intérêt collectif.

Il faut en somme mobiliser les personnes de plus en plus nombreuses qui ont le désir de faire de la politique de manière directe, sans appartenance à priori, et qui tâtonnent dans cette direction depuis Nuit Debout, les groupes d’action FI (pour partie), les Collectifs Marée populaire, pour partie les Gilets jaunes, les citoyens des mobilisations climatiques, etc. Certes, cela ne règle pas par magie les problèmes d’incarnation, de représentation personnalisée (inévitables, car la société ne peut jamais être d’emblée transparente à elle-même).

Mais cela les encadre de bonne manière. Et cela nécessite aussi de livrer bataille vers les médias pour imposer du pluralisme représentatif plutôt qu’une mise en scène des egos et des présidentiables. Certains médias marcheront si cela est porteur de vie.

* La quatrième piste, corollaire de la précédente, est la nécessité vitale pour les mouvements sociaux, les syndicats, les associations, d’assumer la portée politique pluraliste de leurs luttes.  Ce qui bien sûr ne va pas de soi, et implique de réviser des certitudes mal apprises, ou déformées (Charte d’Amiens entre-autre).

Des débats à poser

Une fois cette méthode de travail acquise (ce qui ne sera pas facile, au vu des habitudes prises), il ne fait aucun doute qu’il faudra aussi remettre sur le métier bien des notions dont le sens n’a plus rien d’évident, du moins à large échelle.

* Ainsi la notion de gauche. Alors que toutes les études de politologie montrent que les personnes continuent à se classer individuellement selon le clivage gauche/droite (y compris, j’en ai fait l’expérience, chez les Gilets jaunes), la force de propulsion politique de ce clivage s’est émoussée, à force d’être combattue de tous côtés, à gauche et à droite. Le résultat en est plutôt un déplacement de l’axe politique vers une droite culturellement hégémonique (on le voit dramatiquement sur les enjeux sociaux, avec par exemple la disqualification du salariat), doublée à l’opposé d’un radicalisme verbal souvent vain (dégagisme, colère, raccourcis, sectarisme prétendument « lutte de classe » …).

C’est ce qui reste une fois que la gauche accepte de disparaitre comme enjeu ou intériorise sa ringardisation. On n’ose plus se dire de gauche : c’est une vraie victoire de la confusion dominante. Tout se vaut. Mais reconnaissons que pour réinsuffler du sens, il faudra faire de la pédagogie et savoir comment prendre en compte le besoin d’audace (Gilets jaunes, cortèges de tête…) dans l’action.

La société est clivée : le clivage social, bien connu, le clivage des valeurs et du sens, le clivage des stéréotypes de genres et des effets d’oppressions, le clivage du rapport à la nature et au vivant. Gauche et écologie sont intriqués dans le combat anticapitaliste, ou alors se dilueront l’un et l’autre. Mais l’intrication n’est pas spontanée, elle peut produire des conflits de priorités, difficiles à maitriser (exemple : emploi et industrie nucléaire, ou agro-alimentaire). Le clivage social ne produit plus, ou pas mécaniquement, un imaginaire progressiste. Le conflit sur le sens et les valeurs est orthogonal au clivage social, lequel peut suivre plus facilement une pente « nationale-sociale » de repli.

Nous avons donc tout un travail d’élaboration à faire.

* Il en va de même avec la lutte des classes et c’est lié. Mais il faut reconnaitre qu’un nouveau débat théorique est nécessaire sur ce qui structure les sociétés. Les rapports sociaux, de classe, de sexe, et de racisation, s’imbriquent. Mais ils ne s’imbriquent pas de la même façon sous le capitalisme qu’avant le capitalisme. La structure de classe introduite par le capitalisme mondialisé remodèle les sociétés, les oppressions millénaires, les conflits dits ethniques.

C’est un processus. L’imbrication n’est pas la même en Europe ou en Inde par exemple, ou dans des sociétés culturellement très différentes, même si la globalisation capitaliste tend à homogénéiser les modes de vie et le règne du tout marchand. Il nous faut donc tendre à universaliser (internationaliser) nos références et schémas de valeurs tout en étant attentifs au pluralisme des peuples et cultures (exemple type, le voile : l’acuité du problème, la manière de l’aborder, n’est pas la même selon que l’on vit en Iran, en Arabie Saoudite ou en France ; mais nous devons d’abord avoir un point de vue le plus universel possible, tout en admettant que l’universel n’est pas une entité figée).

