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« L’Europe des nations » prônée par Marine Le Pen à Milan

Marine Le Pen participait avec d’autres dirigeants d’extrême-droite européens ce samedi 18 mai 2019 au grand meeting de campagne de Matteo Salvini, à Milan. Tout l’enjeu de ces élections pour le Rassemblement national, outre le fait d’obtenir un meilleur score que la liste soutenue par Emmanuel Macron, est de parvenir à constituer un large groupe nationaliste au parlement européen. Il s’agit de travailler l’Union européenne depuis l’intérieur et la faire exploser au profit d’alliances entre les nationalismes.

Devant des milliers de personnes rassemblées place du Duomo à Milan, le ministre de l’Intérieur de l’Italie et dirigeant de la très puissante Liga, Matteo Salvini, a réuni les dirigeants de onze autres partis d’extrême-droite européens.

Se sont ainsi succédé avant lui à la tribune Weselin Mareschki de Volya en Bulgarie, Boris Kollár de SME RODINA en Slovaquie, Tomio Okamura du SPD Tchèque, Jaak Madison de l’EKRE en Estonie, Gerolf Annemans du Vlaams Belang en Belgique, Anders Vistisen du Parti du peuple danois, Laura Huhtasaari du Parti des Finlandais, Jörg Meuthen de l’AfD en Allemagne, Georg Mayer du FPÖ en Autriche, Geert Wilders du PVV aux Pays-Bas et, donc, Marine Le Pen du Rassemblement national en France.

Toutes ces organisations sont appelées à rejoindre le groupe parlementaire Europe des nations et des libertés (ENL) de la Liga italienne, du FPÖ autrichien, du Vlaams Belang flamand et de Rassemblement national français, afin de peser ensemble malgré les divergences sur des questions essentielles. Ces divergences sont secondaires dans le cadre du parlement européen puisque ces formations ont toutes le même objectif qui est de saper l’Union européenne au profit de leurs propres nationalismes.

Il a donc été question de lutter contre la Gauche, d’« Europe des nations » s’opposant à l’Union européenne. Marine Le Pen n’a pas été en reste sur ces thèmes, qui forment le cœur de la campagne de la liste du Rassemblement national conduite par Jordan Bardella.

Le « projet » programmatique du Rassemblement national pour les élections européennes est ainsi intitulé « Pour une Europe des nations et des peuples » et consiste en une critique très appuyée du fonctionnement actuel de l’Union européenne. Il y est question de « bilan désastreux », de « fonctionnement opaque, anti-démocratique et punitif » et de renégociation des Traités actuels.

Alors qu’elle avait parlé d’« UERSS » le premier mai dernier, Marine Le Pen a encore appuyé la critique populiste de l’Union européenne ce samedi à Milan, en dénonçant une :

« oligarchie sans repères, sans racines, sans âme, qui nous dirige avec, pour seule ambition, la soumission et la dilution de nos nations » qui « fait souffler sur l’Europe les vents mauvais de la mondialisation sauvage ».

S’il pouvait s’agir il y a quelques années de quitter l’Union européenne, il est considéré maintenant qu’il est plus simple de la renverser de l’intérieur, en s’appuyant sur des alliances avec d’autres pays.

Cela est d’autant plus vrai que le thème de l’« Europe » est important pour ces différents nationalismes, qui appuient leurs propres romantismes nationaux sur l’idée d’une civilisation européennes liée à la chrétienté, ce thème classique de la Droite. La critique de l’Union européenne s’accompagne donc de la mise en avant de ce qui est appelé l’« Europe des nations ».

Marine Le Pen a ainsi expliqué que l’Europe est la « fille d’Athènes et de Rome, de la chrétienté et des Lumières », ou encore « la fille des bâtisseurs du Duomo et de Notre-Dame de Paris, de Léonard de Vinci et de Jeanne d’Arc » et qu’elle « ne trouve sa force, et donc demain sa puissance, que dans les nations qui la composent ».

Ce romantisme pan-européen n’est bien sûr qu’un prétexte pour servir les différents romantismes nationaux : il n’y aura plus d’« Europe » qui tiendra le jour où les différentes alliances s’affronteront, car la tendance est à la guerre.

Les contradictions sont très forte et chacun voudra à un moment tirer son épingle du jeu. Il faut bien voir que les partis présents hier à Milan ont des opinions très divergentes sur la Russie ou encore que la critique de l’Allemagne constitue souvent un thème nationaliste mobilisateur, notamment en France. Il en est de même pour le Royaume-Uni, pourtant « européen », mais dont les forces nationalistes entendent franchement faire bande à part de leurs homologues continentaux, et inversement.

En attendant, la collusion était totale hier entre Marine Le Pen et Matteo Salvini, qui ont la même perspective de puissance indépendante pour leur pays, passant par une alliance avec la Russie.

La dirigeante du Rassemblement national a ainsi « prêté » symboliquement la Marseillaise aux italiens, disant même quelques mots dans leur langue, reprenant le slogan de la Liga « la révolution du bon sens », avant que Matteo Salvini ne lui emboîte le pas en faisant une apparition spectaculaire galvanisant la foule dans la suite directe de sa conclusion :

« Nous vivons un moment historique. Vous pourrez dire à vos petits enfants, « j’y étais ». Un moment que nous attendons depuis longtemps et qui, enfin, se réalise, sous le ciel bientôt bleu d’Italie. Nous voulons vivre en France comme des Français, en Italie comme des Italiens, en Europe comme des Européens. Allons enfants des Patries, le jour de gloire est arrivé ».

L’Europe est traversée par un puissant mouvement de fond populiste, qui prend de plus en plus la forme de nationalismes agressifs et fascisants, dont la Liga et le Rassemblement national sont des fers de lance, avec le FPÖ autrichien ou encore le Fidesz de Viktor Orbán, mais aussi le Brexit au Royaume-Uni, etc.

Le résultat de ces élections européennes, tant en France qu’à l’échelle de l’Union européenne, posera un grand défit à la Gauche, aux gauches de chaque pays : celui d’éviter que l’Histoire ne se répète, en faisant cette fois triompher partout les fronts populaires.

Les gauches italienne et française, de part l’importance des mouvements nationalistes de leur pays menés par Matteo Salvini et Marine Le Pen, ont dans cette perspective une responsabilité historique de la plus haute importance. La Gauche a besoin d’unité, en assumant les traditions historiques du mouvement ouvrier, pour mobiliser en masse face aux nationalismes menaçants. Le Socialisme est le seul rempart possible à la pseudo « Europe des nations », mais réelle « Europe » des nationalismes et de la guerre.

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Société

Bilal Hassani et son appel à être le « roi » de sa propre vie

L’album de Bilal Hassani est un flop et son rapport à la musique est aussi faux que toute sa démarche. Au lieu de chercher à l’affirmation, à l’épanouissement de la personnalité, il est une figure du travestissement propre à un capitalisme ne proposant que le rapport commercial de l’individu entièrement tourné vers lui-même.

Malgré un véritable tabassage médiatique, l’album Kingdom de Bilal Hassani est un flop complet. Ce n’est pas étonnant, quoique vues les nullités qui pullulent dans les choses à la mode musicalement, il y avait de quoi s’inquiéter. Mais ce qui est reproché à Bilal Hassani, ce n’est finalement pas sa faiblesse musicale totale, c’est son côté faux.

Car, au fond, à quoi a-t-on eu droit, encore une fois ? À une opération des LGBT+ sur l’opinion démocratique. Les jeunes, voire les très jeunes plutôt, épris d’ouverture d’esprit, de volonté d’acceptation, ont encore une fois été les cibles des discours de l’ultra-libéralisme. Et s’il y a des gens qui devraient le plus combattre cela, ce sont biens les personnes homosexuelles, qui voient leur bataille historique pour la reconnaissance de leurs droits transformée en levier pour propager l’hédonisme, les identités à la carte, la négation de l’existence des droits et des femmes, le refus du couple comme norme naturelle et sociale, etc.

Or, le peuple est démocratique et donc si quelque chose est faux, à un moment, cela se voit. Bilal Hassani n’a tout simplement pas fait le poids. Comme l’Autrichien Conchita Wurst, à force de vouloir tout être sans rien assumer jamais, à force de refuser la moindre formalisation, à un moment cela ne passe plus. A-t-on d’ailleurs lu les paroles de sa chanson « roi », qui a représenté la France à l’Eurovision ? C’est le manifeste de la subjectivité la plus radicale, la théorie de l’ultra-libéralisme mise en texte.

Chacun peut faire comme il l’entend, comme il le désirerait, chacun « choisirait » la définition de sa vie, de sa propre réalité… Chacun serait le « roi » de sa propre vie. « Je suis free, oui, j’invente ma vie », « J’suis pas dans les codes, ça dérange beaucoup », « Quand je rêve, je suis un roi », « Toutes ces voix « fais comme ci, fais comme ça » », « Only God can judge you and me », « Ça passe ou ça casse, mais ça regarde qui? »…

C’est l’exact opposé de Spinoza, qui explique que l’être humain n’est pas « un empire dans un empire », que tout est déterminisme et qu’il faut en prendre conscience, pour bien faire les choses, correspondre à sa propre nature. C’est évidemment quelque chose n’allant pas en conformité avec la non-conformité du capitalisme, qui veut des consommations multipliées et démultipliées, tout se consommant, jusqu’à sa propre identité.

Vous prendrez quoi au menu religion ? Oui oui, on peut être gay en même temps, tout comme de gauche tout en étant capitaliste. Un petit sac Gucci à 600 euros comme le joueur de football Paul Pogba sinon juste en tenue de pèlerin, en simple robe, en pèlerinage à la Mecque, comme en ce moment ? Aucun problème. Marié, amoureux de quelqu’un d’autre, et même être quelqu’un d’autre ? Tout est possible, il suffit de payer. Il suffit de choisir. Personne peut juger.

L’Eurovision est devenu un vecteur important de cette démarche. Après sa période variété, suivie de sa période décalée, c’est devenu une usine à chansons formatées de type variété, avec des variantes reprenant les thèmes de la pseudo-subversion, de la fausse liberté mais vraie superficialité, de l’egotrip mis en exergue comme le point culminant de l’expression de soi. L’échec en France de Bilal Hassani est cohérent avec son succès à la candidature pour représenter la France à l’Eurovision : extérieur à la société française, il ne peut exister que dans une sorte de bulle au-delà de toute réalité culturelle.

Cependant, cela n’a pas suffit à emporter le concours de l’Eurovision. Malgré les grandes prétentions affichées, il a échoué à la 14e place du classement ce hier soir à Tel-Aviv en Israël, très loin derrière le néerlandais Duncan Laurence et son titre Arcade, bien plus lisse et consensuel.

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Politique

La liste Union de la Droite et du Centre aux Européennes

Affaiblie par la défaite de François Fillon, la concurrence libérale d’Emmanuel Macron et la concurrence néo-gaulliste du Rassemblement national, la vieille Droite et son parti, Les Républicains, espère profiter des élections européennes pour se refaire une santé électorale.

Les Républicains

Seulement, le créneau est très mince car, comme le résume un cadre (anonyme) du parti, « Nous sommes sur une ligne libérale-conservatrice. Mais Macron est plus libéral que nous et Le Pen est plus conservatrice que nous ! ».

Le but affiché est de reconquérir « Les 20% qui ont voté Fillon, [c’est] la droite convaincue », ce qui s’annonce compliqué puisque les sondages semblent indiquer que seule une moitié de ces ex-électeurs fillonistes sont certains de voter pour la liste LR.

La composition de la liste s’en ressent. François-Xavier Bellamy, professeur de philosophie versaillais, opposé « à titre personnel » à l’IVG, ainsi qu’au mariage homosexuel, très proche de Sens commun, passé par le « souverainisme » sans toutefois prôner la sortie de l’Union européenne, a toutes les qualités requises pour séduire le cœur de l’électorat de droite.

On trouve également d’anciennes figures sarkozystes (l’ancien président bénéficiant toujours d’une cote de popularité élevée), comme Brice Hortefeux, Nadine Morano, Didier Guillaume ou l’ancien préfet Frédéric Péchenard. Cette liste a également été rejointe par Les Centristes, nouveau nom du Nouveau Centre d’Hervé Morin (ex-ministre de Sarkozy), constitué par les membres de l’UDF qui avaient rallié la droite sarkozyste en 2007.

Pour ce qui est du projet européen, Les Républicains tiennent à se démarquer tant de l’européisme très marqué de la République en marche, que du nationalisme agressif et potentiellement chaotique du Rassemblement national. C’est que LR a besoin d’ordre et juge les trop grands changements dangereux.

Si l’on prend les questions militaires, LR critique l’OTAN, qui n’est pas « l’outil de la défense européenne », tout en la considérant comme un « outil de coopération avec nos alliés américains », et tout en prônant un renforcement de la « défense européenne », sans toutefois défendre le projet d’armée européenne.

On voit bien là qu’il s’agit de ménager les autres grandes puissances, pour éviter l’affrontement direct, tout en profitant du cadre de l’Union européenne pour affirmer les intérêts du capitalisme français. LR affirme d’ailleurs ouvertement que son « ambition », est d’« agir au cœur des institutions européennes pour être utiles, combatifs et efficaces au service des intérêts des Français ».

LR compte sur l’Union européenne pour protéger « nos entreprises » et « nos intérêts face aux géants de la mondialisation », promouvoir les entreprises françaises, l’agriculture française au sein de l’Union européenne. Cet aspect opportuniste au possible se sent également dans l’affirmation selon laquelle LR serait la formation politique la mieux placée pour porter la voix de la France, car elle est membre du Parti populaire européen, principal parti, et aurait donc ainsi plus d’interlocuteurs que les autres.

Évidemment, cet opportunisme purement bourgeois et purement français n’est pas affirmé directement, et LR compte s’afficher comme défenseur de l’Europe, comme civilisation, dans une démarche très réactionnaire.

Comme chez les « identitaires », ou quelqu’un comme Renaud Camus, on retrouve la défense des racines chrétiennes et gréco-latines de l’Europe (ce qui n’est pas faux, bien que ces racines soient idéalisées et souvent vidées de leur contenu) dans l’idée qu’il faudrait conserver ces racines dans leur « pureté » éternelle (ce qui est profondément réactionnaire). De la même manière, les timides mots sur l’écologie s’inscrivent non pas dans la défense de la Nature, mais de l’environnement « historique » du continent européen.

Enfin, la liste LR aborde, comme il se doit à Droite, le thème de l’immigration. L’amalgame est fait de manière très claire entre « immigration de masse », élargissement de l’UE ou de l’espace Schengen, et terrorisme islamiste. C’est, d’une manière feutrée, modérée, la même idée que le « grand remplacement » de Renaud Camus : tous ces immigrés, arrivant en masse, seraient une menace pour notre civilisation éternelle, et il s’agirait désormais d’une guerre de civilisation.

LR ne va pas, bien évidemment, jusqu’à prôner la « remigration ». Ici, il s’agit du discours habituel de la Droite sur la limitation de l’immigration légale et la lutte contre l’immigration illégale.

