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Réflexions

Les mentalités françaises: une catastrophe individualiste

Les Français sont pourris par l’individualisme. Leur relativisme est tellement immense qu’ils ne parviennent même plus à prendre quelque chose au sérieux. Le premier ministre dit : pas de football avant décembre, le PSG et Lyon comprennent qu’ils joueront à l’internationale en août et la ligue propose un plan pour recommencer le même mois.

Le président dit : pas d’ouverture de restaurants et de bars avant la mi-juillet. Que font les représentants de ces commerces ? Ils proposent un plan pour juin. Dans l’autre sens cela marche aussi. Le conseil scientifique préconise l’absence de rentrée scolaire avant septembre. Le premier ministre dit alors : rentrée le 11 mai. Histoire qu’on y comprenne plus rien, cette rentrée est différente selon les classes, selon les endroits, etc.

De toutes façons, les Français n’en font qu’à leur tête. On leur dit : pas de retour à la normale avant très longtemps, l’économie va être sinistrée, il faudra une longue période de distanciation sociale. Résultat : pour les Français, le 12 mai tout reprend comme avant.

La désillusion va être totale, le désenchantement complet. Il y a trop d’incohérence dans les mentalités françaises, trop de paresse d’esprit. Quand on voit le MJS (mouvement des jeunes socialistes) Paris dire que l’application de traçage c’est « big brother », mais qu’en même temps les documents à télécharger de ces jeunes socialistes sont sur Google docs, on a un exemple de la bouillie qu’il y a dans la tête de Français consommateurs, râleurs, superficiels, égocentriques.

Quand on pense que la France a donné naissance au protestantisme avec Jean Calvin et que son grand siècle a été le XVIIe des moralistes, on voit comment la machine capitaliste à décerveler a fonctionné à plein régime. Mais vit-on encore dans le capitalisme, ou dans le meilleur des mondes ? Le site Hémisphère gauche nous explique que le traçage c’est mal, car cela ne correspond pas à une confiance collective qu’on devrait avoir :

« Traiter l’épidémie par la surveillance individuelle, c’est finalement rejeter la responsabilité de sa maladie sur le malade, c’est prendre le risque de refaire le lien entre maladie et faute individuelle, déjà présent au Moyen-Age dans le sort que l’on réservait aux lépreux (castration, enfermement), considérant que leur maladie était une punition divine. C’est, au fond, oublier nos interdépendances.

A l’inverse, comme l’explique Yuval Noah Hariri dans le Financial Times, nous avons besoin d’une société de la confiance collective, une société de l’information transparente et de la gestion de crise en commun. Dans cette dynamique de restauration du lien social, nous devons réaliser que nos libertés individuelles sont également collectives et surtout, interdépendantes. »

Voici donc un site se revendiquant ancré à Gauche qui fait d’un futurologue interviewé par le Financial Time une référence pour s’orienter… Et qui s’imagine qu’on peut avoir une « confiance collective » dans une société rongée par l’indifférence, le consumérisme, la vanité.

La société française rentre dans le mur. Les Français sont incapables de faire face collectivement à un défi : et certains voudraient une révolution dans des conditions pareilles ? Pour qu’il y ait une révolution, si on trouve cela juste, il faut puissamment changer les mentalités, les mœurs, c’est une bataille immense à mener. Que la Gauche doit de toutes façons mener si elle veut simplement exister et ne pas se transformer en « gauche » à l’américaine avec ses primaires où gagne toujours un représentant de la grande bourgeoisie, représentant simplement des secteurs concurrentiels au parti d’en face.

Quand on voit la France, on se demande comment tant d’événements populaires de grande ampleur ont pu se dérouler de par le passé. Ne serait-ce d’ailleurs pas impossible et ne peut-on pas y voir un espoir que la vague sociale va apparaître pour de bon ?

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Réflexions

Une page d’Histoire qui s’écrit et qui attend ses artistes pour la conter

Nous vivons une page d’Histoire. Mais est-ce un aléa dans un mouvement plus profond, ou bien sommes-nous en plein dans l’équivalent de la chute de l’empire romain ? Et si c’est la chute d’une civilisation, où sont nos artistes pour la conter ?

« Wu Shixian, Village au bord du fleuve avant la pluie, 1912 »

Pour beaucoup, la crise sanitaire actuelle est temporaire. Elle est grave, mais elle n’est qu’un accident dans quelque chose de plus large, de plus profond. C’est là une profonde illusion. Cette crise sanitaire n’est pas dans l’Histoire, elle est l’Histoire. Et il ne faut pas raisonner en semaines, ni même en mois, mais en années. Ce qui s’écrit là, c’est la fin, ainsi un début.

La fin de quelque chose d’équivalent à l’empire romain, mais à un autre niveau, une autre qualité. Un moment de transition, non pas délicat et accompagnateur, mais violent et en rupture. Un moment qu’on ne choisit pas, qui s’impose, et qui s’impose à tous. De par l’ampleur de l’époque, cela est même vrai à l’échelle de la planète. Cela fait peur et cela rassure.

Cela fait peur, car les gens ne sont pas prêts et ne veulent pas l’être. Cela rassure, car cela fait trop longtemps que le capitalisme engloutit la planète et que rien ne vient stopper cette machine destructrice. Quel terrible faillite d’ailleurs que cela ne soit pas la sagesse humaine qui soit venue s’interposer avec l’engloutissement de la nature. Mais sans doute était-ce inévitable de par l’engourdissement des esprits dans un capitalisme hypnotiseur.

Reste qu’on voit mal comment les plus de vingt ans vont être, d’une manière ou d’une autre, à la hauteur des immenses transformations nécessaires. Les plus de soixante ans savaient déjà que le monde allait dans le mur, mais ils considéraient qu’après eux, le déluge. Ceux entre vingt et soixante ans ont cherché surtout un plan de carrière, faisant confiance à l’efficacité des entreprises, à la vigueur du capitalisme.

Quel désenchantement c’est aujourd’hui pour le trentenaire ingénieur, social dans l’esprit mais parcimonieux dans les faits, ouvert au changement mais lui-même toujours changeant, découvrant que tout son univers n’a, finalement, aucune base, aucune dynamique, aucune valeur, que tout cela est vain ! Quelle misère morale pour celle, mariée trop tôt, enfermé dans un carcan anti-féministe qu’elle a elle-même choisi en pensant le maîtriser, et voyant ses certitudes si chèrement acquises n’être qu’illusion !

Il y a ici un nombre immense de profils à étudier, à cataloguer, pour en dresser le portrait à la Balzac, pour raconter la fin d’une époque, la fin d’une société, littéralement l’effacement de personnalités types, de figures sociales stéréotypées. Un monde agonise, un autre laisse entrevoir sa nature, foncièrement collective – que dit-on là, non pas collective, mais collectiviste ! Le 21e siècle sera collectiviste ou ne sera pas.

Les artistes pessimistes ne peuvent plus basculer dans le cynisme : ils sont obligés de convertir leur dépression dans un sens positif, pour annoncer la nouvelle ère qui s’ouvre. Et ce n’est pas du lyrisme. Seuls les prisonniers du capitalisme peuvent encore croire en un grand rétablissement. Seuls les aliénés peuvent ne pas voir que le mot de nature va reprendre ses droits, que désormais l’humanité va changer et que les êtres humains vont être nouveaux.

Les artistes doivent être en première ligne pour conter cela, pour raconter le grand retour au réel d’une humanité partie dans de vains rêves de toute puissance consommatrice, de réduction de l’esprit à une utilisation de marchandises, d’une destruction des sentiments – notamment l’amour – au profit d’un pragmatisme égocentrique.

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Réflexions

Les Français s’ennuient

Les Français s’ennuient. Mais ils ont trop le sens de l’envergure pour ne pas le savoir. Ils sont corrompus et donc l’acceptent. Jusqu’à une génération en rupture, qui en a simplement assez, qui sature.

Ce qui caractérise actuellement notre vie publique, c’est l’ennui. Les Français s’ennuient. Ils ne participent ni de près ni de loin aux grandes convulsions qui secouent le monde. Le réchauffement climatique les émeut, certes, mais elle ne les touche pas vraiment. Sur le plan de la vie quotidienne, ils restent fidèles à eux-mêmes et donc à leurs habitudes. L’élection de Donald Trump aux États-Unis et de Bolsonaro au Brésil a bien troublé les esprits, provoquant des sentiments violents et des opinions tranchés, puis on est vite passé à autre chose.

L’explosion récente de la pauvreté la plus sombre en Argentine, frappant désormais le tiers de la population, n’a pas été remarqué. Il en va de même pour les très violentes manifestations au Chili à la suite de l’augmentation du ticket de transport dans la capitale de 30 pesos (1 euro fait 848 pesos), faisant au moins 26 morts et pratiquement 3000 blessés. Ni même les mobilisations massives en Colombie, en Iran, en Irak, en Algérie… Seul le mouvement à Hong Kong a été remarqué, parce que les médias en ont parlé comme c’est une mobilisation pro-occidentale.

C’est que l’Europe est en paix et les dirigeants, Emmanuel Macron en tête, ne cessent de dire que c’est fait pour durer. De toutes façons, on n’est plus concerné : les États-Unis et la Chine décident de tout de par leur poids, alors pourquoi changer, ou même faire des efforts ? Tout peut continuer comme avant et rien n’atteint le train train de la vie quotidienne.

Mais la jeunesse s’ennuie. Nés après 2000, les jeunes n’ont pas les préjugés des anciens et ils profitent de la modernité sous la forme d’accès à ce qui forme le goût le plus immédiat : les habits, la musique, le style. Ils sont individualistes et tête en l’air, mais savent en même temps qu’ils sont en rupture complète avec le passé. On les méprise : eux répondent en ignorant ce qu’il y avait avant.

Ils sont une force tranquille, à rebours des gilets jaunes, ces mis de côté qui refusent la modernité au lieu de s’en saisir. Les gilets jaunes veulent geler la France, la faire retourner dans le passé, et les syndicats sont la même posture culturelle avec leur ligne purement défensive, nostalgique des droits acquis hier. Cela ne parle pas à la jeunesse. Comment pourrait-il en être autrement ?

Dans son article du Monde du 15 mars 1968, Quand la France s’ennuie, Pierre Viansson-Ponté constatait la même ambiance étrange où la France semblait en décalage avec tout, même avec elle-même. Et il notait :

« Cet état de mélancolie devrait normalement servir l’opposition. Les Français ont souvent montré qu’ils aimaient le changement pour le changement, quoi qu’il puisse leur en coûter. »

Cela ne semblait alors pas le cas, puisqu’il ne se passait rien. Alors vint mai 1968 juste après, comme expression de la contradiction massive entre une France enkystée dans les vieilles habitudes et une jeunesse en total décalage dans sa manière de concevoir les choses. Il va en être de même pour la France d’aujourd’hui.

