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Société

Le nivellement par le bas imposé par le capitalisme

La Gauche s’est faite engloutir par les « progressistes » qui ont renouvelé les thèses du positivisme : on irait forcément vers quelque chose de mieux, inéluctablement. Elle ne se rétablira qu’en reprenant sa propre thèse de la décadence de la société liée à la chute du capitalisme.

Sleep and his Half-brother Death (John William Waterhouse, 1874)

Le nivellement par le bas est une chose très discutée au sein des couches intellectuelles. Certains voient le niveau s’effondrer au lycée, par exemple en mathématiques ou en français, tandis que d’autres considèrent que somme toute il n’y a pas de grand changement. Et comme grosso modo le système éducatif tourne, fabriquant encore et toujours des cadres passés par Sciences Po, Polytechnique, HEC, les mines, etc., il est établi par les experts qu’il y a peut-être un changement mais qu’il ne touche pas la substance des choses.

Les deux ont tort et raison. Car c’est là un des grands paradoxes du capitalisme, qu’il y ait d’un côté il y ait une grande accumulation de connaissances, et que de l’autre tout soit particulièrement chaotique, bureaucratique, coulé par les opportunistes et les magouilleurs, récupéré dans des directions mercantiles.

On a beaucoup plus de moyens scientifiques qu’auparavant, grâce au développement des moyens productifs. Le matériel est incomparablement plus performant qu’avant, bien plus aisément accessible. En France, chaque personne peut disposer d’un ordinateur, d’internet, sauf à être profondément désocialisé. Mais en même temps les connaissances sont dispersées, incompréhensibles au grand nombre, gérées de manière inorganisée par un capitalisme qui se saisit de ce qu’il peut comme il peut.

Le capitalisme impose le nivellement par le bas en exigeant que lui soit soumis dès qu’il y a complexité. Les choses simples n’ont pas besoin de se soumettre : elles répondent simplement, automatiquement, aux lois du marché. Le capitalisme n’est donc pas inquiet de ce côté là. Ce qui l’inquiète, c’est plus des tendances le contrecarrant, qui porterait à la fois un haut niveau intellectuel et technique, combiné à la formulation d’une socialisation universelle.

Dans l’ordre des choses par exemple, les vétérinaires devraient se révolter contre la condition faite aux animaux, et exiger une compassion universelle. Ce serait un danger formidable pour le capitalisme. Mais cela n’arrive pas, pas plus qu’une révolte générale des médecins contre ce qui nuit à la santé dans le mode de vie propre au capitalisme. En fait, si on vivait dans un monde rationnel, même les policiers devraient devenir fondamentalement de Gauche et dire que le capitalisme laisse sciemment vivre les mafias.

Seul le prolétariat peut cependant porter cette dimension universelle, et malheureusement pour l’instant il est très loin d’avoir un haut niveau intellectuel et technique, même si en fait c’est déjà en partie le cas de par son expérience, de par sa réalité. C’est le nivellement par en bas qui le gangrène, le capitalisme l’entraîne dans sa chute, ce qui est normal, car le prolétariat appartient au capitalisme dans sa nature même. C’est ce qu’il porte en lui qui est intéressant et cela ne ressort pas encore de manière authentique, parce que le mauvais côté l’emporte.

Dans tous les moments historiques où le prolétariat a pris les choses en main, il a combattu pour élever son niveau de conscience, d’organisation ; ses comportements et attitudes étaient entièrement différents de ce qu’il fait en ce moment en France. Aujourd’hui, il dort encore, mais hier il s’organisait de manière très solide, tout à fait consciente, après la tentative de coup d’État de février 1934. Il en va de même pour la période 1943-1947, un moment très important de confrontation avec les couches dominantes.

Les mois de mai et juin 1968 ont également été marqués par un degré d’organisation relativement important. Cela n’a rien à voir avec des marches syndicales où des cortèges traînent leurs savates avec des slogans fatigués et une morale usée, avec à l’arrivée l’odeur de graillon des merguez et alors qu’il a déjà été trinqué. Les prolétaires ne sont eux-mêmes que lorsqu’ils sont carrés ; toute autre attitude n’est qu’une dégradation, le fruit d’un nivellement par le bas.

Il va falloir qu’ils s’arrachent, qu’intellectuellement ils se lancent dans un travail de grande envergure, que sur le plan pratique ils se déconnectent de comportements beaufs. Quiconque ne souligne pas cela n’est qu’un vain populiste, qui se rabaisse au niveau des gilets jaunes.

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Politique

Un acte VI des gilets jaunes toujours plus faible à tous les niveaux

Malgré une médiatisation de très haute importance et un activisme débridé, les gilets jaunes disparaissent, leur base sociale ne relevant somme toute que des classes moyennes. Cet effondrement s’accompagne d’une théâtralisation des gilets jaunes soulignant une fois de plus qu’on est là en-dehors de la lutte des classes.

Gilets jaunes

Les rassemblements des gilets jaunes pour un septième samedi consécutif reflètent le fiasco général de ce mouvement. Sur le plan du nombre, on doit tourner autour du tiers par rapport à la semaine dernière, où il y avait à peu près 40 000 personnes de mobilisées.

Malgré tout le tapage médiatique, l’utilisation massive des réseaux sociaux, les multiples blocages de routes et les initiatives les plus diverses, le mouvement des gilets jaunes s’étiole, s’efface littéralement. Rien de concret ne le porte, à part la rancoeur des classes moyennes.

Sur le plan des idées, la dimension politique révèle par conséquent désormais ouvertement ce qui était déjà clair pour qui avait des yeux et osait voir, pour qui avait des oreilles et osait entendre. Les drapeaux français ont été la norme, les dénonciations de « l’oligarchie » le principe, l’appel à un référendum « citoyen » un mythe mobilisateur digne de Georges Sorel.

On a là un mouvement élémentaire, dans l’esprit de la jacquerie fiscale, le rejet de toute réflexion politique. Rien de bon ne peut en sortir et les gens ayant une conscience sociale de Gauche ont raison de craindre que ce ne soit l’extrême-droite qui tire les marrons du feu. Le mode opératoire des gilets jaunes est trop en phase d’ailleurs avec le style de l’extrême-droite pour qu’il n’en soit pas ainsi.

Le portail de la banque de France a été incendié à Rouen, le drapeau européen enlevé devant Radio France à Paris, alors que cette ville a vu également des rassemblements devant BFM TV et France Télévisions, ce qui relève d’une lecture complotiste des médias, qui « manipulerait » l’opinion, qui relèveraient simplement de quelques banquiers décidant de tout, etc.

Gilets jaunes

Non pas que les médias soient « neutres », mais justement, protester contre eux en demandant pourquoi ils ne le sont pas, c’est une naïveté apolitique convergeant avec le fantasme petit-bourgeois d’un État « neutre », au-delà des bourgeois et des ouvriers. Ce n’est pas pour rien justement que les gilets jaunes ont systématiquement évité les thèmes risquant de mettre en mouvement les bourgeois et les ouvriers.

Ils ont fait comme si les bourgeois et les ouvriers n’existaient pas… Pour justifier leur existence sociale et donner de l’importance à une révolte élémentaire sans queue ni tête. Et il est effarant de voir le contraste suivant : les blocages des gilets jaunes ont été marqués par la mort de dix personnes, que 1500 manifestants ont été blessés (une cinquantaine grièvement), sans pour autant que cela aille de paire avec une véritable affirmation politique.

C’est là totalement fou ! Il y a quelque chose d’ampleur, mais en dehors de toute politique. C’est très exactement ce qui correspond au Fascisme. Et quand on voit le philosophe Michel Onfray saluer un prêtre faisant une messe de Noël avec 250 gilets jaunes, on a compris ce qui se passe : c’est l’émergence d’une révolte des classes moyennes, avec la convergence des idéalismes, la fusion du national et du social, la spontanéité primitive érigée en lutte.

Le temps des fachos et d’une extrême-droite conservatrice-nationaliste est fini, voici désormais le Fascisme qui ressurgit historiquement, comme mouvement anticapitaliste romantique par en bas. C’est un tournant dans l’histoire de notre pays.

Gilets jaunes

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Culture

Littérature : le triomphe du marquant et du récent

On devrait lire un livre, car il a un intérêt lié à la culture, à une époque, à une haute expression d’humanité. Le capitalisme, lui, préfère vendre et par conséquent créé l’obsession du récent et la fascination pour le marquant.

Millénium

La littérature connaît toujours des œuvres nouvelles, l’écriture appelle encore nombre de personnes à s’engager dans cette activité, tout comme la lecture interpelle heureusement toujours une partie importante de la population. Malheureusement, le capitalisme a donné naissance à la conception que la littérature se renouvelle. Les formes changeraient, les thèmes changeraient. Il faudrait par conséquent toujours se précipiter sur ce qui est récent.

C’est là quelque chose de profondément erroné sur le plan culturel et ce pour deux raisons. La première est que cela nie les classiques, et le fait même qu’il y ait des classiques. La seconde est que cela bloque l’accès à la vraie littérature des classiques en maintenant la lecture dans la consultation d’ouvrages de bas niveau, avec des thèmes racoleurs, à la mode, sans envergure.

Aussi paradoxal que cela en a l’air, les gens qui lisent ne savent plus réellement lire, c’est-à-dire que les gens qui lisent à un bon rythme la littérature récente sont tout simplement incapables de se confronter à une œuvre classique. Ils en reconnaissent la valeur, ils savent que c’est mieux, d’un autre niveau, tout ce qu’on voudra. Mais ils sont incapables d’y faire face.

L’étrangeté d’une telle situation pose un vrai souci, car si les gens à même de lire ne savent plus lire, comment élever le niveau de la culture ? Comment ne pas faire que la littérature soit prisonnière des éditeurs et de la formation d’une opinion publique adéquate ?

Il est d’ailleurs un phénomène tout à fait représentatif de ce problème de fond. Il y a en effet une invasion de romans écrits par des Islandais et des Suédois. Or, l’Islande et la Suède sont sans nul doute des pays magnifiques et de haute culture, mais l’ennui de leur société ultra-conformiste est terriblement affligeante, d’où une avalanche de romans criminels, avec une atmosphère à la fois sombre et surprenante, des personnages étranges entre grotesque et pittoresque, dans une ambiance morbide de vitalité obsédée par la mort.

Et cette avalanche de romans fabriqués au kilomètre, dont Millenium n’est qu’un exemple, fascine le lectorat français, qui y voit quelque chose de valeur, alors que c’est là le produit de l’ennui dans une société bloquée et l’importation d’éditeurs ayant trouvé un bon filon avec cette mode.

Ces romans se lisent facilement, ils captent l’attention par leur côté sordide et étrange ; ils sont, si l’on veut s’exprimer ici avec une prétention intellectuelle, ce que sont les séries au film. Tout comme le public des séries ne sait plus regarder un film, le lectorat de ces romans sera incapable de lire Balzac, Tchékhov, Kafka, ou Andersen.

Tout ce lectorat tombé dans la criminologie morbide suédo-islandaise serait bien incapable de lire August Strindberg, l’auteur national suédois, ou Halldor Laxness, l’auteur national islandais. Sans parler de l’Edda médiévale, ce chef d’œuvre islandais de la littérature mondiale.