Habituel car, comme c’est toujours le cas, on évoque des solutions légales et techniques pour lutter contre l’arrivée des immigrés, mais sans jamais les considérer comme des êtres humains ayant leur dignité, et surtout sans jamais évoquer les causes de l’immigration que sont les ravages causés dans les pays de départ par les guerres et dictatures provoquées et soutenues par les puissances capitalistes, ou la destruction de l’environnement par ces mêmes puissances.

Face au discours uniquement compassionnel de la « gauche » post-moderne, des libéraux et de l’Église catholique, la droite propose un discours purement gestionnaire des « flux » massifs de migrants. Pour les premiers, les immigrés sont vus comme des individus devant « circuler librement », et représentant une « chance pour nous », en oubliant que l’immigration est un drame majeur pour ceux qui s’y lancent, puisqu’ils quittent leur pays poussés par la nécessité, et en faisant semblant d’ignorer que ce discours cache la volonté d’un main d’œuvre pour les capitalistes des pays d’arrivée.

Pour les seconds, Droite et extrême-droite, les immigrés représentent une masse à peine humaine, qui menacerait notre « civilisation », nos « nations », nos « identités ». Libéralisme compassionnel chez les uns, nationalisme et irrationalisme chez les autres.

Pour résumer, LR entend défendre les pions du capitalisme français au sein de l’Europe et mobiliser l’électorat conservateur autour de valeurs réactionnaires, pour maintenir l’ordre actuel, évitant les bouleversements qu’engendreraient un projet européen trop affirmé, ou une rupture trop franche avec celui-ci.

De la même manière, il ne s’agit pas d’affronter directement les puissances étasunienne et chinoise, mais d’utiliser l’Union européenne pour renforcer les positions du capitalisme français. Le parti Les Républicains s’affirme comme un parti vraiment conservateur, tâchant de se maintenir face à ses deux concurrents bien plus forts : LREM et le RN.

Son slogan pourrait être : « La prudence conservatrice ».

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Politique

La liste Renaissance soutenue par La République en marche aux Européennes

Le mouvement d’Emmanuel Macron La République en marche propose sa liste Renaissance pour les européennes. Un nom qui se veut progressiste, tourné vers l’avenir, qui se veut en même temps rassurant, inspirant la confiance, mais qui dans le fond autant que dans la forme est très inadapté et purement marketing.

La République en marche

Il faut regarder le programme proposé pour comprendre, car les idées ne sont pas neuves : du capitalisme modernisé. Ce libéralisme se détecte assez aisément. Les premières mesures présentées ont comme thème de faire de l’Europe « une puissance verte ». On peut penser ce que l’on veut de Benoït Hamon et son « Printemps européen », mais lui au moins a bien compris que l’écologie est un combat qui ne saura être mené que par la Gauche.

« Puissance verte » est un oxymore, d’ailleurs, dès l’instant où l’on reste dans le cadre capitaliste.

L’écologie ralentirait le capitalisme, puisqu’elle impliquerait forcément un haut niveau de contrôle sur la production (quoi, quand, comment et combien produire), ce qui n’est pas envisageable dans un système exigeant la croissance permanente.

Par conséquent, cela empêcherait l’Europe de devenir une « puissance » telle que souhaitée par les capitalistes. Pour cette raison, cet appel à une Europe plus verte n’est, au fond, qu’un vernis écolo destiné à s’attirer les faveurs de l’électorat de gauche, et une occasion d’investir dans l’ouverture de nouveaux marchés de l’écologie, comme pourraient l’être les voitures électriques par exemple.

C’est la même logique électoraliste qui pousse, un peu plus loin, à parler de la construction d’une Europe « de la justice sociale et fiscale ». Après tous les changements fiscaux et sociaux qu’a fait LREM, favorisant les gros capitalistes (les fameux « premiers de cordée » comme les appelle Emmanuel Macron) comme la suppression de l’ISF, il apparaît évident que ceux qui ont adopté la même approche politique, sociale et culturelle que ce parti n’ont absolument aucune intention d’améliorer la vie sur ces plans là… ou que leur perception de ce qui est « juste » socialement et fiscalement est totalement déformée.

Les points suivants sont un appel à renforcer la puissance militaire et diplomatique de l’Europe. Il s’agirait alors de « faire respecter l’Europe dans la mondialisation » ce qui signifie en réalité « utiliser l’Europe pour affronter les puissances chinoise et américaine ».

Il convient de rappeler que l’Europe n’est pas une puissance unie, car elle est avant tout constituée de nations dont dont les monopoles sont déjà concurrents dans de nombreux secteurs. Ce sont en réalité les puissances de la France et l’Allemagne dont il est question.

Par exemple, une mesure de la liste Renaissance est de « construire un Pacte avec l’Afrique en développant les investissements et des programmes scolaires et universitaires, en particulier à destination des jeunes filles ».

Est présenté ici un renforcement de la domination – surtout française – sur le continent africain via non seulement l’économie, mais également l’éducation. Il s’agit ici pour les exploiteurs de décider, avec leurs collaborateurs locaux, de ce que les exploités apprendront à l’école : cela donne un cachet plus « doux » à cette domination car il y est question d’éducation, mais qui est de gauche sait que lorsque l’on parle de capitalisme, la formation scolaire sert des intérêts particuliers.

Ce que veut vraiment Renaissance au travers de cette mesure, c’est former les cadres et les travailleurs en Afrique qui se mettront plus tard au service de la France. Le programme dit aussi qu’il faut « donner à l’Europe les moyens de se défendre » et « faire respecter nos valeurs et nos frontières », ce qui s’inscrit aussi dans cette dynamique de guerre, de domination économique et politique, et de préservation des intérêts des pays membres et du couple franco-allemand plus particulièrement.

La question de l’identité européenne est abordée, de la manière typique de la bourgeoisie moderniste.  « L’Europe s’est faite par la culture » (dans le cas de l’union européenne, cela est faux, car elle s’est faite artificiellement et par le haut contre les peuples), donc il s’agit de pousser les étudiants et les artistes à faire leurs études à l’étranger grâce à Erasmus.

Cela n’est pas fait dans une démarche d’ouverture aux différentes cultures nationales, mais plutôt de former plus efficacement la jeunesse pour les futurs besoin du marché du travail et de promouvoir une « culture européenne » artificielle qui s’appuierait sur l’art contemporain, sur Picasso… Le soutien à ces artistes et ces mouvements est ouvertement assumé, conformément à la position bourgeoise sur la question de la culture et des arts.

Le chapitre « rendre l’Europe aux citoyens » est fortement marqué de populisme. Le constat plutôt juste selon lequel « les français se sont éloignés de l’Europe […] car elle leur paraît trop inefficace et technocratique » est présenté. C’est en effet ce qui peut se passer lorsqu’un changement est imposé par le haut, et le phénomène de rejet ne concerne d’ailleurs pas que les Français.

L’Europe n’appartiendra jamais « aux citoyens », puisque son fonctionnement même est anti-démocratique et que ses institutions sont déconnectées de la vie des masses.

Y proposer « plus de transparence et d’action citoyenne » (comme de forcer le Conseil et le Parlement à étudier les suggestions de lois si 1 million de citoyens soutiennent) n’y changera rien, pas plus que cette promesse populiste de « lutte acharnée contre les lobbies » dont on peut facilement douter du sérieux. Ce n’est finalement rien de plus qu’une modernisation des institutions européennes, pour les rendre plus efficaces, tout en leur donnant un air démocratique.

On détecte également le post-modernisme libéral de la liste qui s’affirme à travers le point « Pour une politique féministe européenne » et concernant la lutte contre les discriminations. L’utilisation de l’acronyme LGBTI (Lesbiennes, Gays, Bisexuels, Transsexuels et Intersexes) dénote bien la philosophie post-moderne des « marcheurs ».

Quant au féminisme, derrière les grandes proclamations contre les violences faites aux femmes, les inégalités salariales ou de représentation, il n’y a strictement rien. LREM utilise l’image de Simone Veil, la ministre de droite libérale qui permit l’IVG, et défend « les droits sexuels et reproductifs » et « la contraception et l’IVG libres ».

La position de Gauche sur la question est que si l’IVG doit exister, le recours à cette pratique est loin d’être anodin, et que le plus important reste de lutter contre les causes des grossesses non voulues comme celles pouvant avoir lieu durant l’adolescence, ou pouvant être dues à l’inceste, au viol…

Ici, il n’est question que de rendre cet acte 100% libre. Cela est assez représentatif du pseudo-féminisme libéral, qui n’aura jamais la capacité de libérer les femmes de l’oppression patriarcale, puisqu’il les défend en tant qu’individus libres de leurs choix subjectifs, traitant leur corps comme bon leur semble. Il s’agirait, au contraire, de les défendre pour ce qu’elles sont : des femmes, égales aux hommes, partie prenante de notre société, hier féodale et aujourd’hui capitaliste.

Tout cela constitue un programme n’ayant rien de surprenant, venant d’un tel parti : capitalisme, libéralisme à tous les niveaux, un peu de populisme et « d’écologie » pour attirer le plus de monde possible, dans la logique « au delà du clivage gauche-droite ». Cette liste représente les intérêts d’industriels, et des « startuppers » des secteurs en développement (notamment liés au numérique)… de tous ceux qui, finalement, ressentent le besoin d’une Europe protégeant leurs intérêts.

Les 30 premiers candidats de la liste en sont l’illustration : uniquement des cadres, hauts et petits fonctionnaires, notables, petits-bourgeois, un exploitant agricole… Mais pas un seul ouvrier.

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La liste « Urgence écologie » pour les élections européennes

Une liste a été déposée au nom d’ « Urgence écologie », regroupant derrière le philosophe Dominique Bourg, les petits partis Génération écologie (19 membres sur la liste finale), présidé par Delphine Batho, le Mouvement écologiste indépendant d’Antoine Waechter, l’Union des démocrates et des écologistes (UDE), et le Mouvement des progressistes fondé par Robert Hue.

Urgence écologie

On notera que le délégué général de l’UDE, Mathieu Cuip, affirme que son parti soutien la liste LREM-MoDem, tandis que son secrétaire général adjoint, Christophe Rossignol, a officiellement déclaré soutenir « Urgence écologie ».

Que peut-on dire de cette liste ?

Déjà, il s’agit d’une alliance très opportuniste entre plusieurs organisations issues d’horizons différents :

  • Génération écologie (GE) a été tour à tour alliée avec le centre-droit ou le centre-gauche au gré des élections – une fois alliée de l’UMP sarkozyste, une fois dans le giron du Parti radical de gauche (et donc indirectement du Parti socialiste). Sa nouvelle présidente, éphémère ministre de l’écologie sous François Hollande, a fait campagne aux législatives en se revendiquant de la « majorité présidentielle », puis a essayé de prendre la direction du Parti socialiste en tenant un discours assez marqué à Gauche, avant de devenir directement la patronne de GE.
  • Le Mouvement des progressistes (MDP), prétendant vouloir rassembler la Gauche (il se nommait alors « Mouvement unitaire progressiste »), est passé derrière le PS de Hollande. Son fondateur, l’ex-dirigeant du PCF Robert Hue, est même devenu officiellement « représentant spécial » des intérêts économiques du capitalisme français en Afrique du Sud. Après la bérézina hollandiste, le MDP a tenté de présenter la candidature de Sébastien Nadot aux présidentielles, au sein de la « Belle Alliance populaire » du PS, puis de manière indépendante, avant de se rallier directement à Emmanuel Macron, Nadot étant élu député sous l’étiquette LREM. Il a, depuis, été exclu du groupe LREM (pour avoir refusé de voter le budget du gouvernement…).
  • L’UDE, incluait autrefois « Ecologistes » (l’aile la plus opportuniste d’EELV, dont le fondateur, François de Rugy, est aujourd’hui ministre de l’écologie), Génération écologie, et le Front démocrate de l’ex-MoDem Jean-Luc Bennahmias, opportunément rallié au PS sous le quinquennat d’Hollande. C’est aujourd’hui une coquille vide, dont les rares membres ne cherchent qu’à survivre électoralement.
  • Le Mouvement écologiste indépendant (MEI), lui, est issu de ces « Verts » qui refusaient d’ancrer l’écologie à gauche, contrairement à EELV. Rejetant le « collectivisme » (qui est, par essence, « totalitaire ») et le « libre-échangisme », le MEI défend une « économie de marché régulée » et une consommation écologique. Rejetant EELV, mais s’y alliant pour les élections, lorgnant vers le MoDem, le MEI a aussi participé à l’Alliance écologiste indépendante, fondée par le millionnaire Jean-Marc Governatori (qui finance aujourd’hui la liste « gilets jaunes » de Francis Lalanne), liée à la scientologie, au mouvement raëlien, entre autres sectes, ainsi qu’à l’extrême-droite.

Qu’en est-il du contenu ?

« Urgence écologie » défend un programme de « changement radical », appuyant son discours sur la constatation d’une destruction massive de la Nature. Les constats sont justes et il est vrai que ce rappel est toujours nécessaire.

Le document programmatique de la liste comporte ainsi de nombreux graphiques présentant divers aspects de la destruction de la Nature par les activités humaines.

« Le premier élément de cette campagne est de dire la vérité sur l’accélération de la destruction de la biodiversité. C’est une hécatombe, la nature est en train de mourir »

Revendiquant un « nouveau modèle de civilisation », « Urgence écologie » défend des mesures qui peuvent sembler intéressantes, comme le ré-ensauvagement de l’Europe, l’interdiction des liaisons aériennes lorsque le même trajet est possible en train en un temps raisonnable, l’abolition de l’élevage ou de la pêche industriels, etc.

Toutefois, les limites de ce projet apparaissent bien vite.

Tout comme Yannick Jadot, cet attelage d’opportunistes considère que l’écologie n’est « ni de droite ni de gauche » et rejette très clairement la Gauche : «L’urgence ce n’est pas de sauver la gauche mais la planète». C’est, finalement, le même discours qui est tenu par la liste d’EELV et, d’ailleurs, « Urgence écologie » a d’ors-et-déjà annoncé que ses élus siégeront avec leurs frères ennemis d’EELV.

« Urgence écologie » affirme également la chose suivante :

« On est pas un parti supplémentaire de tel ou tel bord du paysage politique. Le propos c’est de dire que maintenant la question qui est centrale c’est l’écologie. »

« Ni droite, ni gauche », « au-dessus des partis », « citoyens contre technocrates », critique de la « consommation », mise en avant de la « décroissance »… Il n’y a rien là de très neuf et on retrouve les thèmes classiques de l’altermondialisme (défense de l’homéopathie, de l’herboristerie, du cannabis thérapeutique), mêlés à ce qu’il faut de populisme et de flou opportuniste pour que ça fasse « moderne ».

