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Culture & esthétique

Quand les attitudes l’emportent

Imaginons que la thèse du matérialisme dialectique soit juste et que, somme toute, l’être humain est un animal sorti de la Nature et qui doit y revenir, en assumant tous les acquis de son parcours « civilisé ». Tant qu’il n’a pas fait le tour de lui-même, il est en souffrance : il est animal, mais hors de la Nature, donc ça ne va pas.

Il peut bien entendu s’imaginer toutes les folies structuralistes, post-modernes, existentialistes, transhumanistes qu’il voudra ; il peut consommer et détruire de manière démesurée. Cependant, cela ne change rien à l’affaire.

C’est là où il faut réfléchir sur les attitudes. Les gens prennent des attitudes, on peut l’observer de manière la plus flagrante lorsqu’on pointe un appareil photo (ou un smartphone) sur eux. Immanquablement ils prennent la pose. Pourquoi donc?

Et cette pose est prétexte à des mises en scène, plus ou moins subtils, qui sont d’ailleurs le cœur d’Instagram. On se montre, non pas comme on est, mais dans une attitude.

Il ne faut pas confondre l’attitude avec le style ; il est important de se cultiver, de s’élever à un style. Toutefois l’attitude pour l’attitude, la pose, l’apparence choisie arbitrairement ou de manière subjectiviste… C’est vain, c’est abstrait.

On voit pourtant l’être humain s’y précipiter, y compris à ses dépens, comme si l’attitude primait sur toute chose. Dostoïevski, au détour d’un roman, souligne cette dimension éperdue. L’attitude est choisie si profondément, elle est si forcée dans son expression, qu’elle l’emporte même sur l’intérêt de qui l’adopte.

« Effectivement, Fiodor Pavlovitch aima toute sa vie à prendre des attitudes, à jouer un rôle, parfois sans nécessité aucune, et même à son détriment, comme dans le cas présent.

C’est d’ailleurs là un trait spécial à beaucoup de gens, même point sots. »

Les Frères Karamazov, 1879-1880

Si on reprend la thèse d’un être humain inaboutie tant qu’il n’est pas revenu à la Nature, alors on se dit là qu’elle apparaît comme juste. L’être humain se perd facilement dans son ego.

Il a un besoin de reconnaissance non seulement dans les yeux des autres, mais vis-à-vis de lui-même également. Et le meilleur moyen pour obtenir une telle reconnaissance, c’est l’attitude, qu’on enfile comme du prêt-à-porter.

Le capitalisme est ici très malin dans sa démarche commerciale, car il propose des attitudes, énormément d’attitudes, tout en faisant en sorte que chaque personne qui l’adopte se sente « unique » pour autant.

Tout le monde fait pareil, à quelques degrés ou nuances près, car tout le monde agit selon le catalogue des attitudes proposées par le capitalisme. Et chacun se sent différent pourtant, comme si personne d’autre n’avait la même attitude.

On connaît tous des situations où on a ressenti une situation dérangeante, malsaine même, où les gens se forçaient à adopter une attitude dans un moment « social » se prétendant incontournable. Il y a quelque chose d’odieux qui se profile alors, et on a une seule envie, celle de vite quitter les lieux.

On pourrait dire, simplement, que quand les attitudes l’emportent, la situation est mauvaise. Mais c’est un raccourci, car rien que le fait d’écrire un article est une attitude adoptée dans les faits. La civilisation permet de progresser, justement en proposant des attitudes formulées adéquatement pour que, quand on les prend, on arrive à quelque chose.

Reste à faire le tri et à ne jamais perdre de vue l’essentiel. Dès qu’on tombe dans le formel, c’est horrible. Et le capitalisme propose justement uniquement des choses formelles… Cela souligne d’autant plus l’importance de souligner que le Socialisme, c’est la production de Culture.

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Rapport entre les classes

Le contrôle bourgeois du style des villes

Des journalistes avaient demandé à ChatGPT la perception d’eux que donnaient les habitants de plusieurs villes. ChatGPT est, comme on le sait, un supercalculateur; il prend des données partout où il peut, il compile, il mélange, il associe, et il résume. Il fournit toujours une réponse pleine de consensus, neutralisant toutes les contradictions, en faisant en sorte que cela soit conforme à l’idéologie dominante et que personne ne soit choqué. Et voici ce que cela donne.

Parisarrogants
Lillediscourtois
Lyonbourgeois
Nantesbobos
Bordeauxsnobs
Marseilleimpulsifs
Toulousenonchalants
Cannessuperficiels
Niceélitistes

Ce qui est très dérangeant dans ce tableau, c’est qu’il est tendanciellement juste. ChatGPT n’est pas un programme intelligent, on a juste à faire à un nombre immense de données, et le programme compare, prend ce qui est majoritaire et le recrache. Et c’est là qu’on s’aperçoit du poids gigantesque du style bourgeois propre à chaque ville.

Au-delà des contradictions de classe, il y a un style à chaque ville, car les gens vivent ensemble. Mais normalement, les contradictions de classe devraient agir sur ce plan malgré tout. Or, en France, il n’y a rien de tout cela. Il y a dans chaque ville un style dominant et il est accepté tel quel, il est repris tel quel. C’est qu’il faut bien vivre et on s’adapte. Pour autant, on devrait constater que les luttes de classe déchirent l’équilibre donnant naissance au style urbain. Ce n’est pas le cas.

La marque Sézane est emblématique du style parisien dominant, bobo sans audace

Il ne s’agit pas du tout de prôner un contre-style imaginaire. Cela ne marche pas. Le PCF a d’ailleurs tenté de le faire dans les années 1920-1930 avec le style ouvrier à béret. Comme cela n’a pas marché, il a fini par accepter les conventions dominantes pour contribuer à la mise en place du Front populaire.

Pour autant, il y a un problème à ne pas voir de contradiction de classe jouer au niveau des villes. C’est d’ailleurs très français. On sait comment, dans de nombreuses villes d’Europe, il y a deux clubs de football, avec une différence de classe au niveau de l’attirance et du style (Inter et AC à Milan, City et United à Manchester, Sparta et Slavia à Prague, Rapid et Austria à Vienne, etc.). En France, cela n’a jamais été le cas.

Cela a certainement comme source que les villes d’importance, en France, sont peu nombreuses, qu’elles centralisent beaucoup et qu’il y a une telle richesse d’activités que tout le monde est emporté dans l’élan, dans le style urbain local. C’est en tout cas un sujet d’importance.

Il faut ici remarquer plusieurs choses. En Allemagne, ou même en Italie, la Gauche est historiquement organisée dans tout le pays, également dans les zones isolées – qui ne le sont pas tant que ça, en raison du maillage important des petites villes. On n’a rien de tout cela en France.

Un problème en découle. La Gauche a un style bien différent dans chaque ville importante, avec des mentalités différentes, des types d’action très différents. Il n’y a pas d’unité, pas d’action politique d’envergure nationale. Une telle action n’existe que pour les campagnes électorales. Il y a là un vrai souci, cela empêche de générer quelque chose qui ait un niveau réel.

Il n’y a pas non plus de communication réelle entre la Gauche des différentes villes. C’est comme si on avait différents petits royaumes. A Nantes et Paris, les anarchistes peuvent casser des vitrines comme ils veulent et s’imaginer les rois du monde, ils ne le peuvent que parce que localement on le tolère pour pacifier. Pendant ce temps-là, à Marseille, la Gauche n’existe pas, alors qu’à Lyon elle est tout à fait en phase avec le style bourgeois prenant de haut.

La question du style des villes est d’une grande signification. Le 24h sur 24 du capitalisme uniformise les styles, mais en même temps il y a une hégémonie de la bourgeoisie adaptée à chaque situation locale. Tant que les verrous ne sont pas brisés à ce niveau, il y a un poids immense qui joue sur les mentalités.

Comment le Socialisme, comment la Révolution vont-ils se frayer un chemin? Cela ne viendra pas tout seul, pas du tout. Il faut trouver les solutions, et les mettre en pratique. C’est une composante de la grande bataille pour la recomposition du prolétariat en tant que classe, dans le contexte de la crise du capitalisme et de la tendance à la guerre.

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Vie quotidienne

On peut s’habiller comme on veut désormais, mais…

C’est un aspect très intéressant du capitalisme et qu’on peut tous remarquer. Avec le développement de forces productives dans les années 2000-2010, notamment l’intégration complète de la Chine dans le marché mondial, l’habillement a connu un changement de très grande ampleur.

Auparavant, les habits ne profitaient que peu de variété et on s’habillait avec relativement peu de marge de manœuvre. Les deux exceptions marquantes étaient les très riches consommant des produits de grande marque et les marginaux appartenant à des tribus aux looks bricolés bien délimités (punk, gothique, scène tag-rap, métalleux, etc.)

Désormais, plus rien ne veut rien dire, car n’importe qui peut acheter n’importe quoi et ne se prive pas de le porter. Aucune tribu ne peut profiter d’une réelle délimitation et, de toutes façons, personne n’en a plus rien à faire. On peut s’habiller comme on veut, mais il faut que cela corresponde, il faut que ce soit bien porté.

Le streetwear, avec ses marques produisant de manière créative et profitant du Portugal, du Mexique, du Vietnam, du Bangladesh, de la Chine, a révolutionné les codes de l’habillement. La première chose qu’on apprend dans une boutique dont les produits coûtent chers, c’est que l’habit ne fait pas le moine et que la personne qui a l’air très mal habillé selon tel ou tel critère peut en réalité être un vrai branché avec des habits coûtant une fortune.