Leurs romans ne sont pas assez marquants, il n’ont pas cette dimension pittoresque permettant de capter l’attention d’un lectorat consommateur, passif. Leurs romans, de plus, ne sont pas récents et ne conviennent donc pas à l’esprit du renouveau des marchandises vendues et mises en valeur.

« As-tu le dernier X ? » ne vaut-il pas mieux, en termes capitalistes, que « as-tu déjà lu Dostoïevski ? »

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Réflexions

Car objectivement on ne lit plus

Pour être à même lire, il faut avoir vécu un peu, mais surtout vivre encore. Le besoin de lecture s’efface par conséquent, dans une société où tout est observation neutre, regard froid, repli individuel sur un moi inaccessible au reste du monde.

livres

Voyons les choses en face : les gens ne lisent plus. Qu’ils soient riches ou pauvres, cultivés ou pas, ils ne lisent plus. Non pas que l’activité de la lecture n’existe plus, d’ailleurs avec internet, on n’a peut-être jamais autant lu. Sauf que ce qui est écrit n’est qu’une sous-écriture, dan le fond et dans la forme. Ce qui est véritablement écrit, plus personne ne le lit.

Ce phénomène de décadence correspond à la fois à la facilité, à l’absence de goût et l’incapacité à trouver ce qui est appréciable. Ce qui est appréciable ne l’est donc plus. La littérature s’est réduite au divertissement, à de la lecture facile écrite en grosse police, sans trop de vocabulaire, avec des thématiques toujours répétées.

Les écrits intellectuels consistent en des résumés de résumés de résumés, seul l’auteur au bout de la chaîne ayant réellement lu et étudié. D’ailleurs, le jeu des références universitaires fait qu’il ne faut jamais s’appuyer tant sur l’auteur que sur les analystes, au nom de « l’objectivité ».

Ce mot, qu’il a été déformé, vidé de son sens ! Car la seule objectivité, on l’a dans la pratique, dans le réel, et donc dans la subjectivité s’y confrontant. Est objectif non pas l’observateur, mais celui, celle qui s’implique, qui vit la chose. Barbusse au front en 1914, Lénine en octobre 1917, Léon Blum à la tête du gouvernement de Front populaire, sont d’une objectivité bien supérieur aux observateurs, car ils sont protagonistes, ils vivent le phénomène.

Ils ressentent la chose au plus profond d’eux, ils la ressentent, ils la sont. C’est le sens d’ailleurs des arts, de la littérature, du cinéma, et voilà pourquoi les gens ne s’intéressent plus à l’art, ne lisent plus : ils ne comprennent pas qu’il y ait des choses qui puissent être montrées, dites, vécues.

Il est difficile d’imaginer quelle terrible frustration doit exister dans la société française, incapable de lire. Madame Bovary n’était pas frustrée parce qu’elle lisait, mais malgré sa lecture, qui révélait son manque de vécu. Que doit-il en être pour quelqu’un qui ne lit même pas, qui n’a même pas conscience des terribles manquements à sa vie intérieure ?

Ce qui est marquant aussi, c’est au-delà de la lecture, la fainéantise devant l’effort soutenu exigé, le recul devant l’attention à porter au sens des mots et des phrases, le dédain pour la complexité, le mépris pour l’esthétique, l’absence de curiosité. L’humanité devient tel un lac asséché, où il ne reste que quelques bateaux échoués sur le sable.

Et malgré à cela, à cause cela, les gens prétendent être plus objectifs que jamais. Ils seraient dans le réel, car ils ne lisent justement pas de romans. Ils sauraient ce qu’est la réalité, précisément parce qu’ils fuient les romans.

Ce constat que peut faire aisément chaque personne qui, elle, lit et l’assume, est peut-être la chose la plus décourageante qui soit. Constater l’aliénation prendre une forme matérielle tout à fait concrète, sûre d’elle-même et prétendant au réel, met sensiblement mal à l’aise, on se dit que tout est perdu.

Le capitalisme a-t-il tellement mutilé les esprits qu’il ne serait absolument plus possible de récupérer cette capacité de lecture, de saisie du sens, de développement de sa personnalité ? Il faut le rappeler, encore et encore : la civilisation est à un tournant.

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Société

Un véritable cadeau de Noël ne se revend pas sur internet

La revente de cadeaux de Noël sur internet est de plus en plus pratiquée et assumée. C’est le marqueur de la décadence d’une société en perte de repères, de valeurs, où le plaisir d’offrir s’est totalement subordonné à la société de consommation et à l’individualisme le plus vil.

Le site marchand eBay France a annoncé une augmentation de ses annonces de 13 % par rapport à l’an passé pour le jour de Noël. Le site Rakuten, qui n’est pas le plus utilisé en France, recense pour sa part 500 000 annonces publiées dans la foulée du 25 décembre et en prévoit 3 millions d’ici au début des soldes. Ces chiffres sont énormes et montrent un phénomène massif.

Les Français ont-ils tant d’argent que cela à gaspiller, pour faire autant de « cadeaux » inutiles ? Car il faut bien s’imaginer que ces reventes ne correspondent pas à des choses anecdotiques, qu’on offre par défaut, mais ont au moins un minimum de valeur marchande pour être revendues sur ces sites.

Différentes enquêtes montrent que l’objet le plus revendu est le jeu vidéo de football FIFA 19, qui vaut environ 50€. Pour quelqu’un de rationnel, cela paraît complètement improbable : on n’offre pas un jeu vidéo de 50€ à quelqu’un qui ne l’a pas demandé.

Éventuellement, pour une personne ayant les moyens, on peut entendre qu’on offre un jeu d’aventure ou un jeu de rôle à quelqu’un pour lui suggérer d’y jouer en supposant que cela lui plaise. Mais cela ne concerne pas FIFA 19.

Mis à part des enfants qui l’auraient demandé pour Noël, ou à qui on fait la surprise sachant pertinemment que ça leur plaira, les adultes qui doivent avoir FIFA 19 l’ont déjà. C’est le jeu vidéo le plus vendu, et il est d’ailleurs en lui-même un phénomène de société.

Donc, quand on offre FIFA 19 à quelqu’un, il est impossible de ne pas savoir à l’avance si cela lui plaira ou non. À moins justement d’acheter pour acheter, sans aucune considération pour la personne à qui l’on offre.

C’est exactement la même chose pour les autres « records » de vente au lendemain de Noël : le dernier « Goncourt » Leurs enfants après eux de Nicolas Mathieu ou bien les derniers disques de Johnny Hallyday et Charles Aznavour.

Ces cadeaux ne sont d’aucune originalité. Ils reflètent même une grande idiotie, car il ne s’agit pas là que d’aliénation, mais de fainéantise intellectuelle et culturelle assumée au point d’« offrir » juste ce qui se vend, parce que ça se vend.

Sauf que, par définition, ce qui se vend, les gens qui doivent l’avoir l’ont déjà. Si l’on est en mesure d’apprécier l’album posthume de Johnny Hallyday, il est évident qu’on a pas attendu de se le voir offrir à Noël pour l’écouter.

C’est un peu la particularité de notre époque. Jamais dans un pays comme la France les larges masses n’ont eu autant accès aux marchandises, notamment aux marchandises culturelles et de confort. Pour un adulte, globalement, à moins de vivre dans une grande précarité ou d’avoir des goûts et des envies démesurés, on a déjà tout ce que l’on souhaite. On n’attend rarement de se faire offrir à Noël le mixer, le jeu vidéo, le jeu de société, la machine à coudre, le livre, la paire de basket qui nous plaît.

Cela rend d’autant plus compliqué, peut-être, les cadeaux de Noël :

« – Que souhaites-tu pour Noël ?
– Je ne sais pas.
– N’as-tu pas besoin de quelque-chose ?
– Si j’ai besoin de quelque-chose, je me l’achète ! »

Cela ne veut pas dire qu’il soit impossible d’offrir et de faire plaisir, mais que justement offrir et faire plaisir ne sont pas une question d’argent, mais surtout de réflexion s’intéressant à la personne à qui l’on offre.

Offrir à son cousin deux places pour l’accompagner au concert d’un groupe qu’on a découvert et qu’on apprécie ensemble, voilà par exemple un extraordinaire cadeau ! Et celui-ci ne se revend pas sur internet, car il n’a pas de prix.

De même qu’inviter ses parents à découvrir un château de la région, ou bien de connaître les goûts littéraires de sa fille et la surprendre positivement avec un roman auquel elle ne s’attendait pas.

Si l’art d’offrir un cadeau qui fasse vraiment plaisir n’est pas un exercice facile, on sait normalement que la démarche d’offrir à autant de valeur que l’objet. « C’est l’intention qui compte », dit la formule populaire.

Le problème est que c’est justement pour cette raison que les gens se sont mis à offrir tout et n’importe quoi, comme si l’intention suffisait lorsqu’elle est déconnectée de toute réalité matérielle. À un moment donnée, s’il n’y a pas de réflexion dans la démarche, celle-ci n’a plus de valeur. Et comme dans le même temps, chacun conçoit sa vie comme une petite entreprise, sans considérations d’ordre morales et, disons, sensibles, alors on n’hésite plus à revendre ses « cadeaux ».

Revendre dès le lendemain un jeu vidéo qu’on s’est fait offrir sans l’avoir essayé, ou un livre sans l’avoir lu, est pourtant une démarche abjecte, à mille lieux de l’esprit de Noël. C’est même franchement dégueulasse pour qui a un peu de valeurs. Mais rien n’est impossible pour le capitalisme triomphant, qui conquiert chaque espace, chaque moment, chaque centimètre, chaque seconde de la vie.

En 2018, à Noël, on n’offre presque plus pour faire plaisir, mais par convenance. Et les marchands s’organisent pour répondre massivement à cette convenance, puis chacun se transforme un marchand individuel sur internet pour tirer parti de cette convenance en revendant les « cadeaux » qui ne plaisent pas. C’est une bien triste époque.

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Réflexions

« Ne méprisez la sensibilité de personne »

Cet appel de Baudelaire, écrit dans son journal intime, est en soi un appel à la révolution à notre époque vidé de son cœur et de son esprit. La bataille pour la sensibilité est un pas nécessaire pour tout un chacun pour s’arracher à l’asséchement imposé par le capitalisme.

Charles Beaudelaire

On peut reprocher beaucoup de choses à l’esprit romantique, tant sa complaisance pour le moi que sa fascination pour les mauvais génies, comme le royalisme, le fascisme, la religion, le passé idéalisé. Seulement il ne faut pas le prendre au pied de la lettre et ici quelqu’un à la démarche unilatérale ne révèle qu’une incompréhension de la dialectique de la vie.

La vie est d’une richesse extrême, et si le capitalisme n’effaçait pas toute la gamme de la sensibilité, pour les résumer à quelques attitudes allant dans le sens de la consommation, l’humanité serait bien différente. Eh oui il faut encore admettre avec la vieille Gauche, celle qui n’est pas post-moderne, qu’après la Révolution, on aura droit à l’Homme nouveau !

En ce sens, quand on a compris cela, on retrouve chez les romantiques des éléments qui résonnent à cet avenir prometteur. Prenons Baudelaire, qu’on ne saurait résumer aux Fleurs du mal qui ne sont par ailleurs qu’un exercice de style, souvent pompeux et faible. L’immense auteur du Spleen de Paris écrit dans son journal intime ces lignes si confondantes dans leur candeur et si touchantes par leur vérité :

« Ne méprisez la sensibilité de personne. La sensibilité de chacun, c’est son génie. »

Y a-t-il plus révolutionnaire que ces lignes aujourd’hui, à une époque où exprimer sa sensibilité est considérée comme un risque, une agression, une insupportable faiblesse, une atteinte au conformisme ?