En fait de « nouveau modèle de civilisation », « Urgence écologie » prône un capitalisme vert, à travers des baisses de charges pour les entreprises « écolos », l’interdiction des activités polluantes mais l’investissement au service du capitalisme «éthique ». On voit d’ailleurs que le projet de décroissance porté par « Urgence écologie » est en fait une défense du petit capitalisme, à travers les « monnaies locales » notamment.

Si ces gens montrent les muscles face aux « lobbys », qu’ils veulent fermement encadrer et séparer des institutions européennes et nationales, et s’ils parlent de réguler drastiquement les activités des grands capitalistes, jamais il n’est question de remettre en cause ou d’attaquer de front le capitalisme.

Derrière le discours sur les « citoyens », on retrouve toujours la défense des « réseaux d’élus », des associations les plus institutionnelles. C’est bien le vieil opportunisme électoraliste des pseudo-écologistes qui se fait jour.

Des carriéristes qui utilisent le combat écologique pour se faire une place au chaud, soit en se faisant élire de manière autonome, soit en s’alliant et en négociant avec des structures plus grosses. « Urgence écologie » parle d’ailleurs d’une logique de « rapport de force » pour influencer les autres élus, les partis plus forts, les institutions.

En se faisant les hérauts de la « transparence », ils ne sont au service que de leur carrière et d’une relance colorée en vert des institutions de l’Union européenne et du capitalisme plus généralement. Prévoyant qu’on pourrait leur faire remarquer que leur modernisation de l’Union européenne nécessiterait l’assentiment des autres États, ils proposent la création d’une « Communauté Ecologique Européenne avec les pays volontaires » car « on ne peut plus attendre un consensus […] pour agir ».

L’idée est que, si on ne peut changer l’UE, alors il faut commencer à agir via une autre structure. S’il est impossible de convaincre les autres pays de l’UE de faire une politique écologique, alors il sera possible de les convaincre de faire une politique écologique en dehors de l’UE. C’est très peu crédible, et on voit bien là une annonce tonitruante qui cache un vide sidéral.

Ces petits partis ont beau affirmer leur pseudo-radicalité (alors qu’ils sont parmi les plus modérés depuis toujours), ils ont bien du mal à masquer que la première urgence qui les préoccupe, c’est celle de leur carrière. Ils ne peuvent plus se rattacher au PS, difficilement avec LR, et LREM n’a que faire d’eux. Il leur faut donc s’affirmer de manière autonome en espérant pouvoir se raccrocher aux branches politiciennes de forces plus importantes.

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Faut-il voter pour la liste de Lutte Ouvrière ?

L’organisation trotskiste présente une liste aux élections européennes, afin d’appeler au combat des travailleurs contre le grand capital. Cela se veut cependant uniquement une candidature témoignage, la politique étant totalement rejetée. Lutte Ouvrière scie ainsi la branche sur laquelle elle est assise.

À la dernière place de la liste de Lutte Ouvrière, on trouve symboliquement Arlette Laguiller. Cette dernière fut à un moment très connue dans notre pays ; il y a eu un réel mouvement de sympathie pour cette femme qui, à travers plusieurs décennies, a maintenu le flambeau d’une certaine affirmation sociale de type révolutionnaire. Son opiniâtreté a payé. Lutte Ouvrière n’a toutefois pas su quoi faire de cela et la sympathie a disparu, l’indifférence vis-à-vis de Lutte Ouvrière reprenant le dessus.

C’est que Lutte Ouvrière présente un paradoxe. Son discours est tourné vers les ouvriers, les socialistes, les communistes, appelant à la lutte. Mais ces luttes ne sont jamais définies, le seul horizon étant le renversement du capitalisme. Lutte Ouvrière est en effet une organisation dont l’idéologie est « gauchiste ». Sa logique est celle du débordement permanent au moyen des revendications économiques et sociales. Il n’y a pas d’espace pour les réflexions sur l’actualité politique ou culturelle.

Pour Lutte Ouvrière, toute actualité politique est un piège pour les travailleurs, une perte de temps. Les actualités culturelles sont également considérés comme une dispersion pour les militants, et même pour les travailleurs. La seule chose qui compte, ce sont les revendications contre le patronat afin de former une organisation prête au renversement du capitalisme. Cela a pu en fasciner certains, voyant là un sincère romantisme révolutionnaire ; cela a pu aussi dégoûter et donner une impression de sectarisme, voire de secte.

Dans les années 1970, cela a empêché la fusion prévue avec la Ligue Communiste Révolutionnaire, elle aussi trotskiste. La LCR, elle, cherchait inversement la « dialectique des secteurs d’intervention », les militants partant à la conquête des associations, des mouvements, suivant l’adage « tout ce qui bouge est rouge ». De là vint la mise en valeur des « mouvements sociaux », ce qui assurera à la LCR un important succès pavant la voie au Nouveau Parti Anticapitaliste, qui lui ne donnera rien.

Les militants de Lutte Ouvrière et de la LCR se distinguaient ainsi radicalement. Pour entrer à Lutte Ouvrière, il fallait auparavant montrer patte blanche, suivre un certain moule. Pas de boucles d’oreille pour les hommes, ni de cheveux longs, il fallait également un habillement passant inaperçu dans les milieux populaires. Les militants se fréquentent entre eux et ne connaissent pas d’autres horizons. Le style était rigoureusement conservateur sur le plan des mœurs. À la LCR, il était au contraire décadent, avec le culte de l’amour libre, du style de vie hédoniste, etc. Les deux ne pouvaient pas s’entendre pour cette raison même.

Lutte Ouvrière n’est aujourd’hui, évidemment, que l’ombre d’elle-même. Elle cède à la pression du capitalisme moderne ; elle est par exemple prête aujourd’hui à la légalisation du cannabis, que jamais elle n’aurait accepté de par le passé. Son accentuation militante sur la clandestinité a disparu : pour connaître la liste des cadres, il suffit de regarder les listes électorales, et même les tracts donnent des numéros de téléphone. Le ton n’est pas du tout triomphaliste et il est clairement expliqué qu’il faut tenir en attendant des temps meilleurs.

Les gens qui votent pour Lutte Ouvrière ne s’intéressent la plupart du temps pas à tout cela. Il y a toujours un vote très à gauche en France, quelle que soit la liste. C’est histoire de montrer l’attachement à une affirmation révolutionnaire. Ce faisant, ce n’est pas politique, c’est romantique. Cela a sa dignité, évidemment. On peut dire qu’on veut la révolution et ne pas trouver d’espace politique pour aller de l’avant. On vote alors pour le symbole. Lutte Ouvrière dit elle-même que voter pour sa liste, c’est faire le témoignage qu’il faut faire avancer la cause des travailleurs.

Certains diront que si la liste faisait 10 % cela aurait un sens, et qu’avant c’était plus facile dans tous les cas, car il y avait une Gauche. Les mauvaises langues diront que justement de tels gauchistes n’ont jamais pu vivre qu’à l’ombre des grands partis de gauche, des gouvernements de gauche. Il y au moins une part de vérité. Mais inversement, Lutte Ouvrière a été totalement oublié par les listes de gauche aux européennes. Personne n’a essayé de discuter avec elle, même si on connaît le résultat d’avance. Lorsque les médias ont mis Lutte Ouvrière de côté pour le grand débat, personne ne les a soutenus, et pourtant Lutte Ouvrière a en France plus de légitimité, même électorale, que Génération-s de Benoît Hamon.

Le choix de voter pour Lutte Ouvrière dépend donc d’une certaine mise en perspective. On peut dire qu’on fait un vote témoignage et cela d’autant plus si on apprécie la démarche de Lutte Ouvrière, ou même si on se dit, qu’au moins, il y a quelqu’un pour qui le mot ouvrier n’est pas un gros mot ! On peut aussi voter pour une autre liste, qui elle fait par contre de la politique et ne dit pas la même chose à chaque élection. En espérant ainsi que les choses se décantent. Évidemment, on peut aussi malheureusement ne pas voter, en considérant qu’il faut une remise à plat et que là on ne fait que contourner les problèmes.

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La liste La France insoumise aux élections européennes n’est pas de gauche

En campagne depuis plusieurs mois, la liste La France insoumise conduite par Manon Aubry a un projet qui s’inscrit dans la continuité populiste du programme national de l’organisation de Jean-Luc Mélenchon. Cette liste ne peut pas être qualifiée de gauche.

Si, pour les besoins des élections européennes, la France insoumise s’est alliée à des partis s’inscrivant encore dans le cadre de la Gauche, la dimension populiste de leur ligne demeure très présente. Ni le vocabulaire employé, ni la ligne générale suive par cette organisation, n’appartient à la Gauche. Il s’agit d’une sorte de version « gauchisante » de l’Union populaire républicaine de François Asselineau ou une variante du Rassemblement national de Marine Le Pen qui est pour l’immigration.

La logique plébiscitaire est clairement revendiquée. Il est dit – et cette phrase symbolise très bien l’orientation populiste de La France insoumise – que :

« 2019 sera un référendum contre Macron, contre son Europe, celle du fric, de l’austérité, de Merkel. Mais également un plébiscite pour une réelle alternative. »

Plébiscite, critique de la gestion du capitalisme (« l’austérité ») mais pas du capitalisme, dénonciation des dirigeants précis, de l’emprise allemande… On n’est pas loin de Paul Déroulède et on retrouve l’esprit chauvin, populiste et germanophobe du livre Hareng de Bismarck, de Jean-Luc Mélenchon.

Il est dit, de manière particulièrement fascisante, que « L’Union actuelle se résume à un marché unique où les peuples sont soumis à la dictature des banques et de la finance. »

On retrouve la même focalisation que les fascistes sur l’ « argent » (ici, le « fric »), la « finance », les « banques », plutôt que la dénonciation du capitalisme. D’ailleurs, Jean-Luc Mélenchon l’a martelé : il n’est pas contre le capitalisme, il veut « remplir le carnet de commande des entreprises » et construire une « économie mixte », à gestion « keynésienne ».

Dans la logique de soutien aux « bonnes affaires » de Dassault qu’avait professé Mélenchon par le passé, ou de son intérêt pour Martin Bouygues professé plus récemment, ce sont les intérêts de la puissance française qui sont ici défendus. Pour faire simple : la France serait sous tutelle, et il lui faudrait s’affirmer de manière agressive pour pouvoir assurer une gestion sociale du capitalisme.

Comme chez un Asselineau, on nous explique que les privatisations, les destructions des services publics (dont Jean-Luc Mélenchon est également responsable, lui qui fut sénateur puis sous-ministre socialiste au temps des privatisations et qui permit, comme sous-ministre de l’enseignement professionnel, à des entreprises comme Dassault de mettre davantage le pied dans les lycées techniques et professionnels), seraient uniquement le fait de l’« Europe », dédouanant ainsi le capitalisme français.

Emmanuel Macron ne serait pas le représentant d’intérêts capitalistes français mais le « fils aîné » de cette « Europe supranationale », soumis « aux ordres de la Commission », de la « droite allemande », de l’ « oligarchie et des lobbys ».

On retrouve des attaques à tonalité très nationaliste contre les dirigeants « vendus à l’étranger », soumis à la « caste » de la « finance mondiale ». On n’est pas loin, à bien y regarder, des thèses complotistes, antisémites ou anti-maçonniques, sur le petit groupe de malfaisants qui contrôle le « capitalisme apatride » et vend le pays à l’étranger. En exagérant à peine, et sans faire non plus des efforts surhumains d’imagination, on retrouverait presque les thèmes anti-dreyfusards.

Le projet est très simple : il faut « dégager » (ce terme populiste est revendiqué) les mauvais gestionnaires corrompus pour prendre leur place, la France doit montrer les dents, s’imposer comme grande puissance combattant l’Allemagne, pour imposer ses vues.

Dans sa guerre contre les États-Unis et l’Allemagne (les « yankees » et les « boches », comme dirait Jean-Luc Mélenchon, dans toute sa délicatesse chauvine et xénophobe), la France insoumise s’oppose aux accords de libre-échange… pour mieux proposer une alliance stratégique avec la Russie, la Chine (et les autres États des « BRICS »), afin de former un « nouvel ordre monétaire international » s’opposant aux États-Unis et favorisant les intérêts capitalistes français.

On voit toute l’hypocrisie du projet, qui prétend « soutenir les pays en développement souhaitant défendre leur souveraineté économique » mais qui évoque, quelques lignes plus bas l’importation de produits issus du commerce équitable venant de ces pays. C’est-à-dire, en termes moins hypocrites, de renforcer les liens de types impérialistes entre la France et ces pays qui sont, pour l’heure, soumis à un « impérialisme » concurrent, et faire d’eux des importateurs de produits agricoles.

Il n’y a aucune différence avec la domination que subissent déjà ces pays (africains ou latino-américains, par exemple) de la part de la Chine, des États-Unis ou de la Russie, si ce n’est qu’il s’agirait pour la France – et également une Union européenne dominée par elle – de réserver le créneau du commerce « équitable ».

En fait de soutenir la « souveraineté économique » de ces pays, cela reviendrait à maintenir la spécialisation de leur économie et, donc, la soumission de ces petits pays « gardes-manger » aux grandes puissances. Un impérialisme « écolo », en quelque sorte.

La France insoumise veut sortir de l’OTAN (ce qui est aussi une revendication traditionnelle de la Gauche) et affirme par ailleurs la nécessité de l’indépendance de la France (pauvre cinquième puissance mondiale opprimée…) On jugera du caractère européen d’un programme qui veut «  Défendre l’indépendance de la France, le principe d’une action de police et non militaire, et le renforcement des moyens de l’État pour lutter contre le terrorisme. »

C’est sous-entendre que l’Union européenne empêcherait la France d’avoir une politique anti-terroriste autonome… Cela est d’autant plus étrange qu’il s’agit juste après dans le programme de défendre l’indépendance de l’Union européenne par rapport aux États-Unis.

C’est d’ailleurs la base de la position de la France insoumise : on ne quitte pas directement l’Union européenne, mais on fait comme on veut, que cela plaise ou non. Là où un Benoît Hamon dit qu’on peut commencer à agir dans le cadre de l’Union européenne ou qu’un François Asselineau dit qu’on ne le peut pas, la FI tente un entre-deux très opportuniste basé sur l’idée, martelée depuis des années par Jean-Luc Mélenchon, selon laquelle « quand la France parle, on l’écoute ».

Pour le reste, la France insoumise défend quelques positions écologiques mais ne propose pas grand-chose de concret pour lutter contre l’exploitation animale : la vivisection est condamnée, mais seulement en partie, on propose un « élevage en faveur du bien-être animal », etc. Le petit exploitant « biologique et paysan » est idéalisé, et présenté comme respectant le « bien-être animal ».

Quel bien-être est celui qui consiste à être exécuté au bout d’un cinquième de son espérance de vie pour être consommé ? Quant au culte du petit producteur indépendant, il s’oppose à la nécessité de notre temps : une production biologique à large échelle, pour nourrir la population planétaire sans détruire l’environnement. De ça, la France insoumise ne peut vouloir, puisqu’il faut toujours relancer le capitalisme, même bio. Les poissons sont considérés comme des « ressources », ce qui est logique puisque la France insoumise veut développer la pisciculture.