Civilist (Berlin)

Quand on voit cela, on se dit : il y a un problème, c’est comme si d’un côté le socialisme avait gagné, et de l’autre qu’il avait été mangé par le capitalisme. Car c’est une des raisons de croire en le capitalisme, pour les gens. On peut s’habiller de mille manières, c’est donc bien que le capitalisme apporte quelque chose !

C’est en fait le socialisme qui aurait dû instaurer cela. En raison du retard de celui-ci à triompher, on doit donc supporter une mondialisation maintenue dans le cadre du capitalisme, porté par des petits-bourgeois dynamiques et entrepreneurs. Et cela ne fait justement pas non plus les affaires du capitalisme.

En effet, le capitalisme a besoin de maintenir une hiérarchie dans la production. Or, des styles à l’infini, c’est bien pour la consommation. C’est cependant bien dérangeant au niveau productif lorsqu’on a des gens qui croient vraiment qu’ils sont différents et qui n’en font qu’à leur tête, voire qu’à leur style.

Cela fait désordre, tout de même. Et c’est pour cela qu’une ville comme Paris voit la bourgeoisie, y compris bobo, faire un retour aux sources niveau habillement. Le streetwear s’efface pour laisser la place à une apparence qui ne dénoterait pas dans le Auteuil – Neuilly – Passy des années 1980.

Le contraste avec la possibilité, pour les prolétaires, de disposer de choses de qualité à bas prix, se transforme ici directement en contradiction.

Collaboration (ici pour enfant) à bas prix d’Adidas avec la marque finlandaise chic et de qualité Marimekko

Ce qui est en jeu ici, c’est de comprendre que le capitalisme a pour l’instant battu le socialisme, mais que les choses se retournent en leur contraire. Les gens prennent au pied de la lettre le style. Le prolétaire ne se laisse plus mettre de côté sur le plan vestimentaire. Et surtout, il n’y a plus une dimension réactionnaire comme par le passé à ce niveau.

Il a existé en effet, surtout parti d’Italie avec les « paninaro » des années 1980, mais aussi le mouvement « ultra » au football, tout une tentative de jeunes prolétaires de suivre la mode, avec une mentalité d’élite, de carriérisme vestimentaire, de consumérisme. C’était très réfléchi, très esthétisant.

Désormais, le rapport au style est de masse et s’il existe encore des courants marginaux dans la quête d’un look « décisif », tout cela est bien fini. On remarquera ici d’ailleurs que ces courants marginaux se trouvent surtout chez les petits-bourgeois « à gauche de la gauche », qui vivent dans les fétiches et l’entre-soi. Leur ghetto a des codes vestimentaires très marqués.

Les prolétaires n’en ont rien à faire. Pour eux, un style a un rapport avec la personne. Si c’est bien porté, alors c’est bien. Si c’est mal porté, alors c’est critiquable.

Iriedaily (Berlin)

Il est évident que le problème fondamental, c’est que les gens vivant dans le capitalisme, cette question du style bascule dans la mise en scène. Pourtant, du point de vue socialiste, on doit également bien voir qu’il s’agit d’un approfondissement de leur personnalité. Tant que le capitalisme parvient à neutraliser cette question de la personnalité, la contradiction n’est pas explosive. C’est d’ailleurs là le rôle pernicieux et neutralisateur des idéologies ultra-individualistes, idéologie LGBT en tête.

Si le capitalisme commence par contre à brimer les développement de la personnalité, là les choses peuvent très mal tourner pour lui, car les gens considéreraient qu’un acquis leur est enlevé. C’est pour cela par exemple que la Russie n’a pas mené de mobilisation générale lors du début de « l’opération spéciale » contre l’Ukraine : il ne fallait surtout pas que la jeunesse de Moscou se sente brimée dans sa « personnalité »… et son individualisme.

En France, le thème de l’uniforme à l’école est récurrent et il est un vrai dilemme pour le capitalisme : il faut bien de l’ordre, mais sans toucher à l’individualisme… et le souci de l’ordre, c’est que les jeunes ont des acquis « personnels ». En un sens ils n’ont d’ailleurs que ça : les moments présents qui se succèdent, le style, une musique répétitive comme « son » servant d’arrière-plan. Si le capitalisme commence à toucher à ça…

Maillot extérieur de l’équipe colombienne féminine de football

L’habillement est également une preuve de la mondialisation tellement avancée qu’on ne peut plus reculer. Si d’un côté tout le monde se ressemble dans les mêmes centre-villes des grandes villes du monde, d’un autre il n’y a jamais eu autant de variété. Les goûts et les couleurs du monde entier se rencontrent, pas forcément pour le meilleur, mais le brassage et le métissage en ressortent triomphalement, d’une manière ou d’une autre.

Le socialisme l’emporte ainsi dans l’habillement capitaliste, malgré le capitalisme, car le capitalisme porte dialectiquement le socialisme, de manière contradictoire. Si on rate cet aspect, on veut retourner dans le passé, et ça les gens ne le veulent pas. Ils veulent plus de complexité, plus de possibilités de s’épanouir. Ce sont les masses et elles ont raison ! En même temps elles ont tort de ne pas comprendre qu’elles s’aliènent en acceptant que le cadre capitaliste se maintienne.

Et leur vie privée, réelle, concrète, épuisée par l’exploitation capitaliste, ne correspond pas à leur vie rêvée.

Stüssy

On comprend que le socialisme, c’est bien la bataille pour préserver les acquis que sont les forces productives… tout en renversant, en révolutionnant le cadre capitaliste. Ici, c’est la course à la consommation qu’il s’agit de supprimer, car avoir un style est suffisant et il ne s’agit pas d’accumuler des tonnes d’habits qu’on va jeter ou ne pas porter.

Ici, les achats – ventes de seconde main, surtout avec Vinted, expriment une tendance chez les gens à réorganiser leur consommation particulière. En soi, cela ne veut rien dire, car c’est aussi une expression de surconsommation et de volonté de petit commerce. On achète d’autant plus facilement qu’on pense qu’on peut le revendre.

Néanmoins, historiquement, c’est tout l’édifice capitaliste de l’habillement qui révèle sa fragilité. Les achats sur internet tuent d’ailleurs les magasins qui s’avèrent incapables par définition de présenter une immense variété. Si on y réfléchit bien, on voit bien que la société est bien mûre pour le socialisme…

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Culture Culture & esthétique

Iriedaily X Union Berlin, la fraîcheur et les valeurs

« Nebeneinander, miteinander, füreinander ».

Iriedaily, la marque de vêtement berlinoise à l’esprit alternatif, produit une collaboration avec l’Union Berlin, le club de football populaire de l’Est de la ville. Plus précisément, c’est une collaboration entre Iriedaily, le 1.FC Union Berlin et Adidas, l’équipementier du club, pour soutenir le projet Mellowpark.

Voici la présentation du projet.

« Bonjour les amis,

Lors du match à domicile contre le Bayer Leverkusen lors de la 30e journée, les Unioners joueront dans un maillot destiné à aider les enfants de Berlin à faire du skateboard.

Pour cette raison, le Mellowpark, un centre culturel pour les jeunes à proximité immédiate du stade « An der Alten Försterei », orne la poitrine du maillot spécial pour un jour de match.

Adidas et ses partenaires utilisent une partie du produit de la vente du maillot limité pour financer la construction d’une nouvelle skate plaza à Mellowpark.

Celle-ci sera inaugurée le dimanche 30 avril 2023, avec un événement pour tout Köpenick [le quartier de Berlin où est situé le stade].

À l’avenir, les nouveaux espaces offriront un espace pour des ateliers et des projets liés au skateboard, en particulier aux initiatives sociales du sud-est de Berlin – fidèle à la devise :

« Les uns à côté des autres, les uns avec les autres, les uns pour les autres [Soit en allemand : Nebeneinander, miteinander, füreinander] ».

Voici la vidéo, où l’on reconnaît immédiatement la touche apportée par la marque Iridaily, dans un esprit qui colle tout à fait avec celui de l’Union.

Nebeneinander, miteinander, füreinander !

Tout cela est d’une grande fraîcheur, indéniablement populaire, et surtout fortement assumé comme relavant de la Gauche historique. Il y a des usines en fond sur le maillot ! Ce n’est clairement pas à Paris que l’on verrait cela, ni même à Marseille, Saint-Étienne, Lens, Nantes, ou Saint-Ouen.

L’Union Berlin d’ailleurs lui-même un club très populaire avec une identité ouvrière et alternative entièrement assumée.

C’est clairement le feu quand cela fusionne avec le style urbain et moderne d’Iriedaily.

C’est le genre de choses que l’on veut en France ! Et agauche.org paye très cher par l’isolement le fait de promouvoir ce genre de valeurs et de style, bien loin du ronflement syndicaliste et des errements de la fausse gauche française !

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Culture

Décès de Virgil Abloh, fondateur d’Off-White

Il fut emblématique du streetwear intégrant le luxe en version art contemporain.

Le décès de l’Américain Virgil Abloh d’un cancer à 41 ans a ceci de marquant qu’il fut une figure emblématique de l’expansion capitaliste dans la mode. Le développement des forces productives a rendu accessible la production de mode à des franges bien plus larges à partir des années 1990, ce qui a amené un foisonnement d’initiatives plus ou moins réussies, plus ou moins douteuses.