* L’écologie est un défi anthropologique gigantesque, irréductible par bien des aspects aux conflits historiques connus. Les manifestations de jeunes sur le climat expriment cette radicalité nouvelle : « je veux pouvoir vivre comme être humain, en compagnie du vivant et de la biodiversité ». Cela semble transcender tout le reste. Et le temps presse !  Mais en même temps, sans renversement des puissances capitalistes, la bataille sera perdue.  Nous avons besoin de hiérarchiser des objectifs de lutte, et d’inventer une forme démocratique pour ce mouvement. C’est d’ailleurs étrange : le mouvement climat n’est pas démocratique dans ses modes de décision, mais cela semble peu inquiéter celles et ceux qui y participent, alors que la soif de démocratie est grande.

* Le défi démocratique :  Comment s’articule l’invention démocratique dans l’action, dans les luttes (qui produisent leurs institutions) avec une transformation radicale de la représentation citoyenne, qui reste incontournable ? Comment articuler démocratie (processus vivant) et république (chose commune) ?

Sur toutes ces questions comme sur celles énumérées par le texte collectif dit « stratégique » qui a circulé dans Ensemble !, nous avons besoin d’avancer dans le dialogue démocratique.

Jean-Claude Mamet (01-06-2019) »

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Politique

La lettre de Charlotte Girard quittant la France insoumise

L’universitaire Charlotte Girard a annoncé son départ de la France insoumise, dont elle était une figure appréciée, ainsi que la responsable du programme. Dans une lettre à ses camarades, elle pointe les nombreux dysfonctionnements de ce mouvement populiste, qui voit actuellement le sol se dérober sous ses pieds.

La déception suite au score de la France insoumise aux élections européennes a engendré une grande instabilité dans le mouvement. Cela ne pourrait pas arriver de cette manière dans une formation de gauche structurée de manière démocratique, autour d’idées fortes, avec des gens engagés sur le long terme dans une bataille qu’ils savent difficile.

Seulement voilà, la France insoumise n’est pas une structure de gauche justement, mais un mouvement populiste. Il est porté par des gens s’imaginant qu’il suffirait d’une sorte de spontanéité « populaire », dans un grand élan « fourre-tout » aux contours vaguement sociaux, pour aller forcément dans le bon sens, et ce rapidement.

C’est exactement la même démarche que des mouvements comme « nuit debout » ou les gilets jaunes. Sauf que cela ne mène à rien à rien du tout, si ce n’est à renforcer les frustrations et l’irrationalisme d’extrême-droite.

En l’occurrence, c’est exactement ce qui arrive à la France insoumise. Il lui aura suffi d’un mauvais score à une élection, qui somme toute n’a pas un très grand intérêt politique, pour que tout vacille, avec des gens s’en allant de partout ou d’autres ne s’exprimant plus, etc.

La lettre à ses camarades de Charlotte Girard, que nous reproduisons ci-dessous, est très intéressante de ce point de vue là. Il ne s’agit pas bien sûr de tirer sur une ambulance en moquant les défections, mais de profiter de cette réflexion utile, de cette tentative de bilan.

Ce que montre cette lettre, qui raconte assez succinctement, mais de manière précise le fonctionnement de la France insoumise, c’est qu’on a des gens qui ont cru inventer l’eau chaude, en faisant fi du patrimoine historique de la Gauche, de ses structures, de ses idées, de ses principes.

> Lire également : Alexis Corbière assume de rejeter la Gauche

Il y a eu un élan autour de la candidature de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle de 2017, mais la suite a montré que c’était une coquille vide. Non pas que ces gens n’ont rien à dire ou n’aient pas d’idées, bien sûr. Mais ce que personne n’a vu, ou voulu voir, c’est que ce succès n’a pas reposé sur une identité propre, mais précisément sur le fait qu’il n’y avait pas d’identité clairement définie.

Chacun a donc pu y voir ce qu’il avait envie de voir.

Les gens de gauche déçus par François Hollande ont pu se dire qu’en tant qu’ancien socialiste se revendiquant de François Mitterrand, Jean-Luc Mélenchon était leur homme. Pareil pour les gens ayant une sensibilité communiste, puisque le PCF lui avait quasiment donné les clefs de la maison les années précédentes. À cela se sont ajouté des gens quasiment d’extrême-droite, mais n’assumant par le FN, qui appréciaient le nationalisme affiché ou encore la critique de la finance flirtant avec l’antisémitisme, etc.

> Lire également : De la FI au RN, Andréa Kotarac : l’inévitable convergence des populismes

Ce genre d’amas populiste semble fonctionner tant que c’est nouveau, mais très vite cela fait flop, inévitablement.

Au contraire de cela, la Gauche a besoin de se reconstruire sur des bases solides, en assumant son héritage historique plus que centenaire, avec des réussites ô combien plus grandes qu’un simple score à la Présidentielle et quelques députés dans la foulée.

Ces quelques mots de Charlotte Girard sont donc une contribution utile, pour en quelque sorte savoir ce qu’il ne faut justement pas faire pour reconstruire la Gauche…

 

« Les chemins

Mes cher.e.s camarades,

Je n’ai jamais voulu déranger. J’ai été élevée comme ça. Quand les désaccords sont venus, j’aurais beaucoup donné pour pouvoir partir sur la pointe des pieds. On m’a dit alors que ça n’allait pas être possible.