Car les Français sont trop éduqués, trop conscients des rapports d’oppression, d’exploitation, trop culturels, trop fiers de leur héritage contestataire, pour ne rien faire. Et s’ils consomment jusqu’au bout, s’ils pratiquent l’individualisme jusqu’au bout, c’est pour bien être certain d’avoir essayé jusqu’au bout de rien faire. Cela aussi, c’est très français. La certitude de l’impossibilité de continuer comme avant acquise, de manière cartésienne à leurs yeux, ils vont alors rentrer dans le jeu historique.

Et cela n’aura, bien sûr, rien à voir avec la tragi-comédie des gilets jaunes. Lorsque se mettent en mouvement les jeunes et les ouvriers – car ils seront là – tout change. Le contenu sera alors ce qui compte. Car c’est toujours ce qui compte, tels les fleurs, les animaux, le bleu du ciel, le bruit de la musique, tout quoi !

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Réflexions Vie quotidienne

5 leçons pour être productif

Jean-François Millet, Le semeur, 1865
Jean-François Millet, Le semeur, 1865

Leçon numéro 1 : rien ne vient de rien

Pour être productif, il faut puiser non pas en soi-même, mais dans la culture. Pour écrire il faut avoir des connaissances littéraires, pour faire de la musique il faut avoir des connaissances musicales, etc. C’est une fiction du capitalisme de croire qu’il y a des choses qui s’inventeraient. Rien ne vient de rien. Pour produire, il faut se tourner vers ce qui a été produit et apporter sa sensibilité.

Voici un exemple avec le Prélude n° 20 en Do Mineur, Opus 28 de Frédéric Chopin.

Et voici la chanson « Could It Be Magic » composé par Barry Manilow en partant de la base de Frédéric Chopin.

Leçon numéro 2 : le principe, c’est de célébrer

Barry Manilow n’aurait jamais pu composer « Could It Be Magic » sans un certain niveau d’exigence artistique, de capacité technique, mais surtout de capacité émotionnelle à célébrer. Sans célébration, aucune production n’est possible, dans aucun domaine.

Il y a des gens qui voient des pistes, des idées et qui décident de se comporter comme des voleurs. Ils se disent qu’ils peuvent avancer dans la vie sans être redevable à personne. Comme ils se voilent la face, ils haïssent même ceux qu’ils ont volé, dénigrent ceux à qui ils doivent tout.

C’est là conforme à une mentalité corrompue propre au capitalisme et qui est incapable de célébrer, de distinguer le juste et l’injustice, l’harmonieux du dis-harmonieux.

Et surtout, dans le mensonge il n’y a pas la capacité humaine à aller jusqu’au bout d’une entreprise.

C’est pour cela que la chanson de George Harrison « My Sweet Lord » n’est pas religieuse en réalité, mais universelle.

Leçon numéro 3 : tout le monde peut briller

Le capitalisme veut des gens efficaces pour ses propres besoins. Il dévalue tout le reste. Il est donc normal de n’avoir aucune confiance en soi pour tout ce qui compte – car cela ne compte pas pour le capitalisme.

Le premier pas est de comprendre que ce n’est pas qu’on est faible sur le plan de la créativité, de la productivité, mais qu’on a été rendu faible. Comme il est dit dans la chanson Instant Karma de John Lennon, tout le monde brille « comme la lune et les étoiles et le soleil – tout le monde ! »

Leçon numéro 4 : être authentique

On peut penser avoir raison et se planter. Mais humainement, il y a des erreurs qu’on doit assumer dans son vécu pendant des années. Il faut donc être authentique, tout le temps, sinon dans les moments d’épreuve on se voile la face et on échoue.

C’est d’autant plus vrai par rapport à soi-même. On ne peut pas produire en étant à côté de soi, ou pas entièrement soi-même. C’est vrai pour écrire une ligne, avoir une relation amoureuse, choisir un habit…

Et quand on a quelqu’un qui se trompe en face, il faut oser aller jusqu’au bout pour chercher à discuter jusqu’au bout, quitte à se faire massacrer. C’est le prix à payer parfois pour rester authentique.

La chanson « We can it work out », « On peut le faire », est un magistral appel à quelqu’un s’étant enfermé sur soi-même et ayant perdu de vue l’important, ne voyant plus pourquoi justement il y a intérêt à faire les choses…

Leçon numéro 5 : se lier à la Cause

Impossible d’avoir de l’énergie sur le plan personnel sans se lier à la Cause. Si l’on vit pas en soi, à travers les fibres de son existence, la Cause du socialisme ou l’un de ses aspects, on rapetisse et on disparaît dans l’aliénation.

Il faut savoir se plier à la Cause et s’écraser… Tel John Lennon l’a fait dans la chanson « Woman » (« Pour l’autre moitié du ciel (…) Après tout ma dette envers toi dure toujours (…) Femme je sais que tu comprends le petit enfant à l’inérieur de l’homme S’il te plaît rappelle toi ma vie est dans tes mains »).

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Réflexions Vie quotidienne

La fidélité, une valeur prolétarienne

En tant que classe sociale, le prolétariat est le vecteur d’une morale, de valeurs qui sont liées au quotidien mais aussi à toute une transmission collective, allant de la famille jusqu’aux luttes sociales en passant par les relations amicales et amoureuses. Au cœur de la transmission prolétarienne, il y a valeur cardinale qui est celle de la fidélité.

La loyauté est une valeur qui est difficile à saisir si l’on est pas soi-même issu ou lié à la classe ouvrière. Pour la bourgeoisie et la petite-bourgeoisie, elle apparaît toujours comme quelque chose de « décalé », d’un peu has been. Être moderne, ne serait-ce pas être « libre » de tous les carcans moraux, des normes ?

Cette incompréhension des classes éduquées se voit parfaitement bien lors d’une fermeture d’usine avec des reclassements à la clef ou lors d’une rénovation urbaine d’un quartier HLM délaissé. Bourgeois et petit-bourgeois se disent : « pourquoi ces gens ne sont pas contents de la modernisation ? Cette usine n’était-elle pas le vecteur d’un travail aliénant ? Ce quartier ne tombait-il pas en ruine ? ».

Pour les bourgeois, c’est la preuve du conservatisme des classes populaires, de leur réticence au « changement ». Mais, pour les prolétaires, c’est tout un monde qui s’écroule, un héritage de riches histoires, d’amitiés, d’expériences culturelles à laquelle on est fidèle.

Plus que fidèles à eux-mêmes, à leur propre personnalité, les prolétaires sont loyaux envers leur propre histoire en tant qu’histoire collective partagée dans la morosité et la joie du travail, du quartier, de la zone pavillonnaire, de la campagne. Il n’y a qu’à voir comment Mc Circulaire parle de sa campagne, en refusant le business du rap mainstream. Il y a une forme d’humilité, de respect et c’est cela la fidélité populaire.

Au cœur de la vie quotidienne, on reconnaît la loyauté prolétaire avec par exemple ces personnes qui donnent tant d’attention à leurs grands-parents car ils y voient le vecteur essentiel de la transmission d’une histoire, d’un héritage. Tout comme cela est visible dans cette parole si populaire de « respecter les anciens » ou dans cet attachement au couple amoureux, c’est-à-dire au prolongement dans le temps d’une fidélité à la fidélité elle-même.

Le style ouvrier réside bien dans cette loyauté et l’on peut voir d’ailleurs comme des pans de la Gauche se sont brisés sur cet aspect si essentiel de la vie quotidienne. Ce fut ainsi le cas de la Gauche contestataire dans l’après mai 1968. Si des milliers de gens, d’origine petite bourgeoise, sont allés aux ouvriers, à quoi cela sert-il si c’est pour partir aussitôt qu’on est arrivé ? Quelle fidélité, quelle loyauté, quelle crédibilité ?

Car, sur ce point, les ouvriers sont, plus que tout autre, d’une exigence absolue. À ce titre, la classe ouvrière est le seul contre-feu stable à la décadence d’une bourgeoisie qui valorise la casse de tout ancrage historique ( qu’il soit individuel ou historique ). C’est là le sens du triomphe de la PMA, de sites d’adultère comme Gleeden, de l’art contemporain sonnant comme un reflet de cette grande bourgeoisie cosmopolite en complète trahison de sa propre histoire.

La fidélité est tellement essentielle aux classes populaires qu’elle a été à la base de ses décrochages dans l’Histoire. N’est-ce pas de la fidélité populaire à la nation qu’est née la commune de Paris de 1871 ? N’est-ce pas de la loyauté envers la souveraineté que s’est développée la Résistance des années 1940 ?

Au regard de l’histoire, on peut dire certainement que la fidélité est le style de vie prolétarien dans tous les aspects la vie quotidienne. Elle se réalise ensuite au plan politique dans le Parti.

En effet, dans le mouvement ouvrier, cette fidélité s’est traduite par la discipline et la loyauté envers la SFIO ou la SFIC – Parti Communiste . Être membre d’un Parti de la classe ouvrière, c’est devenir fidèle à la fidélité elle-même incarnée par la discipline partisane.

Bien sûr on peut le critiquer, car sans la critique et l’auto-critique, cela dérive vers un enlisement bureaucratique. Mais d’un autre côté, c’est aussi l’expression de ce style ouvrier car derrière la fidélité il y a la ténacité, l’abnégation, la fermeté.

C’est ce que n’ont jamais compris la bourgeoisie et la petite-bourgeoisie, y voyant là un écrasement de l’individu, tout comme elles voient aujourd’hui la liberté dans l’amour libre, la déconstruction individuelle et bannit toute cadre moral collectif. C’est la raison qui explique que la Gauche, portée par les classes moyennes de centre-ville, s’est faite laminée par le postmodernisme et ses soutiens aux luttes des marges (LGBT, « racialisme », décoloniaux…)

Le danger est qu’il y a un courant, issu des classes dominantes, qui a saisi tout cela et surfe habilement dessus : le fascisme. C’est sa mise en avant de l’ « enracinement », sa valorisation unilatérale de la « famille », de la discipline militaire, de l’honneur de la patrie. Ce n’est qu’un détournement démagogique qui vise à assécher l’élan populaire vers son émancipation.

La Gauche historique se doit de défendre cette valeur de la fidélité dans tous les aspects de la vie quotidienne. C’est une des conditions à la conquête de l’hégémonie culturelle et à la construction d’une nouvelle société démocratique, populaire. S’il y a un sens à défendre la Gauche historique, c’est bien celui-ci : ouvriers, soyez fidèles à vous-même, à votre héritage, celui du Socialisme, du mouvement ouvrier, du drapeau rouge, de ses générations qui ont combattu pour l’émancipation.