Virgil Abloh forme le pic commercial de cette vague, avec sa marque incontournable Off-White mêlant le streetwear et le luxe, fondée en 2013 comme aboutissement de plus d’une décennie à jouer les rôles de conseiller en création en chef pour le rappeur Kanye West.

En clair il faut être prêt à mettre plus de 400 euros dans un pull, voire 25 000 euros pour des chaussures d’une collaboration Nike et Off-White. Louis Vuitton (ou plus précisément LVMH) y a vu son intérêt en achetant la majorité des parts de la marque et en faisant de Virgil Abloh à la fois un styliste et un directeur artistique pour homme.

Ce qui relève ici d’une forme d’art contemporain, car Virgil Abloh ne connaît rien à la mode, il a une formation dans le génie civil et dans l’architecture : c’est le prototype du « designer » surfant sur l’air du temps, la mode dans tout ce qu’elle a d’ultra-consommateur chez les couches les plus aisées de la société.

Comme dans l’art contemporain on a d’ailleurs une régularité sans faille dans les collages, les reprises, les concepts (comme marquer « pour marcher » sur des chaussures), des collaborations (Nike, Levi’s, Jimmy Choo, IKEA, Browns, Warby Parker, SSENSE, Sunglass Hut, Dr Martens, Champion, Converse, Umbro, Takashi Murakami, Heron Preston, ASAP Rocky, Byredo, Boys Noize, Le Bon Marché, Rimowa, Timberland, le musée du Louvre, le groupe les Guns N’Roses, etc.).

C’est le mélange des genres, sur un mode baroque, qu’affectionne le capitalisme ou plus exactement le turbocapitalisme. On ne peut d’ailleurs pas être un bourgeois branché et cosmopolite sans affectionner Off-White.

Virgil Abloh avait ainsi cinq millions d’abonnés sur Instagram, de par son statut d’icone de la mode et par sa mode que, justement, n’importe qui pourrait faire. C’est l’art contemporain appliqué à la mode, mais avec des marchandises « concepts » restant tout de même des vêtements qu’on peut porter.

Virgil Abloh a d’ailleurs un discours très rôdé. Il se revendique de Marcel Duchamp (avec les « ready-made » comme l’urinoir), considère qu’une oeuvre modifiée à 3% est nouvelle. Il a même eu droit à une rétrospective au musée d’Art contemporain de Chicago en 2018.

Virgil Abloh ne fut ainsi qu’un entrepreneur réussissant, par le biais du streetwear et d’un capitalisme en expansion, à toucher des adolescents et des jeunes ayant un énorme budget, chose n’existant auparavant pas. Il a accompagné la naissance d’un nouveau marché et le capitalisme a reconnu sa capacité à œuvrer au turbocapitalisme pour permettre l’expansion.

Virgil Abloh pensait récemment que le streetwear en mode luxe s’estomperait face à la mode du vintage. Il est bien entendu ensuite revenu sur ses propos afin de maintenir la crédibilité de sa propre marque.

Néanmoins, cela reflète bien le fond de sa démarche, qui n’est clairement pas celle d’un styliste, mais celle d’un consommateur ayant pris une position de « créateur », exactement comme dans l’art contemporain. D’où le côté expérimental incessant dans la production d’Off-White, les tentatives ininterrompues de déroger aux formes traditionnelles, d’ajouter des choses ou de les modifier, pour qu’il y ait en quelque sorte ces « 3% » de choses différentes amenant soit disant quelque chose de nouveau.

C’est le summum de ce que le capitalisme, en version turbo, peut proposer dans l’habillement.

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Société

Magenta skateboard, la touche à la française

Fondée en 2010 par deux skateurs français, la marque Magenta skateboard a fêté ses dix années d’existence en 2020. Elle fait aujourd’hui partie du paysage incontournable du skateboard, et participe d’une « french touch » en assumant une démarche auparavant mise de côté.

Courant 2010, Vivien Feil et Soy Panday, deux piliers de la scène skate en France présents depuis les années 1990, sont confrontés à l’épuisement de leur démarche. Vivien Feil ne se retrouve plus dans le skate « à l’américaine » et Soy Panday pense avoir fait le tour : il faut aller de l’avant, chercher un nouveau souffle.

C’est de là que vient l’idée de fonder une marque de skateboard, Magenta, en référence à l’appartement parisien localisé au boulevard du même nom ayant été un repère important pour la scène des années 2000. Et le lancement de la marque atteste déjà de son ADN, avec plusieurs séries de board (le plateau seul du skateboard) sorties comme un feuilleton d’une bande-dessinée, présentant tour à tour, tel ou tel aspect de la team et de la philosophie de la marque.

Entre le clip qui a « lancé » la marque il y a dix ans, et le clip anniversaire, il y a le reflet de ce qu’est à la base et en général l’état d’esprit « skate », et en particulier celui véhiculé par « Magenta ». Comme le dit le clip de 2010, avec le skateboard « c’est la rue qui commande », mêlant ainsi culture alternative avec pour horizon le dépassement de la morosité de la ville par son appropriation ludique, émancipatrice…

Être un skateur, c’est avant tout un état d’esprit et c’est pour cela que quiconque a un skate ou fait du skate, n’est pas forcément un skateur, ou ne le reste pas ! Avec « Magenta skateboard », on comprend tout à fait cela : être un skateur, c’est avoir un certain regard sur le monde, urbain forcément mais pas seulement. La sensation de skater, le style vestimentaire particulier, l’insistance sur les playlist, la mise à distance du travail et d’une « vie rangée » sont les révélateurs de tout un life style, d’une culture alternative.

Dans son interview en 2004 pour le magazine français Sugar, Soy Panday exprime à merveille cette mentalité alternative, un poil juvénile, lui-même ayant fuit du business world pour se lancer à fond dans le skateboard :

Le skate pour moi, c’est du rêve qui permet d’échapper à la réalité, je suis censé chercher un travail, être sérieux et responsable et ça me fait chier… Dans la mesure où je fais du skate tous les jours et lorsque j’en ai envie, j’ai un peu réalisé mon rêve…

Le clip d’introduction de la première vidéo en 2010 :

Le clip anniversaire en 2020 :

Mais si Magenta reflète bien l’esprit skate, il en va de même, et à leurs façons, des marques comme Polar, Helas, Rave, Sour, Isle, Palace, Primitive, Wknd, Antiz, etc. En réalité, Magenta apporte dans la scène une touche bien française, quand Baker skateboard a finalement cristallisé l’approche américaine agressive.

A sa naissance, Magenta Skateboard a suscité la curiosité mais aussi la controverse. Car dans un monde de plus en plus aseptisé et pourrie par le business, le skateboard n’échappe pas à la règle.

Non pas que l’origine du skateboard, située dans les Etats-Unis des années 1970-1980, soit à jeter, mais qu’il y manque une « touche », un « esprit », une « philosophie » au sens esthétique, romantique même. Cela tient à la naissance du skateboard.

Être un skateur dans les années 1980-1990 aux Etats-Unis, c’était se confronter aux vigiles privés, aux policiers, aux voisins des quartiers pavillonnaires ghettoisés, etc. C’était se réfugier dans la cour d’une école, avec son « set » de marches (escalier) et son « handrail » (rampes d’escalier). Tout cela a fait du skateboard quelque chose de très « hardcore », et il est nullement étonnant que le punk hardcore et l’ancêtre de la phonk aient influencé, à ses débuts, la scène.

Avec Magenta, c’est une perspective différente qui a été mise en avant, venant bousculer les codes anciens. Magenta a mis l’accent non plus sur la performance du tricks (figure) en tant que tel mais sur la globalité de la démarche en insistant sur le côté exploration totale, esthétique et amusante de la ville. Jusque dans les années 2010, pour parvenir à « percer » dans le skateboard, il fallait être en mesure d’aligner une batterie de figures, et notamment de « se jeter » sur un escalier impressionnant, une pente ultra-raide, avec tous les risques physiques pris.

Qui d’autres que des français, portés justement sur l’ « état d’esprit », pouvait mettre en valeur une autre approche ? Non pas d’ailleurs que faire du skate sans viser le sempiternel « hammer » (littéralement « marteau » pour désigner le fait de faire de grosses figures impressionnantes) était inexistant avant, mais avec Magenta il y a eu la mise en forme générale d’une démarche assumée. La scènes skate de la east coast américaine, notamment new-yorkaise, développait cette tendance à l’exploration fun de la rue, mais c’était relativement isolée, peu assumée et valorisée en tant que tel.

A noter que Magenta a pu façonner son monde en rapport avec la culture japonaise, notamment certaines astuces pour filmer, et dans le fait de se focaliser sur ou tel ou tel aspect du lieu, tel ou tel aspect du tricks. Le Japon est un pays marqué par une forte répression du skateboard, ce qui fait que les sessions se font uniquement la nuit, avec tout le relief esthétique que cela fournit en conjugaison avec l’esprit japonais en général.

La team Magenta entretien depuis ses débuts des liens solides avec la scène japonaise, à tel point que l’on peut dire que c’est une approche franco-japonaise du skateboard. Une synthèse franco-japonaise visible dans le projet vidéo Minuit sort en 2012, ou dans Soleil levant, une compilation vidéos comprenant notamment des images de nombreux road trip au Japon.

A ses débuts, Magenta ne pouvait que susciter la critique car s’il y a forcément un aspect positif, il y a aussi, quoi qu’on en dise, un aspect négatif. Produire des clips à base de powerslide, de ollies par ci, par là, sur fond de jazz et le tout en pleine nuit, a dénoté une forme de prétention, une mentalité hautaine si typiquement française.