Certes, cette organisation défend des mesures sociales, de protection des travailleurs (sans aller non plus jusqu’à affronter les « droits des entreprises », évidemment), des mesures écologiques (notamment concernant l’interdiction des pesticides, la lutte contre la pollution, etc.) ou démocratiques (plus de contrôle sur l’action de la Commission européenne), mais tout apparaît comme soumis à la volonté de renforcer la France, et de « mieux gérer » le capitalisme français et européen que la « caste » précédente.

C’est sur la base d’une mobilisation social-chauvine et particulièrement populiste que la France insoumise mène campagne, excusant d’une certaine manière son nationalisme derrière une prétention altermondialiste et poussant des cris d’orfraie chaque fois que l’on en pointe les travers, dénonçant la « calomnie », la « félonie », la « censure », etc.

Si on devait résumer le projet de la France insoumise en quelques points, on pourrait dire qu’il s’agit :

• de renforcer l’influence française et d’affronter l’Allemagne et les États-Unis en s’alliant avec la Chine et la Russie ;

• de modeler une Union européenne au service des intérêts de la France ;

• de moderniser la France et l’Union européenne dans le sens d’un « capitalisme vert », l’idée étant d’investir dans le « capitalisme vert », et de renforcer la puissance capitaliste pour pouvoir proposer une politique plus sociale, plus écologique.

Les mesures écologiques et sociales apparaissent ainsi comme soumises à la perspective de gestion efficace et de modernisation du capitalisme, avec le renforcement de l’agressivité capitaliste française en arrière-plan et l’affrontement avec les concurrents de la puissance française.

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Politique

Les gilets jaunes ou la permanence du sorélianisme en France

On ne soulignera jamais assez la nature philosophique des gilets jaunes, le caractère anti-politique de leur style. À l’arrière-plan, on a la démarche de Nietzsche, Sorel, Bergson.

Le fait que les gilets jaunes se soient maintenus si longtemps et aient formé leur propre culture exige de rappeler un point fondamental, que la Gauche historique a très bien connu à ses débuts. Il faut se rappeler que le mouvement socialiste (dont une partie deviendra communiste) a été confronté à l’origine à un très puissant mouvement anarchiste. Une partie de ce mouvement a consisté en les anarchistes « bombistes » (comme Ravachol), partisans de la propagande par le fait. Une autre partie a consisté en les syndicalistes révolutionnaires.

C’est cela qui a produit l’approche irrationnelle développée par Georges Sorel, dans Les réflexions sur la violence. Les avancées contestataires, subversives, ne pourraient pas s’appuyer sur la raison. Cette dernière ne pourrait pas établir quelque chose de solide, de fort. Georges Sorel raisonne en termes de résultats, en termes pragmatiques ; pour changer les attitudes, il faut une mobilisation au-delà de la raison :

« Le langage ne saurait suffire pour produire de tels résultats d’une manière assurée ; il faut faire appel à des ensembles d’images capables d’évoquer en bloc et par la seule intuition, avant toute analyse réfléchie ».

Georges Sorel était un syndicaliste révolutionnaire et son intuition reposait sur le vécu des ouvriers dans le capitalisme. Voici la citation en entier :

« Le langage ne saurait suffire pour produire de tels résultats d’une manière assurée ; il faut faire appel à des ensembles d’images capables d’évoquer en bloc et par la seule intuition, avant toute analyse réfléchie, la masse des sentiments qui correspondent aux diverses manifestations de la guerre engagée par la socialisme contre la société moderne. »

Il suffit de remplacer les sentiments du « socialisme » (d’ailleurs ici « spontané », syndicaliste) par n’importe quoi d’autre et on aura quelque chose qui ne fasse même plus semblant d’être de gauche. Le personnage historique le plus connu qui a repris Sorel est d’ailleurs Mussolini. Son anti-marxisme l’a fait adopter ce principe de la « mobilisation » autour d’un mythe, la dignité du mouvement reposant non pas sur l’objectif, mais sur la mobilisation elle-même. Du moment qu’on bouge, on se transcende.

Les gilets jaunes ne voient pas les choses autrement. En se mobilisant, ils pensent en soi déjà gagner, comme si l’engagement de leur existence dans quelque chose suffisait à assurer la victoire que, il faut le noter, eux-mêmes seraient bien incapables de définir. Les revendications ne comptent pas tant que le style des revendications, la démarche est une fin en soi.

Les gilets jaunes sont bien en ce sens un mouvement réactionnaire, de type fasciste, car philosophiquement nietzschéen, sorélien, bergsonien. C’est l’idée qui transporterait la vitalité dans la réalité.

On ne peut évidemment rien faire du tout avec de telles personnes. Même elles ne peuvent rien faire avec elles-mêmes. C’est pour cela que les gilets jaunes sont de moins en moins. À un moment, les gens en faisant partie se lassent, ils cessent d’être auto-intoxiqués, auto-hypnotisés. Ils passent à autre chose, ils abandonnent leurs propres croyances. Par contre, et c’est là le problème de fond, leur style reste. Leur démarche a fasciné, leur style a marqué les esprits. C’est une véritable école anti-politique qui s’est développé.

À cela s’ajoutent les anarchistes, qui les ont rejoint, justement par convergence anti-politique. Le mélange gilets jaunes – anarchistes des black blocks a été une véritable école de formation, produisant une démarche au style qu’on connaît historiquement : c’est celui des SA, des chemises noires. C’est le style du mouvement « élémentaire », partisan du coup de poing, du coup de force.

Comment la Gauche, déjà si faible, va-t-elle être en mesure de faire face si une telle démarche élémentaire réapparaît à moyen terme ? La Gauche historique allemande et italienne avaient échoués malgré sa force. Alors une Gauche française faible, sabotée par les courants post-modernes, post-industriels, post-historiques, post-nationaux ?

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Société

Non, Benoît Hamon, le kebab n’est certainement pas un apport culturel

Voulant combattre le racisme à Béziers, Benoît Hamon a mangé un kebab et l’a revendiqué. Cela représente pourtant le degré le plus haut de souffrance animale, d’exploitation des travailleurs, d’alimentation anti-diététique, de produit ultra vite fait et ultra mal fait mais appétant, de petit commerce agressif et prêt à tout.

Benoît Hamon est, parmi toutes les figures actuelles de la Gauche, sans doute celle qui est la plus ouverte à l’esprit alternatif sur le plan du mode de vie. Il a très certainement de la sympathie pour l’esprit authentique des rastas, du respect pour les vegans, un intérêt pour les hippies, et si on lui parle du skate punk californien, il dira très certainement que c’est fort intéressant et nettement positif. Malheureusement, cela reste indéniablement extérieur à lui. Et de nos jours, le capitalisme est tellement puissant qu’on ne peut pas être alternatif à moitié.

Ainsi, Benoît Hamon a succombé à son manque de rigueur, à son formatage bourgeois. Cela part d’un bon sentiment, il est vrai : il est à Béziers, une ville dont le maire Robert Ménard joue sur la corde identitaire et nationaliste autant qu’il peut, dans une région fortement marquée par un racisme revendiqué. Il est également accompagné de Naïma Charaï, élue bordelaise à qui Robert Ménard intente un procès en diffamation.

Elle avait dit dans la presse l’an passé que celui-ci a été condamné pour incitation à la haine raciale. Le jugement avait en fait été réformé en appel (et non « cassé » comme le dit Benoît Hamon, qui confond avec un pourvoi en cassation). Dans ce cas, l’arrêt rendu par la cours d’appel rend caduque le jugement initial – c’est comme s’il n’avait jamais existé, puisqu’il est considéré que l’affaire a été mal jugée. Au sens strict, Naïma Charaï ne peut donc pas dire que Robert Ménard a été condamné pour incitation à la haine raciale.

Tout cela pour dire que, donc, jeudi 16 mai 2019, Benoît Hamon s’est filmé en train de manger un kebab, envoyant une « dédicace » à Robert Ménard, Marine Le Pen et Jordan Bardella. La publication a même été « épinglée » sur son compte Twitter de manière à ce qu’elle reste visible un long moment, dans le but d’en faire une actualité politique anti-raciste. Peut-on être pourtant plus incohérent ?

Il est invraisemblable qu’en 2019, il y ait des gens à Gauche pour valoriser le kebab. Pourquoi le kebab est-il si peu cher ? Parce que les animaux qui ont servi pour la viande ont connu le pire des enfers, dans le cadre d’un capitalisme ultra-agressif. Il ne s’agit pas seulement d’animaux par définition dans les abattoirs, il s’agit d’animaux connaissant le pire des abattoirs, car il s’agit ici de fournir la viande la moins chère de toutes. Les gens qui ont servi dans les abattoirs et pour les livraisons font partie des prolétaires les plus pressurisés, les plus exploités, en plus du caractère démolisseur psychologiquement de leur travail pour les premiers.

 

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Spéciale dédicace à Robert Menard, @marine_lepen, @jordanbardella, en direct du meilleur kebab de #Beziers 📸 @teofaure

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Le kebab est également ultra appétant, à coups de sauces grasses mélangées aux viandes, à la fois pour masquer le goût ignoble (les viandes étant les pires restes des secteurs déjà les plus agressifs de cette industrie) et pour contribuer à l’empiffrage, qui est le principal « plaisir » du kebab, comme pour la pizza, le hamburger ou le tacos. C’est le principe de la malbouffe et cela a un succès gigantesque dans notre pays.

C’est donc une catastrophe. Et il est tout aussi catastrophique de parler du couscous en le plaçant au même degré que le kebab, comme le fait Benoît Hamon par anti-racisme. Le kebab est une invention très récente, faite par des commerçants turcs à Berlin. Sa nature est industrielle, commerciale, un équivalent du hamburger ou du hot-dog.

Le couscous est quant à lui un plat relevant de la culture populaire, avec un profond équilibre nutritif, une recherche gustative au moyen d’une grande finesse dans le choix des éléments. Ce n’est pas une accumulation des pires viandes mélangée à de la sauce, coupée en petits morceaux et mélangés avec le fameux triptyque salade – tomates – oignons, dans un pain dont rien que la digestion coûte plus d’énergie au corps qu’il n’en apporte, avec des frites surgelées !

Si on conclut en plus en disant que les kebabs sont des repères patriarcaux, on aura tout dit. Benoît Hamon aurait dû comprendre le piège tendu par Robert Ménard qui ne cesse de dénoncer les kebabs depuis plusieurs années. Il aurait dû comprendre qu’il l’a fait pour se donner une image anticapitaliste romantique auprès des masses, qui ne sont pas dupes de ce que représente le kebab. Quant aux jeunes qui vont au kebab (surtout des jeunes hommes), ils le font passivement et s’en moqueront que Benoît Hamon le fasse également.

Les gens qui prennent des kebabs sont autant passifs que ceux qui vont au McDonald’s, et sont d’ailleurs souvent les mêmes. Quand on est à Gauche, on le voit bien et on comprend qu’il y a un problème. Benoît Hamon ferait mieux d’aller chercher l’adolescente qui se met à l’écart de ces lieux de commerce où règne l’attitude beauf par rapport au monde tel qu’il est, et qui bataille contre ses parents pour pouvoir assumer son véganisme. S’il y a quelque part de la dignité, l’avenir de la Gauche et même du monde, c’est bien là, et pas dans un kebab.

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Politique

Vienne et le « grand remplacement »

Pratiquement la moitié de la ville autrichienne de Vienne est composée d’étrangers, le reste étant souvent également issue de l’immigration. Mais celle-ci est historique et s’appuie sur des ressorts déterminés par la situation politique et géographique. Même ce « grand remplacement », d’ampleur énorme, n’a pas été « décidé » : il est une simple conséquence des aléas de l’histoire.

La thèse du « grand remplacement » venue de la Droite identitaire a fini par acquérir un certaine notoriété, ce qui intellectuellement est très étonnant. On a même le droit à une liste électorale sur ce thème pour les élections européennes (La ligne claire), menée par Renaud Camus lui-même.

Faut-il en effet qu’on soit coupé de toute regard réaliste, matérialiste, concret, appelons cela comme on le voudra, pour ne plus être capable d’analyser les phénomènes propres au capitalisme et à l’immigration ?

Il est vrai que de part et d’autres, les leviers sont puissants. La thèse du « grand remplacement » fait appel à la théorie du complot, et cela fascine aisément. De l’autre, la négation des réalités économiques, sociales et culturelles de l’immigration est un leitmotiv du libéralisme. On ne touche pas à ce qui est bon pour le business.

Aussi, rien de tel que de porter un regard sur une ville européenne où le « grand remplacement » est un fait, pour des raisons historiques. On veut savoir si le « grand remplacement » existe ou pas ? Jetons un œil sur la ville de Vienne aujourd’hui et qu’y voit-on ? Que plus de 40 % des habitants sont d’origine étrangères. Que la majorité des lycéens parlent une langue autre que l’allemand à la maison.

La ville donne même des statistiques pour chaque arrondissement. Cela donne par exemple 36,5 % pour le premier arrondissement, le plus chic (avec donc une immigration russe et fortunée notamment). Mais encore 47,8 % pour le 10e arrondissement, 50,1 % pour le 20e arrondissement, 42,2 % pour le 4e arrondissement, 28,7 % pour le 13e arrondissement.

Comme il n’y a pas la double nationalité en Autriche, ces gens d’origine étrangère ne peuvent souvent pas voter ; leur niveau éducatif étant bas et le système administratif-juridique très tortueux, ils présentent des possibilités importantes d’emplois à bas salaires. Ils vivent également parfois de manière ouvertement ghettoisée, ainsi avec des zones turques ou serbe où l’entre-soi est total.

Autant dire que c’est le jackpot pour le capitalisme. Quelle continuité politique peut-il y avoir dans une ville où la moitié de gens vient d’arriver, à une génération près ? Cependant, Renaud Camus aurait tort ici de voir un exemple de « grand remplacement » tel qu’il l’entend. Car Vienne a toujours été ainsi. L’immigration a toujours été massive et bien souvent les gens qui votent pour l’extrême-droite, voire même les responsables de l’extrême-droite (comme son dirigeant Strache), ont des noms slaves, notamment tchèques.

C’est que la ville de Vienne était en effet à la base la capitale de l’Autriche, puis de l’Autriche-Hongrie. Là était centralisée la richesse, les entreprises pour la partie directement autrichienne (le reste étant dans la partie tchèque, notamment Brno, la Manchester morave). Les gens affluaient, dans le cadre de l’exode rural. Pour survivre, il fallait arriver à Vienne.

L’antisémitisme effroyable de cette ville avant 1914 vient notamment de l’arrivée de pauvres hères juifs des zones totalement arriérées de Galicie, sous domination autrichienne (et non hongroise). Cela a provoqué un choc culturel et les démagogues se sont rués sur la question.