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Réflexions

On pardonne aux gens brillants leur indiscipline…

On pardonne aux gens brillants leur indiscipline… parce qu’ils sont brillants, qu’ils débordent du cadre pour apporter des choses, en respectant les exigences des autres. C’est étrange, mais il y a des parcours non pas meilleurs, mais différents : ces gens sont mauvais en certains endroits, mais tellement bons dans les autres ! Ce qui est inacceptable, par contre, c’est l’absence de loyauté. Car là les esprits brillants ne travaillent plus que pour eux, ne font que s’auto-satisfaire. C’est d’ailleurs à partir de là qu’ils cessent d’être brillants.

Il y a toujours eu, à Gauche, des gens ayant un parcours assez particulier. Il y a toujours eu, grosso modo, trois types de gens : il y a les penseur et raisonneurs, plus hyper actifs qu’intellectuels ; il y a les gens avec une formation avancée ; il y a les sympathisants.

Mais parmi tout cela, il y a des esprits qui se baladent, qui voguent. Ils comprennent tout, sont brillants, avec des points les perturbant et les obsédant. Ils vont et viennent, tels des fantômes réels tourmentés et humainement très attachants.

On les adore, car ils apportent des choses authentiques ; au-delà du sens de l’exigence, ils ouvrent des perspectives auxquelles on n’a pas forcément pensé. Tant qu’ils reviennent, on les respecte comme des compagnons de route incontournables, assez particuliers, mais tellement essentiels.

L’Histoire de la Gauche donne de très nombreux exemples de cela. Le plus connu, auquel on ne pense pas forcément ici, c’est Jean Jaurès. Ses idées étaient éclectiques et personne ne comprenait s’il était républicain ou marxiste, réformiste ou bien attendant un élan révolutionnaire. Mais ses propos étaient incisifs, son sens des tournures formidable, il était incroyablement mordant.

En Allemagne, la figure équivalente, bien que très différente dans sa forme et son contenu, c’est bien sûr Rosa Luxembourg. Elle jetait des monceaux de critiques sur les dirigeants sociaux-démocrates devenus trop institutionnels à son goût, mais il n’était pas possible de la mettre de côté, strictement impossible même. En URSS, il y avait les écrivains Maïakovski et Gorki, qui passaient leur temps à foncer et à râler, au grand dam des bolcheviks qui, pourtant, leurs pardonnaient absolument tout.

Ce qui n’a par contre jamais été accepté, ce sont les gens n’ayant pas de loyauté. Être tourmenté, c’est une chose. Profiter des autres pour se mettre en avant, parce qu’on est vif d’esprit et qu’on peut piller les bonnes idées accumulées par d’autres pendant longtemps, c’est autre chose.

On se doute que dans un pays comme la France, plein de richesses et d’éducation, le nombre de ce esprits brillants est conséquent. L’impact n’en est plus que dévastateur. Il suffit de regarder ce que sont devenus les gens impliqués dans l’après mai 1968.

Ainsi, le nombre de gens par exemple issus de la « Gauche Prolétarienne » ayant fait carrière est vraiment important. Dans le cinéma, la musique, la littérature, la presse, les entreprises, l’appareil d’État… Le nombre de gens ayant saisi des choses dynamiques pour les réduire en moyen pour une reconversion réussie, une carrière brillante, est vraiment important.

Imaginons que ces gens soient restés engagés à Gauche, tout en développant leurs capacités comme ils l’ont fait après ! Les résultats auraient été formidables. Cependant, ces gens n’ont pas eu de loyauté. La loyauté est une qualité populaire et elle ne s’apprend pas, elle ne s’improvise pas, elle se vit.

Ce constat peut être fait bien entendu pour le Parti socialiste à partir de 1983, qui pareillement a regroupé des esprits profondément brillants, mais cédant à la corruption de la reconnaissance et de l’argent, ainsi qu’à l’attrait de posséder des richesses, des propriétés.

Si Emmanuel Macron fascine tant les libéraux, c’est qu’il représente justement cet esprit brillant qui tire son épingle du jeu en abandonnant sur place ce qui l’a porté, jetant toute loyauté aux oubliettes, pour réaliser sa carrière. C’est le règne du cynisme et le capitalisme fabrique en masse des gens fascinés par la capacité à être cynique.

C’est la différence entre la Gauche et la Droite. La Gauche ostracise ceux qui n’ont pas de loyauté. La Droite vante ceux qui ont réussi à sacrifier la loyauté sur l’autel du succès capitaliste. Cela est vrai pour les petits détails comme les grands. Il n’est donc pas bien difficile de constater l’hégémonie culturelle de la Droite sur la société française et sa mentalité.

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Réflexions

Le consommateur du 21e siècle, déboussolé entre être et avoir

Un slogan des précédentes décennies disait : « être plutôt qu’avoir ». C’était un appel existentiel ou existentialiste contre la société de consommation. Au-dela de la question de la pertinence d’une telle affirmation critique, il est facile de voir qu’au 21e siècle, un tel mot d’ordre correspond parfaitement au gigantesque foisonnement identitaire auquel on peut observer.

Aujourd’hui, on n’a plus une moto, on est motard. On n’a pas une religion, on est cette religion. On n’a pas une orientation sexuelle homosexuelle, on est cette orientation. On avait hier un compte Facebook, on est désormais son compte Instagram.

La conception identitaire du monde est un produit somme toute cohérent du capitalisme. Le capitalisme dit qu’on existe en consommant. Par le fait d’avoir, on s’affirme. Mais plus il y a des biens de consommation, plus on vit avec. Plus on vit avec, plus on est cette chose elle-même.

L’exemple le plus connu est la voiture. Une personne de sexe masculin qui conduit est aspiré par la voiture, son esprit se transforme. Qu’on touche à sa voiture et c’est un drame, comme si on l’avait touché lui-même. Le motard est pareil, mais dans le style motard : la moto fonce en ligne droite et il faut lui céder la place pour qu’elle puisse rouler sans interruption et le motard voit sa psychologie se mouler en conformité avec cette « nécessité ».

Il serait cependant réducteur de voir en les attitudes brutalement patriarcales le seul point d’appui des formes d’expression identitaire, même si cela joue fortement. Le voile islamique est un exemple typique de fétichisme, ici féminin, envers un objet avec laquelle la personne s’assimile. On voit bien ici d’ailleurs à quel point la grande campagne médiatique et politique pour l’interdiction du voile à l’école a été contre-productive : elle a renforcé la fusion identitaire avec cet objet de consommation religieuse.

Avoir un voile, le porter, est devenu être ce voile et donc la religion elle-même, comme un porte-étendard. C’est le principe du vecteur identitaire. D’autres aux États-Unis portent le cow-boy aux côtés de Donald Trump parce qu’ils représentent les grands propriétaires de ranchs, d’autres encore portent des chaussures à 500 euros pour témoigner qu’ils appartiennent à une caste riche et branchée, les exemples sont de toutes façons innombrables.

On remarquera ici de manière utile que le capitalisme, jouant sur les identités, fait justement tout pour récupérer toutes les expressions alternatives. Le capitalisme recycle y compris les vecteurs d’identité, car il sait qu’il y a collusion entre consommation et identité. D’où la récupération des chaussures Creepers, apanage des gens écoutant de la musique psycho, psychobilly… des chaussures Doc Martens des punks et des skins… du sweat-shirt Trasher des skaters… La liste étant sans fin.

Dès en effet qu’un mouvement devient identitaire, perdant sa nature rebelle en termes culturels, sociaux, il intègre le capitalisme. Cela avait un sens – quoi qu’on en pense – d’écouter du punk dans la fin des années 1970 ou de la house au début des années 1990. Mais rester prisonnier d’une telle identité, c’est du fétichisme.
Le capitalisme déboussole ainsi le consommateur du 21e siècle, l’emprisonnant dans un faux conflit entre consommation et identité. Certains basculent dans l’identitaire. Ils deviennent religieux, ou bien punk comme en 1982, motard comme en 1970 ou en 1980, etc. etc. : on connaît tous et toutes des exemples de gens bloqués dans un style, qui font un fétiche d’un moment très précis, très particulier, qu’ils n’ont le plus souvent même pas vécu.

D’autres consomment de manière effrénée, refusant de rechercher une profondeur à quoi que ce soit, considérant qu’il faut suivre les flots pour toujours disposer d’un sens adéquat à sa vie. Il n’y a ici pas de fétiche, mais une terrible superficialité. La confrontation des deux blocs renforcent les postures également.

Le mépris de telle personne ayant bien vu l’importance, disons de la musique electro-industrielle du tout début des années 1980, remarquera bien la fausseté de la musique commerciale electro jouant sur des sons un peu rudes. De l’autre côté, il a le fétichisme de quelque chose du passé et un décrochage par rapport au présent.

Le consommateur du 21e siècle se retrouve alors prisonnier de ce dilemme : faut-il un certain type de culture, liée à une époque passée, même imaginaire, ou bien faut-il se noyer dans la masse superficielle mais, au moins, être ainsi reconnu et dans la tendance ?

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Rapport entre les classes Réflexions

Le souci : les gens détruits sont fascinés par la destruction

Il y a des gens très éprouvés par la vie dans notre société ; ils ont subi des choses très dures, violentes au point de les avoir défigurés psychologiquement. Outre la difficulté à surmonter le passé pour continuer à vivre et avancer, il y a une certaine fascination qui reste : la violence en impose. C’est qu’à l’arrière-plan, cette violence est sociale.

Il est fondamentalement erroné de réduire les mésaventures d’une personne à la vie personnelle de celle-ci. Un enfant battu n’est pas un individu écrasé par un autre, c’est une personne humaine avec un certain développement social écrasée par toute la société à travers un individu. C’est totalement différent. Si l’on perd de vue tout cet arrière-plan, on ne comprend pas pourquoi les horreurs subies sont tellement pénétrantes dans la personne brisée.

Les êtres humains sont en effet des êtres sociaux, ils appartiennent à la société, et inversement. Ce qui les frappe n’est jamais un simple événement, cela prend toujours la proportion de la société toute entière. C’est pour cela qu’une simple agression, un épisode somme toute banale dans notre société empli de brutalités, prend une telle dimension pour les gens qui l’ont subi. C’est comme si le ciel leur était tombé sur la tête, comme si toute la société leur tombait dessus.

Et comme la société n’abolit pas ce qui la tourmente, ne supprime pas les phénomènes produisant des monstres, les victimes ressassent, connaissent des obsessions. Seule une contre-violence destructrice leur semble le moyen de s’affirmer. Il ne s’agit pas du tout ici d’une violence révolutionnaire, au sens d’un engagement plein de confrontation avec le capitalisme, l’État, les institutions, etc. Non, il s’agit de la tentative de reproduire ce qu’on a subi, ailleurs, sur un autre mode, en étant cette fois le protagoniste.

