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La chronique militariste-stratégique pro Etats-Unis du Monde

Le cynisme règne en maître.

Le Monde a publié une chronique (payante) à la fois particulièrement militariste et de portée stratégique. Son auteur en est Alain Frachon, éditorialiste de ce quotidien, auquel il appartient depuis 1985. Si la chronique se veut une simple proposition-réflexion, c’est en fait surtout le reflet de la ligne moderniste à la Emmanuel Macron ; ce qui est vraiment nouveau, c’est le fait de le dire ouvertement, de manière cynique.

C’est que l’idée est simple : les États-Unis vont faire la guerre à la Chine et ils vont gagner, il n’y aura jamais d’unité européenne autour du moteur franco-allemand, il faut donc une défense européenne de bas niveau allié aux États-Unis, pour que la France profite d’une part du gâteau chinois.

Voici le titre de la chronique.

« La crise des sous-marins n’est pas une affaire de qualité de navire, c’est un grand pas en avant dans l’affrontement entre la Chine et les États-Unis »

Voici l’annonce cynique de la guerre sino-américaine.

« C’est un grand pas en avant dans l’affrontement sino-américain, d’ailleurs justifié de manière pro-américaine. »

« Le pacte Aukus – Australia, United Kingdom, United States – confirme la priorité stratégique des Etats-Unis : la Chine. »

« La Chine militarise à tout-va les îlots – territoires disputés avec ses voisins – dont elle s’est emparée par la force dans le Pacifique occidental. Elle a multiplié opérations d’espionnage et d’influence politique à Canberra. »

Voici la présentation « géopolitique » de la chronique, dans une démarche totalement cynique.

« L’épisode Aukus devrait confirmer la ligne d’Emmanuel Macron : en ces temps de réorientation des priorités états-uniennes, l’UE doit plus que jamais acquérir un minimum d’autonomie stratégique. Elle doit notamment se doter des moyens de résister à la pression revancharde de la Russie de Vladimir Poutine et d’exister dans un monde de blocs. C’est ce qu’on appelle l’Europe de la défense. »

« Nos partenaires – par ailleurs indifférents aux affaires du Pacifique – rechignent. Ils craignent qu’une telle perspective n’amène les Etats-Unis à s’éloigner plus encore du Vieux Continent.

Quant aux Américains, ils semblent, politiquement, psychologiquement, génétiquement, incapables de soutenir une autonomie stratégique européenne, serait-elle limitée.

Cette orientation serait pourtant conforme à leur nouvel axe stratégique : priorité à l’Asie-Pacifique parce qu’ils estiment que c’est là, face à la Chine, que se joue le maintien de leur leadership mondial. »

Le fait que le quotidien Le Monde montre à quel point on a changé totalement de contexte avec la crise (partir de la pandémie pour arriver à l’économie, puis la politique, les rapports de force entre pays…). Il est parlé de la troisième guerre mondiale comme si de rien n’était.

Une guerre sino-américaine serait un désastre pour l’Humanité – et la seule chose dont il est parlé, c’est de comment la France peut tirer son épingle du jeu. Ce n’est ni plus ni moins que de l’impérialisme – c’est sur des millions de mort d’une guerre que danse cette sinistre chronique du Monde.

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Le rappel des ambassadeurs français d’Australie et des États-Unis

Emmanuel Macron est pris à son propre piège.

Le Figaro, dans un éditorial, a réagi à l’affaire des sous-marins et à la naissance de l’AUKUS en disant qu’il était hors de question de rappeler les ambassadeurs ou de sortir de l’OTAN. Et pourtant, dans la foulée, Emmanuel Macron a demandé au ministre des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian de rappeler les ambassadeurs français à Washington et Canberra.

En langage diplomatique, c’est un avertissement qu’une ligne rouge a été franchie. Les ambassadeurs ne reviennent pas avant quelques temps – un jour, un mois, une année, etc. -, pour signaler une certaine dimension antagonique à la question.

Le message officiel du ministre des affaires étrangères est le suivant :

« A la demande du Président de la République, j’ai décidé du rappel immédiat à Paris pour consultations de nos deux ambassadeurs aux États-Unis et en Australie.

Cette décision exceptionnelle est justifiée par la gravité exceptionnelle des annonces effectuées le 15 septembre par l’Australie et les États-Unis.