On ne peut que se prendre la tête entre les mains et se dire : quoi, à notre époque, nos n’avons même pas de romantiques, nous n’avons que des zadistes et des salafistes fuyant le monde et leur propre sensibilité ? Avec des LGBT pour qui la sensibilité ne devrait se lire que par la subjectivité et avec comme seul critère le corps ?

C’est odieux et s’il n’était pas la classe ouvrière, mieux vaudrait se contenter de lire Baudelaire et Goethe, les grands poètes anglais du romantisme et les grands auteurs russes. Or, là, comme il y a la classe ouvrière, cela signifie qu’on peut les lire et avoir en tête que l’exigence de transformation de la réalité, pour l’affirmation de la sensibilité, est tout à fait possible. Le sens tragique du romantisme, obnubilé par l’échec individuel, s’efface devant le sens épique du socialisme, intéressé par le développement personnel.

Seul le socialisme peut reconnaître la personnalité, en rejetant l’individu qui n’est qu’une abstraction, car rien n’existe de manière isolée, entièrement différente, sans appartenance à l’ensemble. L’individu ne cultive que son petit moi, avec aigreur, là où la personnalité affirmée connaît un rapport vivant et productif avec la nature et la culture, qui elles-même sont fondamentalement liées.

Chaque personne ne saurait être un génie, car les génies n’existent pas, mais chaque personne a du génie, consistant non pas en le moi, sa pensée ou on ne sait quelle absurdité cartésienne, mais dans sa sensibilité. C’est ce qui fait qu’on admire tel oiseau, tel chat, tel poisson, tel insecte, de par sa sensibilité qu’on remarque, qu’on saisit comme on bond, tel un écho de notre propre sensibilité.

Le socialisme sera le monde où la sensibilité prédominera, et finalement le communisme rêvé par la Gauche historique n’est-il pas le triomphe complet de celle-ci ?

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Société

Les traditions « alsaciennes » de Noël, une source pour le folklore populaire français

L’Alsace est reconnue dans le cadre de la nation française pour ses traditions de Noël. S’il convient de les replacer dans leur juste dimension, qui n’est pas à proprement parler « alsacienne », elles ont une indéniable perspective populaire et démocratique, exprimant l’esprit de partage, la générosité et le besoin d’une vie naturelle et pacifique. Pour affirmer la dignité et la valeur de ces traditions, nous partageons à la fin de cet article une recette typiquement alsacienne de petits gâteaux appelés Bredele.

Parmi les traditions populaires qui apparaissent comme les plus typiques en Alsace, il y a donc celle des Bredele (à prononcer comme si chaque -e était accentué), qui consiste en une série de recettes de petits biscuits sucrés assortis, préparés avec des épices comme la cannelle, ou l’anis, avec des fruits secs, diverses pâtes de fruit ou confitures.

La préparation des Bredele tout au long des semaines précédents Noël, est en soi un dispositif incontournable de cette tradition, l’idée étant si possible de les réaliser collectivement, au sein de la famille ou même entre amis, en unissant les différentes générations.

Leur confection, leur cuisson, leur conditionnement dans des boîtes ou des sachets à offrir est l’occasion d’organiser un travail collectif entre proches, grands-parents, parents ou enfants. A l’approche des Fêtes, les Bredele sont ensuite offerts, à des amis, à partager au travail, entre voisins, aux professeurs des écoles ou aux animateurs qui s’occupent des enfants sur leur temps périscolaire par exemple.

Cette tradition des Bredele se retrouve dans toutes les confessions alsaciennes, chez les protestants comme chez les catholiques, y compris chez les juifs que l’on appelle en Alsace Israëlites, en particulier sous la forme du kipferl.

On trouve bien sûr tout un marché développé autour des Bredele, y compris dans le fait de pouvoir en acheter de toutes sortes dans le commerce, mais rien ne remplace le plaisir de les confectionner avec ses proches pour les offrir autour de soi. D’ailleurs, dans le passé, les Bredele constituaient même en tant que tels une des décorations du sapin de Noël, que l’on dégustait le soir de la Fête.

Le sapin de Noël justement, constitue lui aussi une autre de ces traditions « alsaciennes ». Au point que la ville de Strasbourg, se revendiquant aujourd’hui « capitale de Noël », cherche chaque année à exposer un immense sapin illuminé sur la principale place du centre-ville. Il est vrai que les plus anciennes mentions d’un sapin coupé pour le décorer sont repérables à partir de la fin du XVe siècle dans des documents du Rhin supérieur, notamment en 1546 dans un document de la ville de Sélestat, qui autorise la coupe de sapins à partir du 21 décembre, c’est-à-dire la date la plus commune du solstice d’hiver dans notre partie de l’hémisphère nord.

Il est bien entendu que cette pratique remonte à une haute antiquité, antérieure au processus de christianisation qui a accompagné la mise en place du féodalisme en Europe. D’ailleurs, il n’est pas forcément question uniquement du sapin dans ces traditions issues de l’Antiquité, mais de toutes plantes persistantes en hiver, comme le houx ou le gui. En outre, ces plantes sont fortement liées au culte rendu à cette occasion au soleil et plus généralement à la Nature hivernale, à la vie et à son triomphe. D’où tout le déploiement de lumières,  de bougies, d’illuminations, particulièrement intenses en Alsace, où les rues, les commerces, les monuments publics, les appartements ou les maisons se parent de lumières à la tombée précoce du jour.

Toutes ses traditions, et on peut y ajouter pour finir celle du Christkindel, personnage angélique et féminin accompagné du « Père fouettard » (Rubelz ou Hans Trapp dans le Nord de l’Alsace), ne sont pas fondamentalement alsaciennes toutefois. Déjà en raison du fait que si elle paraissent relativement singulières dans le cadre de la nation française, elles sont en revanche totalement partagées avec l’ensemble des pays germaniques et alpins en particulier. Ensuite, par le fait qu’elles se sont forgées très anciennement, et si elles se structurent de manière significative au XVIe siècle, donc de toute façon à des époques où l’Alsace n’existe pas encore en tant que telle, c’est avant tout dans le cadre de la Réforme, et en particulier de la Réforme luthérienne.

Il s’agissait alors de développer par la dignité accordées aux traditions populaires, une culture de Noël en mesure de renverser les traditions catholiques comme le culte de saint Nicolas, très pratiqué dans les pays rhénan.

Toutes ses traditions ont donc une incontestable dimension populaire et démocratique, elles dépassent le cadre religieux, irriguant la culture et les pratiques de sociabilité quotidienne en cette période, inspirant le folklore lié à Noël pas seulement en Alsace, mais dans tout notre pays.

Plutôt que de chercher à labelliser un pseudo-Noël « à l’Alsacienne » dans une démarche mercantile ou identitaire et réactionnaire, il y a lieu d’affirmer la dignité de ces traditions qui expriment si bien la tendance à la rencontre, à l’échange, à la fusion et le besoin de se rapprocher de la Nature, de renouer un rapport harmonieux aux saisons et à la biosphère.

Recette de Bredele :

Matériel nécessaire : un rouleau à pâtisserie, des emporte-pièces pour Bredele, un pinceau.

  • 1 banane trop mûre (liant en remplacement de l’oeuf)
  • 1 càs de cannelle
  • un peu de girofle moulue
  • 3 càs de beurre de cacahuètes
  • 100g de sucre roux
  • 5 càs d’huile végétale
  • 100g de poudre d’amandes
  • 300g de farine

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Selon ce que vous décidez de faire de cette pâte, vous aurez également besoin de sucre glace et de petites décorations en sucre, et/ou de gelée de fruits rouges.

Commencez par bien écraser la banane, jusqu’à avoir une consistance liquide. Ajoutez ensuite la cannelle, la girofle, le beurre de cacahuètes et le sucre roux. Mélangez bien pour que ce soit homogène et ajoutez les autres ingrédients progressivement : poudre d’amandes, huile végétale et farine.

Une fois que vous avez une pâte homogène dont vous avez réussi à faire une boule sans que ça colle trop aux doigts, vous pouvez commencer à former les Bredele. Étalez la pâte au rouleau sur votre plan de travail préalablement fariné et sortez vos emporte-pièces spécial Bredele en forme de cœurs, étoiles, sapins, cloches… et aussi des ronds tous simples pour faire des Bredele à la confiture.

Déposez vos Bredele sur une plaque de cuisson que vous aurez recouvert d’une feuille de papier sulfurisé.

Cuisez-les au four à 180°C pour environ 10 minutes.

Pour le glaçage, mélangez du sucre glace avec un peu d’eau et utilisez un pinceau pour déposer ce mélange sur vos Bredele. Saupoudrez de petites décorations en sucre avant que le glaçage ne sèche.

Si vous décidez d’en faire des Bredele à la confiture, n’oubliez pas de faire chauffer la confiture (10 secondes au micro ondes) avant de la répartir sur vos bases rondes. Déposez ensuite un « chapeau » de la même taille, creux, et ajoutez encore de la confiture.

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Écologie

Chiens et chats : les protéger les 24 et 31

Pour Noël et le réveillon, il arrive qu’on ait beaucoup de visites : savoir prendre soin de son compagnon animalier demande une vraie réflexion et un certain sens de l’organisation, ceci afin de leur éviter tout stress.

chat chien réveillon

Le bruit, les choses surprenantes, une activité dans tous les sens aisément désagréable, des enfants trop entreprenants… les possibilités de dérangement, de désagrément, sont rapidement nombreuses pour les chiens, chats et les autres compagnons animaliers qui peuplent nos logements. Il va donc de soi qu’il est nécessaire de prévoir le coup.

La première chose à avoir, c’est le numéro de téléphone d’un vétérinaire ouvert la nuit et ouvert à ces dates là, en cas de pépin. Cela va avec le fait de bien vérifier qu’aucune installation à l’occasion des 24 et 31 ne créent un danger possible : le sapin, les guirlandes électriques, la vaisselle, la nourriture disposée, les meubles déplacés, la décoration, etc.

Toute l’organisation allant de paire avec Noël et le réveillon amènent d’ailleurs un chambardement qui n’est pas forcément apprécié, aussi est-il nécessaire de régulièrement rassurer son compagnon. Cela va de paire avec une très importante priorité : l’organisation d’un repli possible, lors de la soirée, pour celui-ci. Il faut l’animal ait aisément la possibilité de se mettre à l’écart, dans un endroit rassurant, où il sait qu’il ne sera pas dérangé.

Certains animaux sont très sociables et apprécient la visite d’amis ou de proches, voire même de parfaits inconnus. Certains chats par exemple se montreront très affectueux envers les invités et demanderont des caresses et de l’attention. Mais cette attitude ne doit pas faire oublier qu’un chat est un chat, pas un humain. Et de la même manière qu’un chien reste un chien.

Le bruit, les mouvements brusques, la musique, etc. d’une soirée sont des sources de stress pour les chiens et les chats. Un chat peut apprécier la visite et se retrouver au centre de l’attention, mais il n’appréciera certainement pas une musique forte, des bruits de vaisselles et un volume sonore trop élevé.