Cette sorte de catharsis produit par une contre-brutalité inversée est un phénomène bien connu : on sait comme souvent les hommes faisant des enfants des victimes sexuelles ont eux-même été des victimes sexuelles. C’est le fameux thème de la reproduction de la violence – mais, en fait, ce thème est-il si fameux ? Car dans notre société individualiste, si prompte à parler de sociologie pour finalement en revenir toujours à l’individu, qui raisonne encore en termes de violence sociale, de reproduction de phénomènes à l’échelle de la société elle-même ?

Le faire, c’est nier la particularité de l’individu, c’est admettre que les êtres humains sont déterminés. Seuls les partisans du socialisme peuvent raisonner ainsi. Et force est de constater par ailleurs que les victimes, ayant connu une dégradation de leur personnalité, se mettent justement à se replier elles-mêmes sur leur individualité, à se comporter comme des individualistes, afin de chercher une voie pour exister, pour survivre.

Le socialisme, pour le comprendre, demande un esprit de synthèse, une capacité d’abstraction. Cependant, lorsqu’on est victime, on est seulement dans le dur, dans le concret immédiat. Il n’y a pas de place pour les raisonnements à moyen terme, pour le repli philosophique. Il y a les faits, les secondes qui passent les unes après les autres et qu’il faut remplir à tout prix. D’où la fascination pour la puissance de ce qu’on a subi, d’où la quête de trouver aussi fort, d’avoir à sa disposition quelque chose d’aussi explosif.

C’est là naturellement contourner le rapport à la violence sociale. Il ne peut en aucun cas s’agir de reproduire la violence subie, mais de lui opposer une contre-violence sociale, définie par l’alternative collective. Cela n’implique pas le refus de la vengeance, mais cela exige au préalable la transformation de soi-même et la participation à la transformation du monde. Sans quoi on devient soi-même un monstre.

Sans cela qu’aurait-on, et qu’a-t-ton ? De la reproduction sociale de la violence à tous les niveaux. Un tel qui trompe un tel qui par conséquent trompe un tel et ce à l’infini. Quelqu’un qui ment à un tel qui ment à un tel par conséquent et ce à l’infini. Cela donne une société où l’amitié et l’amour se retrouvent si fragiles, alors que leur loyauté devrait être à toute épreuve.

C’est bien cela le pire. En cherchant à se préserver, les victimes pratiquent la fuite en avant. Et perdent alors tout, et reproduisent le phénomène, à l’extérieur d’elles-mêmes et pour elles-mêmes. Et là plus rien ne tient… jusqu’à la prochaine fois où l’on recommence, et ainsi de suite.

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Rapport entre les classes Réflexions

La vie étriquée au sein de l’entreprise

Le passage de la jeunesse au conformisme adulte s’appuie grandement sur la neutralisation des personnalités au sein de la vie étriquée de l’entreprise. Il faut s’adapter à un environnement entièrement façonné par le capitalisme et au-delà des obligations à assumer, on doit changer ses comportements et son esprit, se forcer à les changer.

Quand on travaille, on est dans un certain milieu. Et lorsque ce milieu consiste en quelques personnes, même plusieurs dizaines, en tout cas toujours les mêmes, on est formaté. Ce qu’on dit, comment on se comporte, la manière de s’habiller… la moindre chose compte de manière disproportionnée, va profondément marquer les esprits. On est alors catalogué et vue la faible intensité des relations, des rapports, cela va durer. On peut se retrouver plomber pendant longtemps, ou bien être mis à l’écart. Et cela n’est pas possible dans une entreprise.

C’est cela qui explique que les jeunes deviennent des adultes. À l’école, à l’université, lors d’une formation… on peut donner son avis. On fréquente des gens dans un milieu temporaire. Quand on passe dans le monde du travail, il y a également une dimension temporaire, puisqu’on peut changer d’entreprise. Mais le fait qu’on dépende du salaire implique qu’on se tienne un minimum. Avec les gens autour, le minimum devient maximum.

On peut expliquer, au lycée ou dans une soirée, qu’on veut la révolution. Cela ne prête pas à conséquence. Dans une entreprise, on ne peut pas le dire. D’ailleurs, cela ne se dit pas, il y a une neutralisation de toutes les considérations politiques ou sociales, sauf lors des grandes élections, mais ce sont au mieux des affinités avec un candidat qu’on exprime, pas un point de vue opposant la Droite et la Gauche.

Dans une entreprise, on est bien sûr connu comme plutôt de droite ou plutôt de gauche, mais cela reste flou, et pas lié à des valeurs, ni à une organisation. On est jamais qu’un individu. Et le point de vue politique est réduit au même niveau que les anecdotes sur le vie privée : on fait de la guitare, on est célibataire, on est allé à tel resto, on est parti en vacances en Provence, etc.

Et de par le poids de l’idéologie beauf, cela est très dangereux pour les femmes, qui deviennent aisément des cibles propices à des « évaluations » sexistes, des opérations de séduction n’étant que du harcèlement. Les personnes non cyniques sont également des victimes potentielles des esprits manipulateurs, car comme on le sait l’entreprise divise pour régner et les carriéristes en profitent pour leurs manigances.

La vie étriquée de l’entreprise, c’est ainsi un petit monde où chacun agit tel un petit Prince tel que décrit par Machiavel, soit pour avoir la paix, soit pour avancer dans l’organigramme. On est en permanence sur le qui vive, au point qu’à un moment d’ailleurs on ne le remarque même plus. On devient chez soi le fantôme qu’on est à l’entreprise, sans s’en apercevoir. Le masque qu’on employait devient une part de nous-mêmes, puis nous-mêmes.

En fait, la vie dans une entreprise est tellement étriquée, qu’aucun densité intellectuelle ne peut être atteinte, aucune densité émotionnelle, aucune affirmation personnelle. On ne peut être qu’un individu, remplaçable, à responsabilité limitée, un spectre. C’est cela qui détruit la démocratie dans son essence même. C’est pour cela que la Gauche historique a toujours mis en avant la démocratie du travail et que le principe des « conseils », les « soviets », relève de la tradition ouvrière. Dans une assemblée générale, on dit ce qu’on pense, on est qui on est, alors que dans la vie étriquée de l’entreprise, on assume son rôle de figure aliénée se pliant aux règles de l’idéologie dominante.

Un vrai mouvement permet toujours de faire vaciller cette idéologie dominante, en posant une telle actualité, si pleine d’acuité, que l’espace démocratique se forme. Un mouvement contre la chasse à courre dynamite en certains endroits les verrous de l’idéologie dominante, tout comme l’a fait en région parisienne la grande grève des transports à Paris en 1995. Des thèmes d’importance nationale ont pu faire de même, comme « Je suis Charlie » ou bien l’opposition à la participation française à la guerre du Golfe contre l’Irak. C’est pour cela que l’État soutient les initiatives nationales « vides » de sens démocratique, comme la victoire à la coupe du monde de football, le 14 juillet… afin de proposer une contre-actualité, à la fois neutre et endormant les esprits.

La Gauche pour exister, ne peut pas contourner ce dispositif d’endormissement des esprits ; il lui faut se structurer pour partir à l’assaut des entreprises, de dépassement de sa vie étriquée.

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Réflexions

Même l’imprévu reste élémentaire

La société de consommation amène tout un chacun à se construire une sorte de petite bulle. Les productions « culturelles » du capitalisme s’adaptent à cette psychologie incapable de profondeur, d’abstraction, de saisie des concepts de transformation, modification en profondeur et changement complet.

L’histoire humaine est passée par des moments douloureux et la culture a digéré tout cela notamment au moyen des tragédie et des drames. La culture, même si elle est formée consciemment par des artistes, est toujours le reflet d’une époque, le produit d’un temps. Et force est de constater que l’une des expressions de l’effondrement de la culture est la disparition du drame et de la tragédie. Non pas qu’il faille croire au destin et se conditionner à s’apitoyer sur des moments dramatiques. Toutefois, la dimension que le drame et la tragédie transportaient, ce moment de dignité humaine, avec le courage, l’abnégation, l’effondrement devant l’adversité, les tourments intérieurs, etc., tout cela a disparu.

Qui se serait imaginé il y a trente ans que sur France Culture, on pourrait entendre des propos fascinés pour une sombre stupidité comme le dernier film Avenger Endgame ? Et qu’il y aurait un scénario complexe où des personnes agiraient de manière diverses en s’entrecroisant, telle dans la Comédie humaine de Balzac ! Alors qu’en réalité, tout cela n’est que psychologisant, et encore, il faut souligner que cette psychologie est celle d’un enfant de dix ans. Même dans Game of Thrones la psychologie est basique, simpliste, réductive au possible.

Il y a ici un fil conducteur, celui de la fascination pour le simpliste, l’élémentaire, le cadre pittoresque justifiant une histoire qui, elle, n’a pas de fond. Ni les Harry Potter ni La guerre des étoiles, ni les Avengers ni aucun blockbuster ne peut atteindre un certain niveau de complexité psychologique. On a des caractères figés dans des attitudes, stéréotypés dans le sens non pas où ils sont typiques, mais au sens où ils sont totalement prévisibles.

Il en va ainsi comme de la télé-réalité : on est rassuré par ce qu’on voit, car même l’imprévu reste élémentaire, saisissable sans efforts. C’est étonnant, mais cela ne change pas le rythme intérieur où l’on se place, qui est répétitif, très simple, quasiment hypnotique pour la conscience. C’est ainsi le prolongement d’une vie quotidienne où on est tellement aliéné que le moindre imprévu réel prend des proportions incroyables. L’infantilisme a tellement gagné les gens que la moindre petite chose peut prendre des proportions incroyables pour des esprits devenus faibles.

N’est-ce pas étonnant que les gens soient de plus en plus surpris par n’importe quoi, alors que normalement on est chacun censé pouvoir faire toujours plus ce qu’on veut ? On devrait s’étonner de moins en moins, par acception toujours plus grande de la différence de l’autre, puisque on serait, selon le capitalisme, tous différents. Et pourtant le capitalisme endort dans un conformisme ronronnant, avec des moments où tout s’enraye et où c’est une sorte de panique qui se développe, un crise infantile.

Inversement, les médias racoleurs jouent justement là-dessus, au moyen de fausses actualités, notamment avec la presse people. Les démagogues à la Trump, avec les fake news, ne font pas autre chose. Les annonceurs « putaclics », comme le dit l’expression, relèvent de cette même démarche.

