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 » Usul, mon violeur avait le même discours que toi »

Usul est un homme se disant de gauche qui doit sa popularité à ses activités sur internet. Après avoir été chroniqueur de jeux vidéos sur youtube, il a décidé de se lancer dans l’analyse politique, tout en se présentant comme marxiste.

En février 2018, avec sa compagne Olly Plum (« hardeuse » et « camgirl »), il diffuse une vidéo de leurs ébats sexuels, en accord avec sa partenaire. Usul se dit féministe et dans plusieurs de ses vidéos parle du consentement avec l’intervention de Olly Plum.

C’est sur ces points qu’un collectif de cinq femmes : Barbara, Hélène, Léa, Marie et Lucia, qui se décrivent comme « survivantes de la prostitution, du porno et du BDSM (le sado-masochisme) et victimes du discours  »sexe-positif » », interpellent Usul.

Sur leur blog de médiapart « Elles aiment ça », ces féministes de gauches », comme elles se qualifient, accusent Usul de relever d’une démarche inacceptable.

Elles tirent des conclusions en partant de leurs expériences et en viennent à faire une critique du féminisme néo-libéral. Elles considèrent qu’Usul s’appuie sur le féminisme néo-libéral pour justifier son comportement tout à fait représentatif de ceux qui attaquent les femmes en prétendant établir une « libération sexuelle ».

C’est là que réside la polémique entre elles et Usul. Voici le document, qui réaffirme enfin certaines choses élémentaires.

En participant récemment à une vidéo porno tournée par sa compagne camgirl OllyPlum, le youtubeur Usul s’est prononcé en faveur de l’industrie du sexe. L’idée est de nous présenter la “libération sexuelle” comme vecteur d’émancipation des femmes. Le sentiment de trahison est intense pour nous, féministes de gauche, survivantes de la prostitution, du porno et du BDSM.

Une “libération sexuelle”, vraiment ?

Depuis quelques dizaines d’années, l’expression “libération sexuelle” est liée à l’affranchissement du tabou : c’est l’idée qu’une personne pourrait avoir n’importe quelles pratiques sexuelles, notamment sans éprouver d’amour pour son/sa partenaire, l’idée qu’on peut dissocier la sexualité des sentiments et qu’elle n’est pas sacrée, et qu’il n’y a pas à avoir de jugements moraux sur les pratiques sexuelles.

Ces idées sont séduisantes pour les femmes : elles nous évoquent l’espoir de ne plus être traitées de salopes si on aime tel ou tel truc, de ne plus être cantonnées à la sentimentalité et enfermées dans le mythe amoureux, d’être suffisamment à l’aise avec la sexualité pour qu’elle devienne une activité comme une autre, à laquelle ne serait plus rattaché de préjugé social.

Pourtant, dans notre expérience, la réalité que cache la “libération sexuelle” est toute autre :
Là où en tant que femme nous voyions une dissociation libératrice du sexe et des sentiments, nous avons fait face à des hommes qui dissocient sexe et respect de l’Autre.

Là où nous espérions enlever le stigma de la sexualité comme un service, nous avons eu affaire à des hommes qui voyaient l’argent comme une manière de compenser la violence et la dégradation.

Là où nous espérions que l’absence de jugement moral nous protégerait du slut-shaming, il nous a surtout empêché d’avoir un jugement moral sur la violence criminelle qui nous a été infligée.

Si tu veux bien, nous allons te parler un peu de nous

Nous sommes 5 femmes qui avons été victimes des discours du féminisme néolibéral. Quand nous avions 25 ans, chacune d’entre nous tenait publiquement les propos “sexe-positifs” qu’OllyPlum et toi tenez à l’heure actuelle.

On se sent tellement cool à 25 ans à avoir lu Despentes, à lire les discours du STRASS, et à se dire qu’on réussira, nous, à sortir du piège de la sainte et de la pute, qu’on a le droit au plaisir, qu’on est assez forte pour surpasser tout ça.

Aujourd’hui, nous avons la trentaine. Nous souffrons de syndromes post-traumatiques après avoir été violentées, dégradées, frappées, et violées par des mecs de gauche qui défendent ces théories. Et nous prenons soin de femmes qui ont été frappées et violées, sans arriver à se défendre, à cause de ces théories.

Pour nous toutes, les discours que tu défends à l’heure actuelle ont été un piège tendu par les prédateurs, et le bouclier qui leur sert à se défendre.

Pour Marie, Hélène et Léa, le discours sexe-positive a été la tentative inconsciente de “transformer” la violence et le viol conjugaux, en se disant “puisque ce qui excite les hommes c’est la violence et la domination, autant le faire dans un cadre où j’aurais du contrôle dessus” :

“Je m’appelle Léa et j’ai bientôt 25 ans, et jusqu’à il y a quelques mois, je tenais le même discours qu’OllyPlum. Je me suis toujours considérée féministe.

Pourtant, de mes 16 à mes 23 ans, je vivais des actes de violence sexuelle de la part de mon conjoint. J’ai subi des coups, des pressions, des chantages, des pratiques très extrêmes. Il est allé jusqu’à m’“offrir” à ses amis. Le tout sous prétexte de liberté sexuelle.

Pour encaisser tout ça, je me suis réfugiée derrière le discours “ sexe-positif ”, en me disant que j’étais libre parce que j’expérimentais beaucoup de choses sexuellement. Je disais publiquement que j’aimais ça.
A certains moments où nous avions des difficultés financières, j’avais pensé à devenir call girl, ou à faire de la cam. Il avait dit que ça l’exciterait.

Aujourd’hui j’ai pris conscience de ce que j’ai vécu et je me rends compte tous les jours de l’impact néfaste que cela a dans ma vie amoureuse et sexuelle. Je pleure beaucoup, je culpabilise beaucoup, et ma vie sexuelle est une réflexion permanente pour essayer de ne pas reproduire ce schéma de violence auquel j’ai été conditionnée.”

“Je m’appelle Marie et j’ai 28 ans. A 21 ans, alors que je sortais d’une relation violente, marquée par le viol conjugal, je suis tombée amoureuse d’un homme “féministe”. Pourtant, au quotidien, il me rabaissait intellectuellement. Au lit, il m’insultait et me dévalorisait en permanence. Il fait des conférences sur le consentement : il présente le BDSM comme une sexualité libérée et épanouie.

Comme beaucoup, je pensais que j’étais un être totalement libre, et voulais me croire entièrement responsable de mes désirs et de mes choix : j’ai adopté le discours “ sexe-positif ” en clamant que je me soumettais par choix.

Marquée par ces deux relations violentes, aujourd’hui, je peine à avoir des rapports sexuels. J’éprouve du dégoût et de l’angoisse, je pleure presqu’à chaque fois.”

Pour Lucia et Barbara, le discours “sexe-positif” traduisait la volonté d’être “plus fortes” que les blessures laissées par l’inceste et les viols, et la volonté de se sortir de la précarité:

“ Je m’appelle Barbara et j’ai 36 ans. Quand j’avais 24 ans et que je n’arrivais pas à payer mes factures, j’ai décidé de me prostituer. Je clamais que c’était mon choix. Que j’en avais le droit. Je savais que ce n’allait pas me faire plaisir mais je me disais que mieux valait être payée pour être violée vu que de toute façon j’étais sans cesse violentée en soirées alcoolisées… A cette époque je ne compte même plus le nombre de viols subis…

Bref, après deux clients, je me dégoûtais tellement que j’ai vomi deux jours sans arrêter. Non ça n’est pas un job comme un autre. Est-ce que j’aurais pensé à faire ce ”métier » si depuis enfant je ne servais pas de trou à bite ? J’en doute.

Evidemment, quand depuis vos six ans vous vivez l’inceste, vous avez intégré que votre corps appartient aux hommes et pas à vous. J’ai fini en grave dépression avec tentative de suicide. Et j’ai arrêté de faire ça. Je préfère être pauvre que finir le travail de destruction entamé par mes agresseurs.”

Était-ce une libération sexuelle lorsque Hélène s’est prit des coups de poings dans le ventre et que Marie s’est fait traiter de chienne par leurs conjoints sous prétexte de BDSM ? Que Léa a été “prêtée” à des hommes et qu’elle s’est fait uriner dessus sous prétexte de jeux ?

Qu’ Hélène s’est entendu dire par un client cynique – riche PDG parisien qui payait tout son “personnel domestique” pour qu’elles travaillent nues et subissent des actes sexuels quand il lui en prenait l’envie – “tu ne peux pas te plaindre des tarifs ! En tant que blanche, je te paye déjà bien mieux que les asiatiques, les noires et les filles de l’est… que veux-tu, c’est la loi de l’offre et de la demande !” ?

Certaines d’entre nous ont mis plus ou moins de temps à sortir de la maltraitance. Toutes, nous avons acquis lors de violences sexuelles cette capacité – dont parlent Catherine Millet1, et OllyPlum2 – à dissocier nos corps et nos esprits. Un état bien particulier, nécessaire à monnayer le sexe. Sais-tu que cet état porte un nom ?Ça s’appelle la dissociation traumatique.

C’est une “capacité” que l’on acquiert lorsqu’on est victime de violences.Nous t’encourageons à lire les travaux de la docteure Muriel Salmona3 : elle explique très bien comment les femmes qui ont été victimes de violence cherchent à reproduire cette état de dissociation, par le biais de conduites à risque, notamment la prise de drogue, l’automutilation et … la reproduction d’actes sexuels dégradants ou violents (rémunérés ou pas).Le problème avec cette dissociation, c’est que si elle permet de se protéger (et même parfois de donner l’impression de “bien vivre” les choses4) sur le moment, elle a en général des conséquences extrêmement graves sur le corps et l’esprit des femmes, par le biais de symptômes traumatiques.

Plusieurs d’entre nous en souffrons, et nous pouvons t’assurer que ce n’est pas une partie de rigolade : insomnies, cauchemars, flash-backs, somatisations de toutes sortes (vertiges, migraines, maux de ventre ou de dos), sentiments de déréalisation et/ou de mort imminente, psychopathophobie5, pulsions d’autodestruction, hypervigilance, palpitations, crises d’angoisse, attaques de panique, épisodes dépressifs, etc.

Tu vas dire que nous ne sommes que 5 individues à te parler aujourd’hui. Mais sais-tu que 70% 6 des travailleuses du sexe souffrent de syndrome de stress post-traumatique ?


Un “féminisme néolibéral”, au service des prédateurs

Voilà nos réalités, bien sagement cachées derrière le discours du féminisme néolibéral dont tu te fais porte-parole. Cela paraît bien loin des licornes et des paillettes, du discours glamour et libertaire ? C’est vrai qu’il y a de quoi être déçu quand on voit à quel point le féminisme néolibéral est un pro du marketing.

Pour commencer il se fait appeler “pro-sexe”, ou “sexe-positif”. Comme s’il existait un féminisme anti-sexe ou sexe-négatif !

De la même manière que les entreprises font le rebranding du travail (pensons à Emmanuel Macron qui vend la casse des droits sociaux sous le terme de “flexibilité du travail”!), le féminisme néolibéral est devenu expert du rebranding de la soumission et de la maltraitance des femmes :
Un prédateur veut attacher une femme ? Bondage et shibari !
L’insulter et l’humilier ? Jeu de domination !
La battre ? BDSM
La forcer ou la violer ? Jeu de non consentement !
La dissociation traumatique est rebrandée en “subspace”, et tout roule pour les violeurs.

Comme son nom l’indique, le discours sexe-positif tend à rendre positive toute pratique sexuelle, à la rendre valable et acceptable, quel qu’en soit le degré de violence ou de perversion. Pour la justifier, ça ne coûte pas grand-chose aux agresseurs : “ Il y a des pratiques qui peuvent être un peu dures, mais avec un baiser avant ou après, ce n’est pas pareil.7

C’est vrai : avec un baiser avant ou après, on a plus de mal à identifier la violence et à s’en sortir. Léa pourrait te raconter comment l’homme qui a abusé d’elle pendant des années l’embrassait et lui disait “je t’aime” après l’avoir humiliée, étranglée et violentée.


Stratégie de l’agresseur

As-tu déjà entendu parler de “la stratégie de l’agresseur”, cette méthode mise au jour par le Collectif Féministe Contre le Viol8 ?
Grâce à 40 ans d’écoute et d’expertise sur la question des violences sexuelles, les militantes du CFCV ont pu déterminer 5 éléments stratégiques permettant aux agresseurs d’enfermer leurs victimes dans une emprise, afin de les empêcher de se défendre : isoler, dévaloriser, inverser la culpabilité, instaurer la peur, et garantir son impunité.
Si tu veux bien, examinons cette stratégie de l’agresseur à la lumière du féminisme néolibéral :

  1. Isoler : le féminisme néolibéral laisse à chacune la responsabilité de déterminer ce qui est une violence sexuelle et individualise la problématique de la domination
  2. Dévaloriser : il permet aux prédateurs de frapper, humilier, forcer les femmes + les monnayer de manière précaire
  3. Inverser la culpabilité : il dit que ce sont les femmes qui “aiment ça” (les coups, l’humiliation, le travail du sexe), en se gardant de parler de l’excitation traumatique9, ceci donnant aux femmes un profond sentiment de complicité aux violences qui leur sont infligées
  4. Instaurer la peur : outre la peur instaurée par les violences sexuelles, les personnes posant des limites ou des critiques sont par ailleurs mises dans la position d’oppresseurs puritains. Le jugement, dont on pourrait se servir pour se protéger, est présenté comme une pratique dangereuse et réactionnaire.
  5. Garantir son impunité : quoi de mieux pour un prédateur que de pouvoir se dire “féministe” ? Il peut même se positionner en progressiste libertaire (“ je suis si féministe que je pense qu’une femme peut être dégradée sans que cela l’atteigne ! ”)

En fin de compte, le marketing du féminisme néolibéral fournit sans doute le meilleur mode d’emploi jamais créé pour permettre aux prédateurs sexuels d’abuser des femmes sans aller en prison.


Comprendre le consentement à l’oppression, grâce… à tes propres arguments

Dans ta vidéo “L’économiste (Frédéric Lordon)” tu fais une démonstration plutôt développée, que nous avions grandement appréciée, de la pensée matérialiste.

Tu y analyses le prétendu « consentement » au travail salarié, et le mythe du salarié épanoui de sa propre exploitation capitaliste. Tu démontes assez brillamment l’idée de « libre arbitre » promue par les exploiteurs, dans un monde en réalité déterminé par un conditionnement inconscient extrême, par tout un tas de facteurs socio-économiques et par la propagande.

Tu évoques entre autres la notion d’“Angle Alpha”, et le concept marxiste d’aliénation, qui expliquent bien comment nos désirs sont “toujours produits par l’extérieur”, c’est à dire par nos structures sociales10. Enfin, tu cites Lordon disant


Usul, comment se fait-il que tu n’arrives pas à appliquer tes propres développements philosophiques à la question de la sexualité et de l’oppression masculine ?Pourtant, l’exploitation des femmes par les hommes fonctionne de la même manière que l’exploitation des pauvres par les riches : elle se fait passer pour naturelle, méritée et, lorsqu’elle est critiquée, se couvre des apparats du choix personnel et du fun.

Ou pour reprendre encore une fois littéralement tes propres arguments : les femmes deviendront dociles et les hommes pourront régner par “l’amour” plutôt que par la crainte, l’ordre patriarcal a réenchanté l’exploitation des femmes en l’enrichissant d’affects joyeux, et le néolibéralisme patriarcal a réussi à insuffler aux femmes “l’amour” de la situation de travail sexuel et de la soumission.11

Les femmes – comme n’importe quel groupe opprimé – peuvent consentir à leur propre oppression. Et, en fin sociologue, tu le sais très bien : en ne cherchant pas les raisons du consentement, en ramenant la lutte à la question du choix individuel, on dépolitise, et on prive une classe opprimée de sa capacité de lutte. Mettre l’accent sur le consentement (une femme “consent” à être frappée) et jamais sur les nuisances (une femme a reçu des coups) est un pain béni pour les prédateurs.

Ou comme l’explique Catharine MacKinnon “Quand vous dites qu’un homme qui frappe, gifle, étouffe, et blesse une femme a tort seulement parce qu’elle n’a pas « consenti », vous dites que le seul problème de la violence masculine est que les femmes n’ont pas encore appris à l’apprécier.”


Le consentement des victimes est l’ultime bouclier de l’oppresseur

A droite, cela fait des centaines d’années que les prédateurs font porter leurs voix par leurs femmes : elles ont d’abord défilé contre le droit de vote, puis contre le droit à l’IVG, puis contre le mariage pour tous. Elles déclarent à grands cris qu’elles ont choisi, libres de toute contrainte, de penser que c’est à leur mari d’être « chef de famille ».

A gauche, il y a aussi désormais les prédateurs qui font porter leurs voix par leurs femmes : partout, nous allons dire que nous nous “libérons” en couchant sans désir, en nous faisant fouetter, attacher et taper dessus, et en vendant nos culs.

Partout nous propageons le même discours : “libération”, “violence consentie”, “empowerment par la soumission”, « plus je m’approprie et revendique ma soumission au désir des hommes, plus cela fait de moi une femme empowerée libre et forte »12.

Quelle stratégie brillante de la domination masculine ! Depuis des millénaires, diviser les femmes en deux catégories – femmes respectables d’un côté, putes de l’autre – et les laisser servir l’une à l’autre d’épouvantails.

Et nous, toutes occupées à se détester les unes les autres – celles de gauche terrorisées à l’idée de finir murées dans une cuisine et un mariage violent, et celles de droite terrorisées par l’idée de se faire abuser par toutes une série d’hommes objectifiants – nous continuons bien sagement à défendre vos intérêts à nous traiter comme de la merde13.

Le féminisme ”sexe-positif” est vraiment très fort dans son utilisation des femmes pour la défense de leur propre oppression : il a même adopté comme discours officiel « on doit écouter les concernées ». En réalité, ce que nous y avons constaté est qu’on y « écoute les concernées » uniquement quand elles valident la domination.