Il faut donc le rappeler aux les enfants, mais également aux adultes. Emporté par l’engouement de la fête, ou bien abasourdis par l’alcool, ces derniers peuvent en effet se montrer désagréables ou dérangeants. Il faut donc prévoir le repli possible, mais également savoir être ferme le cas échéant. Il faut toujours avoir un oeil sur les animaux du logement, ou au moins savoir où ils se trouvent et s’assurer qu’ils ne sont pas stressés.

Il va de soi que cette intendance est d’autant plus exigeante pour les animaux enfermés dans des cages, comme les cochons d’Inde ou les rats, pour qui la situation déjà désagréable risque d’être encore plus stressante en cas de bruit, d’actions interprétées comme des menaces ! Ici, idéalement, il faudrait déplacer les cages en question, cependant les animaux aiment rarement perdre leurs repères concernant leur entourage.

Le fait de mettre une couverture n’a également que peu de sens pour des animaux appréciant les activités nocturnes… Peut-être que la meilleure solution est de leur donner de bonnes friandises au bon moment pour les occuper à quelque chose de plaisant et de rassurant. Les rats aiment bien les bons petits plats et les cochons d’Inde raffolent des diverses herbes qui peuvent leur être proposés.

Une autre difficulté, ce sont les pétarades du 31 décembre, qui sont extrêmement agressifs pour nos compagnons, et contre lesquels on ne peut pas forcément grand-chose. On peut toutefois penser à fermer les volets, se rapprocher d’eux juste avant minuit, pour bien les rassurer. Il faut ici se souvenir que leur ouïe est souvent bien plus sensible que la nôtre.

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L’effondrement des gilets jaunes mène au Fascisme

Comme cela était prévu, le mouvement des gilets jaunes s’effiloche toujours plus. De par sa nature sociale, il s’éteint, les « classes moyennes » étant incapables de porter quoi ce soit de positif par elle-même. Et forcément, ce n’est pas beau à voir : on a droit à des scènes littéralement baroques de grossièreté, de stupidité et d’arriérations intellectuelles.

Depuis la « quenelle » de Dieudonné entonnée sur les marches de la butte Montmartre à Paris au pantin représentant Emmanuel Macron dont la tête a été coupé à la hache par un « bourreau » à Angoulême, en passant par les violences stériles contre les policiers, on est dans le simplisme et la farce.

C’est un véritable cinéma qui prend fin, et il faut bien voir également qu’il y aura eu peu d’acteurs. 40 000 personnes mobilisées hier, c’est peu, et même si l’on prend le pic, avec un peu moins de 300 000 personnes le 17 novembre, c’est tout à fait comparable à une mobilisation syndicale ayant un peu de succès.

Le succès des gilets jaunes s’explique par la conjonction des opérations coup de poing sous l’égide de la petite-bourgeoisie radicalisée, des médias, de franges populistes se lançant dans la mêlée, avec également l’appui d’une partie de la bourgeoisie elle-même.

Car les gilets jaunes, c’est comme le Fascisme : c’est social, mais cela ne critique pas le bourgeois, cela n’utilise pas le terme de capitalisme mais désigne comme ennemi seulement la « banque » et « l’oligarchie ». L’état d’esprit est patriotique, la vision du monde est complotiste, la démarche communautaire, le degré de conscience politique est à zéro avec une même haine de la politique et du principe de parti.

C’est un cadeau des dieux pour la bourgeoisie, trop heureuse d’avoir affaire à un tel type de révolte, à une sorte d’anti-lutte des classes. Et le contre-coup va être énorme. L’ultra-gauche s’imaginait que les gilets jaunes portaient la révolution, en réalité ceux-ci sont une expression de crise et ils vont être un vecteur historique du Fascisme.

La vague post-gilet jaune arrivant va être terrible, elle va ébranler les fondements culturels de la société française. Ce qui a été remué, ce qui a été transporté – et notamment la convergence ultra-gauche / extrême-droite – va nous exploser à la figure.
Bien entendu si on imagine que le Socialisme ce sont des gens qui protestent en cassant des vitrines, on peut continuer de rêver. Mais si on sait que le Socialisme c’est la rationalité, l’organisation, la classe ouvrière, une réflexion intellectuelle avec une exigence de haut niveau, alors on voit bien que les gilets jaunes, c’est l’anti-Socialisme.

Quand on connaît l’histoire de France, on ne peut que voir en les gilets jaunes les ombres de Bergson et Sorel, de Proudhon et des Croix de Feu. Cette ambiance de gens qui ont « vécu », dans une logique de rudesse et de vitalisme, de négation de la politique avec une vision du « peuple » comme au-delà des classes… relève du fascisme, au mieux du proto-fascisme.

Cette expérience historique des gilets jaunes va marquer les esprits et va générer une multitude de structures relevant de cet état d’esprit. Cela est valable pour avant l’émergence des gilets jaunes, car il s’agit d’une convergence historique de toute une couche sociale. Le parallèle entre l’émergence d’une ultra-gauche glorifiant la casse pour la casse ces dernières années et celle des gilets jaunes doit être constaté avec rigueur, en en tirant les conclusions qui en découlent.

Nous vivons l’agonie de la petite-bourgeoisie, et cette agonie s’exprime par le symbolisme de la révolution, pour une contre-révolution par en bas. Cela mène tout droit au Fascisme.

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Le « référendum d’initiative populaire » contre la démocratie

La généralisation du référendum n’est pas une démarche démocratique servant les intérêts des classes populaires. Il relève du populisme le plus élémentaire, en niant la complexité des choses, en dépolitisant les sujets, ce qui mène tout droit au fascisme en contribuant à tuer la société civile.

Le « RIC », référendum d’initiative citoyenne, est la grande revendication du mouvement des gilets jaunes depuis le début de son effondrement. Dépouillé de ce qu’il pouvait avoir de populaire, quand il portait une révolte contre la vie chère et le mode de vie dépendant à l’automobile, le mouvement affirme maintenant pleinement sa nature populiste.

Il y a en effet quelque-chose de profondément idéaliste, pour ne pas dire irrationnel, à s’imaginer que la démocratie puisse s’incarner en des réponses « oui » ou « non » à quelques grandes questions.

La démocratie n’est pas un formalisme consistant en la somme des « points-de-vue » des individus. C’est quelque-chose de bien plus grand, un mouvement devant pénétrer chaque moment de la vie, avec un pouvoir populaire s’animant de manière concrète sur chaque aspect de la vie. C’est ce qu’on appelle la société civile, avec des gens s’organisant dans des moments particulier de la vie quotidienne et du monde qui nous entoure, débattant et façonnant des points de vue élaborés, en rapport avec des choses concrètes qu’ils connaissent et pratiquent vraiment.

Résumer cela en des questions posées aux électeurs, même régulièrement, et trouvant leur issue par « oui » ou « non », est une insulte à l’idée même de pouvoir populaire. La motivation du « RIC » n’est de toutes façons pas démocratique, mais se veut seulement une réponse rapide et facile à l’indignation de petit-bourgeois pris de rage face à leur propre situation.

Les gilets jaunes ne veulent pas faire de politique, ils ne veulent pas saisir la complexité du monde et des rapports sociaux, ils veulent simplement pouvoir dire « non ». Le « RIC » est la quintessence du consumérisme petit-bourgeois, complètement aliéné par le capitalisme, où tout est question de choix individuel, de défendre les intérêts de sa petite personne, sans aucune considération plus élaborée ni pour la planète, ni pour la communauté.

On imagine d’ailleurs très bien les dégâts si la société fonctionnait ainsi, car évidemment il ne serait plus possible d’avancer collectivement, plus personne ne voudrait plus rien mettre en commun ni se plier à l’exigence collective.

Le problème de notre société n’est pas que les hommes politiques soient incompétents ou qu’ils aient « trahi », comme le résument les populistes, mais qu’ils servent des intérêts de classe. Il ne s’agit donc pas de pouvoir simplement dire « oui » ou « non », mais de renverser le pouvoir de la bourgeoisie qui accapare la culture et les richesses, pour au contraire défendre les intérêts culturels et matériels des classes populaires.

Cela est bien plus complexe que des « RIC », car il faut s’organiser sur le long terme, connaître et défendre le long cheminement de la civilisation, avoir une opinion élaborée et aboutie conformément à la complexité de chaque phénomène particulier et des rapports sociaux et naturels en général.

Le référendum n’est bien sûr pas un outil qui serait mauvais en lui-même, car il ne s’agit que d’un vote et il est utile en démocratie que les débats et les réflexions puissent être tranchés à un moment donné. Mais le « RIC » ne consiste pas en cela. Il s’agit juste du prolongement du mouvement des gilets jaunes opposés aux taxes sur le carburant, qui veulent pouvoir lancer leurs pétitions à grandes échelles et faire voter tout le monde sur la fin d’une taxe, puis certainement d’autres taxes, etc.

Il ne faut pas s’étonner ici de voir une figure populiste comme François Ruffin de La France Insoumise soutenir pleinement le « RIC », qui figurait au programme en 2017 tant de Jean-Luc Mélenchon que de Marine Le Pen. Il y a eu cette polémique récemment car, lors d’une conférence à l’Assemblée Nationale, François Ruffin a félicité le fasciste Étienne Chouard qui est un initiateur reconnu du « RIC ».

Cela est logique, et tous ceux à Gauche qui ont refusé le populisme savent très bien qu’il existe depuis le référendum sur la constitution européenne en 2005 une grande convergence entre les nationalismes. Étienne Chouard n’est ici qu’un pont parmi d’autre entre la France Insoumise et le Rassemblement National, par l’intermédiaire d’Alain Soral notamment.

Ce qui est ironique par contre, c’est que la France Insoumise ne bénéficie pas du mouvement des gilets jaunes, malgré le fait qu’elle dise la même chose, car finalement les gilets jaunes préfèrent le Rassemblement National, la version originale, plutôt que sa pâle copie insoumise teintée de bons sentiments dépassés. C’est que la France Insoumise est encore trop « politique », et on imagine d’ailleurs que le Rassemblement National, qui a pourtant poussé très loin le populisme et le refus de la « politique-politicienne », des clivages politiques, est encore de trop pour certains gilets jaunes.

Leur « RIC », en tant qu’objet antipolitique et antidémocratique, en tant que fausse promesse démocratique et populaire, en tant qu’illusion populiste, en tant que négation de la lutte des classes, mène alors tout droit au fascisme.

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Politique

Gilets jaunes et chemises noires

Quiconque s’est intéressé un tant soit peu aux mouvements élémentaires comme les chemises noires ou les SA ne peut pas manquer de voir chez les gilets jaunes des similarités très nettes. Si l’idéalisme manque, la dynamique reste la volonté de « restauration » communautaire, au-delà des classes sociales.

gilets jaunes

La victoire du Front populaire a malheureusement fait oublier l’importance dans les années 1930 en France du Fascisme comme mouvement élémentaire, avec surtout le Parti Social Français du colonel De La Rocque, issu des Croix de Feu. A cela s’ajoute la volonté des historiens des universités de masquer ce fascisme français, en prétendant qu’il n’a jamais existé…

Les Français voient les SA comme un mouvement de robots défilant au pas de l’oie, conformément à ce qu’est censé être l’esprit allemand, et ils voient les chemises noires comme une sorte de truc chaotique d’hurluberlus en chemise noire tapant dans tous les sens, en correspondance avec une sorte de caricature des Italiens. L’esprit français serait évidemment au-delà de telles choses primitives, le Français étant « cartésien » par principe et éloigné de tout extrémisme. N’a-t-on pas une franc-maçonnerie où discuter entre gens de gauche et de droite, de manière raisonnable ?