Se rendre à l’évidence : ni vous, ni les journalistes n’auraient laissé faire. Vous, parce que vous auriez voulu comprendre davantage ; les journalistes, parce qu’on ne va tout de même pas laisser passer une telle occasion de montrer les dissensions dans la France insoumise.

Comment faire alors pour dire ce qu’il y a à dire …et pour partir ? Surtout quand il n’y a pas de lieu permettant de s’adresser aux insoumis.es sans qu’une nuée de caméras et de micros fasse écran entre vous et moi.

J’avais d’abord pensé venir avec d’extravagantes lunettes noires comme maître Gims et lire ce texte à l’Assemblée représentative. Puis j’ai pensé faire lire le texte par mon amie Manon Le Bretton à la même Assemblée. Mais là encore c’était perdu d’avance : mes cheveux m’auraient trahie et puis c’était risquer de déranger davantage les débats à venir dans l’Assemblée. Autant que vous puissiez travailler en pleine connaissance du nouveau contexte et sans surprise.

Alors pourquoi je quitte mes fonctions de coordination du programme et pourquoi j’arrête ma participation à la France insoumise ?

La question de ma mise en retrait n’est plus posée. C’est un fait acquis. Mais être là sans être là, ce n’est une situation confortable pour personne ; ni pour la France insoumise, ni pour moi. Toute la difficulté était de trouver la bonne distance : la distance respectueuse.

Respectueuse vis-à-vis des camarades pleinement engagés et sincères, qui, en particulier, faisaient la campagne des européennes. Ne pas exprimer de divergences sur la ligne comme sur la stratégie au risque d’ajouter encore plus de trouble et de difficulté. Et puis ce n’est pas quand la campagne est lancée qu’on jette le doute, surtout depuis une dernière place. Or ces doutes exprimés lors de la constitution de la liste et de la rédaction chaotique du programme n’ont pas trouvé de cadre où être travaillés et élaborés suffisamment pour qu’il en sorte une perspective claire et partagée ; en l’occurrence une véritable stratégie politique qui oriente à proprement parler la campagne et, au-delà, le mouvement lui-même.

Respectueuse vis-à-vis de moi-même aussi. Ne pas battre les estrades avec des directives au mieux brouillées, au pire contraires à mes préférences et mes raisonnements. Il n’en sortirait rien de bon et rien du niveau de conviction qui avait été celui de la présidentielle. Souvenons-nous de la présidentielle. Des interventions toujours fondées sur l’explication, jamais sur l’invective. Une anticipation précieuse qui avait permis que tout le monde s’approprie les contenus chemin faisant. Parler à l’intelligence. Mes camarades des ateliers des lois et des méthodes d’éducation populaire savent bien de quoi il s’agit.

La campagne est passée. Les camarades sont restés avec leurs questions pendant tout ce temps, quoique certains, dont je suis, ont alerté, à plusieurs reprises, au sujet du fonctionnement – juste le fonctionnement – de la France insoumise. Il avait été dit que des réponses seraient données après les Européennes. C’est ce qui devrait avoir lieu lors et à la suite de l’Assemblée représentative. C’est une bonne chose si ça arrive.

Mais pour ma part, le chemin fléché par la France insoumise s’arrête. J’ai donné tout ce que je pouvais tant que je pensais que l’outil – le mouvement – était conforme au but – la révolution citoyenne. Mais je n’en ai plus la certitude et je n’ai pas la certitude non plus que les efforts qu’il faudrait fournir pour obtenir la refondation interne de l’outil seront au rendez-vous. Que ma défiance ne soit pas un obstacle à l’aspiration au changement et à l’effort de réflexion collective qui aura lieu. De toutes façons il n’y a pas d’autre voie que le collectif. Allons au bout de l’explication.

Ma défiance porte sur l’outil d’abord. La désorganisation que je ne suis pas seule à déplorer produit une telle perte d’énergie que c’en est désespérant. Or les voies pour y remédier demeurent opaques et difficiles à emprunter. Il n’y a pas de mode d’emploi, ni pour utiliser, ni pour réparer. Il est donc aussi usant de faire que de chercher un moyen de faire. Résultat : tant qu’on est d’accord tout va bien. Mais il n’y a pas de moyen de ne pas être d’accord.

Or une dynamique politique – surtout révolutionnaire – dépend de la capacité des militants à s’approprier des raisonnements, c’est-à-dire potentiellement à les contester. Cette option est obstruée pour le moment, d’autant plus que dernièrement, on a eu parfois du mal à identifier avec quoi être d’accord ou pas. Le reproche d’inefficacité se confond finalement avec celui du manque de démocratie. J’en prends ma part. Juste après les législatives, je n’ai pas réussi à convaincre que le chantier de l’organisation était nécessaire et urgent.

