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Ready player one, fourre-tout et néant culturel

ready player one, wade watts

Ready player one est un film basé sur un roman du même nom sorti en 2011, et réalisé par Steven Spielberg. Le film est sorti le 28 mars 2018 en France et a reçu d’excellentes critiques.

Ce qui est conforme à l’esprit d’une époque marquée par la régression et l’infantilisme, la fuite dans l’artificiel et le virtuel.

Posons le cadre. L’action se déroule aux États-Unis en 2045 dans la ville de Columbus, dans l’Ohio. Le monde est en déclin suite à diverses crises, les villes sont surpeuplées, et tout le monde préfère se réfugier dans une réalité virtuelle : l’OASIS. Ce monde est un jeu développé par un personnage présenté comme un rêveur et un utopiste introverti fan de « culture pop », James Halliday. Dans l’OASIS tout serait possible, les seules limites seraient l’imagination de chacun…

Chacun accumule de l’argent et des objets, chacun peut accumuler et dépenser tout son argent jusqu’à ce que son personnage meurt. Comme dans de nombreux jeux vidéos, le personnage ressuscite… mais il perd tout ce qu’il a accumulé jusque là.

En 2045, Halliday est déjà mort. Il a laissé un quête dont le prix est le contrôle de l’OASIS. La société IOI, toute puissante dans le monde réel, ne rêve que d’une chose : en prendre le contrôle afin de dégager des profits colossaux : publicités ciblées, annonces en tout genre, etc. Quelques jeunes vont s’y opposer… Évidemment avec succès.

ready player one, parzival

Dès le départ le contexte est tout simplement grossier : un libéral-libertaire rêveur et mégalo (il faut connaître tous les détails de la vie d’Halliday pour réussir la quête), son jeu délirant où règne une sorte de capitalisme pré-monopolistique et relativement pacifié d’un côté, et une caricature de réalité avec de méchante entreprises de l’autre. Les bons et les mauvais. Les gentils rêveurs en jean baskets et les méchants en costumes cravates.

Cela a l’air de gauche, mais c’est du populisme, le plus outrancier.

Tout au long des deux heures du film, s’enchaînent alors des références à la dite « pop culture » sans aucun esprit de synthèse, sans aucune recherche. La « pop culture » en question semble d’ailleurs se résumer surtout aux années 1980. Les quadras sont ravis, leur vie semble avoir un sens, la vanité de leur vie sociale avoir trouvé un masque de culture.

Mais si le film s’était contenté de n’avoir aucune profondeur, on pourrait le considérer comme un énième divertissement très bien réalisé graphiquement, rempli de références, mais surtout sans aucun intérêt, un énième film plat et infantilisant dans sa fascination pour les jeux vidéos et les super héros.

Seulement, il y a un détail qui révèle le caractère fondamentalement réactionnaire de ce film.

Qu’un film fantasme sur un mode virtuel, les premiers easter eggs dans les jeux vidéos, Godzilla, Star wars, Terminator, Retour vers le futur, Aha, Duran Duran, etc. pourquoi pas. Qu’une grosse production hollywoodienne sort encore une pseudo-critique des méchants dirigeants en costumes et sans émotions, ce n’est pas une surprise.

Mais qu’un film aussi niais et mauvais se serve de Joy Division comme caution alternative, ou encore de la fameuse chanson des Twisted Sisters, ou encore d’un look punk, alors là il faut dire non.

ready player one, wade watts samantha

Car pourquoi la scène de la tentative d’arrestation a-t-elle comme point culminant la vision de la femme avec le t-shirt ayant la pochette d’Unknown pleasures, le premier album de Joy Division ?

Pourquoi la grande offensive a-t-elle lieu sur les Twisted Sisters, avec leur chanson de véritable confrontation à l’idéologie dominante ?

Tout simplement parce que le film a besoin d’une caution rebelle. Sauf que la rébellion n’est pas une composante d’une pop culture réduite à une accumulation d’anecdotes !

Ecouter Joy Division, les Twisted Sisters, cela avait un prix : celui de l’engagement contre un abrutissement dominant, contre la domination d’une consommation de masse allant dans le sens de l’aliénation au lieu du progrès culturel et de l’approfondissement de nos facultés.

C’était une rébellion, en tant qu’expression de la soif existentielle pour un autre monde.

Ready player one ne vaut ici pas mieux que les marques de skate qui se sont vendus à des grands groupes et vendent leurs produits sous une imagerie faussement rebelle. C’est un éloge de la fuite dans le virtuel, de l’esprit de clan pour s’en sortir.

C’est un parfait exemple de récupération du romantisme, de la rébellion, par le capitalisme, pour s’octroyer une apparence de sens, et ici appuyer un film sans aucune profondeur, sans aucune esthétique, sans aucune identité propre, où tout est fade, simple et niais.

Le capitalisme ne peut que pervertir la pop culture authentique, les véritables valeurs culturelles!

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Politique

400 enseignants dénoncent la réforme de l’accès à l’université

Des enseignants ont publié une tribune, publiée sur franceinfo.

Cela reflète une très forte gronde dans les universités, en raison des modalités de sélection. Il y a des refus, et également la compréhension, au-delà de la nature anti-démocratique d’une sélection forcément arbitraire dans cette société, qu’il s’agit d’un moyen de contourner le fait d’accorder des moyens réels à l’enseignement.

Nous, enseignants à l’université, soutenons et accompagnons les étudiants dans leur contestation de la loi Orientation et réussite des étudiants (ORE) et de Parcoursup depuis le début de leur mouvement.

Notre prise de position s’explique d’abord par notre rejet de toute forme de sélection à l’entrée de l’université. Or, la nouvelle loi instaure une sélection hypocrite. D’un côté, les responsables gouvernementaux refusent catégoriquement d’utiliser ce mot.

Mais, de l’autre, on nous demande de classer les candidatures de sorte qu’un couperet tombera une fois les capacités d’accueil des filières saturées. Parcoursup est en effet conçu de telle façon qu’on ne peut y introduire des ex æquo, sauf à déployer des trésors d’ingéniosité informatique.

Le gouvernement défend sa loi en invoquant une politique d’orientation destinée à pallier les échecs en premier cycle. Mais il ne donne aucun moyen pour mettre en place les cours de mise à niveau, dont il annonce unilatéralement la mise en place.

Un milliard d’euros représente 7,5% du budget total 2018 de l’Enseignement supérieur (13,4 milliards d’euros). Une dotation supplémentaire d’un milliard d’euros, rien que pour le premier cycle, devrait être largement visible, ce qui n’est pas le cas. Et, à notre connaissance, aucune loi rectificative du budget n’est annoncée.

Autre argument utilisé par le gouvernement : rien ne serait pire que le tirage au sort pratiqué l’année dernière via le logiciel admission post-bac (APB) pour 1% des bacheliers dans les filières en tension. En réalité, le système APB a révélé l’impossibilité d’accueillir tous les étudiants, faute de place et de moyens.

En juillet 2017, le ministère a reconnu que 87 000 demandes d’inscription n’étaient pas satisfaites, soit plus du quart du total des nouveaux entrants à l’université en 2016 ! Le fait qu’un mode de sélection (sur dossier, pour tous les bacheliers) se substitue à un autre a pour objectif presque avoué de différer, sinon d’écarter dans l’immédiat, un certain nombre de candidats.

Le problème posé par le nombre de candidatures n’a pas disparu. Au contraire, on sait, pour des raisons démographiques, qu’il va se tendre davantage. L’année 2018-2019 correspond au baby boom de l’an 2000 et se traduit par une explosion démographique prévisible depuis longtemps.

Or, toute la politique du gouvernement est fondée sur la volonté de ne pas donner davantage de moyens à l’Enseignement supérieur, malgré les difficultés auxquelles il est confronté depuis des années.

Si nous soutenons les étudiants, c’est enfin parce que nous assistons, impuissants, à une inexorable dégradation de l’enseignement supérieur depuis une vingtaine d’années. Les dix dernières années ont été marquées par la réduction drastique des budgets et le gel des créations de postes à l’université.

N’oublions pas que la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) de 2007 a donné lieu en 2009 à une grève de plusieurs semaines dans l’enseignement supérieur, la plus longue jamais enregistrée. Depuis, la situation n’a cessé d’empirer.

Il serait vain, nous dit-on, d’accueillir davantage d’étudiants à l’université dès lors qu’ils n’ont pas le niveau. Ce serait un gaspillage des deniers publics ! Mais la finalité de l’Education nationale n’est-elle pas d’éduquer et de former ?

Ce qui fait la noblesse de notre métier n’est-il pas d’élever le niveau de ceux qui ne l’ont pas, c’est-à-dire pas encore ? Quel serait notre rôle s’il s’agissait seulement de dispenser des cours à ceux qui n’ont aucun problème et qui ont la chance d’avoir le niveau et d’être doués pour les études supérieures ?

L’université est un formidable révélateur de talents, un lieu où s’expérimente l’autonomie, où se développe l’esprit critique. Bon nombre d’étudiants qui ont fait des études brillantes à l’université n’étaient pas des élèves remarquables dans le secondaire et n’ont pas eu une bonne mention au baccalauréat.

Auraient-ils été retenus si la sélection s’était appliquée alors ? Pourquoi devrions-nous abandonner ce vivier et renoncer, par une sélection absurde, à donner leur chance à tous ceux qui ont le degré minimum, à savoir le baccalauréat ?

La France est-elle riche à ce point de talents avérés pour que les enseignants renoncent à leur vocation première : former, éduquer et faire progresser vers les meilleurs niveaux ?

Signataires : Lyu Abe, Université de Nice Sophia-Antipolis (06), Catherine Adloff, Université Savoie Mont Blanc (74), Thomas Alam, Université de Lille (59), Florence Alazard, Université de Tours (37), Sophie Albert, Université Paris-Sorbonne (75) , Christèle Allès, Université de Nantes (44)   Eric Alliez, Université Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis (93)   Virginie Althaus, Université de Rouen (76)   Charles Alunni, Université Paris 8 (93) / École Normale Supérieure (75)   Maxime Amblard, Université de Lorraine (54)   Virginie André, Université de Lorraine (54)   Armelle Andro, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   Saverio Ansaldi, Université de Reims Champagne- Ardenne (51)   Dominique Archambault, Université Paris 8-Vincennes-Saint-Denis (93)   Chantal Aspe, Aix-Marseille Université (13)   Isabelle Aubert, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   Marc Bailly-Bechet, Université Nice Sophia-Antipolis (06)   Mohammed Bachir, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   Marie-Hélène Bacqué, Université Paris Nanterre (92)   Ludivine Bantigny, Université de Rouen (76)   Sabine Barles, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   Christophe Baticle, Université de Picardie Jules Verne (80) Dominique Batoux, Aix-Marseille Université (13) Jauffrey Berthier, Université de Bordeaux Montaigne (33)   Cécile Bianchi, Aix-Marseille Université (13)   Hervé Billard , Université Bretagne occidentale (29) Vincent Béal, Université de Strasbourg (67)   Véronique Beaulande-Barraud, Université de Reims (51)   Eric Beaumatin, Université Paris 3 (75)   Emmanuelle Bénicourt, Université Picardie Jules Verne (80)   Jocelyn Benoist, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, (75)   Christophe Benzitoun, Université de Lorraine (54) Sylvie Bepoix, Université de Franche-Comté (25)   Christian Berner, Université Paris Nanterre (92)   Sandrine Berroir, Université Paris Diderot (75)   Jerôme Berthaut, Université de Bourgogne (21)   Christine Bertrand, Sorbonne Université (75)   Magali Bessone, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, (75)   Bertrand Binoche, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   Élodie Blestel, Université Paris 3 (75)   Brigitte Blondet, Université Paris Est Créteil (94)   Géraldine Bois, Université de Lorraine Nancy (54)   Christian Bonnet, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, (75)   Stéphane Bonnéry, Université Paris 8 (93)   Yann Boniface, Université de Lorraine (54)   Yannick Bosc, Université de Rouen (76)   Martine Boudet, Université Toulouse Jean Jaurés (31)    Marion Boudier, Université d’Amiens (80)   Antoine Boulangé, Sorbonne Université (75)   Joël Boulier, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   Nicolas Bourgeois, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   Chahira Boutayeb, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   Vincent Bonnecase, Science po Bordeaux (33)   Corine Bonningue, Université Toulouse 3 (31)   Sylvain Bordiec, Université de Bordeaux (33)   Anne Bory, Université de Lille (59)   Senouci Boucif, Université Haute Normandie (76)   Vanina Bouté, Université de Picardie (80)   Nicolas Bourgoin, Université de Franche-Comté (25)   ​​​Raphaëlle Branche, Université de Rouen (76)   Jean-Baptiste Brenet, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, (75)   Serge Bresson, Université Picardie Jules Verne (80)   Guillaume Bridet, Université de Bourgogne (21)   Olga Bronnikova, Université Grenoble Alpes (38)   Cédric Brun, Université Bordeaux-Montaigne (33)   Mathieu Brunet, Aix Marseille Université  (13)   Isabelle Bruno, Université de Lille (59)   Fanny Bugeja-Bloch, universelle Paris Nanterre (92)   Didier Busca, Université Toulouse Jean Jaurès (31)   Marie Buscatto, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne (75)   Mireille Cabané, Université de Lorraine (54)   Florence Cabaret, Université de Rouen (76)   Patricia Caillé, Université de Strasbourg (67)   Ronan de Calan, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   Silvia Capanema, Université Paris 13 (93)   Marcel Carbillet, Université de Nice Sophia-Antipolis (06)   Mathilde Carrive, Université de Poitiers (86)   Florent Castagnino, Université Paris Est Marne-la-Vallée (77)   Nicolas Castel, Université de Lorraine (54)   Peggy Cénac, Université de Bourgogne (21)   Olivia Chambard, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne (75)   Pierre Chantelot, Université Paris-Est Marne-la-Vallée (77)   Cécile Chapon, Aix-Marseille Université (13)   Sébastien Charbonnier, Université de Lille (59)   Christophe Charle, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne (75)   Marie-Claude Charpentier, Université de Franche-Comté (25)   Marie Charvet, Université de Nantes (44)   Rudy Chaulet, Université de Franche-Comté (21)   Nathalie Chauvac, Université Toulouse Jean Jaurès (31)   Gilda Charrier, Université de Bretagne Occidentale (29)   Marie Chenet, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   Marion Chottin, IHRIM CNRS (69)   Verene Chevalier, Université Paris Est Créteil (94)   Pierre Clement, Université de Rouen (76)   Mickaël Clévenot, Université de Bourgogne-Franche-Comté (21)   Robert Coale, Université de Rouen-Normandie (76)    Deborah Cohen, Université de Rouen (76)   Michèle Cohen-Halimi, Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis (93)   Beate Collet, Sorbonne Université (75) Jean-Baptiste Comby, Université Paris 2 (75)   Hadrien Commenges, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   Carlos Conde Romero, Université de Lorraine (54)   Laurence Corbel, Université Rennes 2 (35)   Paula Cossart, Université de Lille (59)   Sandrine Costamagno, Université Toulouse Jean Jaurès (31)   Christel Coton, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   Marie Cottrell, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   Laurent Coudroy de Lille, Université Paris Est Creteil (94)   Saskia Cousin, Université Paris Descartes (75)   Nathalie Coutinet, Université Paris 13 – Villetaneuse (93)   Natacha Coquery, Université Lumière Lyon (69)   Geneviève Cresson, Université Lille 1 (59)   Hervé Christofol, Université d’Angers (49)   Marie Cuillerai, Université Paris 7-Diderot (75) / Université Paris 8 (93)     Kim Sang Ong Van Cung, Université Bordeaux Montaigne ( 33)   Fanny Darbus, Université de Nantes (44)   Bruno Dauvier, Aix-Marseille Université (13)   Augustin David, Université Paris 8 (93)   Mary David,  Université de Nantes (44)   Eva Debray, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne  (75)   Estelle Deléage, Université de Caen (14)   Christophe Demarque, Aix-Marseille Université (13)   Steeves Demazeux, Université de Bordeaux Montaigne (33)   Marie-Aude Depuiset, Université de Lille (59) Marie-Laure Déroff, Université de Bretagne Occidentale (29)   Elodie Djordjevic, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Université Paris II Panthéon-Assas (75)   Laurence de Cock, Université Paris-Diderot (75)    Hervé Defalvard, Université Paris Est Marne la Vallée (77)   Pierre Deffontaines, Université de Bourgogne Franche-Comté (21)   Delphine Dellacherie, Université de Lille SHS (59)   Fabien Desage, Université Lille 2 (59)   Stéphane Desvignes, Sorbonne Université (75)   Catherine Deville Cavellin, Université Paris Est Créteil (94)   Estelle d’Halluin, Université de Nantes (44)   Petros Diatsentos, Aix-Marseille Université (13)   Sophie Didier, Université Paris-Est Marne-la-Vallée (77)   Stéphane Douailler, Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis (93)   Blaise Douglas, Université de Rouen-Normandie (76)   Milena Doytcheva, Université Lille SHS (59)   Matthias Dressler-Bredsdorff, Sorbonne Université (75)   Isabelle Dubost, Université des Antilles (972)   Pascale Dubus, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   Julien Dufour, Université de Lorraine (54)   Stéphane Dufoix, Université Paris Nanterre (92)   Delphine Dulong, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   Natalie Depraz, Université de Rouen (76)   Frédéric Dufaux, Université Paris Nanterre (92)  Jean-François Dupeyron, Université de Bordeaux (33)   Pascal Dupuy, Université de Rouen (76)   Florence Eloy, Université Paris 8 (93)   Philippe Enclos, Université de Lille (59) Léo Exibard, Aix-Marseille Université (13)   Corine Eyraud, Aix-Marseille Université (13)   Jean Fabbri, Universite de Tours (37)   Eric Fassin, Université Paris 8 Vincennes – Saint-Denis (93)   Emmanuel Faye, Université de Rouen Normandie (76)   Caroline Fayolle Université de Montpellier (34)   Jocelyne Fernandez-Vest, CNRS / Université Sorbonne-Nouvelle – Paris 3 (75)   Benjamin Ferron, Université Paris-Est Créteil (94)   Etienne Fieux, Université de Toulouse 3 (31)   ​​​​​Catherine Filippi-Deswelle, Université de Rouen (76)   Jérémie Foa, Université Aix-Marseille (13)   Sylvie Fol, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   Didier Forcioli, Université de Nice Sophia Antipolis (06)   Sabine Fortino, Université de Paris Nanterre (92)   Eric Fournier, Université Paris-1 (75)   Karine François, Université de Lorraine (54)   Jérémy Freixas, Université de Nantes  (44)   Anne Fretel, Université de Lille 1 (59)   Julien Fretel, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   Frédéric Fruteau de Laclos, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, (75)   Muriel Froment-Meurice, Université Paris-Est (94)   Christian Gadchaux, Aix-Marseille Université (13)   Philippe Gajewski Université Paris 8 (93)   Fanny Gallot, Université Paris Est Créteil (94)   Cyril Gallut, Sorbonne Université (75) Edith Galy, Université Nice Sophia-Antipolis (06)   Aline Garnier, Université Paris Est Créteil (94)   Marie Garrau, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   François Gaudin, Université de Rouen (76)   Pierre Gautreau, Université Panthéon Sorbonne (75)   Marie-Dominique Garnier, Université Paris 8 (93)   Nadia Garnoussi, Université de Lille (59)   Jean-Luc Gautero, Université de Nice Sophia Antipolis (06)   Emmanuèle Gautier-Costard, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   Katia Genel, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, (75)   Julie Gervais, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne  (75)   Laurence Giavarini, Université de Bourgogne (21)   Pierre Gilbert, Université Paris 8 (93)   Pascal Gillot, Université de Tours (37)   Frédéric Gob, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   Mónica González, Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3 (75)   Sylvie Grand’Eury-Buron, Université de Lorraine (54)   Christophe Giudicelli, Université de Rennes (35)   Nicolas Gregori, Université de Lorraine (54) Christophe Grellard, École Pratique des Hautes Études (75)   Tatiana Gründler, Université Paris Nanterre (92)   Florent Guénard, Université de Nantes (44)   Nacira Guénif, Université Paris 8 (93)   Sophie Guérard de Latour, Université Paris-Sorbonne   Bertrand Guillarme, Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis (93)    Michèle Guillemont, Université de Lille (59) Fabien Guillot, Université de Caen Normandie (14)   Didier Guy, Université de Strasbourg (67)   Emilie Hache, Université Paris Nanterre (92)   Hamza Hajji, Université Paris 8 (93)   Berenice Hamidi Kim, Université Lyon 2 et Institut Universitaire de France (69)   Claire Hancock, Université Paris-Est Créteil (94)   Matthieu Hély, Université de Versailles St Quentin en Yvelines (78)   Philippe Henry, Université de Franche-Comté (25)   Céline Hervet, Université de Picardie (80)   Isabelle Hirtzlin, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   Jennifer Houdiard, Université de Nantes (44)    Myriam Houssay-Holzschuch, Université Grenoble Alpes (38)   Nicolas Hubé, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   Sophie Jallais, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   Richard Jacquemond, Aix-Marseille Université (13)   Lionel Jacquot, Université de Lorraine (54)   Chantal Jaquet, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   Fançois Jarrige, Université de Bourgogne (21)   Julie Jarty, Université Toulouse Jean Jaurès (31)   Fanny Jedlicki, Université du Havre (76)   Nicolas Jouandeau, Université Paris 8-Vincennes-Saint Denis (93)   Nathalie Jourdan, Sorbonne-Université (75)   Marianne Jover, Université d’Aix-Marseille (13)   Octave Julien, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   Tiphaine Karsenti Université Paris-Nanterre (92) Aurélie Knüfer, Université Paul Valéry – Montpellier (34)   Jean-Luc Kop, Université de Lorraine – Nancy (54)   Mustapha Krazem, Université de Bourgogne (21)   Émilie Kurdziel, Université de Poitiers (86)   Gaëlle Lacaze, Sorbonne Université (75)   Jean-Marc Lachaud, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   Laurent C.-Labonnote, Université de Lille (59)   Claire Lacour, Université Paris Sud (91)   Fabien Laffont, Université Toulouse 2 (31)   Stéphanie Laguérodie, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   Xavier Lambert, Université Toulouse 2 Jean Jaurès (31)   Jean Pierre Lanfrey, Université Aix-Marseille (13)   David Lapoujade, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, (75)   Mathilde Larrere, Université de Paris Est Marne la Vallée (77)   Annie Lacroix-Riz, Université Paris 7 (75)   Nathalie Lebrun, Université de Lille (59)   Amélie Leconte, Aix-Marseille Université (13) Christian Lavault, Université Paris 13 (93)   Sandra Laugier, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   Christian Lazzeri, Université Paris Nanterre (92)   Daniel Lebaud, Université de Franche-Comté (25)   Frédérique Leblanc, Université Paris Nanterre (92)   Guillaume Leblanc, Université Paris Est (94)   Eric Lecerf, Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis (93)   Gabienne Leconte, Université de Rouen (76)   Laurence Le Douarin, Université de Lille (59)   Philippe Légé, Université Picardie Jules Verne (80)   Vincent Lhuillier, Université de lorraine (54) Thibault Le Corre, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne (75)   Laurent Lemarchand, Université de Rouen (76)   Claire Lemêtre, Université Paris 8 (93)   Emeric Lendjel, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   Yann Leredde, Université de Montpellier (34)   Benoît Leroux,  Université de Poitiers (86)   Marie Leroy-Collombel, Université Paris Descartes (75)   Marie-Pierre Lefeuvre, Université de Tours (37)   Enora Le Quere, Université de Rouen-Normandie (76)   Marie Lesclingand, Université de Nice (06)   Clément Lescloupé, Université Paris I Panthéon-Sorbonne (75)   Laurent Lespez, Université de Paris-Est Créteil (94)   Cécile Lefèvre, Université Paris Descartes (75)   Yann Leredde, Université de Montpellier  (34)   Brigitte Lion, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   Dany Lionel,  Université d’Aix-Marseille (13)   Olivier Long, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   Jean-François Louette, Sorbonne Université (75)   Odette Louiset, Université Rouen Normandie (76)   José Vicente Lozano, Université de Rouen Normandie (76)   Isabelle Luciani, Université Aix-Marseille (13)   Armelle Mabon, Université Bretagne Sud (56)   Yves Macchi, Université de Lille, (59)   Pascal Maillard, Université de Strasbourg (67)   Arnaud Maisetti, Aix-Marseille Université (13) Corine Maitte, Universite Paris-Est Marne-la-Vallée (77)   Christelle Manifet, Université Toulouse Jean Jaurès (31)   Patrice Maniglier, Université Paris Nanterre (92)   Eric Marquer, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, (75)   Jacob Matthews, Université Paris 8 (93)   Benoît Mariou, Université Paris 8-Vincennes-Saint-Denis (93)   Pascal Marry, Université Paris Est Marne la Vallée (77)   Jean-Luc Martine, Université de Bourgogne Franche-Comté (21)   Etienne Matheron, Université d’Artois (62)   Frédérique Matonti, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   Nicole Mathieu, CNRS/Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   Quentin Meillassoux, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, (75)   Sarah Mekdjian, Université Grenoble Alpes (38)   Bernard Mezzadri, Université d’Avignon (84)   Laure Michel, Sorbonne Université (75)   Catherine Mills, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   Christophe Miqueu, Université de Bordeaux Montaigne (33)   Hasnia-Sonia Missaoui, Université de Toulouse Jean Jaurès (31)   Guillaume Mazeau, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   Laurence Maurel, Université de Dijon (21)   Christophe Mileschi, Université Paris Nanterre (92)   Olivier Milhaud, Sorbonne Université (75) Benjamin Moignard, université Paris-Est-Créteil (94)   Jeanne Moisand, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne (75)   Nicolas Monteix, Université de Rouen (76)   Katell Morand, Université Paris Nanterre (92)   Marie Morelle, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne (75)   Olivier Morizot, Aix-Marseille Université (13)   Damase Mouralis, Université de Rouen-Normandie (76) Marie-Hélène Mourgues, Université Paris-Diderot (75)   Caroline Muller Université de Reims (51)   Jennifer Murray, Université de Franche-Comté (25)   Alerto Naibo, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, (75)   Bruno Nazaret, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   Emilie Née, Université Paris Est Créteil (94)   Hélène Nessi, Université Paris Nanterre (92)   Frédéric Neyrat, Université de Rouen-Normandie (76)   Alexander Neumann, Université Paris 8 (93)   Bertrand Ogilvie, Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis (93)   Julien O’Miel, Université de Lille (59)   Renaud Orain, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne (75)   Jean-Louis Olive, Université de Perpignan Via Domitia (66)  Marie-Hélène Orthous, Université Avignon-Pays de Vaucluse (84)   Claude Paraponaris, Aix Marseille Université (13)   Armelle Parey, Université de Caen (14)   Alain Parrau, Université Paris 7 (75)   Simon Paye, Université de Lorraine (54)   Thierry Pécout, Université de Saint-Étienne (42)   Etienne Penissat, Université de Lille (59)   Bastien Pereira Besteiro, Université Lyon 2 (69)   Philippe de Peretti, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   Corinne Perraudin, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   Danielle Perrot-Corpet, Sorbonne Université (75)   Etienne Petit, Université de Lorraine (57)   Claire Pagès, Université de Tours, (37)   Mélanie Plouviez, Université de Nice Sophia Antipolis (06) Héloïse Petit, Université de Lille 1 (59) Matthieu Pichon, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne (75)   Manon Pignot Université d’Amiens (80)   Catherine Peyrard, Université de Rouen (76)   Nathalie Peyrebonne, Université Sorbonne nouvelle – Paris 3 (75)   Marie Philemon, Université Paris 8 (93)   Hélène Pignot, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   Florence Piola, Université Lyon1 (69)   Aurélien Poidevin, Université de Rouen (76)   Sophie Poirot-Delpech, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   Raphaël Porteilla, Université de Bourgogne (21)   Jean-Christophe Poully, Université de Caen (14)   Behrang Pourhosseini, Université Paris 8 – Vincennes (93)   Joël Pothier, Sorbonne Université (75)   Plínio Prado, Université Paris 8 – Vincennes (93)   Muriel Pucci, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   Christophe Quéva, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   Lissell Quiroz, Université de Rouen Normandie (76)   Véronique Rauline, MCF Université Nanterre (92) Christelle Rabier, EHESS – Marseille (13)   Nicolas Rafin, Université de Nantes (44)   Olivier Ramaré, CNRS / Aix-Marseille Université (13)   Paul Rateau, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, (75)   Jean-Yves Rauline, Université de Rouen Normandie (76)   Pablo Rauzy, Université Paris 8 (93)   Manuel Rebuschi, Université de Lorraine (54)   Laurent Regnier, Aix-Marseille Université (13) Emmanuel Renault, Université Paris Nanterre (92)   Judith Revel, Université Paris Nanterre (92)   Nicolas Rialland, Université de Rouen (76)   Jean-Luc Richard, Université de Rennes 1 (35)   Ophélie Rillon, IEP de Bordeaux (33)   Fabrice Ripoll, Université Paris Est Créteil (94)   Olivier Ritz, Université Paris-Diderot (75)   Michaël Rivard, Université Paris-Est Créteil (94)   Jean Rivière, Université de Nantes (44)   Valérie Robert, Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3 (75)   Vincent Robert, Université Paris I Panthéon Sorbonne (75)   Valérie Robin Azevedo, Université Paris V Descartes (75)   Jean-Yves Rochex, Université Paris 8 – Vincennes (93)   Anne Roger, Université de Lyon 1 (69)   Anis Rojbi, Université Paris 8 (93)   Salomé Roth, Université Sorbonne Nouvelle (75)   Marine Roussillon Université d’Artois (62)   Céline Ruet, Université Paris 13 – Villetaneuse (93)   Benjamin Saccomanno, Université de Toulouse Jean Jaurès (31)   Gaël Saint-Cricq, Université de Rouen (76)   Jessica Sainty, Université d’Avignon   (84)   Catherine Samary, Université Paris Dauphine (75)   Samuel F. Sanchez, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne (75)   Damien Sauze, Université Lumière Lyon 2 (69)   Michel Savaric, Université de Franche-Comté (25)   Delphine Serre, Université Paris Descartes (75)   Pascal Sévérac, Université Paris Est, (94)   Nicolas Schapira, Université Paris Nanterre (92)   Guillaume Sibertin-Blanc Université Paris-Nanterre (92)   Brigitte Sibille, Université Nice-Sophia Antipolis (06)   Camille Signoretto, Aix-Marseille Université (13)   Wilfrid da Silva,  Sorbonne Université (75)   Arnault Skornicki, Université Paris Nanterre (92)   Pierre Serna, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75) Charles Soulié, Université Paris 8 – Vincennes (93)   Amandine Spire, Université Paris Diderot (75)   Patrick Taïeb, Université de Montpellier (34)   Armelle Talbot, Université Paris Diderot (75)   Pascal Taranto,  AMU   Romain Telliez, Sorbonne Université (75)   Florent Tetard , Université Paris 13 – Villetaneuse (93)   Anne Teulade, Université de Nantes (44)   Nadine Thèvenot, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   Claude Thiaudière, Université de Picardie Jules Verne (80)   Marion Tillous, Université Paris 8 (93)   Marc Tomczak, Université de Lorraine (54)   Anne Tomiche, Sorbonne Université (75)   Mathieu Uhel, Université de Caen (14)   François Valegeas, Université Paul-Valery Montpellier 3 (34)   Boris Valentin, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   Eric Valentin, Université de Picardie Jules Verne (80)   Julie Valentin, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   Jérôme Valluy, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   Patricia Vannier, Université Toulouse Jean Jaurès (31)   Vincent Veschambre, Université de Lyon (69)   Frédéric Verhaegen, Université de Lorraine (54)   Patrice Vermeren, Paris 8 Vincennes Saint-Denis (93)   Catherine Vigier, Université de Rouen (76)   Cécile Vignal, Université de Lille (59)   Noémie Villacèque Université de Reims (51)   Alexandre Vincent, Université de Poitiers (86)   Bruno Vivicorsi, Université de Rouen (76)   Bruno Viaris, Université Paris-Sud (91)   Luc Vincenti, Université Montpellier-III (34)   Christophe Voilliot, Université Paris-Nanterre (92)   Anne-Catherine Wagner, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   Geoffrey Williams, Université de Bretagne Sud (56)   Marc Weinstein, Aix-Marseille Université (13)   Maud Yvinec, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (75)   Barbara Zauli, Université Paris 8 – Vincennes (93)   Anna Zaytseva, Université Toulouse 2 (31)   Caroline Zekri, Université Paris-Est Créteil (94)