Au début du 20e siècle, deux millions de personnes s’entassaient donc dans cette ville, dans des conditions d’hygiène effroyables, bien pire encore que dans les autres pays développés de l’époque. Une fois l’empire disparu, avec ses institutions, la ville a perdu une partie très importante de ses habitants ; à l’horizon 2029, elle reviendra à ce chiffre de deux millions. Mais elle a donc été traversée par l’immigration, car elle a été un carrefour.

Il en va de même pour Paris, capitale d’un pays qui a été un empire. Nul machiavélisme à cela, et les grands capitalistes ne sont pas des marionnettistes ordonnant au personnel politique d’enclencher tel ou tel levier. Ils ne peuvent que suivre des tendances se déroulant malgré eux, en fonction des opportunités. Ce sont les intérêts qui prédominent.

On peut bien entendu regretter tout ce chaos, cette absence de planification, cette communautarisation, cette destruction des traditions propres à une ville. Mais s’imaginer qu’il y aurait une « cause » est une abstraction intellectuelle, car les choses se transforment et le capitalisme transforment les choses selon ses besoins, voilà le problème.

Si Renaud Camus n’était pas un idéaliste cherchant une « cause », il dirait : quelle est la nature du phénomène, sur quoi repose-t-il ? De quoi découle-t-il, de quelles tendances de fond, propre à une réalité économique ? Au lieu de cela, il fait un fétiche du phénomène de l’immigration et imagine un complot, comme si le capitalisme pouvait « penser » et qu’on pouvait séparer l’immigration de toute la réalité historique. Mais une multitude d’entrepreneurs ne pensent pas en commun ! Ils agissent de manière chaotique selon leurs intérêts particuliers.

L’immigration est une simple conséquence du chaos qui règne dans le monde. La division entre employeurs et salariés obligent des millions de personnes à se déplacer loin, à tout abandonner, à s’insérer dans des dispositifs économiques précis. Ils croient choisir, mais ils ne choisissent rien du tout. Personne ne choisit rien. C’est l’Histoire qui décide, et en ce moment, c’est le capitalisme qui fait l’Histoire.

Si Renaud Camus veut maintenir la culture, la civilisation, comme il le prétend, alors qu’il assume l’Histoire et qu’il cherche à la transformer, au lieu d’idéaliser l’Histoire du passé et de penser qu’elle va réapparaître simplement en le « décidant » par en haut.

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Dix raisons de se méfier de la liste Europe écologie conduite par Yannick Jadot aux Européennes

La liste Europe écologie conduite par Yannick Jadot et présentée par Europe Écologie-Les Verts a un programme intitulé « Plan d’action : qu’est-ce qu’on attend pour tout changer ? » (disponible ici). En voici une présentation critique, en dix points, qui explique pourquoi on devrait se méfier de cette liste quand on est à Gauche.

1/ Parce que l’écologie n’est pas le nouveau Socialisme

Yannick Jadot a farouchement refusé de s’allier avec les partis de la Gauche pour les élections européennes, alors que les Verts en France ont toujours été liés à la Gauche, électoralement et socialement.

Il y a la prétention, devenue classique, que le thème de l’écologie serait suffisant en lui-même, qu’il pourrait remplacer la conception de Socialisme comme perspective pour l’avenir du monde. Les « questions environnementales » devraient alors avoir une « force normative » pour déterminer « l’action politique et les choix de l’UE ».

L’écologie, comme thème, porterait la solution sociale, pour en quelque sorte endiguer un capitalisme à la dérive :

« Le plan d’investissement massif pour le climat que nous proposons est un bouclier tant écologique que social. »

Ce qui est proposé est un keynésianisme typique de ce qu’a pu faire le Parti socialiste ces quarante dernières années, mais sans la dynamique populaire de la Gauche :

« Face à la baisse de compétitivité et au chômage galopant, nous choisissons d’investir dans l’environnement. »

> Lire également : Yannick Jadot fait en sorte qu’EELV tourne le dos à la Gauche

2/ Parce que la liste mise sur un vote « par défaut » de la part de gens de bonne foi qui se disent qu’au moins, l’écologie va forcément dans le bon sens

C’est un positionnement de type marketing, où il s’agit plus d’occuper un créneau que de proposer une véritable perspective avec un contenu général.

Les principales listes pour les Européennes, et en tous cas celles liées à la Gauche, assument toutes le thème de l’écologie. La liste Europe écologie prétend simplement être la mieux placée sur ce terrain, en assumant exclusivement ce thème comme dénominateur des autres thèmes.

Cela donne un programme très vague, avec beaucoup de choses qui sont dites, mais qui peuvent à chaque fois être assumées par au moins une autre liste majeure.

On y retrouve ainsi un peu du populisme de la France insoumise, de la vigueur tempérée d’un Benoît Hamon, du modernisme d’un Raphaël Glucksmann et beaucoup du « réalisme » d’Emmanuel Macron.

C’est une construction à visée clairement électoraliste.

3/ Parce que le plan d’action imaginaire en cinq ans qui aurait fini par tout changer en 2024 relève de la mythomanie

Le document du programme de la liste pour les élections est introduit par un texte d’anticipation. Il est fait comme si, en 2024, on écrivait la rétrospective des cinq dernières années ayant changées le climat.

La liste aurait eu un grand succès, comme les autres listes « vertes » européennes, ce qui leur permettraient « enfin de peser ». Les « inquiétudes écologiques, sociales et démocratiques » secouerait en fait déjà l’Europe en 2019, ce qui est absolument faux.

On aurait alors droit à cette construction médiatique qu’est Greta Thunberg pour le discours inaugural du Parlement en juillet, avec des « mouvements de jeunesse pour le climat » qui sortiraient d’on ne sait où afin d’appuyer cette sorte de grand élan écolo.

Il est expliqué ensuite que les écologistes auraient réussit à dépasser les oppositions entre les forces de droite et de gauche, pour parvenir à quelque-chose, comme si d’ailleurs le Parlement européen pouvait véritablement parvenir à quoi-que cela soit, alors qu’il n’est dans les faits qu’un relais sans grand pouvoir du Conseil et de la Commission.

C’est un discours anti-politique d’une naïveté incroyable, qui contribue à dessiner encore plus cette malheureuse caricature de l’écolo « bobo », vivant dans un monde parallèle, pour ne pas dire au pays des Bisounours…

4/ Parce que le programme ne s’appuie pas sur une pratique concrète, de terrain, de l’écologie, mais sur des habitudes au sein d’institutions

Une liste réellement « écolo », si tant est que cela doive exister, s’appuierait sur la pratique quotidienne de militants de terrains.

Seraient alors mises en avant des personnes qui luttent ici contre tel projet d’une destruction de zone humide, là contre le nucléaire, contre la déforestation, contre la consommation d’huile de palme, contre la chasse à courre, contre l’exploitation animale en général, etc.

On aurait alors sur la liste des gens présentés comme luttant pour la protection animale dans les refuges, s’organisant pour développer le végétalisme, pratiquant une agriculture meilleure dans les campagnes ou des jardins ouvriers et des potagers urbains dans les grandes villes, promouvant les déplacements à vélo, etc.

Tel n’est pas du tout le cas avec cette liste menée par l’ancien dirigeant de Greenpeace, cette horrible ONG dont la démarche consiste à demander beaucoup d’argent aux gens pour réaliser de grandes opérations « coup de poing » de communication (tout en rémunérant confortablement un certain nombre de personnes).

La description de beaucoup d’autres colistiers est du même acabit, avec des personnes relevant des institutions et pas des pratiques populaires.

5/ Parce que le point de vue n’est pas biocentré, mais anthropocentriste

S’il est dit que « la condition humaine n’est pas de détruire la vie sur Terre, mais de la préserver. », cela relève de la bonne phrase pour faire genre, et certainement pas d’une vision du monde biocentrée.

Il est en fait question partout ailleurs de l’humanité en péril, de part la dégradation de son environnement. Il est surtout expliqué que « notre destin est humain et terrestre », car nous n’avons pas d’autre planète, comme si le fait que l’humanité ne puisse pas aller ailleurs changeait quelque chose au problème de la Terre.

La phrase suivante en dit long sur la conception des gens ayant écrit ce programme :

« Le propre de notre espèce n’est pas la domination mais la coopération, c’est ainsi que nous survivons depuis toujours. »

Cela paraît bien, mais c’est anthropocentriste. L’humanité n’est en rien particulière, elle ne devrait même pas être le sujet ici. Elle n’est que le produit partiel d’un ensemble qui consiste en la vie sur Terre, qui est par définition le produit de développements symbiotiques.

S’il est dit que les animaux « sont exploités et maltraités pour une économie de surconsommation », ce n’est fait qu’au passage, dans une autre belle phrase. Jamais il n’est question des animaux ailleurs, à aucun moment le programme de la liste Europe écologie s’intéresse réellement, concrètement, aux animaux.

Ce qu’il faut retenir de ce plan d’action, c’est que :

« La question cardinale est celle de la dégradation du climat, puisqu’elle menace notre survie elle-même. »

6/ Parce qu’il y a une croyance idéaliste en le fait que les institutions européennes puissent devenir « écolo »

Ce qu’il faudrait, c’est une « justice environnementale » avec « un parquet européen autonome capable de lutter contre les écocrimes et les écocides, et la reconnaissance de droits à la nature : montagnes, fleuves, mers, océans, littoraux, plaines et forêts… »

Cela s’accompagnerait d’une « Chambre du vivant et du temps long » pour protéger les « communs environnementaux ».

Les choses sont considérées sous le prisme des institutions européennes, avec de nouvelles institutions qui seraient créées sur le modèle de ce qui existe déjà, pour faire de l’Union européenne une sorte de super-laboratoire de l’écologie.

On se demandera par quel miracle l’Union européenne pourrait devenir ce qu’elle n’est pas, mais il faudrait en tous cas considérer qu’elle est forcément le moyen de changer les choses :

« Certains, surfant sur la colère et le découragement, proposent de tourner le dos à l’Europe. C’est une faute. Comment gagner la bataille engagée en désertant le champ de bataille ? Seul.e.s derrière nos frontières, nous serions plus fort.e.s ?

C’est une illusion et une illusion dangereuse. Nous mesurons le désamour qui touche les institutions européennes. Et nous sommes en colère contre l’état actuel et le fonctionnement de l’Union européenne. Mais l’idée d’Europe, nous la faisons toujours nôtre.

Nous continuons à la défendre non pas parce qu’elle est parfaite telle qu’elle est mais par ce que nous ne confondons pas l’Europe avec ses dirigeants actuels. Nous ne céderons pas un pouce de terrain aux partisans du repli. Parce que, pour surmonter les épreuves que nous traversons, notre avenir est forcément Européen.

De la Suède à la Grèce, de l’Irlande à Chypre, nous défendons une autre Europe. »

On se demandera aussi, sans trouver de réponses, pourquoi il ne faudrait pas regarder tout autant du côté du Mali et de l’Algérie, de la Suisse et de la Turquie, du Canada et de l’Argentine, de la Mongolie et de la Corée du Sud, de l’Afghanistan et des Philippines, etc. ?

7/ Parce que Yannick Jadot est une sorte de « Macron vert »

Yannick Jadot est « un très bon copain » de Daniel Cohn-Bendit, ancien Vert qui soutien Emmanuel Macron. Il a aussi à peu près le même parcours qu’un Pascal Canfin, du WWF et dit peu ou prou la même chose qu’un François de Rugy, qui tous deux soutiennent Emmanuel Macron.

La perspective de ces gens est là même, consistant en un centrisme plus ou moins libéral économiquement, toujours libéral sur le plan des mœurs, pour déborder la Gauche par la droite.

Yannick Jadot parle ainsi beaucoup d’Emmanuel Macron, dont la liste est en fait la principale préoccupation :

« Emmanuel Macron fait des grands discours teintés de vert mais la politique qu’il conduit ne suit pas. »

La grande actualité politique serait le départ du gouvernement de Nicolas Hulot et il s’agirait de comprendre que « la cohérence et l’efficacité, c’est le groupe écologiste ».

Comme avec Emmanuel Macron qui parlait « Révolution » pour ne surtout rien changer, on a avec Yannick Jadot un discours institutionnel centriste, mais avec un slogan vindicatif :

« Le système, la politique, nos vies : tout doit changer. »

8/ Parce qu’il est parlé du « pouvoir de l’argent »

« L’histoire est en marche. Nous sommes convaincu.e.s qu’elle n’appartient pas à des élites dépassées, ridiculement conservatrices et dangereusement obsédées par le pouvoir de l’argent. »

De tels propos sur « l’argent » sont insupportables pour qui est à Gauche.

On ne sait que trop bien où mène ce populisme, cette sémantique anticapitaliste romantique digne de la France insoumise et du Rassemblement national, qui eux aussi parlent de « remettre la finance à sa place ».

L’extrême-droite la plus radicale, la plus antisémite, ne renierait pas de tels propos sur la « loi de l’argent » qui régnerait en « maîtresse de toute chose » actuellement en Europe.

C’est inacceptable.

9/ Parce que le capitalisme est critiqué sans être critiqué

Il y a dans ce programme de la liste Europe écologie un grand flou quant à la conception économique, qui révèle soit d’un manque de cohérence, soit d’un grand opportunisme, ou probablement les deux.

Il est par exemple expliqué :

« Un capitalisme barbare détruit la nature et humilie des millions d’êtres humains. »

On lit également des choses comme :

« Dans le secteur privé, la concentration du pouvoir économique et financier entre les mains de quelques-uns a engendré une perversion du système économique, le renchérissement des produits, l’usage de produits toxiques, des fraudes accrues et a renforcé le poids des lobbies. Nous proposons un plan anti-trusts contre les pollueurs. »

Il n’est cependant jamais expliqué par quoi on remplacerait le capitalisme, ni même s’il faudrait en fait remplacer le capitalisme. Les solutions consistent en tous cas en les recettes politiques habituelles, maintes fois répétées sous telles ou telles formes, avec toujours comme perspective le marché, et jamais le Socialisme :

« relever le budget de l’Union européenne à 5% de son PIB », « un grand plan d’investissement de 100 milliards d’euros », « réformer la BCE » (la Banque centrale européenne), contre le « diktat de la non-inflation », « racheter, restructurer et effacer les dettes publiques », « convergence macro-économique », etc.

10/ Parce que la classe ouvrière et les classes populaires n’existent pas dans le programme

Comme la liste Europe écologie de Yannick Jadot ne veut pas être de gauche, alors elle ne l’est pas. Il n’est jamais parlé des classes populaires, du monde du travail, sans parler évidemment de la classe ouvrière, qui n’existe pas dans la conception libérale des choses de ces gens.

Exit bien évidemment la lutte des classes, puisque le problème viendrait de mauvais choix faits par de mauvaises personnes. C’est tout à fait contraire à la conception historique de la Gauche, qui considère non pas les individus mais le système économique lui-même, ainsi que les orientations politico-culturelles de ses classes dirigeantes.

C’est que Yannick Jadot a en fait tout du style et des valeurs des classes dirigeantes, ou pour le dire plus clairement, de la bourgeoisie.