L’abandon du projet de sous-marins de classe océanique qui liait l’Australie à la France depuis 2016, et l’annonce d’un nouveau partenariat avec les États-Unis visant à lancer des études sur une possible future coopération sur des sous-marins à propulsion nucléaire, constituent des comportements inacceptables entre alliés et partenaires, dont les conséquences touchent à la conception même que nous nous faisons de nos alliances, de nos partenariats et de l’importance de l’Indopacifique pour l’Europe. »

On voit que le ministre met sur le même plan l’abandon du partenariat et l’introduction de la technologie américaine en Australie. C’est que la France joue la carte de « l’intermédiaire », du pays de puissance moyenne favorable à un monde « multipolaire ». Or, l’introduction de la propulsion nucléaire a deux conséquences : à moyen terme, d’autres pays vont demander la même chose, comme la Corée du Sud et le Japon. Qui plus est, l’Australie va aller dans le sens de posséder des bombes atomiques.

C’est là multiplier les puissances de taille moyenne, assumer ouvertement la formation de blocs… autant dire que la France a tout à y perdre dans ses ambitions littéralement impérialistes. Elle dispose, rappelons-le, de la seconde Zone Économique Exclusive du monde en raison de tous ses territoires au Pacifique et elle ne compte pas les perdre. Mais toute militarisation, tout conflit implique de les perdre, au profit de la Chine ou des puissances locales (il faut se souvenir de l’attentat français contre le Rainbow Warrior, dans le cadre de telles contradictions).

La France a d’ailleurs immédiatement pris contact avec l’Inde au niveau diplomatique, des discussions ayant eu lieu entre le ministre français des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian et le ministre indien des Affaires étrangères Subrahmanyam Jaishankar, une rencontre étant bientôt prévue à New York. Il y a même eu un communiqué officiel français à ce sujet :

« M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, s’est entretenu aujourd’hui par téléphone avec son homologue indien, M. Subrahmanyam Jaishankar.

Les deux ministres ont décidé d’approfondir leur partenariat stratégique, fondé sur une relation de confiance politique entre deux grandes nations souveraines de l’Indopacifique. Ils ont également échangé sur la situation en Afghanistan, qui se détériore.

Les deux ministres sont convenus de se revoir à New York la semaine prochaine, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, pour travailler sur un programme commun d’actions concrètes pour défendre ensemble un ordre international réellement multilatéral. »

Mais c’est là ni plus ni moins qu’une tentative de former un nouveau bloc. En fait, on ne peut pas échapper à la logique des blocs – à moins de s’opposer résolument à la guerre, telle que l’a toujours fait la Gauche historique.

Emmanuel Macron est pris à son propre piège ici, car il s’est posé comme libéral-moderniste faisant « avancer » le capitalisme – et il est dans une situation de crise mondiale où la bataille pour le repartage du monde s’ouvre toujours davantage. Pro-américain par définition, il a été obligé de faire face à un affront diplomatique – mais quelle solution peut-il proposer ?

On voit très bien comment les réactions en France ont été massives sur le plan politique, lors de cette affaire. Cela montre que les prochaines présidentielles vont tendanciellement se jouer sur la ligne stratégique choisie par la haute bourgeoisie française dans une situation mondiale où la guerre est à l’ordre du jour pour la prochaine décennie.

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Réactions françaises acerbes à l’accord AUKUS

La France ne compte pas « perdre son rang ».

Du côté français, c’est un grand traumatisme que l’accord entre les Etats-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni. Le Parisien fait un éditorial intitulé « L’affront » (il y est dit que « La crise entre Paris et Washington est maximale »), La Croix ne fait pas dans le pacifisme chrétien avec son article « Sous-marins australiens : la rupture du contrat torpille toute une stratégie française », Le Figaro parle d’un « Trafalgar indopacifique », Le Monde parle d’une « crise diplomatique » entre la France et les Etats-Unis et publie des réponses de journalistes français en opposition à toute  » forme d’autodénigrement »… 

Les commentateurs bourgeois sont unanimes. La France s’est fait simplement mettre de côté et c’est inacceptable, car la France est une grande puissance, etc. Cela fait d’autant plus mal, du point de vue bourgeois qu’un contrat de plusieurs dizaines de milliards d’euros a été perdu.