Après le début de la campagne des Européennes, les Gilets jaunes ont fait irruption. Hors de tout ce que ce mouvement nous a fait découvrir sur la capacité de mobilisation vivace des gens, il nous a dit beaucoup sur notre organisation, en particulier l’écart que nous n’avons pas comblé entre le monde militant institutionnel et les gens.

C’est la seconde raison qui me conduit à penser que l’outil, trop tourné vers l’exercice institutionnel du pouvoir, en l’occurrence l’exploitation du seul contre-pouvoir parlementaire que nous avons encore, n’a pas permis de travailler à réduire cet écart. Or la révolution citoyenne dépend essentiellement du succès de la jonction entre ce que le mouvement insoumis produit idéologiquement et le peuple. Sur le fond, on a touché du doigt cette rencontre quand on a réalisé que les revendications étaient les mêmes que celles de l’Avenir en commun. Et pourtant la jonction n’a pas eu lieu.

La forme institutionnalisée de notre mouvement ajoutée à son expression électoraliste ont révélé deux handicaps auxquels il n’était pourtant pas possible d’échapper. Un mouvement même gazeux est un groupement politique régi par la constitution et la loi. Et nous présentions une liste aux élections en cours. Il n’est pas question ici de prétendre que nous n’aurions pas dû. Cet état de fait a permis de réaliser le caractère auto-contradictoire de notre situation.
L’exercice du pouvoir dans le cadre stérilisant de la Ve République – serait-ce un contre-pouvoir aussi énergiquement et brillamment investi par le groupe insoumis à l’Assemblée nationale – produit une défiance immédiate du peuple lorsqu’il prend conscience de ce que précisément ce cadre est hostile.

Lorsque la répression atteint un tel niveau de violence, non seulement la démobilisation par l’effroi augmente, mais il n’est plus possible de distinguer un consentement minimal aux règles qui permettent des expressions politiques comme la nôtre et une compromission avec le pouvoir qui menace.

Dans ce contexte de grande violence – et il n’est pas possible qu’un projet aussi alternatif que l’Avenir en commun n’y conduise pas par réaction du pouvoir oligarchique –, l’outil FI identifié à la conquête du pouvoir en Ve République ne peut suffire à produire cette jonction incontournable. J’ajoute qu’il ne faut pas confondre cette jonction avec une approbation électorale. Ce qu’il faut rechercher est un niveau de conscience populaire acquise non seulement à ce qu’il existe une oligarchie bien identifiée qui est dangereuse pour soi socialement et écologiquement, mais aussi à l’idée qu’un rôle politique légitime incombe souverainement à soi en tant que peuple. Rien de nouveau ici ; c’est la stratégie de l’ère du peuple.

Mais c’est l’instrument pour produire ce niveau de conscience menant à la révolution citoyenne qui pose problème et qu’il faut résoudre. Une piste a été suggérée, celle des « cercles constituants », ni un parti, ni une association, sans doute encore un mouvement ; à ceci près qu’ils n’ont pas d’objectif électoraliste et qu’ils ne concurrencent donc pas l’outil FI tourné vers la conquête du pouvoir d’État en Ve République. Et s’il s’agissait au fond de distinguer la perspective constituante et la perspective électorale sans pour autant les opposer ?

C’est ce questionnement qui gît sous les demandes de réflexion sur le fonctionnement ; pas une minable demande de reconnaissance individuelle.
Comme il ne m’apparaît pas qu’on ait bien perçu cet enjeu soit en niant avec constance la dimension centrale de l’objection relative au fonctionnement, soit en persévérant dans une ambition de sauvetage à court-terme de l’outil, je préfère me libérer des préoccupations et projections qui m’éloignent de cette recherche.

En attendant, nos chemins se séparent ici pour les raisons que j’ai dites avec la certitude que rien n’a été vain.

La suggestion poétique est de Manon Le Bretton.

Voici cet extrait de Caminante no hay camino du poète républicain espagnol Antonio Machado.

Caminante, son tus huellas [Toi qui marches, ce sont tes traces]
el camino y nada más; [qui font le chemin, rien d’autre ;]
caminante, no hay camino, [toi qui marches, il n’existe pas de chemin,]
se hace camino al andar. [le chemin se fait en marchant.]
Al andar se hace camino [En marchant on fait le chemin]
y al volver la vista atrás [et lorsqu’on se retourne]
se ve la senda que nunca [on voit le sentier que jamais]
se ha de volver a pisar. [on n’empruntera à nouveau.]
J’ajouterais le vers qui précède et que Manon ne m’avait pas suggéré :
Nunca perseguí la gloria. [Je n’ai jamais cherché la gloire.]