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Culture

« Ultratechnique » de Hyacinthe, du rap et de la techno hardstyle pour « survivre »

Avec « Ultratechnique », le Parisien Hyacinthe mélange rap français et techno hardstyle pour exprimer les angoisses de la jeunesse, pour qui « survivre, c’est technique ».

Le clip, volontairement simple, brut, montre une nuit de « teuf », entre l’autoroute et la boîte de nuit. On y voit tout au long une pilule d’ecstasy, qui est peut-être la métaphore d’une jeunesse « au bord de la falaise », fuyant la réalité pour « survivre », hésitant entre l’indifférence et la résignation.

Le ton est grave, mais le propos ne doit pas être qualifié de pessimiste :

« Y’a toutes ces peurs, tous ces doutes
Demain c’est loin mais demain c’est nous
Et si demain c’est pire, il nous restera le cran
Le cran d’vivre, de grandir, comme un printemps
Des campagnes jusqu’aux centre-villes
Puisque tout brûle, on s’ra libres au cœur d’l’incendie »

Le choix du hardstyle, un son à la fois très lourd, très dur, et en même temps très festif, donne tout leur sens à ces paroles.

Cette musique est issue de la techno hardcore et de la culture gabber, qui est absolument massive dans la jeunesse prolétarienne des Pays-Bas et de la Belgique. Le public hardstyle est d’ailleurs largement retourné vers la techno hardcore, depuis la grande vague des années 2000 et du début des années 2010 : c’est que l’époque à besoin de densité, de « boom-boom » très intense.

Hyacinthe avait déjà proposé une incursion dans l’univers gabber avec son excellent titre « Sur ma vie ». La production clairement techno hardcore était une collaboration avec le collectif Casual Gabberz et le clip avait été réalisé par Anna Cazenave-Cambet, auteur du court-métrage « Gabber Lovers ».

Dans une interview très intéressante au site Manifesto, Hyacinthe explique d’ailleurs qu’il avait à l’origine un son plus gabber pour son morceau « Ultratechnique », mais qu’il a préféré un son hardstyle afin d’être plus pop, car la musique de niche ne l’intéresse pas. Il y a là une démarche artistique très intéressante, très réfléchie, et pas seulement du son balancé à la va-vite pour seulement se faire plaisir.

Notons pour finir que ce morceau est placée à la fin de son album RAVE ( avril 2019, Chapter two records), comme une sorte d’outro. Le titre de l’album est sans ambiguïté quant à sa filiation à la culture techno et la plupart des morceaux en sont imprégné. Cela en fait un album d’une grande qualité et d’une grande cohérence artistique, à rebours des albums rap habituels qui sont souvent de simple mixtapes.

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Politique

La socialiste historique Élisabeth Guigou soutient Emmanuel Macron

Figure éminente de l’histoire du Parti socialiste, Élisabeth Guigou a écrit une tribune dans une publication ultra-libérale pour annoncer son soutien à la liste pro-Macron aux élections européennes. C’est toute sa vie politique qu’elle jette aux oubliettes, et la Gauche avec.

Incroyable, il n’y a pas d’autres mots. Qu’Élisabeth Guigou décide de soutenir la liste pro-Emmanuel Macron pour les élections européennes, c’est déjà agir tel un renégat quand on a été socialiste toute sa vie. Mais en plus le faire au moyen d’une tribune dans l’organe de presse ultra-libéral l’Opinion, là on est vraiment dans l’indignité la plus complète.

Vous vous imaginez ? On parle ici de quelqu’un au Parti socialiste depuis 1973 ! Qui auparavant était au PSU avec Michel Rocard… Qui a encore parrainé la candidature de Benoît Hamon pour la présidentielle de 2017… Quelqu’un qui est au bureau national du PS, qui a été secrétaire nationale du PS chargée des questions sociales de 1995 à 1997, secrétaire nationale du PS chargée de la réforme de l’État et des collectivités territoriales de décembre 2008 à 2012…

Quelqu’un qui, en tant que socialiste, a été entre autres député, député européen, ministre déléguée aux Affaires européennes du second gouvernement de Michel Rocard, ministre de la Justice puis ministre de l’Emploi et de la Solidarité du gouvernement de Lionel Jospin…

Quelqu’un qui, en mars encore, racontait avec fierté dans Libération avoir chanté l’Internationale et Le temps des cerises à la buvette de l’Assemblée nationale…

« Une nuit, en plein examen du projet de loi sur le pacs que je présentais, il devait être 2 heures du matin et on venait de subir quatre ou cinq heures de discours de Christine Boutin. J’étais sur le banc des ministres et je suis sortie faire un tour pour souffler. J’ai entendu des rires et j’ai alors vu une vingtaine de députés de tous bords à la buvette en train de boire et de chanter le Temps des cerises ou l’Internationale, sous la houlette de Louis Mexandeau [alors député PS du Calvados]. Je me suis jointe à eux quelques minutes qui m’ont fait oublier la fatigue. »

Comment Élisabeth Guigou peut-elle alors soutenir Emmanuel Macron ? Ce qu’elle explique dans la tribune qu’elle a écrit prend comme seul justificatif, comme seul indicateur, la construction de l’Union européenne, quelque chose « sans précédent et sans équivalent dans l’histoire du monde ». C’est là un peu vite oublier la formation des États-Unis d’Amérique, de l’Union Soviétique, de l’Union Indienne, etc.

Sans compter qu’elle précise immédiatement elle-même : « Il est vrai que ce fut avec le soutien des États-Unis dans un contexte de guerre froide », ou encore « l’ordre établi après 1945 sous l’égide des États-Unis cède la place à un monde imprévisible et dangereux ». C’est là ouvertement admettre que l’Union européenne n’est pas née sur une base de Gauche… et l’accepter. C’est là le drame d’Élisabeth Guigou. Elle est passée de la Gauche politique à la gauche des institutions, l’admettant elle-même en devenant la présidente de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale (2012-2017).

Elle a abandonné la Gauche et ses idéaux, pour se poser en pragmatique de gauche au sein des institutions. C’est le même parcours que François Hollande, Lionel Jospin et tant d’autres. Voici justement comme elle dresse le catalogue de ce que propose Emmanuel Macron, où on cherchera vainement quelque chose ayant un rapport avec le Parti socialiste des origines, dont elle a fait partie :

« Les propositions d’Emmanuel Macron ont le mérite de se concentrer sur quelques priorités : la souveraineté économique, technologique, monétaire, fiscale, sociale et écologique contre la concurrence déloyale des États dominants comme celle des géants du numérique et de l’intelligence artificielle ; la transition écologique financée par une banque du climat et la sécurité sanitaire, face à certains lobbies sans foi ni loi ; la cohésion sociale sans laquelle l’UE ne serait qu’un marché sans âme ; la protection et la promotion de l’Europe de la culture, qu’ont commencé d’incarner, bien insuffisamment, Erasmus et la protection des droits d’auteur ; la maîtrise des migrations par un meilleur contrôle partagé des frontières de l’Union et une solidarité accrue entre les États membres de Schengen ; la sécurité par la lutte contre les cyberattaques, et des règles européennes contre la diffusion par Internet des discours de haine et de violence ; de nouveaux progrès vers une défense réellement autonome, associant le Royaume-Uni en dépit du Brexit, dans un Conseil européen de sécurité intérieure. »

Dans Libération en mars, Élisabeth Guigou se plaignait du manque de reconnaissance des politiques, de « la violence, le mépris et l’antiparlementarisme ambiants… ». Mais ce sont des gens comme elle qui fabriquent cela. Quand on a défend toute sa vie des idées, et qu’on les jette par-dessus bord, on déboussole, on désoriente, on dégoûte. Et voilà ce que fait Élisabeth Guigou, et rien d’autre.

Et on ne sait même pas l’intérêt pour elle de le faire. Au lieu de chercher l’honneur de la loyauté et de s’inscrire dans la reconstruction de la Gauche, qui ne lui aurait pas coûté grand-chose, elle se vend pour strictement rien auprès de personne, car tout le monde s’en moque chez Emmanuel Macron, où elle va agir en simple anecdote pro-institutionnel. C’est idiot, et en plus c’est vide !

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Politique

De la FI au RN, Andréa Kotarac : l’inévitable convergence des populismes

De la France insoumise au Rassemblement national, il n’y a qu’un pas et on n’est pas étonné que celui-ci soit franchi par Andréa Kotarac. Le conseiller régional Auvergne-Rhône-Alpes a appelé hier soir à voter pour la liste conduite par Jordan Bardella pour les Européennes, alors qu’il a été membre de l’équipe de campagne de Jean-Luc Mélenchon en 2017 et qu’il était jusqu’à hier membre de la France insoumise.


Cela n’est pas une surprise, tellement l’orientation d’Andréa Kotarac était nationaliste. Celui-ci n’a pourtant pas été exclu de la France insoumise le mois dernier après sa petite escapade avec des fachos en Crimée, largement médiatisée. On imagine que le mouvement de Jean-Luc Mélenchon, malgré quelques divergences internes, voulait garder pour lui celui qui incarnait la ligne « pro-Russe », ouverte à la Russie, à une alliance entre la puissance française et la puissance russe, contre les États-Unis.

Ce « choix » de la Russie est partagé tant par Marine Le Pen que par Jean-Luc Mélenchon. On relèvera d’ailleurs qu’en fin de soirée hier, alors que le compte Twitter de Jean-Luc Mélenchon n’avait pas encore réagi à l’annonce d’Andréa Kotarac, il y était question de la Russie justement, avec une citation du meeting en cours à Besançon :

« Beaucoup de ceux qui sont dans cette salle ont voulu faire l’Europe pour la paix. Et aujourd’hui, on nous entraîne dans la guerre avec la Russie. Nous, nous parlons une langue universelle : plus d’écoles pour nos enfants, donc plus de professeurs ! »

Andréa Kotarac semble donc avoir fait le choix de l’orignal à la copie, en rejoignant le parti de Marine Le Pen . Il a présenté son ralliement, en direct à la télévision, par la volonté de faire « barrage » à Emmanuel Macron :

« J’appelle à voter pour la seule liste souverainiste, qui met en avant l’indépendance de la France, et qui est la mieux à même de faire barrage à Emmanuel Macron, de faire barrage à ce rouleau compresseur anti-social qu’est Emmanuel Macron : cette liste c’est celle de monsieur Bardella ».

Son propos nationaliste était accompagné de cette immonde verbiage populiste, anti-politique, faisant de la haine personnelle un argument :

« Ma mission personnelle c’est de faire en sorte que librement, en tant qu’homme libre, je fasse baisser le plus bas possible le score de LREM, mais vraiment le plus bas possible, c’est-à-dire au niveau du charisme de Nathalie Loiseau. »

Ce genre de propos à la « gilets jaunes », cette puanteur de l’esprit, est typique de l’extrême-droite et a en effet toute sa place au Rassemblement national de Marine Le Pen.

Le soutien d’Andréa Kotarac à la liste conduite par Jordan Bardella a d’ailleurs été préparé en amont pour que la convergence soit totale. En même temps que l’annonce à la télévision, il y en a eu une autre, en ligne, d’un entretien dans la revue Éléments à paraître en kiosques vendredi.

Cette revue représente une sorte d’avant-garde intellectuelle du fascisme en France. Son but a été durant ces dernières années de promouvoir et de définir un altermondialisme de droite, qui a été assumé tout autant par Marine Le Pen, de manière institutionnelle, que par les franges les plus radicales de l’extrême-droite, de manière plus virulente et culturelle.

Les quelques extraits trouvables en ligne sont sans ambiguïtés, montrant un positionnement farouchement contre la Gauche et l’esprit de la Gauche.

Personne n’imaginera qu’Andréa Kotarac se soit métamorphosé du jour au lendemain : ses considérations anti-Gauche ont largement cours à la France insoumise.

Cela commence d’ailleurs à faire beaucoup, après l’hostilité anti-allemande de Jean-Luc Mélenchon, le populisme assumé de François Ruffin, le rejet ouvert de la Gauche par Alexis Corbière – et son entretien à Valeurs actuelles, ou encore le départ de Djordje Kuzmanovic pour lancer un nouveau mouvement nationaliste.

De la France insoumise au Rassemblement national, les populismes convergent, car ils disent la même chose, ont le même style et surtout, la même finalité : rejeter la Gauche, la contourner, l’éliminer.

À la Gauche d’être à la hauteur, pour faire barrage donc, non pas simplement à Emmanuel Macron, mais à toute cette ambiance nauséabonde dans le pays, issue de la Droite. Il faut un Front populaire, une large unité de la Gauche sur les bases de son héritage historique, en assumant le Socialisme contre le fascisme.

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Politique

Des socialistes anglais, espagnols, allemands, autrichiens… mais pas français, pourquoi ?

Pourquoi la social-démocratie est-elle encore si puissante en Allemagne, en Angleterre, en Espagne, en Autriche ? Parce que dans ces pays, la social-démocratie a été un mouvement de masse à l’origine. Elle est ancrée dans la population. Il n’y a jamais eu rien de tel en France.

Il faut bien une explication ! Pourquoi le Parti socialiste est-il si faible ? Parce qu’il a participé au gouvernement, qu’il est corrompu ! Allons donc ! En Allemagne et en Autriche, les socialistes participent aux institutions depuis 1945, ont formé d’innombrables gouvernements d’alliance avec la Droite. Ils sont pourtant toujours là ! En Angleterre, le Labour a été au pouvoir plusieurs fois, et Tony Blair était encore plus libéral que François Hollande. En Espagne, le PSOE a toujours plus trahi ses traditions aussi. Et il existe encore, puissant !

Non, la réponse ne peut pas être la corruption de la direction, la participation au gouvernement. Car une direction, cela se change, une orientation, cela se modifie. Mais justement, en Allemagne, en Angleterre, en Autriche, en Espagne, il y a une base pour impulser ce changement, pour le forcer. En France, il n’y a pas cela. Et cela s’explique par des raisons multiples.

Primo, le Parti socialiste n’a jamais atteint une réelle base de masse, il a toujours été un petit parti électoral avec beaucoup de voix, et ce déjà à l’époque de Jean Jaurès. Par contre, en Allemagne et en Autriche c’était un vaste mouvement politique marxiste qui faisait le choix de participer aux élections (et de former des syndicats). En Angleterre, c’était un mouvement syndical qui a fait le choix d’établir un parti politique et de participer aux élections pour gagner de l’espace pour ses revendications. En Espagne, ce fut un mouvement de masse également, avec une histoire plus tortueuse.

Secundo, les traditions historiques jouent. Les socialistes se sont donnés comme naissance historique le congrès d’Epinay, fusion organisé par François Mitterrand de plusieurs courants socialistes, dans les années 1970. Cela ne peut pas suffire. Les socialistes allemands, anglais, autrichiens, espagnols, assument eux un siècle de mouvement. Et vues les histoires tourmentées de l’Espagne, de l’Autriche, de l’Allemagne, forcément, assumer l’identité socialiste, cela pèse.