On se demande bien comment on peut arriver à quelque chose avec de tels gens. Car tout cela, c’est bon pour le Fascisme, pour une société atomisée, sans imprévu, ou bien des imprévus tout à fait élémentaires ( notre glorieuse nation est attaquée par de lâches ennemis, etc. ) Le simplisme aboutit au fascisme, il ne peut pas en être autrement. Quand on supprime la complexité, que reste-t-il ? Les pulsions élémentaires, des réactions basiques.

C’est tellement vrai que, et fort heureusement, les gilets jaunes n’ont même pas été foutus de devenir des fascistes. Ils n’ont même pas été capables de se projeter vers l’avant, tellement la crise économique les frappant les pétrifie tel un imprévu angoissant un enfant. Et la société française a apprécié cela, comme s’il n’y avait jamais eu de critique du capitalisme par la Gauche depuis un siècle ! C’est dire à quel point la France est en attente d’un secours de type bonapartiste, par en haut, avec un chef indiquant comment reprendre la route traditionnelle. Sur le plan des fondamentaux de la société, on est toutes choses étant égales par ailleurs très proches de l’état d’esprit allemand des années 1920.

Évidemment, toute la société n’a pas basculé dans l’infantilisme. Paradoxalement, les jeunes l’évitent encore, car ils n’ont pas le temps de réduire leur approche à celle des enfants, car ils ont été enfants et ne veulent plus l’être. C’est la jeunesse lycéenne qui sauve la France en ce moment, parce qu’elle entend bien vivre et avoir un futur, et par conséquent ne se tourne pas du tout vers le passé. Recherchant l’imprévu pour vivre, l’élémentaire ne l’intéresse pas. Il suffit de regarder le dédain de la jeunesse pour les gilets jaunes. Pour le reste également, c’est vrai, mais les portes ne sont pas fermées, alors que pour les gilets jaunes il n’y a pas eu d’attirance et les choses sont entendues.

C’est la jeunesse qui va être décisive dans les années à venir, qui va faire que cela bascule dans un sens ou dans un autre.

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Planète et animaux Réflexions

Planter un arbre, un ravissement

Tout le monde devrait avoir planté un arbre dans sa vie. C’est littéralement une petite cérémonie, où l’on fait comme un pacte avec dame Nature. Et ce pacte, c’est elle qui en a décidé les conditions.

Le fait de planter soi-même un arbre n’est pas banal. Même pour quelqu’un dont c’est le métier, il y a une dimension non pas métaphysique, mais à proprement parler tellement naturelle, qu’on ne peut être qu’ébahi. Surtout quand on sort la jeune pousse du pot où elle a été placée au préalable, pour s’élancer dans la vie. On l’ôte délicatement, en époussetant la terre de ses racines, en s’inquiétant de le faire mal, avec l’angoisse de l’abîmer.

Puis, on le transporte, le cœur joyeux, vers l’endroit où le futur arbre va s’enraciner. Là, on se dit qu’un jour, bien plus tard, ce sera un grand tronc auquel on fera face, et qu’on a joué un petit rôle. On ne se dit pas que c’est son propre arbre, mais en tout cas qu’il s’agit là, d’une certaine manière, d’un ami qu’on a aidé.

Alors, donc, on creuse un large trou, on prépare la terre, on prépare l’eau, et on place délicatement la pousse. On comprend alors que cet être va vivre des dizaines d’années, peut-être même des centaines d’années, selon le type d’arbre. Cet ami va nous survivre et on aura aidé à son installation.

Il y a dans le film Intouchables la figure du bourgeois expliquant que l’art contemporain est la seule preuve de notre présence sur terre, à la vue d’un tableau blanc arrosé de tâches rouges. Quelle folie ! Comme un tel discours s’oppose totalement au fait de creuser la terre en faisant un effort physique, de nettoyer les racines avec ses doigts salis mais qu’on use délicatement, pour contribuer à la vie !

Car c’est de la vie qu’il s’agit, et seule la vie propose un tel ravissement. Les paradis artificiels sont justement artificiels, ils sont intenses, mais sans profondeurs. Alors que là, face à l’arbre en face de soi, il n’y a pas de raisonnement métaphysique ou de rapport destructeur, simplement la joie de voir un être qui va pouvoir vivre.

L’arbre va persévérer dans son existence, on le voit, on le sait, on peut revenir le voir et on va le voir grandir avec la vie. Notre propre vie peut bien se terminer, un jour, le plus tard possible espérons le, on sait que la vie continue, quant à elle. La vie appelle la vie et le processus est infini, et on se saisit soi-même comme modeste élément de cette chaîne sans fin (et sans Dieu).

Pour cette raison, tout le monde devrait planter un arbre. Pour le ravissement que cela fournit, mais également pour la maturité des sensations que cela apporte. On devrait fixer un âge où, lorsqu’on devient citoyen, il y a une cérémonie intime où l’on va planter un arbre.

En fait, on devrait de toutes façons de manière régulière contribuer à la vie des campagnes, de l’agriculture. La vie urbaine est sans cela aliénée. Au-delà, toutefois, il y a la question d’une cérémonie quasi initiatique de reconnaissance du caractère suprême de la vie. Aurait-on peut-être la naïveté de penser que quelqu’un ayant planté un arbre, en connaissance de cause, ne pourrait jamais devenir quelqu’un de mauvais ?

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Réflexions Vie quotidienne

« …parqués comme des animaux »

Il est 17h, quelques minutes avant le départ du train de banlieue d’une gare parisienne. Il n’y a plus de places assises, les derniers voyageurs remontent le quai à la recherche d’une voiture moins dense, en vain. Un homme, la trentaine, monte dans l’une des premières voiture ; il monte et se faufile dans la voiture à la recherche d’une fauteuil vide ou même d’une marche. Agacé, il sort au bout d’une minute et laisse sortir discrètement ces quelques mots : « …parqués comme des animaux ».

amesoeurs - ruines humaines EP

La réaction est tout simplement typique de toute une partie de la population des banlieues éloignées : toutes ces personnes veulent le calme et la tranquillité, rien ne doit déranger leurs petites vies.

Dans un sens, ces personnes ont raison de ne pas trouver normal que les trains soient toujours remplis à certaines heures, sans que la SCNF ne prévoit d’augmenter les capacités du réseau. Seulement, la comparaison avec les animaux témoigne de leur mentalité petit-bourgeoise étriquée. N’importe qui d’un minimum rationnel trouvera cette réaction absurde : un homme de trente, quarante ans, qui n’a visiblement aucun problème moteur peut bien rester debout vingt à trente minutes jusqu’à la première gare où descendront beaucoup de voyageurs. Sans parler de la densité de voyageurs qui n’a tout simplement rien à voir avec celle de certaines lignes du métro parisien aux heures de pointe. Mais il faut exagérer, s’imaginer vivre un enfer pour se donner l’impression d’exister.

On se retrouve ainsi avec des personnes fuyant la vie parisienne pour une vie plus calme en banlieue et qui sont incapables de raisonner en terme de société. Le repli individuel l’a emporté. L’illusion de s’être protégé de la folie des grandes villes, sans aucune remise en cause de tout une organisation de territoire ;  aucun début de critique du mode de production capitaliste.

Ces gens veulent le calme, pour eux. Pétris de libéralisme mais sans les moyens de le vivre à fond, ils sont obligés de s’inventer une vie.

Il y aurait Paris, la mégapole tentaculaire, sa proche banlieue chic ou lumpenprolétaire et au-delà, des zones habitables. Des endroits sans trop de vague. La petite vie de personne s’éloignant de Paris pour gagner quelques mètres carrés et gagner en « qualité de vie ».

Il faut pourtant être aveugle pour ne pas voir que l’Île-de-France est complètement écrasée par Paris. À tel point que les départements limitrophes en font de plus en plus les frais ces dernières années : les villes sur des lignes de TER vers Chartres, Amiens, Compiègne, Montargis ou encore Château-Thierry voient arriver des personnes qui viennent d’Île-de-France et travaillent sur Paris.

Les personnes qui vivraient un enfer parce qu’elles n’ont pas de place assise dans un train sont incapables de proposer quoi que ce soit. Elles ne cherchent qu’à maintenir leurs illusions, qui commencent avec le train : l’image du départ d’une grande gare, voire Paris et sa proche banlieue disparaître avant d’arriver au vrai pays. Cette mentalité convient très bien à la SNCF et la bourgeoisie française : ces personnes ne remettront jamais en cause ni l’urbanisation forcenée du territoire, ni l’absence de tout plan concernant les trajets travail-domicile.

Regio 2N

Le rêve petit-bourgeois d’un capitalisme à visage humain, d’une concurrence loyale, d’une industrie soucieuse du bien-être des humains et de l’écologie est une aberration. Le mythe pouvait vaguement tenir il y a encore vingt ans, mais aujourd’hui… La comparaison indécente avec les animaux témoigne bien de cette dimension irrationnelle. En 2019, comparer un train avec quelques personnes debout à un train transportant des animaux à l’abattoir est tout simplement abject. Il faut être totalement corrompu pour se permettre ce genre de remarques – témoins de la décadence d’une époque.

Il y a pourtant énormément de choses à redire sur l’organisation des transports dans les grandes villes, tout particulièrement en Île-de-France. Mais sans une approche démocratique, on n’aboutit qu’à entretenir un mirage petit-bourgeois qui s’efface de plus, en plus et on termine chez les gilets jaunes.

Le compromis est très clair : plutôt 45 minutes de train, pas trop rempli en situation normale, que 30 minutes dans le métro parisien en heure de pointe. Peu importe que les toilettes soient supprimées dans les nouveaux trains, peu importe les retards récurrents, tant que globalement, cela tient. Parce que la plupart des personnes font avec.

Toutes les critiques d’hystériques qui expliquent que « ça va péter » font le jeu de la SNCF : ils soutiennent indirectement celle-ci avec leurs discours à côté de la plaque. Elle peut ensuite apparaître comme une entité raisonnable qui prend en compte les avis des ses clients.

Gare de la Ferté sous Jouarre

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Réflexions

« Les gens sont des cons »

On est tous d’accord : les gens sont des cons. Le seul souci, c’est que c’est nous, les gens.

Diogenes, Jean-Léon Gérôme, 1860

C’est inévitable et à un moment on n’en peut plus. Ce n’est vraiment plus possible, ça va toujours plus loin. Alors cela apparaît comme une évidence, et de toute façon on le savait : les gens sont des cons. Parce que pour se comporter de telle manière, pour ne même pas s’en apercevoir, ou pire pour le savoir et s’en moquer, il n’y a pas d’autres explications.