Mais d’un autre côté, quel souffle novateur apporté au skateboard ! D’ailleurs, les fondateurs de la marque sont tous issus de la scène des années 1990, ayant connu les débuts où le skate se pratiquait le plus souvent sur une place urbaine, où se côtoyaient marginaux et alternatifs, dans un esprit « hardcore ».

Mais il fallait pouvoir assumer le fait qu’on pouvait dorénavant filmer et rendre stylé un simple ollie, un power slide (dérapage sur les roues), un boneless ou no comply, le fait de cruiser (rouler-glisser dans la rue), à condition qu’il y ait une démarche réflexive qui l’accompagne, en tenant compte du style du skateur, du spot choisi (ses couleurs, son revêtement, etc.), de la manière de filmer, de la luminosité, etc. D’ailleurs, il serait erroné de dire que la simplicité du tricks relève d’un simplisme, d’un approche débutante.

En fait, il y a une insistance sur l’approche qualitative plus que quantitative, encore que cela soit réducteur puisque pouvoir faire une « ligne » (enchainement de figures) à très vive allure sur un endroit rugueux demande un certain niveau de pratique… C’est n’est donc finalement pas tant la difficulté du skateboard que Magenta a révolutionné, mais plutôt l’idée qu’on peut faire du skateboard, sans pour autant être obligé de se mettre son corps à l’épreuve du danger…

Magenta, c’est le skate branché, artistique, sans pour autant sortir de l’esprit générale skate. Est-il d’ailleurs bien étonnant que le Q.G de la marque, tout autant que de la team, soit à Bordeaux, cette ville aujourd’hui marquée par la culture bobo-branchée, mais qui a longtemps été la « belle endormie », lieu florissant de la scène punk se confrontant à la crispation d’une bourgeoisie traditionnelle. D’ailleurs la gamme vestimentaire de Magenta est à ce titre très stylée, du fait de ses détails subtiles et modernes.

Pendant très longtemps, et cela est encore vrai aujourd’hui, le skateboard était sévèrement sanctionnée par la police bordelaise, étant même un sujet d’actualité du fait des plaintes déposés par les bourgeois retraités en recherche de tranquillité. Tout comme au Japon, et dans une moindre mesure à New-York, les sessions de skate à Bordeaux se faisaient la nui, là aussi pour éviter la répression. Entre la pratique de nuit et l’architecture florissante de la ville, il y avait là tout le terreau favorable pour que Magenta skateboard s’exprime se développe.

Léo Valls, le skateur bordelais sponsorisé par la marque qui a largement contribué à faire accepter le skateboard dans la ville, comme en juin 2019 avec le projet Play!, représente admirablement bien l’approche « Magenta ».

La photo de ce « simple » backslide powerslide, photographié par David Manau, sur l’une des pyramides du Louvre, grâce à un accès plus libre lors du chantier 2014-2016, est un chef d’oeuvre qui marquera surement l’histoire du skateboard.

Avec Magenta, on a enfin trouvé la touche française du skateboard, et non plus un mimétisme forcément bancal de l’approche américaine. Une touche qui conjugue l’exploration approfondie de la ville, l’esthétisme général de la démarche et la « touche » subjective du skateur autant que du filmeur.

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Culture

L’inacceptable créativité du streetwear de RIPNDIP

Le streetwear de RIPNDIP est créatif, la mise en avant d’un chat blanc est ultra-créative, mais le choix du décadent est inacceptable.

La marque RIPNDIP est l’exemple même de comment la richesse matérielle permet de réaliser plein de choses, d’exprimer sa créativité, mais comment en même temps il dévie vers le superficiel. C’est une sorte de règle : des gens intelligents et créatifs disposent subitement de moyens, ils font des choses très bien, comme la série Disney The Mandalorian, puis cela tourne à la catastrophe parce qu’il faut obéir par opportunisme au mauvais goût, au culte superficiel de l’apparence remarquable et remarquée.

RIPDNIP est ici un immense gâchis. La marque été mise en place en Floride en 2009, par un skateur évidemment, Ryan O’Connor. Il a fabriqué des t-shirts sérigraphiés dans le garage de sa mère pour aller les vendre lui-même. Le nom choisi correspond à une expression voulant dire faire du skate dans un endroit où il y a la police et des vigiles, puis s’enfuir rapidement avant de se faire attraper. Mais le cœur de la marque, c’est en réalité un chat blanc, dénomme « Lord Nermal » et prétexte à une série de variations de thèmes.

Si l’on omet la vulgarité du chat dans la pose insultante, qui se veut une blague sur les habits puisqu’on ne le voit faire le geste qu’en abaissant une partie de ceux-ci, il y a une véritable créativité oscillant entre le mignon et le délirant, faisant qu’on peut y retrouver son compte, surtout que la marque est chère, mais relativement accessible.

Le côté délirant, et c’est ça qui est marquant, procède régulièrement d’une sorte de récupération / détournement de figures pop, au profit de Lord Nermal. Un nombre incalculables de choses y passe, pour le pire et le meilleur.

Le problème, c’est que la tendance au délirant a tendance à l’emporter pour de plus en plus un grand n’importe quoi, dont à la limite on peut s’écarter, du moins le pense-t-on…

Car, business et décadence oblige, RIPNDIP cumule l’apologie du cannabis et des drogues psychédéliques, les poses sexistes prenant comme prétexte qu’à l’intérieur de Lord Nermal il y aurait un extra-terrestre aux commandes. Il y a même parfois une étiquette disant que si l’habit est vraiment trop sale, il faut le confier à sa mère ou sa petite amie et aller faire du skate! Inacceptable !

On l’aura compris, fini les skateparks, même si c’est la référence à l’arrière-plan, on est passé dans la même approche que la marque Supreme : on produit tout et n’importe quoi, du beau au laid, du vulgaire au chic, du très léché au total à l’arrache, du rideau de douche au sac à dos au réveil-matin, etc.

Bref, c’est raté pour un avoir un chat blanc sur ses habits, car RIPNDIP promeut trop quelque chose de finalement malsain, visant le public aliéné cherchant à un streetwear pour se faire remarquer, dans une optique égocentrique anti-culturelle. C’est exemplaire d’un gâchis à la fois opportuniste, simpliste, sexiste, anti-vegan, alors que le potentiel était énorme de faire de Lord Nermal quelque chose de formidablement sympathique, éclairant plein d’aspects de la vie quotidienne de manière décalée et positive.

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Société Vie quotidienne

Ragwear, un streetwear vegan normal et donc classe

La marque allemande Ragwear est à la fois ouverte et exigeante ; elle réussit à ouvrir un chemin pour le moins incontournable.

Ragwear est une marque allemande qui est assez proche de l’esprit d’iriedaily, mais sans la prétention alternative, ce qui amène paradoxalement un style beaucoup plus grand public et accessible, avec un esprit même peut-être plus authentique, parce que plus simple, plus neutre, sans agressivité.

Fondée en 1997 sur une base streetwear liée à la culture skate, la marque s’est aperçue des conditions terribles qu’implique la production de denim en Afrique en termes de conditions de travail et de pollution de l’eau. Elle a alors tout changé et en 2007 elle est devenue une marque strictement vegan accordant une place essentielle au refus de polluer.

Comme chez Iriedaily, on a pareillement sur Facebook les photos des travailleurs chinois produisant les habits ainsi que des lieux de travail, des employés, mais chez Ragwear on a également régulièrement des photos d’animaux, avec également des appels aux dons, la marque parrainant également une vache arrivée dans un refuge spécialisé pour vaches, etc. On est davantage dans une modernité vegan que dans un style branché urbain comme fin en soi.

Cela implique bien entendu un style moins tranché, moins cassant sur le plan graphique, mais de ce fait quelque chose de moins masculin urbain. La touche féminine est marquée et il est intéressant de savoir que les designers se trouvent à Prague, ce qui joue certainement sur le côté neutre et fleuri.

Cela interpellera forcément, parce qu’on sort clairement de la course au bizarre ou au grotesque qui est le pendant de la compétition au sein du streetwear, puisque le principe sous-jacent est de se faire remarquer en ville. C’est toute la difficulté de la question du style alors que le capitalisme corrompt les designers et les gens en général, imposant une fuit effrénée dans le remarquable. Ragwear se sort de cette problématique par un côté clairement tourné vers les gens normaux et par un souci fondamental : celui d’être sympathique et du bon côté.

Ragwear produit des t-shirts manches longues et courtes, des chemises, des sweatshirts, des blousons, des robes, des hauts et des pantalons ; on notera que son site dispose d’une version en français, ce qui est valable pour les sympathiques articles du magazine.

La marque mérite clairement d’être connue en France et il est évident qu’elle le sera, parce qu’elle propose ce qui est tout à fait dans l’air du temps. L’exigence posée par Ragwear correspond à quelque chose de tout à fait populaire : simple et vegan, urbain mais sans pousser à une distinction artificielle. Ce qui est classe, somme toute.

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Culture

Le vrai Michel 2, la hype prolétaire

Le vrai Michel 2 de Michel sortie vendredi 4 septembre met la barre très haut en combinant une esthétique prolétaire masculine très typique avec toute une attitude parisienne ultra-branchée. C’est d’une fraîcheur incroyable et il faudrait vraiment être en dehors du temps pour ne pas y être sensible.