À vous, camarades de lutte.
Charlotte. »

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Culture

Only lovers left alive et la corruption culturelle du cinéma

Only lovers left alive est une expression de la corruption culturelle de notre époque : des sommes colossales sont mises en circulation afin de produire des œuvres qui répondent aux intérêts du capitalisme. Ces montants permettent de faire vivre tout une population de parasites dont le seul but est de diffuser et d’entretenir une vision du monde qui correspondent aux intérêts d’un mode de production en perdition.

L’individualisme est ainsi toujours de mise, la culture est niée et les classiques sont vidés de toute substance et réduits à des objets de consommation. Peu importe la forme, tant que cela s’oppose au Socialisme.

> lire également : Only Lovers Left Alive (2013)

Le capitalisme du XXIe siècle a depuis longtemps renversé le mode de production féodal dans les pays occidentaux, il n’a aucune raison de produire des Lumières. La question n’est plus de partir à l’assaut du vieux monde, mais de se maintenir à tout prix : produire toujours plus, écouler toujours plus de marchandises… Culturellement, le film est plus proche d’une montre Apple que d’un Spleen de Paris de Baudelaire.

Aux productions les plus racoleuses et les plus caricaturales répondent d’autres plus réfléchies, plus travaillées. D’un côté des séries comme Game of thrones ou Star Trek : Discovery, et de l’autre des films comme Only lovers left alive.

Les personnes trop corrompues se contenteront des premières et les personnes qui cherchent à se raccrocher à quelque chose de plus fin, des secondes.

Le piège est de chercher ce qui s’oppose, en apparence, aux grosses productions. Le piège est de trop s’intéresser aux détails et à la technique. Le piège est d’en arriver à un matérialisme primitif qui est prêt à louer un film pour ses plans et le jeu de ses acteurs.

Tout le problème du cinéphile contemporain est là : il est capable de voir toutes les prouesses technique d’une œuvre, de la situer dans une époque, un contexte ; il connaît tous les autres films du réalisateur et tous les films des principaux acteurs ; etc. mais il est incapable de voir qu’un film n’a pas d’âme.

Le cinéphile est trop passif dans sa démarche : il place le cinéma dans un petit monde à part et à chaque visionnage ne regarde que ses sens. À la fin du film, il demande à ses sens si ce qui leur a été proposé leur a plu. Si sa vue a apprécié une scène, il demande pourquoi et répond sur un plan purement technique : le mouvement de la caméra et le jeu des acteurs étaient parfaits. Si son ouïe a aimé, il répond que le son était de bonne qualité, que la bande originale était agréable à entendre et bien choisie. Mais il a du mal à aller au-delà : le cinéphile ne veut pas aller au-delà de l’écran, ou très peu. Le cinéphile veut être guidé, et si le voyage lui a plu, alors le film est jugé positivement.

En ne regardant qu’à l’intérieur de soi, on oublie le monde. Le cinéma devient alors un refuge, voire un moyen de reconnaissance sociale pour les plus opportunistes. Au lieu de rejeter, en général, les productions des sociétés capitalistes et de faire quelques exceptions, le cinéphile cherche un marché, une niche et accepte ce petit monde. La démarche se comprend… mais c’est une impasse de laquelle il faut sortir.

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Écologie

Appel : « Sauvons le train Perpignan – Rungis »

Voici l’appel à sauvegarder la ligne de train fret Perpignan – Rungis, initié par le PCF et soutenu par différentes personnes ou élus de gauche et verts :

> Pour rejoindre l’appel : sauverleperpignanrungis.wordpress.com/contact

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Culture

Only Lovers Left Alive (2013)

Only Lovers Left Alive est une film de Jim Jarmusch sorti en 2013. Prétentieux, sans âme et sans contenu, il a pourtant été acclamé par la critique. Le film est un exemple parfait de l’incapacité des sociétés bourgeoises à produire de la culture : il n’y aucune proposition, aucune perspective, aucun esprit de synthèse ; simplement une logique d’accumulation.

L’histoire est centrée autour d’un couple de vampires : Adam et Eve. Le premier est un dandy misanthrope et le second vit principalement à travers lui. Adam est au début du XXIe siècle une rock star de l’ombre, un musicien mystérieux vivant dans une maison à moitié abandonnée de Detroit. Eve vit à ce moment là à Tanger ; elle a ses habitudes nocturnes loin du monde.

Le film commence réellement avec l’arrivée d’Eve à Detroit, elle y retrouve son amant et le reste du film suivra leurs nuit passées ensemble chez Adam, dans les rues de Detroit, dans une salle de concert et pour finir à Tanger. On y apprend quelques anecdotes sur leur relation, leurs relations passées ou encore leur moyen de se procurer du sang sans avoir à tuer.