Le grand problème, dont on a conscience évidemment, est que tout le monde a pu effectuer un tel raisonnement. On est obligé, tout un chacun, de se dire cela. En fait, la société nous amène insidieusement à cette constatation, parce que les choses sont ce qu’elles sont et que rien ne fonctionne comme il le devrait. On se marche dessus, on se concurrence, on se confronte, alors que rien de tout cela n’est nécessaire.

« assumer un vrai esprit de rupture »

On a alors le choix entre devenir de droite ou de gauche. Si on pense comme Hobbes que « l’homme est un loup pour l’homme », alors on devient de droite et on pense : l’homme est mauvais, la religion a raison, on n’y peut rien, il n’y a pas grand-chose à sauver et seul un bon conservatisme bien policé peut maintenir tout cela dans un certain cadre. Ou bien on pense avec Rousseau que la société a corrompu l’humanité et qu’il faut une réorganisation de fond en comble.

C’est le bon choix. Mais comment fait-on pour vivre en attendant ? Parce que c’est un vrai problème. Bien sûr on peut faire semblant et vivre comme un beauf, et même un beauf « de gauche ». C’est quelque chose de courant. Les récentes affreuses histoires touchant les jeunesses du PCF ou du PS en disent long sur le style de vie décadent adopté par de nombreuses personnes incapables d’assumer un vrai esprit de rupture afin de chercher à produire une culture nouvelle.

Ce n’est cependant pas une option évidemment. Il reste le repli, mais c’est un isolement social qui ne mène qu’à la misanthropie. Cela n’aboutit à rien et on termine alors dans le solipsisme, l’ultra-égocentrisme, ou bien on capitule entièrement pour redevenir comme tout le monde. Combien d’adolescents se rebellant ont eu ce parcours, basculant dans les drogues pour se couper du monde ou bien devenant précisément ce qu’ils haïssaient, pour se fondre dans le décor !

Vouloir que les gens redeviennent eux-mêmes

Que faire alors ? Il n’y a pas 36 solutions, il faut participer à la vie de la Gauche, à sa culture, à son développement, son approfondissement. Sans cela, on est forcément contaminé par des valeurs libérales ou décadentes, sans cela on ne se repère pas comme il se doit et on se retrouve désorienté dans une société capitaliste dure, très dure. Et il ne suffit pas de se mettre en couple pour éviter de prendre des coups ; c’est simplement que les coups on les prend alors à deux et si l’un des deux n’est pas au niveau, cela aboutit à un entre-déchirement d’autant plus difficile.

On comprend que l’objectif véritable, c’est de produire une culture où les gens s’arrachent, où les gens se transcendent, pour basculer du bon côté et assumer une rupture collective avec une société les enracinant dans l’égoïsme, l’étroitesse d’esprit, les mentalités manipulatrices, la soif du gai. Il faut produire de la culture, des choses belles qui parlent à tous, des choses complexes et jolies mais qui soient accessibles à tous. Des choses qui rendent heureux, qui égayent la vie, qui soulignent ce qui est à souligner : le joie, le bonheur, le partage, l’amour, l’amitié, la franchise, la générosité.

Comme ces mots apparaissent comme ridicules, vains, enfantins voire infantiles dans une société cynique comme la nôtre ! N’est-ce pas terrible ? N’est-il pas terrifiant de voir comment notre société est une machine de démolition où l’on reproche aux gens biens de faire du sentimentalisme, d’être trop faibles, d’avoir encore à grandir ?

Diogenes, John William Waterhouse

Il faut un vrai courage pour accepter que les gens soient des cons, mais pour en même temps vouloir qu’ils redeviennent eux-mêmes. Mais c’est le seul chemin. Il ne faut pas devenir cynique comme les gens de droite qui pensent que les gens sont des cons, ni un démocrate-chrétien ou un catho de gauche qui pensent simplement que les gens ne sont pas des cons et qui refusent de voir toutes les horreurs qu’ils véhiculent en raison de la société où l’on vit.

Il faut devenir, il faut être de gauche et à Gauche ; il faut s’ancrer culturellement dans les bonnes valeurs. Sans cela, on est balayé, nos valeurs intérieures sont balayées, et on devient comme tout le monde : lessivé, épuisé, abandonné de tous et surtout de soi-même.

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Réflexions

La superstition scientifique (Antonio Gramsci)

Le rapport passif à la science, jusqu’à en faire une sorcellerie d’un nouveau genre, est erroné et dévalue la notion de travail, de transformation. Il faut aller dans le sens d’une popularisation des concepts scientifiques, afin de contrecarrer cela.

Il faut noter qu’à côté de l’engouement le plus superficiel pour les sciences existe en réalité la plus grande ignorance des faits et des méthodes scientifiques, qui sont des choses fort difficiles, et qui deviennent toujours plus difficiles par la spécialisation progressive des nouvelles branches de la recherche.

La superstition scientifique comporte des illusions si ridicules et des conceptions si infantiles, que même la superstition religieuse s’en trouve ennoblie.

Le progrès scientifique a fait naître la croyance et l’attente d’un nouveau type de Messie, qui réalisera sur cette terre le pays de cocagne ; les forces de la nature, sans aucune intervention du travail humain, mais par l’opération de mécanismes toujours plus perfectionnés, donneront à la société en abondance tout le nécessaire pour satisfaire ses besoins et vivre dans l’aisance.

Contre cet engouement, dont les dangers sont évidents (la foi superficielle abstraite dans la force thaumaturgique de l’homme conduit ici paradoxalement à stériliser les bases mêmes de cette force et à détruire tout amour du travail concret et nécessaire, pour se livrer à des fantasmes, comme si l’on avait fumé une nouvelle sorte d’opium), il faut combattre avec des moyens variés, dont le plus important devrait être une meilleure connaissance des notions scientifiques essentielles, en vulgarisant la science grâce aux œuvres de savants et de spécialistes sérieux, et non plus de journalistes omniscients et d’autodidactes présomptueux.

En réalité c’est parce qu’on attend trop de la science, qu’on la considère comme une sorcellerie supérieure, et c’est pourquoi on ne réussit pas à évaluer de façon réaliste ce que la science offre de concret.

Antonio Gramsci, Cahier de prison 4 (XIII), §71, 1932-1933

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Réflexions Vie quotidienne

La folie se propage dans les grandes villes

Le capitalisme rend les gens fous. Les psychiatres disent eux qu’on voit plus de fous, parce qu’il y a moins de place en psychiatrie. C’est une terrible capitulation de leur part, une preuve de leur étroit esprit corporatiste.

Grandes villes - Amesoeurs amesoeurs

La loi est ainsi faite qu’on n’a pas le droit de critiquer les médecins ; les psychiatres étant des médecins, on n’a donc pas le droit de les critiquer non plus. Ils « savent » ce qu’ils font et on doit donc accepter cela, et faire comme si les médecins ne formaient pas une corporation, comme si leurs attitudes et leurs évaluations ne correspondaient pas à des principes, des idéologies.

Alors, lorsque le quotidien Le Parisien interroge des psychiatres sur la recrudescence du nombre de fous à Paris (mais bien sûr dans les autres grandes villes aussi, voire en général), on a droit à des réponses simplistes et il faudrait les prendre pour argent comptant.

Il faudrait accepter, donc, qu’on ne sait pas s’il y a plus de fous ou non, que de toutes façons si on les voit plus c’est parce qu’il y a moins de places en psychiatrie, et également que les psychiatres font mieux leur travail qu’avant, repérant mieux les cas, etc.

Tout cela n’est que mensonge et ne vise qu’à financer la corporation des psychiatres. En réalité, la société se ratatine sur elle-même et les gens s’effondrent psychologiquement, psychiquement, mentalement. Les grandes villes, telles qu’elles existent sous leur forme actuelle, ne sont plus des bastions de la culture mais des lieux de désocialisation, de pression, d’aliénation. La grande ville, c’est la souffrance, à part pour une minorité aisée s’imaginant vivre de manière heureuse.

L’article reprend les chiffres du livre d’une des personnes interrogées et parle de 4,7 à 6,7 millions de « personnes touchées par la dépression en France ». Des chiffres énormes et vagues à la fois. Comment faire la part de ce que l’on pourrait qualifier de réelle dépression, et de posture égocentrique ? Comment faire la part entre ce qui tend réellement vers la dépression et ce qui tend vers de la mise en scène malsaine ?

Une personne qui évoque une envie de suicide est-elle dépressive ? suicidaire ? Ou est-elle dans une logique petite-bourgeoise égocentrique ? Tout ceci est très subjectif et extrêmement difficile à évaluer. Et tant que l’on raisonne en terme d’individus, chacun pourra avancer les chiffres les plus extravagants avec des analyses toutes les plus subjectivistes les unes que les autres. Au final on voit bien que la société n’est pas consciente d’elle-même, et que personne n’en sait trop rien.

Si l’on raisonne en termes de société, alors on peut voir aisément les dégâts d’ensemble fait aux habitants de notre pays… Encore faut-il pour cela prendre en compte le capitalisme. Si cela était fait, on échapperait à nombres d’interprétations subjectives, dénuées de tout fondement culturel, de tout rapport au travail, effectuées par les psychologues et psychiatres.

Ce qui résout la dépression, c’est la coupure avec ce qui est négatif, toxique, et cela en termes de rapports sociaux, combinée avec un retour dans un environnement naturel, sain, et un travail. La psychiatrie a tort à la base, car elle prend pas en compte la notion de travail. Le travail est le moyen humain pour développer l’esprit, pour saisir la réalité de manière rationnelle, et pour voir comment les choses se transforment.

Comment quelqu’un ayant des problèmes psychologiques, psychiques, psychiatriques, peut-il s’en sortir, s’il ne connaît pas le principe de transformation ? Il ne saura pas comment se transformer lui-même, il restera apathique, incapable de trouver une solution concrète. La société ne le lui propose d’ailleurs pas non plus, se contentant de livrer des tonnes de médicaments pour étouffer, engourdir, endormir les esprits ayant déraillés. Il est bien connu que la France est un pays hautement consommateur d’antidépresseurs : c’est déjà une raison de révolte.

Qui ne veut pas rompre avec les grandes villes, avec la folie d’un capitalisme sous haute pression, avec le mépris du travail comme force transformatrice, ne devrait pas parler de folie, car il a déjà capitulé face à l’ennemi.

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Réflexions

Les gilets jaunes, un solipsisme dans les sables mouvants

Les Français sont cartésiens : ils pensent qu’ils existent, car ils pensent. Ce qui n’a pas de sens, car pour penser qu’on existe, il faut en avoir conscience et donc penser qu’on pense exister. Mais pour penser penser exister, il faut penser penser penser exister. Et cela à l’infini, d’où la tricherie des partisans de Descartes, qui troquent le « je pense donc je suis » en « je pense, je suis ». Cela ne change rien au fond du problème qui est qu’ils séparent le corps et l’esprit.