Tertio, même lorsqu’il y a eu des références au-delà des années 1970, les socialistes n’ont rien pu en faire. Léon Blum ? Ouvertement marxiste, pas possible. Jean Jaurès ? Parfait car mélangeant tout de manière confuse mais avec un grand lyrisme, et pourtant par là même inutilisable. Les autres ? Tous aussi confus, tous incapables de formuler une doctrine.

Restèrent donc les grandes personnalités. Les François Mitterrand, Michel Rocard, Lionel Jospin, ou même François Hollande. Des gens avec de la culture, de la prestance, de l’ambition mais politique, bien cadré, bien posé. Ce sont des gens qui sentent les choses, qui portent les événements, qui comprennent, et qu’on comprend, cette chose si rare en politique. Oui, mais tout cela n’a rien de spécifiquement socialiste comme approche, et une fois les types partis, que reste-t-il ? Pas grand-chose, au mieux, des décombres, au pire.

Il ne reste plus qu’à reconstruire par en bas, donc. Mais avec quelle base ? Le Parti socialiste a eu ces dernières années une base où les entrepreneurs prenaient une place toujours plus importante. À part certaines sections, l’embourgeoisement était flagrant. Ces gens-là sont partis, évidemment. Et les autres aussi ! Il n’y a pas eu la fierté d’être socialiste, de maintenir le drapeau. Même les derniers volontaires ont quitté le navire, allant avec Benoît Hamon faire autre chose ou bien parasiter Jean-Luc Mélenchon en attendant mieux.

C’est que le Parti socialiste était un parti comme les autres. Ce n’est pas le cas des partis sociaux-démocrates d’Allemagne, d’Angleterre, d’Autriche et d’Espagne. Cela ne veut pas dire qu’ils ne peuvent pas s’effondrer, s’enliser, échouer. Mais eux ont une histoire, alors que le Parti socialiste a montré qu’il n’aura été qu’un appareil électoral ou bien gouvernemental.

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Société

Le cofondateur de Facebook appelle à démanteler l’entreprise

La petite entreprise, quand elle réussit, devient une grande entreprise, puis une très grande entreprise. Le monopole met alors fin à la concurrence, et donc à la libre-entreprise. Ce schéma raconté par Marx ou Lénine est une horreur pour le cofondateur de Facebook Chris Hughes. Il appelle donc à couper l’entreprise en morceaux et à superviser ceux-ci par les institutions.

Chris Hughes est, avec Mark Zuckerberg, l’un des fondateurs de Facebook. Il a quitté cette entreprise, vendant toutes ses parts en 2012. Il vient de publier un très long article dans le New York Times, appelant ni plus moins qu’à démanteler Facebook.

Ses motivations sont très simples à comprendre. Il constate, de manière fort juste, que Facebook est un monopole. Cependant, ce n’est pas un disciple de Lénine. Il ne pense pas que les monopoles soient l’antichambre du socialisme. Ou plutôt, il l’entrevoit et il est contre. C’est la raison pour laquelle il dit : il faut démonter Facebook en plusieurs fractions et superviser celles-ci.

Ses arguments concernent tous le capitalisme. Il raconte que Facebook n’est plus en situation concurrentielle, que l’entreprise achète ou copie ce qui lui fait de l’ombre. Or, seule la compétition peut à ses yeux amener des choses nouvelles. Facebook est donc un obstacle au capitalisme lui-même. Il faut donc le mettre en pièces.

Le ton de l’ensemble est ainsi profondément nostalgique quant au Facebook du début, Chris Hughes racontant avec émotion des anecdotes de cette époque pour lui bénie. Pour lui, Facebook a réussi parce que l’entreprise était en situation de très dure concurrence avec surtout Myspace, mais aussi Friendster, Twitter, Tumblr, LiveJournal, etc.

Il faut donc pour lui stopper Facebook le plus vite possible, pour deux raisons. La première, c’est son omniprésence et sa capacité à manipuler les opinions : ici, Chris Hughes présente Mark Zuckerberg comme très sympathique, sobre dans sa vie privée (soit disant), mais candide et manipulable par le monstre qu’est devenu Facebook, avec ses besoins de croissance. La seconde, c’est que Facebook assèche toute une partie du capitalisme. Voici ce qu’il constate, entre autres :

« Plus d’une décennie plus tard, Facebook a remporté le prix de la domination. Il vaut plus de 500 milliards de dollars et représente, selon mon estimation, plus de 80% des revenus mondiaux des réseaux sociaux. C’est un puissant monopole, éclipsant tous ses rivaux et effaçant la concurrence de sa catégorie. »

Chris Hughes n’exprime pas seulement sa panique libérale avec Facebook, qui possède WhatsApp et Instagram, deux monopoles dans leur genre. Il vise également Google pour la rechercher sur internet et Amazon pour le commerce en ligne. Il élargit même la question aux entreprises pharmaceutiques, aux compagnies aériennes… expliquant, horrifié, que 75 % de l’économie américaine est touchée par le phénomène de la concentration capitaliste.

Cela signifie selon lui le déclin de l’esprit d’entrepreneur, de la croissance de la productivité, moins de choix et des tarifs plus élevés pour les consommateurs. Sa grande référence est Adam Smith, qu’il présente comme la figure tutélaire des « pères fondateurs » des États-Unis. L’Amérique, c’est la libre-entreprise, et inversement.

On est libre de croire cette fable, si on est soi-même contaminé par l’idéologie de la libre-concurrence, si l’on est soi-même un capitaliste. Sinon, on ne peut que rire de ces lamentations d’ailleurs ridicules. S’il est vrai que les monopoles dans les nouvelles technologies sont récents, dans les autres domaines cela fait longtemps qu’ils existent. Le capitalisme américain dispose de géants monopolistes depuis longtemps, depuis l’aviation jusqu’à l’armement en passant par l’automobile, les banques, etc.

Chris Hughes raisonne ici comme tous les entrepreneurs de la Silicon Valley, qui croient en le capitalisme concurrentiel parce que pour eux il existe encore, ou plutôt il existait encore il y a peu. Une bonne idée, un peu de financement et tout se met en branle. C’est le principe de la start up. Cela existe encore, un peu. Mais les débuts sont terminés et l’émergence des monopoles est obligatoire.

Et que fait-on quand on a les monopoles ? On socialise, on met le tout au service de la population. Le capitalisme a été utile, maintenant on le dépasse !

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Politique

Le volontarisme du manifeste écologiste de Génération-s

Les efforts de Benoît Hamon sont sincères, volontaristes, mais très inégaux. L’appel à ce que l’écologie soit assumée à Gauche est une initiative excellente. Mais pas une seule fois il n’est parlé des animaux, ce qui expose un manque immense tout de même lorsqu’on parle d’écologie, et surtout le Manifeste récuse tant le Socialisme que le « système libéral-productiviste ».

« Ils sont dans une espèce de surenchère écologique à quelques jours des élections européennes » : c’est ce qu’a affirmé Jordan Bardella sur LCI au sujet de la LREM et de sa proposition que l’Union Européenne mette 1 000 milliards d’euros dans la transition écologique d’ici 2024. La critique est révélatrice : au lieu de dénoncer le populisme de LREM (car LREM ne peut rien proposer du tout au niveau de l’Europe, seulement participer), c’est l’écologie qui est dénoncée.

> Lire : Le Manifeste pour l’écologie du monde qui vient

L’écologie est source de panique chez les forces conservatrices et Jordan Bardella ne fait même pas semblant de faire de l’écologie différemment, ce qui était pourtant la ligne de Marine Le Pen pour le lancement de la campagne de ces élections européennes.

Elle est par contre source d’inspiration pour les gens comprenant le besoin de transformation. Génération-s a ainsi rendu public un Manifeste pour l’écologie du monde qui vient, sous-titré Engageons le cycle des « trente vertueuses ». Benoît Hamon, dans la préface, résume avec un grand lyrisme ce besoin de transformation :

« L’Europe a définitivement tout à voir avec l’écologie, car elles nourrissent l’une et l’autre le besoin viscéral de se projeter dans un avenir commun positif. Là où l’idéologie libérale a supprimé depuis trente ans tout repère collectif, l’Europe et l’écologie recréent du commun, du lien, une fraternité. »

Pourquoi l’Europe et pas le monde, l’idée d’un gouvernement mondial ? Après tout c’était déjà le rêve d’Emmanuel Kant, ce grand penseur des Lumières, et la chanson l’Internationale demande justement cela aussi. L’écologie n’a de toutes façons pas de sens si l’on ne se place pas dans une perspective mondiale. Les anti-écologistes le rappellent suffisamment en disant que tant que les États-Unis et la Chine ne changeront pas leur approche…

Mais gageons que Benoît Hamon propose simplement de faire de l’Europe un levier pour changer les choses dans le monde, une sorte de modèle. Et c’est ce qu’affirment justement les dernières lignes du Manifeste. Benoît Hamon parle de l’Europe, pour parler du monde, il veut trouver une voie positive dans le monde, et cela passe par l’Europe. Cela peut sembler naïf ou idiot, mais quand on lit cette perspective, on se dit : un type bien, ce Benoît !

L’idée proposée dans le Manifeste est que les prochaines années soient donc justement idéales, à l’opposé des années passées. Aux « trente honteuses » du passé sont opposées les « trente vertueuses » de l’avenir, en allusion aux « trente glorieuses », les années 1945-1975 d’importantes croissance dans les pays occidentaux.

L’idée a un vrai contenu, mais il est considéré que ce serait là quelque chose de naturel, que les « trente vertueuses » ont en fait même déjà commencé :

« La jeunesse mondiale qui manifeste dans la rue ouvre majestueusement le cycle des « trente vertueuses ». Avec l’intransigeance propre à son âge, une détermination proportionnelle à ses craintes et une indignation indexée sur son dégoût, la génération qui vient prend son destin en main et nous intime d’agir.

Comment ces jeunes ne seraient-ils pas « plus chauds que le climat » face à l’état ravagé de la planète dont ils héritent, la cupidité de leurs aînés, le cynisme des dirigeants, l’obséquiosité des politiques, l’hypocrisie du système ? La lâcheté et l’égoïsme qui ont caractérisé d’abord l’Occident puis l’ensemble du monde dans son sillage sont honnis. Le modèle productiviste est mort. La pression populaire pour engager la transition, maintenant, est considérable. »

Ces lignes sont incompréhensibles. La jeunesse mondiale ne manifeste pas du tout, la jeunesse française encore moins. Les quelques initiatives ont été téléguidées par les réseaux sociaux et ne sont nullement ancrées dans la réalité. Il n’y a aucune intransigeance non plus. Les jeunes sont très modernes, ils vont changer le monde, mais pour l’instant ils mangent des kebabs et vont au Mc Donald’s.

D’ailleurs, notons au passage que sortir un tel Manifeste sans mentionner une seule fois le terme « animal » au moment où pareillement est sorti un rapport de l’ONU sur la biodiversité, c’est au mieux ballot, au pire criminel. Franchement, quoi !

De plus, contrairement à ce qui est dit, la pression populaire est inexistante, soit parce que les gens sont passifs, soit parce qu’ils veulent vivre comme avant, comme le montrent très bien les gilets jaunes (que le Manifeste attribue à une simple colère sociale, ce qui est réducteur et même faux).

Cet idéalisme n’étonnera pas qui connaît Benoît Hamon et ses partisans, qui s’imaginent que la « gauche » post-moderne répond à des exigences naturelles. Et comme souvent, cela va avec de véritables exigences, très justes, ou au moins très sympathiques. Il y a de l’envergure dans les propos suivants du Manifeste :

« Les 2,5 millions de signataires de la pétition pour le climat confirment la fin du déni humain et la force de l’attente. En France et partout dans le monde, nous disons que « l’Affaire du siècle » sera de sortir la Terre de son asservissement, de définir ses droits et d’ouvrir une nouvelle ère de partage de la vie. C’est une force immense qui exige de changer d’échelle et invente les moyens d’agir. En créant de nouveaux droits pour que la nature puisse se défendre et s’opposer à la violence d’un marché vorace et destructeur, elle engage un nouveau monde. »

La Manifeste, qui fait une vingtaine de pages, consiste alors à dire que l’écologie ne peut exister qu’avec la justice sociale, qu’elle ne peut pas être apolitique, qu’elle implique une rupture complète avec le « système libéral-productiviste ». D’un côté, on se dit : bravo, il faut soutenir Benoît Hamon, il y a une vraie affirmation d’une utopie de Gauche. Surtout qu’on lit ces lignes favorables à la Gauche historique, étonnantes car telle n’est pas du tout la ligne assumée par Génération-s :

« Notre première responsabilité est de changer radicalement de mode de production, de consommation, et de repenser notre rapport au temps et au travail.

Sous une forme renouvelée, ces sujets ne sont autres que ceux des mouvements ouvriers du XIXe siècle, du Front populaire de 1936, du Conseil national de la résistance de 1945. L’écologie est la réponse à la question sociale de notre siècle. »

Bravo, vive le mouvement ouvrier, vive le Front populaire, vive l’esprit de la Résistance ! Dommage d’avoir oublié mai-juin 1968, mais bon (on notera au passage que le programme commun de 1981 est également soigneusement oublié), il y a déjà les fondamentaux du point de vue de la Gauche historique.

De l’autre, il y a un souci, c’est un côté ni Capitalisme ni Socialisme qui sonne très années 1930, dans sa variante spiritualiste. Il ne faut pas oublier qu’à l’origine, Benoît Hamon est un rocardien, c’est-à-dire quelqu’un de la droite du Parti socialiste, un partisan d’une sorte de « troisième voie ». Pas bon ! Et les lignes suivantes, qu’on lit dans le Manifeste, sont précisément infestées des idéologies d’Emmanuel Mounier (et le personalisme), de Martin Heidegger (et l’existentialisme), de tous les discours des années 1930 sur une autre richesse que celle matérielle, sur le besoin spirituel dans le rapport à la réalité :

« Aveuglés par des mécanismes de marché qui n’ont jamais intégré la question de la finitude des ressources, les néolibéraux courent sans cesse après un nouveau modèle de croissance qui ne vient pas. Les productivistes sont, eux, terrifiés à l’idée de perdre tout ressort de redistribution des richesses – qu’importe si le système qui les produit est la cause même de la crise sociale et environnementale.

Les mêmes symptômes guettent les mouvements collectivistes, qui ne croient qu’en un système de production centralisé et planifié incompatible avec l’économie des ressources. Il ne s’agit plus de savoir comment produire à tout prix des richesses pour les redistribuer plus ou moins. Il s’agit de changer fondamentalement de logiciel, de s’interroger sur la notion même de richesse, qui n’est plus aujourd’hui l’accès illimité au « confort matériel » mais à un air respirable, une eau buvable, des aliments comestibles, une terre cultivable, une santé préservée, une vie possible. »

Ici, il faut dire : halte-là, Benoît Hamon ! Si tu bascules dans la métaphysique de la sobriété de la petite production, tu changes de camp ! Tes exigences néo-humanistes sont appréciables, mais si ton mouvement publie un Manifeste avec de telles lignes, c’est qu’il y a un problème. Et ce problème, c’est que le système de références n’est pas la Gauche historique, mais les discours intellectuels bobos à la Pierre Rabhi.