Si l’on combine le meilleur de la musique de niche pour jeunes urbains branchés avec ce que la pop-rap, frôlant la variété, a de mieux à offrir, on a le rappeur-chanteur Michel. C’est léger, aérien, bien ficelé, entraînant et plein de subtilité, bref, c’est de la très très bonne musique.

> Lire également : Michel: beaux-arts style et culture pop

 

Michel vient de la périphérie de Valenciennes dans le Nord et sa culture est incontestablement prolétaire. Cela produit forcément un décalage quand on est artiste musical, tant en France les artistes musicaux sont dans une perspective petite-bourgeoise ou bourgeoise, surtout à Paris.

Il exprime cela avec une profondeur incroyable dans le morceau « Air Max », l’un des plus brillant qu’il ait fait jusqu’à présent :

À côté de cela, Michel communique beaucoup sur les réseaux sociaux avec un très grand sens de la mise en scène. Il s’est ainsi construit un personnage très subtil, à la fois outrancièrement benêt, qui ne pense qu’à jouer à Fifa ou à épater la galerie sans en avoir les moyens, et en même temps toujours très sincère, particulièrement avenant, etc.

Voici la compilation des petits épisodes ayant servit de teasing à la sortie de son EP (présentée comme une mixtape), qui sont franchement très drôles :

Michel est un des artistes musicaux les plus marquants de ce début des années 2020 et il reflète un véritable changement de fond dans la société. Les grilles de lecture s’estompent, s’effacent, le côté populaire part à la conquête du style, en assumant un haut niveau. C’est un signe des temps : en profondeur, le peuple prend toujours plus de hauteur, il a gagne en densité, il est prêt à prendre les commandes de la société.

Le peuple n’en a encore pas du tout conscience, il n’en entrevoit la nécessité que de manière floue, mais il est déjà dans l’affirmation.

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Culture

La nouvelle esthétique Puma, colorée et posée

Puma et Adidas ont été fondés par deux frères et historiquement Puma a toujours été dans l’ombre d’Adidas, en étant considéré comme assez intéressant, mais manquant de mise en perspective, alors qu’Adidas a su se forger une identité et vraiment décliner ses produits. Le fait que les deux frères se soient brouillés et que Puma soit à la remorque a donné à cette dernière une image de « looser », amenant son déclin complet dans les années 1990, alors que s’affirmaient Nike et Reebok.

La marque chercha alors à s’en sortir dans les 2000 en se tournant vers une approche lifestyle en tentant de se diriger vers le luxe, avec d’ailleurs Pinault-Printemps-Redoute qui racheta la marque en 2007. Ce fut pareillement un échec. Il y eut alors une nouvelle réorientation, cette fois réussi, en s’appuyant sur le sport pour l’étirer jusqu’au lifestyle. C’était là ni plus ni moins que puiser dans l’approche populaire et Puma a alors mené une véritable révolution et trouvé son propre style.

Cela se veut populaire, mais en même temps extrêmement stylé, à l’image de la vidéo réalisée pour le club (populaire historiquement) de Manchester City. Là où l’extraordinaire vidéo Nike x Liverpool s’assume dans la fraîcheur populaire et l’immédiateté liverpudlienne, la vidéo propose une démarche propre et conquérante avec une prétention toute mancunienne.

Puma, c’est froid mais stylé, coloré mais posé, dynamique mais calé, populaire mais sophistiqué, pratique mais esthétisé. Il y a ici une tentative de suivre une exigence populaire dans le streetwear qui est extrêmement poussée.

Il y a chez Puma un mélange de côté décontracté et en même temps assez strict, mêlé à d’énormes influences années 1970. Impossible de ne pas faire le parallèle avec l’évolution de Lacoste, sauf que Puma peut y parvenir sans sombrer dans le baroque, car c’est sa tradition.

Ce qui est ici très intéressant, c’est que Puma va directement dans la voie de la socialisation. Puma, ce n’est pas une marque de sport, ni même de streetwear stylé. C’est une esthétique, exactement comme dans le Socialisme il y aura de multiples esthétiques proposés qu’on pourra trouver pour s’épanouir. Puma, c’est déjà des robes, des maillots de bains, des soutiens-gorges, des sous-vêtements, des leggings, des chaussettes, des polos, des sacs à dos, des lunettes de soleil, des casquettes, des montres, des pantalons, des gants, des bonnets, etc. etc.

En soi, toutes les grandes marques le font, mais Puma y parvient particulièrement, avec réellement sa patte. En ce sens, la marque s’est révolutionnée et elle n’y est parvenue qu’en allant dans le sens de la socialisation. On nationalise et c’est bon !

Il va de soi que le style Puma n’est pas français. Il y a un côté chargé, pour ne pas dire bigarré, avec des couleurs orientées pastel ou fluo (très années 1970-1980) qui ne correspondent pas à l’esprit français dans la mode. Cela n’est pas une critique bien entendu, mais il va de soi qu’on a un certain mélange allemand voire scandinave de classe avec un surplus de motifs géométriques ou colorés, un peu comme pour Irie Daily même si la marque est elle vraiment berlinoise dans son style.

Là est d’ailleurs la grande difficulté de porter du Puma, il y a un savant équilibre entre le strict et l’esthétisé, ce qui fait que cela peut plaire, mais qu’on se dit : je ne pourrais pas le porter. Et ce qui est valable pour tel habit Puma n’est pas valable pour tel autre. En tout cas, il faut souligner qu’au niveau des prix c’est tout à fait accessible et d’autant plus lors des promotions. On est dans une production de masse et c’est là aussi qu’on voit tout un changement d’époque. Quelle qualité accessible ! Il n’y a qu’à pousser et le monde est nôtre, avec une esthétique populaire de masse et de haut niveau !

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Société Vie quotidienne

Iriedaily, le style berlinois

Une employée d’Iriedaily qui sert de prétexte à montrer une des productions de la marque, avec à l’arrière-plan une voiture de police qui brûle lors de la manifestation de 10 000 personnes contre l’inauguration de la Banque Centrale Européenne à Francfort en 2015 et une photo montrant un rassemblement « autonome anti-impérialiste » en Allemagne dans les années 1980… On l’aura compris, Iriedaily est une marque allemande, mieux encore de Berlin, mieux encore de Kreuzberg.

Inconnu (pour l’instant) en France, Iriedaily a pourtant déjà atteint un certain niveau dans le streetwear, puisqu’elle est distribuée dans une quinzaine de pays, à travers 400 magasins.

Le style est très berlinois, avec un esprit club chatoyant associé à une vraie dimension pratique, une approche rentre-dedans mais recherchée, ce qui fait qu’on est assez loin du côté carré – cadré français, même si on reconnaîtra pourtant une certaine patte française du début des années 1980 avec le côté coloré, géométrique, street art.

Iriedaily est née sur le tas, en 1994, d’un petit groupe pratiquant la sérigraphie (par exemple pour la tournée allemande de Bad religion) et d’un Français, Jaybo aka Monk, qui a vécu la vie de la bohème artistique le menant à s’installer à Berlin en 1986 et qui est devenu le chef designer d’Iriedaily.

On devine l’arrière-plan alternatif et d’ailleurs Iriedaily a son origine dans le quartier de Kreuzberg, le bastion des autonomes allemands durant toutes les années 1980. « Irie » signifie d’ailleurs plaisant en anglais jamaïcain, « daily » voulant dire quotidien, journalier, et « iriedaily ! » est une salutation amicale rasta.

L’entreprise – car c’en est une – n’hésite pas à donner la liste de ses fournisseurs en Chine et au Portugal, ainsi qu’à présenter les photos des ouvriers dans les lieux où sont produits ses marchandises pour montrer qu’elle ne cache rien et qu’elle est à la pointe du « fair wear ». Elle produit des t-shirts antinazis dont les fonds vont à des associations, elle insiste sur le sens des responsabilités sociales, il y a une affirmation de la nécessité de faire du durable, pratiquement tous ses produits sont vegans, etc.

Le style, par son approche berlinoise, est très différent de la démarche française et il y a lieu de se demander dans quelle mesure une certaine dimension féministe ne joue pas, si la différence ne tient pas tant, au fond, au style profondément différent entre la berlinoise et la parisienne.

Iriedaily est une marque qui vaut le coup d’être connu, surtout tant qu’il y a encore le fond alternatif et que le côté bobo ne l’a pas emporté, même s’il est déjà présent évidemment puisque l’entreprise est somme toute un refuge pour vivre de manière pas trop affreuse dans un capitalisme insupportable.

Il est tout à fait plaisant d’avoir une marque permettant des vêtements s’appuyant sur des matières durables, vegans, par une marque fournissant un salaire parmi les moins pires possibles aux ouvriers. C’est déjà ça, même si on ne peut pas s’y arrêter.

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Culture

Liverpool FC x Nike: «Tell us never»

Le peuple dit qu’il peut tout changer, car lui seul est en mesure de le faire. La vidéo de Nike pour/avec le club de football de Liverpool reflète un changement d’époque : le peuple s’impose, partout.

Il y avait le « yes we can » de Barack Obama, qui était un idéalisme américain tout à fait caricatural. Le « Tell us never » de Nike dans sa collaboration avec le club de football de Liverpool est bien différent. On y voit en effet, en quelque sorte, la classe ouvrière dire qu’elle a un mode de vie qui lui est propre et qu’elle est capable d’apporter un débordement, un saut en qualité.

Dis : « jamais » [cela ne pourra être fait] et la réponse est : « C’est déjà fait ».
(tell us « never », it’s already done.)