Dès qu’elles la dénoncent, on les renvoie soudain à des problèmes personnels ou interpersonnels. Pourtant, face au nombre de femmes ayant vécu des traumas et abus sous cette couverture, il est évident qu’on fait face à un schéma systémique et qu’on ne peut pas parler d’exceptions.

La vérité, c’est qu’en quelques années seulement, les arguments du féminisme « sexe-positif » sont devenus une des principales armes des “porcs” : ils ont fait de la rhétorique de l’empowerment un terrible outil au détriment des femmes.


Check ton privilège

Face à Hélène, qui – après avoir été dégradée, violée et battue par des hommes se disant féministes, sous prétexte de travail du sexe, de liberté sexuelle et de soumission BDSM – ne supporte plus qu’un homme la touche, et se réveille en sueur la nuit après avoir cauchemardé de viols et de tortures ; face à Léa et Marie qui explosent en sanglots pendant leurs rapports sexuels et dont les pratiques qu’elles ont subies pourrissent encore aujourd’hui leurs vies sexuelles ; face à Lucia qui nous confie comment la reconstruction d’une sexualité saine avec son petit ami lui est difficile ; face à notre lutte de classe pour sortir de la soumission et de l’exploitation, sous quels termes viens-tu nous parler de sexe ?

“Je suis habituellement dans la polémique permanente, dans le militantisme, les revendications, c’est assez épuisant. J’aime bien avoir cette oasis à côté, c’est du plaisir, du laisser-aller, on n’est pas dans le conflit, c’est juste de l’amour, du partage. Des choses positives. Normalement, le cul, ça ne devrait pas être un terrain sur lequel on s’envoie des fions, de mauvaises ondes. C’était ma petite oasis avec Plum et on va continuer à la cultiver, même dans l’adversité. Je pense que l’agitation va retomber. Ça me fait du bien.14

“oasis”, “amour”, “laisser-aller”, “se faire du bien”, “mauvaises ondes”… MAIS MEC, DANS QUEL MONDE TU VIS ? Faire du travail du sexe, pour toi, c’est juste “du plaisir, du laisser-aller, de l’amour, du partage” ?

À quel point es-tu inconscient de ton immense privilège masculin pour prononcer des phrases pareilles ? Pour ne pas réaliser que là où le sexe et le porno sont pour toi un espace de paix boostant ton estime de toi et ton ego, un “repos du guerrier”, ils sont pour nous un champ de bataille ?

Le privé est politique. Ne plus vivre de violences sexistes et sexuelles est un enjeu politique de la classe des femmes. Marketer cette violence et cette exploitation pour les vendre comme acceptables ou épanouissantes est une stratégie au service des hommes, classe dominante dont tu fais partie.

Toi qui passes ton temps à analyser les schémas de domination, quels degrés de naïveté, de déni, ou d’hypocrisie te sont-ils nécessaires pour ne pas appliquer tes propres raisonnements politiques dans un domaine où tu n’es pas directement en statut d’opprimé15?


Fuck ta libéralisation sexuelle et ta fausse “subversion” : nous voulons une vraie libération

À une heure où, depuis les femmes de chambre jusqu’aux actrices les plus célébrées, il est encore si difficile pour une femme de ne pas vendre son cul et/ou sa dignité (à un mari, un patron, un collègue, une audience) pour réussir, ou juste s’en sortir, Usul, sache-le, qu’un homme vienne nous parler de “subversion” par le travail du sexe, c’est dégueulasse.

Ce que tu défends, Usul, ce n’est pas une “libération sexuelle”, mais une “libéralisation sexuelle” au profit de la classe masculine.

Avec le mouvement #Metoo et #Balancetonporc, nous avons dénoncé les viols et les agressions sexuelles qui se basent sur l’absence de consentement. Mais, si le consentement est un préalable indiscutable, on ne peut aborder les questions du consentement et du désir sans prendre en compte les conditionnements forgés par des siècles de domination et de traumatismes vécus par les femmes, et qui jouent un rôle crucial dans leur soit disant consentement/désir/choix de la violence.

Nous ne condamnons pas les stratégies de survie des femmes, ni leurs désirs : nous dénonçons ceux des hommes.

Quelle que soit la forme qu’elle prend (mariage ou prostitution ; enjolivée par un discours “sexe-positif” ou non), toute forme de sexualité basée sur la dissociation traumatique nous révolte.

Des hommes vraiment intéressés par la défense de nos droits ne se baseraient pas sur notre vulnérabilité, créée par des traumas, pour obtenir des actes sexuels.

Des hommes respectueux de leurs partenaires ne banderaient pas à l’idée de les frapper, de les insulter, ou à l’idée d’une interaction sexuelle consentie contre de l’argent. Nous voulons mettre les hommes face à la violence qu’ils continuent d’exercer, sous le bouclier du marketing “sexe-positif”.

De notre côté, nous rêvons d’une véritable “libération sexuelle” des femmes. Une libération sexuelle qui nous délivrerait du trauma et de la violence. Où le sexe ne serait plus pour les femmes une monnaie d’échange, que ce soit contre de l’argent, de la sécurité, de la visibilité, de l’affection ou même de la gentillesse.

 

Barbara, Hélène, Léa, Marie et Lucia,
survivantes de la prostitution, du porno et du BDSM,
victimes du discours « sexe-positif »

 

(1) https://twitter.com/anti_sexism/status/964179483136806913
(2) Dans sa vidéo “Peut-on monnayer son cul et être féministe ?”, disponible sur Youtube, OllyPlum s’exprime en ces termes : “C’est toute cette violence, notamment sexuelle, qui m’a amenée à travailler dans les milieux du sexe (….). Le viol il est là, quand on s’est fait violée, on peut pas se faire dévioler. Alors oui forcément ça provoque une dissociation entre le corps et l’esprit et après on va investir son corps différemment émotionnellement et du coup, tout un tas d’utilisations du corps qui n’étaient pas disponibles avant, quand le corps était un temple, deviennent envisageables.”
(3) https://www.memoiretraumatique.org/psychotraumatismes/mecanismes.html  

(4) https://www.mumsnet.com/Talk/guest_posts/2799410-Guest-post-I-didnt-think-of-my-prostitution-as-traumatic-but-it-left-me-with-PTSD
(5) Peur de devenir fou/folle
(6) https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/9698636 et https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2615337/“68% des 827 prostitué.e.s interrogé.e.s dans 9 pays remplissaient les critères du diagnostic de Syndrome de Stress Post-Traumatique (SSPT). La sévérité des symptômes de SSPT des participant.e.s à l’étude était équivalente à celle de vétérans de guerre cherchant un traitement, des résidentes de refuges pour femmes battues, et des réfugié.e.s. Une étude faite en Corée trouva que 81% des femmes ayant un passif de prostitution avaient des symptômes de SSPT.”

(7) “Ollyplum et Usul, l’interview décomplexée ”, le Tag Parfait
(8) 0800 05 95 95

(9) L’excitation traumatique désigne la confusion entre violence et sexualité qui imprègne l’imaginaire sexuel des anciennes victimes de violences. Leurs réactions corporelles d’excitation, d’origine traumatique, peuvent les amener à croire que les fantasmes de violence de leurs agresseurs sont en réalité les leurs. Lire le chapitre “La sexualité n’est-elle pas violente par nature?” dans “Les violences sexuelles : 40 questions-réponses incontournables”, de Muriel Salmona
(10) Sur le désir comme construit social et pas uniquement psychologique, voir les travaux de Mélanie Gourarier
(11) Nous avons ici repris les citations que tu as choisies dans ta vidéo sur le consentement, en nous contentant de remplacer “hommes” par “femmes”, et “capitalisme”, par “patriarcat”
(12) Toutes les femmes ne se sont pas laissées berner par un tel discours marketing. Cela est particulièrement vrai pour certaines travailleuses du sexe, qui n’ont pas recours à la rhétorique de la “pute heureuse”, se contentant de mettre en avant la précarité économique qui les amène à se prostituer. D’autres reviennent de ce discours, comme Ovidie, qui a pourtant été longtemps une figure de proue du féminisme pro-sexe : http://brain-page-q.fr/article/page-q/35922-Le-POV-d-Ovidie-le-feminisme-pro-sexe-est-il-mort
(13) Sur le continuum de la violence faite aux femmes et de la monétarisation du sexe que ce soit par le biais du mariage ou de la prostitution, voir le travail de l’anthropologue italienne Paola Tabet

(14) Ollyplum et Usul, l’interview décomplexée ”, le Tag Parfait
(15) Et non seulement tu défends ton privilège de classe masculine mais tu défends ton privilège de classe sociale : en critiquant les techniques oppressives des “pick-up artists”, tu ne faisais en réalité que revaloriser ta propre masculinité ! Voir les travaux de Mélanie Gourarier sur les compétitions entre modèles de masculinité

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Le premier numéro d’Action

50 000 exemplaires du premier numéro d’Action sont vendus à la criée le 7 mai 1968, lors des manifestations. Le voici au format pdf (cliquer sur l’image pour l’obtenir) ; il a été lancé comme organe du syndicat étudiant l’UNEF, des CAL (comités d’action lycées) et du mouvement du 22 mars.

 

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PCMLF : « Travailleurs et étudiants unissez-vous »

Issu en partie du Parti Communiste Français et reconnu officiellement par la Chine, le Parti Communiste Marxiste-Léniniste de France était l’une des deux principales organisations se revendiquant de Mao Zedong alors qu’arrive mai 1968. Voici son tract du 6 mai 1968.

TRAVAILLEURS ET ÉTUDIANTS

UNISSEZ – VOUS CONTRE LE POUVOIR DES MONOPOLES ET CONTRE LE FASCISME!

VIVE LA JUSTE LUTTE DES ÉTUDIANTS !

« Le monde est autant le vôtre que le nôtre, mais au fond c’est à vous qu’il appartient. Vous les jeunes, vous êtes dynamiques, en plein épanouissement comme le soleil à 8 ou 9 heures du matin. C’est en vous que réside l’espoir. »
MAO TSE-TOUNG

Le système capitaliste mondial est entré dans une période de crise économique, politique et idéologique dont il ne se relèvera pas.

La guerre victorieuse du peuple vietnamien ébranle jusque dans ses fondements l’impérialisme américain et stimule les luttes des peuples du monde entier.

Un monde nouveau se lève à l’Orient. La République Populaire de Chine, sous la direction de Mao Tsé-toung, Lénine de notre époque, indique le chemin à suivre pour tous les révolutionnaires.

Les régimes monopolistes des U.S.A. et d’Europe occidentale sentent leur fin prochaine. Pour eux, la seule issue, c’est le recours aux méthodes terroristes de gouvernement, à la violence permanente contre la classe ouvrière et le peuple, c’est-à-dire au fascisme.

La recrudescence de l’activité des groupuscules fascistes du type « occident  » est un signe de cette décadence.

Le journal fasciste « Minute » a ouvertement appelé au meurtre des étudiants, en les désignant sous les termes d' »enragés rouges ».

Il a été suivi en cela, par toute la presse et les moyens de propagande au service des monopoles.

La direction du P.  » C.  » F. est venue au secours du chœur des réactionnaires, en reprenant les mêmes arguments, en appelant à la répression contre les étudiants en lutte, en essayant de dresser la classe ouvrière contre eux.

Leurs manœuvres ont lamentablement échoué devant le soutien actif d’un nombre toujours plus grand de travailleurs aux luttes et manifestations des étudiants.
La faillite de la direction révisionniste du P.  » C.  » F. parmi les intellectuels révolutionnaires annonce sa faillite totale dans la classe ouvrière.

La classe ouvrière, de plus en plus exploitée et opprimée, voit grandir sa colère et envisage de plus en plus l’action directe contre le capitalisme.
L’accueil chaleureux que les travailleurs ont réservé aux marxistes-léninistes le 1er mai, de la République à la Bastille, le prouve assez.

Nos justes mots d’ordre:

o  » Unité à la base et dans l’action « ,

o  » A bas les monopoles « ,

o  » Vive la victorieuse guerre du peuple vietnamien « ,

o les chants révolutionnaires de l' » Internationale – et de la « Jeune Garde » ont été repris tout au long du
parcours par des milliers de voix sans que les permanents révisionnistes aux ordres de Waldeck-Rochet puissent nous empêcher de défiler avec tous les autres travailleurs, et obtenir leur soutien.
Les intellectuels et les étudiants, en particulier les étudiants d’origine pauvre ouvrière et paysanne, ressentent particulièrement la crise qui déferle sur notre société décadente.

ILS ONT RAISON DE SE REVOLTER !

Le plan Fouchet, réforme ultra-réactionnaire de l’enseignement, au service exclusif des monopoles, les touche dans leurs intérêts les plus profonds puisqu’il vise à rejeter la majorité et en premier lieu ceux issus des classes laborieuses de l’Université, à les mettre à la disposition des intérêts capitalistes les plus vils.

TRAVAILLEURS ET ETUDIANTS, UNISSEZ-VOUS DANS LE MEME COMBAT CONTRE LE POUVOIR DES MONOPOLES ET LA MONTEE DU FASCISME !

Les intérêts des étudiants progressistes rejoignent ceux des travailleurs. Il ne peut y avoir d’Université démocratique dans le cadre de la fausse démocratie de la bourgeoisie.

Seul le socialisme permettra la réalisation d’un système nouveau d’enseignement qui réponde aux aspirations légitimes des intellectuels progressistes.

Toutes les solutions réformistes propagées par la fausse gauche  » (Mitterrand et Cie) et par la direction du P.  » C.  » F. ne sont que poudre aux yeux visant à mieux préparer la soumission des intellectuels au système monopoliste d’Etat, en les berçant d’illusions pour qu’ils abandonnent la lutte.

La lutte des étudiants après les grands combats ouvriers de ces dernières années annonce les grands bouleversements qui vont avoir lieu dans les pays capitalistes.
Elle annonce les luttes révolutionnaires de la classe ouvrière et du peuple, luttes qui balaieront le système capitaliste.

C’est pourquoi les étudiants révolutionnaires doivent résolument rejoindre le combat de la classe ouvrière et se placer sous sa direction politique.
Les étudiants en lutte contre les monopoles ne pourront triompher qu’à cette condition C’est pourquoi les militants du Parti Communiste Marxiste-Léniniste de France participent au coude à coude aux manifestations des étudiants et se battent résolument à leurs côtés contre le pouvoir des monopoles.

C’est pourquoi le P.C.M.LF. lutte résolument pour lier le combat des jeunes intellectuels a celui des travailleurs, pour expliquer aux travailleurs le sens profond de la lutte des étudiants, afin de briser l’isolement dans lequel la bourgeoisie et la direction révisionniste du P.  » C.  » F. tente de les enfermer. Il compte également pour cela sur l’aide de tous les anti-monopolistes sincères.

6 mai 1968 – Le Comité central du Parti Communiste Marxiste-Léniniste de France.

– Travailleurs, étudiants, luttons tous ensemble, mobilisons-nous en permanence
contre le pouvoir des monopoles, contre la montée du fascisme !

– Peyrefitte et Fouchet à la porte !

– Grimaud (préfet de police), Roche (recteur) démission !

– Libérez les emprisonnés ! Levez les sanctions !

– Travailleurs, étudiants révolutionnaires, rejoignez le P.C.M.L.F., le seul Parti communiste véritable.

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Politique

1818-2018 : bicentenaire de la naissance de Karl Marx

Il y a deux cents ans, le 5 mai 1818, naissait Karl Marx, dont l’impact dans l’histoire du monde a été immense, puisque un tiers de l’humanité, à un moment, vivait sous un régime se revendiquant de lui.
Karl Marx aurait affirmé, bien sûr, que ce n’est pas son impact qui a causé cela, mais la lutte des classes, car pour lui « l’histoire est l’histoire de la lutte des classes ». Il serait d’ailleurs erroné de faire de Karl Marx un simple intellectuel, coupé de la réalité de son époque.

Une large partie de ses écrits sont de circonstance, provoqués par telle ou telle situation, comme la Commune de Paris, la prise du pouvoir par Napoléon III ou les liaisons faites pour donner naissance à l’Association Internationale des Travailleurs, la première Internationale.

Tous n’ont donc pas le caractère général du Manifeste du Parti Communiste ou du Capital, pour citer les deux œuvres les plus centrales de son travail.

De la même manière, Karl Marx a joué un rôle essentiel dans la naissance du mouvement ouvrier de son pays, l’Allemagne. C’est la fameuse social-démocratie, dont le grand représentant historique est Karl Kautsky.

Si ce dernier est inconnu en France à part des (rares) personnes s’intéressant à cette période – le socialisme allemand est au programme du bac en histoire et il n’est jamais mentionné – il fut le grand théoricien du marxisme, obligeant des gens comme Jean Jaurès, Rosa Luxembourg ou Lénine à lire le marxisme à travers lui.

On sait évidemment ici que si Karl Kautsky est inconnu, c’est que la Gauche française n’a jamais apprécié le marxisme, d’où naturellement sa profonde faiblesse sur le plan des idées. De par la tradition syndicale, apolitique, sous les formes réformiste ou anarchiste, il y a une méfiance profonde pour les idées, la culture, la théorie.

Dans notre pays, on suspecte toujours un intellectuel de vouloir manipuler, tromper, se placer, etc. ; cela fit que dans notre pays, il n’y eut jusqu’ici pas de gens comme Antonio Gramsci, mais uniquement des fortes têtes tonitruantes, ce qui produisit Maurice Thorez, mais également Jacques Doriot.

Même mai 1968 n’a débouché que sur un gauchisme rapidement sans idées, se précipitant dans l’actionnisme le plus dispersé, pour rapidement s’épuiser : au milieu des années 1970, tout est déjà fini, à part pour des débris sincères mais totalement déboussolés, sauf bien sûr pour ceux s’étant repliés dans la tradition française du syndicalisme.

C’est ce qui fait, par exemple, que la vague maoïste, si forte parmi les étudiants alors, a alors rapidement disparu, tandis que le trotskisme a su se maintenir pour plusieurs décennies.