L’image du poète torturé et du génie

Si l’on devait résumer le film en quelques mots, on pourrait dire qu’il est un film de l’image : l’image du poète torturé, l’image de génie créateur, l’image du romantique suicidaire, l’image de l’artiste drogué, etc. Le film n’a aucune dignité, il ne vit que par et pour ces images : une accumulation – censée donner une esthétique, une culture et surtout une profondeur.

Adam est présenté comme un musicien extrêmement talentueux, il vit entouré d’instruments (surtout des guitares) et de matériel d’enregistrement. Il cherche à produire et à expérimenter : il se retrouve à jouer de la guitare avec une baguette de batterie puis un archet de violon… dans un logique de déconstruction sans intérêt. On est dans du pseudo-psychédélique.

Vient ensuite la drogue et ses paradis artificiels : le sang humain est dégusté dans des petits verres et la première gorgée procure une sensation de bonheur intense, les personnages sont enfin délivrés, pour quelques instants, du monde matériel.

Mais cela ne suffit pas, il en faut plus au héros de Jim Jarmusch : Adam est un romantique. Ou plus exactement l’image d’un romantique : sensible et suicidaire, génie créatif et hautain.

Les cheveux mi-longs et en bataille, il apparaît souvent torse nu ou en partie, pieds nus sur ses tapis. Il ne sourit jamais, et vit dans le passé : vinyles, collection d’anciennes guitares, portraits de grands personnages historiques.

Une insulte à Byron et aux époux Shelley

Tourmenté, il méprise profondément les humains qu’ils nomment « les zombies ». Ce mal lui viendrait de la fréquentation de Byron et de Shelley puis de français, si l’on en croit Eve. On pouvait tolérer jusque là la platitude du film, qui n’était pas complètement dénué d’intérêt sur le plan purement technique, mais là Jim Jarmusch a franchi la limite : cracher sur Byron et Shelley !

Que le réalisateur s’imagine cultivé parce qu’il distille tout un tas de références culturelles et scientifiques tout au long de son film, passons. Mais faire de Byron et de Shelley des poètes torturés qui diffusent des idées suicidaires… Non. Ce n’est pas acceptable. Être imbu de sa personne est une chose, cracher sur ceux qui ont représenté des grands moments dans l’histoire de l’Angleterre, et par extension de l’humanité, non.

Byron et Shelley n’avaient rien à voir avec un dandy misanthrope comme Adam. Le travail des deux amis et poètes n’est pas comparable avec la musique fade et sans envergure d’une rock star décadente. La mort de Byron est aux antipodes de la vie retranchée et sans envergure du vampire. La défense d’une vie naturelle de Shelley va à l’encontre du mépris qu’a Adam pour la vie et son attitude de camé raffiné.

On pourra essayer de défendre le directeur en disant que le personnage partageait peut-être les opinions de Shelley et Byron à l’époque et que le temps l’a tout simplement usé. Dans ce cas, Adam serait nostalgique de ce passé, il essaierait de s’y raccrocher, il chercherait un refuge… quelque chose, un idéal, même un reste, une miette. Mais il n’en est rien. Le personnage n’est qu’une image, l’image malsaine du poète torturé.

De plus, s’il avait encore ne serait-ce qu’un reste de romantisme, il n’aurait jamais pu qualifier Mary Shelley, née Wollstonecraft Godwin, de « délicieuse ». L’auteur de Frankenstein (œuvre immense et malheureusement méconnue en raison de caricatures) est simplement placée là, pour ajouter une nouvelle référence… (Les plus ardents défenseurs de Jim Jarmusch pourront toujours dire qu’il s’agissait probablement de la mère de Mary Shelley, toutes deux portaient le même prénom, mais évoquer une Mary Wollstonecraft quelques secondes après avoir parlé de Byron ne peut que faire penser à la fille qui épousera Percy Shelley et deviendra Mary Shelley – et dans tous les cas, la remarque reste abjecte.)

D’ailleurs, toute cette mentalité de consommateur qui ne voit dans la culture que des objets à poser sur une étagère est parfaitement illustrée dans la scène du départ de Tanger.

Eve prépare alors ses valises pour rejoindre son amant à Détroit et décide d’emporter des livres. Bien évidemment, son appartement comporte des piles de livres anciens disposées contre les murs, sans raison sinon de faire passer Eve pour une personne cultivée. Au moment de choisir, le film la montre en train de feuilleter de nombreux ouvrages en plein de langues, et à ce moment on peut en apercevoir un au fond de la valise : un livre sur Basquiat, l’artiste contemporain américain. De l’art contemporain, des références pour les références, des classiques consommés et vidés de toute substance… Voilà la culture portée par le film.

On pourrait continuer avec la référence à Faust : lorsqu’Adam se rend à l’hôpital pour chercher du sang humain, il se déguise en médecin et porte un badge au nom de « Dr. Faust ». Et la liste des références plus ou moins cachée est encore longue. Et tout ça pour quoi ? Rien.