Et avec le triomphe de la consommation capitaliste, la « pensée » est consommatrice, faisant de ceux qui ont cette vision du monde un véritable egotrip. C’est proche du solipsisme (du latin solus, seul et ipse, soi-même), qui désigne ce moment où on remet en cause l’existence de toute chose, à part soi-même. Les gilets jaunes sont ici de bons Français.

Lors de ce samedi des gilets jaunes, c’est ce livreur en uniforme de travail qui cherche à récupérer son vélo qui se retrouve au milieu de CRS, en plein milieu des Champs-Élysées. La réponse ne se fait pas attendre, à coups de matraques. Qui donc peut aller chercher à arracher quelque chose, tout seul, à de nombreux CRS ultra-énervés en mode combattant ? C’est très révélateur de l’incompréhension fondamentale de la part des Français de ce qu’est la police, une manifestation, la violence, l’État, la lutte des classes. Plus personne ne comprend rien, les seules attitudes sont individualistes et consommatrices.

Un autre exemple de ce véritable solipsisme, concernant plus directement les gilets jaunes, a été, le 14 décembre 2018 dans le Jura, deux d’entre eux qui ont quitté leur rond-point pour essayer de tuer une brebis à coups de pelle et de fourche ! C’est la France comprise comme un self-service… Heureusement qu’ils ont raté leur coup, sinon on avait ici l’exemple le plus ignoble de toute cette affaire, dont il aurait fallu parler des années en raison de son exemplarité…

Un autre exemple de self-service a été le communiqué des ultras parisiens, se plaignant de la défaite de leur équipe du Paris Saint-Germain, comme si la victoire leur était due par définition. Le PSG est une équipe qui vaut des centaines de millions, les ultras se sont beaucoup investis, donc si l’équipe perd, c’est que les joueurs n’ont pas de « cou… ». Ceux-ci sont le bouc-émissaire explicatif du manque de retour sur investissement des ultras. Si on consomme, alors on a un produit adéquat.

Je pense donc je suis, je pense consommation donc je suis quelqu’un méritant que le produit soit conforme à mes attentes. Et cela se décline pour tout, jusqu’au couple. Les thèses des gilets jaunes sur le tirage au sort des élus, le référendum et autres fantasmagories relèvent ni plus ni moins que de cette déception consommatrice.

Il ne leur viendrait pas à l’idée de s’investir en politique, d’appartenir aux partis les ayant déçus. Il ne leur vient pas à l’idée que la déception la plus grande qu’ils doivent ressentir, c’est par rapport à eux-mêmes. Ils doivent se transcender et ils ne le veulent pas, ils doivent tout assumer et ils ne veulent rien assumer.

Ils veulent rester dans leur bulle, sans responsabilité, juste à faire leur job, juste à chercher une vie dans un endroit normalisé pour ne pas avoir de complications. Pour eux le romantisme n’est qu’un mot, au mieux un mouvement littéraire ; le Socialisme, une abstraction, quelque chose qui n’a aucun sens. La réalité est pour eux un concept philosophique, leur seule certitude est leur relativisme.

Et ils veulent que ce vide continue, encore et encore ; ils ne s’aperçoivent même pas que le vide n’existe pas et qu’il y a toujours quelque chose, ils ne remarquent même pas à quel point en s’imaginant se tirer vers le haut, ils s’empêtrent entièrement. Les gilets jaunes, c’est un solipsisme dans les sables mouvants, qui à force de ne pas réfléchir à ce existe autour de leurs propres egos, s’agitent et renforcent d’autant plus leur enfermement dans le monde capitaliste qui les broie.

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Réflexions

L’essentiel, c’est d’être sentimental, pour l’art

Les gilets jaunes ont tout faux, car ils sont brutaux dans leurs manières. Même leur lecture romantique d’un passé idéalisé se résume à des billets de banque. Ils correspondent au déclin d’une société française dont les membres perdent toujours plus leur humanité. Leur incapacité à être sentimental autrement que par la mièvrerie en témoigne.

Goethe et Schiller, Weimar

Il est important de s’attacher aux choses, non pas parce que les choses auraient une valeur en soi, mais parce qu’elles évoquent quelque chose, parce qu’elles portent des valeurs. Un logement qui n’a pas, ici et là, quelques bibelots liés à un vécu émotionnel, des moments sentimentaux, une tendresse touchante, n’a pas d’âme et n’est somme toute qu’un abri pour damnés.

L’ensemble de la culture est né justement de cette capacité à être sentimental, à se poser dans un coin, dans le silence, et à revenir sur quelque chose. Le reflet de ce qui a été vu, entendu, touché, senti, ressenti bien plus qu’avec simplement cinq sens d’ailleurs, nous interpelle, nous appelle, nous oblige à revenir dessus.

On sait à quel point certains films utilisent, avec de l’abus le plus souvent, de cette scène où un homme, l’air soucieux, rejoint le zinc d’un bar ou bien une chaise confortable, pour à l’écart siroter un whisky en réfléchissant au sens de la vie, au milieu d’une ambiance bruyante, avec une foule nombreuse, anonyme et mouvante.

C’est qu’il y a quelque chose d’universel dans cette posture sentimentale, qui est à la base du vécu de chaque artiste. On ne peut pas écrire une partition ou un roman sans décider de comme arrêter le temps, de rester dans quelque chose de passé, pour témoigner non pas d’ailleurs simplement d’un événement passé, mais de sa richesse, de sa complexité.

Il est souvent demandé aux écrivains s’ils sont les personnages de leur roman, et on va chercher dans leur vie privée des figures censées avoir été reprises. Cela est absurde et oublie que le travail d’artiste est d’universaliser, de transcender le particulier, le personnel, pour aboutir à quelque chose de vrai pour tout un chacun.

Il est vrai qu’il faut pour reconnaître là s’intéresser à l’art, en tant que tel. Non pas à l’art comme esthétique, d’ailleurs dégradé en esthétisme par les riches, quand ce n’est pas en abstraction contemporaine, mais à l’art comme production d’un artiste ancré dans son époque, dans sa société, dans sa propre vie.

Qu’est-ce qu’un artiste, si ce n’est quelqu’un reconnaissant avoir tellement vécu qu’il se sent obligé de synthétiser ce vécu, comme pour se ressaisir lui-même ? N’est-ce pas peut-être ainsi qu’il faille considérer l’artiste, ce porteur d’eau de l’âme humaine, ce passeur de lumière de l’esprit humain ?

Il y a une preuve à cela, s’il faut en trouver une. D’instinct, on sait au fond de soi que Léonard de Vinci ou Bela Bartok, Frédéric Chopin ou Honoré de Balzac, ont été pleinement humain, que si on les avait rencontrés, on aurait eu affaire à des aspects entiers de l’humanité. Des artistes transportant de grandes choses ne peuvent pas ne pas être amples, sentimentaux, dignes.

Il y a un écrivain d’ailleurs qui a été un escroc de bout en bout en se forgeant une telle image, qui a entièrement construit une véritable opération de marketing pour apparaître comme sentimental, révolté, engagé, soucieux, profond, etc. C’est bien sûr Victor Hugo, inventeur d’une image romantique que la République a trouvé tout à fait en phase avec son propre style, d’où le renvoi d’ascenseur en faisant un grand auteur qu’il n’est absolument pas. Lafargue, le gendre de Karl Marx, a écrit des lignes utiles à ce sujet, pour qui s’y intéresse.

Victor Hugo a fait école même si l’on peut dire, puisque les artistes actuels sont obligés de pareillement se mettre en scène lorsqu’ils ne sont pas de vrais transports de culture. Ils sont obligés de se façonner une identité de sentimental, car ils n’auraient plus de crédibilité sans cela. Et dans une société où l’apparence est maître, cela suffit ; il n’y a qu’à regarder les terribles mièvreries de la musique de variété ou de son équivalent en France, le rap, avec les prétentions des chanteurs à être tourmentés.

Voilà pourquoi on a besoin d’une meilleure éducation dans notre pays : pour que les faux sentimentaux soient démasqués, pour que les vrais s’orientent de manière adéquate vers l’art. Faisons un pari concernant l’avenir. Dans le socialisme, chaque personne aura un CV avec son parcours d’études, mais également une série de photographies prises, une série de pages romanesques écrites, des séries de mélodies, de films, de représentations de peintures, de fleurs, d’arbres et d’animaux choisies et justifiées par un court texte.

C’est bien là le minimum pour se présenter, soi-même, avec toute sa densité d’être humain, en soulignant la vaste gamme de sa sensibilité, la profondeur de son regard sur la beauté, l’harmonie, la vie. Comme cela sera bien !

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Réflexions Vie quotidienne

La vie, c’est comme Docteur Maboul

Finalement, le monde a été contaminé par Docteur Maboul. Parce que tout le monde considère que dans la vie, il s’agit d’arracher des choses auxquelles on a plus ou moins pas droit. La vie est un « combat », celui de retirer un maximum d’opportunités, sans se faire pincer.

Si on regarde bien, on peut discerner surtout deux types de personnes. Il y a ceux qui veulent se faire de l’argent, et ceux qui veulent retirer le plus possible de la vie. Les premiers ne réfléchissent pas au contenu de leur vie et paradoxalement ils ont presque une compréhension socialiste de l’abondance… Sauf qu’ils ne la conçoivent concrètement que pour eux-mêmes.

Les seconds se posent la question du contenu, mais ils pensent que cela restera surtout indéfini, que c’est le hasard qui va décider d’à quoi cela va ressembler. Ils ont compris que le capitalisme était une loterie, mais ils pensent qu’ils peuvent faire les plus fins, les plus malins. Ils ont l’impression qu’ils pourront arracher au bon moment ce qu’il faut et se conçoivent en quelque sorte comme des pirates des temps modernes.

Alors qu’en réalité, ils ont le niveau conceptuel du jeu Docteur Maboul, où il s’agit avec une pince d’attraper des petits objets sans toucher les bords. La vie est ici aussi simple que cela : prendre ce qu’on peut, sans se faire pincer, sans se faire heurter, sans se faire trop cabosser. Essayer autant qu’on peut…

On ne le croira peut-être pas, mais l’analogie est encore moins bizarre qu’on ne pourrait le penser de prime abord, parce que n’importe qui peut être Docteur Maboul. Si un docteur dingue peut le faire, alors pourquoi pas moi ? C’est la démocratisation absolue du casino capitaliste. Tout comme n’importe quel docteur, même fou, peut réussir cette chirurgie joviale, n’importe qui peut gagner au loto de la vie. Il suffit de jouer.

