La France est amorphe.
Emmanuel Macron a été réélu à la présidence de la République avec un peu plus de 58 % des voix, obtenant une nouvelle victoire sur Marine Le Pen au second tour, comme en 2017. C’est là l’expression de deux choses relativement simples à comprendre. D’un côté, la bourgeoisie se modernise, va de l’avant, transformant les centres urbains importants en bastion d’un style de vie de consommation permanente. De l’autre, le prolétariat toujours plus placé en périphérie de ces centres se recroqueville sur ce qu’il a, rejetant un capitalisme qui va trop vite, beaucoup trop vite.
Tel est le sens des votes, avec une bourgeoisie « progressiste » au sens de réimpulser le capitalisme par l’élargissement des marchés, dont Emmanuel Macron est le grand représentant, et un prolétariat conservateur, enferré dans les acquis de la société de consommation mais sans envergure ni perspective, avec Marine Le Pen comme espoir pour exprimer à la fois rancœur, protestation et espoir.
Il y a également une petite-bourgeoisie, couche sociale coincée entre les deux classes historiques du capitalisme, tendant vers l’un, vers l’autre, voire les deux en même temps avec Jean-Luc Mélenchon comme grand représentant. Quiconque regarde La France Insoumise voit qu’il y existe un discours patriotique grandiloquent, des mesures sociales, une volonté d’orienter le capitalisme et de le moderniser, etc.
Ce sont là de grands traits qui transcendent la réalité concrète : l’élection présidentielle de 2022 a « oublié » la pandémie, les dettes abyssales qui en ont découlé, la guerre en Ukraine. C’est littéralement incroyable. On est ici dans un positionnement de classe totalement hors sol. C’est une sorte de prolongement informe de cinquante années de développement de la société de consommation.
C’est en ce sens la mort de la politique. La France est amorphe. Il n’y a plus de cohérence dans les idées et leur exposition, entre les idées et les pratiques, entre les états d’esprit et les conceptions des choses, entre les sensibilités et les points de vue. C’est la fin de tout un capitalisme qui assurait, d’une manière ou d’une autre, un certain sens de l’exigence, ou bien, plus exactement, c’est la fin d’une civilisation.
Il y a deux possibilités seulement qui en découlent. Soit la société capitaliste va se déstructurer toujours davantage, en allant à la guerre pour le repartage du monde, avec la formation de petits Etats-Unis d’Amérique dans chaque pays, avec un mélange d’individus et de communautés dans un effondrement culturel et un individualisme consumériste forcené. Ce serait ici un processus prolongé où, très lentement et avec d’énormes difficultés, des poches de résistance se formeraient.
Soit la société capitaliste rentre dans le mur relativement rapidement en raison des immenses contradictions qui s’imposent par la force des choses. Emmanuel Macron, pour prendre l’aspect le plus important, va forcément impliquer toujours plus la France dans l’OTAN et donc dans l’agression belliciste contre la Russie. On rentre ici dans une véritable démarche de guerre. C’est quelque chose ici qui bouleverserait, d’une manière ou d’une autre, la société française. Pas forcément dans le bon sens, d’ailleurs.
Garder l’esprit clair dans une telle France amorphe est extrêmement difficile, mais forme une exigence de rupture fondamentale pour qui ne veut pas se voir aliéné au point de devenir une partie du problème et pas de la solution. C’est une question de dignité et de réalisme – c’est toute une humanité qu’il faut conquérir, une humanité nouvelle, reforgée.