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Politique

La colère qui monte dans les services d’urgence

Les services publics de santé en France se dégradent de manière importante et se sont les personnels qui, en première ligne, doivent malgré tout « gérer », tant bien que mal, car ils sont la conscience professionnelle.

La situation est particulièrement difficile dans les services d’urgence, où la colère est grande avec un mouvement de contestation prenant de l’ampleur.

Suite à la manifestation nationale des urgentistes ce jeudi 6 juin 2019, voici le communiqué du collectif inter-urgences, qui organise la mobilisation des personnels urgentistes de nombreux établissement :

D’après le collectif, ce sont actuellement (vendredi soir) 83 établissements qui connaissent un mouvement de grève, comme le montre cette carte (mise à jour automatiquement) :

Légende de la carte :
– en bleu, les SAU (Service d’accueil et traitement des urgences) connaissant un mouvement de grève ;
– en vert les contacts en cour.

Sur un registre plus politique, voici également le communiqué du groupe Sénateurs Communistes Républicains Citoyens et Écologistes qui dénonce la complicité de la Droite avec le gouvernement sur le projet de loi santé auquel s’opposent les urgentistes mobilisés :

« LA MAJORITÉ SÉNATORIALE COMPLICE DU PROJET DU GOUVERNEMENT DE RÉDUIRE LES HÔPITAUX DE PROXIMITÉ À DES COQUILLES VIDES

Alors que l’examen du projet de loi « organisation et transformation du système de santé » vient de s’achever au Sénat, ce texte entérine notamment la disparition des hôpitaux de proximité en les vidant de leurs services essentiels : gériatrie, maternité, plateau technique, et chirurgie.

Depuis près de 30 ans, les politiques successives ont attaqué ce qui constitue la colonne vertébrale de notre système de santé : l’hôpital public. Et aujourd’hui, ce projet poursuit et aggrave les recettes qui ont échoué. Au nom de la pénurie médicale, il accélère les Groupements Hospitaliers Territoriaux et instaure la gradation des soins, privant certains territoires d’établissements de proximité au bénéfice de superstructures plus éloignées et donc moins accessibles.

Avec la complicité bienveillante de la majorité sénatoriale de droite, tous les articles ont été votés au mépris des souffrances des personnels qui se mobilisent dans l’intérêt général.

Ainsi, alors que les urgences sont, à juste titre, en grève, le projet de loi ne contient ni recrutement ni augmentation de salaires, pas plus que d’ouvertures de lits d’aval dont les suppressions sont en nombre exponentiel.

Les difficultés d’accès aux soins sont liées entre elles, et seule une politique globale peut les résoudre. Pour y parvenir, un investissement financier est indispensable.

Notre groupe s’est battu pied à pied pour une autre logique : augmentation des moyens des universités pour former davantage d’étudiantes et d’étudiants, expérimentation, dans les zones sous denses volontaires, de l’installation de jeunes médecins pendant deux années suivant l’internat, préservation du statut des centres de santé et carte hospitalière totalement différente.

Nous pensons, en effet, que le maillage d’hôpitaux de proximité doit être maintenu et développé avec des services d’urgence 24h/24h, de médecine, de chirurgie, d’unité obstétrique, de soins de suite et de structures pour les personnes âgées en lien avec la médecine de ville, le réseau de centres de santé et la psychiatrie de secteur.

Le gouvernement répond au personnel hospitalier en grève « soigne et tais- toi », et aux parlementaires qui proposent une autre vision de la politique de santé, avec le recours aux ordonnances : « vote et tais- toi ». Nous ne nous tairons pas et nous voterons contre ce projet de loi Mardi 11 juin lors du scrutin solennel !

Nous continuerons à défendre, comme nous nous y sommes engagés lors du tour de France des hôpitaux et EHPAD, des propositions alternatives en faveur d’une santé de qualité et de proximité pour toutes et tous. »

> Lire également : Communiqué du mouvement Génération-s sur la colère dans les services hospitaliers

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Culture

Nuit et Brouillard de Alain Resnais (1956)

Nuit et Brouillard est un film documentaire d’Alain Resnais sorti en 1956. Il s’agit d’un film de commande du Comité d’histoire de la Seconde Guerre mondiale, dont l’objectif est de documenter, d’effectuer des recherches, de rassembler des témoignages ayant trait à la Seconde Guerre mondiale.

Nuit et brouillard

Le documentaire est réalisé pour marquer les dix ans de la libération des camps de concentration et d’extermination.

D’une durée de 32 minutes, il vise à marquer les esprits par une succession d’images d’archives, que ce soit photos ou vidéos, de la déportation, de la vie et de la mort dans les camps. Sont également intercalées quelques séquences filmées en couleur des camps à l’époque de la réalisation du film, contrastant par le vert éclatant de l’herbe qui a repoussé là où s’est tenu un des actes les plus barbares de l’histoire de l’Humanité.