En ce sens, il n’est pas vraiment possible de parler d’un éventuel retour à Karl Marx de possible ; encore eut-il fallu qu’un passage par Karl Marx ait déjà été fait. Il y a bien entendu beaucoup d’intellectuels et d’universitaires qui y font référence, d’une manière ou d’une autre, mais jamais ne s’agit-il de marxisme, au sens d’une idéologie bien définie par le mouvement ouvrier.

En France, le mouvement ouvrier a encore tout à apprendre de Karl Marx, qu’il ne connaît simplement pas. On en est, finalement, avant même la social-démocratie, puisqu’en France les socialistes ont toujours été des républicains de gauche.

Même le Parti Communiste Français n’a pas su dépasser un horizon intellectuel universitaire : on chercherait en vain des analyses historiques matérialistes historiques produits par ce Parti !

Évidemment, certains diront que l’utilisation des concepts marxistes n’est pas forcément utile pour analyser la France, qu’il est plus judicieux de se tourner vers les trouvailles universitaires : le langage inclusif, la remise en cause du « genre », la « racialisation » des oppressions, une lecture tiers-mondiste favorable à la contestation religieuse, etc.

Mais c’est là sortir du mouvement ouvrier. Et justement, il faut savoir si on est dans le mouvement ouvrier historique, ou en dehors !

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Politique

UJCML : Vive les étudiants de Nanterre et de Paris

Voici le tract du 4 mai 1968 de l’Union de la Jeunesse Communiste Marxiste-Léniniste, une des deux organisations maoïstes de 1968, qui est née dans le mouvement étudiant et qui s’est notamment caractérisé par une politique d’établissement dans les usines, ainsi que par une intense activité de soutien au Vietnam avec les Comités Vietnam de Base. Les images sont tirées du film de 1967 La Chinoise, de Jean-Luc Godard, lié à l’UJCML et à son prolongement, la Gauche Prolétarienne.

Depuis plus d’un mois, un nombre grandissant d’étudiants et de jeunes se révoltent et luttent contre la bourgeoisie. Les étudiants de Nanterre ont dans cette révolte joué un rôle d’avant-garde.

Toutes les forces répressives de la bourgeoisie se sont mobilisées pour écraser ce mouvement; elles ont utilisé la presse, les bandes fascistes, l’intimidation par l’administration universitaire, les arrestations et enfin l’agression de forces policières massives.

Tous les réactionnaires (y compris la clique dirigeante révisionniste), pris de panique, ont constitué un front uni et fomenté un vaste complot contre les étudiants : calomnier les étudiants progressistes, déverser un flot de mensonges, tout mettre en oeuvre pour les isoler de la population et permettre ainsi leur écrasement par les bandes fascistes et les troupes d’agression policière.

Mais cette offensive de la réaction, loin d’intimider les étudiants, a renforcé leur résolution.

Le mouvement des étudiants progressistes s’est impétueusement développé.

Malgré les contre-courants la masse des étudiants progressistes a brisé les manoeuvres d’encerclement et s’est orientée vers le peuple, vers les larges masses de la classe ouvrière, des travailleurs et de la population.

LE MOUVEMENT DE SOUTIEN AUX LUTTES DU PEUPLE CONNAIT UN GRAND ESSOR.

Le 3 mai, pendant près de 6 heures, de 17 heures à 23 heures environ, la masse des étudiants du Quartier Latin s’est bravement dressée contre les C. R. S. et la répression.

Comptant sur leurs propres forces et bénéficiant de l’appui de la population, ils se sont spontanément organisés et ont sévèrement châtié les provocations policières.

Déjà le mouvement de résistance aux brutalités policières se développe parmi les masses populaires.

Le 3 mai, une partie de la population s’est elle-même portée aux côtés des étudiants pour les aider à résister à la violence.

Les C. R. S. se sont comportés à l’égard de la population comme des troupes d’occupation en territoire ennemi, s’en prenant brutalement aux masses sans aucune distinction.

Ils ont suscité ainsi une grande colère dans la population.

Des masses populaires de plus en plus larges sont frappées depuis des mois et des années par la répression et la violence contre-révolutionnaire. Ces derniers temps les C. R. S. et autres troupes d’agression contre la population se sont livrés à des attaques brutales à l’égard des paysans de Redon, puis à l’égard des ouvriers et des masses populaires du Mans, de Caen, de Redon qui ont vaillamment combattu et châtié les agresseurs.

Ainsi des masses de plus en plus grandes d’ouvriers, de paysans, et d’étudiants prennent conscience de la nécessité de mettre un terme aux agressions policières, de faire cesser la répression.

Dans leur lutte contre la répression, les étudiants doivent résolument s’unir avec les larges masses populaires, et en particulier de la classe ouvrière, qui combattent depuis longtemps le même ennemi.

Ils doivent se mettre au service des travailleurs, force principale de la révolution.

Ouvriers, paysans, étudiants doivent s’entraider et se soutenir mutuellement pour défendre la liberté populaire et mettre en échec la violence policière.

Si les larges masses populaires des ouvriers, des paysans, des étudiants, persévèrent dans la lutte, conquièrent leur unité et forment un vaste front contre la répression policière, elles briseront inéluctablement les plans d’agression de la bourgeoisie.

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Écologie

Plus de 30 000 personnes appellent à la démission du préfet de l’Oise

Ce sont pratiquement 35 000 personnes qui ont signé un appel pour la démission du préfet de l’Oise, à la suite de son soutien unilatéral et déterminé à la chasse à courre.

Naturellement, François Ruffin, qui appelle à un rassemblement à Paris ce 5 mai pour faire la « fête à Macron », ne fait pas partie des signataires. Pourtant, Emmanuel Macron est le grand soutien aux chasseurs et à la chasse à courre en particulier…

Ce qui montre qu’une personne comme lui peut s’imaginer de gauche sans l’être, alors que des gens qui ne se définissent pas nécessairement comme de gauche assument une démarche fonrieriedamentalement de gauche…

Voici une vidéo relatant les propos tenus, ainsi que le texte de la pétition, qui peut être signée sur cette page.

Démission du préfet de l’Oise pour incitation à la violence

Lors de la dernière assemblée générale de la fédération des chasseurs de l’Oise, soit une semaine après une manifestation pacifique record contre la chasse à courre le 31 mars 2018 à Compiègne, le préfet de l’Oise et les présidents de la Fédération Nationale de la Chasse et de la Fédération de la Chasse de l’Oise, ont répondu à l’unisson pour appeler à la violence contre les opposants à la chasse à courre, de plus en plus nombreux.

Le Président de la Fédération Nationale des Chasseur, M Willy Schraen, en appelle à ses « gros bras », 800 chasseurs de gibier d’eau, pour venir « chasser en meute » les  citoyens qui s’opposeraient désormais à cette pratique. Il faut noter qu’il appelle des chasseurs non concernés par ce mouvement qui ne s’oppose qu’à une seule forme de chasse, la chasse à courre.

Le Préfet de l’Oise, M Louis Lefranc, appuie cette initiative en les appelant à « passer à l’action ».

Une véritable milice est levée à la simple demande de représentants de la chasse française. 

Ces méthodes sont anti-démocratiques et contraires aux droits de l’homme et du citoyen. Elles visent à écraser un élan citoyen qui n’en peut plus de supporter une pratique féodale et morbide qui représente la domination par la violence, extrême et gratuite, sur des êtres innocents.

Au lieu d’écouter ce mouvement et ce désir de beaucoup de français de vivre sans ces horreurs et ses souffrances infligées aux animaux, juste pour le plaisir d’une minorité , M le préfet de l’Oise a choisi LA REPRESSION et soutient désormais toute action des chasseurs visant à se faire justice eux-mêmes afin de continuer à vivre selon leurs us et coutumes.

Par ailleurs, M  Guy Harle d’Ophove affirme que toute personne n’aimant pas la chasse se doit de déménager et de quitter les villages forestiers, qui bien sûr selon lui, n’appartiennent qu’à une seule catégorie de citoyens : LES CHASSEURS.

Ce discours, en plus de son caractère dictatorial et violent, atteint plus d’une liberté fondamentale du citoyen français:

– le droit de manifester et d’exprimer ses opinions,

– le droit de vivre à la campagne et dans les villages forestiers pour toute personne opposée à la chasse.

 En soutenant ces  propos dangereux, le préfet de l’Oise cautionne la violence contre des citoyens qui ne veulent que préserver la vie.

Il prône de même l’obligation d’abattre tout animal s’introduisant sur une zone urbaine. Ceci, alors que les habitants des villages ont souvent manifesté leur désir de protéger ces animaux.

Comment un représentant de l’Etat peut-il à ce point ignorer le peuple au profit d’une caste minoritaire?

Comment un préfet peut-il cautionner l’emploi de la violence face à des militants pacifistes?

Comment peut-il mettre en place un dispositif tel que ‘les chasseurs vigilants’, tout en les incitant en même temps, à se faire justice eux-mêmes, alors qu’il s’adresse à des personnes munies d’armes ?

Il doit être le garant de la sécurité sur son territoire et non l’inverse.

Il doit par ailleurs respecter les libertés fondamentales des citoyens, ce qui n’est apparemment pas le cas.

Pour rappel, la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la DEONTOLOGIE et AUX DROITS et OBLIGATIONS des fonctionnaires:

Art. 25.-Le fonctionnaire exerce ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité. Dans l’exercice de ses fonctions, il est tenu à l’obligation de neutralité.

Art. 25 bis.-I.-Le fonctionnaire veille à faire cesser immédiatement ou à prévenir les situations de conflit d’intérêts dans lesquelles il se trouve ou pourrait se trouver.

Au sens de la présente loi, constitue un conflit d’intérêts toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif de ses fonctions.

Au vu des derniers évènements, le préfet Louis Le Franc, ne répond plus à aucune des obligations relatives à la DEONTOLOGIE et AUX DROITS et OBLIGATIONS des fonctionnaires.

Ses agissements sont de plus en plus dangereux pour nos concitoyens. Nous demandons de fait sa démission.

https://www.facebook.com/avapicardie/videos/1734101006647754/

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Politique

Des manifestations du 1er mai 2018 entièrement ritualisées

Les manifestations d’hier, premier mai 2018, ont rappelé que mai 1968 a échoué à ébranler la France profonde et que, finalement, nous en sommes encore au 19e siècle sur le plan des idées.

Peut-on faire plus caricatural ?

D’un côté, des syndicalistes défilant pour des revendications sociales et économiques, buvant des bières et mangeant des merguez, ou des kebabs aussi désormais, puisque c’est la mode pour faire « populaire » y compris dans les quartiers chics.

Quelque chose sans âme, avec des mentalités restreintes, prisonnières d’une vie quotidienne sévèrement encadrée par toutes les valeurs dominantes.

Quelque chose sans envergure aucune. D’ailleurs, le nombre total de manifestants, a été de 210 000, contre 280 000 l’année dernière, selon les chiffres de la CGT dans les deux cas. C’est évidemment un recul particulièrement significatif alors que la grève des cheminots a lieu.

Le black bloc, une sorte de divertissement 2.0 pour une contestation ritualisée

De l’autre, les anarchistes qui, a défaut de proposition, essayent de casser quelque chose. Et ils étaient nombreux : 1200. Un cortège de 1200 personnes appelant à la révolte, cela aurait eu un impact évident…

Mais ils ont préféré faire n’importe quoi, avec à la clef 200 arrestations, un chiffre très important qui montre le degré de désorganisation.

Il ne s’agit pas de regretter le saccage d’un Mc Donald’s : qui le regrette n’a rien compris à l’enjeu écologiste de notre époque, à la question animale de notre époque, au principe de surexploitation de notre époque.

Qui va au Mc Donald’s et tolère l’existence d’une telle monstruosité n’a pas compris les attentes de notre époque.

Ian Brossat, un carriériste bien inséré dans la mairie parisienne

On n’est donc certainement pas obligé de pleurnicher comme Ian Brossat, qui vit comme un grand bourgeois comme conseiller PCF de Paris et adjoint à la maire de Paris chargé du logement, de l’habitat durable et de l’hébergement d’urgence, après avoir fait le lycée Henri IV et l’ENS de Lyon.

Cependant, on se doute bien que les casseurs n’ont pas fait cela par écologie ou par véganisme, ni même par lutte contre l’exploitation la plus féroce. On est dans la casse symbolique, dans un appel mystique à « autre chose ».

Ce qu’on doit reprocher, c’est qu’il n’y a rien derrière : ni culture, ni propositions, ni valeurs, ni programme.

En fait, il n’y a même rien du tout. C’est du nihilisme, tout à fait conforme à notre époque. C’est une fuite en avant, une sorte d’équivalent destructeur du populisme de Jean-Luc Mélenchon. Ce qui oblige ce dernier à nier les faits, jusqu’au ridicule.

Même Le Figaro se moque de lui !

« Le leader de la France insoumise dénonce des « violences insupportables contre la manifestation du 1er mai ». Avant de tenter : « Sans doute des bandes d’extrêmes droite. »

Pourtant, ces manifestants se revendiquent des « black blocs », une mouvance anarchiste et violemment anticapitaliste. Ils s’attaquent aux symboles de l’économie libérale, comme les fast-food ou des devantures de banques. Dans leur cortège, on pouvait par ailleurs apercevoir un drapeau communiste. »

C’est tout simplement ridicule de la part de Jean-Luc Mélenchon. C’est absurde. Et d’ailleurs, que diable peut faire un drapeau communiste au milieu des anarchistes ? C’est une aberration aussi !

Tout cela témoigne de la confusion des idées à notre époque. La génération facebook fonctionne à l’instinct, à l’image. On peut se croire à peu près n’importe quoi tout en n’y connaissant rien, car personne n’y connaît rien et, surtout, tout le monde s’en fout !

Ce qui montre bien, en dernier ressort, que tout ce petit monde fait confiance à l’État et au capitalisme pour se réguler de manière ou d’une autre. Personne ici ne croit en la crise, personne ici ne croit en le fascisme, personne ici ne croit au réchauffement climatique.

On est dans la théâtralisation de la contestation, avec des rôles entièrement préétablis… Et c’est humainement à la fois frustrant, intolérable, vide de sens.

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Le «premier» premier mai en 1968 et la nature du premier mai

C’est quelque chose de fondamentalement méconnu, tellement cela paraît invraisemblable, mais dans les années 1950-1960, les défilés du premier mai étaient interdits par l’État, en raison des guerres d’Indochine et d’Algérie.

Cela signifie qu’à l’époque, la Gauche avait entièrement capitulé au sujet de l’un de ses plus grands symboles. Cela a grandement contribué à la perte de toute un état d’esprit, de toute une tradition, de toute une certaine vision politique de confrontation au lendemain de 1945.

A l’époque, il y avait une grande polarisation et assumer la CGT, c’était assumer la lutte des classes… La CGT elle-même avait fort logiquement des revendications dépassant largement le cadre restreint des mesures sociales.

Malheureusement, l’interdiction acceptée par la Gauche a endormi les travailleurs.

Ainsi, le premier mai 1968, il y a cinquante ans, lors du premier défilé depuis de nombreuses années, ce fut le choc de la confrontation entre la CGT d’un côté, les gauchistes de l’autre, avec notamment les « marxistes-léninistes » (c’est-à-dire les maoïstes) pour qui le « P « C »F », comme ils le désignaient, avait trahi.

Les vieux reprochaient aux jeunes de ne pas avoir le sens des réalités, de mépriser la bataille des acquis ; les jeunes accusaient les vieux d’avoir trahi l’idéal révolutionnaire, d’avoir abandonné le projet d’une société ayant renversé le capitalisme.

Au-delà de la confrontation d’idées, c’est la question de la démarche elle-même qui se posait. En quoi consiste le premier mai ? En une démonstration de force des forces sociales défendant des intérêts économiques ? Ou bien en un rappel des grands idéaux de la Gauche, ceux d’un monde sans exploitation ni oppression ?

L’affiche de 1951, avec des revendications précises et politiques

Le 1er mai en France est, en effet, malheureusement prétexte à des rassemblements syndicaux, alors qu’en réalité, une telle journée devrait être l’expression de la Gauche politique.

Cela reflète le vrai problème de fond de la question sociale en France : en raison de la charte d’Amiens fait par la CGT en 1906 et séparant radicalement la politique de l’activité syndicale, il y a deux mondes qui coexistent, au lieu que la primauté revient à la politique normalement.

Cela a renforcé le syndicalisme réformiste et gestionnaire, totalement coupé sur le plan des idées et des valeurs de ce qu’est la Gauche. C’est la fameuse figure du syndicaliste râleur, collaborant avec le patronat pour avoir ses heures sans travail, collaborant aux projets de l’entreprise, ayant des normes particulièrement sexistes, porté largement sur l’alcool, etc.

Un personnage insupportable, prétendant même représenter la Gauche, alors que son existence dépend des millions et des millions d’euros donnés aux syndicats afin de maintenir leur existence et de pacifier les rapports sociaux.

L’affiche de 1972, où règne le flou et avec la CGT placé au centre, sans drapeau rouge

Les forces conservatrices ont ici très bien joué, ayant très bien comprises l’apolitisme syndicaliste française. Si à partir d’avril 1919 le 1er mai devient une journée chômée, il n’est férié et payé à l’initiative du syndicaliste CGT René Belin.

Sauf que cela se passe en 1941 et que René Belin est alors ministre du travail du régime de Vichy, qui instaura alors la « Fête du Travail et de la Concorde sociale ».

Prétendre que cela n’a pas eu d’influence serait absurde. C’est dans cette identité liée au « travail » et non pas à la Gauche qu’il y a eu l’espace pour le Front National de commencer un rassemblement du premier mai à partir de 1988. Même Nicolas Sarkozy a eu une initiative similaire en 2012, pour célébrer le « vrai travail ».

Il n’y a qu’en France qu’une aberration est possible. Le premier mai devrait avoir un sens politique, pas un sens économique ou social. C’est là, bien entendu, toute la question d’une définition de la lutte des classes.