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Politique

Les mises en scène médiatiques d’Emmanuel Macron

Emmanuel Macron a, comme le dit l’expression désuète, mangé son pain blanc. Élu par une partie de la population le voyant comme un Kennedy français, il fait désormais figure de cadre technocratique qui a encore l’aura du type « qui sait ce qu’il fait ».

Cependant, chaque passage médiatique est toujours un risque pour cette image. Aussi, avant de passer hier soir chez les journalistes Jean-Jacques Bourdin et Edwy Plenel pour RMC, BFMTV et Mediapart, il était passé trois jours avant sur TF1 chez Jean-Pierre Pernaut.

Ce dernier est bien connu pour correspondre, prétendument, à la France profonde, avec un 13h violemment populiste, une posture bien rodée, bien entendu également utilisée avec Emmanuel Macron :

« Nous avons choisi un cadre inédit et magnifique, le p’tit village de Berd’huis, dans l’Orne (…). Je poserai au président les questions que vous vous posez. »

C’est qu’Emmanuel Macron a bien compris que la « mondialisation » commençait à tanguer sévèrement en France et qu’il fallait faire semblant de ne pas être uniquement le président de ceux qui profitent.

Son soutien total aux chasseurs relève de cette conquête des territoires en s’appuyant sur le maillage des notables et de l’idéologie des terroirs.

Mais, chasser le naturel il revient au galop, Emmanuel Macron n’a pas pu s’empêcher d’expliquer, dans l’école servant de lieu d’accueil, qu’il ne compte pas « montrer du doigt une catégorie qui irait moins bien, les villes ou les métropoles parce qu’elles iraient mieux ».

Et pour son passage hier soir, avec Jean-Jacques Bourdin et Edwy Plenel, il a choisi comme emplacement le Théâtre national de Chaillot, en face de la Tour Eiffel.

On retrouve là tout le symbole tout à fait parisianiste d’Emmanuel Macron, même si la légende veut que ce soit les journalistes qui aient en partie choisi le lieu, parce qu’ils ne voulaient pas de l’Elysée, et que l’ONU lors d’une assemblée générale y a proclamé la Déclaration universelle des droits de l’homme, en décembre 1948.

En réalité, tout a été choisi bien entendu par l’équipe d’Emmanuel Macron, tout comme les journalistes eux-mêmes, connus pour leur « pugnacité ». Ils ont également dit « Emmanuel Macron », et jamais « Monsieur le président ».

Les épisodes de joute verbale ont été de rigueur, avec les fameuses petites remarques pleines de panache, pour le plus grand plaisir de Jean-Luc Mélenchon qui dénonçait pourtant juste avant les journalistes, un populisme en chassant un autre.

On a ainsi eu Jean-Jacques Bourdin faisant un « Si vous faites des réponses de 5 minutes, on y sera jusqu’à minuit » et Edwy Plenel un « Vous n’êtes pas le professeur, nous ne sommes pas vos élèves ».

Tout cela est du show, orchestré de manière méthodique, millimétrée, conformément aux règles du marketing politique et médiatique d’un Etat moderne de plus en plus coupé de la population. Le but est simple à comprendre : Emmanuel Macron veut se présenter comme un battant, comme un réformateur, comme quelqu’un à l’écoute du bas peuple mais forçant surtout les choses pour faire avancer, en général, la cause du pays.

Et cela marche, qu’on trouve cela bien ou non. Ce qui montre qu’il y a dans notre pays un véritable problème de maturité politique. Tout comme avec Nicolas Sarkozy, il y a une polarisation populiste autour du président de la République, ce qui était par ailleurs évidemment le cas avant puisque tout provient de la nature du régime de la Ve République.

Cependant, avec la force des médias et des réseaux sociaux, cela ressort d’autant plus. Il y a un anéantissement du débat d’idées en France et derrière Emmanuel Macron, il y a le populisme, le nationalisme, le fascisme.

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Guerre

L’intervention militaire française, américaine et britannique en Syrie

« J’ai donc ordonné aux forces armées françaises d’intervenir cette nuit, dans le cadre d’une opération internationale menée en coalition avec les États-Unis d’Amérique et le Royaume-Uni et dirigée contre l’arsenal chimique clandestin du régime syrien. »

Emmanuel Macron assume parfaitement l’attaque, au moyen de plus de cent missiles, d’installations syriennes censées abriter des moyens de fabriquer des armes chimiques. Une « ligne rouge » qui apparaît, malheureusement, comme un farce et une fable de plus dans un conflit syrien sanglant ayant coûté la vie, depuis 2011, à plus de 350 000 personnes.

Car l’attaque commune à la France, le Royaume-Uni et les États-Unis n’est qu’un ajout à une liste extrêmement nombreuse d’interventions armées, de manipulations politiques, de gesticulations par les services secrets, tout cela au service d’une bataille pour le repartage du contrôle des territoires et des pays.

La guerre suinte de tous les pores des initiatives des grandes puissances et ici, bien entendu, c’est la Russie qui est particulièrement visée, dans une épreuve de force marquée par un esprit d’escalade militaire de plus en plus grand.

Et la France est une grande puissance au même titre que les autres. Ce simple fait est, comme toujours, nié par beaucoup, comme si somme toute la France n’était qu’une sorte de colonie. C’est la contribution classique à la négation de l’interventionnisme français, qui ne vaut pas mieux que les autres.

La France serait un pays voulant la paix et qui se laisserait en quelque sorte abuser, ou bien manipuler, par des Américains qui seraient les seuls fautifs. Marine Le Pen, par exemple, en allusion aux États-Unis, regrette que :

« La France perd à nouveau une occasion d’apparaître sur la scène internationale comme une puissance indépendante et d’équilibre dans le monde. »

Jean-Luc Mélenchon dit la même chose :

« C’est une aventure de revanche nord-américaine, une escalade irresponsable. La France mérite mieux que ce rôle. Elle doit être la force de l’ordre international et de la paix. »

Florian Philippot manie le même lyrisme nationaliste :

« Voir la France réduite au rôle de supplétif des faucons contre la paix du monde et ses propres intérêts est toujours une souffrance. »

Les « député-e-s » du Parti communiste français (eux aussi suivent la mode universitaire de l’écriture inclusive) adoptent un lyrisme patriotique traditionnel chez eux :

« Une décision illégale et dangereuse qui confirme la rupture avec notre tradition d’indépendance nationale fondée sur la valeur de la paix et du multilatéralisme.

Si cette tradition faisait notre singularité et notre grandeur, sa remise en cause questionne notre place dans le monde : la France est-elle condamnée à s’aligner sur la volonté et les intérêts américains ? »

Le Nouveau Parti Anticapitaliste dénonce pareillement (et on se rappellera qu’il prônait en 2011 le soutien des grandes puissances à la « révolution syrienne »!) :

« la nouvelle aventure militaire dirigée par Trump en Syrie »

Comme si la France n’était pas impliquée en Syrie. Comme si la France avait reçu des ordres pour envoyer cinq frégates multimissions et des bâtiments de protection et de soutien en mer Méditerranée, neuf chasseurs pour tirer 12 missiles de croisière (trois depuis une frégate, neuf depuis les chasseurs).

Le fait d’avoir choisi d’ailleurs de lancer des missiles depuis une frégate vise à valoriser le missile de croisière naval (MDCN) utilisé ici pour la première fois. Cela correspond à l’esprit d’une démonstration de force.

C’est pour cette raison que Benoît Hamon a eu tort quand il a affirmé que :

« Laisser Assad impuni après l’usage d’armes chimiques contre des civils est impossible. Mais il faut un mandat de l’ONU. Que ceux qui s’offusquent du bombardement d’une usine, sortent aussi du silence quand Poutine et Assad anéantissent les civils de la Goutha et d’Alep. »

C’est là en appeler à un système international de sécurité largement dépassé. Il y a quatre ans, la Russie annexait purement et simplement la Crimée, où était l’ONU ? Et que dire auparavant de la guerre contre la Libye en 2011, sans mandat de l’ONU ? De celle, bien connue, contre l’Irak, toute pareille, en 2003 ? De l’intervention, également sans mandat, au Kosovo en 1999 ?

La vérité est que la compétition internationale tend à la guerre de repartage. Ne pas assumer cela, c’est ne pas être de gauche ; accuser les Américains, c’est nier que chez les dirigeants, russes comme français, américains comme britanniques, iraniens comme israéliens, on éprouve l’envie, le besoin de se tourner vers la guerre de repartage.

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Culture

L’antisémitisme selon Moishe Postone

L’intellectuel canadien Moishe Postone d’origine juive, professeur de l’université de Chicago, vient de décéder ; il a joué un rôle intellectuel important dans l’analyse du nazisme, depuis la parution en 1986 d’un texte intitulé « Antisémitisme et national-socialisme », dont voici un passage introductif, soulignant le caractère particulier de la destruction des Juifs d’Europe.

« Qu’est‑ce qui fait la spécificité de l’Holocauste et de l’antisémitisme moderne ? Ni le nombre des hommes qui furent assassinés ni l’étendue de leurs souffrances : ce n’est pas une question de quantité. Les exemples historiques de meurtres de masse et de génocides ne manquent pas. (Par exemple, les nazis assassinèrent bien plus de Russes que de juifs.)

En réalité, il s’agit d’une spécificité qualitative. Certains aspects de l’anéantissement du judaïsme européen restent inexplicables tant que l’on traite l’antisémitisme comme un exemple particulier d’une stratégie du bouc émissaire dont les victimes auraient fort bien pu être les membres de n’importe quel autre groupe.

L’Holocauste se caractérise par un sens de la mission idéologique, par une relative absence d’émotion et de haine directe (contrairement aux pogromes, par exemple) et, ce qui est encore plus important, par son manque évident de fonctionnalité.

L’extermination des juifs n’était pas le moyen d’une autre fin. Les juifs ne furent pas exterminés pour une raison militaire ni au cours d’un violent processus d’acquisition territoriale (comme ce fut le cas pour les Indiens d’Amérique ou les Tasmaniens).

Il ne s’agissait pas davantage d’éliminer les résistants potentiels parmi les juifs pour exploiter plus facilement les autres en tant qu’ilotes. (C’était là par ailleurs la politique des nazis à l’égard des Polonais et des Russes.) Il n’y avait pas non plus un quelconque autre but « extérieur ».

L’extermination des juifs ne devait pas seulement être totale, elle était une fin en soi : l’extermination pour l’extermination, une fin exigeant la priorité absolue.

Ni une explication fonctionnaliste du meurtre de masse ni une théorie de l’antisémitisme centrée sur la notion de bouc émissaire ne sauraient fournir d’explication satisfaisante au fait que, pendant les dernières années de la guerre, une importante partie des chemins de fer fut utilisée pour transporter les juifs vers les chambres à gaz et non pour soutenir la logistique de l’armée alors que la Wehrmacht était écrasée par l’Armée rouge.

Une fois reconnue la spécificité qualitative de l’anéantissement du judaïsme européen, il devient évident que toutes les tentatives d’explication qui s’appuient sur les notions de capitalisme, de racisme, de bureaucratie, de répression sexuelle ou de personnalité autoritaire demeurent beaucoup trop générales. »

Si ce caractère particulier de la Shoah est ou devrait être évident, Moishe Postone considère que l’antisémitisme est, de plus, une sorte de sous-produit naturel du capitalisme.

A l’opposé de la Gauche – on est ici dans la tradition de l’ultra-gauche – Moishe Postone considère ainsi que l’antisémitisme n’est ni un « socialisme des imbéciles », ni un romantisme anti-moderne, mais l’expression organique, propre au capitalisme, d’une tentative de destruction de « l’abstraction » à laquelle serait associé la population juive.

Il ne voit pas en le nazisme l’expression folle d’un capitalisme conquérant et militariste, mais comme l’aboutissement triomphant d’un antisémitisme qui serait une sorte de fuite en avant anticapitaliste indépendante des luttes des classes : à défaut de saisir la nature du capitalisme, les antisémites combattent une fantasmagorie, « l’abstraction ».

Moishe Postone fait ainsi de l’antisémitisme – à l’opposé de la vision qu’en a la Gauche – non pas un racisme y compris ayant une dimension « anticapitaliste » – mais une idéologie purement autonome, capable d’intervenir dans l’Histoire, qu’on ne peut combattre que par la raison intellectuelle.

Il dit pour cette raison dans « Antisémitisme et national-socialisme » :

« C’est Auschwitz — et non la prise de pouvoir en 1933 — qui fut la véritable « révolution allemande », la véritable tentative de « renversement » non seulement d’un ordre politique mais de la formation sociale existante.

Cet acte devait préserver le monde de la tyrannie de l’abstrait. Ce faisant, les nazis se sont « libérés » eux‑mêmes de l’humanité. »

Cette lecture d’un antisémitisme « autonome » a été reprise en tant que telle par le courant dit de la « théorie critique », se revendiquant du philosophe Theodor W. Adorno, et composant la très grande majorité de la gauche alternative allemande des années 1990-2000. La presse germanophone s’est donc faite écho du décès de Moishe Postone.

L’un des effets notables de l’influence de Moishe Postone a été la naissance à un mouvement « anti-deutsch », anti-allemand, qui a provoqué des polémiques importantes en appelant au soutien unilatéral d’Israël, voire des États-Unis, au nom de la lutte prioritaire contre l’antisémitisme comme idéologie autonome qui dominerait l’Allemagne.

Moishe Postone est également très apprécié chez les partisans d’une « critique de la valeur », courant d’ultra-gauche opposant Karl Marx à la Gauche historique, dont le site Palim-Psao.fr propose les documents (ainsi que de nombreux articles de ou sur Moishe Postone).

Voici quelques citations de Moishe Postone expliquant sa vision de l’antisémitisme comme idéologie « autonome » cherchant à combattre « l’abstraction ».

«  Le pouvoir attribué aux juifs par l’antisémitisme n’est pas seulement conçu comme plus grand mais aussi comme réel et non comme potentiel. Cette différence qualitative est exprimée par l’antisémitisme moderne en termes de mystérieuse présence insaisissable, abstraite et universelle.

Ce pouvoir n’apparaît pas en tant que tel mais cherche un support  concret — politique, social ou culturel — à travers lequel il puisse fonctionner. Étant donné que ce pouvoir n’est pas fixé concrètement, qu’il n’est pas  » enraciné « , il est ressenti comme immensément grand et difficilement contrôlable. Il est censé se tenir derrière les apparences sans leur être identique. Sa source est  donc cachée, conspiratrice. Les juifs sont synonymes d’une insaisissable conspiration internationale, démesurément puissante. »

[…]

« Quand on considère les caractéristiques spécifiques du pouvoir que l’antisémitisme moderne attribue aux juifs — abstraction, insaisissabilité, universalité et mobilité —, on remarque qu’il s’agit là des caractéristiques  d’une des dimensions des formes sociales que Marx a analysées : la valeur. De plus, cette dimension — tout  comme le pouvoir attribué aux juifs — n’apparaît pas en tant que telle mais prend la forme d’un support  matériel : la marchandise. »

[…]

« Désormais, la forme phénoménale du concret est plus organique. Le capital industriel peut donc apparaître en tant que descendant direct du travail artisanal « naturel », en tant qu’« organiquement enraciné », par opposition au capital financier  » parasite  » et  » sans racines « . L’organisation du capital industriel paraît alors s’apparenter à  celle de la corporation médiévale — l’ensemble social dans lequel il se trouve est saisi comme unité organique supérieure : comme communauté (Gemeinschaft), Volk, race.

Le capital lui-même — ou plutôt ce qui est perçu comme l’aspect négatif du capitalisme— est identifié à la forme phénoménale de sa dimension abstraite, au capital financier et au capital porteur d’intérêts.

En ce sens, l’interprétation biologique qui oppose la dimension concrète (du capitalisme) en tant que  » naturelle  » et  » saine  » à l’aspect négatif de ce qui est pris pour le  » capitalisme  » ne se trouve pas en contradiction avec l’exaltation du capital industriel et de la technologie : toutes les deux se tiennent du côté  » matériel  » de l’antinomie. »

[…]

« Cette forme d’  » anticapitalisme  » repose donc sur une attaque unilatérale de l’abstrait. L’abstrait et le concret ne sont pas saisis dans leur unité, comme parties fondatrices d’une antinomie pour laquelle le dépassement effectif de l’abstrait — de la dimension de la valeur — suppose le dépassement pratique et historique de l’opposition elle-même, ainsi que celui de chacun de ses termes. »

[…]

« L’attaque  » anticapitaliste  » ne se limite pas à l’attaque contre l’abstraction. Au niveau du fétiche-capital, ce n’est pas seulement le côté concret de l’antinomie qui peut être naturalisé et biologisé, mais aussi le côté abstrait, lequel est biologisé — dans la figure du Juif.

Ainsi, l’opposition fétichisée du matériel concret et de l’abstrait, du  » naturel  » et de l’  » artificiel « , se mue en opposition raciale entre l’Aryen et le Juif, opposition qui a une signification historique mondiale.

L’antisémitisme moderne consiste en la biologisation du capitalisme saisi sous la forme de l’abstrait phénoménal, biologisation qui transforme le capitalisme en  » juiverie internationale « . »

[…]

« Les juifs n’étaient pas simplement considérés comme les représentants du capital (dans ce cas, en effet, les attaques antisémites auraient été spécifiées en termes de classe). Ils devinrent les personnifications de la domination internationale, insaisissable, destructrice et immensément puissante du capital.

Si certaines formes de mécontentement anticapitaliste se dirigeaient contre la dimension abstraite phénoménale du capital personnifiée dans la figure du Juif, ce n’est pas parce que les juifs étaient consciemment identifiés à la dimension abstraite de la valeur, mais parce que, dans l’opposition de ses dimensions abstraite et concrète, le capitalisme apparaît d’une manière telle qu’il engendre cette identification.

C’est pourquoi la révolte « anticapitaliste  » a pris la forme d’une révolte contre les juifs. La suppression du capitalisme et de ses effets négatifs fut identifiée à la suppression des juifs »

[…]

« À une époque où le concret était exalté contre l’abstrait, contre le  » capitalisme  » et contre l’État bourgeois, cette identification engendra une association fatale : les juifs étaient sans racines, cosmopolites et abstraits »

[…]

« Comprendre l’antisémitisme de cette façon permet de saisir un moment essentiel du nazisme en tant que mouvement anticapitaliste tronqué, caractérisé par une haine de l’abstrait, une propension à faire du concret existant une hypostase et une mission qui, quoique cruelle et bornée, n’est pas forcément animée par la haine : délivrer le monde de la source de tous les maux. »

[…]

« S’il est vrai qu’en 1934 les nazis ont renoncé à l’  » anticapitalisme  » trop concret et plébéien des SA, ils n’ont toutefois pas renoncé à l’idée fondamentale de l’antisémitisme : le  » savoir  » que la source de tous les maux est l’abstrait, le Juif. »

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Politique

La valorisation ultra du catholicisme par Emmanuel Macron chez les Évêques de France

Le discours d’Emmanuel Macron devant les évêques de France, il y a quelques jours, a provoqué de nombreuses réactions, parce que le président de la République a parlé de rétablir le « lien » du pays avec l’Église catholique romaine. C’est la laïcité qui aurait été remise en cause.

Cela est erroné. La laïcité n’est qu’un compromis historique. Et, historiquement, il ne peut pas y avoir de compromis entre la Gauche et les religions, qui ne sont que des superstitions, des mensonges.

Naturellement, le contexte historique des religions est à comprendre : nier qu’elles aient apporté quelque chose serait ridicule. Une position anarchiste serait absurde. Cependant, il serait tout aussi absurde de ne pas affirmer que les religions ont fait leur temps.

Or, comme Emmanuel Macron est en même temps un libéral et un conservateur – ce qui n’est pas une contradiction, car le capitalisme libère le marché mais enferme le pays dans une communauté aliénée, consommatrice, aux personnalités déformées -, il a besoin des religions.

En particulier du catholicisme : il n’a pas hésité à parler des « liens les plus indestructibles entre la nation française et le catholicisme », de « la sève catholique » qui contribue à faire vivre la nation. On est ici dans l’idéologie de Charles Péguy, de Charles Maurras, de Georges Bernanos, mais également d’Emmanuel Mounier que, bien entendu, Emmanuel Macron a nommé.

Car le catholicisme et sa focalisation sur l’individu intégré à une communauté correspond tout à fait au capitalisme où le consommateur est encadré. Rien à voir avec le protestantisme et les Lumières où c’est la personne qui assume des choix moraux, porte la civilisation dans chacun de ses actes.

Le catholicisme est par définition un mysticisme, où l’existence humaine est un mystère hiérarchisé, avec l’Église reproduisant la hiérarchie céleste. Il n’y a plus rien à en tirer, depuis le développement des villes, depuis la fin du moyen-âge.

Il n’y pas d’humanisme catholique, c’est une absurdité, prétendre que l’Église a une portée universelle est mensonger. Emmanuel Macron se conforme à ce mensonge, en disant par exemple, avec un lyrisme quasi mystique, au sujet des débats bioéthiques :

« C’est pourquoi en écoutant l’Eglise sur ces sujets, nous ne haussons pas les épaules. Nous écoutons une voix qui tire sa force du réel et sa clarté d’une pensée où la raison dialogue avec une conception transcendante de l’homme. Nous l’écoutons avec intérêt, avec respect et même nous pouvons faire nôtres nombre de ses points. Mais cette voix de l’Eglise, nous savons au fond vous et moi qu’elle ne peut être injonctive. Parce qu’elle est faite de l’humilité de ceux qui pétrissent le temporel. Elle ne peut dès lors être que questionnante. »

On a également droit à une citation de Pascal, ce mystique délirant, un ultra-religieux sectaire comme ce n’est pas permis, faisant partie du jansénisme :

« Vénérable parce qu’elle a bien connu l’homme », dit PASCAL de la religion chrétienne.

En réalité, il parlait du catholicisme, promettant l’enfer aux autres, et même aux mauvais catholiques. C’est un exemple, parmi tant d’autres, de ces contorsions nécessaires pour faire du catholicisme, qu’il faut supprimer comme toutes les religions, quelque chose apportant quelque chose.

Emmanuel Macron y croit-il vraiment ? Vu qu’il cite Georges Bataille, ce mystique semi-surréaliste cherchant Dieu sans y croire, en quête de transcendance par la transgression, c’est sans doute que c’est un « moderne » : un libéral pour qui l’Église est quelque chose de pas assez branchée, mais pourtant nécessaire.

Comme toutes les personnes imbriquées dans les classes dominantes, il ne peut pas assumer l’athéisme, et l’Église est si utile de par sa dimension réactionnaire !

Transcription du discours du Président de la République devant les Evêques de France

Collège des Bernardins – Lundi 9 avril 2018

Monsieur le Ministre d’Etat,

Mesdames les ministres,

Mesdames, messieurs les parlementaires,

Monsieur le Nonce,

Mesdames et messieurs les ambassadeurs,

Mesdames et messieurs les responsables des cultes,

Monseigneur,

Mesdames et Messieurs,

Je vous remercie vivement, Monseigneur, et je remercie la Conférence des Evêques de France de cette invitation à m’exprimer ici ce soir, en ce lieu si particulier et si beau du Collège des Bernardins, dont je veux aussi remercier les responsables et les équipes.

Pour nous retrouver ici ce soir, Monseigneur, nous avons, vous et moi bravé, les sceptiques de chaque bord. Et si nous l’avons fait, c’est sans doute que nous partageons confusément le sentiment que le lien entre l’Eglise et l’Etat s’est abîmé, et qu’il nous importe à vous comme à moi de le réparer.