Et le risque est de tout perdre dans la région. L’image publiée par La Croix dans l’article ultra-agressif « Indo-pacifique : un nouvel axe anglophone pour contrer la Chine » présente bien ce point de vue bourgeois : la France est isolée et a tout à perdre.

Cette image parle d’elle-même : la France devrait trouver des alliés dans le cadre du repartage du monde

Dans les faits, c’est bien une défaite sur tous les plans : économiquement en raison de la perte du contrat, militairement en raison de l’absence d’influence, politiquement en raison d’un rôle dévalorisé. Marine Le Pen, qui représente le secteur le plus agressif de la haute bourgeoisie, n’a évidemment pas raté l’occasion de dénoncer Emmanuel Macron à ce sujet.

Le communiqué est encore plus clair sur le plan de l’agressivité.

Communiqué de Marine Le Pen, candidate à l’élection présidentielle

Après l’annulation par l’Australie du contrat des sous-marins, la France subit un triple désastre :

– un désastre économique avec une perte de plusieurs dizaines de milliards d’euros pour notre industrie ;

– un désastre militaire avec la ruine de la nécessaire coopération stratégique franco-australienne dans le Pacifique ;

– Un désastre politique avec une humiliation publique de la France et une atteinte gravissime à son image de puissance industrielle ;

Un tel échec ne peut rester sans explication. Marine Le Pen, candidate à l’élection présidentielle, demande qu’une commission d’enquête fasse toute la lumière sur ce naufrage.

Elle demande également que l’État prenne toutes les mesures pour pérenniser l’avenir de Naval Group, fleuron de notre outil industriel, si indispensable à l’indépendance de la France.

C’est qu’avec cette affaire, la ligne d’Emmanuel Macron est profondément fragilisée. Il a en effet misé sur un alignement sur les États-Unis et là, il s’est déroulé quelque chose que  le ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a défini comme un « coup dans le dos ».

Encore en juillet 2021, le ministère des affaires étrangères publiait justement l’article « L’espace indopacifique : une priorité pour la France« , où on lit notamment :

« L’Indopacifique s’impose de plus en plus comme l’espace stratégique du XXIème siècle. La montée en puissance de la Chine a bouleversé les équilibres traditionnels.

Alors qu’un certain nombre de menaces persistent (prolifération nucléaire, criminalité transnationale organisée, terrorisme djihadiste, piraterie, pêche illicite…), la compétition sino-américaine s’intensifie et génère de nouvelles tensions.

Le centre de gravité de l’économie mondiale s’est déplacé vers l’Indopacifique. Six membres du G20 (Australie, Chine, Corée du Sud, Inde, Indonésie, Japon) sont présents dans cette zone. Les voies commerciales maritimes qui la traversent sont devenues prépondérantes.

Les principales réserves de croissance mondiales se trouvent dans l’Indopacifique, qui contribuera d’ici 2030 à environ 60% du PIB mondial. Le poids croissant de ces pays dans les échanges commerciaux et les investissements mondiaux se trouvera encore renforcé dans le monde post-Covid. »

Un long dossier de présentation était publié à ce sujet. Tout cela semble bien vain désormais. Quand on pense qu’il y a deux semaines, les ministres des affaires étrangères et de la défense de l’Australie et de la France publiaient une longue déclaration unitaire, évoquant la fourniture de sous-marins français, qu’à la mi-juin le premier ministre australien Scott Morison rendait visite au président français Emmanuel Macron, on voit comment on est bien dans le cadre d’une bataille pour le repartage du monde, avec des retournements brutaux d’alliance.

Le communiqué de l’ambassade d’Australie en France parle d’ailleurs ouvertement de priorité stratégique, c’est-à-dire de subordination aux exigences militaristes de la superpuissance américaine. De fait, depuis la mi-2019 l’Australie va dans les bras des Etats-Unis contre la Chine.

L’un des plus gros problèmes est également que la France n’a rien vu venir. Les États-Unis ont prétendu avoir informé la France de l’alliance UKAUS en juin déjà, mais la France le nie, comme ici le porte-parole de l’ambassade de France à Washington, Pascal Confavreux.

« Nous n’avons pas été informés de ce projet avant la publication des premières informations dans la presse américaine et australienne. »

Vues les réactions de surprise et catastrophées, c’est sans doute vrai et c’est tout la crédibilité de l’alignement français sur les États-Unis qui a pris un terrible coup. C’est ni plus ni moins que la réélection programmée d’Emmanuel Macron qui prend un très rude coup. Le camp du nationalisme et du militarisme a gagné beaucoup de points sur le camp libéral-moderniste aligné sur les États-Unis.