Si l’on sort de tels raccourcis et qu’on porte un regard en historien, c’est-à-dire qu’on regarde les faits et qu’on en généralise des concepts, on voit pourtant que les gilets jaunes ont, dans leur attitude et dans leur positionnement, un mode de fonctionnement très proche des chemises noires et des SA.

Le principe des chemises noires et des SA est en effet le suivant. Il faut exiger une remise à plat de la société, dans le bon sens. Il faut donc adopter un esprit d’unité totale, dans le sens de l’affirmation de l’intérêt de la communauté générale. Il ne s’agit pas de discuter ou d’élaborer des concepts, mais d’affirmer des slogans et une volonté commune. Pour cela, un symbole identitaire est adopté dans l’habillement.

Il n’y a pas d’assemblée générale, pas d’élections, pas de hiérarchie. Mais il y a des meneurs, des chefs, qui s’affirment « spontanément ». Cette non-hiérarchie hiérarchique se constitue « spontanément » en allant de plus en plus haut. Elle devient le point de repère d’un mouvement diffus à la base, où des gens vont, viennent, dans un turn-over relativement important, tout se maintenant uniquement par esprit affinitaire.

Là le Fascisme se distingue des gilets jaunes, car le premier a un idéalisme que le second n’a pas, ou pas encore. Le Fascisme propose une mobilisation pour affirmer une forme de restitution d’un idéal qui aurait été volé. Les gilets jaunes n’en sont pas loin, mais ils sont surtout dans une nostalgie des décennies précédentes, avec leur stabilité. Malgré tout le misérabilisme qu’on entend ici ou là, voire partout, la France n’est pas du tout l’Italie des années 1920 ni l’Allemagne des années 1930.

Un argument contre cette manière de voir les choses pourrait constituer à dire que les gilets jaunes n’ont pas choisi de camp et qu’on peut encore les pousser dans telle ou telle direction, alors que les fascistes sont par définition des ennemis de la Gauche. C’est là une grossière erreur. Toute l’autocritique des antifascistes italiens et allemands a justement consisté à dire qu’il aurait fallu chercher à faire décrocher la base fasciste du Fascisme.

Non pas qu’il n’y ait pas eu de tentatives en ce sens, par ailleurs : on doit imaginer le courage de ces communistes venant dans les meetings nazis pour apporter la contradiction. Ces gens-là sont des héros. Il fallait un cran terrible pour aller dans un meeting avec des centaines de personnes a priori fondamentalement hostiles, pour trouver la force de trouver des failles dans la démagogie fasciste, pour prendre alors la parole et taper là où ça fait mal, afin de retourner l’opinion.

Il y a de nombreux autres exemples d’une approche similaire justement après la défaite, comme « la lettre aux chemises noires » du Parti Communiste italien, visant à démolir les certitudes fascistes. Le Parti Communiste français a fait quelque chose d’équivalent d’ailleurs (« Nous te tendons la main… »).

Dans un même ordre d’idées, après la défaite, il a fallu également mettre son ego de côté et assumer d’infiltrer les organisations fascistes de masse, les organisations para-syndicales, pour miner le régime de l’intérieur, pour toucher un maximum de gens et les pousser dans le bon sens. Un travail harassant et horrible : être de Gauche et devoir s’habiller en fasciste, faire semblant de l’être… C’est dégradant, et pourtant…

Par conséquent, considérer que les gilets jaunes présentent des similarités très fortes avec le fascisme ne signifie pas le rejeter de manière unilatérale. Cependant, cela veut dire ne pas croire qu’il suffit d’y participer ou de le fréquenter pour l’appréhender de manière adéquate.

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Politique

La « réconciliation » franco-allemande qui n’a jamais eu lieu

A l’occasion du 11 novembre, Emmanuel Macron et Angela Merkel avaient souligné l’importance de la réconciliation franco-allemande. Pourtant, dans les faits, celle-ci n’existe pas et les Français ne pratiquent strictement aucune ouverture à la culture allemande.

Helmut Kohl François Mitterrand

Les préjugés français à l’encontre des Allemands sont particulièrement nombreux encore de nos jours, et ils sont d’autant plus ridicules que, depuis la réunification, la société allemande a puissamment changé. Celle-ci s’est radicalement ouverte et si auparavant, il n’existait que quelques poches isolées de modernité – les universités, les intellectuels, les fameux « autonomes » – désormais l’Allemagne se vit au quotidien comme finalement on le fait en France.

Il y a des gens de différentes couleur de peau, il y a des bars et la musique techno existe ; on n’est pas obligé de croire ce que dit le gouvernement, on peut manifester son mécontentement et protester. Cela a l’air idiot dit comme cela, mais l’Allemagne de l’Ouest des années 1970 était un enfer de conformisme et de pression conservatrice, en raison de l’influence massive des restes du nazisme, ainsi que des nazis pullulant encore dans l’appareil d’État.

Aujourd’hui, tout cela a été balayé et l’Allemagne connaît la même modernité que la France, avec les mêmes rappeurs vulgaires, la même extrême-droite populiste, la même société de consommation avec sa course à la propriété effrénée, etc. Il y a la même acculturation de la jeunesse, le même mépris de l’héritage culturel national, le même rejet de tout ce qui est historique.

Bref, rien ne ressemble plus à la France que l’Allemagne et inversement. Cela n’en fait cependant pas une réconciliation pour autant, cela en fait surtout une relation vide. Les Français ne s’intéressent pas aux auteurs allemands, les fameux Goethe et Schiller, Novalis et Thomas Mann ; tout au plus trouve-t-on quelques philosophes saluant Nietzsche et Heidegger, qui inversement sont rejetés en Allemagne comme de véritables zozos détraqués d’extrême-droite.

Les Français imaginent la langue allemande comme moche à la prononciation et les Allemands comme des êtres rigides, bornés, des sortes de robot. Le pays est imaginé comme froid, voire hostile, tant sur le plan de la météo que sur le plan des rapports humains. Alors que plus de la moitié des Allemands sont catholiques, les Français les imaginent également comme des puritains adeptes d’une morale stricte.

Tout cela ne correspond pas vraiment à une sorte de « réconciliation » ! Les Français ne connaissent tout simplement pas les Allemands. Pire, ils s’en moquent, car seule compte désormais la petite vie individuelle.

Tout cela va fondamentalement dans un sens anti-démocratique : on va ici à l’encontre de l’amitié entre les peuples, de l’internationalisme comme assimilation réciproque des valeurs universels. Il y aurait beaucoup à gagner des échanges franco-allemands, mais il n’y en a pas qui aient une importance authentique, une base de masse.

Rien n’a changé depuis 1914, et encore est-ce inexact, puisque, avant 1914, les gens cultivés disposaient au moins d’une certaine connaissance sérieuse de l’Allemagne, de sa culture, de sa science. Il n’y a rien de tout cela, et cela n’a pas de rapport ni avec la première guerre mondiale, ni avec les massacres nazis, car les Français se désintéressent tant de celle-ci que de ceux-là.

Non, on fait simplement face à une indifférence à ce qui est culturel, à ce qui est vivant culturellement, issu des cultures des peuples. Seul compte désormais ce qui relève de la consommation, passive et permissive.

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Société

Faut-il une région administrative pour savoir que Nantes est en Bretagne ?

L’association Bretagne Réunie a présenté récemment une pétition de 100 000 signatures demandant un référendum sur le rattachement du département de la Loire-Atlantique à la région Bretagne. Suite à la pression exercée par cela, et alors qu’il est juridiquement obligé de prendre en compte cette demande émanant de 10 % du corps électoral de Loire-Atlantique, le conseil départemental s’en retourne finalement à l’État pour organiser un référendum décisionnel sur la question.

Entendre dire par des gens qui n’y connaissent rien à l’histoire et à la culture bretonne que Nantes ne serait pas en Bretagne est vécu comme une véritable agression culturelle par de nombreuses personnes. C’est en effet une insulte à l’histoire et à la culture, car bien-sûr le pays Nantais ou le pays de Retz sont bretons.

Ce discours niant une partie de la Bretagne est largement porté par la non-intégration administrative de la Loire-Atlantique à la région Bretagne. Le territoire complètement fictif des Pays-de-la-Loire, dont trois départements sur cinq n’ont aucun rapport avec le fleuve la Loire, s’est pour sa part développé dans une optique de modernisme capitaliste tout puissant, niant en bloc les traditions et l’héritage.

Rien que pour cette raison, les personnes progressistes en Loire-Atlantique ont en général toujours vu d’un bon œil la question bretonne, parce que c’est une question démocratique et populaire.

Les 100 000 signatures ligériennes réunies par la pétition de l’association Bretagne Réunie représentent de ce point de vue quelque-chose de très important numériquement.

Cependant, il faut bien voir que la pétition a franchi ce seuil à l’arrachée, grâce au militantisme forcené de l’association, alors que la question est posée dans le débat public depuis de nombreuses années.

D’un côté, la population est bienveillante sur cette question, comme le montrent les réguliers sondages dans la presse locale, mais de l’autre il n’y a pas non-plus de véritable mobilisation démocratique et populaire sur le sujet. C’est-à-dire que, de la même manière que les Bretons dans leur ensemble ne se considèrent pas comme oppressés nationalement par la France, car ils sont français, la plupart des ligériens connaissent leur identité et leur héritage breton, tout en ne prêtant pas vraiment attention à la région Pays-de-la-Loire qui est surtout une entité administrative et technocratique abstraite.

De ce point de vue, il faut considérer que l’intégration de la Loire-Atlantique à la région Bretagne ne représente aucun progrès démocratique et populaire. Si cela peut être satisfaisant sur le plan personnel de voir reconnaître l’histoire et la culture bretonne de la Loire-Atlantique, ce qui n’est pas un aspect négligeable, il faut surtout considérer le contexte général motivant ce rattachement.

Le mouvement « breton » qui porte cette revendication est en effet largement réactionnaire. Il s’agit typiquement d’une mobilisation petite-bourgeoise hystérique, dévoyant une question démocratique au profit d’un idéalisme identitaire. Rien que la pseudo-langue bretonne inventée de toute pièce par des universitaires d’extrême-droite, qui n’a pas de réel rapport avec la langue populaire bretonne, est quelque-chose d’insupportable, qui en dit long sur le caractère réactionnaire, stupide, de ce mouvement.

Il faut aussi bien comprendre que l’actuelle région Bretagne entend se renforcer de l’intégration de Nantes dans une perspective régionale européenne, où il s’agit de tirer son épingle du jeu économiquement, en concurrence avec d’autres grandes région. Et il ne s’agit pas là que de tourisme, mais de tout un tas de considérations économiques capitalistes.

C’est dans ce contexte concurrentiel que le Président de la région Bretagne Jean-Yves Le Drian avait fait pression auprès de François Hollande contre la fusion de la Bretagne et des Pays-de-la-Loire en 2015, alors que c’était dans l’ordre des choses au regard des fusions ayant lieu pour d’autres régions françaises avec la loi NOTRe.

C’est dans ce sens également qu’il faut comprendre le vote la semaine dernière des élus du conseil régional de Bretagne se prononçant à l’unanimité en faveur d’un référendum sur le rattachement de Nantes et son département.