Pour cela, il n’est pas d’autre moyen qu’un dialogue en vérité.

Ce dialogue est indispensable, et si je devais résumer mon point de vue, je dirais qu’une Eglise prétendant se désintéresser des questions temporelles n’irait pas au bout de sa vocation ; et qu’un président de la République prétendant se désintéresser de l’Eglise et des catholiques manquerait à son devoir.

L’exemple du colonel BELTRAME par lequel, Monseigneur, vous venez d’achever votre propos, illustre ce point de vue d’une manière que je crois éclairante.

Beaucoup, lors de la journée tragique du 23 mars, ont cherché à nommer les ressorts secrets de son geste héroïque : les uns y ont vu l’acceptation du sacrifice ancrée dans sa vocation militaire ; les autres y ont vu la manifestation d’une fidélité républicaine nourrie par son parcours maçonnique ; d’autres enfin, et notamment son épouse, ont interprété son acte comme la traduction de sa foi catholique ardente, prête à l’épreuve suprême de la mort.

Ces dimensions en réalité sont tellement entrelacées qu’il est impossible de les démêler, et c’est même inutile, car cette conduite héroïque c’est la vérité d’un homme dans toute sa complexité qui s’est livrée.

Mais dans ce pays de France qui ne ménage pas sa méfiance à l’égard des religions, je n’ai pas entendu une seule voix se lever pour contester cette évidence, gravée au cœur de notre imaginaire collectif et qui est celle-ci : lorsque vient l’heure de la plus grande intensité, lorsque l’épreuve commande de rassembler toutes les ressources qu’on a en soi au service de la France, la part du citoyen et la part du catholique brûlent, chez le croyant véritable, d’une même flamme.

Je suis convaincu que les liens les plus indestructibles entre la nation française et le catholicisme se sont forgés dans ces moments où est vérifiée la valeur réelle des hommes et des femmes. Il n’est pas besoin de remonter aux bâtisseurs de cathédrales et à Jeanne d’Arc : l’histoire récente nous offre mille exemples, depuis l’Union Sacrée de 1914 jusqu’aux résistants de 40, des Justes aux refondateurs de la République, des Pères de l’Europe aux inventeurs du syndicalisme moderne, de la gravité éminemment digne qui suivit l’assassinat du Père HAMEL à la mort du colonel BELTRAME, oui, la France a été fortifiée par l’engagement des catholiques.

Disant cela, je ne m’y trompe pas. Si les catholiques ont voulu servir et grandir la France, s’ils ont accepté de mourir, ce n’est pas seulement au nom d’idéaux humanistes. Ce n’est pas au nom seulement d’une morale judéo-chrétienne sécularisée. C’est aussi parce qu’ils étaient portés par leur foi en Dieu et par leur pratique religieuse.

Certains pourront considérer que de tels propos sont en infraction avec la laïcité. Mais après tout, nous comptons aussi des martyrs et des héros de toute confession et notre histoire récente nous l’a encore montré, et y compris des athées, qui ont trouvé au fond de leur morale les sources d’un sacrifice complet.Reconnaître les uns n’est pas diminuer les autres, et je considère que la laïcité n’a certainement pas pour fonction de nier le spirituel au nom du temporel, ni de déraciner de nos sociétés la part sacrée qui nourrit tant de nos concitoyens.

Je suis, comme chef de l’Etat, garant de la liberté de croire et de ne pas croire, mais je ne suis ni l’inventeur ni le promoteur d’une religion d’Etat substituant à la transcendance divine un credo républicain.

M’aveugler volontairement sur la dimension spirituelle que les catholiques investissent dans leur vie morale, intellectuelle, familiale, professionnelle, sociale, ce serait me condamner à n’avoir de la France qu’une vue partielle ; ce serait méconnaître le pays, son histoire, ses citoyens ; et affectant l’indifférence, je dérogerais à ma mission. Et cette même indifférence, je ne l’ai pas davantage à l’égard de toutes les confessions qui aujourd’hui habitent notre pays.

Et c’est bien parce que je ne suis pas indifférent, que je perçois combien le chemin que l’Etat et l’Eglise partagent depuis si longtemps, est aujourd’hui semé de malentendus et de défiance réciproques.

Ce n’est certes pas la première fois dans notre histoire. Il est de la nature de l’Eglise d’interroger constamment son rapport au politique, dans cette hésitation parfaitement décrite par MARROU dans sa Théologie de l’histoire, et l’histoire de France a vu se succéder des moments où l’Eglise s’installait au cœur de la cité, et des moments où elle campait hors-les-murs.

Mais aujourd’hui, dans ce moment de grande fragilité sociale, quand l’étoffe même de la nation risque de se déchirer, je considère de ma responsabilité de ne pas laisser s’éroder la confiance des catholiques à l’égard de la politique et des politiques. Je ne puis me résoudre à cette déprise. Et je ne saurais laisser s’aggraver cette déception.

C’est d’autant plus vrai que la situation actuelle est moins le fruit d’une décision de l’Eglise que le résultat de plusieurs années pendant lesquelles les politiques ont profondément méconnu les catholiques de France.

Ainsi, d’un côté, une partie de la classe politique a sans doute surjoué l’attachement aux catholiques, pour des raisons qui n’étaient souvent que trop évidemment électoralistes. Ce faisant, on a réduit les catholiques à cet animal étrange qu’on appelle l’« électorat catholique » et qui est en réalité une sociologie.Et l’on a ainsi fait le lit d’une vision communautariste contredisant la diversité et la vitalité de l’Eglise de France, mais aussi l’aspiration du catholicisme à l’universel – comme son nom l’indique – au profit d’une réduction catégorielle assez médiocre.

Et de l’autre côté, on a trouvé toutes les raisons de ne pas écouter les catholiques, les reléguant par méfiance acquise et par calcul au rang de minorité militante contrariant l’unanimité républicaine.

Pour des raisons à la fois biographiques, personnelles et intellectuelles, je me fais une plus haute idée des catholiques. Et il ne me semble ni sain ni bon que le politique se soit ingénié avec autant de détermination soit à les instrumentaliser, soit à les ignorer, alors que c’est d’un dialogue et d’une coopération d’une toute autre tenue, d’une contribution d’un tout autre poids à la compréhension de notre temps et à l’action dont nous avons besoin pour faire que les choses évoluent dans le bon sens.

C’est ce que votre belle allocution a bien montré, Monseigneur. Les préoccupations que vous soulevez – et je tâcherai pour quelques-unes d’y répondre ou d’y apporter un éclairage provisoire – ces préoccupations ne sont pas les fantasmes de quelques-uns. Les questions qui sont les vôtres ne se bornent pas aux intérêts d’une communauté restreinte. Ce sont des questions pour nous tous, pour toute la nation, pour notre humanité toute entière.

Ce questionnement intéresse toute la France non parce qu’il est spécifiquement catholique, mais parce qu’il repose sur une idée de l’homme, de son destin, de sa vocation, qui sont au cœur de notre devenir immédiat. Parce qu’il entend offrir un sens et des repères à ceux qui trop souvent en manquent.

C’est parce que j’entends faire droit à ces interrogations que je suis ici ce soir. Et pour vous demander solennellement de ne pas vous sentir aux marches de la République, mais de retrouver le goût et le sel du rôle que vous y avez toujours joué.

Je sais que l’on a débattu comme du sexe des anges des racines chrétiennes de l’Europe. Et que cette dénomination a été écartée par les parlementaires européens. Mais après tout, l’évidence historique se passe parfois de tels symboles. Et surtout, ce ne sont pas les racines qui nous importent, car elles peuvent aussi bien être mortes. Ce qui importe, c’est la sève. Et je suis convaincu que la sève catholique doit contribuer encore et toujours à faire vivre notre nation.

C’est pour tenter de cerner cela que je suis ici ce soir. Pour vous dire que la République attend beaucoup de vous. Elle attend très précisément si vous m’y autorisez que vous lui fassiez trois dons : le don de votre sagesse ; le don de votre engagement et le don de votre liberté.

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* *

L’urgence de notre politique contemporaine, c’est de retrouver son enracinement dans la question de l’homme ou, pour parler avec MOUNIER, de la personne. Nous ne pouvons plus, dans le monde tel qu’il va, nous satisfaire d’un progrès économique ou scientifique qui ne s’interroge pas sur son impact sur l’humanité et sur le monde. C’est ce que j’ai essayé d’exprimer à la tribune des Nations unies à New York, mais aussi à Davos ou encore au Collège de France lorsque j’y ai parlé d’intelligence artificielle : nous avons besoin de donner un cap à notre action, et ce cap, c’est l’homme.

Or il n’est pas possible d’avancer sur cette voie sans croiser le chemin du catholicisme, qui depuis des siècles creuse patiemment ce questionnement. Il le creuse dans son questionnement propre dans un dialogue avec les autres religions.

Questionnement qui lui donne la forme d’une architecture, d’une peinture, d’une philosophie, d’une littérature, qui toutes tentent, de mille manières, d’exprimer la nature humaine et le sens de la vie. « Vénérable parce qu’elle a bien connu l’homme », dit PASCAL de la religion chrétienne. Et certes, d’autres religions, d’autres philosophies ont creusé le mystère de l’homme. Mais la sécularisation ne saurait éliminer la longue tradition chrétienne.

Au cœur de cette interrogation sur le sens de la vie, sur la place que nous réservons à la personne, sur la façon dont nous lui conférons sa dignité, vous avez, Monseigneur, placé deux sujets de notre temps : la bioéthique et le sujet des migrants.

Vous avez ainsi établi un lien intime entre des sujets que la politique et la morale ordinaires auraient volontiers traités à part. Vous considérez que notre devoir est de protéger la vie, en particulier lorsque cette vie est sans défense. Entre la vie de l’enfant à naître, celle de l’être parvenu au seuil de la mort, ou celle du réfugié qui a tout perdu, vous voyez ce trait commun du dénuement, de la nudité et de la vulnérabilité absolue. Ces êtres sont exposés. Ils attendent tout de l’autre, de la main qui se tend, de la bienveillance qui prendra soin d’eux. Ces deux sujets mobilisent notre part la plus humaine et la conception même que nous nous faisons de l’humain et cette cohérence s’impose à tous.

Alors, j’ai entendu, Monseigneur, Mesdames et Messieurs, les inquiétudes montant du monde catholique et je veux ici tenter d’y répondre ou en tout cas de donner notre part de vérité et de conviction.

Sur les migrants, on nous reproche parfois de ne pas accueillir avec assez de générosité ni de douceur, de laisser s’installer des cas préoccupants dans les centres de rétention ou de refouler les mineurs isolés. On nous accuse même de laisser prospérer des violences policières.

Mais à dire vrai, que sommes-nous en train de faire ? Nous tentons dans l’urgence de mettre un terme à des situations dont nous avons hérité et qui se développent à cause de l’absence de règles, de leur mauvaise application, ou de leur mauvaise qualité – et je pense ici aux délais de traitement administratif mais aussi aux conditions d’octroi des titres de réfugiés.

Notre travail, celai que conduit chaque jour le ministre d’Etat, est de sortir du flou juridique des gens qui s’y égarent et qui espèrent en vain, qui tentent de reconstruire quelque chose ici, puis sont expulsés, cependant que d’autres, qui pourraient faire leur vie chez nous, souffrent de conditions d’accueil dégradées dans des centres débordés.

C’est la conciliation du droit et de l’humanité que nous tentons. Le Pape a donné un nom à cet équilibre, il l’a appelé « prudence », faisant de cette vertu aristotélicienne celle du gouvernant, confronté bien sûr à la nécessité humaine d’accueillir mais également à celle politique et juridique d’héberger et d’intégrer. C’est le cap de cet humanisme réaliste que j’ai fixé. Il y aura toujours des situations difficiles. Il y aura parfois des situations inacceptables et il nous faudra à chaque fois ensemble tout faire pour les résoudre.

Mais je n’oublie pas non plus que nous portons aussi la responsabilité de territoires souvent difficiles où ces réfugiés arrivent. Nous savons que les afflux de populations nouvelles plongent la population locale dans l’incertitude, la poussent vers des options politiques extrêmes, déclenchent souvent un repli qui tient du réflexe de protection. Une forme d’angoisse quotidienne se fait jour qui crée comme une concurrence des misères.

Notre exigence est justement dans une tension éthique permanente de tenir ces principes, celui d’un humanisme qui est le nôtre et de ne rien renoncer en particulier pour protéger les réfugiés, c’est notre devoir moral et c’est inscrit dans notre Constitution ; nous engager clairement pour que l’ordre républicain soit maintenu et que cette protection des plus faibles ne signifie pas pour autant l’anomie et l’absence de discernement car il y a aussi des règles qu’il faudra faire valoir et pour que des places soient trouvées, comme c’était dit tout à l’heure, dans les centres d’hébergement, ou dans les situations les plus difficiles, il faut aussi accepter que prenant notre part de cette misère, nous ne pouvons pas la prendre tout entière sans distinction des situations et il nous faut aussi tenir la cohésion nationale du pays où parfois d’aucuns ne parlent plus de cette générosité que nous évoquons ce soir mais ne veulent voir que la part effrayante de l’autre, et nourrissent ce geste pour porter plus loin leur projet.

C’est bien parce que nous avons à tenir ces principes, parfois contradictoires, dans une tension constante, que j’ai voulu que nous portions cet humanisme réaliste et que je l’assume pleinement devant vous.

Là où nous avons besoin de votre sagesse c’est pour partout tenir ce discours d’humanisme réaliste c’est pour conduire à l’engagement de celles et ceux qui pourront nous aider et c’est d’éviter les discours du pire, la montée des peurs qui continueront de se nourrir de cette part de nous car les flux massifs dont vous avez parlé que j’évoquais à l’instant ne se tariront pas d’ici demain, ils sont le fruit de grands déséquilibres du monde.

Et qu’il s’agisse des conflits politiques, qu’il s’agisse de la misère économique et sociale ou des défis climatiques, ils continueront à alimenter dans les années et les décennies qui viennent des grandes migrations auxquelles nous serons confrontés et il nous faudra continuer à tenir inlassablement ce cap, à constamment tenter de tenir nos principes au réel et je ne cèderai en la matière ni aux facilités des uns ni aux facilités des autres. Car ce serait manquer à ma mission.

Sur la bioéthique, on nous soupçonne parfois de jouer un agenda caché, de connaître d’avance les résultats d’un débat qui ouvrira de nouvelles possibilités dans la procréation assistée, ouvrant la porte à des pratiques qui irrésistiblement s’imposeront ensuite, comme la Gestation Pour Autrui. Et certains se disent que l’introduction dans ces débats de représentants de l’Eglise catholique comme de l’ensemble des représentants des cultes comme je m’y suis engagé dès le début de mon mandat est un leurre, destiné à diluer la parole de l’Eglise ou à la prendre en otage.

Vous le savez, j’ai décidé que l’avis du Conseil consultatif national d’Ethique, Monsieur le président, n’était pas suffisant et qu’il fallait l’enrichir d’avis de responsables religieux. Et j’ai souhaité aussi que ce travail sur les lois bioéthiques que notre droit nous impose de revoir puisse être nourri d’un débat organisé par le CCNE mais où toutes les familles philosophiques religieuses, politiques, où notre société aura à s’exprimer de manière pleine et entière.

C’est parce que je suis convaincu que nous ne sommes pas là face à un problème simple qui pourrait se trancher par une loi seule mais nous sommes parfois face à des débats moraux, éthiques, profonds qui touchent au plus intime de chacun d’entre nous. J’entends l’Eglise lorsqu’elle se montre rigoureuse sur les fondations humaines de toute évolution technique ; j’entends votre voix lorsqu’elle nous invite à ne rien réduire à cet agir technique dont vous avez parfaitement montré les limites ; j’entends la place essentielle que vous donnez dans notre société, à la famille – aux familles, oserais-je dire -, j’entends aussi ce souci de savoir conjuguer la filiation avec les projets que des parents peuvent avoir pour leurs enfants.

Nous sommes aussi confrontés à une société où les formes de la famille évoluent radicalement, où le statut de l’enfant parfois se brouille et où nos concitoyens rêvent de fonder des cellules familiales de modèle traditionnel à partir de schémas familiaux qui le sont moins.

J’entends les recommandations que formulent les instances catholiques, les associations catholiques, mais là encore, certains principes énoncés par l’Eglise sont confrontés à des réalités contradictoires et complexes qui traversent les catholiques eux-mêmes ; tous les jours, tous les jours les mêmes associations catholiques et les prêtres accompagnent des familles monoparentales, des familles divorcées, des familles homosexuelles, des familles recourant à l’avortement, à la fécondation in vitro, à la PMA , des familles confrontées à l’état végétatif d’un des leurs, des familles où l’un croit et l’autre non, apportant dans la famille la déchirure des choix spirituels et moraux, et cela je le sais, c’est votre quotidien aussi.

L’Eglise accompagne inlassablement ces situations délicates et tente de concilier ces principes et le réel.C’est pourquoi je ne suis pas en train de dire que l’expérience du réel défait ou invalide les positions adoptées par l’église ; je dis simplement que là aussi il faut trouver la limite car la société est ouverte à tous les possibles, mais la manipulation et la fabrication du vivant ne peuvent s’étendre à l’infini sans remettre en cause l’idée même de l’homme et de la vie.

Ainsi le politique et l’Eglise partagent cette mission de mettre les mains dans la glaise du réel, de se

confronter tous les jours à ce que le temporel a, si j’ose dire, de plus temporel.

Et c’est souvent dur, compliqué, et exigeant et imparfait. Et les solutions ne viennent pas d’elles-mêmes.Elles naissent de l’articulation entre ce réel et une pensée, un système de valeur, une conception du monde. Elles sont bien souvent le choix du moindre mal, toujours précaire et cela aussi est exigeant et difficile.

C’est pourquoi en écoutant l’Eglise sur ces sujets, nous ne haussons pas les épaules. Nous écoutons une voix qui tire sa force du réel et sa clarté d’une pensée où la raison dialogue avec une conception transcendante de l’homme. Nous l’écoutons avec intérêt, avec respect et même nous pouvons faire nôtres nombre de ses points. Mais cette voix de l’Eglise, nous savons au fond vous et moi qu’elle ne peut être injonctive. Parce qu’elle est faite de l’humilité de ceux qui pétrissent le temporel. Elle ne peut dès lors être que questionnante. Et sur tous ces sujets et en particulier sur ces deux sujets que je viens d’évoquer, parce qu’ils se construisent en profondeur dans ces tensions éthiques entre nos principes, parfois nos idéaux et le réel, nous sommes ramenés à l’humilité profonde de notre condition.

L’Etat et l’Eglise appartiennent à deux ordres institutionnels différents, qui n’exercent pas leur mandat sur le même plan. Mais tous deux exercent une autorité et même une juridiction. Ainsi, nous avons chacun forgé nos certitudes et nous avons le devoir de les formuler clairement, pour établir des règles, car c’est notre devoir d’état. Aussi le chemin que nous partageons pourrait se réduire à n’être que le commerce de nos certitudes.

Mais nous savons aussi, vous comme nous, que notre tâche va au-delà. Nous savons qu’elle est de faire vivre le souffle de ce que nous servons, d’en faire grandir la flamme, même si c’est difficile et surtout si c’est difficile.

Nous devons constamment nous soustraire à la tentation d’agir en simples gestionnaires de ce qui nous a été confié. Et c’est pourquoi notre échange doit se fonder non sur la solidité de certaines certitudes, mais sur la fragilité de ce qui nous interroge, et parfois nous désempare. Nous devons oser fonder notre relation sur le partage de ces incertitudes, c’est-à-dire sur le partage des questions, et singulièrement des questions de l’homme.

C’est là que notre échange a toujours été le plus fécond : dans la crise, face à l’inconnu, face au risque, dans la conscience partagée du pas à franchir, du pari à tenter. Et c’est là que la nation s’est le plus souvent grandie de la sagesse de l’Eglise, car voilà des siècles et des millénaires que l’Eglise tente ses paris, et ose son risque. C’est par là qu’elle a enrichi la nation.

C’est cela, si vous m’y autorisez, la part catholique de la France. C’est cette part qui dans l’horizon séculier instille tout de même la question intranquille du salut, que chacun, qu’il croie ou ne croie pas, interprétera à sa manière, mais dont chacun pressent qu’elle met en jeu sa vie entière, le sens de cette vie, la portée qu’on lui donne et la trace qu’elle laissera.

Cet horizon du salut a certes totalement disparu de l’ordinaire des sociétés contemporaines, mais c’est un tort et l’on voit à bien à des signes qu’il demeure enfoui. Chacun a sa manière de le nommer, de le transformer, de le porter mais c’est tout à la fois la question du sens et de l’absolu dans nos sociétés, que l’incertitude du salut apporte à toutes les vies même les plus résolument matérielles comme un tremblé au sens pictural du terme, est une évidence.

Paul RICŒUR, si vous m’autorisez à le citer ce soir, a trouvé les mots justes dans une conférence prononcée à Amiens en 1967 : « maintenir un but lointain pour les hommes, appelons-le un idéal, en un sens moral, et une espérance, en un sens religieux».

Ce soir-là, face à un public où certains avaient la foi, d’autres non, Paul RICŒUR invita son auditoire à dépasser ce qu’il appela « la prospective sans perspective » avec cette formule qui, je n’en doute pas, nous réunira tous ici ce soir : « Viser plus, demander plus. C’est cela l’espoir ; il attend toujours plus que de l’effectuable. »

Ainsi, l’Eglise n’est pas à mes yeux cette instance que trop souvent on caricature en gardienne des bonnes mœurs. Elle est cette source d’incertitude qui parcourt toute vie, et qui fait du dialogue, de la question, de la quête, le cœur même du sens, même parmi ceux qui ne croient pas.

C’est pour cela que le premier don que je vous demande est celui de l’humilité du questionnement, le don de cette sagesse qui trouve son enracinement de la question de l’homme et donc dans les questions que l’homme se pose.

Car c’est cela l’Eglise à son meilleur ; c’est celle qui dit : frappez et l’on vous ouvrira, qui se pose en recours et en voix amie dans un monde où le doute, l’incertain, le changeant sont de règle ; où le sens toujours échappe et toujours se reconquiert ; c’est une église dont je n’attends pas des leçons mais plutôt cette sagesse d’humilité face en particulier à ces deux sujets que vous avez souhaité évoquer et que je viens d’esquisser en réponse parce que nous ne pouvons avoir qu’un horizon commun et en cherchant chaque jour à faire du mieux, à accepter au fond la part « d’intranquillité » irréductible qui va avec notre action.

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Questionner, ce n’est pas pour autant refuser d’agir ; c’est au contraire tenter de rendre l’action conforme à des principes qui la précèdent et la fondent et c’est cette cohérence entre pensée et action qui fait la force de cet engagement que la France attend de vous. Ce deuxième don dont je souhaitais vous parler.

Ce qui grève notre pays – j’ai déjà eu l’occasion de le dire – ce n’est pas seulement la crise économique, c’est le relativisme ; c’est même le nihilisme ; c’est tout ce qui laisse à penser que cela n’en vaut pas la peine. Pas la peine d’apprendre, pas la peine de travailler et surtout pas la peine de tendre la main et de s’engager au service de plus grands que soit. Le système, progressivement, a enfermé nos concitoyens dans « l’à quoi bon » en ne rémunérant plus vraiment le travail ou plus tout à fait, en décourageant l’initiative, en protégeant mal les plus fragiles, en assignant à résidence les plus défavorisés et en considérant que l’ère postmoderne dans laquelle nous étions collectivement arrivés, était l’ère du grand doute qui permettait de renoncer à toute absolu.

C’est dans ce contexte de décrue des solidarités et de l’espoir que les catholiques se sont massivement tournés vers l’action associative, vers l’engagement. Vous êtes aujourd’hui une composante majeure de cette partie de la Nation qui a décidé de s’occuper de l’autre partie – nous en avons vu des témoignages très émouvants tout à l’heure – celle des malades, des isolés, des déclassés, des vulnérables, des abandonnés, des handicapés, des prisonniers, quelle que soit leur appartenance ethnique ou religieuse.BATAILLE appelait ça « la part maudite » dans un terme qui a parfois été dénaturé mais qui est la part essentielle d’une société parce que c’est à cela qu’une société, qu’une famille, qu’une vie se juge… à sa capacité à reconnaître celle ou celui qui a eu un parcours différent, un destin différent et à s’engager pour lui. Les Français ne mesurent pas toujours cette mutation de l’engagement catholique ; vous êtes passés des activités de travailleurs sociaux à celles de militants associatifs se tenant auprès de la part fragile de notre pays, que les associations où les catholiques s’engagent soient explicitement catholiques ou pas, comme les Restos du Cœur.

Je crains que les politiques ne se soient trop longtemps conduits comme si cet engagement était un acquis, comme si c’était normal, comme si le pansement ainsi posé par les catholiques et par tant d’autres sur la souffrance sociale, dédouanait d’une certaine impuissance publique.

Je voudrais saluer avec infiniment de respect toutes celles et tous ceux qui ont fait ce choix sans compter leur temps ni leur énergie et permettez-moi aussi de saluer tous ces prêtres et ces religieux qui de cet engagement ont fait leur vie et qui chaque jour dans les paroisses françaises accueillent, échangent, œuvrent au plus près de la détresse ou des malheurs ou partagent la joie des familles lors des événements heureux. Parmi eux se trouvent aussi des aumôniers aux armées ou dans nos prisons et je salue ici leurs représentants ; eux aussi sont des engagés. Et permettez-moi d’associer se faisant également tous les engagés des autres religions dont les représentants sont ici présents et qui partagent cette communauté d’engagement avec vous.

Cet engagement est vital pour la France et par-delà les appels, les injonctions, les interpellations que vous nous adressez pour nous dire de faire plus, de faire mieux, je sais, nous savons tous, que le travail que vous accomplissez, n’est pas un pis-aller mais une part du ciment même de notre cohésion nationale. Ce don de l’engagement n’est pas seulement vital, il est exemplaire. Mais je suis venu vous appeler à faire davantage encore car ce n’est pas un mystère, l’énergie consacrée à cet engagement associatif a été aussi largement soustrait à l’engagement politique.

Or je crois que la politique, si décevante qu’elle ait pu être aux yeux de certains, si desséchante parfois aux yeux d’autres, a besoin de l’énergie des engagés, de votre énergie. Elle a besoin de l’énergie de ceux qui donnent du sens à l’action et qui placent en son cœur une forme d’espérance. Plus que jamais, l’action politique a besoin de ce que la philosophe Simone WEIL appelait l’effectivité, c’est-à-dire cette capacité à faire exister dans le réel les principes fondamentaux qui structurent la vie morale, intellectuelle et dans le cas des croyances spirituelles.

C’est ce qu’ont apporté à la politique française les grandes figures que sont le Général de GAULLE, Georges BIDAULT, Robert SCHUMAN, Jacques DELORS ou encore les grandes consciences françaises qui ont éclairé l’action politique comme CLAVEL, MAURIAC, LUBAC ou MARROU et ce n’est pas une pratique théocratique ni une conception religieuse du pouvoir qui s’est fait jour mais une exigence chrétienne importée dans le champ laïc de la politique. Cette place aujourd’hui est à prendre non parce qu’il faudrait à la politique française son quota de catholiques, de protestants, de juifs ou de musulmans, non, ni parce que les responsables politiques de qualité ne se recruteraient que dans les rangs des gens de foi, mais parce que cette flamme commune dont je parlais tout à l’heure à propos d’Arnaud BELTRAME, fait partie de notre histoire et de ce qui toujours a guidé notre pays. Le retrait ou la mise sous le boisseau de cette lumière n’est pas une bonne nouvelle.

C’est pourquoi, depuis le point de vue qui est le mien, un point de vue de chef d’Etat, un point de vue laïc, je dois me soucier que ceux qui travaillent au cœur de la société française, ceux qui s’engagent pour soigner ses blessures et consoler ses malades, aient aussi une voix sur la scène politique, sur la scène politique nationale comme sur la scène politique européenne. Ce à quoi je veux vous appeler ce soir, c’est à vous engager politiquement dans notre débat national et dans notre débat européen car votre foi est une part d’engagement dont ce débat a besoin et parce que, historiquement, vous l’avez toujours nourri car l’effectivité implique de ne pas déconnecter l’action individuelle de l’action politique et publique.