Alors, comment faut-il considérer le Manifeste : comme un texte pro-zadiste, pro-décroissance, très années 1930 ? Comme un appel à ce que la Gauche assume enfin l’écologie ? Le Manifeste lui-même dit tout et son contraire et assume de ne pas choisir :

« Il ne s’agit pas de refuser ou d’épouser les théories de la décroissance, mais d’inventer une nouvelle forme de prospérité collective qui tienne compte des limites de la biosphère. »

Et, assumant son incohérence, se conclut par un appel à la Yannick Jadot, avec un appel à un capitalisme décentralisé et vertueux :

« Dans la course contre la montre qui s’impose à nous, force est de constater que les États ne sont pas à la hauteur, pris dans l’inertie économique et technocratique qui les empêche d’agir vite. En revanche, les acteurs non étatiques, citoyens et ONG, entreprises et collectivités territoriales lucides, s’emploient à faire émerger un avenir désirable.

Les appels à la mobilisation se multiplient, la jeunesse donne l’alerte et prend les devants pour secouer la léthargie établie, les actions des associations et des lanceurs d’alerte font date et sont salvatrices. Notre responsabilité est de donner un débouché politique concret à cette énergie puissante.

Une bataille sans merci doit être menée face aux acteurs économiques qui exploitent les biens communs pour s’enrichir en épuisant les ressources et notre santé.

En revanche, toutes les forces économiques pleinement intégrées dans la dynamique de transition énergétique et écologique qui développent des modèles alternatifs de production et de gouvernance doivent être considérées et soutenues comme moteurs des politiques publiques qui produiront de nouvelles opportunités de développement raisonné et résilient. »

Il y aurait donc les bonnes entreprises et les mauvaises entreprises, la bonne consommation et la mauvaise consommation. Ce ne serait pas le peuple qui devrait décider, mais les acteurs conscients. Pas très démocratique, tout cela ! Et même pas démocratique du tout !

Pourquoi les ONG auraient-elles une légitimité ? Pourquoi les collectivités territoriales auraient-elles une nature particulière par rapport au reste ? Qui décide que le telle entreprise propose un avenir désirable, telle autre non ? Qu’est-ce qu’un modèle alternatif de gouvernance ? Qu’est-ce qu’un modèle alternatif de production ?

Le fait est que ni Génération-s, ni Benoît Hamon ne parviennent à se transcender. On a ici le programme de la CFDT des années 1970, du PSU ou d’Alternatives Rouge et Verte, des Alternatifs, bref des rocardiens liés aux « mouvements sociaux » (du type LIP, le Larzac, etc.). Si Benoît Hamon veut rééditer cela, qu’il le dise. S’il veut faire autre chose, qu’il l’assume.

C’est tout de même un garçon étonnant : il a clairement une très grande envergure, il a saisi les enjeux immenses du siècle… mais il ne dispose que de vieux outils, même pas fonctionnels. En ce sens, il reste une partie de la solution, et pas du problème. Et le Manifeste est un intéressant appel à réfléchir, se positionner, assumant par ailleurs de ne pas être un programme réponse à tout.

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Élections européennes : les dix points de la Fédération des Associations Familiales Catholiques

La famille est un thème essentiel pour l’Église catholique, au sens où pour elle c’est le point de départ et d’arrivée de l’individu et de la société. Sa lecture est, de fait, anti-historique et anti-culturelle, mais face au libéralisme économique et à la « déconstruction » promue par les libéraux culturels, elle trouve le moyen de maintenir ses positions et de repartie à l’offensive.

La Fédération des Associations Familiales Catholiques en Europe, présente dans 18 pays de l’Union Européenne, a rédigé un Manifeste proposant un engagement en dix points aux candidats aux élections européennes. Ce n’est pas rien : même si on refuse l’hypothèse d’un divinité omnisciente, omnipotente, etc., la religion est un phénomène social ayant de multiples caractères, qui porte historiquement également de nombreuses valeurs culturelles et civilisationnelles.

Ici, on sait comment on fait face à deux courants unilatéraux : celui qui fait de la religion une chose sacrée, le noyau de la civilisation, et celui qui, ne faisant confiance qu’à l’individu-roi, ne prend pas en compte en l’Histoire et donc la question religieuse. Ce second courant a largement travaillé la Gauche, malheureusement, et cela se lit très bien si l’on imagine les réponses possibles aux dix points de la Fédération des Associations Familiales Catholiques en Europe.

Surtout que l’Église catholique romaine est d’une intelligence rare. On ne le dira jamais assez. On comprend donc que tout est très subtil, très construit, résolument machiavélique. Prenons le point 7. La Gauche historique est bien entendu d’accord avec ce point en général, car il a une lecture biologique, naturelle. Les courants post-industriels, post-modernes, le rejettent par contre catégoriquement.

« 7. Reconnaître la complémentarité de l’homme et de la femme
La famille est le premier lieu d’ingénierie créative pour toute la société. Je reconnais la complémentarité de l’homme et de la femme, et m’opposerai à toute politique qui tenterait de gommer la différenciation sexuelle. »

Seulement voilà, à la dialectique homme-femme, il a été ajouté la famille comme « ingénierie créative pour toute la société ». C’est là un autre thème. Dire que l’humanité repose sur une opposition homme-femme productive, c’est une chose. Faire de la famille la base de la société, c’est autre chose. On voit comment, de manière subtile, l’Église profite des errements ou délires des courants post-industriel, post-moderne, pour réactiver le thème réactionnaire de la « famille » conservatrice, repliée sur elle-même, niant le reste de la société.

L’un des points proposés par la Fédération des Associations Familiales Catholiques en Europe est même explicite en ce sens :

« 2. Mettre en œuvre le « Family Mainstreaming »
La famille est la pierre angulaire de toute société. L’UE doit prendre en compte le développement des familles dans toutes ses décisions, dans le respect du principe de subsidiarité.

Je m’engage à promouvoir la mise en œuvre du « Family Mainstreaming », examen préalable des conséquences sur la famille, pour toutes les politiques publiques de l’UE. »

Le reste est du tout avenant : l’économie doit être au service de la famille (c’est dit tel quel, point 4), les associations familiales doivent se voir accorder un rôle significatif (point 3), il faut leur donner de l’argent pour relancer la démographie (point 1), la vie professionnelle doit s’adapter à la forme familiale (point 6).

Le point 5 est, quant à lui, un exemple pratiquement parfait d’anticapitalisme romantique, avec la « personne » avant l’économie et la finance, etc.

« 5. Un travail digne et productif, nécessaire pour chaque famille
La famille est un acteur premier et naturel dans la promotion de l’inclusion sociale. Je m’engage à travailler en faveur de politiques publiques n’abordant pas le marché du travail sous l’angle exclusif de l’économie et de la finance, mais d’abord en considérant la personne et ses talents, capable de contribuer au bien commun et de prévenir la pauvreté.

Je m’engage également à soutenir la reconnaissance du travail domestique accompli par les mères et pères de famille, et de la valeur du bénévolat comme contribution à la cohésion sociale. »

Le point 10 serait malheureusement accepté par toute une partie de la Gauche, devenue relativiste, communautariste. Il est considéré comme odieux, inacceptable, pour les partisans de l’universalisme, pour la Gauche historique.

« 10. Père et mère, premiers et principaux éducateurs de leurs enfants.
Les familles s’inscrivent toujours dans une perspective de long terme, et travaillent à un avenir durable. Je m’assurerai que les programmes de l’UE en faveur des jeunes respecteront et protégeront le droit des parents à diriger l’éducation de leurs enfants conformément à leurs traditions culturelles, morales et religieuses qui visent leur bien et leur dignité. »

Le point 9 est décevant et montre que l’Église n’est pas en mesure d’affronter les questions morales de notre époque. Il fait en effet seulement allusion à l’avortement et à l’euthanasie. Cela montre que l’Église est du passé, qu’elle n’est pas capable d’affronter l’ultra-individualisme et son utilitarisme.

Une partie de la Gauche non plus d’ailleurs, qui considère l’avortement comme une simple formalité administrative, alors que cela pose la question du rapport à un être vivant en partie formée. La question de l’euthanasie est pareillement très délicate : si on peut juger tout à fait logique de vouloir abréger les souffrances (ce que l’Église catholique refuse), il n’en est pas moins vrai que vue la société, les critères vont être très bas afin de se débarrasser des indésirables, des inutiles…

« 9. Respecter la dignité de l’être humain jusqu’à sa mort naturelle
La famille est le lieu naturel de l’accueil de toute vie nouvelle. Je soutiens le respect de la dignité inhérente à toute vie humaine, à toutes ses étapes, depuis sa conception jusqu’à sa mort naturelle. Je soutiendrai les politiques et les bonnes pratiques accordant un soin particulier aux enfants avant et après leur naissance et à leurs mères, ainsi qu’aux familles d’accueil et aux familles adoptantes. »

Le point 8 contourne quant à elle la question du droit au mariage homosexuel, en disant qu’il ne faut pas modifier les lois sur le mariage dans l’Union Européenne et que cette dernière ne doit pas donner pas de définition légale du mariage. C’est là rater ce qu’est le libéralisme, qui ne vise pas tant à élargir le mariage, qu’à supprimer la notion même de couple, en appelant à une infinité de formes familiales, d’alliances individuelles, etc.

Il est vrai que l’Église catholique romaine cherche simplement à maintenir ses positions, pas à supprimer le libéralisme culturel ni le libéralisme économique, car elle a accepté le capitalisme. Cela n’était pas vrai encore dans les années 1930-1940, où elle cherchait une troisième voie, national-catholique et corporatiste (notamment avec l’Espagne et l’Autriche, ses deux bastions). D’un côté, tant mieux qu’elle cesse de diffuser un romantisme fasciste. De l’autre, ses prétentions à s’opposer à l’individu-roi sont devenues bien légères sans la charge de ce romantisme. Il n’y a même pas un semblant d’idéalisme à la Bernanos… L’Église est bien dépassée !

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Génération-s : « Manifeste pour l’écologie du monde qui vient »

Génération-s a fait l’effort d’appeler à l’écologie, en cherchant à formaliser si ce n’est un programme, du moins une certaine approche, un style. L’accentuation sur la nécessité de l’effort écologiste est un marqueur très fort de la Gauche et des gens conscients en général de la gravité de la situation. Le Manifeste, un texte relativement court mais assez dense, répond à un vrai besoin de réflexion et d’engagement.

> Lire également : Le volontarisme du manifeste écologiste de Génération-s

Voici le Manifeste. S’il est erroné de critiquer directement un document en cherchant uniquement à le présenter de la manière la plus large, force est de noter tout de même que l’absence complète de la question animale – le mot animal ne revient pas une seule fois – est quelque chose d’inacceptable quand on parle d’écologie au 21e siècle.

Manifeste pour l’écolog… by on Scribd

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Politique

Acte XXVI des gilets jaunes, la vacuité politique

Le dernier carré des gilets jaunes prolonge les rassemblements hebdomadaires, mais c’est désormais un mouvement autocentré, tournant sur lui-même. Les élections européennes sont désormais trop proches pour que la vacuité politique, auparavant une caractéristique donnant une dynamique populiste, ne soit désormais trop apparente et ne dévalorise totalement l’ensemble.

Le symbole de ce 26e samedi des gilets jaunes, c’est un petit rond-point à Toulouse, dans le centre-ville. Des ballons jaunes y ont été disposés, pour revigorer l’esprit des ronds-points propres aux gilets jaunes à leurs débuts. Après la nostalgie de la France d’il y a 25 ans, les gilets jaunes passent à la nostalgie d’eux-mêmes. Rien d’étonnant : les gilets jaunes ne savent être que nostalgiques. C’est un mouvement par définition opposé à l’avenir. C’est très exactement réactionnaire, et ce depuis le départ.

Et la question est réglée, enfin. Le rassemblement hebdomadaire des gilets jaunes n’a désormais plus aucune signification. Alors que les élections européennes arrivent, la politique reprend ses droits et efface forcément un mouvement à bout se souffle qui n’a reposé que sur l’irrationalisme et la recherche d’un bouc-émissaire étatique à tous les problèmes posés par un capitalisme prenant en tenaille les classes moyennes.

Avec un peu moins de 20 000 personnes, le nombre de manifestants est le plus bas de tous les samedis ; un chiffre qu’on est obligé de comparer avec celui de la grande manifestation des fonctionnaires, le jeudi 9 mai : plus de 250 000 personnes. Avec, en prime, dans le cortège parisien de 30 000 personnes, les principaux dirigeants syndicaux faisant bloc : Philippe Martinez (CGT), Laurent Berger (CFDT), Yves Veyrier (FO) et Laurent Escure (Unsa). Le syndicalisme rattrape l’espace perdu et réoccupe le terrain de la contestation classique (et répétitive, et bornée, et lancinante, et sans envergure, et sans aucun lien avec le secteur privé).

Ce qu’ont totalement raté les gilets jaunes, c’est la formation d’un espace populaire autonome par rapport aux institutions, avec des revendications par en bas. Et s’ils l’ont raté, c’est qu’ils ne l’ont jamais voulu, n’ayant jamais été autre chose qu’une expression de la crise des classes moyennes. Ce tremblement de terre d’une partie de la France « périphérique » va d’ailleurs avoir un strict équivalent pour les élections européennes. L’abstention dans un esprit apolitique et le succès de la démagogie de l’extrême-droite sont déjà les prochains vainqueurs.

Pour ce 26e samedi, les gilets jaunes avaient pourtant cherché à mobiliser en deux endroits principalement, Lyon et Nantes. Las, à chaque fois environ 2 000 personnes seulement sont venus, et les inévitables heurts avec les forces de l’ordre, surtout à Nantes, ne relèvent que d’un folklore auquel la population ne fait même plus attention.

Il y a eu également un millier de personnes à Paris, quelques centaines de personnes à Caen, Bordeaux, Marseille, Montpellier, La Roche-sur-Yon, Montluçon… Ainsi que quelques ronds-points occupés comme à Chateau-Thierry et Castelnau-de-Médoc.

Cela pourra-t-il seulement se maintenir d’ici les élections ? Peut-être, mais ce ne sera qu’une anecdote, quelque chose de tout à fait à la marge de la société, et ce de manière assumée. Avant les élections, personne ne peut prétendre vouloir changer les choses et en même temps se débarrasser de la politique. En cela, les gilets jaunes montrent qu’ils ont toujours été le fer de lance du refus de la Gauche (et cela tant de la Gauche qui se présente aux élections que celle, plus radicale, qui ne le fait pas). Les gilets jaunes n’ont jamais été qu’une révolte contre la révolte, l’espoir de retourner en arrières, à peu de frais, juste à la force de la volonté.