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« Cent noms pour une Zone d’Agriculture Durable à Notre-Dame-Des-Landes »

Quand même, même si on sait que parfois il y a un manque de culture ou d’intelligence, de plus en plus de positions à gauche laissent perplexes, pantois, tellement l’incohérence rejoint l’inconsistance.

Prenons la question de Notre-Dame-des-Landes. La lutte contre l’aéroport à Notre-Dame-des-Landes vise initialement à défendre les zones humides, comme on le sait on est ensuite passé totalement à autre chose, avec des gens voulant vivre en petites communautés autosuffisantes.

On est passé d’une question écologiste à une question d’idéologie de repli sur la petite propriété, l’esprit communautaire, un vécu commun plein de « transcendance » par la solidarité, la mise en œuvre en commun, l’autosuffisance individuelle, etc.

On sait que cela relève du folklore anarchiste, de l’esprit anti-social de négation du mouvement ouvrier ; les zadistes de la « Zone à défendre » sont des gens cherchant à tout prix à vivre en marge de la société, récusant toute envie de changer celle-ci, haïssant la production organisée, développée, moderne.

Il n’y a donc rien à défendre là-dedans quand on est de Gauche. Et c’est pour cela que se précipitent pour défendre cela des gens cherchant à « dépasser » la Gauche historique, le mouvement ouvrier.

C’est cela qui unit les cadres du Parti de Gauche, de La France Insoumise, de Génération-s, d’Europe Ecologie Les Verts, etc.

A lire en effet « Cent noms pour une Zone d’Agriculture Durable à Notre-Dame-Des-Landes », un manifeste en faveur des zadistes cherchant à prolonger leur démarche, il y aurait une voie nouvelle combinant individualité, propriété et collectivité.

C’est là l’idéologie de la « troisième voie », celle du fascisme, qui prétend fonder le monde sur des « idées », des « expériences », le « vécu », la mise à plat des contradictions, etc.

La « nouvelle » gauche – rempli d’universitaires adeptes des philosophies sur la post-modernité, le monde post-industriel, etc. – se précipite toujours plus dans un positionnement franchement réactionnaire.

Au prétexte du respect de l’« Etat de droit », des femmes et des hommes qui cultivaient la terre et pratiquaient l’élevage ont été délogé·e·s de leur lieu d’activité et de vie. Leur ferme, où deux agneaux sont nés la semaine passée, a été détruite.

Ces paysannes et ces paysans occupaient un terrain appartenant à l’Etat. Pourtant, il leur avait été promis qu’une solution viable, pacifique et tournée vers l’avenir serait recherchée. Ils/elles étaient en discussion avec la préfecture pour obtenir une convention d’occupation collective de ces terrains.

Le collectif : voilà le sujet du combat qui se joue à Notre-Dame-des-Landes.

Quand le Gouvernement impose des conventions d’occupation temporaires individuelles, des paysan·ne·s, de la ferme des Cent noms ou d’ailleurs, envisagent leur activité collectivement.

La question de la propriété de la terre et le fait qu’elle puisse appartenir à celles et ceux qui la travaillent est un enjeu considérable de l’Histoire politique de notre pays et du monde. L’un des ressorts de la Révolution française reposait sur cette question majeure.

La lutte des paysan·ne·s sans-terre d’Amérique latine comme l’accaparement des terrains agricoles par la Chine et les puissances occidentales en Afrique en sont l’expression criante aujourd’hui.

Si notre tradition et notre Histoire envisagent la possession de terres principalement de façon individuelle, l’imaginaire politique qui existe à Notre-Dame-des-Landes et ailleurs prend appui sur un constat critique du rapport à la propriété pour expérimenter des propositions nouvelles.

Nous n’héritons pas de la terre de nos parents, nous l’empruntons à nos enfants. Dès lors, les écologistes et toutes celles et tous ceux qui réfléchissent à une autre relation à l’agriculture et aux sols envisagent légitimement, à coté de la propriété individuelle, une propriété collective, partagée, de la terre, ainsi qu’un travail lui aussi appréhendé collectivement.

Depuis des décennies, le labeur des agricultrices et des agriculteurs n’a cessé de s’alourdir pour des revenus de plus en plus faibles. Isolé·e·s les un·e·s des autres, les agriculteurs·trices de notre pays souffrent et meurent.

À Notre-Dame-des-Landes, l’intervention brutale des forces de l’ordre ne vise pas à faire respecter le droit. Elle vise à combattre une idée : celle d’un autre rapport à l’agriculture, en rupture avec le modèle productiviste.

Dans un monde globalisé, où la concurrence et l’individualisme font rage en délitant les liens de solidarité humaine et en détruisant l’environnement, les paysan·ne·s de Notre-Dame-des-Landes sèment les graines d’un autre monde.

Les défricheuses et les défricheurs de ce nouveau monde désirable n’ont pas toujours raison, mais celles et ceux qui les moquent, les oppriment et qui les blessent ont toujours tort.

En accordant la possibilité de conventions d’occupation collective des terres de Notre-Dame-des-Landes à celles et ceux qui en font la demande, ce que le droit permet, le Gouvernement n’abandonnerait pas son autorité. Au contraire, il ferait la preuve de sa disponibilité et de son ouverture à une approche différente de l’agriculture.

La ferme des 100 noms est tombée mais son imaginaire, celui qui s’est épanoui à Notre-Dame-des-Landes, est porteur d’espoir. Nous sommes convaincu·e·s que cet espoir est notre avenir. Il n’est pas trop tard.

Nous réclamons le droit de laisser vivre cette alternative pour transformer en réalité le rêve d’une agriculture ancrée sur les territoires, respectueuse du vivant et des paysan.ne.s.

Nous affirmons que cette France qui s’investit contre les grands projets destructeurs et dangereux sait et peut construire un monde meilleur.

Nous demandons l’arrêt immédiat des interventions policières et l’ouverture d’un vrai dialogue qui permette dans le respect de la loi l’élaboration de conventions individuelles, mais aussi collectives, d’occupation des terres de Notre-Dame-des-Landes.

Pour signer cette tribune en ligne : https://100noms.typeform.com/to/TO4gy9

Premier·es signataires :

Arnaud Apoteker, tribunal Monsanto; Isabelle Attard, ancienne députée; Clémentine Autain, députée du groupe LFI; Geneviève Azam, Attac; Laurence Abeille, ancienne députée écologiste;

Pénélope Bagieu, autrice de bandes dessinées; Guillaume Balas, co-coordinateur de Génération.s; Étienne Balibar, philosophe; Clotilde Bato, directrice de SOL-asso; Michel Bauwens, fondateur de la Fondation P2P; Julien Bayou, porte-parole EELV; Sandrine Bélier, ancienne députée européenne; Esther Benbassa, sénatrice EELV; Fatima Benomar, Les effrontées; Michel Bérhocoirigoin, paysan, co-fondateur de la Confédération paysanne; Martine Billard, secrétaire nationale à l’écologie du PG; Christophe Bonneuil, historien, CNRS; Dominique Bourg, philosophe; Jacques Boutault, maire du 2e arrondissement de Paris; Pauline Boyer, porte-parole Alternatiba; Sophie Bringuy, conseillère régionale EELV des Pays-de-Loire; Sophie Bussière, avocate au barreau de Bayonne et militante écologiste;

Valérie Cabanes, essayiste et juriste; Alice Canabate, vice-Présidente de la FEP; Aymeric Caron, journaliste, écrivain, porte-parole du REV; Damien Carême, maire EELV de Grande-Synthe; Naima Charai, Génération.s; Pascal Cherki, Génération.s; Philippe Colomb, président d’Agir pour l’environnement; Eric Coquerel, députée du groupe LFI; Maxime Combes, économiste; Hugo Cordier, co-secrétaire des Jeunes écologistes; David Cormand, secrétaire National EELV; Christel Cournil, juriste et enseignante chercheuse; Thomas Coutrot, porte-parole d’Attac;

Célia Da Costa Cruz, co-secrétaire des Jeunes écologistes; François Damerval, Cap21; Laurence de Cock, professeure et chercheuse; Jean-Paul Deléage, fondateur et directeur de la revue Ecologie & Politique; Estelle Deléage, rédactrice en chef de la revue Ecologie & Politique; Karima Delli, députée européenne EELV; Stéphane Delpeyrat, Génération.s; Florence Denier-Pasquier, membre du CESE; Marie Desplechin, auteure; Rokhaya Diallo, journaliste et réalisatrice; Cyril Dion, auteur-réalisateur; Clémence Dubois, 350.org; Michel Dubromel, Président de FNE; François Dufour, conseiller régional, syndicaliste et faucheur volontaire; Marc Dufumier, agronome; Julien Durand, porte-parole de l’ACIPA, paysan;

Quentin Erades, lauréat de l’Institut De l’Engagement; Txetx Etchevery, Bizi;

David Flacher, Porte-parole d’Utopia; Charles Fournier, vice-Président EELV de la Région Centre Val-de-Loire; Bastien François, président de la Fondation pour l’écologie politique;

Roccu Garoby, autonomiste corse, membre du PNC; François Gemenne, chercheur en sciences politiques, Université de Liège, professeur à SciencesPo.; Guillaume Gontard, sénateur divers gauche de l’Isère; Gueraud Guibert, président de la Fabrique écologique;

Emilie Hache, philosophe; Nicolas Haeringer, 350.org; Benoit Hamon, Génération.s;

Nicolas Imbert, directeur de Green Cross France;

Yannick Jadot, député européen EELV; Mila Jeudy, Génération.s; Eva Joly, députée européenne EELV; Samuel Juhel, Président du REFEDD; Jean-François Julliard, Délégué général de Greenpeace France;

Stéphen Kerckhove, Délégué général d’Agir pour l’environnement;

Annie Lahmer, conseillère régionale EELV; Jean-Charles Lallemand, secrétaire général du PG; Aurore Lalucq, porte-parole de Génération.s; Philippe Lamberts, président du groupe Verts – ALE au Parlement Européen; Frédéric Lamblin, directeur d’une association agricole et environnementale; Mathilde Larrere, historienne; SarahLegrain, Secrétaire nationale aux relations extérieures du PG; René Louail, paysan; Benjamin Lucas, Génération.s; Roxane Lundy, Génération.s; Alexandra Lutz, présidente de CliMates;

Sébastien Mabile, avocat; Noel Mamère, journaliste et militant écologiste; Dominique Méda, sociologue et philosophe; Jean-Luc Mélenchon, président du Groupe LFI à l’Assemblée nationale; Christian Métairie, maire d’Arcueil; Guillaume Meurice, humoriste; Benoit Monange, directeur de la Fondation de l’Ecologie Politique; Claire Monod, co-coordinatrice Génération.s; Corinne Morel-Darleux, conseillère régionale AURA LFI; Cécile Muret, secrétaire Nationale de la Confédération Paysanne;

Franck Nicolon, conseiller régional «écologiste et citoyen» Pays-de-Loire; Claire Nouvian, présidente de Bloom;

Jon Palais, ANV-Cop 21; Mathilde Panot, députée du groupe LFI; Corine Pelluchon, philosophe, professeur à l’Université Paris-Est-Marne-La-Vallée;

Laurent Pinatel, porte-parole de la Confédération Paysanne; Eric Piolle, maire EELV de Grenoble; Emmanuel Poilane, directeur de France Liberté; Thomas Porcher, économiste; Loïc Prud’homme, député du groupe LFI; Audrey Pulvar, présidente de la Fondation pour la Nature et l’Homme;

François Ralle Andreoli, conseiller consulaire; Sandra Regol, porte-parole EELV; Guillaume Riou, Président de la Fédération Nationale de l’Agriculture Biologique; Michèle Rivasi, députée européenne EELV; Marie-Monique Robin, journaliste d’investigation et réalisatrice; Barbara Romagnan, militante écologiste et féministe; Clément Rossignol Puech, maire de Bègles;

Laetitia Sanchez, conseillère régionale EELV de Normandie; Olivier de Schutter, ancien rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation de l’ONU et Président de IPES Food; Arnaud Schwartz, membre du CES européen; Pierre Serne, conseiller régional EELV; Danielle Simonet, coordinatrice du PG;

Claude Taleb, conseil Régional écologiste de Normandie; Laura Slimani, Génération.s;

Annie Thebaud-Mony, association Henri Pezerat; Nicolas Thierry, vice-président du Conseil Régional Nouvelle Aquitaine, EELV; Marie Toussaint, présidente de Notre affaire à tous;

François Veillerette, militant écologiste; Véronique Vinet, conseillère régionale EELV d’Occitanie; Vincent Verzat, youtubeur; Denis Vicherat, directeur des éditions Utopia; Patrick Viveret, philosophe…

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Culture

Le film « L’Enfance d’Ivan » d’Andrei Tarkovski (1962)

Après avoir intégré l’Institut fédéral d’État du cinéma (VGIK) en URSS en 1959, Andreï Tarkovski réalise plusieurs court-métrages, puis le moyen métrage Le rouleau compresseur et le violon, film pour enfant de fin d’étude.

Si ce dernier lui permet déjà de se faire remarquer dans les milieux cinéphiles c’est surtout avec son premier long métrage, L’Enfance d’Ivan, sorti en 1962, qu’il gagnera un statut de niveau international, remportant même le Lion d’or à la Mostra de Venise.

Dès cette oeuvre, Andreï Tarkovski s’impose comme l’un des plus grands cinéastes, voire le plus grand comme l’expliqua Ingmar Bergman.

On suit ainsi le jeune Ivan en pleine seconde guerre mondiale, qui a rejoint l’Armée Rouge en tant qu’éclaireur après l’assassinat de sa famille par les nazis.

Le film se veut cependant séparé de toute lecture héroïsante pour ainsi dire, afin de se tourner vers l’enfant lui-même.

Un enfant dont la fragilité a ainsi été volé par la guerre et la barbarie nazie. La guerre n’apparaît d’ailleurs que de manière assez abstraite dans le film. On ne voit presque aucun ennemi. En revanche elle ne lâche jamais Ivan, elle est marqué, gravé en lui, en son être.

La figure d’Ivan est donc très marquée, tout à la fois durcie et brisée ; il n’hésite pas à tenir tête aux adultes et aux gradés de l’armée, animé par un profond sentiment de vengeance.

Il veut absolument participer à l’effort de guerre et refuse catégoriquement d’entendre que celle-ci n’est “pas son affaire”.

Il est d’ailleurs intéressant de noter que le titre de la nouvelle de Bogomolov était simplement Ivan, c’est Andreï Tarkovski qui a ajouté “l’enfance”. Celle-ci se retrouve justement mise en scène non seulement dans les actions, mais également dans des séquences oniriques, pleine de poésie sur l’innocence et la joie, sauf que la guerre y agit comme un poison, les transformant en cauchemars.

Le film est, par cette raison même, un véritable chef d’œuvre sur le plan plastique, celui de la trame, du montage, de la précision du propos, de sa densité dans la mise en scène.

Le rapport à Ivan comme figure tourmentée est davantage problématique. Il y a un psychologisme indéniable qui est ici mis en avant, au grand plaisir de Jean-Paul Sartre qui, en octobre 1963, se fendit d’une longue lettre au quotidien italien L’Unità pour défendre L’enfance d’Ivan justement pour sa dimension pratiquement existentialiste, avec le refus d’une affirmation de l’héroïsme, des vertus de la mentalité communiste, etc.

Jean-Paul Sartre réduit ainsi l’intervention soviétique dans la seconde guerre mondiale à sa dimension simplement négative, passive, pleine de souffrance ; il explique ainsi qu’un enfant mis en pièce par ses parents, c’est une tragi-comédie bourgeoise, alors que des millions d’enfants détruits ou vivant par la guerre, ce serait l’une des tragédies soviétiques.

Cette réduction à une tragédie est une absurdité insultant profondément le dynamisme de la société soviétique et même assimilant les Russes à des êtres passivement tourmentés pour l’éternité.

C’est précisément, malheureusement, à un tel cliché qu’obéit Andreï Tarkovski lui-même avec ses incessantes références religieuses dans le film.

Il est ici dans l’ordre des choses que Jean-Paul Sartre puisse tenter de réduire le film à cette dimension, mentionnant comme prétendu exemple dans son article l’histoire d’un enfant juif mettant de l’essence sur son matelas pour se laisser brûler vif après avoir appris la mort de ses parents dans un camp d’extermination.

Et cette faiblesse psychologisante est typique des œuvres du « dégel » caractérisant l’accession de Nikita Khrouchtchev au poste de dirigeant du Parti Communiste d’Union Soviétique.

Andreï Tarkovski lui-même n’abandonnera pas cette tendance, qui est le grand travers de ses films.

L’enfance d’Ivan présente ainsi déjà les principales caractéristiques d’Andreï Tarkovski, alors qu’il n’a pas choisi d’adapter la nouvelle de Vladimir Bogomolov. Une première adaptation avait été commencée puis arrêtée par le studio faute de résultat satisfaisant. Il a alors été proposé à ce jeune réalisateur tout juste sorti de l’école de reprendre le projet avec le budget restant.

Celui-ci accepta aux conditions de tout reprendre de zéro, de créer sa propre équipe de tournage et de pouvoir intégrer des séquences de rêve d’Ivan. Il refusa même de regarder les rush du premier projet.

On y retrouve son sens de l’éclairage, ses plans très “photographiques”, la mélancolie, l’onirisme et l’aspect “vie intérieur” qui se dégage de ses films – on pourra, en quelque sorte, évidemment reconnaître là des traits typiquement russe, tant pour la forme que le contenu, l’esprit que l’âme.

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Politique

L’analyse erronée de l’antisémitisme par Emmanuel Macron

Il est courant à l’ultra-gauche de faire des cités le bastion du peuple : c’est totalement erroné, et cela au moins depuis les émeutes des banlieues de 2005. L’échec de la jonction populaire dans une révolte commune a marqué une rupture ayant comme conséquence le renforcement dans les banlieues de l’esprit lumpen-prolétaire et des trafics de drogues, de l’islamisme, d’un rejet total des valeurs de Gauche, d’une diffusion massive de l’antisémitisme.