A ce propos, il me faut rappeler la clarté parfaite du texte proposé par la Conférence des évêques en novembre 2016 en vue de l’élection présidentielle, intitulé « Retrouver le sens du politique ». J’avais fondé En Marche quelques mois plus tôt et sans vouloir engager, Monseigneur, une querelle de droits d’auteur, j’y ai lu cette phrase dont la consonance avec ce qui a guidé mon engagement, m’a alors frappé ; il y était ainsi écrit – je cite – « Nous ne pouvons pas laisser notre pays voir ce qui le fonde, risquer de s’abîmer gravement, avec toutes les conséquences qu’une société divisée peut connaître ; c’est à un travail de refondation auquel il nous faut ensemble nous atteler ».

Recherche du sens, de nouvelles solidarités mais aussi espoir dans l’Europe ; ce document énumère tout ce qui peut porter un citoyen à s’engager et s’adresse aux catholiques en liant avec simplicité la foi à l’engagement politique par cette formule que je cite : « Le danger serait d’oublier ce qui nous a construits ou à l’inverse, de rêver du retour à un âge d’or imaginaire ou d’aspirer à une église de purs et à une contre-culture située en dehors du monde, en position de surplomb et de juges ».

Depuis trop longtemps, le champ politique était devenu un théâtre d’ombres et aujourd’hui encore, le récit politique emprunte trop souvent aux schémas les plus éculés et les plus réducteurs, semblant ignorer le souffle de l’histoire et ce que le retour du tragique dans notre monde contemporain exige de nous.

Je pense pour ma part que nous pouvons construire une politique effective, une politique qui échappe au cynisme ordinaire pour graver dans le réel ce qui doit être le premier devoir du politique, je veux dire la dignité de l’homme.

Je crois en un engagement politique qui serve cette dignité, qui la reconstruise où elle a été bafouée, qui la préserve où elle est menacée, qui en fasse le trésor véritable de chaque citoyen. Je crois dans cet engagement politique qui permet de restaurer la première des dignités, celle de pouvoir vivre de son travail. Je crois dans cet engagement politique qui permet de redresser la dignité la plus fondamentale, la dignité des plus fragiles ; celle qui justement ne se résout à aucune fatalité sociale – et vous en avez été des exemples magnifiques tous les six à l’instant – et qui considère que faire œuvre politique et d’engagement politique, c’est aussi changer les pratiques là où on est de la société et son regard.

Les six voix que nous avons entendues au début de cette soirée, ce sont six voix d’un engagement qui a en lui une forme d’engagement politique, qui suppose qu’il n’est qu’à poursuivre ce chemin pour trouver aussi d’autres débouchés, mais où à chaque fois j’ai voulu lire ce refus d’une fatalité, cette volonté de s’occuper de l’autre et surtout cette volonté, par la considération apportée, d’une conversion des regards ; c’est cela l’engagement dans une société ; c’est donner de son temps, de son énergie, c’est considérer que la société n’est pas un corps mort qui ne serait modifiable que par des politiques publiques ou des textes, ou qui ne serait soumise qu’à la fatalité des temps ; c’est que tout peut être changé si on décide de s’engager, de faire et par son action de changer son regard ; par son action, de donner une chance à l’autre mais aussi de nous révéler à nous-mêmes, que cet autre transforme.

On parle beaucoup aujourd’hui d’inclusivité ; ce n’est pas un très joli mot et je ne suis pas sûr qu’il soit toujours compris par toutes et tous. Mais il veut dire cela ; ce que nous tentons de faire sur l’autisme, sur le handicap, ce que je veux que nous poursuivions pour restaurer la dignité de nos prisonniers, ce que je veux que nous poursuivions pour la dignité des plus fragiles dans notre société, c’est de simplement considérer qu’il y a toujours un autre à un moment donné de sa vie, pour des raisons auxquelles il peut quelque chose ou auxquelles il ne peut rien, qui a avant tout quelque chose à apporter à la société. Allez voir une classe ou une crèche où nous étions il y a quelques jours, où l’on place des jeunes enfants ayant des troubles autistiques et vous verrez ce qu’ils apportent aux autres enfants ; et je vous le dis Monsieur, ne pensez pas simplement qu’on vous aide… nous avons vu tout à l’heure dans l’émotion de votre frère tout ce que vous lui avez apporté et qu’aucun autre n’aurait pu apporter. Cette conversion du regard, seul l’engagement la rend possible et au cœur de cet engagement, une indignation profonde, humaniste, éthique et notre société politique en a besoin. Et cet engagement que vous portez, j’en ai besoin pour notre pays comme j’en ai besoin pour notre Europe parce que notre principal risque aujourd’hui, c’est l’anomie, c’est l’atonie, c’est l’assoupissement.

Nous avons trop de nos concitoyens qui pensent que ce qui est acquis, est devenu naturel ; qui oublient les grands basculement auxquels notre société et notre continent sont aujourd’hui soumis ; qui veulent penser que cela n’a jamais été autrement, oubliant que notre Europe ne vit qu’au début d’une parenthèse dorée qui n’a qu’un peu plus de 70 ans de paix, elle qui toujours avait été bousculée par les guerres ; où trop de nos concitoyens pensent que la fraternité dont on parle, c’est une question d’argent public et de politique publique et qu’ils n’y auraient pas leur part indispensable.

Tous ces combats qui sont au cœur de l’engagement politique contemporain, les parlementaires ici présents les portent dans leur part de vérité, qu’il s’agisse de lutter contre le réchauffement climatique, de lutter pour une Europe qui protège et qui revisite ses ambitions, pour une société plus juste. Mais ils ne seront pas possibles si à tous les niveaux de la société, ils ne sont accompagnés d’un engagement politique profond ; un engagement politique auquel j’appelle les catholiques pour notre pays et pour notre Europe.

Le don de l’engagement que je vous demande, c’est celui-ci : ne restez pas au seuil, ne renoncez pas à la République que vous avez si fortement contribué à forger ; ne renoncez pas à cette Europe dont vous avez nourri le sens ; ne laissez pas en friche les terres que vous avez semées ; ne retirez pas à la République la rectitude précieuse que tant de fidèles anonymes apportent à leur vie de citoyens. Il y a au cœur de cet engagement dans notre pays a besoin la part d’indignation et de confiance dans l’avenir que vous pouvez apporter.

Cependant, pour vous rassurer, ce n’est pas un enrôlement que je suis venu vous proposer et je suis même venu vous demander un troisième don que vous pouvez faire à la Nation, c’est précisément celui de votre liberté.

*

* *

Partager le chemin, ce n’est pas toujours marcher du même pas ; je me souviens de ce joli texte où Emmanuel MOUNIER explique que l’Eglise en politique a toujours été à la fois en avance et en retard, jamais tout à fait contemporaine, jamais tout à fait de son temps ; cela fait grincer quelques dents mais il faut accepter ce contretemps ; il faut accepter que tout dans notre monde n’obéisse pas au même rythme et la première liberté dont l’Eglise peut faire don, c’est d’être intempestive.

Certains la trouveront réactionnaire ; d’autres sur d’autres sujets bien trop audacieuse. Je crois simplement qu’elle doit être un de ces points fixes dont notre humanité a besoin au creux de ce monde devenu oscillant, un de ces repères qui ne cèdent pas à l’humeur des temps. C’est pourquoi Monseigneur, Mesdames et Messieurs, il nous faudra vivre cahin-caha avec votre côté intempestif et la nécessité que j’aurai d’être dans le temps du pays. Et c’est ce déséquilibre constant que nous ferons ensemble cheminer.

« La vie active, disait GREGOIRE, est service ; la vie contemplative est une liberté ». Je voudrais ce soir en rappelant l’importance de cette part intempestive et de ce point fixe que vous pouvez représenter, je voudrais ce soir avoir une pensée pour toutes celles et tous ceux qui se sont engagés dans une vie recluse ou une vie communautaire, une vie de prière et de travail. Même si elle semble pour certains à contretemps, ce type de vie est aussi l’exercice d’une liberté ; elle démontre que le temps de l’église n’est pas celui du monde et certainement pas celui de la politique telle qu’elle va – et c’est très bien ainsi.

Ce que j’attends que l’Eglise nous offre, c’est aussi sa liberté de parole.

Nous avons parlé des alertes lancées par les associations et par l’épiscopat ; je songe aussi aux monitions du pape qui trouve dans une adhésion constante au réel de quoi rappeler les exigences de la condition humaine ; cette liberté de parole dans une époque où les droits font florès, présente souvent la particularité de rappeler les devoirs de l’homme envers soi-même, son prochain ou envers notre planète.La simple mention des devoirs qui s’imposent à nous est parfois irritante ; cette voix qui sait dire ce qui fâche, nos concitoyens l’entendent même s’ils sont éloignés de l’Eglise. C’est une voix qui n’est pas dénuée de cette « ironie parfois tendre, parfois glacée » dont parlait Jean GROSJEAN dans son commentaire de Paul, une foi qui sait comme peu d’autres subvertir les certitudes jusque dans ses rangs. Cette voix qui se fait tantôt révolutionnaire, tantôt conservatrice, souvent les deux à la fois, comme le disait LUBAC dans ses « Paradoxes », est importante pour notre société.

Il faut être très libre pour oser être paradoxal et il faut être paradoxal pour être vraiment libre. C’est ce que nous rappellent les meilleurs écrivains catholiques, de Maurice CLAVEL à Alexis JENNI, de Georges BERNANOS à Sylvie GERMAIN, de Paul CLAUDEL à François SUREAU ; de François MAURIAC à Florence DELAY, de Julien GREEN à Christiane RANCE. Dans cette liberté de parole, de regard qui est la leur, nous trouvons une part de ce qui peut éclairer notre société.

Et dans cette liberté de parole, je range la volonté de l’Eglise d’initier, d’entretenir et de renforcer le libre dialogue avec l’islam dans le monde a tant besoin et que vous avez évoqué.

Car il n’est pas de compréhension de l’islam qui ne passe par des clercs comme il n’est pas de dialogue interreligieux sans les religions. Ces lieux en sont le témoin ; le pluralisme religieux est une donnée fondamentale de notre temps. Monseigneur LUSTIGER en avait eu l’intuition forte lorsqu’il a voulu faire revivre le Collège des Bernardins pour accueillir tous les dialogues. L’Histoire lui a donné raison. Il n’y a pas plus urgent aujourd’hui qu’accroître la connaissance mutuelle des peuples, des cultures, des religions ; il n’y a d’autres moyens pour cela que la rencontre par la voix mais aussi par les livres, par le travail partagé ; toutes choses dont Benoît XVI avait raconté l’enracinement dans la pensée cistercienne lors de son passage ici en 2008.

Ce partage s’exerce en pleine liberté, chacun dans ses termes et ses références ; il est le socle indispensable du travail que l’Etat de son côté doit mener pour penser toujours à nouveaux frais, la place des religions dans la société et la relation entre religion, société et puissance publique. Et pour cela, je compte beaucoup sur vous, sur vous tous, pour nourrir ce dialogue et l’enraciner dans notre histoire commune qui a ses particularités mais dont la particularité est d’avoir justement toujours attaché à la Nation française cette capacité à penser les universels.

Ce partage, ce travail nous le menons résolument après tant d’années d’hésitations ou de renoncements et les mois à venir seront décisifs à cet égard.

Ce partage que vous entretenez est d’autant plus important que les chrétiens payent de leur vie leur attachement au pluralisme religieux. Je pense aux chrétiens d’Orient.

Le politique partage avec l’Eglise la responsabilité de ces persécutés car non seulement nous avons hérité historiquement du devoir de les protéger mais nous savons que partout où ils sont, ils sont l’emblème de la tolérance religieuse. Je tiens ici à saluer le travail admirable accompli par des mouvements comme l’Œuvre d’Orient, Caritas France et la communauté Sant’Egidio pour permettre l’accueil sur le territoire national des familles réfugiées, pour venir en aide sur place, avec le soutien de l’Etat.

Comme je l’ai dit lors de l’inauguration de l’exposition « Chrétiens d’Orient » à l’Institut du Monde arabe le 25 septembre dernier, l’avenir de cette partie du monde ne se fera pas sans la participation de toutes les minorités, de toutes les religions et en particulier les chrétiens d’Orient. Les sacrifier, comme le voudraient certains, les oublier, c’est être sûr qu’aucune stabilité, aucun projet, ne se construira dans la durée dans cette région.

Il est enfin une dernière liberté dont l’Eglise doit nous faire don, c’est de la liberté spirituelle

Car nous ne sommes pas faits pour un monde qui ne serait traversé que de buts matérialistes. Nos contemporains ont besoin, qu’ils croient ou ne croient pas, d’entendre parler d’une autre perspective sur l’homme que la perspective matérielle.

Ils ont besoin d’étancher une autre soif, qui est une soif d’absolu. Il ne s’agit pas ici de conversion mais d’une voix qui, avec d’autres, ose encore parler de l’homme comme d’un vivant doté d’esprit. Qui ose parler d’autre chose que du temporel, mais sans abdiquer la raison ni le réel. Qui ose aller dans l’intensité d’une espérance, et qui, parfois, nous fait toucher du doigt ce mystère de l’humanité qu’on appelle la sainteté, dont le Pape François dit dans l’exhortation parue ce jour qu’elle est « le plus beau visage de l’Eglise ».

Cette liberté, c’est celle d’être vous-mêmes sans chercher à complaire ni à séduire. Mais en accomplissant votre œuvre dans la plénitude de son sens, dans la règle qui lui est propre et qui depuis toujours nous vaut des pensées fortes, une théologie humaine, une Eglise qui sait guider les plus fervents comme les non-baptisés, les établis comme les exclus.

Je ne demanderai à aucun de nos concitoyens de ne pas croire ou de croire modérément. Je ne sais pas ce que cela veut dire. Je souhaite que chacun de nos concitoyens puisse croire à une religion, une philosophie qui sera la sienne, une forme de transcendance ou pas, qu’il puisse le faire librement mais que chacune de ces religions, de ces philosophies puisse lui apporter ce besoin au plus profond de lui-même d’absolu.

Mon rôle est de m’assurer qu’il ait la liberté absolue de croire comme de ne pas croire mais je lui demanderai de la même façon et toujours de respecter absolument et sans compromis aucun toutes les lois de la République. C’est cela la laïcité ni plus ni moins, une règle d’airain pour notre vie ensemble qui ne souffre aucun compromis, une liberté de conscience absolue et cette liberté spirituelle que je viens d’évoquer.

*

* *

« Une Eglise triomphant parmi les hommes ne devrait-elle pas s’inquiéter d’avoir déjà tout compromis de son élection en ayant passé un compromis avec le monde ? »

Cette interrogation n’est pas mienne, ce sont mots de Jean-Luc MARION qui devraient servir de baume à l’Eglise et aux catholiques aux heures de doute sur la place des catholiques en France, sur l’audience de l’Eglise, sur la considération qui leur est accordée.

L’Eglise n’est pas tout à fait du monde et n’a pas à l’être. Nous qui sommes aux prises avec le temporel le savons et ne devons pas essayer de l’y entraîner intégralement, pas plus que nous ne devons le faire avec aucune religion. Ce n’est ni notre rôle ni leur place.

Mais cela n’exclut pas la confiance et cela n’exclut pas le dialogue. Surtout, cela n’exclut pas la reconnaissance mutuelle de nos forces et de nos faiblesses, de nos imperfections institutionnelles et humaines.

Car nous vivons une époque où l’alliance des bonnes volontés est trop précieuse pour tolérer qu’elles perdent leur temps à se juger entre elles. Nous devons, une bonne fois pour toutes, admettre l’inconfort d’un dialogue qui repose sur la disparité de nos natures, mais aussi admettre la nécessité de ce dialogue car nous visons chacun dans notre ordre à des fins communes, qui sont la dignité et le sens.

Certes, les institutions politiques n’ont pas les promesses de l’éternité ; mais l’Eglise elle-même ne peut risquer avant le temps de faucher à la fois le bon grain et l’ivraie. Et dans cet entre-deux où nous sommes, où nous avons reçu la charge de l’héritage de l’homme et du monde, oui, si nous savons juger les choses avec exactitude, nous pourrons accomplir de grandes choses ensemble.

C’est peut-être assigner là à l’Eglise de France une responsabilité exorbitante, mais elle est à la mesure de notre histoire, et notre rencontre ce soir atteste, je crois, que vous y êtes prêts.

Monseigneur, Mesdames et Messieurs, sachez en tout cas que j’y suis prêt aussi.

Je vous remercie.

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Guerre

Non à l’intervention militaire, aux bombardements en Syrie!

La guerre, la guerre et toujours la guerre ! A force de se tourner vers le protectionnisme et le nationalisme comme seules solutions « accessibles », les pays les plus développés assument la compétition « géopolitique », avec l’assentiment d’une partie significative de la population.

Ce que cela signifie, c’est simplement la guerre, il faut bien le dire. Et on est tellement dans un jeu malsain que c’est par un message Twitter que Donald Trump l’escalade, disant à la Russie de se tenir prête face à l’intervention américaine en Syrie.

« La Russie jure d’abattre n’importe quel missile tiré sur la Syrie. Que la Russie se tienne prête, car ils arrivent, beaux, nouveaux et “intelligents” ! Vous ne devriez pas vous associer à un Animal qui Tue avec du Gaz, qui tue son peuple et aime cela. »

Il n’a pas hésité à écrire, pour en rajouter :

« Notre relation avec la Russie est pire maintenant qu’elle ne l’a jamais été, et cela inclut la Guerre froide. »

C’est là préparer l’opinion publique à la guerre, avec des cibles désignées : la Syrie tout d’abord, mais également l’Iran, ainsi que la Russie elle-même.

La visite du prince héritier saoudien,  Son Altesse Royale le prince Mohammed ben Salman ben Abdulaziz al-Saoud, à Paris ces derniers jours – il a pu manger son repas avec Emmanuel Macron devant le tableau « La liberté guidant le peuple », quelle honte – participe à ce mécano militariste, puisque l’Arabie Saoudite prône la guerre contre l’Iran.

L’Arabie Saoudite a même reconnu que les Israéliens avaient droit à un territoire, rompant avec sa position officielle traditionnelle, montrant qu’on est désormais dans le dur, dans le concret, dans la « realpolitik ».

La Grande-Bretagne l’a bien compris et Theresa May a ordonné l’envoi de sous-marins à proximité de la Syrie, alors qu’un autre sous-marin fait des manœuvres avec deux navires américains dans la zone arctique, pour la première fois depuis dix ans.

Cela va cogner et il faut avoir suffisamment de réseaux, d’alliances, de participations ici et là pour tenir. Ne pas comprendre que cela va cogner ou pire le nier est une faillite intellectuelle et morale – la guerre est inévitable, à moins de changements de régimes dans les pays concernés.

C’est bien pour cela, justement, que l’Europe comme projet politique a eu tellement de succès chez les peuples. L’Europe permet, en théorie, de dépasser les nationalismes, les patriotismes étriqués, et il y a 25 ans tous les Français pensaient qu’il y aurait à moyen terme un passeport européen, et bientôt un gouvernement européen, des États-Unis d’Europe.

C’est pour cela que beaucoup de gens croient encore en l’Union Européenne comme moyen d’éviter les conflits, tout en espérant souvent, en même temps, de manière directement impérialiste, que cela soit un empire face aux États-Unis et à la Chine.

Naturellement, c’est au nom des droits de l’homme encore une fois que les missiles sont présentés comme essentiels. L’hypothèse d’une attaque chimique en Syrie à Douma du 7 avril sert ici de prétexte à une immense campagne en faveur de la guerre, tout comme la question kurde pour l’intervention française annoncée il y a quelques jours.

Il ne s’agit pas ici, naturellement, de dédouaner la Syrie, l’Iran et la Russie. Ces régimes sont odieux. Cependant, l’ennemi c’est toujours notre propre nationalisme, notre propre chauvinisme, notre propre impérialisme. Les prétextes pour refuser cela ont permis la guerre de 1914-1918, alors qu’une révolte dans un pays aurait produit des révoltes dans les autres.

Il ne faut jamais accepter les initiatives militaires, militaristes, de la part de son propre pays !

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Politique

Olivier Faure : « Vive le socialisme et vive la gauche! »

Le congrès d’Aubervilliers du Parti socialiste s’est tenu ce week-end. Voici le discours d’Olivier Faure qui a officiellement été élu premier secrétaire, à la suite des primaires.

De manière lyrique, il tente de convaincre que le Parti socialiste est la clef pour unir tous les gens perdus dans le désert entre Macron et Mélenchon. Le retour au désintéressement militant et le refus des clivages d’esprit factionnel – un retour à la tradition du passé – est la méthode prônée.

Olivier Faure n’hésite pas à en appeler à Léon Blum et Jean Jaurès pour expliquer les fondamentaux de la démarche socialiste, voire même de l’éthique : son texte est très bien élaboré, appelant aux valeurs essentielles qui ont porté le Parti socialiste, se revendiquant ouvertement de gauche, de la Gauche.

Le souci est bien entendu que la base historique du Parti socialiste s’est évaporé dans de nombreuses parties du pays, notamment dans le Nord. Or, le positionnement d’Olivier Faure part du principe qu’il faut redémarrer un processus. Il y a ici un profond décalage, car dans de nombreux endroits, le Parti socialiste n’est ni plus ni moins qu’à reconstruire.

A cela s’ajoute le refus du débat d’idées : tout comme chez Benoît Hamon ou Jean-Luc Mélenchon, on retrouve chez Olivier Faure le principe du tirage au sort comme méthode pour nommer certaines personnes à certaines instances.

S’il s’agit ici de bloquer la bureaucratie, cela n’en est pas moins totalement anti-démocratique et opposé à la bataille d’idées qui, justement, a fait avancer la gauche historiquement.

Olivier Faure, en parlant d’écologie, dit pareillement qu’après avoir réfléchi pendant cent ans aux modes de travail, il faut commencer à faire de même sur les modes de vie. C’est pourtant ce que le Parti socialiste avait fait justement un peu avant 1981, dans l’esprit du prolongement de mai 1968 : il a totalement abandonné cela et ce n’est pas assumé.

Olivier Faure affirme que la République doit orchestrer le retour des Lumières : soit, encore faut-il en voir le contenu. Le fait qu’il ne parle même pas des animaux – alors que le Labour britannique avait déjà établi un programme avancé à ce sujet en 1996, pour ne pas l’assumer cependant – est révélateur d’un problème facile à comprendre : les cadres du Parti socialiste sont socialement des privilégiés.

La clef – le débat d’idées, le contenu – n’est donc pas présente et à cela s’ajoute la conception d’un parti-plateforme mis en avant par Olivier Faure, qui ne décidera pas du programme du Parti socialiste, mais somme toute du projet présidentiel. On a ici du mal à voir les contours de ce que cela peut être.

Cependant, l’idée qu’il y a ici à l’arrière-plan, c’est qu’Emmanuel Macron a tout changé, qu’il provoque une colère amenant à oublier François Hollande, et qu’avec le renforcement de l’extrême-droite, le Parti socialiste sera de toutes façons incontournable et au centre du jeu.

Cher Jean-Marc et cher Bernard, vous qui avez porté jusqu’au cœur de l’État les valeurs du socialisme.

Cher Jean-Christophe, toi à qui je succède à cette fonction qui est la plus belle pour un socialiste.

Cher Rachid, toi qui a assuré cette transition avec la direction collégiale, toi qui a assumé les décisions douloureuses qui autorisent désormais un nouveau départ,

I/ Renaissance

Mes camarades,

C’était il y a 47 ans, à quelques kilomètres d’ici. Déjà on nous voyait plus morts que vifs. C’était à Epinay. Ce congrès autour de François Mitterrand fut celui d’un nouveau cycle. Il arrivait après tant d’échecs et de défaites. Il fut le point de départ d’une renaissance pour ceux qui n’en pouvaient déjà plus d’attendre et d’espérer.

47 ans plus tard, nous voici à nouveau en Seine-Saint-Denis après une déroute historique à l’élection présidentielle. Certains y verront une superstition. D’autres la volonté de faire se rencontrer l’histoire et la géographie. Je leur dis que nous sommes ici parce que nous savions que nous serions heureux d’y retrouver nos camarades de cette grande fédération qu’ont si bien évoquée Mathieu Monot, nouveau Premier secrétaire fédéral, et Stéphane Troussel, le président du département.

Un demi-siècle plus tard, notre regard rétrospectif idéalise ce que fut ce moment. Le congrès d’Epinay, c’était un commencement, pas un aboutissement. Et il suffit de lire la revue de presse du 14 juin 1971, pour se rappeler que les commentaires du lendemain furent aussi négatifs que ceux de la veille, et qu’il fallut toute la foi en l’avenir des socialistes pour conjurer ces mauvais augures.

Ceux qui nous commentent nous mettent toujours au défi de notre propre disparition. Il m’arrive de penser que seul notre hiver les intéresse. Mais à bien y réfléchir, j’y vois aussi comme un hommage paradoxal. Notre présence n’est pas spontanée. Elle est fragile. Comme l’irruption de la volonté humaine contre l’ordre naturel du monde. Qu’est-ce que cela dit de la gauche ? Qu’elle est affaire de courage et de persévérance. Que notre résolution faiblisse et c’est la flamme de l’égalité qui se trouve étouffée. Une fois encore nous sommes décrits comme ce « grand cadavre à la renverse », dont Jean-Paul Sartre parlait déjà il y a 60 ans, promis à une extinction lente mais assurée.

La France manque de médecins mais la presse ne manque pas de légistes… Mais soyons honnêtes, ce qui est nouveau, c’est que cette fois cette idée n’a pas seulement traversé l’esprit de quelques éditorialistes. Elle a saisi chacune et chacun d’entre nous au cours des derniers mois. Nous venons de connaître l’une des périodes les plus éprouvantes de notre histoire récente.

Car quand même ! Un ministre issu de nos rangs, clamant d’abord sa fidélité à la gauche, puis prétendant n’être ni de droite ni de gauche, avant d’affirmer être de droite et de gauche, mène depuis son élection une politique et de droite et de droite.

Mais ce n’est pas tout. Les deux finalistes à la primaire de la gauche qui ont aspiré à porter nos couleurs choisissent l’un comme l’autre, l’un après l’autre, de partir. L’un, ancien Premier ministre, en pleine campagne présidentielle. L’autre, ancien ministre, au lendemain de sa défaite au premier tour, évitant ainsi d’en rendre compte devant celles et ceux qui avaient loyalement mené sa campagne.

Et c’est dans ce contexte de confusion totale que nos candidats ont dû affronter les élections législatives. La suite, on la connaît. 546 candidats qui ont vu leurs mérites individuels effacés par une déferlante sans précédent. Un groupe parlementaire réduit à la portion congrue avec 31 rescapés.

Alors pourquoi sommes-nous là, à Aubervilliers ? Et pourquoi restons-nous dans ce parti ? Cette question, nous nous la sommes tous posée. À des moments différents, selon nos sensibilités.

Depuis quelques jours, j’ai cette chance d’être destinataire de centaines de messages. Le hasard a placé sous mon regard le courrier de Nassima. D’elle je ne sais que son âge. 32 ans. Si je vous parle d’elle, c’est parce que son courrier m’a touché. Ému. Remué.

Que dit Nassima ? Qu’elle a voté pour Emmanuel Macron aux deux tours de l’élection présidentielle, puis pour son candidat aux législatives. Qu’elle l’a fait sans adhésion, mais par simple désir de renouvellement. En fait surtout par dégoût de nous. Par « dégoût » de nous…

Depuis elle dit qu’elle appartient à « un désert entre Macron et Mélenchon » . Ses mots sont forts. Ils disent sa peine et son désarroi. De notre défaite, elle écrit que le pire n’est pas notre score de 6 %, mais d’avoir un pays où l’extrême droite atteint 34 % .