Que ce choix s’appuie sur une considération culturelle légitime à la base ne change rien au problème, au contraire. Il faut bien comprendre ici que la revendication identitaire sous-jacente est celle de l’autonomie bretonne, si ce n’est de l’indépendance au moins relative.

D’un point de vue progressiste, la Gauche ne peut pas accepter un tel pas en avant dans l’autonomisation d’un territoire. Cela représenterait un recul du cadre national, donc un recul démocratique. Le cadre national est l’expression historique la plus aboutie jusqu’à présent de la collectivité. C’est le cadre le plus démocratique possible à notre époque, celui dans lequel la Gauche historiquement s’affirme et affirme le point de vue de la classe ouvrière et de l’internationalisme prolétarien.

Une injustice culturelle, aussi importante soit-elle, ne peut pas justifier un tel démantèlement démocratique du cadre national au profit d’une région, d’un particularisme local qui serait par définition un retour en arrière.

Il faut saluer et reconnaître comme juste ici le vote majoritaire au conseil départemental de Loire-Atlantique, sous l’influence de son Président socialiste Philippe Grovalet, refusant d’activer le droit d’option du département en faveur de son rattachement à la région Bretagne.

Ce vote, reconnaissant largement dans les débats l’héritage culturel breton, est accompagné du vœu de s’en remettre à l’État pour régler cette question qui concerne la nation tout entière.

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Politique

Benoît Hamon : les gilets jaunes comme « Printemps arabe »

Dans une interview au journal Le Monde, Benoît Hamon pose enfin une vision claire de comment il voit les choses. Le mouvement des gilets jaunes lui a évidemment forcé la main.

Benoît Hamon

Benoît Hamon, qui a fondé Génération-s afin de donner un nouvel élan à la Gauche, se retrouve dans une situation difficile de par la faiblesse de celle-ci, la faiblesse de son mouvement, l’émergence d’un concurrent direct (Place publique) et encore plus avec les ambiguïtés (au minimum) et l’ampleur d’un mouvement comme les gilets jaunes.

Il a tenu jeudi dernier un meeting à Paris, qui a été présenté comme un succès avec tout au plus 2 000 personnes, afin de se lancer en prévision des élections européennes. Dans le même temps, c’est part une longue interview au Monde qu’il a exposé quelques traits généraux de son orientation.

Enfin, pourrait-on dire, tellement Benoît Hamon oscillait entre un discours assez dur avec un retour aux sources, utilisant parfois même le terme de bourgeoisie, et une démarche ouvertement postmoderne, postindustrielle, avec des appels incessants à soutenir les migrants.

Aujourd’hui, une telle oscillation n’est plus possible. S’il était très prudent en effet auparavant, ne voulant se fermer aucune option, Benoît Hamon n’est plus en mesure de tergiverser. Il faut poser les choses.

Au Monde, Benoît Hamon ose donc enfin. Cela donne les choses suivantes. Il y a déjà les gilets jaunes : « cela marque le réveil du peuple français », c’est une « convulsion profonde de la société française ».

S’il dit qu’on ne sait pas si cela donnera plus de libertés ou un régime autoritaire, il évacue de la manière suivante la nature des gilets jaunes, au nom de ce qu’on peut appeler le « mouvementisme » :

« Ce qui me fascine, c’est la tétanie et la peur d’une grande partie des élites politiques par rapport à ce mouvement social.

Certains y voient de l’égoïsme, des gens qui préfèrent leur plein de diesel à l’avenir de leurs enfants. D’autres ne voient que les groupuscules fascistes ou insurrectionnels ; d’autres encore, que les racistes et antidémocratiques. Cela existe. Mais ce qui réunit les 80 % de Français qui soutiennent ce mouvement, c’est la volonté de transformer une société inégalitaire qui a perdu le sens de l’intérêt général et de la justice sociale (…).

Peu importe l’étincelle qui déclenche le mouvement actuel, il a un double moteur qui parle à tous les Français : les inégalités et le sentiment d’être pris pour quantité négligeable. A certains égards, ce mouvement qui mêle demandes sociales et démocratiques, ressemble aux « printemps arabes ». »

C’est là assez opportuniste, dans la mesure où Benoît Hamon se détourne de se confronter à la réalité en tant que telle des gilets jaunes. La référence aux « printemps arabes » est qui plus est extrêmement floue, puisque ceux-ci ont eu des formes difficilement saisissables, sans parler du rôle essentiel du média Al Jazira et des Frères Musulmans.

Mais, de manière intéressante sur le plan des idées, d’autres font pareillement référence aux « printemps arabes » au sujet des gilets jaunes, précisément dans toute la sphère intellectuelle voyant les choses en termes de « société postindustrielle ». Il s’agit des intellectuels s’inspirant de « l’autonomie italienne » et appréciant la « spontanéité » des mouvements sociaux « postindustriels ».

On est là dans la croyance. Il y aurait une sorte de mouvement flottant au-dessus des classes et surtout de l’État – qui transporterait une force citoyenne établissant des rapports sociaux meilleurs. Cette conception est très exactement celle de Michel Foucault, qui l’a très longuement exposé dans son analyse très positive de la révolution iranienne.

Faut-il ici y voir une sorte de romantisme orientaliste ? En tout cas, on a la même perspective postindustrielle d’une révolution qui serait une sorte de révolte de la société contre l’État.

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Politique

Fin des gilets jaunes, l’échec des petits-bourgeois pris de rage

D’après les chiffres officiels, il y a eu ce samedi 15 décembre deux fois plus de forces de l’ordre mobilisées que de gilets jaunes, respectivement 69 000 contre 33 500. L’« Acte 5 » du mouvement est assurément celui de son effondrement, la fin d’une agitation de petits-bourgeois pris de rage.

À part de la casse, des arrestations et un horizon borné à la contestation de l’impôt, le mouvement des gilets jaunes n’aura pas apporté grand-chose dans le paysage social-culturel de la France du XXIe siècle. Il s’effondre maintenant aussi vite qu’il est apparu, avec toutefois un grand nombres d’irréductibles continuant à vouloir forcer les choses ici et là, en s’imaginant faire la révolution alors qu’ils n’obtiendront plus rien.

Cela montre la dimension velléitaire des gilets jaunes, et on doit ici vraiment citer Lénine qui a donné une définition précise de la nature du petit-bourgeois pris de rage :

« On ne sait pas encore suffisamment à l’étranger que le bolchevisme a grandi, s’est constitué et s’est aguerri au cours d’une lutte de longues années contre l’esprit révolutionnaire petit-bourgeois qui frise l’anarchisme ou lui fait quelque emprunt et qui, pour tout ce qui est essentiel, déroge aux conditions et aux nécessités d’une lutte de classe prolétarienne conséquente.

Il est un fait théoriquement bien établi pour les marxistes, et entièrement confirmé par l’expérience de toutes les révolutions et de tous les mouvements révolutionnaires d’Europe, – c’est que le petit propriétaire, le petit patron (type social très largement représenté, formant une masse importante dans bien des pays d’Europe) qui, en régime capitaliste, subit une oppression continuelle et, très souvent, une aggravation terriblement forte et rapide de ses conditions d’existence et la ruine, passe facilement à un révolutionnarisme extrême, mais est incapable de faire preuve de fermeté, d’esprit d’organisation, de discipline et de constance.

Le petit bourgeois, « pris de rage » devant les horreurs du capitalisme, est un phénomène social propre, comme l’anarchisme, à tous les pays capitalistes. L’instabilité de ce révolutionnarisme, sa stérilité, la propriété qu’il a de se changer rapidement en soumission, en apathie, en vaine fantaisie, et même en engouement « enragé » pour telle ou telle tendance bourgeoise « à la mode », tout cela est de notoriété publique. Mais la reconnaissance théorique, abstraite de ces vérités ne préserve aucunement les partis révolutionnaires des vieilles erreurs qui reparaissent toujours à l’improviste sous une forme un peu nouvelle, sous un aspect ou dans un décor qu’on ne leur connaissait pas encore, dans une ambiance singulière, plus ou moins originale. »

Dans, La Maladie infantile du communisme (le « gauchisme »)

Ces propos sont des plus actuels, ils illustrent parfaitement la petite parodie d’insurrection populaire ayant eu lieu hier midi place de l’Opéra à Paris avec la prise de parole de quelques « leaders » dont le délirant « fly riders » ou Priscillia Ludosky, à l’origine d’une pétition à succès.

Il faut au contraire, pour changer les choses, une conscience claire de ce qu’est le capitalisme et de comment la bourgeoisie en tire profit, en tant que classe exploiteuse. Il faut un style rigoureux, assumant l’idéologie, la politique, la raison et le bouleversement à grande échelle des habitudes pour changer la vie, mettre à bas ce qui nuit.

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Réflexions

Comment comprendre le capitalisme ?

Le capitalisme est vécu au quotidien, cependant il n’est pas aisé d’en définir les contours. Voici une petite aide pour bien poser les questions, avant d’entrevoir les réponses.

Das Kapital von Marx

Le capitalisme est un phénomène complexe, avec beaucoup d’aspects. On en parle beaucoup en France, car nous avons la chance de posséder un patrimoine de lutte et de conscience très élevé. Des pays comme la Suisse, la Suède ou l’Autriche ne connaissent nullement ce thème ; là-bas tout y est paralysé. Et c’est pire bien sûr dans des pays comme l’Angleterre où, outre le fait de ne pas en parler, on trouve cela très bien.

Il est évident pour autant qu’en France, on parle souvent sans connaître ou étudier à fond ; le point de vue suffit. Le Capital n’est pas lu, malgré son intérêt immédiat et en conséquence l’esprit de contestation se transforme en anticapitalisme velléitaire, stérile et prétentieux. Remettre cela en cause est un dur travail que la Gauche a à faire, pour en terminer avec le syndicalisme et l’anarchisme.

Le premier point pour comprendre le capitalisme est d’ailleurs de voir ce que ni le syndicalisme ni l’anarchisme ne voient. A leurs yeux, en effet, le capitalisme c’est la production de marchandises dans une entreprise, dans le but de les vendre à des consommateurs. La chose s’arrête là. Or, ce n’est pas du tout comme cela que ça marche. Le capitalisme ce n’est pas que de la fabrication de biens de consommation, c’est aussi la fabrication de matériel pour la fabrication.

C’est par exemple ce qui torpille les pays du tiers-monde, qui n’ont pas d’entreprises fabriquant ces moyens de fabriquer. Ils sont obligés d’importer les moteurs, les instruments, les machines, les tubes, les tuyaux, les pièces de rechange, etc. Difficile, comme on le voit, de rendre son pays indépendant si on dépend des autres pour le matériel permettant de produire quelque chose.

Les syndicalistes et les anarchistes se cassent toujours les dents sur le capitalisme, parce qu’ils ratent cette fabrication pour la fabrication. Soit ils passent dans l’utopie d’une fédération d’entreprises autogérées incapable de prévoir celle-ci, soit ils se soumettent au capitalisme en disant que seul celui-ci peut la permettre. Historiquement, sur le plan des idées, c’est un élément central.

Une fois qu’on a fait cette distinction et qu’on voit que le capitalisme est une production directe de marchandises pour le consommateur et une production indirecte dans la mesure où il y a de la production pour d’autres entreprises, on peut passer à la question du profit. On ne peut pas comprendre le capitalisme si l’on ne voit pas que le capitaliste vise le profit à court terme, encore plus de profit à moyen terme, et davantage encore à long terme.