C’est là le reflet de la collision entre un capitalisme toujours plus de masse et la culture de masse. Le peuple s’impose à travers les interstices d’une consommation se voulant aliénante, mais obligée de coller à la réalité populaire. La contradiction est explosive et on lit déjà l’avenir, avec un peuple coloré dans son style et stylé dans ses couleurs.

De fait, il n’y a qu’à socialiser Nike et on a déjà une base solide. Le capitalisme touche vraiment à sa fin, il est déjà hors-jeu.

Il suffit d’ailleurs de comparer cette vidéo de très haut niveau à la campagne d’affiches délirante, d’une esthétique très fasciste, que Nike avait réalisé en 1998 lors de la coupe du monde de football en France, avec sa « république populaire du football ». La Mairie de Paris avait d’ailleurs interdit ces affiches faisant la promotion du Nike Park établi sur le Parvis de la Défense (Adidas étant également le sponsor de la coupe du monde, cela a dû joué).

Il est évident, cependant, qu’une telle vidéo s’appuie sur la particularité du club de Liverpool, qui assume directement sa dimension populaire. Paradoxalement, ce n’est pas forcément le cas de clubs éminemment populaires comme le Racing Club de Lens, par exemple, et ce même pour les organisations de supporters, qui ne jouent pas au sens strict de manière ouverte sur cette dimension.

On a une démarche localiste de soutien, mais cela ne s’élève pas à une dimension populaire, ouvrière, alors que dans le fond c’est pourtant évident. On a là un refus de faire de la politique, en quelque sorte, même indirectement. Il y a bien entendu l’erreur inverse, avec d’autres clubs se voulant de gauche de manière assumée, de manière forcée et donc folklorique (l’AS Livorno en Italie, Hapoel Tel Aviv, Sankt-Pauli à Hambourg, etc.).

Rares sont les clubs se revendiquant de la classe ouvrière en tant que telle, en se fondant sur une réelle tradition. Cela se lit dans les détails ; sur le site de Schalke 04, par exemple, au lieu de « bonjour », on a l’expression des mineurs : « Glück auf ! » (soit « à la chance »). On a également le symbole des mineurs sur les annonces des prochaines rencontres.

Et de manière encore plus intelligente, sur le logo de son magasin en ligne, le caddie est remplacé… par une berline de mine. Subtile, fin, populaire !

Le sweat shirt « Love your hood » (soit en anglais « aime là d’où tu viens ») est pareillement une affirmation de l’identité ouvrière (et en promo ici à trente euros).

Le club de l’Union de Berlin s’assume pareillement ouvrier (Nous de l’Est nous allons toujours de l’avant / Épaule contre épaule pour l’Union de fer / Durs sont les temps et dure est l’équipe / Aussi gagnons avec l’Union de fer (…) Qui ne se laisse pas acheter par l’Ouest ? / Union de fer, Union de fer). Mais c’est surtout le Rapid de Vienne qui se pose dans cette perspective avec le plus de netteté, avec une définition officielle comme un « club ouvrier », le club appartenant indirectement au Parti socialiste avec même un contrôle de l’identité du club par les ultras.

On voit ici évidemment comment la Gauche historique est capable d’insuffler des véritables valeurs, parce qu’elle se situe dans un prolongement. La démarche de Liverpool FC repose ainsi clairement sur les fondements de la Gauche historique, en l’occurrence du Labour Party britannique en général et de son identité locale en particulier. Cela a ses limites, mais c’est vrai, c’est authentique et c’est donc cent fois plus radical que les revendications folkloriques « de gauche », qui sont décalées de tout contenu populaire et ne satisfont que des petits-bourgeois en mal d’aventure identitaire.

Le peuple n’aime pas parader, il aime la vérité, il manifeste.

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Société

Burberry, un bon exemple de la tendance aux masses

Marque aristocratique bornée, Burberry’s est devenue Burberry, une marque se plaçant sur le marché mondial du vêtement de luxe ou quasi, et est un bon exemple de mondialisation qui tombera dans les mains des masses.

Burberry est l’exemple même d’un changement radical d’époque, et c’est bon signe. À l’origine, c’est une marque entièrement tournée vers les couches sociales supérieures anglaises, dénommée Burberry’s. Mais le capitalisme s’est « mondialisé » et à partir de 2002 avec son entrée en Bourse, l’entreprise traditionnelle s’est transformée en marque à visée mondiale. Cela va dans le bon sens : il n’y aura plus qu’à nationaliser pour mettre au service des masses.

En attendant, c’est totalement inaccessible car les prix se veulent « luxe » (disons que c’est juste en-dessous le vrai luxe, mais extrêmement cher). Et pourtant vue l’approche, on voit déjà que les masses s’approprieront inévitablement la marque, qu’elle ne peut continuer dans sa lancée qu’en devenant au service des masses.

Il est évident que la bourgeoisie traditionnelle s’efface, disparaît, se liquide elle-même dans le capitalisme ayant atteint un niveau incroyable. Cela produit bien entendu des réactionnaires regrettant le passé et des LGBT fascinés par le turbocapitalisme, mais surtout des possibilités énormes pour une société qui, tournée vers le Socialisme, aurait des moyens énormes de satisfaire les exigences culturelles populaires.

Ce qui est frappant avec Burberry, c’est comment le style anglais apporte une puissante contribution avec son côté chic légèrement dégradé par des symboles cependant parfaitement harmonieux. C’est en fait la direction que Lacoste a tendance à prendre et qu’il faudrait que cette marque ne prenne en fait surtout pas, car ce n’est pas du tout dans sa matrice. Quand Lacoste essaie de faire de l’anglais, cela rate totalement, alors que la même chose fait par Burberry cela aurait fonctionné.

En même temps on ne peut pas s’étonner que des producteurs d’habits, dans un cadre capitaliste, échappent à un esprit de perdition, de décadence, de désorientation générale. Avec le fameux coup de piocher, comme ici pour Lacoste avec de « l’inspiration » chez Fila et Gosha Rubshinskiy. Cela fait totalement tâche au milieu du minimalisme efficace du reste, mais bon ce qui compte c’est l’expansion à coups de n’importe quoi.

On ne peut que rêver, pour l’instant, de ce que donneront Burberry et Lacoste quand ces marques seront socialisées. En tout cas elles le seront, car les masses veulent le style qui exprime le rapport à la vie réelle, concrète : life deluxe for all.

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Société

La mode techwear et d’inspiration militaire

Un militaire doit pouvoir se mouvoir de manière aisée et la streetwear profite de plus en plus de cette approche pour aboutir à des vêtements forcément très sombres car cherchant avant tout à se focaliser sur la silhouette.

La récupération, au sens le plus large possible, de la « silhouette » militaire accompagne bien entendu le principe toujours plus marquant comme quoi les habits doivent être adaptés à sa morphologie. Avec l’énorme choix disponible désormais, impossible d’être habillé comme un sac à patates, ou alors c’est un choix, un no-look qui peut avoir sa validité.

Il va de soi également qu’il faut procéder à des contournements et il y a ici une contradiction explosive. Car les pantalons de Stone Island ont du style, mais à 300 euros, ce n’est juste pas possible. Et pourtant… Dans les faits, rien qu’avec cette question de l’accès aux habits stylés il devrait déjà y avoir une rébellion de la jeunesse prônant le socialisme !

Stone Island reprend d’ailleurs, comme d’autres marques ayant compris le principe comme Fila bien sûr, le principe du backpack. Un sac à dos c’est trop gros, un backpack souple et moins gros comme il en existe chez les militaires, c’est par contre tout à fait convainquant.

Il est bien entendu inévitable ici de parler de GR-Uniforma, un projet parallèle du Russe Gosha Rubchinskiy, qui va avec un groupe de musique.

https://soundcloud.com/user-636996411/hardcore

Le travail réalisé avec Diesel est très réussi car il ne donne pas un ton trop « militaro », ce qui est tout de même le gros travers possible de cette approche (et qui donne les habits de type warcore).

Tout cela est entièrement inaccessible de par les prix. Pourtant on ne fera pas croire que cette belle veste d’Yves Saint-Laurent ne pourrait pas être produit en masse et vendu autre chose que 2000 euros…

L’approche d’Yves Saint-Laurent est en tout cas à rebours de l’approche puisant dans le « militaire » et il faut regarder vers la techwear pour avoir un esprit plus conforme à la démarche. L’idée est simple : l’habit fait le moine, non pas dans une logique esthétique, mais dans une démarche utilitariste (isolement thermique, résistance à l’eau, poches nombreuses, respiration).

C’est ici très subtil car d’un côté c’est totalement stupide et sans âme, et donc très conforme au capitalisme. En même temps, il y a une dimension de raccrochage au réel. On est dans le direct, comme dans les vêtements de type militaire.

La marque Acronym, ultra-élitiste et se voulant confidentielle, réalise des choses très poussées, ce qui est encore une fois une sacrée preuve de la nécessité de socialiser tout cela et de rendre cela accessible. C’est à la limite du cyberpunk, Demobaza ayant franchi entièrement le pas dans un style étrange, décadent comme le capitalisme mais en même temps ample et c’est un aspect que l’Orient a largement travaillé, mais qui manque encore largement en France ou dans les pays occidentaux en général.

Le travail d’Isaora est déjà plus conventionnel.