Nassima dit que François Ruffin, qu’Olivier Besancenot lui parlent sans vraiment lui parler. Qu’elle aime leur colère sans aimer leurs propositions. Mais qu’elle ne sait plus où nous sommes. Qu’elle est orpheline de notre gauche. Cette gauche capable d’articuler indignations et solutions.

Voilà pourquoi je suis resté. Voilà pourquoi j’ai voulu, avec vous, donner une chance à notre renaissance ! Pour répondre à Nassima. À toutes celles, à tous ceux qui pensent comme elle. Pour leur dire que notre volonté de transformation est intacte ! Que notre désir de changement est intact ! Que notre soif de justice est intacte !

Nous avons déçu mais nous allons tirer les leçons de l’échec. Nous avons compris que nous devions commencer par nous changer nous-mêmes avant de penser changer les autres. À elles, à eux, à vous, à tous, je veux dire que nous allons à nouveau vous rendre fiers d’appartenir à la grande famille de la gauche !

Au moment où il est de bon ton de se moquer des partis politiques, je veux dire mon attachement anachronique, vintage, ringard, à cette expression de la démocratie. J’ai été un enfant des quartiers. Dans le mien, il y avait l’amour de nos mères et les terrains vagues. Le courage de nos pères et des tours trop hautes. Il y avait aussi un indicible espoir. Et c’est au Parti socialiste que j’ai mis des mots sur mes intuitions. Parce que le Parti socialiste a d’abord été cela pour moi : des femmes et des hommes qui vous tendent la main, qui vous offrent un livre, qui dans la confrontation des points de vue vous permettent de mieux vous définir. On dit que les partis formatent, le nôtre m’a ouvert.

On dit qu’ils enferment, le nôtre m’a élevé. Il n’était écrit nulle part que je deviendrai un jour parlementaire, puis président de groupe et depuis quelques heures votre Premier secrétaire. Cette fonction que vous m’avez confiée dépasse toutes les ambitions qui, jeune militant, avaient pu m’animer. C’est la raison pour laquelle je n’ai plus comme seul désir que de servir notre parti. Et à travers lui servir la France. Servir les Français.

Servir, quel beau mot. Servir son pays et servir ses idées, quelle plus belle cause ? Nous n’en avons pas d’autre. Elle suppose notre désintéressement total. Elle prescrit un dévouement sans calcul ni soif de récompense. Elle commande un engagement sincère.

Et puisque je parle d’engagement, je voudrais ici saluer les premiers des militants, les bénévoles qui depuis des jours travaillent sans relâche ! Oui, vous pouvez offrir aux bénévoles, aux membres de notre SO et aux permanents une belle ovation, car ils nous ont offert un beau congrès !

Jusqu’à Aubervilliers nous avons pu tolérer les écarts et les faiblesses. À partir d’Aubervilliers chacun est fixé. Personne n’est contraint de rester. À partir d’Aubervilliers, le Parti socialiste est le parti des socialistes. À partir d’Aubervilliers, le Mouvement des Jeunes Socialistes est le mouvement des jeunes socialistes !

À partir d’Aubervilliers, ceux qui restent le font dans la loyauté. Il n’y a pas de plan B à concocter, il n’y a qu’un plan A pour lequel, ensemble, on se bat ! Le rassemblement n’est pas une option mais une obligation. Je n’ignore rien de nos différences. Elles ne doivent pas nous faire oublier nos ressemblances.

J’ai été rocardien, je détestais les fabiusiens, qui eux-mêmes combattaient les jospinistes, qui n’aimaient guère les strauss-kahniens qui méprisaient les hollandais, qui abhorraient les aubrystes, qui exécraient les ségolénistes, qui se sont séparés des vallsistes qui eux-mêmes haïssaient les hamonistes… et j’ai oublié de vous parler des mermaziens, des emmanuellistes, des poperénistes, des chevènementistes…

Ces « istes », ces « iens », ces « ais » sont notre histoire. Ils sont devenus notre boulet. Ce sont nos histoires mais aucune ne mérite une guerre de tranchée ou une guerre de Cent Ans.

Face à un président qui prétend réunir le meilleur de la droite et de la gauche, nous ne serions pas capables de réunir les socialistes ? Comment pourrions-nous rassembler demain la gauche et après-demain une majorité de Français si nous ne commençons pas déjà par nous rassembler nous-mêmes ?

À Aubervilliers, nous sommes rassemblés. Du congrès de Poitiers au congrès d’Aubervilliers, deux de nos aînés, anciens premiers secrétaires, ont rejoint les « forces de l’esprit ». Ils n’étaient pas d’accord sur tout, mais ils partageaient l’essentiel. Michel Rocard et Henri Emmanuelli avaient en commun cette profondeur historique qui ne les a jamais quittés.

Esprits libres, esprits fiers, ils avaient l’humilité de se placer dans les pas de ceux qui les avaient précédés. Michel et Henri avaient conscience d’être les maillons d’une longue chaîne commencée avant eux et qu’ils avaient le devoir de prolonger.

Alors je vous le demande comme un hommage à leurs mémoires et comme un gage de notre renaissance : après Aubervilliers, nous n’inventerons pas de nouveaux « istes » ou « iens ». Il n’y aura pas de « fauriens » ou de « fauristes », il y aura juste des socialistes !

Alors, on me dit : « Olivier, le rassemblement c’est bien mais c’est toujours au détriment de la clarté ». Mes camarades, je vous le dis, si clarification c’est l’autre mot pour dire la division, alors je n’en suis pas. Si en revanche clarification, c’est le mot pour dire élaboration collective, dépassement dynamique des clivages, refus des postures artificielles alors je dis banco !

Les débats ne m’ont jamais peur. Mais, à l’issue d’un débat, le respect de la décision collective est de rigueur. Je ne crois pas aux gauches irréconciliables, même si les ambitions le sont devenues. Je crois en la collégialité, en l’esprit de responsabilité là où tant d’autres ne jurent que par la verticalité.

Mélenchon, Hamon, Macron, Wauquiez, Le Pen croient en leur destin individuel. Je crois en notre destin collectif.

Pour que ce destin soit possible, nous devons nous réinventer. Car si l’idée socialiste est une idée fixe, dirigée en permanence contre les injustices, ce n’est pas une idée figée.

Mais, si nous devons changer, il y a aussi tout ce qui ne doit pas changer. Nos valeurs. Celles qui fondent notre engagement. Celles qui ont conduit des millions de femmes et d’hommes à rejoindre nos combats.

Je veux ici partager avec vous une conviction. La presse – elle le sait – adore les surprises, les coups de Jarnac, les triangulations, les disruptions. Pour elle, la politique devrait être un coup d’éclat permanent. Il faudrait toujours être là où on ne nous attend pas.

Je pense tout le contraire. La confiance naît de la fiabilité, de la cohérence des parcours comme des idées. On nous dit qu’il faudrait être imprévisibles, je vous dis qu’il faut au contraire tout faire pour nous rendre prévisibles. Je crois en la permanence des valeurs et je la préfère aux improvisations dans la douleur.

Toute notre identité, toute notre utilité, tiennent en deux citations.

« De quoi est né le socialisme ? De la révolte de tous ces sentiments blessés par la vie, méconnus par la société. Le socialisme est né de la conscience de l’égalité humaine. » Voilà pour l’essence de notre message. C’est Léon Blum qui nous le dit.« Le socialisme, c’est la République jusqu’au bout. » Voilà le moyen. C’est Jean Jaurès qui nous l’a transmis.

Bien sûr, les circonstances changent. Bien sûr, dans un siècle nouveau, il faut des réponses nouvelles, mais leur inspiration doit rester identique. Favoriser la réussite sans aucun doute, mais aussi soigner les destins blessés et les vies déclassées. Rendre à chacun la maîtrise de sa vie. De la naissance au jour ultime.

Vouloir le progrès, la création de nouvelles richesses, fruit du travail et de la créativité humaine, mais sans jamais oublier que tout n’est pas à vendre ni à acheter. Que les biens communs disent tout d’une civilisation.

Rappeler que la culture est l’âme de la démocratie. Que la marche pour le progrès suppose notre permanente attention aux générations qui viennent. Qu’une femme, un homme, un enfant, avant d’être des migrants sont d’abord des êtres humains.

Ces valeurs, nous les partageons parfois avec d’autres. Mais ce qui nous distingue, c’est que nous sommes les seuls à les avoir rendues tangibles, à les avoir fait entrer dans le quotidien des Français.

Qui est le plus à gauche ? Celui qui dit ou celui qui fait ? La surenchère verbale a un mérite. Elle ne coûte rien. Elle a un défaut majeur. Elle ne rapporte rien non plus.

En mai et en juin, les Français nous ont sanctionnés, mais ils ne nous ont pas remplacés. J’observe, comme vous, les élections partielles. Que nous enseignent-elles ?

Que nous pouvons faire 2 % ou 39 % au premier tour. Mais dans les deux cas, le score de la France insoumise est au même étiage. Plus instructif encore, ils réalisent leur meilleur score lorsque nous sommes nous-mêmes au plus haut. À l’inverse, quand nous nous affaissons, c’est toute la gauche qui s’affaiblit.

Je ne le dis pas par patriotisme de parti, chacun le voit, sans cette grande force centrale capable de fédérer de la gauche de la gauche au centre gauche, c’est un boulevard électoral ouvert aux droites.

Voilà notre responsabilité !

Il y a un gouvernement qui n’est pas de gauche, il y a une gauche qui n’est pas de gouvernement. Il y a donc urgence à faire entendre à nouveau la voix d’une gauche capable de gouverner et de proposer une alternative.

Comment allons-nous nous y prendre ?

Chers camarades, la renaissance n’est pas un slogan, c’est un engagement. Ce que vous avez voté lors de ce congrès, je vais le mettre en œuvre. Oui votre vote sera respecté, oui vos choix vont devenir la réalité du Parti socialiste !

Il fallait déjà que le congrès se passe bien. C’est le cas. J’en remercie tous les militants, et d’abord Luc Carvounas, Stéphane Le Foll et Emmanuel Maurel, qui ont défendu leur vision, avec énergie, respect, loyauté, à l’égard d’un parti qu’ils aiment et qui a la chance de les compter parmi ses grandes voix.

Notre diversité est au cœur de notre identité, c’est une richesse. C’est aussi une force pour rassembler demain la gauche, pour s’adresser à l’ensemble de ces Français qui nous ont longtemps accompagnés. Nous avons besoin que toutes nos familles de pensée soient ancrées et vivantes au cœur de notre parti.

Je réunirai le Conseil national du PS dans quelques jours pour lui proposer un bureau national et le secrétariat national. Je formerai un secrétariat national cohérent et solidaire. Cette fois-ci l’équipe sera resserrée. Au sortir de Poitiers nous étions 80. Au sortir d’Aubervilliers, nous serons quatre fois moins.

Notre parti a besoin d’une équipe motivée et opérationnelle pour mener rapidement et efficacement la renaissance. Dans cette équipe, il y aura beaucoup de têtes nouvelles et la parité sera effective.

Avec le secrétariat national et les premiers secrétaires fédéraux, j’élaborerai le plan de développement du Parti socialiste qui sera présenté avant l’été au Conseil national et aux militants. Il déclinera notre programme de travail pour les trois ans à venir. Mais dès aujourd’hui, je veux vous en présenter quelques points forts.

J’aurai avec la direction à décider d’un nouveau siège du Parti socialiste. Ce siège devra être à l’image de notre renaissance. Le fonctionnel primera sur l’ostentatoire. Je ne dépenserai pas nos marges financières pour un lieu prestigieux au cœur de Paris.

Si des économies peuvent être réalisées sur l’achat du siège, nous les consacrerons à la reconquête des territoires, au soutien à la reconstruction des fédérations, à la formation des militants. La vie de notre parti va changer. Les fédérations seront équipées en visio-conférence pour interagir avec le bureau national. Des militants seront tirés au sort pour participer aux travaux des instances nationales. Nous prendrons en charge leur déplacement.

La renaissance, c’est un parti décentralisé. C’est dans la proximité que l’on milite et qu’on agit. Je confierai certains de nos chantiers à des fédérations. J’aurai une relation personnelle, directe, avec les premiers secrétaires fédéraux. Nous créerons un laboratoire des innovations menées dans tous les territoires qui font la France. J’instaurerai un droit d’interpellation de la direction par les militants et les fédérations.

N’attendez pas tout de Paris, proposez. Je vous le demande car pour réussir la renaissance je n’ai pas seulement besoin d’une direction nationale, j’ai besoin de 104 renaissances dans nos fédérations de métropole, des outre-mer et des Français de l’étranger !

La renaissance, c’est l’ouverture sur la société, sur les citoyens. Le parti-plateforme que nous allons créer ne sera pas qu’une plateforme numérique. Utilisons les technologies mais n’en soyons pas les esclaves.

Le parti-plateforme, c’est un espace ouvert de rencontre, d’échange, de coopération accessible à toutes et tous. Nous allons faire entrer la vie dans la politique. Nous irons jusqu’au bout de la démarche en donnant à toutes celles et à tous ceux qui s’inscriront sur la plateforme pour un euro le droit de donner leur avis pour voter sur les options puis les conclusions des chantiers.

C’est aussi dans ce cadre que la primaire de la présidentielle sera organisée. Nous les militants, nous garderons le choix de l’orientation du parti, le choix de nos dirigeants et de nos candidats.

Si nous voulons reconquérir les cœurs, agréger autour de nous les forces du changement, reconstruire une gauche créative, nous devons faire tomber les murs. Nous devons agir devant le peuple, sur la place publique, avec des pratiques réellement démocratiques.

Car quand tous les autres partis singent l’ouverture mais pratiquent le pouvoir personnel, parlent au nom du peuple sans jamais l’associer à leurs choix, nous, nous serons les seuls à véritablement donner la parole aux citoyens de ce pays !

Des chantiers, nous allons en lancer autant qu’il sera nécessaire. L’Europe sera le premier.

Des chantiers , il y en aura beaucoup d’autres. Là où il existe des enjeux et des besoins de réflexion, là où il y aura des volontés sincères de travailler, je donnerai la main à une équipe d’adhérents et non-adhérents du PS, élus, militants, acteurs de la société civile, intellectuels, pour animer la participation citoyenne, en rendre compte et mener ce travail jusqu’à son terme.

Je ne leur demanderai pas quelle motion ils ont choisie au congrès, tout cela est derrière nous. Toutes celles et ceux qui veulent travailler sont les bienvenus et seront respectés, alors maintenant au travail !

La renaissance, c’est l’éthique des comportements et le respect de nos valeurs. Je serai intraitable avec les manquements à la loi ou les pratiques frauduleuses, notamment au sein de notre parti.

Je serai intraitable avec le sexisme et avec toutes les formes de discrimination. Nous mettrons en place un dispositif complet de formation, d’écoute, de veille et de riposte contre toutes les violences faites aux femmes.

La renaissance du Parti socialiste, c’est enfin une renaissance au service de la renaissance de la gauche.

Pour réinventer la gauche, le Parti socialiste doit s’adresser à tous et rechercher dialogue et partenariats. Nous devons nous adresser aux déçus, partis marcher ou déclarer leur insoumission, mais aussi devenus abstentionnistes, et d’abord écouter leur parole et comprendre leurs motivations. Ce ne sont pas les accords d’appareil qui feront la gauche de demain mais la construction avec les citoyens de projets partagés.

Voilà pourquoi j’ai voulu que le congrès d’Aubervilliers soit d’abord un congrès d’affirmation de notre identité. Pour dire ce que nous voulons, pour dire ce que nous sommes. Vraiment à gauche et vraiment réalistes !

II/ Résistance

Voilà notre état d’esprit, voilà la feuille de route opérationnelle de notre renaissance. Je viens au fond. Notre renaissance est tout à la fois – « en même temps » c’est déjà pris – une résistance et une espérance.

D’abord une résistance. Résistance au nationalisme et à l’extrême droite.

Dans toute l’Europe, des partis, des leaders nationaux-xénophobes attisent les mêmes colères, stigmatisent les mêmes catégories ou les mêmes citoyens. Partout en Europe, ils avancent leurs pions. Partout en Europe, ils arrivent à accéder aux responsabilités. Partout, ils progressent à chaque élection.

Partout en Europe et donc aussi en France. Comme Nassima, je n’oublie pas que l’extrême droite a rassemblé sur son nom, avec son programme, plus de 10 millions d’électeurs, accédant pour la deuxième fois en 15 ans au second tour de la présidentielle.

Partout en Europe, la haine s’affiche à visage découvert. Partout, nous assistons à la lente dérive de notre continent. J’étais au Bundestag il y a quelques semaines à l’occasion du 55e anniversaire du traité d’amitié franco-allemand. J’ai le souvenir glaçant de cette centaine de parlementaires de l’AFD applaudissant en mesure leurs orateurs. Dans ce combat-là, nous n’avons jamais manqué à l’appel. Ni dans les régions, ni dans l’élection présidentielle. C’est l’ADN de la gauche. On ne confond pas ses concurrents avec ses adversaires.

Affaiblir cette distinction, c’est déjà se soumettre. C’est accepter que l’improbable devienne possible. C’est aussi pour cela que la gauche a besoin du Parti socialiste !

Oui, la renaissance est résistance au nationalisme et à l’extrême-droite. Résistance aussi au populisme. Ce sont parfois les mêmes que ceux que je viens d’évoquer. Mais l’extrême droite n’en a pas l’exclusivité. Le populisme est une maladie aussi contagieuse que ravageuse. Il a gangrené les partis politiques de gauche à droite en passant par le centre.

Dans « populisme », on croit entendre « populaire ». Alors la tentation peut être grande de s’en accommoder. On aurait tort. Car sous couvert de retrouver le peuple, les populistes agitent la foule.

Le populisme, c’est faire croire que ce qui distingue la gauche et la droite n’a plus de raison d’être. Tout, chaque jour, démontre que rien n’est plus faux. Pas seulement parce que cette opposition a fondé la nation depuis près de deux siècles et demi.

Mais parce que, dans un monde où les inégalités explosent, où quelques-uns ont tout et le plus grand nombre a si peu, une politique économique, budgétaire, fiscale, sociale, écologique, de gauche ou de droite, non, ce n’est pas la même chose !

Le clivage entre gauche et droite n’a pas à être aboli, il doit être redéfini. Et puis, le populisme, c’est l’autre mot de la démagogie.

Que font les populistes, sous toutes les latitudes et sous toutes les banderoles ? Ils assènent des slogans plutôt que des arguments. Ils dénoncent des complots plus qu’ils ne livrent des solutions. Ils préfèrent la mise en cause plutôt que la mise en œuvre.

À la vérité, le populisme est aussi ancien que la démocratie : il est toujours un indice de leur mal-être, jamais le chemin de leur renouveau !

Si nous voulons êtres utiles aux Français et pas simplement bruyants, être entendus à nouveau et pas simplement écoutés, nous devons éviter la pente de la facilité. Retrouver le peuple sans basculer à notre tour dans le populisme.

Car si je nous ai invités à ne plus nous dire jospiniens, fabusiens ou rocardiens, ce n’est pas pour devenir pavloviens. Si je nous ai invités à ne plus nous dire poperénistes, emmanuellistes ou ségolénistes ce n’est pas pour devenir dégagistes !

Jamais je ne laisserai penser que le socialisme est un sectarisme. Ce n’est pas parce que le pouvoir dit blanc que nous devons dire noir. Nous faisons de la politique, laissons à d’autres la polémique. Si nous nous opposons au pouvoir, c’est parce qu’il a mis dans sa ligne de mire le modèle social français et, partant de là, nos valeurs.

Oui, résister, c’est aussi nous placer dans une opposition résolue et responsable. La devise de la République, c’est « Liberté, Égalité, Fraternité », ce n’est pas « Libéralisme – Individualisme – Bonapartisme ! »

La promesse de la présidentielle, c’était de mettre la République en marche. Le résultat dix mois plus tard, c’est que le gouvernement transforme la République en marché !

Voilà ce que les Français observent, moins d’un an après l’élection d’Emmanuel Macron. Beaucoup parmi eux ne s’y retrouvent pas et beaucoup aussi n’y retrouvent pas ce qu’ils avaient entendu ou cru entendre pendant la campagne.

Il n’est pas vrai de dire qu’Emmanuel Macron avait annoncé la couleur. Il jouait alors de toutes les couleurs, de toutes les promesses, sur tous les tableaux. Il y en avait pour tous les goûts et sa campagne fut un vrai costume d’Arlequin. Mais vous connaissez très bien la suite : très vite, sous Arlequin perça… Jupiter.

Les Français ont voulu donner sa chance à Emmanuel Macron mais lui, quelle chance offre-t-il aux plus modestes, aux précaires, aux agriculteurs des zones défavorisées, aux fonctionnaires, aux salariés du privé, aux licenciés, aux chômeurs ?

Eh bien ! Mes camarades, elle est là notre place ! Nous, socialistes, nous devons nous tenir auprès de ceux qui gagnent peu et perdent toujours face aux premiers de cordée. Nous devons être du côté de ceux qui souffrent, et ils sont nombreux, chômeurs ou travailleurs. Oui, nous, socialistes, nous devons être du côté et aux côtés des « gens qui ne sont rien », parce que pour un socialiste, aucun être humain n’est « rien ».

Au fond, le pouvoir mène une véritable politique de classe et de casse. Une politique de classe car il a mis son inventivité au service des riches. Une politique de casse car il s’attaque sans répit aux services publics. La réforme de la SNCF en est un premier exemple.

Nous le savons tous, rien n’oblige à la remise en cause du statut des cheminots. Les clés de la qualité du service public ferroviaire, ce sont la desserte de tous les territoires, l’investissement dans les lignes et la reprise de la dette. Voilà notre approche de l’avenir de la SNCF.

L’université est un second exemple. Rompre avec la sélection par l’échec et le tirage au sort était une nécessité. Mais bâcler une reforme sans moyens, c’est choisir d’instaurer une sélection injustifiable et inacceptable. Nous, nous demandons le respect du choix des étudiants et un parcours individualisé de réussite pour tous.

Que le gouvernement y prenne garde : on a toujours tort de ne pas écouter la jeunesse.

Face à ces politiques menées, il n’est pas difficile de comprendre la déception croissante de nos concitoyens. Et ils furent nombreux à penser sincèrement faire le choix du renouvellement. Emmanuel Macron leur a parlé d’un « nouveau monde », que fait-il ? Il restaure l’Ancien régime. « L’en – même – temps » n’a qu’un temps.

On ne peut pas dénoncer les difficultés vécues par les personnels et les patients des EHPAD ou des hôpitaux et « en même temps » consacrer dans son budget, la part du lion aux plus riches ! On ne peut pas annoncer de nouvelles sécurités professionnelles et « en même temps » démanteler le compte-pénibilité !

On ne peut pas garantir l’accès aux soins et « en même temps » stopper la généralisation du tiers payant !

On ne peut pas organiser des assises de la maternelle et « en même temps » ne pas s’engager sur la scolarisation dès 2 ans ! On ne peut pas expliquer qu’Angela Merkel a été l’honneur de l’Europe sur la question migratoire et « en même temps » restreindre l’accès au droit d’asile !

Que se passe-t-il quand le président de la République se déplace comme par exemple à Rouen, jeudi dernier ? Par centaines, étudiants, cheminots, personnels soignants, salariés en lutte se rejoignent pour lui dire que l’humain a été abandonné, que l’aveuglement technocratique doit être stoppé car il détruit les solidarités, les services publics, l’humanité de cette société.

Ce mouvement social aux multiples visages, de plus en plus puissant, nous en respectons l’autonomie mais nous l’accompagnons. Nous le soutenons, nous y participons et comme les Français nous le voyons chaque jour prendre plus de force.

Alors, au moment où le gouvernement s’auto célèbre et pense qu’il fait preuve de « courage politique » en réformant n’importe comment, j’aimerais que nous, nous rendions hommage au vrai courage !

Le vrai courage, c’est celui de toutes ces femmes et de tous ces hommes qui se plient tous les jours en 4, en 10, en 100 pour remplir leur mission malgré le manque de moyens !

Alors, levons-nous ! Rendons-leur hommage ! Rendons hommage à tous ces agents et à ces salariés dont l’engagement est sans limites, qui se battent pour nous tous et qui rappellent que l’accès aux soins, à l’éducation, aux aides, aux transports, oui, aux train s, sont les outils de la promesse républicaine !

Que les services publics sont des services mais aussi et avant tout des droits ! On me dira que dix mois d’exercice des responsabilités ne font pas un bilan. Certes, mais ils définissent déjà un style. La République macroniste est un régime politique où le président dirige seul, épaulé par une start-up de conseillers.

Le gouvernement, c’est celui des sondages. Le Parlement, quant à lui, a subrepticement été transféré à quelques hauts fonctionnaires qui, de la Rue de Bercy à la Rue de Grenelle, prescrivent leurs ordonnances…

Dans la République macronienne, les collectivités territoriales et les élus locaux ne sont pas associés ; les partenaires sociaux sont convoqués à Matignon pour écouter ce qui a été décidé avant leur arrivée et qui sera appliqué sitôt leur départ ; quant aux associations et à leurs bénévoles, ils subissent la baisse drastique des contrats aidés et la diminution des dotations aux collectivités.

Voilà pourquoi nous nous opposons. Non seulement parce que nous voulons, nous, mettre l’humain d’abord mais aussi parce que nous voulons mettre de la démocratie partout.

La démocratie partout. Parce que nous avons besoin d’une démocratie qui respire davantage. Parce qu’il faut sortir de l’omniprésidence et faire enfin le choix de l’intelligence collective.

Le pouvoir fait l’inverse, il veut réformer la France verticalement, contre les Français, contre le parlement et les syndicats. C’est la grande contradiction de la méthode retenue : le pouvoir veut aller vite, très vite, mais il fait tourner la démocratie au ralenti.

Le président de la République propose aujourd’hui une grande réforme de nos institutions. Pourquoi pas ? La Ve République est à bout de souffle. Si nous proposions une réforme, ce serait d’abord pour rééquilibrer les pouvoirs entre président, Premier ministre et Parlement. Ce serait pour donner plus de place aux citoyens. Pour valoriser les syndicats et les corps intermédiaires.

Pour reconnaître au cœur de la République les acteurs des territoires. Mais, chers amis, dans la réforme qui nous est proposée, il y a bien quelques ajustements utiles, mais il n’y a rien de tout cela, rien de cette ambition. Cette réforme n’a rien d’une refondation de la République.

Ces principes sont intangibles mais le combat doit s’adapter à l’offensive fondamentaliste que subit notre pays. Un nouvel humanisme doit s’affirmer. Face à l’obscurantisme, la République doit orchestrer le retour des Lumières.

III/ Espérance Résister, oui c’est important.

Face au président des riches, il faut un parti pour tous les autres. Mais la résistance, cela ne fait pas encore une espérance. Notre devoir est d’articuler indignations et solutions.

Tout doit être repensé. Je suis comme vous, je n’ai pas de réponse à tout, je crois que nous serons plus intelligents ensemble. Mais je suis votre Premier secrétaire et je me dois ce matin de partager avec vous quelques convictions et intuitions fortes qui sont au cœur de ma réflexion.

Je crois à l’Europe. Oui, nous sommes des eurosocialistes. Oui, notre engagement européen est total. La tentation nationale est une impasse. Il n’y aura plus de souveraineté nationale sans souveraineté européenne, les deux vont de pair, et il n’y aura plus d’espérance socialiste sans espérance européenne car c’est à cette échelle que nous pouvons faire avancer et gagner nos idées dans le monde d’aujourd’hui.

Pendant longtemps nous avons laissé penser que l’Europe était un prolongement naturel de nous-mêmes, que l’Europe était l’avenir du socialisme. Mais nous avons, provisoirement, perdu la bataille politique en Europe. Les libéraux conservateurs qui la dirigent ont trahi la promesse européenne, qui imposent des politiques d’austérité, s’éloignent des peuples.

Notre mission, c’est désormais de sauver l’Europe. C’est la gauche européenne qui doit construire l’avenir de l’Europe. Oui, il y a bien d’autres pro-européens mais ils ne sont pas de gauche, et il y a d’autres forces de gauche mais qui ne sont pas vraiment européennes. Avec les socialistes, la gauche européenne est de retour.