La Gauche historique doit impérativement se reconstituer pour contrer cette tendance !

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Instauration de l’alliance Australie – Royaume-Uni – Etats-Unis

L’esprit impérialiste s’exprime ouvertement et l’ennemi, c’est la Chine.

Le 15 septembre 2021 au soir, une conférence vidéo a réuni le président américain Joe Biden, le premier ministre britannique Boris Johnson et le premier ministre australien Scott Morrison. Il a été annoncé une alliance stratégique allant dans les sens d’une unification militaire pour la région indo-pacifique.

Plus précisément, l’alliance Australie – Etats-Unis – Royaume-Uni, présentée sous l’acronyme AUKUS, implique en effet un partage d’information et de technologie, une intégration des connaissances scientifiques liées à la défense et la sécurité ainsi que des bases industrielles et des chaînes d’approvisionnements.

En ce sens, les Etats-Unis vont fournir à l’Australie de quoi mettre en place des sous-marins à propulsion nucléaire ; la seule fois où un tel partage d’un tel type de connaissances a eu lieu, c’était pour le Royaume-Uni en 1958.

Les trois pays sont déjà membres de la  » Five Eyes alliance », avec la Nouvelle-Zélande et le Canada, une collaboration générale au niveau des services secrets. Cette fois, on rentre dans le dur puisqu’il s’agit ni plus ni moins que d’élever le niveau matériel de l’Australie sur le plan militaire dans le cadre de la future confrontation avec la Chine.

D’ailleurs, en plus des sous-marins eux-mêmes, la technologie nucléaire acquise peut également permettre à l’Australie d’aller dans le sens de posséder la bombe nucléaire, même si évidemment elle prétend actuellement ne pas vouloir de prolifération.

On notera que cela implique également l’annulation de la commande effectuée il y a deux ans auprès de la France de douze sous-marins de ce type (pour 31 milliards d’euros). Cela ne peut que déplaire à la France. Et c’est très dangereux pour la Gauche en France, car cette situation va renforcer les excitations militaristes, les fantasmagories stratégiques, les velléités impérialistes d’aller à la guerre.

Car la superpuissance américaine ne veut pas perdre son hégémonie, la Chine veut devenir une superpuissance et obtenir l’hégémonie (le régime tente en ce moment de recadrer les esprits dans un sens nationaliste – étatique d’ailleurs). Le Royaume-Uni veut être aux premières loges de la victoire américaine espérée, d’où le BREXIT.

De son côté, la Russie cherche à maintenir sa position à l’ombre chinoise, alors que l’Allemagne espère compter les points et profiter de son hégémonie en Europe. C’est une véritable course impérialiste comme avant 1914.

Que va faire la France? Au rythme où vont les choses, c’est cette question de savoir se placer dans la bataille pour le repartage du monde qui va devenir de plus en plus central, et il va être essentiel de comprendre ce qui va en être pour la présidentielle 2022.

On notera d’ailleurs qu’aucun des trois pays concernés par l’alliance AUKUS n’a daigné ne serait-ce que faire semblant d’avoir un débat dans le pays à ce sujet. L’information au sujet de l’alliance a filtré quelques heures avant son annonce, toutes les décisions ont été prises par en haut, dans l’esprit de la diplomatie secrète. C’est tout à fait révélateur d’une marche à la guerre et les institutions doivent s’effacer substantiellement devant elle.

Le fait qu’en France les classes dominantes ne soient pas unies sur les choix stratégiques est ainsi une chance, car cela peut permettre de percer cette muraille du secret, des décisions lointaines, comme cela peut être un terrible danger car cela peut renforcer l’attrait, pour faire avancer la marche à la guerre, d’utiliser le nationalisme avec une grande ampleur.

En tout cas, avec AUKUS, on a déjà un bloc de formé pour la guerre pour le repartage du monde. C’est le second bloc clairement défini avec celui Russie-Chine. Les choses vont vite, très vite.

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L’Afghanistan aux mains des talibans… mais aussi de la Chine

La chute du régime afghan relève de la bataille pour le repartage du monde.