L’échec de 2005 a abouti à un processus de ghettoïsation assumé de l’intérieur des banlieues elles-mêmes, alors qu’auparavant la pression était quasi uniquement extérieure. Le Front National et les « identitaires » en ont largement profité pour diffuser l’idée d’un conflit « racial » en France, tandis qu’Alain Soral a tenté, par tous les moyens et avec un succès certain, avec Dieudonné, à développer le thème d’une lutte anticapitaliste romantique ayant comme prisme l’antisémitisme.

Emmanuel Macron ne peut pas faire face à cela. Il ne peut pas assumer que l’immigration est une démolition de personnes arrachées à leur pays pour travailler comme main d’œuvre mal payée et dévalorisée. Il est obligé de la maintenir comme processus « naturel », comme déplacement individuel.

Par conséquent, il ne peut pas assumer les conséquences du déplacement d’une population pétrie de valeurs féodales dans un pays capitaliste développé et de la formation de ghettos. Il ne peut pas reconnaître la souffrance du travailleur arraché à ce qu’il a connu et isolé socialement, tout comme il ne peut pas saisir l’émergence de révoltes dévoyées, d’une fuite dans les superstitions, la paranoïa.

Aussi, lorsqu’il a abordé le sujet de l’antisémitisme en France lors d’un échange avec des étudiants américains de l’université George Washington, le 25 avril, Emmanuel Macron a développé une rhétorique ridiculement absurde :

« Il y a deux racines de ce nouvel antisémitisme. La première est liée à l’importation du conflit entre Israël et la Palestine.

Certaines personnes en France souhaitent reproduire ce conflit international au sein même de la société française.

La deuxième racine est une sorte d’ancien antisémitisme français, qui existait au début du siècle et qui reprend de l’ampleur. C’est une forte préoccupation pour moi. Nous devons le reconnaître ».

Finalement, Emmanuel Macron a la même lecture de l’antisémitisme que l’ultra-gauche ! Car on le sait, l’ultra-gauche, n’ayant plus rien à dire depuis 1989, a fait grosso modo de même, avec une esthétisation forcenée de la question palestinienne.

Cela alors, que dans les faits réels là-bas, bien loin de cette esthétisation, le pauvre peuple palestinien se prend davantage de coups chaque jour, sombrant sur le plan des idées dans l’ignoble corruption de l’OLP ou l’esprit moyen-âgeux sordide du Hamas, pendant que l’État israélien renforce sa main-mise totale sur tous les aspects de la vie (l’économie, les infrastructures, les emplois, etc.).

Et quand l’antisémitisme malheureusement populaire affleure trop, l’ultra-gauche prétend que ce n’est qu’un antisionisme qui ne se connaît pas, un anti-impérialisme qui ne se connaît pas, un anticapitalisme qui ne se connaît pas.

Les personnes juives sont assimilées à l’État israélien, à la question des conflits mondiaux, bref à une question « mondiale ». C’est là un discours national-révolutionnaire, ni plus ni moins.

Voilà pourquoi les personnes juives fuient une « gauche de la gauche » de moins en moins de gauche, ainsi que des départements comme le 93, et que des enfants juifs dans les écoles publiques est quelque chose d’extrêmement problématique en cas de situation de minorité.

Cette réalité ne peut pas être niée et ce n’est nullement un secret que l’Islam, pour se parer d’attributs sociaux malgré son conservatisme forcené, utilise la question juive comme anticapitalisme à destination de gens totalement coupés des traditions du mouvement ouvrier.

Et cette religion profite de la question de l’immigration, dont la nature, la forme, le fond, est un formidable non-dit depuis les années 1960.

En pratique, l’immigration est une déportation de population travailleuse, un drainage des forces vives. C’est un véritable pompage d’une main d’œuvre largement corvéable, car issue de la paysannerie et partant de là très peu éduquée, encadrée par des superstitions religieuses, des habitudes patriarcales.

Cela est vrai pour les Philippines venant servir de femmes de ménage à Neuilly – Auteuil – Passy depuis plusieurs années, comme des Arabes envoyés dans les usines des années 1960. Si l’on va à la fête annuelle des associations philippines à Paris, que voit-on ? Des regroupements religieux, des structures pour investir au pays.

Il n’y a jamais eu et il ne peut pas y avoir une équation : immigration = de gauche, bien au contraire. S’il y a une bataille tout à fait juste pour les droits, il en ressortira toujours sur le plan individuel une volonté d’affirmation sociale au sein de l’idéologie dominante, et cela d’autant plus qu’il y a des superstitions, des préjugés, des restes rétrogrades ramenés de pays arriérés.

Mais il y a pire. La gauche qui ne s’assume pas a accompagné cette immigration appuyant la pression sur les salaires et l’exploitation forcenée des personnes immigrées. C’est cela qui a poussé une large partie des couches populaires françaises dans les bras de l’extrême-droite profitant des préjugés racistes.

Même lorsqu’il y a eu des tentatives de révolte en faveur des travailleurs immigrés, cela a toujours basculé dans une lecture chrétienne de la « solidarité », l’Église catholique menant sur ce plan un travail forcené.

Le résultat en est une contribution à la ghettoïsation et l’un des aspects de la ghettoïsation de l’immigration… avec comme aspect incontournable, l’antisémitisme. L’antisémitisme, aujourd’hui, n’est porté que de manière résiduelle par les personnes françaises depuis plusieurs générations : si des préjugés restent, il est considéré toutefois comme inacceptable comme expression culturelle.

Par contre, dans l’immigration, ce n’est pas un secret, c’est un fait culturel solidement enraciné, principalement les jeunes, les religieux, les hommes. C’est un antisémitisme patriarcal, servant une prétention anticapitaliste romantique ; c’est un socialisme des imbéciles mêlé à un esprit de carrière petit-bourgeois.

Et seul un véritable socialisme peut le balayer. Emmanuel Macron, ne voulant pas de socialisme du tout, est alors obligé de le nier…

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Politique

La pathétique affaire du faux blessé grave de Tolbiac

Il y a maintenant plusieurs semaines, un mouvement étudiant s’est répandue dans une quinzaine de facultés contre le projet de réforme « Parcour Sup’ » entraînant plus de sélection sociale dans l’accès à l’université. Au cours du mouvement étudiant, l’occupation de la faculté parisienne de Tolbiac est apparue comme un des pôles radicales de la contestation, se rebaptisant elle-même « Commune Libre de Tolbiac ».

L’évacuation policière a débuté vendredi 20 avril dans la matinée, ce qui ne pouvait manquer d’avoir lieu après des semaines de blocage et une répression s’étant déjà abattue dans les autres facultés mobilisées.

C’est lors de cette évacuation qu’une rumeur à propos d’un blessé grave, voir d’un mort, s’est répandue entre le dimanche 22 et le mardi 24 avril. Une personne aurait ainsi soit-disant chuté d’un gradin par la faute d’un policier, lui causant un gravissime trauma crânien et le plongeant dans le coma. Voilà ce qu’ont diffusé des étudiants pseudos « témoins » dès le dimanche 22 avril.

Cette information s’est révélée être un pur mensonge, avec l’aveu d’une des témoins elle-même. Cette affaire révèle, en réalité, toute la vacuité et l’inconstance de ce mouvement de la « Commune Libre de Tolbiac ».

C’est le prix à payer lorsque les mouvements de gauche abandonnent toute fermeté, toute rigueur sur les repères idéologiques et culturels et se laissent emporter dans un hymne nihiliste et libérale-libertaire. Cela est une faute politique impardonnable car procéder par le mensonge, le trucage d’informations, c’est renforcer la confusion politique, l’irrationalité des comportements alors que le fascisme avance justement à grand pas…

Les fascistes étaient d’ailleurs venus attaquer l’occupation étudiante, dans un assaut typique d’un commando des années 1960-1970. C’est dans cette même faculté occupée que des tags antisémites à l’égard du local de l’Union des Étudiants Juifs de France (UEJF) avaient été relevé, quelques jours après le terrible assassinat de Mireille Knöll.

Dans un tel contexte crispé, terriblement tendu, la position de la Gauche doit être des plus fermes, des plus solides, des plus sérieuses.

Procéder au mensonge, aux fausses déclarations sur une soit disant personne morte lors de l’évacuation, c’est tout simplement ouvrir les vannes culturels à l’extrême droite !

Chacune et chacun sait que l’extrême droite à principalement comme base de mentir et de diffuser des analyses incohérentes, irrationnelles à coup de « fake news » et d’analyses « sensationnelles » notamment dans la sphère conspirationniste…

Mais faut-il s’étonner de tout cela lorsqu’on voit une étudiante issue de l’occupation de Tolbiac sur le plateau de LCI en compagnie de l’identitaire et maire de Béziers Robert Ménard et l’ultra-conservatrice Eugénie Bastié ?

Où sont les valeurs de Gauche, les digues culturelles ? Il y a là un exemple terrible de faillite morale propre à la petite-bourgeoisie libérale-libertaire qui accepte tout et n’importe quoi, y compris des fausses tribunes médiatiques dominés par l’extrême droite.

Et cela est d’autant plus indigne et scandaleux que cette étudiante dit « parler en son nom propre » tout en parlant du soit disant blessé grave comme « un fait », intervention bien évidemment relayée par l’une des pages Facebook du mouvement d’occupation de Tolbiac.

Il y a là le triomphe de l’individualisme, de l’irrationnelle, du refus de toute cadre collectif et moral, tendances qui renforcent toute l’extrême droite…

Il y a aussi cette témoin, Leïla, électrice de Jean-Luc Mélenchon, qui est interviewée par la chaîne d’information « alternative » « Le Média » (France Insoumise) et décrit avec un aplomb déconcertant le faux blessé grave de l’évacuation policière… Rien d’étonnant au final puisque la ligne de la France Insoumise consiste justement dans le populisme, l’association « des colères » sans définitions idéologiques stables, rigoureuses.

Quel scandale, quelle manque de dignité que de penser faire « avancer » le mouvement étudiant sur la base d’une fausse personne gravement blessée, mais tellement compréhensible lorsqu’on l’on sait le niveau de décomposition morale du mouvement, miné par l’alcool, les drogues, les graffitis nihilistes et sexistes, le harcèlement sexuel…

Le site journalistique « Reporterre » peut bien « rétropédaler », il n’en fait rien. Il y a une faute déontologique énorme, un manque de recul flagrant.

Hervé Kempf, son directeur, évite d’ailleurs toute auto-critique sérieuse en affirmant d’un côté avoir « reçu un témoignage par écrit cohérent » et d’un autre côté relativisant le mensonge sur la base du traumatisme qu’aurait vécu les étudiantes et étudiants lors de l’évacuation…

A la veille de la commémoration des 50 ans de mai 68, toute personne de Gauche sait bien qu’il faut impérativement élaborer une critique profonde du libéralisme-libertaire issu de ce mouvement. Sans critique de ce nihilisme « soixante-huitard », il est impossible de fonder une Gauche sérieuse, capable de remporter la bataille culturelle dans un moment où c’est l’extrême droite qui avance vers le pouvoir…

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Écologie

Le triste spectacle des « zadistes » à Notre-Dame-des-Landes

Après l’abandon du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, l’État avait annoncé qu’il procéderait à l’expulsion des « zadistes », ainsi qu’à la réouverture d’une route départementale barricadée depuis plusieurs années.

Des moyens immenses ont été mobilisés début avril, avec quelque 2500 gendarmes mobiles, ce qui n’a pas empêché de nombreux affrontements. Parallèlement, il a été proposé aux « zadistes » de renseigner des fiches individuelles, nominatives, expliquant le projet agricole qu’ils souhaiteraient mener sur le territoire.

Quel triste spectacle aujourd’hui que ces « zadistes » à Notre-Dame-des-Landes continuant leur agitation coûte que coûte, pendant qu’une partie d’entre eux accepte la partition mise en place par l’État.

L’abandon du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes aurait dû être considéré comme une victoire, permettant d’aller de l’avant dans la défense de la planète. Ce ne fut pas le cas pour une raison très simple : l’aéroport n’était qu’un prétexte. C’était une sorte de totem inversé, permettant de dérouler toute une rhétorique contre la modernité, digne de tous les esprits réactionnaires, fascistes ou semi-fascistes, des années 1930-1940 avec leurs discours sur le retour à la terre, le rôle néfaste de la technique, la valeur de la petite propriété, etc.

Les « zadistes » ne se sont jamais véritablement préoccupé d’écologie. La zone humide n’a été d’ailleurs qu’un argument trouvé très tardivement. Ce qui compta, ce fut rapidement l’agriculture artisanale et le retour à une vie en communauté restreinte.

À côté de cela, la ZAD a charrié et charrie encore toute une frange de l’ultra-gauche européenne, anarchiste et nihiliste, qui fétichise les affrontements avec la police, dans une démarche destructrice n’apportant rien de constructif.

Cela forme un panorama lamentable, qui amène la population à se demander : comment se fait-il qu’il faille mobiliser une telle force publique pour quelques agitateurs à peine armés d’ustensiles artisanaux ?

Que les quatre agriculteurs présents historiquement ayant toujours refusé leur expulsion se voient régulariser leur situation, c’est dans l’ordre des choses.

Mais comment se fait-il que des individus qui n’ont rien fait d’autre que tout casser et boire des bières volées dans les supermarchés locaux se voient attribuer « gratuitement » des terres qu’ils occupent illégalement ?

Ces questions sont inévitables. On peut être contre la propriété privée, bien sûr – mais cela ne signifie aucunement accepter que l’État attribue des terres unilatéralement pour pacifier une situation. Ce n’est pas là un partage des terres comme toute révolution en a amené, plus ou moins, ces deux derniers siècles, mais un esprit de conquête digne du Far West.

L’État et le capitalisme ont très bien compris cet aspect d’ailleurs. La Préfète de Loire-Atlantique a expliqué à propos des 28 fiches de candidatures pour l’obtention de terrain que « ce sont notamment des activités d’élevage, de maraîchage et des cultures céréalières avec transformation sur place ».

Une partie des projets sont considérés comme « structurants, cohérents et portés par des personnes tout à fait crédibles » et portent selon le Figaro sur de la culture des céréales, de plantes médicinales et aromatiques, la création de vergers, l’élevage de vaches allaitantes ou encore sur l’héliciculture, la production d’escargots.

Cela est tellement éloigné de ce qu’aurait dû être la lutte contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. On a ici un boulevard pour la réaction, avec d’un côté des projets passéistes qui servent de laboratoire réactionnaire, de l’autre un nihilisme destructeur qui ne peut que renforcer les appels à l’autorité de l’État.

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Politique

Ammerschwihr et la situation des campagnes alsaciennes

En 2010, lors des élections régionales, gagnées de justesse par la droite en Alsace, alors que l’essentiel des régions basculaient à gauche dans les mains du Parti Socialiste, le Front National a enregistré à cette occasion une défaite relative en perdant 3 sièges pour n’en conserver que 5 au Conseil Régional, qui pilote les moyens et les missions délégués par l’Etat.

En particulier, le responsable local du FN, Patrick Binder, père de 6 enfants, travaillant dans la comptabilité et condamné en 2011 à 3 mois de prison avec sursis pour insultes à caractères antisémites et racistes, a pu maintenir son mandat, avec celui de son épouse d’ailleurs.

Depuis, la situation a évolué en Alsace comme dans le reste de notre pays, avec un renforcement du vote pour l’extrême droite, et en particulier du FN, et un effondrement de la gauche, notamment avec les dernières élections présidentielles et législatives de 2017.

On le voit sur les cartes présentées ici, la situation est la suivante : dans un contexte d’abstentionnisme généralisé, les villes tendent à concentrer les électeurs entendant que le régime se poursuive sous une forme libérale, plutôt centriste depuis la victoire d’Emmanuel Macron.

Les périphéries urbaines et les campagnes voient elles une explosion de la tendance à voter pour le FN.

On retrouve ici l’un des grands thèmes mis en avant comme clef par le « matérialisme dialectique » : la production d’une contradiction historique villes/campagnes et une tendance à la segmentation sociale sur le plan territorial qui s’accroit.

Le danger que soulignent ces résultats électoraux, est qu’ils montrent qu’une partie de l’extrême droite a compris cela. Il leur est apparu de plus en plus clair que les contradictions territoriales, mais aussi professionnelles, entre le travail manuel et le travail intellectuel, étaient une conséquence du libéralisme bourgeois et que ces contradictions allaient en s’aggravant.

Face à l’effondrement de la Gauche, qui occupait traditionnellement cet espace, le FN en particulier a mis cela en avant, et de manière de plus en plus affirmée ces derniers mois notamment avec la création dissidente des « Patriotes » de Florian Philippot ou le dernier Congrès du FN début mars 2017 durant lequel Marine Le Pen, seule candidate à la Présidence de son Parti, à clairement exprimé la volonté de se saisir de cet enjeu et d’occuper cet espace politique.

Évidemment, l’extrême droite ne peut ni saisir correctement cette problématique, ni donc y faire face concrètement. Mais elle peut y trouver un terrain où développer ses thèses populistes, en dénonçant sur cette base une soi-disant fracture entre « mondialistes » et « patriotes », dont l’essor métropolitain des villes serait par exemple une conséquence de la « mondialisation nomade », c’est-à-dire du capitalisme financier et « non régulé ».

Il ne faudra pas encore pousser très loin pour entendre parler « d’oligarchie », de la « banque » et bientôt des « Juifs ». Sur ce point néanmoins, les nécessités idéologiques de la lutte contre l’islamisme, lui-même violemment antisémite, modèrent toutefois pour l’instant les velléités explicitement antisémite du FN et de sa ligne.

Dans ce contexte, il est donc intéressant de saluer cette initiative spontanée de la jeunesse d’un village alsacien du Piémont vosgien, Ammerschwihr, dans le département du Haut-Rhin.

Ammerschwihr est un petit village d’environ 1800 habitants, très typique du vignoble alsacien.