C’est une bonne nouvelle pour les peuples mais c’est une mauvaise nouvelle pour les libéraux, notamment en France. Monsieur Macron voulait raconter la belle histoire d’un camp européen, le sien, qui serait seul face à ceux qui ne seraient plus ou pas assez européens. Mais nous sommes là, nous sommes au rendez-vous pour porter une alternative européenne et de gauche !

Pour y parvenir, la gauche européenne doit se retrouver et se réinventer. L’Europe est comme la social-démocratie : ses objectifs initiaux ont été atteints, mais l’élan s’est épuisé en chemin.

Notre erreur collective a été de ne pas comprendre cet épuisement progressif. Au fil des années, l’égoïsme national est revenu en force, la pression libérale est devenue terrible, les crises économiques et financières ont déchiré le tissu social. Face à ces réalités, nous socialistes français avons divergé dans nos analyses et nous sommes divisés alors que nous sommes tous pro-européens.

Aujourd’hui, je vous propose de refonder notre projet européen autour de trois convictions.

Avec Trump à l’ouest, Poutine à l’est, le Brexit au nord et de nombreuses menaces au sud, l’Europe doit prendre conscience d’elle-même, fixer ses frontières, assumer sa puissance et son identité. L’Europe porte un modèle économique et social singulier, qui la distingue dans le monde, un modèle de valeurs et de droits.

Les Européens doivent prendre conscience de cette identité commune face aux modèles concurrents qui cherchent à s’imposer à nous. Je souhaite qu’émerge un peuple européen qui, comme tel, partira à la conquête de ses droits et de son avenir, pour fonder une véritable démocratie citoyenne, une démocratie qui choisit librement l’avenir de l’Europe. Le retour vers le peuple ne se fera pas en enfermant de nouveau la politique dans le cadre national désormais dépassé.

Le retour vers le peuple, c’est la prise du pouvoir du peuple dans la construction européenne, voilà ce qui doit devenir l’objectif des socialistes !

Ce modèle de société européen mérite d’être défendu dans la mondialisation ! Faute de quoi, demain, les États se soumettront aux multinationales et aux GAFAM, les droits et les libertés seront rognés par la course au profit, l’emploi sapé par le dumping social et environnemental, et la puissance publique ruinée par l’optimisation et la fraude fiscales!
Nous devons cesser d’être les idiots utiles de la mondialisation ! Nous devons nous protéger.
Protéger avec une garantie chômage à l’ère digitale. Protéger avec une conception moins dogmatique de la concurrence dans l’économie européenne et une vision moins naïve du commerce avec le reste du monde.
Protéger avec un socle des droits fondamentaux. Protéger avec une politique de sécurité partagée et renforcée pour faire face aux menaces sur la planète et d’abord au terrorisme qui tue et qui mutile dans le monde, en Europe, en Fran ce il y a peu de jours encore.
Le terrorisme qui donne la mort parce qu’il hait la vie, le terrorisme qui cherche à nous diviser et à nous faire renoncer à ce que nous sommes, le terrorisme qui n’y parviendra jamais parce que c’est la démocratie et c’est la vie qui gagneront.
Mais l’Europe doit aussi investir.
Investir – c’est indispensable –dans l’harmonisation sociale et la convergence fiscale. Investir dans l’accueil des réfugiés qui ont fui la guerre et la misère au péril de leur vie et ont frappé à nos portes. Ce que l’Europe a su faire pour sauver les banques il y a dix ans, elle doit pouvoir le faire pour sauver des vies maintenant !

Une Europe qui protège et qui investit, vous avez déjà entendu ces mots, dans la bouche d’autres que nous. Mais avec Emmanuel Macron, les mots sont rarement en phase avec l’action. Qu’a-t-il réellement obtenu sur le travail détaché ? Rien que Bernard Cazeneuve n’avait mis sur les rails.

Où en sont la gouvernance de la zone euro et le futur budget de l’Union ? Au point mort. Quelle est la politique de la France face à Monsanto ou aux traités commerciaux ? Personne ne le sait vraiment. Il ne suffit pas de marcher au son de l’Hymne à la joie pour devenir le réformateur de l’Europe.

La réalité, c’est qu’Emmanuel Macron est isolé, et qu’isolé, il est impuissant. La réalité, c’est que nous, socialistes, nous sommes membres d’une famille politique, celle des socialistes européens, et que même affaiblie cette famille reste forte ; elle seule peut porter un renouveau social et démocratique de l’Union Européenne.

Avec Pedro Sanchez en Espagne, avec Antonio Costa au Portugal, Alexis Tsipras en Grèce, avec Udo Bullmann au Parlement européen aussi. Nous ne sommes pas seuls, nous sommes les eurosocialistes, nous sommes en mouvement et nous allons ensemble construire un autre avenir pour l’Europe.

Nos amis européens nous l’ont dit hier, ils ont besoin des socialistes français, de leur histoire, de leur voix, ils ont besoin de la France. Nous serons au rendez-vous. Nous serons pleinement impliqués et proactifs au sein du PSE.

C’est le sens de l’adresse que nous avons adoptée hier. Nous organiserons en France avant l’été un grand rassemblement de cette famille politique en partenariat avec le PSE et le groupe au Parlement européen, nous serons un des moteurs de ce nouveau projet collectif.

Il n’y a pas de temps à perdre. Ce qui s’annonce, c’est le grand choix du peuple européen : Soit le populisme, de gauche comme de droite, soit le projet libéral d’adaptation à la mondialisation, soit le chemin progressiste, le nôtre ! C’est celui qui s’appuiera sur la mobilisation citoyenne pour construire l’Europe puissance, sociale, écologiste et solidaire.

Sans cette perspective, notre renaissance ne serait qu’un feu de paille. Ce combat de l’Europe progressiste, c’est le mien, celui de ma génération, c’est le nôtre à nous, socialistes français. Cela prendra 3 ans, 5 ans, 10 ans, mais nous réussirons, parce que nous le devons.

Oui, la social-démocratie est en crise. Bien sûr, elle doit mener sa renaissance. Elle n’a pas su se remettre en cause, se renouveler, changer ses manières de penser, forger au contact d’un monde nouveau une nouvelle ambition, une nouvelle utopie.

Nombre d’entre nous, je m’y inclus, ont surestimé la promesse que représentait l’ouverture d’un monde jadis fermé. Nous n’en avons pas suffisamment mesuré tous les enjeux ni toutes les conséquences, pour nos emplois, pour nos modes de vie et nos libertés. Nous n’avons pas non plus pris toute la mesure de la montée du fait religieux, ni du réveil des nationalismes dans le monde.

Nous devons en tirer des conséquences politiques. La pensée unique de l’éternelle adaptation à la mondialisation libérale, nous la laissons à d’autres. Nous voulons quant à nous œuvrer à ce que l’humanité maîtrise son destin.

Chers camarades, pendant longtemps nous avons pensé notre action d’abord à travers la loi, les budgets et les réponses nationaux . Cela reste essentiel, mais si l’on s’en tenait là, la réalité nous glisserait entre les doigts.

La bataille du progrès se mène simultanément sur toutes les scènes, locales, nationales, internationales. Aussi bien par la loi que par l’innovation sociale, par l’action territoriale et par le dialogue social.

Je ne développerai pas ici chacun de ces enjeux. Je veux cependant évoquer avec vous quelques chantiers que nous allons rapidement ouvrir.

La lutte contre le changement climatique est globale. La France et l’Europe ont été à la pointe de ce combat. La Conférence de Paris fut l’un des grands succès du quinquennat de François Hollande, c’est notre devoir de le revendiquer.

Nous socialistes voulons porter l’urgence écologique et une vision ambitieuse de la transition énergétique. Pollutions, pesticides, eau, malbouffe, tout se conjugue aujourd’hui pour faire exploser le nombre des maladies chroniques et menacer notre santé.

Des milliers de morts chaque année, et d’abord parmi les plus modestes, parce que notre société a laissé se dégrader leur environnement, leur santé. Ce n’est pas digne de la France, cela heurte nos consciences. Pendant un siècle, nous nous sommes attachés aux modes de travail, il faut aussi agir sur les modes de vie !

Chaque jour aussi, l’actualité montre l’ambivalence de la transformation numérique.

Votre ami Facebook capte les moindres détails de votre vie personnelle pour en faire un objet de profit, une plateforme ouverte à toutes les manipulations, à toutes les propagandes. Rien de ce qui nous touche ne doit plus nous rester étranger, ni échapper à des règles, à des choix collectifs.

Des choix collectifs il va aussi falloir en construire pour maîtriser le formidable potentiel de l’intelligence artificielle. Cette révolution n’en est qu’à son commencement. Mais, une nouvelle révolution numérique au service de quoi ? Pour quel projet collectif ? Pour quel progrès partagé ? Ces choix doivent être débattus et pas confisqués par les forces du marché.

Numérique encore : la protection des données personnelles, de la vie privée et de l’intimité est une grande cause démocratique, donc c’est une grande cause des socialistes. Oui, au plan international, comme l’a proposé hier Guillaume Bachelay, il faut une Charte des droits civiques numériques, charte universelle et juridiquement contraignante.

Bon là, vous vous dites, mais il va où Olivier Faure ?

Ce n’était pas si mal parti, on y voyait clair sur la renaissance du PS, sur la résistance face au gouvernement et à ses choix politiques mais là, le chemin de l’espérance, ces nouveaux défis, cela parait un peu futuriste, un peu loin de notre quotidien.

Mais ; chers camarades, si notre parti n’est plus celui qui éclaire l’avenir, si la politique, les militants, les élus, les citoyens n’investissent pas ces enjeux, alors le marché et la technique le feront pour eux.

Et pour vous ramener vers des terres plus familières, je vais vous donner une dernière illustration, qui concerne l’entreprise ; et dans l’entreprise, les salariés.

Nous disons très simplement que puisque les femmes et les hommes comptent dans les entreprises, il faut leur donner plus de droits et plus de pouvoir.

Il faut leur donner un vrai pouvoir de codécision, de codétermination. Si tel était le cas, il n’y aurait pas les salariés obligés de se battre à Carrefour ! Parce que la stratégie de l’entreprise aurait été pensée différemment !

Vous l’avez compris, notre renaissance sera aussi intellectuelle, programmatique. Cela me passionne, cela doit tous nous passionner ! La politique ce n’est pas la valse des sujets essentiels qui ne vivent que 24 heures, ce n’est pas le rythme hebdomadaire des questions d’actualité.La politique, c’est à la fois le quotidien ET le temps long, le socialisme est une pensée du temps long.

Chers camarades, Je parle de temps long et justement, vous êtes en train de vous dire : dans la renaissance, il y a quelque chose qui ne change pas, c’est la longueur du discours du 1er secrétaire. Soyez indulgents, j’achève mon propos. Pendant des années, comme vous, je me suis tu.

Je n’en pensais pas moins, cela bouillonnait en moi, d’enthousiasme dans les moments heureux, d’interrogation dans les moments difficiles, d’indignation parfois, de doute aussi. Je suis comme vous le fruit de ce parcours, de notre histoire, et j’avais envie, besoin, de le partager avec vous ce matin.

Je suis comme vous un militant, j’ai rejoint ce parti à 17 ans pour ne jamais le quitter et je suis aujourd’hui encore un militant, au milieu de vous toutes et tous. Mais avant tout je suis un citoyen qui a fait le choix de s’engager, car pour moi, comme le disait Jean Lacouture parlant de Pierre-Mendès-France : « toute action n’est pas vaine, toute politique n’est pas sale ».

Je suis comme Nassima, cette jeune femme dont je parlais tout à l’heure, je doute parfois de la politique, je doute parfois de nous. Je ne peux plus accorder ma confiance à une politique sans fraternité, sans intelligence collective, sans engagement sincère.

Je ne supporte plus les conformismes et le renoncement à penser le monde qui change. Ceux qui se délectent du pouvoir me révulsent. Je veux savoir pourquoi je me lève le matin, je veux savoir pourquoi nous donnons ce temps que nous prenons à nos familles, à nos amis, je veux savoir pourquoi espérer, pourquoi nous nous battons !

Pourquoi ? Parce que nous sommes les héritiers d’une longue histoire, écrite au fil de nos 78 congrès. Cette histoire est celle du courage.

Nous sommes le maillon d’une grande chaîne qui remonte à la Révolution. Une chaîne que nous devons prolonger, qui nous relie à des milliers de femmes et d’hommes, illustres ou anonymes, qui se sont battus avant nous, dans des conditions bien plus difficiles que nous.

Par leur courage, ils nous ont enseigné que si nos ennemis nous défont parfois, si nous traversons des crises profondes, rien ne peut nous abattre définitivement. Les grandes idées ne meurent jamais.

Alors, ayons confiance en nous, soyons fiers, non pas de nous-mêmes, mais soyons fiers de notre histoire et de ce que nous sommes !

Chers camarades,

Dans quelques minutes, vous allez reprendre le chemin de vos communes et moi je rentrerai à Savigny-le-Temple.

Demain, dans les jours qui suivront, dans la rue, à la boulangerie ou au café je serai interpellé : « Alors Monsieur le Député, que s’est-il passé à Aubervilliers ? Comment était-ce, ce congrès ? ».

Je leur dirai que ce congrès fut celui de la fraternité retrouvée, que nous avons réussi à nous parler sans nous déchirer.

Je leur dirai que nous allons travailler tous ensemble et qu’ils peuvent nous rejoindre. Que nous avons besoin d’eux, de leurs idées, que c’est avec eux que nous voulons reconstruire la gauche !

Mais vous mes camarades, qui comme moi avez participé à ce congrès, j’aimerais que vous emportiez cette conviction : que ce 8 avril fut le premier jour de notre renaissance !

Vive le socialisme et vive la gauche ! Vive la République et vive la France !

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Politique

Bilan des 8-9 avril et CGT cheminots : la logique actuelle du groupe SNCF

La grève des cheminots maintient son cap et bien entendu difficile d’avoir des chiffres suffisamment précis et corrects. Hier 9 avril, le taux de grévistes étaient de 24.9%, mais de 43 % si l’on ne prend que les gens s’occupant des trains, avec 13 212 cheminots présents aux assemblées générales, soit 2000 de plus que le 4 avril.

Chez les conducteurs la grève concerne 75% du personnel (74% la semaine passée), chez les contrôleurs 71% (contre 77%), chez les aiguilleurs 35% (contre 46%).

4 000 cheminots se sont également réunis sur l’esplanade des Invalides à Paris, 500 cheminots à Lille, 250 à Fougères, 500 à Dijon, 300 à Nancy.

Avant-hier 8 avril, un dimanche les chiffres ne sont pas clairs, mais il semble bien que la mobilisation ait été d’environ 35 %.

Pour rebondir également sur la question de la nature de la SNCF – secteur public ou multinationale? – abordée ici dans un article à l’occasion de la tribune de Bernard Thibault, voici la position de la fédération CGT des cheminots.

Ce long article est tiré d’un document intitulé « ensemble pour le fer » (ici en pdf), publié début mars 2018 et consistant en rapport « sur l’avenir du Service Public ferroviaire et contre le statu quo libéral ».

Il dit, de manière paradoxale, longuement la même chose que l’article publié sur agauche.org, à savoir que la SNCF n’est plus un secteur public que pour « l’imaginaire collectif », qu’il s’agit d’une structure clairement capitaliste dans son organisation…

Tout en expliquant en même temps et finalement, dans l’esprit de Bernard Thibault, qu’il y a « un abandon des obligations et missions de service public », alors qu’il a été dit précédemment que cela ne ressemble plus du tout à un secteur public !

Il y a là une incohérence qui est tout à fait révélatrice de l’ambivalence de la position de toute une gauche, qui voit le libéralisme marcher de manière triomphale, mais est hostile à la confrontation, vivant dans une nostalgie de l’Etat-providence et d’un capitalisme n’ayant pas connu d’accélération (ce qui était pourtant inévitable).

LA LOGIQUE ACTUELLE DU GROUPE SNCF

La SNCF emploie des agents (les cheminots) sous un statut social particulier afin d’assurer un service public de transport pour répondre aux besoins de la Nation et des usagers. Dans l’imaginaire collectif, la « vieille dame » est toujours envisagée comme une compagnie ferroviaire d’Etat, voire une administration de l’Etat.

Cette représentation ignore les restructurations intervenues depuis une vingtaine d’années. Derrière la façade de l’opérateur public réputé intégré, se déploie un groupe commercial internationalisé, formé de plus d’un millier de filiales de droit commun, dont certaines de taille imposante comme Geodis, numéro un français du transport routier et de la logistique, ou Keolis, un des leaders mondiaux des transports urbains.

Ces Sociétés Anonymes, au capital parfois ouvert à des investisseurs privés, agissent aussi bien dans le mode ferroviaire (Thalys, Eurostar, VFLI, Systra, Akiem…) que dans des modes concurrents, tels le camion (Geodis Calberson), l’autocar (Ouibus), le covoiturage (IDvroom) ou la 16 location de voiture (Ouicar).

La SNCF détient également des firmes spécialisées dans l’immobilier, la gestion de parkings et même les drones.

Le projet du groupe SNCF ambitionne de réaliser 42.8 milliards de chiffre d’affaires en 2025, dont 50% aux activités à l’international.

On constate ainsi que l’EPIC SNCF sert de banque pour financer le développement des filiales routières en France ainsi que l’expansion à l’international. La SNCF a racheté par exemple l’activité messagerie du groupe international routier GIRAUD.

L’activité historique de transport ferroviaire de marchandises s’est peu à peu délitée au sein de SNCF GÉODIS, dont la vocation principale est le transport routier.

En fait, les centaines de millions d’euros investis dans des sociétés étrangères (logistique OHL aux USA pour 717 millions, bus ATE en Australie pour 113 millions…) font augmenter la taille du Groupe et son chiffre d’affaires, mais ne dégagent quasiment aucune marge, voire sont sources de pertes (-29,3 millions pour Keolis Boston en 2015).

Ces investissements constituent en vérité un sacrifice de l’entreprise publique de service public SNCF pour lui substituer un groupe international de mobilités, dans lequel l’activité ferroviaire publique française est appelée à devenir minoritaire. En d’autres termes, c’est un détournement des moyens normalement dévolus au service public au service d’un groupe à dominante privée.

A ce jour, les filiales réalisent la moitié des 32 milliards de chiffre d’affaires annuel du groupe SNCF.

Leurs effectifs progressent régulièrement alors que le nombre de cheminots embauchés par les établissements publics (EPIC) décline depuis quinze ans (environ 145 000 cheminots sur 280 000 salariés au niveau du groupe).

La perspective d’une extension de l’ouverture à la concurrence du rail concernant le transport intérieur de voyageurs – le fret étant libéralisé depuis mars 2006 – risque de porter un nouveau coup aux EPIC au bénéfice de sociétés privées, fussent-elles incluses dans le groupe SNCF.

Symbole de cette stratégie, SNCF Mobilités vient de sous-traiter l’exploitation d’un nouveau tram-train, dont elle est directement attributaire et circulant sur le Réseau Ferré National en Seine-Saint-Denis, à une filiale majoritairement contrôlée par Kéolis (Transkéo).

La SNCF envisage ainsi sa politique de groupe non pas sous l’angle d’une complémentarité utile (Transports urbains-Transport ferroviaire de proximité), mais en organisant la concurrence de l’EPIC par ses filiales et en encourageant le dumping social. L’infrastructure ferroviaire n’est pas épargnée par cette intrusion des intérêts privés dans la sphère publique. Sur ce terrain, les géants du BTP sont à l’offensive, décidés à tirer profit du programme de modernisation du réseau ferré et des 46 milliards de travaux prévus sur la prochaine décennie.

Les groupes de la construction se positionnent non seulement sur les phases de régénération de lignes, mais aussi, plus durablement, sur la maintenance ou l’exploitation de pans entiers du rail français. Ils se saisissent des contrats en Partenariat Public-Privé (PPP), comme dans le cas de la Ligne à Grande Vitesse Tours-Bordeaux, ou de contrats de partenariats industriels portant sur de gros chantiers, comme la rénovation des caténaires de la ligne C du RER.

En toute discrétion, Vinci, Eiffage et quelques autres héritent de la conception et de la réalisation de missions entières, entraînant, au détriment de SNCF Réseau, des transferts massifs de charges de travail, de technologies, de compétences et, au final, d’emplois potentiellement dévolus aux cheminots.

D’aucuns présentent cet effacement de la propriété et maîtrise publiques d’un Etablissement de l’Etat comme un gage de meilleure performance.

Pour les 17 tenants de « l’Asset Management », la valorisation des actifs devient la seule manière d’être d’une entreprise efficace. C’est oublier un peu vite que dans le régime de la propriété lucrative (celui de la Société Anonyme), la recherche d’efficacité se focalise sur la survaleur attendue par les détenteurs du Capital, ceux-là même qui prélèvent leur tribut sur le travail, notamment à travers la vente des marchandises produites. Ces exigences conditionnent les choix de gestion.

Dans les faits, le recul des biens et investissements publics s’accompagne de surcoûts financiers virant parfois au fiasco, et d’une dégradation, qualitative et quantitative, du service public rendu et des conditions d’emploi des cheminots.

La dilution de l’EPIC dans un groupe « champion » mondial des services de mobilités et de logistique s’accompagne d’un abandon des obligations et missions de service public comme cadre de référence autour de la réponse aux besoins pour tous les citoyens sur tout le territoire.

Le groupe est cimenté sur des valeurs uniquement commerciales et autour d’un objectif prioritaire de compétitivité, notion qui renvoie directement à des impératifs d’adaptation à la concurrence.

Le dossier se conclut de la manière suivante :

DÉVELOPPER LE SERVICE PUBLIC SNCF

Enfin, il faut capitaliser en termes de service public l’expérience acquise par les régions politiques pour ancrer encore plus le ferroviaire comme colonne vertébrale de l’organisation d’un service public des transports en proximité tout en s’appuyant sur la cohérence nationale de la SNCF.

Pour la CGT, il faut une nouvelle étape de conventions, l’État doit être présent en tant que financeur principal et garant de la cohérence nationale et la SNCF doit être représentée au double titre de l’infra et de l’exploitant.

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Écologie

Compte-rendu du rassemblement réussi contre la chasse à courre à Compiègne

Le samedi 31 Mars 2018, 1000 personnes défilaient à Compiègne pour l’abolition de la chasse à courre, à l’initiative d’AVA. Un grand succès, dont voici le compte-rendu.

10h30, non loin de la gare de Compiègne, les gens commencent à arriver. Beaucoup ont confectionné des pancartes chez eux, en famille, avec des extraits de journaux, des photos, les enfants ont des dessins… C’est un festival d’expression libre, avec même des banderoles et des fresques très travaillées. Un homme brandi les bois d’un cerf que la chasse à courre avait tué chez lui et qu’il a réussi à leur arracher. Des fleurs et des autocollants sont distribués contre une participation volontaire et la foule s’élance joyeusement sur le Pont Solférino.

« Chasse à courre, abolition« , « Vénerie, barbarie », « Halte au carnage, on est plus au moyen âge », « Veneurs, suiveurs, laissez place aux promeneurs », « Folie meurtrière, citoyens en colère », « Chasse à courre on en peut plus, les riverains sont dans la rue », « Veneurs, bourreaux, laissez les animaux »…

Les slogans rythment cette marche au centre ville de Compiègne, défiant les notables locaux et en premier lieu le maire de la ville. Philippe Marini, grand ami déclaré des chasseurs à courre avait mis tous les batons dans les roues possibles à ce rassemblement : arrêté municipal interdisant l’accès à la Place de l’Hotel de Ville (prétextant un marché au fleurs bondé-voir photo), puis un autre interdisant aux manifestants de tenir des stands de café et de gateaux.

Son Adjoint à la sécurité n’avait même pas été consulté. Du côté des chasseurs le mot d’ordre d’étouffer la manifestation avait été donné : toutes les affiches d’AVA ont été arrachées, et une équipe de gros bras suivait de près les tractages, déchirant systématiquement les papiers sur le pare-brise même des voitures. Trois jeunes filles ont été poursuivies dans les rues et traitées de « pétasses » pendant qu’elles informaient les clients d’un marché.

Le fameux marché aux fleurs

Difficile de retenir les huées, donc, quand le cortège fait une halte non loin de l’Hotel de Ville, avant de devoir le contourner et passer par les petites rues désertes pour rejoindre la place du Palais. Quelques médias sont présents quand la Police annonce le chiffre de participation : nous sommes 1000, dont une grande majorité de locaux.

Et dire qu’il y a cinq mois notre jeune collectif ne comptait qu’une dizaine de membres… Après quelques chants et un discours, la foule rejoint la Place Saint-Jacques pour assister à un concert (les Old Moonshine Band, groupe folk de Clermont de l’Oise) et se restaurer : des gateaux et des boissons chaudes sont distribuées à l’arrière des voitures, faute de stands.

Fait notable : la plupart des gens ont fait l’effort de cuisiner sans matières animales, sans forcément être végans eux même. Un clown gonfle des ballons pour les enfants : canards, cerfs, fleurs…

Mais une question revient immanquablement : « Que fait on pour la chasse cet après midi ? Quelque chose est prévu? » Car le 31 mars, c’est aussi le jour de la dernière chasse à courre de l’année.

Un départ s’organise spontanément, par petits groupes, même si des personnes plus expérimentées sont présentes pour encadrer les volontaires. Le matériel du service d’ordre (talkies-walkies et caméras GoPro) sera d’une grande utilité en forêt.

Deux convois se forment, sans vraiment s’être donnés le mot, chacun suivant les autres. L’un part en forêt de Compiègne, retrouver Alain Drach et son fameux équipage « La Futaie des Amis », connu de tous pour avoir tué un cerf dans un jardin de LaCroix-Saint-Ouen en octobre. Ils seront finalement une quarantaine à le surveiller jusqu’à ce qu’il rentre au chenil bredouille vers 15h30.

Mais le gros des troupes s’est rendu en forêt de Laigue, fief de l’équipage Rivecourt, ceux là même qui ont noyé un cerf dans la rivière en janvier dernier. Courant dans les bois par petits groupes, harcelant les cavaliers sur les chemins, arrêtant les chiens, faisant des opérations escargot en voiture…

Mais l’équipage arrive tout de même à acculer un malheureux cerf dans un étang privé, au bord de l’Aisne. Sur la route qui y mène, la foule commence à grossir, et ne tenant plus, une vingtaine d’intrépides pénètre dans la parcelle privée.

Là ils trouvent le cerf à l’eau, nageant avec des chiens aux trousses, qui lui mordent l’arrière train ! Des veneurs se postent tout autour pour l’empêcher de remonter sur la rive. Le pauvre nage désespérément en rond, s’épuisant pour trouver une issue !

Désemparées, certains personnes se préparent à plonger, d’autres essaient de créer un passage pour que le cerf puisse remonter… Mais rien n’y fait et la Police entre dans le bois pour les déloger.

Dehors, c’est plus de 150 personnes qui sont maintenant massées, et qui conspuent les cavaliers  » Assassins, assassins ! ».

La situation est de plus en plus tendue et l’énorme dispositif policier prévu par la Préfecture se déploie : 17 cars de CRS sont sur place ainsi qu’un hélicoptère qui tourne autour de la forêt depuis le midi. Un cordon est formé pour protéger les chasseurs.

Mais la situation est intenable pour les forces de l’ordre, et vers 16h la nouvelle tombe sur le canal radio de la Gendarmerie: le cerf est « gracié » !

Après un moment de doute, c’est l’explosion de joie parmi les manifestants ! Des enceintes jouent la Compagnie Créole (hymne d’AVA depuis que des veneurs les ont accusé de venir « masqués » comme au fameux bal). On danse la chenille, des filles pleurent de soulagement…

C’est la victoire ! Loin de là, la maitresse d’équipage, Florence de Lageneste, ne cachera pas sa rage d’avoir perdu un trophée « On est pas dans un état de droit ! C’est un scandale ! ».

Difficile de se séparer après une telle journée, la fête se poursuivra encore une heure en forêt, et certains veilleront sur le cerf jusqu’à 20h pour s’assurer de sa santé. Les cafés de la ville en désempliront pas de la soirée.