L’une des marques historiques est C.P. Company, qui en 1988 a produit la première veste dont le prolongement forme une cagoule. Là on a une approche italienne donc forcément quelque chose de très haut niveau, assez dans l’esprit streetwear des paninari milanais des années 1980 (et qu’on retrouve chez le claviériste des Pet Shop Boys).

Ce qui aboutit à deux critiques, l’une allant avec l’autre et disqualifiant l’ensemble de l’approche, tout en soulignant qu’il faut la dépasser et profiter de ses apports. Déjà, il y a un culte du ton monochrome, parfois le kaki mais dans la techwear le noir est littéralement monopoliste. Il y a une dimension très élitiste-réactionnaire dans cette limitation.

Ce qui amène à la seconde critique : les femmes sont ostensiblement exclus de l’approche. Il est clairement montré qu’il n’y a rien pour elle, la dimension patriarcale-urbaine, limite à la Mad Max mais en mode grand bourgeois des centre-villes. C’est clairement décadent.

On peut dire en fait qu’en ce qui concerne ce phénomène, quand cela tend au streetwear c’est l’expression d’une tendance positive, alors que l’exclusivisme en est la dimension négative.

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Société

Nike, un tournant populaire vers le streetwear

C’est un retournement qui reflète une vraie tendance de fond. Nike a abandonné le fait d’être une marque de sport se prolongeant dans le streetwear, pour devenir une marque de streetwear tendant vers le sport.

Les exemples parlent d’eux-mêmes. C’en est totalement fini du raccourci, efficace dans son fond, voulant qu’Adidas puise dans les années 1980 et Nike dans les années 1990, qu’Adidas c’est plus l’esprit hip hop, Nike l’esprit rap, bref que Nike représente un certain minimalisme et une certaine approche un peu pointue, un peu sèche.

Fini d’ailleurs l’idée qu’on peut s’habiller aisément en Nike pour être à l’aise : de par les coupes proposées, mieux vaut avoir fait du sport déjà avant de se procurer ces vêtements censés être de sport. Nike, c’est désormais pour les gens affûtés et branchés. On est passé du monochrome à la couleur.

Les productions pour le Paris Saint-Germain, club qu’on n’est nullement obligé d’apprécier mais qui profite de la culture parisienne, sont une réussite incroyable, avec même une robe. On est là dans une modernisation des habits qui profite de l’élan populaire de la consommation streetwear.

Le maillot de l’équipe de football féminine des Portland Thorns montre bien comment Nike a évolué vers une complexité réelle et les couleurs du coupe-vent et de la brassière de sport témoignent de la culture streetwear assumé.

Même quand Nike décline son approche originelle « unie », on a une coupe particulièrement travaillée, comme ce débardeur de training et ce body d’entraînement de yoga. On voit très bien qu’on a passé ici un cap historique et que Nike s’adresse de manière très approfondie au peuple en général, avec une capacité de ciblages précis (et exigeants vu ce qu’il faut pour pouvoir porter tout ça). Nike est bon pour être nationalisé à l’échelle mondiale et servir la culture populaire.

Quand une entreprise est capable d’atteindre une telle multiplicité dans son approche, c’est qu’elle devenue une sorte de vaste monopole aux immenses ramifications, capable de refléter le peuple. C’est un gâchis terrible que la dimension capitaliste l’emporte et vienne déformer tout cela.

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Culture

Michel: beaux-arts style et culture pop

Michel fait typiquement partie de cette nouvelle génération de rappeur-chanteur ou chanteur-rappeur, assumant l’électro et la pop avec un grand sens artistique. Il est d’ailleurs à la pointe de toute une esthétique florissante dans et autours des écoles des beaux-arts, combinant le style banlieusard de la fin des années 1990 et du début des années 2000 avec une fascination/attraction pour toute une frange de culture populaire, de la culture de masse.

Ce clip, une reprise/détournement de holydays de Michel Delpech, est absolument somptueux de ce point de vue, avec une grande finesse.

Le filtrage vidéo force volontairement le trait pour donner un ton 1990, tout comme l’instrumentale typique de l’eurodance de l’époque. Tout le sens du clip réside dans ce décalage entre lui, jeune branché, qui surjoue l’ennui, et son entourage familial habillé de manière ordinaire, qui s’amuse grandement. Le choix d’un tel film dans une famille populaire, en l’occurrence sa propre famille lors d’une véritable fête, montre d’ailleurs l’approche démocratique/populaire, authentique, que peut avoir l’artiste, originaire de la périphérie de Valenciennes dans le Nord.

On retrouve la même démarche avec cet autre clip, reprise/détournement de Michel Fugain, cette fois dans un bar karaoké de Belleville. Les paroles assumant les drogues dures et le champ lexical de la drogue sont là aussi bien trouvées. Ni apologie, ni critique de la drogue, c’est surtout une manière de jouer sur la contradiction entre une chanson originale assez lisse, pour ne pas dire insipide, typique d’une certaine époque disons insouciante, et sa version actuelle plus rude, à l’image de l’époque nouvelle. Le tout bien sûr autour d’une esthétique faussement kitch, ou volontairement kitch si l’on veut, soigneusement travaillée.

Michel a sortir un EP « Le vrai Michel », en janvier 2020 avec 8 titres d’une grande qualité dont voici un extrait :

Il a sorti hier le clip, là encore très esthétiques, de son dernier titre tejla :

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Société

Nike x Mbappé x Bondy

Kylian Mbappé a commencé sa carrière sportive à l’AS Bondy Football et c’est un prétexte employé pour une « collab » entre lui et Nike. Les habits de la série « Bondy Dreams » – en anglais, pour souligner le côté rêve américain – sont ainsi en vert comme les couleurs de l’AS Bondy, et il y a même inscrit 93 comme le département ! La mairie, de gauche, est ravie. C’est toujours une joie de se vendre aux multinationales, après tout qu’est-ce que les pauvres peuvent trouver de mieux, n’est-ce pas ?

« Bondy est toujours dans mon cœur, c’est là que j’ai trouvé et que je suis tombé amoureux du football. Cet endroit m’a aidé à me façonner en tant que personne et en tant que joueur. J’ai beaucoup de raisons d’être reconnaissant et il est spécial que Bondy soit au centre de cette collection. A l’époque, j’avais mes héros et beaucoup d’entre eux avaient leur propre paire de Nike en édition spéciale, alors les rejoindre maintenant pour avoir la mienne est un rêve devenu réalité. »

Ces propos de Kylian Mbappé sont beaux comme du marketing. Cela tombe bien, cela en est. Il est essentiel pour un homme-sandwich de se présenter comme authentique, proche du peuple, sensible, etc. Cela fait vendre. Le charity-business est un excellent investissement.

Et qu’y a-t-il de mieux que d’utiliser 130 enfants de Bondy pour présenter des vêtements de Nike ? Encore mieux si c’est au Stade de France. C’est important il faut donner du rêve. Avoir l’air crédible, pour vendre ! Vendre des chaussures de football Nike Mercurial Superfly 7 Elite SE FG à 290 euros… un ballon de football Nike Airlock Street X Bondy à 40 euros (10 euros de plus que le ballon Adidas de la Champions League 2019 !)… mais aussi un tee-shirt, une banane, une casquette, un maillot « Nike F.C. ».

Il ne faut d’ailleurs pas oublier d’être racoleur en mode identitaire. Le consommateur aime être réduit à son identité. Alors sur le site de Nike à la page Bondy dreams, on a la photo de Kylian Mbappé et de douze jeunes, tous issus de l’immigration. Le racisme inversé en mode identitaire, en mode rêve américain, c’est bon pour les affaires !

Suffisant ? Ah, si, il y a quelque chose qu’on peut rajouter. C’est d’avoir une mairie « de gauche » avec soi. C’est très important pour avoir l’air crédible. Sylvine Thomassin, qui dirige la mairie de Bondy, a tenu des propos parfaits pour cette mise en perspective, dans Le Parisien.

Ses propos sont une magnifique mise en scène. Quelle actrice !

« Je suis une fille de gauche et pas forcément fana des grandes multinationales commerciales mais je ressens aussi énormément de fierté, bien sûr. Cela m’a permis de savoir que le nom des villes ne peut pas être déposé. Nike peut tout à fait s’approprier le nom de Bondy sans qu’un centime ne revienne à la ville.

Bon, ils ont fait un petit geste. Ils ont au moins repeint les vestiaires du stade Léo Lagrange et offert un mini-bus pour la section foot de l’AS Bondy. Cette nouvelle marque est très belle. Les couleurs et le graphisme reprennent ce que Nike avait fait en 2017 quand Kylian leur avait demandé d’offrir un city-stade à la ville. Tout est élégant ! Je ne sais à quel prix seront les chaussures. J’espère que les Bondynois pourront les acheter.

[On va encore parler de la ville de Bondy !]

C’est cela que j’en retire surtout. La fierté et le bonheur dans les yeux de nos enfants et nos jeunes. Cela dépasse le reste (…). On n’aura pas que des Kylian à Bondy mais il montre le chemin à beaucoup de jeunes. Ce sera un homme bien toute sa vie (…). Une fresque est prévue pour le lancement de sa marque au bâtiment de la rue Jules Guesde. »

Jules Guesde, l’un des premiers organisateurs du mouvement ouvrier socialiste ! Mais notons finalement que Sylvine Thomassin raconte n’importe quoi sur la protection des nom des collectivité territoriales. Dès qu’une entreprise veut déposer un nom contenant une référence à une collectivité, cette dernière est alertée au préalable et peut s’y opposer.