Il ne s’agit pas que de vouloir du profit, mais toujours plus. C’est là un second aspect essentiel du capitalisme. Si on le rate, on s’imagine qu’on a juste affaire à des cycles tous indépendants les uns des autres. Sauf que ce n’est pas du tout le cas et c’est bien pour cela que des usines bénéficiaires sont fermées : elles ne font pas assez de profit selon leurs propriétaires. Toujours plus, telle est la devise.

Le dernier aspect est la question de la source de ce profit. Karl Marx a expliqué en long et en large, dans son ouvrage classique sur le « Capital », que le vrai profit est arraché aux ouvriers, que leur salaire ne recouvre qu’une partie de leur travail. Le capitaliste tire de l’ouvrier la richesse, en le payant bien moins que ce qu’il apporte comme énergie. Cela ne se voit pas, car en théorie il gagne de l’argent en vendant ses marchandises, mais en réalité c’est dans la production que cela se passe.

C’est là le vrai principe de l’exploitation et c’est là où l’on voit qu’une large partie de la Gauche a perdu tout sens des réalités. En disant qu’un ouvrier d’un atelier au Bangladesh est exploité, les gens qui se trompent à ce niveau veulent dire par là que, quand même, on le paye vraiment rien pour ce qu’il fait, sous-entendu ce n’est pas comme cela chez nous. Alors qu’en réalité, au sens « scientifique » du terme, l’ouvrier français d’une usine ultra-moderne est bien plus exploité, car on lui arrache bien plus d’énergie et de travail.

En arrière-plan, ce qui se pose c’est la question de savoir si la critique du capitalisme doit être simplement morale ou romantique, ou si elle doit s’appuyer sur une lecture qu’on peut qualifier de classique du mouvement ouvrier. Et donc si, au bout du compte, on lutte pour un repartage du gâteau capitaliste, ou bien pour la négation du capitalisme et l’établissement d’une société socialiste.

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Société

Rétablir le Droit en le rendant universel

Tout régime prétend que le droit qu’il met en place est à la fois neutre et consacré à l’égalité de tous. En réalité, il s’agit là d’un droit relatif, bien éloigné du Droit comme système de référence universelle que seule la Gauche peut porter.

Le droit est quelque chose de compliqué : quand on lit le code pénal ou bien des propositions de loi, le langage est tourné de manière tellement bizarre que l’on y comprend rien. Pourtant, le droit ce n’est pas les juges, les avocats, les experts ; le droit c’est la civilisation et donc l’humanité elle-même.

Une vrai droit serait un Droit porté par chaque personne en tant que telle, et c’est d’ailleurs là l’idéal des Lumières. Emmanuel Kant est sans doute celui qui a écrit les lignes les plus intéressantes à ce sujet, avec son fameux « impératif catégorique ». Il faut que chaque individu ait assez de maturité pour se comporter de manière naturelle en citoyen, refusant ce qui ne devrait pas être fait, faisant ce qui doit être fait.

C’est là une exigence universelle propre à qui croit que le droit doit exister en amont, comme intégrité morale, et non pas en aval, comme punition d’un comportement dérangeant la société. Or, le droit aujourd’hui n’est vraiment plus que cela. Il est une sorte de rattrapage de ce qui provoque trop de troubles, sans rien de plus.

La société française ne vise plus à éduquer, à former les esprits. Libérale, elle se contente de stopper ce qui est trop perturbant pour l’ordre dominant, avec un dédain pour le droit comme principe de formation morale. Elle a abandonné le principe selon lequel « nul ne doit ignorer la loi » dans le sens d’une explication en amont à tout le monde de ce qui est légal ou pas ; elle est juste répression.

Une répression mal gérée, où l’on peut être un récidiviste sans permis et drogué écrasant une adolescente en récoltant juste quelques mois de prison, avec des prisons par ailleurs totalement surpeuplé, aux conditions innommables. Rien que cela reflète bien que la société française pétrie par le capitalisme n’a aucune idée de ce qu’elle doit faire du droit.

Gageons ici qu’elle avancera immanquablement vers la solution américaine, avec la privatisation du système des prisons. Personne n’en a parlé jusqu’à présent, mais on peut être certain que cela va arriver sur la table. C’est dans la logique propre au libéralisme, c’est aux entreprises de gérer ce qui relève des choix individuels, et le crime est un choix individuel selon lui.

La Gauche doit par conséquent réaffirmer le droit, non pas simplement en disant qu’il est mal géré par la droite, ou bien qu’il faut construire des écoles pour ne pas avoir à construire des prisons, comme l’avait formulé le chrétien-démocrate Victor Hugo. La Gauche doit poser l’universalisme du droit, réfutant son tronçonnage d’un droit à la carte (droit des entreprises, droit du travail, droit de ceci, droit de cela), qui divise la société.

Elle doit aussi briser l’inégalité du droit, c’est-à-dire le fait que selon qu’on soit puissant ou non, on n’ait pas le même résultat. Elle doit casser le langage obscur du droit, qui ne sert que les experts au même service des classes dominantes pour empêcher qu’on le saisisse.

Elle doit, surtout, réaffirmer la croyance en l’Homme, rétablir l’exigence des Lumières mais avec le matérialisme propre à la classe ouvrière. Cela signifie qu’elle doit exiger de chaque personne une haute mentalité citoyenne, et bien souligner que cette haute mentalité est la caractéristique d’une société socialiste.

Qu’est-ce que le communisme d’ailleurs selon Marx si ce n’est une société où il n’y a plus d’État ? Tout simplement une société où le droit est partout, assumé partout, dans un sens universel, ce qui fait qu’il n’est plus besoin de policiers ni de militaires pour s’opposer au crime, car il n’y a plus de crime, plus de crime possible.

Le capitalisme prétend bien entendu que c’est impossible, que c’est là une utopie, que l’Homme est mauvais par nature, que chacun ne cherche qu’à défendre ses intérêts particuliers. C’est là un point de vue de classe, qui reflète la compétition capitaliste. C’est une idéologie qui vise à empêcher l’affirmation de l’universel et de l’universalisme.

La Gauche donc avoir conscience de cela et comprendre la dimension essentielle du droit, qui doit devenir le Droit. C’est là un élément essentiel de toute affirmation d’un programme de société démocratique, fondé sur le peuple. Démolir la domination des experts et faire en sorte que le peuple saisisse le droit, c’est la base d’une ligne de Gauche.

Le capitalisme ne craint rien de plus que la justice populaire. Il ne veut surtout pas que le peuple se fasse juge. C’est pourquoi il présente le peuple comme infantile, brutal, opposé au droit. A la Gauche d’affirmer au contraire que le peuple c’est le Droit et le Droit le peuple, et que la classe ouvrière est la clef pour y parvenir.

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Société

L’attentat meurtrier au marché de Noël de Strasbourg : un reflet de la tendance à la barbarie.

Mardi soir vers 20h, Chérif Chekkat, un homme d’une trentaine d’année, fiché S pour radicalisation islamiste a ouvert le feu sur des passants, touristes ou habitants de la ville fréquentant alors le centre-ville, faisant plus d’une dizaine de victimes dont 3 mortellement touchées.

Strasbourg

Ce criminel multirécidiviste, condamné à 27 reprises et par ailleurs « partisan » islamiste probablement isolé ou membre d’un réseau peu structuré, était en voie d’arrestation le matin même. Sans doute a-t-il précipité un geste qu’il n’avait pas clairement prémédité, mais qui était présent dans son esprit. On a là en tout état de cause et encore une fois, la figure même du nihiliste paumé, d’un « pèlerin du néant » dont l’existence a sombré peu à peu dans criminalité, dans l’engagement décadent et assassin, dans la barbarie.

Ce n’est pas la première fois que la ville de Strasbourg est ciblée par des militants islamistes, en particulier à l’approche des fêtes de Noël, en raison des festivités qu’organise la ville à cette occasion, se revendiquant comme « Capitale de Noël ». La ville, tout comme pratiquement l’ensemble des villes moyennes et des villages alsaciens, se pare lors du mois de décembre de décorations lumineuses intenses, de sapins et d’arbres décorés. De nombreuses manifestations culturelles, gastronomiques ou commerciales, sont organisées, dans un esprit de fête, de partage et de convivialité qui manifeste l’attachement des masses à cette fête et aux valeurs collectives et naturelles qui s’y expriment.

C’est précisément ce symbole qui a été frappé mardi, et qui est régulièrement visé, dans sa dimension chrétienne bien entendu, par les islamistes partisans du Jihad. L’effondrement de l’État islamiste et la répression qui a frappé les cellules islamistes dans notre pays (quelles soient liés à l’EI ou à Al-Quaeda) depuis les attentats de 2015 notamment, a certes réduit les possibilités d’organisation d’un attentat coordonné de grande envergure. Mais la vivacité de la propagande et des réseaux militants islamistes, jihadistes ou non, maintient toujours la possibilité d’une attaque meurtrière plus ou moins spontanée du type de celle qui a frappé aveuglément la foule à Nice le 14 juillet 2016 ou Strasbourg ce mardi 11 décembre 2018.

Plus profondément, c’est le cadre même de la vie en métropole qui est illustrée par ce déchaînement de violence meurtrière. Chérif Chekkat, le militant islamiste dont il est question ici, était aussi, comme souvent, un criminel passé par les trafics en tout genre et les attaques à mains armées. C’est-à-dire que l’on a ici une personne dont la vie sociale a été bornée par la culture semi-féodale dans laquelle il a grandi, encore détériorée par la vie dans les cités de type HLM strasbourgeoises (où les réseaux criminels sont particulièrement organisés) par la consommation de drogues, de pornographie, par les soirées désespérément creuses,  en galère, en boîte ou autour d’une console. Une existence cernée par la précarité, l’argent « facile » des trafics, la petite débrouille et les embrouilles. En bref, cette vie vide, sinistre et immonde qui est celle d’une partie de la jeunesse des métropoles de notre pays.

C’est cette vie décadente qui ouvre un espace à toutes les aliénations réactionnaires, à la propagande des sectes évangélistes, américaines ou africaines, à celle des islamistes que ce soit des conservateurs communautaires téléguidés par les services d’États marocain, turc ou algérien ou des salafistes en rupture plus ou moins influencés par la propagande jihadiste.

La fête même de Noël telle qu’organisée à Strasbourg est parallèlement une autre forme de l’expression de cette décadence. La logique marchande, appuyée par une fréquentation dépassant les 4 millions de visiteurs pour l’ensemble de la région à cette occasion, soit le double de sa population habituelle, rend tout rapport à Strasbourg littéralement insupportable. Nombreux sont les habitants de la ville préférant quitter celle-ci pour chercher une ambiance moins artificielle moins oppressante, dans des villes plus petites alentours.

Dans ce cadre, les menaces pesant sur la sécurité des personnes s’aggravent chaque  année à l’approche des fêtes de Noël mais sont constantes à Strasbourg. Les agressions, visant notamment les femmes, y sont courantes, en particulier au centre-ville. Le trafic de drogue tout comme la prostitution, sont des choses qui s’affichent ouvertement, y compris en pleine journée. Tout le déploiement des forces de sécurité verrouillant partiellement le centre-ville pendant quelques semaines n’y change rien. C’est le cadre de vie même de la métropole qui produit cela.