Par dessus ces images, la voix off de Michel Bouquet déclame un texte de l’écrivain Jean Cayrol.

Le titre fait directement référence au nom des directives du Troisième Reich visant à faire disparaître, dans le plus grand secret, par la déportation en Allemagne, toutes personnes représentant une menace. C’est devenu, par extension, le nom donné par les nazis aux déportés dans les camps, les NN pour Nacht und Nebel.

Nuit et brouillard

Le film présente un certains nombre de limites, pour certains inhérente à l’époque à laquelle il a été réalisé.

Beaucoup ont pu lui reprocher un manque de rigueur, dans les chiffres, ou dans la présentation des images d’archives, on ne sait jamais s’il s’agit d’un camp d’extermination ou de concentration.

Cependant c’est passé à côté de l’objectif, de l’approche du film qui n’est pas de documenter les images qui sont présentées, mais d’en faire une œuvre révélant, par l’image, l’horreur et la barbarie nazi. Et c’est en cela qu’il est d’une grande valeur.

Loin de la représentation d’un système nazi totalement fou et psychotique, le régime du Troisième Reich apparaît au contraire comme un ensemble rationnel, dont les camps sont le prolongement industriel de son idéologie et où les officiers, les surveillants, les kapos, se sont organisés, avec leur famille, une vie presque normal, au beau milieu de la barbarie.

En plus de l’horreur des images des victimes, c’est ce contraste avec la froideur des nazis, tout à leur tâche, qui marque, qui choque.

Comme cette courte séquence au procès de Nuremberg où tous déclarent calmement qu’ils ne sont pas responsables.

Nuit et brouillard

Un autre point important, qui peut apparaître comme un parti pris, mais qui relève aussi de son époque est que le mot « juif » n’est prononcé qu’une seule fois sur l’ensemble du documentaire. Chaque déporté est fondu dans un grand ensemble, victime de la même barbarie. Ce n’est qu’un peu plus tard, dans les années 1970 que l’accent sera mis sur les spécificité de la Shoah et de l’idéologie dont elle découle, avec en son centre l’antisémitisme.

Si cette approche se comprend au vu de l’angle pris par Alain Resnais, il n’en demeure pas moins une réelle limite dans la compréhension de l’horreur nazi.

Il représente ainsi une œuvre importante, d’une valeur certaine, mais qui évidemment est loin de se suffire pour représenter l’ampleur de la barbarie de ces années.

Notons quelques autres films documentaires de grande qualité et dont l’approche totalement différentes se complète bien :

  • Shoah, de Claude Lanzmann (1985), rassemblant une très grande quantité de témoignages sur près de dix heures.

  • De Nuremberg à Nuremberg, de Frédéric Rossif (1988) portant davantage sur le contexte politique du régime nazi.

  • Le Chagrin et la Pitié, de Marcel Ophuls (1971) présentant la vie dans la ville de Clermont-Ferrand de 1940 à 1944, et plus généralement en Auvergne.

Il est évidemment primordiale de poursuivre l’effort de recherche, de documentation, d’éducation ayant trait à la Seconde Guerre mondiale et à la barbarie nazi. L’Histoire de l’Humanité ne s’écrit jamais en ligne droite, et les démons d’hier peuvent toujours ressurgir dans le présent ou le futur tant que leur source n’aura pas été tari.

C’est le sens de la fameuse citation :  « Le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde », approximative traduction d’une réplique de la pièce de théâtre La Résistible Ascension d’Arturo Ui, de Bertold Brecht  : « Der Schoß ist fruchtbar noch, aus dem das kroch. »

Et c’est aussi en ce sens que ce termine Nuit et Brouillard, avec ce fort monologue :

« Neuf millions de morts hantent ce paysage.

Qui de nous veille de cet étrange observatoire, pour nous avertir de la venue des nouveaux bourreaux ? Ont-ils vraiment un autre visage que le nôtre ? Quelque part parmi nous il reste des kapos chanceux, des chefs récupérés, des dénonciateurs inconnus…

Il y a tous ceux qui n’y croyaient pas, ou seulement de temps en temps.

Il y a nous qui regardons sincèrement ces ruines comme si le vieux monstre concentrationnaire était mort sous les décombres, qui feignons de reprendre espoir devant cette image qui s’éloigne, comme si on guérissait de la peste concentrationnaire, nous qui feignons de croire que tout cela est d’un seul temps et d’un seul pays, et qui ne pensons pas à regarder autour de nous, et qui n’entendons pas qu’on crie sans fin. »

Voici pour finir quelques extraits du film et le témoignage d’un survivant des camps, Alain Stanké  :