La prise du pouvoir en Afghanistan par les Talibans, littéralement 20 ans après le 11 septembre et l’intervention américaine qui a suivi, est une terrible défaite américaine. Les Etats-Unis avaient en effet tout fait pour installer un régime qui soit à leur service ; en vingt ans, ils ont investi 2 261 milliards de dollars.

Et là, il a suffi d’enclencher le départ des troupes américaines en juillet pour que les Talibans lancent une offensive allant de victoire en victoire. Le 10 août 2021, les Etats-Unis craignaient que la capitale Kaboul tombe d’ici 30-90 jours… elle tombait sans combattre le 15 août, le président afghan Ashraf Ghani s’enfuyant. Les Talibans ont pu occuper tous les lieux de pouvoir, comme le palais présidentiel, sans coup férir.

Le drapeau blanc est celui de l’Emirat et est un motif islamique des tout débuts avec Mahomet, il y est d’ailleurs inscrit dessus la chahada : «  J’atteste qu’il n’y a pas de divinité en dehors de Dieu et j’atteste que Mahomet est le Messager de Dieu. »

Les Talibans de 2021 sont cependant très différents de ceux de 2001. Ils ne sont plus un mouvement sur le tas d’étudiants en théologie formé par des cadres de la résistance à l’invasion soviétique. Ils relèvent d’un « Émirat Islamique d’Afghanistan » se présentant comme une entité étatique établie, avec même des représentants officiels vivant au Qatar et discutant depuis des années avec les principales puissances.

En fait, officiellement, ils relevaient déjà cet « émirat » de 1996 à 2001 lorsqu’ils contrôlaient le pays. Mais l’apparence mouvementiste, élémentaire, plébeienne millénariste, a été désormais gommée, au profit d’un positionnement « sérieux ». Le motif récurrent, c’est celui de vieux barbus censés exprimer une sagesse clanique-patriarcale dans le respect des traditions religieuses.

On remarquera d’ailleurs ici que, contrairement à Al Qaïda et encore plus à l’Etat islamique, les talibans intègrent désormais dans leur idéologie un dimension nationale. Leurs communiqués sont à moitié religieux à moitié patriotiques, insistant sur la libération de la nation afghane.

« Lié à la nation », une vidéo de propagande des talibans, on notera que les femmes sont systématiquement exclus de toute représentation

Les talibans n’ont donc pas d’objectif millénariste ou transnational. Ils ont également ces dernières années combattu militairement l’Etat islamique cherchent à s’implanter en Afghanistan, alors qu’Al Qaïda a de toutes façons été brisé par les Etats-Unis. On est ici dans une force féodale somme toute classique, du genre à se vendre à une grande puissance pour former un appareil d’Etat bureaucratique.

Pour donner un exemple concret, les Talibans, c’est 60 000 hommes. Ce n’est militairement strictement rien pour le contrôle d’un pays, fut-il petit, et l’Afghanistan est un grand pays de 38 millions d’habitants. En fait, il en va comme des 100 000 hommes au grand maximum de l’Etat islamique à son pic. Ce sont des gangs armés dans une société totalement en décomposition où les gens n’ont aucune capacité à s’organiser.

D’où leur victoire, impossible dans un pays n’ayant pas sombré. En comparaison, l’Espagne avait dans les années 1930 un peu plus de 25 millions d’habitants et lors de la guerre d’Espagne, chaque camp avait 500 000 soldats extrêmement bien organisés, avec toute une intendance.

L’Afghanistan, comme l’Irak, est concrètement un pays totalement déstructuré, brisé, dans un processus qui part de 1979 et des velléités impériales de l’URSS se posant en challenger de la superpuissance américaine. Tout est histoire de clans et d’ethnies vivant littéralement sur le tas, de manière traditionnelle sur un mode féodal, les talibans représentant d’ailleurs les pachtounes, également largement présents au Pakistan (pays soutenant les talibans depuis le début de leur histoire).

Historiquement, les pachtounes ont comme cible les persanophones (le persan est la langue vernaculaire d’Afghanistan), c’est-à-dire les Tadjiks et les Ouzbeks, mais surtout les Hazaras, qui ont comme particularité d’avoir été bouddhistes et d’être musulmans chiites. La fameuse statue géante du Bouddha de Bamîyân se situait justement en plein territoire hazara. Historiquement, les hazaras ont dû supporter massacres et esclavage tout au long de leur histoire.