Le village se situe à proximité de la ville de Colmar, principal bassin d’emploi de ses habitants, et vit pour le reste du tourisme, de par le caractère « iconique » de ses paysages, et de la production de vin en coopérative de petits et moyens propriétaires, notamment en la matière, ceux-ci s’appuient sur la réputation du terroir de la colline de Kaefferkopf, qui bénéficie de la part de l’Etat de la reconnaissance d’un label particulier et du classement en « grand cru ».

En outre, sur le ban de la commune, on trouve aussi le lieu-dit des « Trois-Epis », où les catholiques locaux ont développé une tradition de pèlerinage à la Vierge Marie depuis la fin de la terrible Guerre de Trente Ans au XVIIème siècle, et où la MGEN (Mutuelle Générale de l’Education Nationale) a installé un vaste centre médical de repos des personnes en suivi d’opération chirurgicales ou nécessitant une hospitalisation de convalescence.

La communauté de ce village n’est donc absolument pas marginalisée, on peut même dire qu’il s’agit ici d’un exemple presque caricatural de campagne développée avec un certain succès par l’intégration capitaliste.

C’est peut-être une des raisons qui a poussé Parick Binder à choisir ce village pour illustrer l’affiche de sa campagne électorale en 2010. Mais ceux sont justement aussi ces mêmes raisons qui ont produit de l’incompréhension et le rejet de la part d’une partie significative de la population et notamment de sa jeunesse.

La jeunesse de ce village a refusé en effet le discours intolérant et nationaliste du FN de manière créative et expressionniste en produisant une chanson explicitement engagée dans une perspective populaire, festive, joyeuse, assumant le métissage et la culture alsacienne, le vivre ensemble dans un esprit de paix, parce que les thèses de dénonciation populistes du FN contre la « mondialisation », l’immigration ou les attaques libérales, n’y faisaient pas écho à la réalité locale.

Il y aurait beaucoup à dire bien sûr à propos des limites de tout cela, notamment la banalisation irresponsable de la consommation d’alcool, d’autant que le « collectif » à l’origine de la chanson a encore produit une autre vidéo faisant l’apologie des « fêtes des caves » et de leur consommation outrancière de vin.

Il faut ajouter sur ce point, qu’à l’origine de la mobilisation, on trouve un jeune propriétaire vigneron justement, Arnaud Geschickt et sa famille. On peut aussi voir encore l’absence de toute vue d’ensemble, une certaine naïveté, tenant aussi sans doute au jeune âge des participants à ce collectif.

Mais ce qui compte, c’est que ces jeunes ont eu raison de se révolter, ils ont été correctement touché par l’esprit populaire, se sont saisi des codes expressionnistes des jeunes des villes dans leur style, ont développé grâce à leur niveau d’éducation et leurs valeurs une volonté d’exprimer politiquement et rationnellement le rejet de l’extrême droite.

Dommage qu’ils le fassent, par conséquent, sur une base petite bourgeoise, d’un village d’une campagne que l’on pourrait percevoir « heureuse » échappant partiellement à l’esprit décadent, compétitif et agressif dans lequel baigne plus souvent et plus complètement la jeunesse des métropoles alsaciennes comme Mulhouse ou Strasbourg particulièrement.

Pourtant, Ammerschwihr est aussi une campagne cernée par la production massive d’alcool, exposée aux pesticides, où malgré tout l’ennui, le désœuvrement pousse à la consommation d’alcool, de drogues comme le cannabis ou les drogues de synthèses et où existe et se développe aussi la violence dans les familles.

La base depuis laquelle ces jeunes défient musicalement le FN est donc fragile, il ne faut pas aller bien loin d’Ammerschwihr pour rencontrer une jeunesse alsacienne malheureusement plus travaillée par le nationalisme et les idéologies d’extrême droite.

Bien entendu, tout cela n’était pas le propos visé par cette chanson et cette mobilisation. Mais cela explique le fait qu’elle ait été finalement et malheureusement vaine. Le groupe réuni par cette expérience n’a pas su approfondir sa démarche collective, s’engager dans le long terme, générer un organisme de lutte sur la base de l’espace qu’il a réussi à ouvrir et c’est finalement volatilisé en l’absence de vocation à durer.

Toutefois, cet exemple souligne l’importance pour les gens de gauche de prendre le temps d’étudier le terrain dans lequel vit notre peuple, autour de soi et dans la situation générale de notre société, de relever les choses qui vont dans le bon sens, d’encourager les espaces d’expression démocratiques et populaires aspirant à se libérer du carcan étouffant de la société bourgeoise.

Et de le faire en mesurant les bases, les limites, les perspectives et les faiblesses de ces expressions, non pour les rejeter, mais les faire progresser, les renforcer, vers la démocratie, en élevant le niveau de conscience de chaque personne en partant du réel et le niveau d’engagement du plus grand nombre.

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Le manifeste contre l’antisémitisme de Phillipe Val

L’antisémitisme est le socialisme des imbéciles ; au-delà du préjugé raciste, il y a une sorte de vision du monde, complotiste par incapacité à comprendre et donc dénoncer le capitalisme.

Que ce socialisme des imbéciles ait très largement contaminé la « gauche de la gauche » ces dernières années est une simple évidence. A défaut de contenu, il y a l’agitation vaine et stérile, qui a d’autant besoin de symbolisme, de raccourci, de populisme.

Que lors de l’occupation de Sciences Po ces jours derniers quelqu’un pavoisait au-dessus de l’entrée avec un drapeau palestinien, à côté du drapeau de Sciences Po barré d’un « A » cerclé, en dit long sur la vacuité des idées, les mensonges intellectuels, avec les allusions antisémites permanentes à différents degrés.

Là où il n’y a pas d’idées, de principes, de normes à Gauche, il y a l’antisémitisme, plus ou moins masqué, mais inévitable pour sa dimension de critique de « l’argent » : c’est la critique du capitalisme qui refuse d’aller jusqu’au bout et voit en quelque sorte un bon et un mauvais capitalisme.

On peut donc regretter de nombreux points dans le « manifeste de l’antisémitisme » écrit par Philippe Val et signé par 300 personnalités. Cependant, c’est le prix à payer pour la Gauche pour avoir laissé se développer une extrême-gauche universitaire populiste, opposé aux traditions de la Gauche, arc-bouté sur des raccourcis intellectuels et sur l’ethno-différentialisme, la théorie du genre et autres « modernités » américaines issues des lubies délirantes de philosophes français comme Gilles Deleuze ou Michel Foucault.

De plus, Phillipe Val –  à Charlie Hebdo comme rédacteur en chef (1992-2004), directeur de publication (2004-2009), puis responsable de  France Inter (2009-2014) – tape justement là où cela fait mal : le populisme outrancier d’une partie historique de la Gauche face aux préjugés des immigrés.

Ceux-ci venaient pourtant de pays arriérés dans le développement de la civilisation, ils étaient imbibés des valeurs patriarcales, moyen-âgeuses, religieuses – superstitieuses. Il fallait se battre naturellement pour leurs droits, pas en faire une figure révolutionnaire – pour la Gauche, ce sont les ouvriers qui sont la figure révolutionnaire, pas les marginaux, les immigrés, les banlieues, les gays et les lesbiennes, etc. etc.

On voit ici comment une extrême-gauche étudiante, « gauchiste », a cherché à manipuler des forces sociales pour briser la Gauche historique… Avec succès. Et avec comme résultat également ce fait qu’il faut bien constater : il existe « une épuration ethnique à bas bruit », conséquence d’un antisémitisme populaire fortement ancré, par l’intermédiaire de la religion musulmane.

Car les religions divisent et sont des superstitions : il faut s’en débarrasser. Le manifeste n’est pas de Gauche : il appelle la religion musulmane à se réformer. C’est une absurdité. Et une incompréhension de l’antisémitisme comme socialisme des imbéciles.

Et un refus d’unifier totalement le peuple, ce qui est le rôle de la Gauche.

L’antisémitisme n’est pas l’affaire des Juifs, c’est l’affaire de tous. Les Français, dont on a mesuré la maturité démocratique après chaque attentat islamiste, vivent un paradoxe tragique. Leur pays est devenu le théâtre d’un antisémitisme meurtrier. Cette terreur se répand, provoquant à la fois la condamnation populaire et un silence médiatique que la récente marche blanche a contribué à rompre.

Lorsqu’un Premier ministre à la tribune de l’Assemblée nationale déclare, sous les applaudissements de tout le pays, que la France sans les Juifs, ce n’est plus la France, il ne s’agit pas d’une belle phrase consolatrice mais d’un avertissement solennel : notre histoire européenne, et singulièrement française, pour des raisons géographiques, religieuses, philosophiques, juridiques, est profondément liée à des cultures diverses parmi lesquelles la pensée juive est déterminante.

Dans notre histoire récente, onze Juifs viennent d’être assassinés – et certains torturés – parce que Juifs, par des islamistes radicaux.

Pourtant, la dénonciation de l’islamophobie – qui n’est pas le racisme anti-Arabe à combattre – dissimule les chiffres du ministère de l’Intérieur : les Français juifs ont 25 fois plus de risques d’être agressés que leurs concitoyens musulmans.

10 % des citoyens juifs d’Ile-de-France – c’est-à-dire environ 50 000 personnes – ont récemment été contraints de déménager parce qu’ils n’étaient plus en sécurité dans certaines cités et parce que leurs enfants ne pouvaient plus fréquenter l’école de la République.

Il s’agit d’une épuration ethnique à bas bruit au pays d’Émile Zola et de Clemenceau.

Pourquoi ce silence ?

Parce que la radicalisation islamiste – et l’antisémitisme qu’il véhicule – est considérée exclusivement par une partie des élites françaises comme l’expression d’une révolte sociale, alors que le même phénomène s’observe dans des sociétés aussi différentes que le Danemark, l’Afghanistan, le Mali ou l’Allemagne…

Parce qu’au vieil antisémitisme de l’extrême droite, s’ajoute l’antisémitisme d’une partie de la gauche radicale qui a trouvé dans l’antisionisme l’alibi pour transformer les bourreaux des Juifs en victimes de la société. Parce que la bassesse électorale calcule que le vote musulman est dix fois supérieur au vote juif.

Or à la marche blanche pour Mireille Knoll, il y avait des imams conscients que l’antisémitisme musulman est la plus grande menace qui pèse sur l’islam du XXIème siècle et sur le monde de paix et de liberté dans lequel ils ont choisi de vivre. Ils sont, pour la plupart, sous protection policière, ce qui en dit long sur la terreur que font régner les islamistes sur les musulmans de France.

En conséquence, nous demandons que les versets du Coran appelant au meurtre et au châtiment des juifs, des chrétiens et des incroyants soient frappés d’obsolescence par les autorités théologiques, comme le furent les incohérences de la Bible et l’antisémite catholique aboli par Vatican II, afin qu’aucun croyant ne puisse s’appuyer sur un texte sacré pour commettre un crime.

Nous attendons de l’islam de France qu’il ouvre la voie. Nous demandons que la lutte contre cette faillite démocratique qu’est l’antisémitisme devienne cause nationale avant qu’il ne soit trop tard. Avant que la France ne soit plus la France. »

La liste des signataires

Charles Aznavour ; Françoise Hardy ; Pierre Arditi ; Elisabeth Badinter ; Michel Drucker ; Sibyle Veil ; François Pinault ; Eric-Emmanuel Schmitt ; Marceline Loridan-Ivens ; Radu Mihaileanu ; Elisabeth de Fontenay ; Nicolas Sarkozy ; Pascal Bruckner ; Laure Adler ; Bertrand Delanoë ; Manuel Valls ; Michel Jonasz ; Xavier Niel ; Jean-Pierre Raffarin ; Gérard Depardieu ; Renaud ; Pierre Lescure ; Francis Esménard ; Mgr Joseph Doré ; Grand Rabbin Haïm Korsia ; Imam Hassen Chalghoumi ; Carla Bruni ; Boualem Sansal ; Imam Aliou Gassama ; Annette Wieviorka ; Gérard Darmon ; Antoine Compagnon ; Mofti Mohamed ali Kacim ; Bernard Cazeneuve ; Bernard-Henri Lévy ; Philippe Val ; Zabou Breitman ; Waleed al-Husseini ; Yann Moix ; Xavier De Gaulle ; Joann Sfar ; Julia Kristeva ; François Berléand ; Olivier Guez ; Jeannette Bougrab ; Marc-Olivier Fogiel ; Luc Ferry ; Laurent Wauquiez ; Dominique Schnapper ; Daniel Mesguich ; Laurent Bouvet ; Pierre-André Taguieff ; Jacques Vendroux ; Georges Bensoussan ; Christian Estrosi ; Brice Couturier ; Imam Bouna Diakhaby ; Eric Ciotti ; Jean Glavany ; Maurice Lévy ; Jean-Claude Casanova ; Jean-Robert Pitte ; Jean-Luc Hees ; Alain Finkielkraut ; Père Patrick Desbois ; Aurore Bergé ; François Heilbronn ; Eliette Abécassis ; Bernard de la Villardière ; Richard Ducousset ; Juliette Méadel ; Daniel Leconte ; Jean Birenbaum ; Richard Malka ; Aldo Naouri ; Guillaume Dervieux ; Maurice Bartelemy ; Ilana Cicurel ; Yoann Lemaire ; Michel Gad Wolkowicz ; Olivier Rolin ; Dominique Perben ; Christine Jordis ; David Khayat ; Alexandre Devecchio ; Gilles Clavreul ; Jean-Paul Scarpitta ; Monette Vacquin ; Christine Orban ; Habib Meyer ; Chantal Delsol ; Vadim Sher ; Françoise Bernard ; Frédéric Encel ; Christiane Rancé ; Noémie Halioua ; Jean-Pierre Winter ; Jean-Paul Brighelli ; Marc-Alain Ouaknin ; Stephane Barsacq ; Pascal Fioretto ; Olivier Orban ; Stéphane Simon ; Laurent Munnich ; Ivan Rioufol ; Fabrice d’Almeida ; Dany Jucaud ; Olivia Grégoire ; Elise Fagjeles ; Brigitte-Fanny Cohen ; Yaël Mellul ; Lise Bouvet ; Frédéric Dumoulin ; Muriel Beyer ; André Bercoff ; Aliza Jabes ; Jean-Claude Zylberstein ; Natacha Vitrat ; Paul Aidana ; Imam Karim ; Alexandra Laignel-Lavastine ; Lydia Guirous ; Rivon Krygier ; Muriel Attal ; Serge Hefez ; Céline Pina ; Alain Kleinmann ; Marie Ibn Arabi-Blondel ; Michael Prazan ; Jean-François Rabain ; Ruth Aboulkheir ; Daniel Brun ; Paul Aidane ; Marielle David ; Catherine Kintzler ; Michèle Anahory ; Lionel Naccache ; François Ardeven ; Thibault Moreau ; Marianne Rabain-Lebovici ; Nadège Puljak ; Régine Waintrater ; Michèle Anahory ; Aude Weill-Raynal ; André Aboulkheir ; Elsa Chaudun ; Patrick Bantman ; Ruben Rabinovicth ; Claire Brière-Blanchet ; Ghislaine Guerry ; Jean-Jacques Moscovitz ; André Zagury ; François Ardeven ; Estelle Kulich ; Annette Becker ; Lilianne Lamantowicz ; Ruth Aboulkheir ; Christine Loterman ; Adrien Barrot ; Talila Guteville ; Florence Ben Sadoun ; Michèle Anahory ; Paul Zawadzki ; Serge Perrot ; Patrick Guyomard ; Marc Nacht ; André Aboulkheir ; Laurence Bantman ; Josiane Sberro ; Anne-Sophie Nogaret ; Lucile Gellman ; Alain Bentolila ; Janine Atlounian ; Claude Birman ; Danielle Cohen-Levinas ; Laurence Picard ; Sabrina Volcot-Freeman ; Gérard Bensussan ; Françoise-Anne Menager ; Yann Padova ; Evelyne Chauvet ; Yves Mamou ; Naem Bestandji ; Marc Knobel ; Nidra Poller ; Brigitte-Fanny Cohen ; Joelle Blumberg ; Catherine Rozenberg ; André Aboulkheir ; Caroline Bray-Goyon ; Michel Tauber ; André Zagury ; Laura Bruhl ; Eliane Dagane ; Paul Zawadzki ; Michel Bouleau ; Marc Zerbib ; Catherine Chalier ; Jasmine Getz ; Marie-Laure Dimon ; Marion Blumen ; Simone Wiener ; François Cahen ; Richard Metz ; Daniel Draï ; Jacqueline Costa-Lascoux ; Stéphane Lévy ; Arthur Joffe ; Antoine Molleron ; Liliane Kandel ; Stéphane Dugowson ; David Duquesne ; Marc Cohen ; Michèle Lévy-Soussan ; Frédéric Haziza ; Martine Dugowson ; Jonathan Cohen ; Damien Le Guay ; Patrick Loterman ; Mohamed Guerroumi ; Wladi Mamane ; William de Carvalho ; Brigitte Paszt ; Séverine Camus ; Solange Repleski ; André Perrin ; Sylvie Mehaudel ; Jean-Pierre Obin ; Yael Mellul ; Sophie Nizard ; Richard Prasquier ; Patricia Sitruk ; Renée Fregosi ; Jean-Jacques Rassial ; Karina Obadia ; Jean-Louis Repelski ; Edith Ochs ; Jacob Rogozinski ; Roger Fajnzylberg ; Marie-Helène Routisseau ; Philippe Ruszniewski ; André Senik ; Jean-François Solal ; Paule Steiner ; Jean-Benjamin Stora ; Anne Szulmajster ; Maud Tabachnik ; Daniel Tchenio ; Julien Trokiner ; Fatiha Boyer ; Cosimo Trono ; Henri Vacquin ; Caroline Valentin ; Alain Zaksas ; Slim Moussa ; Jacques Wrobel ; Roland Gori ; Nader Alami ; Céline Zins ; Richard Dell’Agnola ; Patrick Beaudouin ; Barbara Lefebvre ; Jacques Tarnéro ; Georges-Elia Sarfat ; Lise Boëll ; Jacques Wrobel ; Bernard Golse ; Céline Boulay-Esperonnier ; Anne Brandy ; Imam Karim ; Sammy Ghozlan.