Et même, plus il y a de participants, plus il y a de lots. La conception « Docteur Maboul » de la vie voit le monde comme un gigantesque Las Vegas, avec une multitude de prix, de gagnants, de perdants mais ce n’est pas grave car cela ne concerne pas soi-même : tant qu’on peut jouer…

Il ne s’agit pas, notons le bien, de faire sauter la banque. Cela, c’est pour ceux qui veulent gagner de l’argent, en abondance, pour vivre dans l’abondance, dans « leur » communisme à eux, dans leur « utopie », dans « leur » petit « paradis ». Il s’agit simplement de vivre et pour cela il faut un cadre, des normes, des moyens. Et pour les avoir il faut participer au casino et pousser les autres à le faire. On pense même d’autant mériter de gagner qu’on a contribué à renforcer le nombre de lots. On veut forcer le hasard.

La vie, c’est comme Docteur Maboul. La vie, c’est rien de prévu, à part la possibilité de gagner. De gagner quoi ? On ne sait pas, il y a de la concurrence. Mais il y a des lots, et c’est ça qui compte. Car rien d’autre n’a de sens : ni l’histoire, ni la nature, et encore moins la société. La vie est une sorte d’immense foire du trône, avec des divertissements, des lots à gagner, des préférences. On y flotte, on bascule dans certains choix et pas dans d’autres, on est transporté et grisé, et à la fin tout le monde rentre chez soi.

Que dire du vide d’une telle conception de la vie ? Que c’est l’aboutissement de toute une civilisation. Le capitalisme connaît une fin telle Rome ; il a gagné totalement et donc perdu. Il s’effiloche en se renforçant, se renforce en s’effilochant, il attend à travers son déclin que le Socialisme le remplace, rétablissant le sens : l’histoire, la nature. Fini, Docteur Maboul !

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Réflexions

Les bons conseils de madame soleil

La superstition reste présente partout et les madames soleil savent être des confidentes, des conseillères, des miroirs des inquiétudes.

constellation de Persée

Il y a si on y regarde bien toujours une trace ici ou là de superstition dans ce qu’on fait, ou bien dans ce qu’on ne fait pas. Tel esprit lucide et clairvoyant sur l’importance de la rationalité s’évertuera pourtant à ne jamais prendre le même chemin en voiture : est-ce là un goût, ou bien une superstition ? Tel autre préférera tel numéro à un autre, telle lettre à une autre, telle place à table à une autre, telle boîte de conserve au supermarché à une autre. Intuition, inquiétude sans fondement ?

Est-ce d‘ailleurs pour cela que les compagnies aériennes low cost placent les gens au hasard et qu’il faut payer pour choisir sa place ? Après tout c’est sans intérêt. Mais celui qui craindra pour sa vie achètera une position près de la sortie de secours, celui qui est superstitieux saura au fond de lui pourquoi 5A est mieux que 19C. Cela peut ne pas être anecdotique, après tous les revues et journaux pullulent d’horoscopes.

Cette histoire d’horoscope est d’ailleurs logique et absurde, puisque les planètes sont censées fonctionner de la même manière que des événements nous concernant parce que né tel mois à tel endroit, et cela serait valable à travers les siècles, au-delà des cultures, des situations. Cela peut sembler logique dans l’antiquité quand on cherchait une rationalité à l’ordre du monde, mais aujourd’hui on sait qu’il faut la chercher ailleurs, au moyen de la science, dont l’astrologie n’est pas une composante.

Sans doute cherche-t-on à se rassurer. Au cours d’une discussion, un personnage sympathique a fait part à d’autres d’une anecdote à ce sujet. Il allait voir une amie de lycée perdue de vue depuis quelques temps, dans la foulée de l’éparpillement post-bac. Au gros chien affectueux présent dans le salon s’ajoutait la voix de la mère, astrologue, qui s’activait à répondre à des coups de fil dans une pièce plus loin dans l’appartement.

Paraît-il que ce fut un cours de psychologie. La personne appelle l’astrologue pour savoir si tel ou tel événement, comme une rencontre hypothétiquement sentimentale, allait bien tourner. De manière habile et efficace, l’astrologue parvenait à soutirer des informations à ce sujet, et en fonction des réponses, du ton de la voix, etc., parvenait à deviner si c’était un emballement ou une rencontre possiblement sérieuse. Les réponses ambiguës, ni vraiment oui ni vraiment non, se combinaient donc avec l’affirmation d’une vraie tendance, qui seraient proches finalement des conseils d’un ami avisé.

On se demande bien sûr comment quelqu’un peut être dupe d’une chose pareille. Sans doute que personne ne l’est vraiment. Il y a quelque chose de rassurant à savoir qu’on va être trompé d’une telle manière qu’on le sache à l’avance. On a l’impression de maîtriser la situation, parce qu’on sait ce qui va se passer : combien de femmes sinon auraient-elles largué leurs compagnons stupides les trompant ! Cependant, comme elles en font le tour, rien de plus ne peut se passer, et c’est déjà pas mal.

Il y a du masochisme là-dedans, très certainement, et les gens qui jouent au loto ne sont pas très nets finalement. Ceux qui jouent aux jeux de grattage le sont encore moins, puisque les chances sont d’une faiblesse extrême et que le fétichisme du grattage opère comme une sorte d’acte magique sans cesse renouvelé. Pour l’anecdote, voici la combine des buralistes avides de gain au mépris des lois et tout à fait cyniques : vous prenez la grosse pile des tickets à gratter dont vous savez qu’elle contient au moins un ticket gagnant d’une grosse somme, et vous les grattez un par un jusqu’à celle-ci. Vous faites semblant que les tickets grattés aient été vendus, puis vous vendez les autres de la pile, qui eux par contre ne contiendront plus le ticket gagnant, mais ça tant pis.

Vu ainsi, les conseils humains de madame soleil sont bien plus cordiaux. On paye, on se fait tromper relativement, on le sait, tout reste chaleureux, et puis il y a l’espoir, on ne sait jamais, que quelque chose arrive quand même… et cela vaut tout l’or du monde.

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Réflexions

Il faut oser la récusation du conformisme

Il y a des gens pétris de certitudes qui remettent en cause ce en quoi ils croyaient. Dans certains cas, même si on est ébranlés, il faut oser la récusation de leur attitude. Loin d’aller dans le sens d’une rationalisation, ils passent en effet dans le camp du conformisme.

cgt merguez

L’anti-conformisme n’est pas une valeur en soi, sinon les intellectuels les plus excentriques auraient forcément toujours raison. D’ailleurs, ils pensent avoir toujours raison, parce que leur comportement en rupture avec les conventions est censé être authentique, dans une société où la vérité étouffe.

Il y a une part de vérité, mais les choses sont plus compliquées que cela, car il ne suffit pas d’être spontané ou d’imaginer l’être pour être dans le vrai. C’est d’ailleurs au nom d’une attitude spontanée que le conformisme s’inscrit dans la société. L’abandon d’un principe, d’une valeur, d’un couple, d’un engagement… ne se présente jamais tel quel. Ce serait révéler sa vraie nature et ce n’est pas psychologiquement tenable.

L’abandon, la trahison, la capitulation… ce même et unique phénomène prend la forme d’une « prise de conscience », d’une rationalisation appliquée aux faits, d’une mise à niveau dans le sens du « réalisme ». La personne qui abandonne son chien a besoin de se mentir à elle-même, aussi prétend-elle qu’elle remet les compteurs à zéro et que cela est sans conséquence, justement parce qu’elle remet les compteurs à zéro.

La jeune femme qui abandonne une relation sérieuse mais liée à une culture en décalage par rapport à sa vie d’entreprise, le jeune homme qui rejette tous ses anciens comportements pour rentrer dans le moule de sa position dans une entreprise ou administration… sont des figures typiques d’opportunisme se prétendant être quelque chose de supérieur. « Il faut savoir être raisonnable. »

Selon les sociétés, la pression est plus ou moins grande en ce sens. Dans des pays comme la Suède, le Danemark, l’Allemagne, l’Autriche… Vous êtes déjà considéré vieux si vous avez dépassé 25 ans et que vous êtes toujours dans les différents réseaux engagés de la Gauche. Une petite minorité assume des attitudes et des valeurs opposées aux normes dominantes, puis s’intègre finalement pour la plupart, seuls quelques uns restent dans le cadre de la contestation, pour plus ou moins des bonnes raisons.

Cela change avec la crise actuelle, mais tendanciellement cela a été vrai pendant quarante ans. En France, c’est tout à fait différent, puisqu’il y a toujours eu des anarchistes de 20, 30, 40, 50 ans ou plus, par exemple, tout comme des socialistes, des communistes, etc. Cela ne veut pas dire que la pression ne se fasse pas sentir et il y a bien entendu une vague de valeurs rétrogrades au-dessus de 30 ans, en particulier en liaison avec le syndicalisme.

C’est en effet un processus insidieux, où par défaut de volonté, par méconnaissance des valeurs, principes, de la théorie, on n’ose pas récuser, et on se fait malgré soi happer dans tout un milieu, dans tout une enchevêtrement de valeurs tout à fait conformistes dans leur substance.

Cependant, on imagine bien qu’oser la récusation du conformisme bourgeois implique une grande force psychologique, un courage par rapport à une certaine désocialisation. Le fascisme est ici très intelligent, car il propose une récusation qui n’en est pas une. Quand on est fasciste, on rompt, mais sans rompre. On ne se révolte pas contre la société, mais on est un révolté. C’est ce qui fait d’ailleurs que les gilets jaunes sont obligés de se rapprocher, voire d’être dans le Fascisme comme mouvement historique, car eux aussi veulent être révoltés, mais sans assumer la révolte autre que symbolique.

Tout le but de la Gauche doit être justement d’aider à l’affirmation d’une véritable révolte, d’une vraie récusation. Plus il y a de tels espaces, qui ne peuvent être liés qu’à la lutte de classes, sans quoi c’est une abstraction, plus la Gauche existera en tant que tel. On aura non plus simplement des gens de gauche, mais des gens à gauche.

C’est naturellement une vieille problématique. La Gauche a toujours connu ce problème : quand elle penche trop d’un côté, elle se déconnecte de la société, quand elle penche trop de l’autre côté, elle devient conformiste et s’intègre aux institutions. Cela été vrai pour le PCF, passé de la volonté de rupture à la soumission à la Ve République considérée auparavant comme un coup d’État, ou encore François Mitterrand qui expliquait qu’on ne pouvait pas être socialiste sans vouloir rompre avec le capitalisme, pour ensuite soutenir ce dernier pendant des années.

Au-delà de l’éventuel opportunisme d’un tel ou un tel, car cela existe bien entendu, il faut bien contribuer à empêcher que des gens sincères échouent, car ils s’enlisent, se pétrifient, basculent dans le conformisme.