Comment mieux finir cette saison mémorable, où plus de 130 personnes se sont relayées en forêt pour veiller sur les animaux, sous la neige, dans la boue, sous les coups de fouets ? C’est certainement une grande victoire populaire comme on en voit peu et qui présage le meilleur pour la saison à venir !

BRAVO ET MERCI A TOUS

SOYONS PLUS FORTS ENCORE L’ANNEE PROCHAINE JUSQU’A L’ABOLITION

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Culture

La Casa de Papel et la chanson Bella Ciao

Avant-hier la chaîne de streaming Netflix mettait en ligne la deuxième partie de la série La casa de Papel. Arrivée discrètement en décembre sur la plateforme, elle a connu un très grand succès en février et mars, particulièrement en France, arrivant en tête de plusieurs classements.

La série a déjà été diffusée en entier en Espagne, son pays d’origine. C’est l’histoire d’une bande de malfrats qui mène un casse avec des prétentions sociales, illustrées par la chanson Bella Ciao présente à différentes reprises.

Ils investissent pendant une semaine la Maison Royale de la Monnaie d’Espagne à Madrid pour imprimer leur propre butin. Ils séquestrent et maltraitent des otages, y compris des adolescents, en les forçant à travailler pour eux.

La série emprunte beaucoup à la dramaturgie du huis-clos, sans en être un, et porte ainsi un intérêt tout particulier à la psychologie des personnages. Ils ne sont cependant pas des figures typiques, mais plutôt des portraits caricaturaux de différentes personnalités, surjoués psychologiquement. On est loin d’un film comme A dog’s day Afternoon (Un après-midi de chien) de Sidney Lumet (1976), qui traite globalement du même thème, dans un quasi huis-clos également. Autre époque, autre niveau.

L’histoire est somme toute très banale, c’est un énième “casse du siècle”, avec un plan prévu au millimètre qui connaît finalement quelques accros. Les rebondissements sont nombreux, mais systématiquement résolus par le “professeur”, dont le profil rappel aisément celui de l’ignoble Walter Walt dans Breaking Bad.

Le scénario est finalement très niais avec des rebondissements tirés par les cheveux. Le cœur de l’intrigue est la liaison qu’entretient le meneur du braquage (qui agit depuis l’extérieur) avec la cheffe des opérations du côté de la police (qui se jette dans les bras d’un inconnu et lui présente sa famille en moins d’une semaine).

Un des moments les plus absurdes est celui où l’une des héroïnes, après avoir été arrêtée puis s’être échappée, s’introduit à nouveau dans le bâtiment à l’aide d’une moto-cross sous les yeux de la police tenant le siège. C’est digne d’un mauvais film d’action des années 1990.

Les personnages évoquent souvent ce qu’ils vont faire après les douze jours de production de monnaie, s’acheter une île est l’idéal central. Il s’agit de se mettre à l’aise jusqu’à la fin de sa vie. Leur braquage est motivé par l’enrichissement personnel et l’adrénaline avec la figure mythique du génie calculateur pour permettre cela.

On peut donc se demander au nom de quoi le morceau emblématique Bella Ciao, dont voici les paroles, vient appuyer à multiples reprises ce scénario.

Una mattina mi sono alzato
O bella ciao, bella ciao, bella ciao ciao ciao
Una mattina mi sono alzato
E ho trovato l’invasor
O partigiano portami via
O bella ciao, bella ciao, bella ciao ciao ciao
O partigiano portami via
Ché mi sento di morir
E se io muoio da partigiano
O bella ciao, bella ciao, bella ciao ciao ciao
E se io muoio da partigiano
Tu mi devi seppellir
E seppellire lassù in montagna
O bella ciao, bella ciao, bella ciao ciao ciao
E seppellire lassù in montagna
Sotto l’ombra di un bel fior
Tutte le genti che passeranno
O bella ciao, bella ciao, bella ciao ciao ciao
Tutte le genti che passeranno
Mi diranno: che bel fior
E quest’è il fiore del partigiano
O bella ciao, bella ciao, bella ciao ciao ciao
Quest’è il fiore del partigiano
Morto per la libertà.
Un matin, je me suis levé
O bella ciao, bella ciao, bella ciao ciao ciao
Un matin, je me suis levé,
Et j’ai trouvé l’envahisseur.
Hé ! partisan emmène-moi
O bella ciao, bella ciao, bella ciao ciao ciao
Hé ! partisan emmène-moi,
Car je me sens mourir
Et si je meurs en partisan
O bella ciao, bella ciao, bella ciao ciao ciao
Et si je meurs en partisan,
Il faudra que tu m’enterres.
Que tu m’enterres sur la montagne
O bella ciao, bella ciao, bella ciao ciao ciao
Que tu m’enterres sur la montagne,
À l’ombre d’une belle fleur
Et les gens qui passeront
O bella ciao, bella ciao, bella ciao ciao ciao
Et les gens qui passeront
Me diront « Quelle belle fleur »
C’est la fleur du partisan
O bella ciao, bella ciao, bella ciao ciao ciao
C’est la fleur du partisan
Mort pour la liberté

La chanson Bella Ciao est une chanson paysanne qui s’est popularisée au sein de la résistance antifasciste italienne durant la seconde guerre mondiale. Elle est devenue par la suite un hymne repris par les mouvements populaires européens, notamment lors des soulèvements de 1968 en France ou dans les années 1970 en Italie.

Dans le dernier épisode de la première partie diffusée sur Netflix, un flashback de la veille du début du braquage montre « le Professeur » avec son bras droit « Berlin » autour d’un dernier repas, le professeur dit : « Nous sommes la résistance, non? » et il commence à entonner Bella Ciao.

En voix off, « Tokyo » la narratrice, explique au spectateur que « La vie du Professeur tournait autour d’une seule idée : résister. » Et on y apprend que son grand-père avait résisté contre le fascisme en Italie.

On a donc un élément de l’héritage historique de la gauche qui est mis en avant, et ce à plusieurs reprises.

Mais contre qui résistent les braqueurs ? Sont-ils comme les maquisards braquant 2 milliards dans un train à Périgueux en juillet 1944 pour financer la lutte contre l’occupant nazi ? Certainement pas.

Mais dans le contexte actuel il peut sembler au spectateur que leur entreprise est une forme de pied de nez au « système ». C’est d’ailleurs le discours qui est tenu en arrière plan, avec des références à l’aspect subversif qu’aurait le fait d’imprimer sa propre monnaie avec les machines de l’État.

Sur fond de crise économique en Espagne, le “professeur” critique par exemple la Banque Centrale Européenne ayant injecté des liquidités dans les banques privées. Sauf que cela n’est qu’un aspect technique, et ne change pas grand-chose à la réparation des richesses dans la société.

Prétendre pour sa part qu’ils ne volent personne sous prétexte qu’ils créent leur propre monnaie est d’une absurdité sans nom. Les banques passent leur temps à créer de la monnaie par le biais du crédit, c’est même leur rôle majeur, et cela n’a aucun rapport. En imprimant leurs propres billets, les malfaiteurs s’approprient de manière unilatérale une partie de la  valeur des marchandises en circulation dans la société. Cela n’est ni plus ni moins que du vol, un braquage comme un autre.

Mais cela correspond à la vision « anti-système », cette apparente révolte individuelle qui est actuellement très en vogue dans la jeunesse populaire, par le biais du rap entre autre.

Il ne faudrait plus se révolter, il faudrait « niquer le système » en devenant soi-même un bourgeois par une voie illégale, se donnant l’illusion de changer les choses « de l’intérieur ». Ce n’est pas un hasard si les braqueurs ont un uniforme avec un masque de Dali, qui est bien plus une référence au pseudo-mouvement Anonymous qu’à la peinture surréaliste espagnole, même si le côté transgressif est bien sûr mis en avant également.

C’est ainsi que les attitudes mafieuses sans aucune proposition politique sont mises en valeur dans la population, comme avec la série Narcos qui a rencontré elle aussi un grand succès. Ce type de mentalité rejetant la construction collective est ce qui contribue au pourrissement de la société.

La mise en parallèle du patrimoine partisan qu’amène Bella Ciao avec un banditisme détaché de toute action politique est donc une insulte à l’héritage des personnes de Gauche qui veulent défendre des positions historiques authentiques à travers la lutte des classes et non la fuite en avant individuelle.

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Culture

Jacques Higelin, le saltimbanque des années Mitterrand

Voter François Mitterrand, ce n’était pas simplement croire qu’il y aurait enfin un changement profond, social, dans la société. Cela allait avec le fait de considérer Arthur Rimbaud comme le premier poète de la modernité, de lire la bande dessinée Philémon de Fred, ainsi que d’écouter Jacques Higelin.

Et lorsqu’on se mettait à douter, il suffisait de voir Jacques Higelin en concert, de constater sa gentillesse exaltée, sa présence scénique à la fois humble et poète, pour se dire qu’au moins, on était dans le bon camp, même si l’on était, en quelque sorte, comme tombé du ciel, décalé et idéaliste, mais de toutes façons, ce qui compte, c’est « L’amour, l’amour encore et toujours ».

La mort de Jacques Higelin annoncé hier marque par conséquent vraiment la fin d’une époque ; c’est tout un morceau de la gauche qui s’écroule littéralement. C’est tout un regard, propre aux années 1980, qui s’éteint : celui qui s’imaginait combiner rock’n roll, littérature et revendication d’une identité ferme de gauche, contre les connards de droite.

Avec Jacques Higelin, il y avait ce rappel : être de gauche, c’est être cultivé, mais pas avec une forme académique. C’est oser connaître les bas-fonds, les émotions fortes, les angoisses individuelles, en-dehors de toute apparence conformiste.

Pas négligé, pas déglingué, mais pas « clean » pour autant…

« Voilà que l’idée me prend
D’aller traîner mes godasses
Sur le dépotoir de l’aérogare
Qu’est juste en face

Et là, vautré sur la banquette d’un jumbo jet déglingué
Je rêve tout éveillé
A Paris New-York, New-York Paris
Comme si vous y étiez,
Comme si tu y es »

Il y a bien sûr le mois passé à la salle de concert de Bercy en 1985, avec notamment deux figures musicales importantes qui se révélaient au public français : le Sénégalais Youssou N’Dour et le Guinéen Mory Kanté.

On est dans l’esprit d’ouverture internationale, ou internationaliste, et l’idée d’un vrai show populaire : il y a plusieurs podiums, qui sont articulés, un gigantesque escalier digne des temples d’Amérique du sud, les musiciens sont une trentaine, il y a une jeep, Jacques Higelin court dans tous les sens, etc.

Jacques Higelin s’est toujours véritablement donné à son public, avec des improvisations, des concerts qui s’étirent. Impossible de le voir sans être marqué, il suintait un respect sincère pour le public, ou même le peuple. Lui-même habitait Pantin, en banlieue parisienne et sa position est pratiquement l’inverse de celle de Johnny Hallyday, puisque c’est toujours une forme de fragilité qu’il a mis en avant.



Cependant, il ne faut pas se leurrer : cela a d’énormes limites, d’énormes lacunes. Jacques Higelin, très rapidement et en ce sens il représente vraiment la Bande Originale des années Mitterrand, est aussi le symbole d’une gauche intellectuelle, tout à fait insérée socialement au point de disposer d’un vrai capital, lisant le Nouvel Observateur avec ses publicités pour les montres de luxe, les grosses cylindrées et l’immobilier.

Qu’il ait soutenu Anne Hidalgo aux municipales parisiennes de 2014 en dit assez long, puisque elle a joué un rôle de premier plan, avec Bertrand Delanoë, dans la sanctuarisation de la capitale comme bastion des classes privilégiées.

D’où les inévitables basculements vers une sorte de poésie à la Baudelaire, Breton, etc., c’est-à-dire le culte de lui-même par l’artiste, qui exprime une sensibilité large mais célèbre un entre-soi élitiste entre intellectuels, avec les références voilées, l’esthétisme semi-décadent, l’attitude de saltimbanque se jouant de tout, etc.

La chanson Champagne ou Poil dans la main, presque Spleen d’un côté Idéal de l’autre, témoigne bien d’une grande faiblesse sur le plan de la densité, ce qui l’oppose ici résolument à Hubert-Félix Thiéfaine qui lui tendait à une expression existentielle plus forte, plus intense, plus sombre (en puisant malheureusement dans l’esthétique anti-conformiste voire la rhétorique d’extrême-droite à défaut de trouver une voie réelle).


Jacques Higelin est, dans tous les cas, une figure incontournable des années 1980 et fut une figure attachante, parmi les plus attachantes.

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The Stone Roses – The Stone Roses (1989)

Lorsque The Stone Roses sortit son album éponyme en 1989, il fut très apprécié mais ce n’est qu’au bout d’un certain temps que l’ensemble des critiques britanniques s’aperçut qu’il s’agissait de l’un des albums les plus brillants produits dans ce pays.

Il est vrai que le mélange pouvait semblait improbable : une base blues rock, un esprit résolument alternatif avec une revendication propre à la scène indépendante, mais avec une tonalité orienté vers le dance-rock (appelé « baggy ») et une forme de joie relevant de l’esprit techno (la fameuse scène dite « madchester » de la ville de Manchester).

La culture de la musique psychédélique forme d’ailleurs un arrière-plan culturel immanquable, la chanson la plus connue témoignant de cette dimension hypnotique, avec une capacité mélodique véritablement propre à la scène anglaise de l’époque.

La pochette de l’album est une allusion à une œuvre du peintre contemporain Jackson Pollock, Bye Bye Badman, titre également d’une chanson de l’album.

Les couleurs sont celles de la France, car la peinture est censée être une allusion à mai 1968 ; des citrons furent ajoutées en référence au récit d’un jeune Français rencontré et ayant raconté comment les citrons sont utilisées contre les gaz policiers lors des manifestations.

On reconnaît ici une approche à la fois révoltée et romantique, autodestructrice et outrageusement intellectualisée (« Ces pierres que j’envoie, Oh ces french kiss, sont la seule voie que j’ai trouvée… » ou encore comme refrain d’une chanson dénonçant un amour qui a trompé : « Je me fous d’où tu as été ou de ce que tu as prévu / Je suis la résurrection et je suis la vie »).

Et ce qui est frappant, c’est que cet esprit de révolte ne va pas de paire avec une négation de l’héritage musical anglais, bien au contraire : on a ici ni plus ni moins que la tentative – indubitablement réussie – de former un nouveau classicisme.

La liste des influences et références musicales qu’on trouve sur cet album est d’une densité peu croyable, allant de Led Zeppelin à Simon and Garfunkel, des Smiths aux Sex Pistols, des Rolling Stones à la northern soul, du reggae à Kraftwerk, des Byrds aux Jimi Hendrix.

Si aujourd’hui les Stone Roses forment quelque chose d’incontournable pour qui s’intéresse un tant soit peu à la culture anglaise, avec un prestige populaire de la plus haute importance, le groupe ne fut pas en mesure d’assumer une dimension trop grande pour eux.

Après toute une série de concerts, l’album Second Coming de 1994 fut intéressant, mais de bien moindre importance par rapport aux attentes, dans un environnement musical formant désormais la britpop (Suede, Blur, Oasis, Pulp), une scène bien plus raffinée et petite-bourgeoise, sans la vigueur et la profondeur de la vague précédente qui se voulait résolument liée à la jeunesse populaire dans une optique alternative, tout en ayant en fait sombré pour beaucoup dans les drogues chimiques.

Il est intéressant de voir le nombre de personnes d’importance que l’on trouve autour du groupe alors. Simon Wolstencroft a été le batteur de la première version du groupe, avant de partir pour la première formation des Smiths, qu’il quitta pour participer longtemps dans The Fall.

Peter Hook de New Order produisit une des chansons des Stone Roses, Elephant stone, un an avant la sortie de leur premier album. Le bassiste du groupe fut par la suite longtemps celui de Primal Scream.

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Succès de la grève des cheminots du 4 avril 2018 et tribune de Bernard Thibault

Le second jour du premier moment de grève des cheminots a été un succès encore une fois. S’il y a eu un peu moins de grévistes que la veille, avec 29,7 % contre 33,9 %, il y avait cependant davantage d’aiguilleurs que la veille (46 % au lieu de 39%), ainsi que davantage de contrôleurs (77 % au lieu de 69%).

La part de conducteurs reste grosso modo stable (74 %, 77 % la veille) et l’impact est tellement significatif que même pour la reprise du travail, la désorganisation est importante (seulement 3 transiliens et TER sur 4, 3 Intercités sur 5, 3 RER C sur 5, 1 RER E sur 2).

Un fait important a également été la publication dans Le Monde d’une tribune (payante) de Bernard Thibault, qui a été secrétaire général de la Fédération CGT des cheminots de 1993 à 1999, puis général de la CGT de 1999 à 2013.

Hier, l’article d’agauche.org soulignait le manque d’envergure sociale des revendications des cheminots de la CGT, au sens où tout était étroitement corporatiste, avec une dimension « on sait mieux gérer que les autres ».

La tribune de Bernard Thibault aborde directement cette question, le titre étant par ailleurs « La grève des cheminots porte l’intérêt général », alors que la conclusion est extrêmement lyrique, avec les cheminots présentés comme une sorte d’avant-garde des droits sociaux :

« Accuser les cheminots d’être responsables du désastre des politiques publiques est un comble. Cette humiliation a la réponse qu’elle mérite. Il est à leur honneur de poursuivre l’action de leurs prédécesseurs pour une certaine idée du service public et des droits sociaux pour les générations futures.

Il est des grèves qui portent l’intérêt général, d’où jaillit la lumière, et ce n’est pas en cet anniversaire de celles de 1968 qu’on pourra nous dire le contraire. »

Il faut cependant rappeler ici qu’en 1968, la CGT a été contre le mouvement de contestation et a cherché à tout prix à ce qu’il soit étouffé, participant en première ligne avec l’État pour qu’il y ait des négociations salariales et que le mouvement soit enterré.

Le résultat est bien connu : l’isolement fatal de la gauche voulant changer le monde, le raz-de-marée électorale de la part de la droite.

Bernard Thibault se moque bien de cela, puisque son objectif est en réalité de faire un chantage disant : aucune revendication n’est possible si un bastion du service public tombe.

Sauf qu’il dit en même temps que « la SNCF appartient à la nation » et qu’il s’agit d’une « multinationale qui possède près de 1 300 filiales dans le monde ». Et c’est là que tous les problèmes se révèlent au grand jour.

Car la SNCF est un groupe qui consiste ni plus ni moins qu’en du capitalisme d’État. De par son organisation, ses méthodes, ses objectifs, ses perspectives à l’échelle mondiale, etc., il s’agit de capitalisme tout ce qu’il y a de plus classique.

Que ce groupe, né en 1937-1938, ait profité de l’élan social de 1945, puis de l’intégration de la CGT au projet d’un État-providence fort, tout le monde le sait. Que cela ait pu profiter aux salariés de la SNCF, tant mieux.

Mais à un moment, il faut voir les choses en face et on ne peut pas dire en même temps qu’il s’agit d’une multinationale et d’un secteur public.

C’est pourtant ce qu’ont fait tant le Parti socialiste et le Parti communiste français depuis longtemps, c’est vrai. Cependant, c’était là une faillite intellectuelle, morale et culturelle sur le plan des idées de gauche, et en 2018 une telle incohérence est une bombe à retardement.

Si Bernard Thibault disait : la SNCF devrait être un secteur public, il serait cohérent. Mais ni lui ni la CGT ne le font et ne veulent le faire, car cela serait révéler leur effroyable compromission historique. Ils ont participé à la naissance d’un monstre, au moyen de l’État, qui inévitablement sera repris par la suite par le capitalisme de la manière la plus directe…

Vu ainsi, il n’est pas vrai de dire que « la grève des cheminots porte l’intérêt général », il faudrait dire qu’elle le pourrait… si on passait du corporatisme à la lutte des classes, de la défense d’acquis au sein d’un capitalisme d’État en voie de privatisation à celui d’acquis en général face au capitalisme.

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Succès de la grève des cheminots du 3 avril 2018 et étroitesse d’esprit syndicale

La grève d’hier a été un succès certain à la SNCF. Les grévistes ont été de 77 % chez les conducteurs, 69 % chez les contrôleurs, 39 % chez les aiguilleurs, 40 % chez les agents d’escales et du matériel.

C’est une expression de capacité de lutte significative. Et le fait que les cheminots aient déposé dix-huit préavis de deux jours (avec une grève de deux jours sur cinq), témoigne d’une combativité certaine, ce qui rassure ceux et celles n’osant pas lutter mais éprouvant de la sympathie.

Il y a ainsi un frémissement social certain, un esprit de recomposition élémentaire mais réel.

Au point qu’il y a nettement un bloc réactionnaire qui apparaît et voit en la lutte des cheminots le symbole de la lutte des classes, la boîte de Pandore de la confrontation sociale. Le premier ministre Edouard Philippe s’est donc posé en défenseur de « ceux qui veulent aller travailler veulent continuer à bénéficier de leur liberté constitutionnelle d’aller et venir ».

Il est vrai ici que, malheureusement, le gouvernement est aidé par l’esprit étroitement corporatiste de la Fédération CGT des cheminots, qui ne sort pas de l’esprit de collaboration avec les institutions, dans l’esprit de la CGT depuis les années 1950.

Voici par exemple les positions de la Fédération sur la lutte actuelle ; on y retrouve une mentalité nullement de gauche mais ayant tout à voir avec un esprit néo-gaulliste de cogestion, avec la revendication d’une meilleure efficacité au service de l’économie et du pays, etc.

Ce n’est certainement pas avec cela que les gens vont sympathiser avec la lutte et accepter que leur vie quotidienne ou leur capacité à aller travailler soient perturbés au plus haut point…

L’incapacité à formuler les choses autrement que de manière étroite, corporatiste – au final, syndical – est révélateur de l’absence de réflexion réelle sur ce qu’est la lutte de classes au sens réel du terme… Ou plus exactement de comment la CGT, comme déjà en 1968, n’entend que vouloir participer à la gestion, sans vouloir en rien changer la vie.

DETTE ET FINANCEMENT

La dette du système ferroviaire doit être reprise par l’Etat sans contrepartie. Elle est de sa responsabilité. Des financements pérennes doivent être apportés pour assurer le développement du service public ferroviaire (marchandises et voyageurs).

C e q u e l a C G T p r o p o s e :

• Création d’un pôle financier public pour donner la priorité à l’emploi, à la création de richesses dans les territoires et à la préservation de l’environnement, et non plus à la recherche de la rentabilité des capitaux. • Création d’une Caisse d’Amortissement de la Dette Ferroviaire de l’Etat (CADEFE) afin de libérer le système ferroviaire de ce poids (1,7 Md€ d’intérêts par an).

• Nationalisation des autoroutes et utilisation des profits pour alimenter la CADEFE.

• Mise en œuvre de l’Eco Taxe poids lourds. Ces nouvelles ressources financières permettraient également d’apurer la dette.

• L’utilisation de la Taxe Intérieure de Consommation sur les Produits Energétiques (TICPE) pour le financement des infrastructures de tous les transports (routes, voies navigables, ferroviaire – 6Mds consacrés pour le réseau ferré national-).

• La création d’un Versement Transport Régional (VTR) additionnel qui permettrait de doter les régions d’une ressource provenant du secteur économique, principal bénéficiaire du système des transports régionaux.

• Arrêt des Partenariats Public-Privé (PPP) qui ne servent que l’intérêt de groupes du BTP (Vinci, Bouygues, Eiffage).

RELANCE DU TRANSPORT DE MARCHANDISE S PAR FER

Le Fret ferroviaire SNCF ne doit pas être filialisé. Une véritable politique de relance et de report modal doit être décidée, appuyée par des moyens, notamment pour répondre aux enjeux environnementaux et ne pas laisser dépérir l’activité à petit feu.

C e q u e l a C G T p r o p o s e :

• Préservation et modernisation des emprises ferroviaires. La SNCF doit s’appuyer sur son groupe, pour se mettre au service de cette ambition.

• Développement des ports qui doit s’appuyer sur davantage d’acheminements ferroviaires.

• Pour la distribution urbaine, il faut s’intéresser aux acheminements en amont et définir les infrastructures nécessaires (hôtels logistiques, plateformes intermodales ou Cross-Dock…).

• Internalisation des coûts externes propres à chaque mode (supportés par la collectivité) par une tarification du fret à son juste coût. La CGT se prononce pour une Tarification Sociale Obligatoire (TSO).

• Conditionnement des aides publiques aux entreprises industrielles et de service à l’utilisation d’un mode de transport vertueux.

STATUT DE L’ENTREPRISE

La SNCF doit rester sous statut d’EPIC, propriété de la Nation et non objet de tractation et de spéculation financière.

C e q u e l a C G T p r o p o s e :

• Regroupement de SNCF Réseau, SNCF Mobilités et l’EPIC SNCF (dit « de tête ») au sein d’un seul EPIC SNCF en veillant à la séparation comptable entre l’opérateur et le gestionnaire de l’infrastructure, seule obligation imposée par les textes européens.

ORGANISATION DE LA PRODUCTION Une réorganisation complète de la production doit mettre fin au cloisonnement par activités, réactiver une véritable coopération opérationnelle entre les cheminots et assurer le retour à la qualité de service qu’exigent les usagers.

C e q u e l a C G T p r o p o s e :

• Une entreprise unique et des établissements multi-activités (voyageurs grandes lignes/proximité et Fret le cas échéant) décloisonnés au sens des activités, mais reposant sur la reconnaissance des métiers, garants de la qualité et de la sécurité. Ils doivent être renforcés dans l’animation, les qualifications, les formations…

• La mutualisation des moyens, des personnels et des informations, source d’efficacité.

RÉ INTERNALISATION DES CHARGES DE TRAVAIL

C e q u e l a C G T p r o p o s e :

• Les activités externalisées doivent être réintégrées (charge de travail et les personnels qui en ont la charge) dans le triple objectif de mettre fin au surcoût de la soustraitance, d’améliorer le statut social des salariés et de regagner la maîtrise complète de la production pour en assurer la qualité et la sécurité.

OUVERTURE A LA CONCURRENCE

La concurrence est un mauvais système qui se base uniquement sur le dumping social, qui n’est pas adapté aux contraintes techniques de l’exploitation ferroviaire et qui ne permettra pas de développer le service public ferroviaire. La situation de Fret SNCF, libéralisée depuis 10 ans, est significative d’une dégradation de la qualité de service du transport de voyageurs annoncée si la concurrence se mettait en place.

C e q u e l a C G T p r o p o s e :

• L’Etat doit transposer les dispositions du 4e paquet ferroviaire dans le droit national en décidant de l’attribution directe de l’exploitation des services ferroviaires à la SNCF sur l’ensemble du réseau ferré national. Cette décision est conforme à l’article 5 – paragraphe 4 bis du règlement Obligations de Service Public (OSP) qui prévoit des exceptions à la mise en concurrence en regard des caractéristiques structurelles géographiques, de la complexité du réseau, ainsi que de la qualité de service et d’un meilleur rapport coût-efficacité.

DROITS SOCIAUX DES CHEMINOTS/GARANTIES SOCIALES

Le statut doit être confirmé comme la règle, y compris pour les futurs embauchés. Il doit être amélioré ainsi que les droits des contractuels. Les droits des cheminots font partie intégrante de l’équilibre entre droits et devoirs liés au service public. Ils doivent être préservés. Une véritable augmentation générale des salaires et pensions doit être annoncée.

C e q u e l a C G T p r o p o s e :

• Maintien et amélioration du statut dans le cadre d’une SNCF intégrée et publique. Admission au statut de tous les personnels de la SNCF qui remplissent les conditions.

• Liées à la Convention Collective Nationale de la branche ferroviaire, les garanties sociales doivent être revues à la hausse, pour que le patronat ne puisse pas renforcer le dumping social entre l’entreprise publique et les entreprises ferroviaires privées. Les voies ferrées d’intérêt local et la restauration ferroviaire doivent y être intégrées.