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Georges Bernanos et les héros du ghetto de Varsovie

Georges Bernanos a écrit un texte intitulé « L’honneur est ce qui nous rassemble », qui devait servir de préface à un ouvrage collectif sur le ghetto de Varsovie. Cet ouvrage n’est jamais paru et le texte a été retrouvé dans les archives de Georges Bernanos.

C’est un texte exemplaire, car Georges Bernanos vient de l’Action française et du catholicisme ultra ; il dénonçait Adolf Hitler comme quelqu’un incapable d’un vrai antisémitisme et qui se plierait bientôt aux ordres de la « banque juive ».

La seconde guerre mondiale ébranla profondément – autant que qu’un catholique voyant en la banque la source du mal dans une société devant être spirituelle – Georges Bernanos, qui ne pouvait cautionner quelque chose sortant entièrement du cadre de son romantisme spiritualiste.

Il est, en ce sens, profondément représentatif d’une attitude très française par rapport à l’antisémitisme, qui consiste en une méfiance et en un mépris dédaigneux n’hésitant pas au rejet dégoûté, mais considérant comme indigne de basculer dans la brutalité ou le populisme.

L’HONNEUR EST CE QUI NOUS RASSEMBLE

J’écris ces pages en mémoire de Georges Torres, ami de mon fils Michel, parti du Brésil avec lui pour rejoindre les armées de la France Libre et qui, dans l’enthousiasme et la naïveté de ses vingt ans, croyait devoir quelque chose à mes livres et à moi-même, alors qu’il était déjà écrit que je devrais rester au contraire pour toujours débiteur envers lui de sa pure et noble mort.

Georges Torrès était juif, juif comme un certain nombre d’amis de mes livres dont l’affection paraîtra peu croyable à certains esprits malheureux dont la besogne n’est que de classer ce qui échappe à tout classement comme un fou qui prétendrait puiser de l’eau dans un filet à papillons.

Il est vrai que la Religion, la Race, la Nation permettent de «situer» les hommes ainsi qu’un objet dans les trois dimensions de l’espace.

Mais, précisément, l’analyse mathématique démontre l’existence d’une quatrième dimension où se rencontrent les parallèles, où l’hyperbole finit par retourner à son point de départ comme un grand oiseau migrateur à son nid d’un autre printemps.

L’honneur n’est pas toujours ce qui nous unit, mais il est toujours ce qui nous rassemble.

En présentant ce livre au public français, je voudrais m’acquitter envers les morts, mais aussi envers les vivants. Je crois avoir quelque chose à dire sur les morts juifs, sur les innombrables morts juifs, sur les immenses charniers juifs de cette guerre, et je le dirai aussi clairement que je le pourrai.

Ayant écrit La Grande peur des bien-pensants, je passe pour antisémite et je ne saurai m’en indigner sans hypocrisie puisque le livre dont je viens de parler est consacré à mon vieux maître Edouard Drumont.

Le mot d’antisémite est mal né, un mot qui devait tôt ou tard, comme le disent les bonnes gens « mal tourner », à l’exemple de tous ceux qu’on a formés sans grande dépense de jugement ni d’imagination, grâce à la particule prépositive anti. Hélas ! il n’est pas de mot venu du vocabulaire qui ne soit capable de diviser les hommes au point de les faire se haïr, mais il n’est d’honorable que ceux-là qui, le jour venu, sont capables de les réconcilier.

Le mot d’antisémite n’a évidemment pas en lui cette vertu. Mais Drumont ne l’a pas inventé, ni délibérément choisi.

Drumont était par naissance et par goût un homme de bibliothèque, une homme d’étude, un historien, et comme tel sans défense contre la foule. La foule s’est emparée de lui, l’a roulé dans son tumulte comme une pierre, puis est allée porter ailleurs ses applaudissements et des huées. Le mot d’antisémite n’est pas un mot d’historien, c’est un mot de foule, un mot de masse, et le destin de pareils mots est de ruisseler, tôt ou tard, de sang innocent.

Je comprends bien qu’en tête de ces pages le nom de Drumont fasse scandale. Le mien ne fera pas moins scandale à la fin, qu’importe ?

Ce double scandale n’est pas inutile, je le crois. Il donne son vrai sens au témoignage que je vais porter.

Ayant décidé de rendre, selon mes forces, justice à des mémoires héroïques, je ne vais pas à elles sous un déguisement quelconque, je vais à elles tel que je suis, sans rien renier de moi-même, de mes amis, des mes maîtres, de mon passé, tel que beaucoup de juifs me connurent et, me connaissant, m’accordèrent librement leur confiance et leur amitié.

Il est certain que ce livre aura un très grand nombre de lecteurs juifs dont la susceptibilité légendaire se trouve encore exaspérée aujourd’hui par d’affreuses, d’inénarrables preuves, mais je ne crois tout de même pas que ce soit d’abord pour eux que ce livre est écrit, que mon modeste témoignage est rendu. Je ne crois pas, personne n’est capable de croire, que les héros du ghetto de Varsovie se soient sacrifiés dans le seul but de rendre l’orgueil de leur de leur race à ceux qui ne l’ont d’ailleurs jamais perdu.

Il est permis de penser, au contraire, que leur silencieux message s’adresse précisément à ceux du dehors, à ceux qui, jugeant Israël non pas sur ses qualités ou ses défauts que sur son extraordinaire, son unique aventure à travers l’Histoire, refusent de nier lâchement un problème dont l’importance se mesure aux effroyables sacrifices humains qu’il a coûtés ; bref, il s’adresse à ceux qui – pour tout résumer en peu de mots – se sentent incapables de soutenir, contre l’évidence, aux applaudissements des imbéciles confirmés ainsi ; dans leur sécurité d’imbéciles, que le peuple juif est un peuple absolument pareil aux autres, un peuple moyen formé d’hommes moyens, tenant dans le passé une place moyenne.

Au temps de ma jeunesse, il était de bon ton, en effet, de nier qu’il y eût un problème juif, mais ces pudeurs académiques n’ont pas empêché Hitler de poser le problèmes à sa manière, avec l’immense majorité de peuple allemand pour complice.

Qui eût osé prédire, en ces années déjà lointaines, qu’un demi-siècle plus tard, une jeunesse juive enthousiaste, sur la terre même de ses aïeux et sous son propre étendard, défierait l’immense monde arabe, et ferait plier, à deux reprises, la volonté de l’Angleterre ?

Qu’en ces derniers temps, Israël ait été une fois de plus broyé comme le grain sous la meule, comme le raisin dans le pressoir, le fait n’a rien qui puisse surprendre.

Depuis deux mille ans, c’est bien ainsi que par une espèce de substitution formidable, il nous apparaît sous les traits de celui qu’il vit lui-même un jour, au seuil du prétoire de Pilate, le visage défiguré par les coups, sa robe blanche trempée du sang de la flagellation : Ecce Homo…

Mais il semble bien que cette dernière expérience ne sera pas renouvelée, que la preuve est faite désormais qu’aucune persécution n’est capable d’en finir avec un peuple dont le génie est précisément de lasser la patience et d’épuiser l’imagination des bourreaux.

Les charniers refroidissent lentement, la dépouille des martyrs retourne à la terres, l’herbe avare et les ronces recouvrent le sol impur où tant de moribonds ont sué leur dernière sueur, les fours crématoires eux-mêmes s’ouvrent béants et vides sur les matins et sur les soirs, mais c’est bien loin maintenant de l’Allemagne, c’est aux rives du Jourdain que lève la semence des héros du ghetto de Varsovie.

Ce qui a au cours des siècles opposé le monde chrétien au monde juif n’est sans doute qu’un malentendu, mais c’est un malentendu fonda-mental, et qui en pénétrerait le sens connaîtrait du même coup, peut-être, la signification totale de l’Histoire.

Autre chose est de haïr, autre chose est de méconnaître, et si nous avions le courage d’aller au-delà des apparences, nous devrions sans doute convenir que le plus grand malheur d’Israël n’est pas d’avoir été si constamment haï, c’est d’avoir été non moins constamment méconnu et de n’avoir été méconnu que pour s’être méconnu lui-même.

Dans l’extraordinaire récit qu’on va lire, on remarquera qu’une grande partie de la population du ghetto s’est presque jusqu’au bout refusée à organiser la lutte.

Oh, certes on peut dire que ce fut par crainte, ou même par simple bon sens, car il était clair qu’une poignée de héros n’avait aucune chance d’affronter la Wehrmacht avec quelque espoir de succès.

Mais je crois aussi que, le sachant ou sans le savoir, les opposants à l’insurrection obéissaient à une vieille conception juive de l’honneur, très étrangère à notre sensibilité, conformant ainsi leur attitude à l’attitude immémoriale dé leurs pères, depuis la dispersion.

L’honneur juif en effet, depuis deux mille ans, n’est pas de résister par la force, mais par la Patience, par tous les moyens de la patience, car le but que se propose, que s’est toujours proposé ce peuple impérissable n’est pas de vaincre, mais de durer ; c’est de la durée qu’il attend le salut. Qu’Israël dure, et le Très-Haut vaincra pour lui.

En attendant, l’honneur, c’est de rester juif et de faire des enfants juifs, d’en faire assez pour que tous les pogroms ne puissent anéantir ce que Dieu a ordonné de conserver.

L’honneur n’est pas de venger les morts, c’est-à-dire d’en grossir autant le nombre, car Israël veut vivre et non pas mourir. Israël aime la vie d’un amour farouche tout en la blasphémant sans cesse, son Dieu est celui des vivants, non des morts.

Après tout, on oublie trop qu’au temps de Notre Seigneur Jésus-Christ, un grand nombre de Juifs fidèles, parmi les plus instruits, ne croyaient pas à l’immortalité de l’âme.

Voilà ce que la Chrétienté médiévale n’a pas compris. La chrétienté médiévale attachait à sa propre conception de l’honneur une importance capitale.

La lecture de Plutarque ne lui avait même pas révélé qu’il y en eût une autre que la sienne, elle lisait Plutarque avec des yeux chrétiens, c’est ce qui apparaît si clairement chez Amyot. Eût-elle vu plus clair, qu’elle eût d’ailleurs refusé de se poser le problème.

Elle faisait au juif l’injure de le dispenser de l’honneur, et nommément de l’honneur militaire, elle fermait obstinément les yeux sur les causes réelles de la survivance du peuple juif à travers l’Histoire, sur la fidélité à lui-même, à sa loi, à ses ancêtres, fidélité qui avait pourtant de quoi émouvoir son âme.

Parce que cette fidélité n’était pas une fidélité militaire, de tradition et d’esprit militaire, elle maintenait le juif hors d’une fraternité militaire dont n’était même pas exclu l’Infidèle. Et le juif devait nécessairement s’accommoder d’une telle exclusion, s’y installer, en tirer profit. Ainsi le malentendu n’a cessé de s’aggraver au cours des âges.

Certains peuples conquis par les armes, puis assimilés au point de disparaître comme peuples, laissaient une mémoire glorieuse simplement parce qu’ils n’avaient capitulé qu’après s’être battus, qu’ils avaient fait une capitulation militaire.

Au lieu que le peuple juif battu sans combat, mais jamais assimilé, n’obtenait’ rien de plus (qu’une espèce de curiosité indifférente. Il est vrai qu’il ne demandait rien de plus, puisqu’il lui suffisait de survivre, fût-ce dans l’injustice et le mépris, jus-qu’à ce que l’ombre du Très-Haut couvrît la terre — Dispersit superbos.

Oui, voilà ce que nous n’avons pas nous-mêmes toujours compris. Si l’honneur pour un peuple n’est pas de vaincre mais de subsister coûte que coûte jusqu’au jour certain, inéluctable, où Dieu doit triompher à sa place, il n’est pas équitable de le juger selon les règles de l’honneur chevaleresque…

Je me souviens du soir où l’enfant magnifique auquel j’ai dédié ces pages me parlait coeur à coeur, m’ouvrait son coeur, tandis que l’encens d’une soirée tropicale entrait à flots par la fenêtre ouverte. Il me parlait de sa famille, de ses amis, de certaines expériences qui avaient blessé profondément une sensibilité précocement douloureuse.

Son départ pour Londres lui apparaissait comme la voie du salut, son destin passait par Londres… «Je leur montrerai, me dit-il tout à coup, comment un luit peut se battre.» Et ce «leur» mystérieux prenait dans sa bouche un accent de sérieux enfantin qui me frappa le coeur d’un pressentiment funèbre.

Oh! sans doute, l’enfant que j’avais là devant moi ressemblait comme un frère à n’importe quel jeune garçon de bonne race que tentent le risque. et l’honneur, mais son enthousiasme trop réfléchi, volontaire, avait aussi je ne sais quoi de blessé, comme certains rires une imperceptible fêlure.

Le regard qui me fixait posait une question à laquelle je n’osais pas répondre. Mais les héros de Varsovie et lui-même ont depuis répondu pour moi.

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Le ghetto de Varsovie et la chanson yiddish « Zog Nit Keynmol »

La chanson Ne dis jamais (Zog Nit Keynmol) est une chanson écrite en 1943 par un habitant du ghetto de Vilnius, Hirsch Glick, qui l’a écrite suite au soulèvement du ghetto de Varsovie. Elle est devenue un hymne des survivants de la shoah après avoir été un des chants de partisans juifs en Europe.

Ne dis jamais

Ne dis jamais que c’est ton denier chemin

Malgré les cieux de plomb qui cachent le bleu du jour

Car sonnera pour nous l’heure tant attendue

Nos pas feront retentir ce cri : nous sommes là

Le soleil illuminera notre présent

Les nuits noires disparaîtront avec l’ennemi

Et si le soleil devait tarder à l’horizon

Ce chant se transmettra comme un appel

Ce chant n’a pas été écrit avec un crayon mais avec du sang

Ce n’est pas le chant d’un oiseau en liberté :

Un peuple entouré de murs qui s’écroulent

l’a chanté, le nagan [pistolet soviétique] à la main

Du vert pays des palmiers jusqu’au pays des neiges blanches

Nous arrivons avec nos souffrances et nos douleurs

Et là où est tombé la plus petite goutte de sang

Jaillira notre héroïsme et notre courage

C’est pourquoi ne dis jamais que c’est ton dernier chemin

Malgré les cieux de plomb qui cachent le bleu du jour

Car sonnera pour nous l’heure tant attendue

Nos pas feront retentir ce cri : nous sommes là.

 

Zog Nit Keynmol

Zog nit keynmol az du gayst dem letzten veg,

Ven himlen blayene farshteln bloye teg;

Vayl kumen vet noch undzer oysgebenkte shuh,

Es vet a poyk tun undzer trot – mir zaynen do!

Es vet di morgenzun bagilden undz dem haynt,

Un der nechten vet farshvinden mitn faynt;

Nor oyb farzamen vet di zun in dem ka-yor,

Vi a parol zol geyn dos leed fun door tzu door.

Geshriben iz dos leed mit blut und nit mit bly,

S’iz nit keyn leedl fun a foygel oyf der fry;

Dos hut a folk tzvishen falendi-ke vent,

Dos leed gezungen mit naganes in di hent.

Fun grinem palmenland biz land fun vaysen shney,

Mir kumen un mit undzer payn, mit undzer vey;

Un voo gefalen iz a shpritz fun undzer blut,

Shpritzen vet dort undzer gvure, undzer mut.

Zog nit keyn mol az du gayst dem letzten veg,

Ven himlen blayene farshteln bloye teg;

Kumen vet noch undzer oysgebenkte shuh,

Es vet a poyk tun undzer trot — mir zaynen do.

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Culture

Curzio Malaparte dans le ghetto de Varsovie

Dans l’immense Kaputt, Curzio Malaparte retrace son expérience terriblement douloureuse pour son esprit, sans sensibilité, de la cruauté nazie, de la barbarie raffinée et sans bornes. Lui qui avait rejoint, par idéalisme, la cause fasciste qu’il espérait à la fois social et élevant le niveau de la civilisation, est confronté à l’échec dans l’ignominie la plus complète.

« Il y a une sorte d’avilissement voulu dans l’arrogance et la brutalité de l’Allemand, un profond besoin d’auto-dénigrement dans son impitoyable cruauté, une fureur d’abjection dans sa « peur » mystérieuse.

J’écoutais les paroles des commensaux avec une pitié et une horreur que je m’efforçais en vain de cacher, quand [le gouverneur nazi de Pologne] Frank, s’apercevant de ma gêne, et peut-être aussi pour me faire participer à son impression d’humiliation morbide, se tourna vers moi avec un sourire ironique et me demanda « Êtes-vous allé voir le ghetto, mein lieber Malaparte? »

J’étais allé, quelques jours plus tôt, dans le ghetto de Varsovie.

J’avais franchi le seuil de la « ville interdite » ceinte de cette haute muraille de briques rouges, que les Allemands ont construite pour enfermer dans le ghetto, comme dans une cage, de misérables fauves désarmés.

A la porte gardée par un peloton de SS armés de mitrailleuses, était collée l’affiche, signée du gouverneur Fischer, menaçant de la peine de mort tout Juif qui se fût risqué à sortir du ghetto.

Dès les premiers pas, tout comme dans les « villes interdites » de Cracovie, de Lublin, de Czenftochowa, j’avais été atterré par le silence de glace qui régnait dans les rues, bondées d’une lugubre population apeurée et déguenillée.

J’avais essayé de parcourir le ghetto tout seul, et de me passer de l’escorte de l’agent de la Gestapo qui me suivait partout comme une ombre ; mais les ordres du gouverneur Fischer étaient sévères, et cette fois-là encore il avait fallu me résigner à la compagnie du Garde Noir, un grand jeune homme blond au visage maigre, au regard clair et froid.