De plus, en Alsace, l’embrigadement sectaire de la jeunesse est particulièrement vivace. Appuyé par les réseaux solides des religions concordataires, catholiques, luthériens, calvinistes et israélites, c’est ici un phénomène généralisé. Ces organisations religieuses, avec l’appui des autorités publiques, en particulier de la municipalité de Strasbourg, appuient en outre les organisations islamistes, notamment marocaines (qui tiennent la Grande Mosquée de Strasbourg) et turques (particulièrement offensives sur le plan culturel).

Il y a ici cette conviction toute bourgeoise et illusoire de la possibilité de former des cadres religieux libéraux, en mesure d’apporter « quelque chose » à la société. Mais ces cadres ralliés à l’ordre bourgeois sont eux-mêmes de toute façon contestés par les militants des sectes fondamentalistes qui s’appuient sur les secteurs des masses exclues, auxquelles elles prétendent apporter une densité, un contenu, à leur révolte, sinon à leur volonté de rupture, au moins à leur sentiment de vide insignifiant.

Face à ce terreau métropolitain suintant la décadence et l’aliénation, les institutions bourgeoises sont donc totalement dépassées, elles sentent en fait le sol se dérober sous leurs pieds devant toutes les contradictions qui s’accumulent. Ne saisissant le problème que par un de ses aspects : la politique urbaine, la question des religions, en particulier de l’islam, de la criminalité et de la sécurité publique. Mais confrontées à la logique systémique et à la tendance au renforcement de ces contradictions, elles ne peuvent en réalité rien. Elles sont dépassées. Pire même, elles alimentent le problème en cherchant des solutions partielles qui en restent au niveau de l’accommodement, de la gestion du cadre.

C’est cette incapacité qui ouvre un espace à la réaction. L’extrême-droite nationaliste va ici encore avoir le champ libre pour avancer ses positions, pousser à la fuite en avant sécuritaire sur une base raciste, en prétendant romantiquement que le cadre est bon, mais corrompu par des éléments allogènes qu’il faudrait supprimer ou mater pour « restaurer » l’équilibre, revenir « au bon vieux temps » de la ville « pré-métropolitaine », moderne mais apaisée.

C’est là que la Gauche se doit d’être impeccable pour formuler correctement le problème, saisir toute l’ampleur de la tâche face à la vie décadente des métropoles, produisant précarité, insécurité, violences et donc des « pèlerins du néant » comme cet énième assassin criminel et islamiste. C’est le cadre même de la vie capitaliste, de la vie des métropoles ici, qu’il faut saisir et briser. Il ne suffira pas de faire face à la violence islamiste ou criminelle, il ne suffira pas de faire face à la montée des réactionnaires nationalistes racistes. Il faut briser la ligne qui nous conduit à l’effondrement dans la barbarie en changeant notre cadre de vie, en affirmant l’aspiration des masses à la vie tranquille, à la vie paisible en sécurité, avec une perspective de progrès collectif, avec un esprit scientifique et rationnel produisant toujours plus de conscience.

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Réflexions

Johnny Halliday, le gilet jaune, l’écran plat, McDonald’s

Malgré une élévation relative de leur niveau de vie, les couches populaires restent expressément bloqués dans un nombre de références particulièrement restreint. Elles sont très corrompues par le mode de vie fourni par le capitalisme.

Gilets jaunes

Il y a dans le peuple des gens qui savent tout en un certain domaine, en particulier dans les choses concrètes, depuis les circuits électriques d’un flipper jusqu’aux opéras. Pourtant, pris dans l’ensemble, le système de références des gens est vraiment très restreint. Si les couches supérieures disposent d’une capacité à s’appuyer sur de nombreuses conceptions, de nombreux concepts, de nombreux faits, etc., on a toujours l’impression que les couches populaires partent de zéro et font avec les moyens du bord.

Ces moyens du bord se retrouvent dans l’environnement immédiat. Le mouvement des gilets jaunes a par exemple comme symbole le chasuble obligatoire depuis quelques temps dans chaque voiture, en cas de panne. Une autre référence des gilets jaunes a été le drapeau tricolore, le drapeau national. Là aussi, on ne va pas chercher bien loin.

Et c’est typique : pris personnellement, chacun a énormément de choses à dire, une vraie complexité. Pris individuellement, c’est la catastrophe et le nivellement vers le bas, ce qui est visible d’une manière bien nette lors d’un mouvement social, d’une manifestation syndicale, etc. C’est comme si les gens étaient cassés en deux et perdaient toute complexité. Pire, comme s’ils n’en voulaient plus.

Quiconque perd de vue cette capacité à refuser la complexité se retrouve dans la situation de ne pas être en mesure de comprendre ce qu’est le fascisme. Le fascisme, c’est l’abaissement au degré zéro des « complications » d’ordre philosophique, politique, théorique. C’est la simplicité grossière, une sobriété intellectuelle réduite à la stupidité béante.

On a dit ici et là que les gilets jaunes ont un horizon borné parce qu’après tout c’est normal, ils débutent en politique, ils ne connaissent rien. Ce n’est pas vrai. Le peuple connaît plein de choses. S’il voulait, il pourrait. Or, il ne veut pas. Il privilégie le simple, il refuse le complexe.

Il choisit d’avoir comme horizon l’écran plat des télévisions. Il sait très bien – il y a l’école, l’histoire en elle-même, et même internet – qu’il y a des possibilités de révolte, de révolution, du critique du capitalisme. Mais il reste étranger à cela.

Ce n’est pas qu’il n’en a pas conscience, c’est qu’il ne veut pas avoir l’éventualité de cette conscience. Il choisit d’accepter la corruption par le capitalisme. De manière relative, mais c’est un choix quand même. Il sait que McDonald’s, c’est « mal ». Car mauvais pour la santé, les salaires des employés, les animaux, l’écologie. Mais il relativise. Il ne veut pas savoir.

Toute cette attitude provient des succès du capitalisme avec les « trente glorieuses » et ce qu’il en est resté par la suite. A quoi s’est ajouté la chute du bloc de l’est, l’irruption de la Chine comme usine du monde, cela a aidé le capitalisme.

Aujourd’hui cela se termine. Cependant cela fait quand même cinquante années que cette attitude dure grosso modo, et forcément cela laisse des traces. Pas seulement dans la faiblesse des conceptions, mais également dans la fainéantise. D’où l’acception de cet horizon restreint, qu’il faudrait même défendre ! Johnny Halliday, le gilet jaune, l’écran plat, le McDo…

Croire que parce que les gilets jaunes forment un mouvement social, il y aura spontanément du contenu qui va tomber du ciel, un accroissement formidable du niveau culturel, c’est ne pas comprendre que les gens vont devoir choisir de rompre avec la corruption historique qui les a marqués.

Et ce n’est pas gagné. Beaucoup préféreront renforcer la France, aller à la confrontation avec d’autres pays, piller le tiers-monde. Pour ne pas toucher à rien, pour ne rien remettre en cause…

Cet aspect là est peut-être l’un des plus complexes en France dans l’affrontement avec le capitalisme !

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Politique

Un discours d’Emmanuel Macron qui converge avec la montée du refus de la démocratie

Emmanuel Macron n’a pas compris le sens des gilets jaunes et propose des mesures sociales, accompagnées de propositions pour renouveler la gestion de l’État. C’est une démolition par en haut des principes démocratiques, les gilets jaunes agissant par en bas pour les détruire également. Cela forme un boulevard pour la démagogie fasciste.

 

Le discours « à la nation » d’Emmanuel Macron en réponse au mouvement des gilets jaunes a été d’une faiblesse ahurissante. On a immédiatement vu le fossé qui sépare quelqu’un comme lui, ou Nicolas Sarkozy, François Hollande, des véritables ténors politiques du passé comme François Mitterrand, Georges Pompidou ou Valéry Giscard d’Estaing.

Ses mesures sont de véritables recettes de cuisine sociale, consistant en des annonces censées étouffer les motivations sociales (annulation de la CSG pour les retraités gagnant moins de 2000 euros par mois, suppression des impôts et charges pour les heures supplémentaires dès 2019, augmentation du Smic de 100 euros par mois en 2019).

Il passe complètement à côté de la nature de la révolte des gilets jaunes, dont le noyau dur consiste en une petite-bourgeoisie prise de rage par les déséquilibres du capitalisme. Ce qu’elle veut ne peut pas être défini, conceptualisé, et donc a fortiori on ne peut y répondre autrement que par l’apparence de modifications du régime lui-même, au minimum.

Tout va donc encore plus rapidement qu’on ne pouvait le craindre. Emmanuel Macron a asphyxié Marine Le Pen lors de l’élection Présidentielle, ce qui était autant de temps de gagné, mais là on se retrouve déjà dans la période d’après, où son positionnement libéral se confronte à une immense secousse populiste.

Il est évident que c’est là non seulement le résultat d’une question française, mais aussi le produit de toute une situation internationale marquée par le Brexit, la victoire de Donald Trump et de Jair Bolsonaro, l’arrivée de l’extrême-droite au gouvernement en Autriche et en Italie, la montée de l’AFD en Allemagne, la poussée expansionniste de la Russie et son soutien aux courants ultra-nationalistes en Europe occidentale.

La machine capitaliste s’emballe et la Gauche est inexistante pour mobiliser et encadrer. Pire encore, la révolte se développe désormais de manière populiste, de manière soi-disant apolitique, donc nécessairement portée par des populistes, des cadres d’extrême-droite, des gens qui récusent le débat intellectuel et les questions démocratiques et ne raisonnent qu’en termes de référendum, de corporatisme « par en bas ».

C’est l’effondrement de la démocratie « à l’ancienne » et il y a désormais convergence avec ce qu’Emmanuel Macron représente justement : une « modernisation » servant de tremplin à la liquidation de la démocratie « à l’ancienne ».

Dans son discours, Emmanuel Macron a d’ailleurs souligné l’importance que des gens sans-partis soient présents dans les débats, que l’État cesse sa gestion « trop centralisée » car « depuis Paris », etc. C’est une contribution directe à la tendance à la négation de la démocratie comme principe général.

Il ne s’agit pas de dire qu’auparavant on était en démocratie, mais qu’il y avait au moins l’apparence de l’exigence de celle-ci. Là on est dans sa liquidation, par en bas et par en haut. Les couches supérieures de la société sont dans une gestion technocratique et avec les gilets jaune on a le vecteur direct des exigences du fascisme comme mouvement romantique en bas.

Comment dans un tel contexte la Gauche peut-elle exiger la raison, la réflexion, des principes, une discipline de parti autour d’un programme ? Il va de soi que cela va demander un vrai travail de fond, de la part des gens conscients que le mouvement ouvrier est social et démocrate, que le socialisme qu’on doit exiger s’appuie sur une forme d’organisation rationnelle, réfléchie, avec des principes bien déterminés.

Quiconque fantasme sur les gilets jaunes doit bien voir qu’en quatre semaines, il n’est jamais allé dans le sens des grèves, des assemblée générales, de la formation de conseils populaires. C’est pourtant le critère de base pour juger la nature démocratique, au sens révolutionnaire, d’un mouvement.

Il faut bien être conscient qu’en n’étant pas capable de canaliser les gilets jaunes comme révolte des « classes moyennes », Emmanuel Macron et le régime laissent le champ libre au fascisme comme mouvement romantique par en bas.