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Attaques fascistes à l’université : le libéralisme a concédé un espace à l’extrême droite

Christine Hugon est une enseignante titulaire de l’Université de Droit de Montpellier, spécialiste du Droit privé. Montpellier compte en réalité trois Universités et celle-là fait souvent office de bastion de la réaction, comme souvent c’est malheureusement le cas dans les Universités ou les Facultés de Droit de notre pays.

Christine Hugon est aussi par ailleurs l’animatrice d’une association qui promeut la pratique aristocratique de la monte à cheval selon la technique dite de « l’Amazone », qui s’accompagne de tout un dressage et surtout de tout un style qui exprime de part en part la Réaction.

Elle a exprimé sur France Info cette phrase suite aux violences d’il y a quelques jours à Montpellier, lors d’une tentative d’occupation d’un amphithéâtre dans l’Université de Droit par des étudiants majoritairement venus de l’Université Paul-Valéry, bastion de l’extrême-gauche étudiante locale :

« Il y a des gens qui votent extrême droite et qui sont à des années lumières de ces millices » (France Info, 30 mars 2018)

Qu’une femme qui appartienne à la bourgeoise la plus étroite, avec un tel niveau d’éducation, puisse assumer de tels propos en dit long sur l’hégémonie culturelle qu’a gagné l’extrême-droite dans la région de Montpellier.

Il nous faut bien comprendre ce qu’il y a de totalement inacceptable dans une telle affirmation. Déjà, nous en sommes aujourd’hui au point où la Réaction ne se contente plus d’une opposition par le vote ou le jeu électoral : elle est en position de pouvoir tabasser avec l’appui des institutions : en Picardie les militants anti-chasse à courre d’AVA en février et à Montpellier.

Et ces attaques n’ont rien de phénomènes isolés, ou marginaux, ils s’inscrivent dans toute une tendance, même un processus, de radicalisation de l’extrême droite.

Il nous faut ainsi relever l’attaque coordonnée du 26 mars dernier contre une AG d’étudiants à Lille 2, où une vingtaine de militants d’extrême droite a tabassé les étudiants qui quittaient l’assemblée, se sont repliés avant l’arrivée de la police puis ont revendiqué l’agression sur un compte Twitter qu’ils ont supprimé pour ne pas se faire identifier personnellement.

A l’Université de Paris I, sur le site Tolbiac, bloqué par des étudiants qui tentent d’occuper les lieux sur la durée, une milice d’extrême droite, la « Cocarde étudiante » a pourtant tenté un véritable coup de force en débarquant en pleine AG à 10h du matin.

Si l’attaque a pu être repoussée par la foule, les militants d’extrême droite n’ont pas hésité à porter des coups. Le même site d’ailleurs a été visé quelques jours plus tôt par une attaque plus ciblée sur le bureau de l’Union des Etudiants Juifs de France, vandalisé avec des inscriptions antisémites.

A Paris toujours, au lycée autogéré dans le XVe arrondissement, cette fois c’est un faisceau armé de barres de fer, se revendiquant du GUD, groupe qu’il est inutile malheureusement de présenter et dont ce n’est d’ailleurs pas la première attaque sur ce lycée, qui a forcé l’entrée de l’établissement pour s’attaquer à deux élèves.

Cette opération de terreur s’est accompagné là aussi de gestes de revendications explicites comme des saluts nazis et des injures homophobes contre les victimes. A Strasbourg aussi où une vingtaine de militants liés au « Bastion social » de l’Arcadia a tabassé six étudiants à proximité du Palais Universitaire, siège d’un mouvement de contestation d’étudiant, en revendiquant leur agression ouvertement, où une étudiante a ainsi témoigné :

Pauline, elle, na rien dit à sa famille. Ses parents ne comprendraient pas. Ils vivent «dans un bled», «ont voté FN aux dernières élections». Les policiers lont «traitée comme une petite fille capricieuse», dit-elle : «J’étais paniquée et on ma dit que si je ne me calmais pas, c’était tant pis pour ma déposition.» (Libération, 29 mars 2018)

Voilà le résultat de l’aveuglement libéral sur l’extrême droite et la de la dénégation des électeurs qui en soutiennent les partis institutionnels. L’union, la confiance au sein des familles même se brise, la société libérale est ébranlée, épouvantée, paralysée. Alors elle nie.

Même les policiers cherchent à décourager la victime, à la faire taire, à ne pas pousser à une enquête, exprimant finalement leur volonté de ne pas réprimer.

C’est inacceptable. Mais c’est malheureusement inévitable, le libéralisme va être débordé par l’extrême droite et sa violence. Que veulent donc les gens qui votent à l’extrême droite sinon les milices et le terrorisme ? Que croit sérieusement une personne comme Christine Hugon, pour en revenir à elle quand elle affirme une phrase aussi « naïve » ? Quand elle ajoute même :

« Ils avaient des planches de cagettes, j’ai cru que c’était des battes de base-ball. Ils ne frappaient pas sur la tête. S’ils avaient voulu frapper fort à deux, l’étudiant serait inerte. C’étaient des coups qui étaient retenus. »

On voit qu’on est dans l’hypocrisie, la négation pure et simple de la violence concrète, des faits.

Christine Hugon tente ainsi tout à la fois de séparer les électeurs d’extrême droite des militants de groupes violents, et de minimiser la violence de ces mêmes groupes. Christine Hugon n’est sans doute pas une militante d’extrême droite, peut-être a-t-elle des sympathies pour celle-ci ou certaines de ces idées, mais elle est avant tout une bourgeoise libérale, probablement conservatrice sur les bords, mais certainement pas quelqu’un qui cautionne la violence.

Mais la voilà face à la réalité, complètement dépassée. Ce n’est pas là ce qu’elle voudrait, mais c’est là ce qui est. L’arbre préfère le calme, mais le vent continue de souffler. Christine Hugon, tout comme la société bourgeoise libérale est en train d’être dépassé par ce qui se passe.

C’est le sens de ce qu’a voulu exprimer Christine Hugon : la violence, brutale, directe et choquante, son esprit personnel la rejette, tout comme elle pense qu’on puisse voter pour l’extrême droite sans que cela ne puisse avoir de conséquences politiques concrètes.

Ni les contradictions, ni l’antagonisme ne sont franchement perçus, assumés ou même pris au sérieux. Il s’agirait d’exprimer une opinion, donner son avis et même faire valoir sa « liberté ». On pourrait ainsi choisir de voter pour l’extrême droite sans devoir se sentir responsable des violences que celle-ci commet en fin de compte. Cela ne saurait être que des « incidents », sans responsabilités collectives.

Le libéralisme a concédé un espace à l’extrême droite, et depuis elle a gagné des positions, produit une culture, diffusé un style. Certes, elle n’avance pas unie, cependant il en va souvent ainsi historiquement et la logique des faisceaux est de toute façon à la base même de sa vision du monde et de ses conceptions politiques.

Tout cela est sérieux, l’extrême droite ne veut pas du libéralisme, elle ne veut pas de la démocratie bourgeoise, elle dit et elle veut le pouvoir précisément pour l’abattre, pour changer la société.

Et ses forces grandissants à mesure que décline le libéralisme bourgeois sous le poids de ses contradictions, elle ne s’embarrassera pas des règles ou des élections, du moins pas ses groupes les plus virulents, qui vont accentuer la pression.

Les gens qui votent à l’extrême droite sont peut-être pour certains a des années lumières de saisir cela, mais parce qu’ils sont encore libéraux d’esprit et parce qu’au fond donc, ils ne prennent pas au sérieux l’extrême droite.

Mais l’extrême droite, ce sont les milices, la violence, le tabassage des opposants, l’embrigadement des esprits.

L’extrême droite ne voit le peuple que comme un appui à sa prise de pouvoir, ne rêve que de « l’ordre », de désarmer et d’assécher la société civile, d’écraser la Gauche.

L’extrême droite veut le pouvoir et elle assume et assumera de plus en plus ouvertement la violence, et cela, ses scores électoraux, même s’ils ne concernent que des partis établis et reconnus comme le Front National, en sont bien sûr la caution, l’appui. Ne pas le comprendre, c’est faire preuve d’ignorance ou pire, d’aveuglement.

Un tel niveau de dépolitisation tel qu’on le connaît en tout cas montre l’ampleur du vide de la culture politique en raison de l’hégémonie libérale. Certes, l’Etat, qui refuse formellement cette violence, a réagi fermement à Montpellier en poussant la justice contre les complices de ces agressions : un enseignant, Jean-Luc de Boissezon et même le doyen Philippe Petel, tout deux mis en examen. Mais ces complicités sont en elles mêmes un état des lieux.

Et de par sa nature – imbriqué dans l’élite sociale et économique, façonnée par la bourgeoisie, de fait à son service – l’Etat ne peut pas aller jusqu’au bout de sa prétendue neutralité.

Tout cela ne suffira pas donc pas à enrayer la tendance à la radicalisation de l’extrême droite. La tâche historique de la Gauche est de le comprendre et de lui faire face.

Il nous faut étudier l’extrême droite, il nous faut lui répondre, mais plus seulement dans le débat libéral : dans la lutte. Il nous faut produire nos analyses, les diffuser massivement, constituer des bases démocratiques pour rassembler le plus grand nombre face à l’extrême droite et ses milices.

Il nous faut un haut niveau d’exigence intellectuel, une conscience de l’histoire de la lutte des classes dans notre pays. C’est cela faire face à l’extrême droite, c’est cela assumer avec un contenu, une maturité prête à l’engagement anti-fasciste, pour défendre et étendre la démocratie authentique (dont on est toujours plus éloigné), en rompant avec le libéralisme.

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Annecy : non à Dieudonné le 14 avril 2018

Dieudonné est toujours actif, cherchant avec un  certain succès à contourner la vaste opposition démocratique qui lui fait face. Il était il y a quelques jours, le 30 mars 2018, à la salle des fêtes de Bayeux, au grand dam de son maire Patrick Gomont qui a tenu à préciser :

« Je tiens ici à réaffirmer que la Ville de #Bayeux ne cautionne en aucun cas la venue de Dieudonné, hier à la Comète. La salle a été réservée sous une fausse identité et lors de la réservation, la billetterie indiquait Caen puis les spectateurs recevaient le lieu exact de la représentation par sms.

Je dénonce ces pratiques malhonnêtes dont cet individu use pour tromper les communes, dont la Ville de Bayeux, qui ne veulent pas de lui en représentation. L’équipe municipale se réserve le droit de porter plainte. »

Le lendemain, il était à Rouen, puis ensuite à Serqueux. A chaque fois quand on achète le billet, on est informé que le lieu sera au maximum dans les 20 km de la ville mise en avant et qu’on sera prévenu quelques heures auparavant par texto.

Il y a désormais le même risque à Annecy le 14 avril. Dieudonné a essayé de louer la salle de l’Arcadium, qui était déjà prise. Mais il est évident que seule une mobilisation vaste peut faire pression pour qu’il n’y ait pas de réactions après la tenue d’un spectacle – en réalité surtout une tribune politique – de Dieudonné.

Voici l’appel fait à Annecy justement pour une telle mobilisation, par Jeunesse contre la haine, avec une pétition comme intermédiaire pour relayer l’appel, qui espérons le se déploiera également dans les communes avoisinantes.

« Le 14 avril prochain, l’ « humoriste » antisémite Dieudonné a prévu une date à Annecy pour sa nouvelle tournée.

Jeunesse contre la haine Savoies appelle donc le maire d’Annecy, Mr. Jean-Luc Rigault à faire interdire son spectacle à Annecy.

Dieudonné a été condamné pour  » incitation à la haine raciale « .

Mais malgré cela, il relance une tournée cette année, dans toute la France.
De plus, son geste « la Quenelle » est un geste ouvertement antisémite et homophobe, puisqu’il s’agit d’une sodomie, ce geste ressemble au salut nazi, étant d’après la LICRA un salut nazi inversé.

D’après Dieudonné, le monde est contrôlé par les lobbys sionistes, il est proche d’Alain Soral et Robert Faurisson (ayant été eux-mêmes condamnés à plusieurs reprises, soit pour injures raciales, soit pour diffamation raciale).

Dieudonné n’est pas un humoriste mais un antisémite !
Interdisons son spectacle partout !  »

En plus d’être un antisémite, Dieudonné ne cache plus ses liens avec les néo-nazis, comme avec Faurisson, qui en plus d’avoir été condamné pour son négationnisme* , et proche de Rivarol (journal nationaliste) et on a pu l’apercevoir au banquet de Rivarol.

Signez la pétition et partagez la : https://www.change.org/p/jean-luc-rigault-dieudonn%C3%A9-ne-fait-rire-que-les-antis%C3%A9mites 

Il s’agit d’une initiative de Jeunesse Contre La Haine Savoies, pour toute remarque vous pouvez les contacter via :

Facebook
-Twitter : @jclh_savoies
-Mail : jclh.savoies@gmail.com

*Négationnisme: Doctrine niant la réalité du génocide des Juifs par les nazis, notamment l’existence des chambres à gaz.

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Culture

Le dodelinement comme expression corporelle

Les expressions corporelles peuvent être extrêmement nombreuses et ce qui est frappant dans une société frappée du sceau d’instagram, de facebook et des films hollywoodiens, c’est la perte de qualité et de quantité de celles-ci.

Dans une société où, effectivement, tout est dans le conventionnel et en plus, en France, dans la maîtrise de soi, toute expression corporelle trop apparente apparaît d’autant plus comme décalé.

Il faut être dans la maîtrise et dans l’obéissance aux codes, très restreints de par leur nombre, pour rester crédible. C’est un paradoxe frappant qui obéit à une simple loi bien connue : le capitalisme prétend que chaque fasse ce qu’il veut, mais en pratique cela donne une société du conformisme où tout est copie-conforme et sans personnalité.

Contribuons à la défense et la diffusion d’une expression à la fois simple et riche, le fait de dodeliner sa tête, bien qu’il faille peut-être renommer une telle chose. Il peut être d’une grâce incroyable, comme fournisseur d’informations quant à ses propres choix, ou bien les deux.

Voici un extrait du film Hibernatus, où l’acteur Louis de Funès, bien connu pour ses mimiques considérées comme « allant trop loin » et en même temps foncièrement charmantes, discute avec un médecin au sujet d’un encombrant ancêtre retrouvé prisonnier dans le glaces et qu’on a réveillé…

De manière plus artistique, voici une chanson d’Afghanistan, Yak Qadam Pesh (« Un pas en avant » en persan) de Jawid Sharif, où le dodelinement de la tête est ici d’une grâce absolue, s’insérant ici dans une retenue d’un charme d’autant plus puissant qu’il est sobre, tant de la part du chanteur que de la danseuse.

C’est en Inde où le dodelinement est une véritable institution (sauf relativement dans le nord), disposant par conséquent de nuances très marquées pour qui sait les décoder. Le dodelinement a un rythme, ainsi qu’une vitesse, les sourcils jouant le rôle de catégorisation de celui-ci.



Si vous êtes vous-mêmes en train de dodeliner de la tête devant l’écran en regardant ces vidéos, il ne vous reste plus qu’à écouter cette chanson qui, au bout d’une minute, donne les techniques pour y arriver.

Il va de soi que quelqu’un qui ne connaît pas ce mode d’expression peut le considérer comme relevant d’une maladie, comme le raconte (malheureusement en anglais) ce docteur qui a dû modifier l’avis de sa supérieure à ce sujet…

Le dodelinement de la tête, de par la sympathie de son expression, ne pourra que conquérir le monde alors que l’humanité fusionne au fur et à mesure. Il est déjà en Ukraine, où Alena Vinnitskaya met du temps à se lancer dans son duo avec Kiev electro, mais y parvient très bien.

On remarquera que dans cette chanson délirante – qui appelle les Slaves à descendre dans les Balkans danser comme des Gitans – Alena Vinnitskaya balance ses yeux d’un côté ou de l’autre, comme dans la vidéo afghane.

C’est là encore une expression corporelle qui ne peut que progresser. La chape de plomb des comportements stéréotypés ne peut que s’effondrer devant les attitudes naturelles et culturelles à la fois, puissamment développées pour être capable d’exprimer toujours plus de nuances.

Le monde d’une humanité qui s’est rencontrée, assimilée, est une perspective plus que réjouissante… C’est toute la définition de la beauté qui va être mise à l’épreuve par la grâce et le charme !

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Guerre

Non à l’envoi de troupes françaises en Syrie !

Quand un pays en envahit un autre depuis une centaine d’années, que ce soit par colonialisme ou par expansionnisme, il ne dit pas qu’il le fait car il veut s’étendre. Il affirme le faire par nécessité : pour sauver des gens, libérer une population, empêcher la barbarie, étendre la civilisation, etc.

Même l’Allemagne nazie, outrancière dans son agressivité, prétendait vouloir former une nouvelle Europe. Ne parlons pas non plus de la guerre de 1914 ou du colonialisme français, tout pétri de « bonnes intentions ».

Être de gauche, c’est inversement et par définition refuser tout interventionnisme militaire de son propre pays dans un autre. Toute acception d’une exception est une trahison de ce principe.

On peut soutenir un pays, un régime, comme par exemple la République espagnole face au soulèvement de Franco. On peut soutenir une résistance légitime à une occupation. Mais on ne peut pas soutenir une faction, des bandes armées, des troubles visant à dépecer un pays.

Par conséquent, être de gauche c’est rejeter par principe l’envoi de troupes françaises en Syrie annoncé hier. La décision, de manière subtile, a été annoncée non pas par l’Élysée, mais par un représentant des Forces démocratiques syriennes, les FDS, le Kurde Khaled Issa.

L’Élysée s’est contentée d’un communiqué de presse, expliquant avoir discuté avec des membres des FDS « à parité de femmes et d’hommes, d’Arabes et de Kurdes syriens » et disant d’Emmanuel Macron que :

« Il a assuré les FDS du soutien de la France, en particulier pour la stabilisation de la zone de sécurité au nord-est de la Syrie, dans le cadre d’une gouvernance inclusive et équilibrée, pour prévenir toute résurgence de Daech dans l’attente d’une solution politique au conflit syrien. »

La « stabilisation » en question est une allusion aux conséquences de l’intervention militaire turque ces derniers jours en Syrie du Nord, dans une zone contrôlée jusque-là par les forces kurdes, avec un chaos général, avec 160 000 personnes fuyant les combats.

La Turquie, aidée de « rebelles » syriens, contrôle déjà une importante zone (en turquoise sur la carte ci-conre).

Pour rappeler brièvement les événements, lors de la guerre civile en Syrie, les occidentaux avec la France en tête ont cru que le régime allait vite tomber et ont arrosé des opposants malgré la forte présence d’Al – Qaïda.

Non seulement le régime a tenu, mais ces forces sont devenues autonomes, alors que l’État islamique s’est développée.

La Russie et l’Iran sont alors intervenus pour soutenir le régime syrien, pendant que les États-Unis développaient une présence en se liant aux Kurdes de Syrie, également appuyées techniquement par des experts non officiels français et britanniques.

La Turquie, qui appuyait l’État islamique, est rentrée dans la danse et officiellement, l’État français vient pour « sauver les Kurdes ». C’est-à-dire, en réalité, pour participer au dépeçage de la Syrie, avec trois zones :

– le régime syrien officiel de Bachar Al-Assad, lié à l’Iran et la Russie ;
– un régime « arabo-kurde » lié aux États-Unis, la Grande-Bretagne et la France ;
– un régime arabo-islamiste aux contours flous encore ;
– une zone passant sous la coupe de la Turquie.

Tout le monde est gagnant : la Turquie empêche l’avènement d’un État kurde et renforce sa dimension « ottomane », pendant que les autres ont un pied à terre local. C’est gagnant-gagnant, aux dépens de la démocratie et des populations locales, jusqu’à la prochaine guerre de partage…

Il faut souligner ici l’importance, dans ce cadre d’un régime autoritaire. De plus en plus, avec la montée des tensions, les régimes deviennent de plus en plus pyramidales, que ce soit en Turquie ou en Russie, en Inde ou aux États-Unis, en Chine ou en Égypte.

Il y a à chaque fois un chef qui dirige le pays, prenant des décisions avec une approche ultra-populiste. C’est aussi le cas en France : la décision d’Emmanuel Macron est, naturellement, celle d’un président de la cinquième République, qui décide seul de la politique extérieure, sans le parlement, sans demander son avis à la population.

Il est inévitable, ici, de parler des Kurdes. Il est tout à fait compréhensible que l’on éprouve de la sympathie pour ce peuple sans État, aux populations vivant en minorité dans plusieurs États, et plus précisément en minorité opprimée, que cela soit en Turquie, en Iran, en Irak ou en Syrie.

Cependant, on ne découpe pas les États comme cela, encore moins quand ce sont des grandes puissances qui sont partie prenante. Cela n’a rien de démocratique, à moins de considérer les nations comme des fictions, les États comme des aberrations.

Lorsque, en France (mais aussi en Belgique), les anarchistes se sont massivement lancés dans des campagnes de soutien aux Unités de protection du peuple (YPG) kurdes agissant en Syrie, ils sont cohérents, puisqu’ils veulent une décentralisation, des communautés autonomes, un État central présent le moins possible, etc.

Mais être de gauche sans basculer dans l’anarchisme qui est bloqué à une vision individuelle des choses, c’est voir le rôle de la guerre, des grandes puissances, de la logique de partage par la conquête…

C’est refuser que des parties fassent ce qu’elles veulent aux dépens du tout, car une telle logique de dépeçage ne profite qu’aux conquérants qui utilisent le vieux principe : diviser pour régner !

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La marche blanche en l’honneur de Mireille Knoll

Le meurtre d’une femme octogénaire qui avait échappé à la Rafle du Vél d’Hiv, Mireille Knoll, dans un crime crapuleux où elle a été lardée de coups de couteaux et vu son corps et son appartement incendié, avec un fond idéologique antisémite, a profondément ému le pays, alors que parallèlement un gendarme, Arnaud Beltrame, s’est sacrifié pour remplacer une personne otage d’un terroriste islamiste.

C’est encore l’émotion, face au terrorisme et à la barbarie. Avec le besoin de s’interposer, et toujours ce haut le cœur devant l’arbitraire, qui frappe jusqu’à une dame âgée. Avec qui plus est cet arrière-goût d’une amertume terrible consistant en cette impression de déjà vu.

L’antisémitisme, ce poison, existe en effet en France de manière désormais très particulière, et tout le monde le sait. Exclu très largement voire totalement des personnes ayant un certain niveau d’instruction, il est particulièrement présent comme fond diffus dans la population liée au travail manuel : ici la figure du « Juif » reste une sorte d’abstraction, un fantôme représentant l’intellectuel, la ville, l’argent.

Tel est le prix à payer pour l’absence d’une Gauche de la raison, de la connaissance : l’antisémitisme est le socialisme des imbéciles.

A cela s’ajoute un autre antisémitisme, d’une virulence très grande dans les milieux marqués par la religion musulmane, en raison des valeurs mises en avant dans les pays arabes qui utilisent l’antisionisme comme « anti-impérialisme » mobilisateur pour masquer leurs propres carences, mais aussi de la concurrence historique effrénée de l’Islam pour s’affirmer contre les monothéismes précédents.

C’est de là que vient toute une série de crimes, avec en arrière-plan l’attentat meurtrier de Toulouse, l’attaque contre Charlie Hebdo et l’hypercasher, l’assassinat sordide d’Ilan Halimi, celui de Sarah Halimi.

Dans ce dernier cas, comme pour Sébastien Sélam en 2003 et comme pour Mireille Knoll, voire l’ensemble des attentats et meurtres, la particularité est que les assassins relèvent de la pathologie mentale et de milieux qu’on peut définir comme « lumpen » ou « antisocial », avec la culture du trafic, de l’arnaque, de l’escroquerie, etc.

Comme on le voit, la question est donc éminemment sociale et l’Etat n’a souvent pas su quoi faire, relativisant l’antisémitisme sous prétexte que tout serait surtout un déséquilibre mental.

La marche blanche organisée hier à Paris par le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) en l’honneur de Mireille Knoll est ainsi un moment très particulier.

Car elle amène avec elle la question suivante : que faire face à un antisémitisme tellement larvé qu’il s’exprime aussi ou surtout par la folie meurtrière?

Force est de constater déjà que la réaction étatique a été immédiate, avec une grande fermeté dans le symbolique. Cela correspond à la nature de la société française, qui est d’éprouver un haut-le-cœur face à l’antisémitisme, cette stupidité meurtrière, ce véritable cannibalisme social, il n’y a pas d’autre mot.

Le président de la République Emmanuel Macron a participé aux obsèques de Mireille Knoll, alors qu’étaient présents à la marche blanche le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, ainsi que celui de l’éducation, Jean-Michel Blanquer. Étaient également présents le président de l’assemblée nationale Francois de Rugy, Marlène Schiappa, Nicolas Hulot.

L’État a assumé, en bloc, mais cela reflète avant tout une exigence démocratique de la population. L’État ne fait que suivre un certain niveau de développement démocratique, portée par la gauche. Cela rappelle les émotions de Je suis Charlie ; cela rappelle la nécessité d’aller de l’avant dans le fait de vivre ensemble en élevant le niveau culturel.

Cependant, il ne faut pas se leurrer. Seulement entre 15 et 25 000 personnes étaient présentes dans cette marche partie de Nation, qui a pris le boulevard Voltaire, a rejoint, via la rue de Charonne, le domicile de Mireille Knoll au 26-32 avenue Philippe-Auguste.

Et une bonne partie d’entre elles étaient juives. La France ne veut pas de l’antisémitisme, mais ne sait pas quoi faire, comment se comporter, ce qui la paralyse et renforce le fait que la communauté juive se sente isolée.

Elle qui vit en région parisienne surtout voit bien comment ses enfants se sont faits chasser des collèges et des lycées publics populaires, en raison de l’antisémitisme rampant largement ancré par l’intermédiaire de la religion musulmane. Elle bascule d’autant plus dans un communautarisme religieux borné, superstitieux, isolationniste.

D’ailleurs, hier, la « Ligue de Défense Juive » a ouvertement soutenu la présence de Marine Le Pen, accompagnée notamment de Gilbert Collard, dans la marche blanche ; après avoir été chassée, elle est revenue en effet en queue de cortège, protégée également par la police.

C’est un épisode d’une signification très grave, le signe d’un retournement de fond. La communauté juive était, dans les années 1960, 1970 et 1980, traditionnellement de gauche. Pratiquement toutes les organisations d’extrême-gauche de mai 1968 avaient des dirigeants juifs, alors que des commandos juifs attaquaient l’extrême-droite et n’hésitaient pas à aller jusqu’à jeter de l’acide sur les membres des groupes néo-nazis.

Depuis les années 2000, le nationalisme sioniste et religieux a fondu sur la communauté juive, avec une main-mise très claire de la droite libérale économiquement et dure politiquement, et une tendance toujours plus prononcée à s’ouvrir à l’extrême-droite.

Cette logique communautariste, à la fois moyen de défense et une manipulation des dirigeants conservateurs de la communauté juive, s’aligne de plus parfaitement avec les tendances communautaristes musulmanes, le nationalisme « identitaire » de l’extrême-droite, le culte des « communautés » professé par la « gauche » universitaire, etc.

Cette situation du serpent qui se mord la queue où tout le monde se divise sur des bases ethniques, religieuses, communautaire, etc. traumatise notre pays qui se veut universaliste, et l’impossibilité de trouver une voie concrète produit des fantasmagories : le racialisme à l’extrême-gauche (avec la défense des « racisés »), le fanatisme antisémite complotiste (dont Dieudonné et Alain Soral sont des variantes culturelle et idéologique respectivement), l’antisionisme pratiquement mystique et existentialiste d’une gauche post-moderne en quête d’identité, l’activisme fasciste suprémaciste blanc, etc.

Combattre ces fantasmagories, tout comme la fuite en avant communautariste, ne peut passer que par un projet universel, collectif, ce qui signifie évidemment rejeter le libéralisme économique, mais également le libéralisme politique, le libéralisme culturel.

L’universalisme ne peut être qu’un collectivisme, qu’une fusion, et non pas simplement une « coexistence ». C’est cela, la vraie réponse à la problématique posée par la marche blanche.