Il avait une figure très belle, avec un front haut et pur que son casque d’acier obscurcissait d’une ombre secrète. Il marchait au milieu des Juifs, comme un Ange du Dieu d’Israël.

Le silence était léger, transparent on eût dit qu’il flottait dans l’air.

Au-dessous de ce silence, on entendait le léger craquement de mille pas sur la neige, semblable à un rince-ment de dents. Intrigués par mon uniforme d’officier italien, les hommes levaient des visages barbus, et me fixaient avec des yeux mis-clos, rougis par le froid, la fièvre et la faim : des larmes brillaient dans les cils et coulaient dans les barbes sales.

S’il m’arrivait, dans la foule, de heurter quelqu’un, je m’excusais, je disais : « prosze Pana «  et celui que j’avais heurté levait la tête et me fixait d’un air de stupeur et d’incrédulité.

Je souriais et je répétais : « prosze Pana », parce que je savais que ma politesse était pour eux quelque chose de merveilleux, qu’après deux années et demie d’angoisse et d’un rebutant esclavage, c’était la première fois qu’un officier ennemi (je n’étais pas un officier allemand, j’étais un officier italien, mais il ne suffisait pas que je ne fusse pas un officier allemand : non, cela ne devait pas suffire) — disait poliment « prosze Pana » à un pauvre Juif du ghetto de Varsovie.

De temps en temps, il me fallait enjamber un mort; je marchais au milieu de la foule sans voir ou je mettais les pieds et, parfois, je trébuchais contre un cadavre étendu sur le trottoir entre les candélabres rituels.

Les morts gisaient, abandonnés dans la neige dans l’attente que le char des « monatti » passât les emporter : mais la mortalité était élevée, les chars peu nombreux, on n’avait pas le temps de les emporter tous, et les cadavres restaient là des jours et des jours, étendus dans la neige entre les candélabres éteints.

Beaucoup gisaient à terre dans les vestibules des maisons, dans les corridors, sur les paliers d’escaliers ou sur des lits dans des chambres bondées d’êtres pâles et silencieux. Ils avaient la barbe souillée de neige et de boue.

Certains avaient les yeux ouverts et regardaient la foule passer, nous suivant longtemps de leur regard blanc. Ils étaient raides et durs : on eût dit des statues de bois.

Des morts juifs de Chagall.

Les barbes semblaient bleues dans les maigres visages rendus livides par le gel et par la mort. D’un bleu si pur qu’il rappelait le bleu de certaines algues marines. D’un bleu si mystérieux qu’il rappelait la mer, ce bleu mystérieux de la mer à certaines heures mystérieuses du jour.

Le silence des rues de la ville interdite ce silence glacial, parcouru, comme par un frisson, de ce léger grincement de dents, m’écrasait à tel point qu’à un certain moment, je commençai à parler tout seul, à haute voix.

Tout le monde se retourna pour me regarder, avec une expression de profond étonnement et un regard apeuré. Alors je me mis à observer les yeux des gens.

Presque tous les visages d’hommes étaient barbus. Les quelques figures glabres que j’apercevais étaient épouvantables tant la faim et le désespoir s’y montraient nus.

La face des adolescents était couverte d’un duvet frisé rougeâtre ou noirâtre sur une peau de cire. Le visage des femmes et des enfants semblait en papier mâché. Et sur toutes ces figures, il y avait déjà l’ombre bleue de la mort.

Dans ces visages couleur de papier gris ou d’une blancheur crayeuse, les yeux semblaient d’étranges insectes fouillant au fond des orbites avec des pattes poilues pour sucer le peu de lumière qui brillait au-dedans.

A mon approche, ces répugnants insectes se mettaient à remuer avec inquiétude et, quittant un instant leur proie, surgissaient du fond des orbites comme du fond d’une tanière, et me fixaient apeurés.

C’étaient des yeux d’une extraordinaire vivacité, les uns brûlés par la fièvre, les autres humides et mélancoliques. Certains luisaient de reflets verdâtres comme des scarabées. D’autres étaient rouges, ou noirs, ou blancs, certains éteints, opaques, et comme ternis par le voile mince de la cataracte.

Les yeux des femmes avaient une courageuse fermeté : elles soutenaient mon regard avec un mépris insolent, puis fixaient en pleine figure le Garde Noir qui m’accompagnait, et je voyais une expression de peur et d’horreur les assombrir tout à coup.

Mais les yeux des enfants étaient terribles, je ne pouvais les regarder.

Sur cette foule noire, vêtue de longs caftans noirs, le front couvert d’une calotte noire, stagnait un ciel d’ouate sale, de coton hydrophile.

Aux carrefours stationnaient des couples de gendarmes juifs, l’étoile de David imprimée en lettres rouges sur leur brassard jaune, immobiles et impassibles au milieu d’un trafic incessant de traîneaux tirés par des troïkas d’enfants, de petites voitures de bébé et de petits « pousse » chargés de meubles, de tas de chiffons, de ferraille, de toutes sortes de marchandises misérables.

Des groupes de gens se rassemblaient de temps en temps à un coin de rue, battant la semelle sur la neige gelée, se tapant les épaules de leurs mains grandes ouvertes, et se serraient, s’étreignaient les uns les autres par dizaines et par vingtaines pour se communiquer un peu de chaleur.

Les lugubres petits cafés de la rue Nalewski, de la rue Przyrynek, de la rue Zarkocaymska étaient bondés de vieillards barbus debout, silencieux, serrés les uns contre les autres, peut-être pour se réchauffer, peut-être pour se donner du courage, comme font les bêtes.

Quand nous nous montrions sur le seuil, ceux qui se trouvaient prêts de la porte se rejetaient en arrière, apeurés. On entendait quelques cris d’effroi, quelques gémissements, puis le silence revenait, coupé seulement par le halètement des poitrines, ce silence de bêtes résignées à mourir.

Toux fixaient le Garde Noir qui me suivait. Tous fixaient son visage df’Ange, ce visage que tous reconnaissaient, que tous avaient vu cent fois briller parmi les oliviers près des portes de Jéricho, de Sodome, de Jérusalem.

Ce visage d’Ange annonciateur de la colère de Dieu.

Alors je souriais, je disais « prosze Pana » à ceux que je heurtais involontairement en entrant ; et je vais que ces paroles un don merveilleux.

Je disais en souriant « prosze Pana » et je voyais autour de moi, sur ces visages de papier sale, naître un pauvre sourire de stupeur, de joie, de gratitude. Je disais « prosze Pana » et je souriais.

Des équipes de jeunes faisaient le tour des rues pour ramas-ser les morts. Ils entraient dans les vestibules, montaient les escaliers, pénétraient dans les pièces. Ces jeunes « monatti » étaient en grande partie des étudiants.

La plupart venaient de Berlin, de Munich, et de Vienne ; d’autres avaient été déportés de Belgique, de France, de Hollande ou de Roumanie. Beaucou, naguère, étaient riches et heureux, habitaient une belle maison, avaient grandi parmi des meubles de luxe, de tableaux anciens, des livres, des instrutnents de musique, de l’argenterie précieuse et de fragiles bibelots maintenant ils se traînaient péniblement dans la neige, les pieds entortillés dans des loques et les vêtements en Lambeaux.

Ils parlaient français, bohémien, roumain, ou le doux allemand de Vienne. C’étaient de jeunes intellectuels élevés dans les meilleures Universités d’Europe.

Ils étaient déguenillés, affamés, dévorés de parasites, encore tout endoloris des coups, des insultes, des souffrances endurés dans les camps de concentration et au cours de leur terrible odyssée de Vienne, de clin, de Munich, de Paris, de Prague ou Bucarest jusqu’au ghetto de Varsovie, mais une belle lumière éclairait leur visage : on lisait dans leurs yeux une volonté juvénile de s’entraider, de secourir l’immense misère de leur peuple, dans leurs yeux et dans leur regard un défi noble et résolu.

Je m’arrêtais et les regardais accomplir leur œuvre de pitié. Je leur disais à voix basse en français : « Un jour vous serez libres. Vous serez heureux un jour et libres ». Les jeunes « monatti » relevaient la tête et me considéraient en souriant.

Puis, lentement, ils tournaient les yeux sur le Garde Noir qui me suivait comme une ombre, fixaient leur regard sur l’Ange au beau visage cruel, l’Ange des Écritures, annonciateur de mort, et se penchaient sur les corps étendus le long du trottoir — approchant leur sourire heureux de la face bleue des morts.

Ils soulevaient ces morts avec délicatesse, comme s’ils eussent soulevé une statue de bois. Ils les déposaient sur des chars traînés par des équipes de jeunes gens hâves et déguenillés — et la neige gardait l’empreinte des cadavres, avec ces taches jaunâtres, effroyables et mystérieuses, que les morts laissent sur tout ce qu’ils touchent.

Des bandes de chiens osseux venaient renifler l’air derrière les funèbres convois, et des troupes d’enfants loqueteux, la figure marquée par la faim, l’insomnie et la peur, ramassaient dans la neige les guenilles, les morceaux de papier, les pots vides, les pelures de pommes de terre, toutes ces précieuses épaves que misère, la faim et la mort laissent toujours derrière elles.

De l’intérieur des maisons, j’entendais parfois s’élever un chant faible, une plainte monotone qui cessaient aussitôt que j’apparaissais sur le seuil.

Une odeur indéfinissable de saleté, de vêtements mouillés, de chair morte imprégnait l’air des pièces lugubres où des foules misérables de vieillards de femmes et d’enfants vivaient entassées comme des prisonniers : les uns assis par terre, les autres debout, adossés au mur, certains étendus sur des tas de paille et de papier Lee malades, les moribonds, les morts, gisaient sur les lits.

Tous se taisaient brusquement, me regardant et regardanr l’Ange qui me suivait. »

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Politique

75e anniversaire du soulèvement du ghetto de Varsovie

Il y a 75 ans, jour pour jour, débutait le soulèvement du ghetto de Varsovie. Le 19 avril 1943, la veille de Pessa’h (pâque juive), deux milles policiers allemands et SS entrent dans le ghetto afin de le détruire.

Face à eux s’opposent quelques centaines de personnes : des membres de l’organisation juive de combat (Żydowska Organizacja Bojowa ou ŻOB), de l’union militaire juive (Żydowski Związek Wojskowy ou ŻZW) et quelques hommes de l’armée de l’intérieur (Armia Krajowa – mouvement polonais non juif contrairement aux deux premières organisations) qui fournira également des armes.

L’opération devait durer trois jours, elle durera jusqu’au 16 mai 1943. Le ghetto fut rasé et les survivants envoyés dans des camps de concentration (Poniatowa et Trawniki), d’extermination (Treblinka et Majdanek).

Le ghetto de Varsovie était le plus important ghetto juif au sein de l’Europe nazie. Construit en 1940, il sera donc détruit trois ans plus tard. Le ghetto sera qualifié de « zone de contagion » par l’occupant nazi, les lois de plus en plus dures à l’égard des personnes juives (qui seront obligées de venir y vivre), et les conditions de plus en plus catastrophiques.

Il comptera jusqu’à 400 000 habitants qui devront survivre dans une zone de 3,3km². Les conditions de vie y sont terribles : insalubrité, malnutrition… Les épidémies frappent et font beaucoup de mort.

Entre le 23 juillet et le 21 septembre 1942, entre 4 et 7 000 personnes juives seront déportées quotidiennement vers le camp de Treblinka. Personne ne sait au début que ces personnes partent vers un camp d’extermination. Entre 250 et 300 000 mourront à Treblinka durant ces huit semaines.

Les déportations reprirent en janvier 1943, après plusieurs mois de calme, et les premières actions de résistance armées et organisées eurent lieu. La ŻOB et la ŻZW subirent de lourdes pertes mais l’occupant nazi recula et arrêta les déportations au bout de quelques jours : 5 000 juifs l’ont été, contre 8 000 prévus. Les deux organisations prirent le contrôle du ghetto.

Le 19 avril 1943, l’insurrection héroïque débuta. Les organisations de résistance disposaient d’armes et de planques mais n’avaient aucune chance face aux troupes nazies (tant en nombre de combattants qu’en matériel).

Après trois jours de combats, les maisons furent brûlées et les sous-sol dynamités. Le ghetto fut rasé petit à petit et la résistance fut brisée : le 29 avril, la ŻZW n’avait plus de commandements et les combattants restants s’échappèrent via un tunnel. Le 16 mai, le commandant Jürgen Stroop fit exploser la grande synagogue de Varsovie. Ceci marqua la fin de l’insurrection.

En ce 19 avril 2018, nous n’oublions pas la résistance des combattants du ghetto de Varsovie. Nous n’oublions pas l’horreur nazie, ce qui ne veut pas dire qu’il faille éprouver une quelconque haine à l’égard du peuple allemand, ou du peuple polonais martyr lui-même par ailleurs. L’ennemi est le fascisme.

Et le fascisme n’est pas une anomalie historique qui ne pourrait pas ré-apparaître. On ne peut pas être de gauche aujourd’hui et s’imaginer que tout cela n’est que du passé. Le fascisme monte et, comme hier, le fascisme veut le pouvoir. Ceci est vrai en France, en Autriche et dans de plus en plus de pays.

Face au fascisme, il faut toujours un rassemblement le plus large possible des personnes progressistes afin de lui faire barrage : « plus jamais ça !».

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Culture

Ready player one, fourre-tout et néant culturel

ready player one, wade watts

Ready player one est un film basé sur un roman du même nom sorti en 2011, et réalisé par Steven Spielberg. Le film est sorti le 28 mars 2018 en France et a reçu d’excellentes critiques.

Ce qui est conforme à l’esprit d’une époque marquée par la régression et l’infantilisme, la fuite dans l’artificiel et le virtuel.

Posons le cadre. L’action se déroule aux États-Unis en 2045 dans la ville de Columbus, dans l’Ohio. Le monde est en déclin suite à diverses crises, les villes sont surpeuplées, et tout le monde préfère se réfugier dans une réalité virtuelle : l’OASIS. Ce monde est un jeu développé par un personnage présenté comme un rêveur et un utopiste introverti fan de « culture pop », James Halliday. Dans l’OASIS tout serait possible, les seules limites seraient l’imagination de chacun…

Chacun accumule de l’argent et des objets, chacun peut accumuler et dépenser tout son argent jusqu’à ce que son personnage meurt. Comme dans de nombreux jeux vidéos, le personnage ressuscite… mais il perd tout ce qu’il a accumulé jusque là.

En 2045, Halliday est déjà mort. Il a laissé un quête dont le prix est le contrôle de l’OASIS. La société IOI, toute puissante dans le monde réel, ne rêve que d’une chose : en prendre le contrôle afin de dégager des profits colossaux : publicités ciblées, annonces en tout genre, etc. Quelques jeunes vont s’y opposer… Évidemment avec succès.

ready player one, parzival

Dès le départ le contexte est tout simplement grossier : un libéral-libertaire rêveur et mégalo (il faut connaître tous les détails de la vie d’Halliday pour réussir la quête), son jeu délirant où règne une sorte de capitalisme pré-monopolistique et relativement pacifié d’un côté, et une caricature de réalité avec de méchante entreprises de l’autre. Les bons et les mauvais. Les gentils rêveurs en jean baskets et les méchants en costumes cravates.

Cela a l’air de gauche, mais c’est du populisme, le plus outrancier.

Tout au long des deux heures du film, s’enchaînent alors des références à la dite « pop culture » sans aucun esprit de synthèse, sans aucune recherche. La « pop culture » en question semble d’ailleurs se résumer surtout aux années 1980. Les quadras sont ravis, leur vie semble avoir un sens, la vanité de leur vie sociale avoir trouvé un masque de culture.

Mais si le film s’était contenté de n’avoir aucune profondeur, on pourrait le considérer comme un énième divertissement très bien réalisé graphiquement, rempli de références, mais surtout sans aucun intérêt, un énième film plat et infantilisant dans sa fascination pour les jeux vidéos et les super héros.

Seulement, il y a un détail qui révèle le caractère fondamentalement réactionnaire de ce film.

Qu’un film fantasme sur un mode virtuel, les premiers easter eggs dans les jeux vidéos, Godzilla, Star wars, Terminator, Retour vers le futur, Aha, Duran Duran, etc. pourquoi pas. Qu’une grosse production hollywoodienne sort encore une pseudo-critique des méchants dirigeants en costumes et sans émotions, ce n’est pas une surprise.

Mais qu’un film aussi niais et mauvais se serve de Joy Division comme caution alternative, ou encore de la fameuse chanson des Twisted Sisters, ou encore d’un look punk, alors là il faut dire non.

ready player one, wade watts samantha

Car pourquoi la scène de la tentative d’arrestation a-t-elle comme point culminant la vision de la femme avec le t-shirt ayant la pochette d’Unknown pleasures, le premier album de Joy Division ?

Pourquoi la grande offensive a-t-elle lieu sur les Twisted Sisters, avec leur chanson de véritable confrontation à l’idéologie dominante ?

Tout simplement parce que le film a besoin d’une caution rebelle. Sauf que la rébellion n’est pas une composante d’une pop culture réduite à une accumulation d’anecdotes !

Ecouter Joy Division, les Twisted Sisters, cela avait un prix : celui de l’engagement contre un abrutissement dominant, contre la domination d’une consommation de masse allant dans le sens de l’aliénation au lieu du progrès culturel et de l’approfondissement de nos facultés.

C’était une rébellion, en tant qu’expression de la soif existentielle pour un autre monde.

Ready player one ne vaut ici pas mieux que les marques de skate qui se sont vendus à des grands groupes et vendent leurs produits sous une imagerie faussement rebelle. C’est un éloge de la fuite dans le virtuel, de l’esprit de clan pour s’en sortir.

C’est un parfait exemple de récupération du romantisme, de la rébellion, par le capitalisme, pour s’octroyer une apparence de sens, et ici appuyer un film sans aucune profondeur, sans aucune esthétique, sans aucune identité propre, où tout est fade, simple et niais.

Le capitalisme ne peut que pervertir la pop culture authentique, les véritables valeurs culturelles!