Elle pense peut-être que comme c’est Nike, c’est le Far West ? Il suffisait de faire obstruction en disant que cela présente les choses comme une association de fait entre Bondy et Nike, d’ailleurs la « collab » se présente comme Nike x Mbappé x Bondy ! Il aurait également pu être argumenté, même si c’est oiseux, que les produits ne sont pas fabriqués à Bondy.

Il aurait pu être dit que le choix de la couleur verte témoigne même de la mauvaise foi de Nike, qui cherche à se présenter comme relevant de Bondy, mais il n’y a pas de rapport avec le club de l’AS Bondy, etc.

Bref, il aurait été possible de se battre avec la multinationale. Sauf évidemment, quand on ne veut pas, car le sens de la vie serait de propager le « rêve américain » dans les couches populaires…

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Société

Le plaisir de chiner ses vêtements en friperie

Acheter ses vêtements en friperie est aujourd’hui quelque-chose de très tendance. Il y a bien sûr cette fascination pour l’ancien, plus précisément pour le vintage comme l’exprime cet intraduisible mot américain issu du français. Il y a aussi, et peut-être surtout, cette volonté d’avoir du particulier, pour ne pas céder à la société de consommation qui standardise les goûts et les codes de manière outrancière.

Quand on s’habille en friperie, c’est peut être parce qu’on ne souhaite surtout pas ressembler à ces gens qui n’ont aucun style et s’habillent tous pareil, sans avoir vraiment choisi ce qu’ils portent. C’est un peu comme dans la musique : il y a ceux qui écoutent NRJ, Fun Radio ou Skyrock, et puis ceux qui se font un devoir de ne surtout pas écouter ces programmations insipides et ultra standardisées.

Il y a dans la mode des friperies une exigence culturelle, la volonté d’être acteur de sa vie, de son style, sans céder à l’uniformité des boutiques des centres commerciaux et leurs collections très limitées, qui se ressemblent d’ailleurs toutes comme deux gouttes d’eau.

Le problème n’est pas l’uniformité : que l’on soit plus ou moins branché ou passif dans sa façon de s’habiller, garçon ou fille, la norme chez les jeunes est presque toujours les baskets. Nike, Converse, Puma ou Van’s, quelque-soit les modèles, les jeunes ont presque toujours les mêmes chaussures. Mais là n’est pas le problème en tant que tel, car il y a là une uniformité assumée, et d’ailleurs peut-être est-ce même nécessaire culturellement.

La chose est un peu différente en ce qui concerne les vêtements et, ceux qu’on trouve dans une friperie, respirent bien plus la vie, ont une saveur qui représente quelque-chose de mieux qu’une vague marchandise acheminée depuis l’autre bout du monde par une grande multinationale selon un même catalogue mondial ou européen.

Il ne faut bien sûr pas s’imaginer que les friperies seraient en dehors du capitalisme, puisque ces vêtements proviennent à l’origine en général des ces mêmes circuits qui existent depuis bien longtemps. Il n’y a qu’à voir d’ailleurs l’énorme engouement de la part des jeunes les plus branchés pour le sporstwear et le workwear des années 1990, qui ont envahit les friperies.

Celles-ci regorgent maintenant de vestes hyper colorées en nylon, de bas de jogging à pression et autres vestes en jean’s ou sweatshirts « oversize », comme cela se faisait à l’époque.

Mais là où quelques grandes chaînes distribuent des versions remises au goût du jour de grandes marques des années 1990 comme Fila, Ellesse, Diadorra ou Schott, une partie de la jeunesse veut de l’authentique, du vrai. Quitte à s’habiller comme à l’époque de ses parents, autant que cela soit pour de vrai, avec des véritables vêtements des années 1990 qu’on a chiné en friperie. Surtout que cela représente bien plus de choix, c’est à dire plus de possibilités de personnalisation, de s’affirmer en particulier.

On ne va pas faire un fétiche ici des friperies et prétendre que cela représenterait quelque chose de révolutionnaire ou d’alternatif au capitalisme. Cela est d’ailleurs à peine plus vrai sur le plan écologique car, si bien sûr le recyclage des vêtements comme de n’importe quelle marchandise est une bonne chose, il faut bien voir que les friperies sont la plupart du temps fournies par des grands réseaux internationaux spécialisés, tout à fait équivalent à ce qui peut se faire dans le prêt-à-porter traditionnel.

Cela représente cependant une affirmation culturelle positive, rompant avec la morosité du capitalisme et de ses grandes multinationales qui assèchent tout.

Un autre aspect est celui de la qualité, car les vêtements d’aujourd’hui ne le sont pas, et de moins en moins, à moins d’y mettre le prix. On trouve donc plus facilement dans les friperies des vêtements de grandes marques à des prix abordables. Surtout pour les pantalons et les robes ou jupes.

Cela est un vrai critère : quand on a des exigences sociales et culturelles élevées, on ne peut aucunement se satisfaire de vêtements de mauvaise qualité, mal taillés, peu solides.

Pour toutes ces raisons, mais aussi parce que les trouvailles sont souvent le fruit d’une longue et exaltante recherche, parce qu’on y trouve de belles choses pour trois fois rien, parce que le style ne se démode pas, chiner ses vêtements dans une friperie est souvent un vrai plaisir !

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Réflexions

Le landau et la canette de Red Bull

Même quand on n’est pas dans son propre pays, on l’est quand même. Pourquoi ? Parce que les prolétaires sont tous les mêmes.

Il est vrai que cette anecdote, de par son mauvais goût, tient plus d’un style germanique que d’un tempérament latin. Encore que ce n’est pas une anecdote, mais juste une preuve de plus, à ce que l’on sait bien déjà : les prolétaires sont tous les mêmes.

Ce fut, donc, dans un pays étranger, d’une ville touristique mais dont la périphérie, c’est de rigueur, consiste en des tours laides, sans personnalité ni n’exprimant rien à part la fadeur. Le couple avec le bébé était jeune, cela aussi est une constante populaire. La jeune femme fumait, là encore une mauvaise habitude.

Elle poussait donc un landau, la clope au bec comme le dit l’expression. Alors, le détail apparut au détour d’un regard à la fois bienveillant et critique. Le landau disposait, un peu plus bas que par là où on le pousse, un endroit pour poser le biberon tout en faisant qu’il reste stable. Cependant, ce n’était point un biberon qu’on trouvait là ! C’était une canette de Red Bull.

Que dire de cet étrange ressenti qui peut nous envahir à la vue d’une telle chose ? Quelle joie, quel attendrissement ! Non pas que ce soit la canette en elle-même qui soit plaisante et provoquerait subitement la soif, car il s’agit d’une boisson sucrée, caféinée, bref d’une de ces drogues industrielles et chimiques comme le capitalisme aime à en inventer pour trouver un moyen que l’on consomme à tout prix.

Non, ce qui était vivant comme sentiment, c’était l’impression de voir des compatriotes. Dans un pays qui n’est pas le sien, on aura beau dire, au bout d’un certain moment, il est plaisant de rencontrer des gens parlant sa langue. Au début du séjour on est vexé d’un tel fait, car on pensait être loin, enfin tranquille, et on se dit alors qu’on n’est pas allé assez loin. On se renfrogne. Pourtant, au bout d’une certaine période, qui peut être courte, on a comme le mal du pays.

Voir ce landau avec sa canette put donc agir tel un étendard, telle une sommation : prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! Non pas pour boire du Red Bull, cela va de soi, mais qui peut prétendre que cette image n’est pas d’Épinal, n’a pas dans sa substance ce qui forme le cas d’école, ne forme pas un exemple typique ? Ne devine-t-on pas que cette scène est, dans son caractère, la même à Barcelone, Lille ou Rotterdam, Malmö, Dortmund ou Zurich ?

Les prolétaires sont tous les mêmes, et ils sont même de plus en plus les mêmes, malgré que dans chaque pays on consomme plus de choses, et que les différences s’accentuent en apparence. Ce qui tend à triompher chez les prolétaires, c’est la même attitude, le même comportement, le même style. Et on aurait tort d’être unilatéral et de voir par exemple en les jeunes prolétaires des idiots sans conscience écoutant un certain « son » de rap, avec certains habits bien codifiés, certaines dégaines stéréotypés, certaines réactions simplement reprises à d’autres.

Car, ce qui se dessine au-delà de la faiblesse culturelle, c’est la volonté de s’approprier le monde. La canette de Red Bull n’est qu’un début et on peut déjà voir que les jeunes prolétaires s’habillent bien mieux que les générations précédentes, avec plus d’exigence pour le style, l’esthétique. Auparavant, seule une petite minorité recherchait quelque chose de ce type, désormais, il y a une pression générale pour être conforme à une certaines atmosphère, un certain style.

Si les gilets jaunes avaient d’ailleurs voulu que les prolétaires les rejoignent massivement, ils n’auraient pas réclamé de l’essence, mais un autre liquide : ceux des parfums. Bien naïf celui qui croit que la palette est le symbole du prolétaire du 21e siècle ! Le prolétaire ne se veut plus prolétaire, c’est là sa force et sa faiblesse. Il veut dépasser le bourgeois mais s’imagine qu’il doit pour cela lui ressembler, telle une caricature d’ailleurs. Bientôt il abandonnera cette illusion.

Et alors les revendications sociales, ce sera aussi : du beau textile pour tous, des objets utiles soit mais esthétiques, le raffinement accessible, les bonnes manières oui, mais populaires !