Bamyan, avec le Bouddha désormais absent

Cependant, il faut bien garder en tête que c’est un environnement féodal et que tel ou tel clan, quel que soit son ethnie, peut se retrouver dans tel ou tel camp. C’est d’autant plus vrai que la victoire des talibans n’aurait pas été possible sans les « parrains ».

Ainsi, la Chine s’était empressée d’annoncer il y a quelques jours déjà qu’elle reconnaîtrait la victoire éventuelle de cet « Émirat » des talibans, alors que les activités de l’ambassade russe à Kaboul pris par les talibans continuent comme si de rien n’était.

Car la chute du régime totalement corrompu et pro-américain en Afghanistan se place, naturellement, dans le cadre du conflit entre la superpuissance américaine et son challenger chinois. Pour dire les choses simplement, la Chine et la Russie ont réussi à chasser les États-Unis.

Mais c’est une grande défaite turque également. La Turquie entendait assurer la « sécurité » de l’aéroport de Kaboul après le départ américain et d’ailleurs envoyer des troupes. Les Talibans avaient envoyé des avertissements très fermes à ce sujet.

Et c’est, déjà, une défaite pour les femmes. Les talibans sont totalement féodaux-patriarcaux, ils méprisent ou haïssent femmes, les considérant comme à la fois impures, secondaires et en fin de compte sans réelle valeur.

C’est la barbarie et d’ailleurs les gens en France ont un affreux haut-le-cœur devant de tels événements. Il leur reste à comprendre que c’est un aspect d’une crise mondiale emportant tout sur son passage dans un capitalisme se ratatinant jusqu’à chercher la sortie par la guerre.

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Montée des tensions entre la mer Noire et le Golfe Persique en passant par la Transcaucasie

La ligne de front des conflits est immense géographiquement parlant.

Cela barde de plus en plus dans tout un arc de confrontations allant de la mer Noire au Golfe persique, en passant par la Transcaucasie. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky, après avoir changé de ministre de l’Intérieur (qui trustait cette position depuis de longues années), a remplacé le ministre de la défense, le chef d’Etat-major, le commandant des forces aériennes d’assaut et celui des forces opérant dans le Donbass.

Et un opposant biélorusse, Vitali Chychov, a été retrouvé pendu en Ukraine, laissant planer bien sûr l’intervention des services secrets biélorusses, alors qu’inversement une opération de propagande est menée avec une athlète biélorusse « fuyant » le Japon pour éviter d’avoir à retourner dans son pays, où des problèmes l’attendraient en raison de sa critique de l’équipe technique des Jeux Olympiques.

Autrement dit, cela n’arrête pas. Et, désormais, il semble que l’Iran soit arrivé de manière directe dans la ligne de mire occidentale. Israël, les États-Unis et le Royaume-Uni accusent en effet ce pays d’avoir mené une attaque faisant deux morts, au moyen de drones contre le pétrolier japonais Mercer Street, battant pavillon libérien, géré par une société britannique, appartenant à un milliardaire israélien.

Le ton israélien et britannique est particulièrement violent concernant l’exige d’une réplique occidentale collective. En réalité, cela fait des mois que l’Iran et Israël mènent des attaques contre des navires, au moyen de drones, de mines, de saboteurs, etc.

Mais vu avec attention, la montée des tensions s’explique aisément. Comme en Ukraine, il s’agit de cibler un régime favorable à la Chine, là-bas la Russie de Poutine, ici l’Iran islamique chi’ite. À chaque fois, il s’agit de puissance moyenne en terme industriel et militaire, avec un régime fragile, voire bancal concernant l’Iran.

En Ukraine, la pression était retombée du fait de l’échec, relatif, du bloc britannico-américain à entraîner les pays capitalistes de l’Union européenne dans un conflit ouvert contre la Russie. En particulier, l’Allemagne s’était opposée à un tel conflit du fait de ses intérêts propres et de sa stratégie allant dans le même sens que « l’Eurasianisme » promeut par le régime de Moscou.

Concernant Iran, le bloc britannico-américain peut compter sur le ralliement de l’Arabie saoudite et des Émirats, ainsi que sur celui d’Israël, qui sont chauffés à blanc face à l’Iran, sur lequel sont projetés toutes les difficultés internes. Dans ces pays, une large propagande entretient depuis des années une hostilité ouverte contre l’Iran avec des accents militaristes et chauvins toujours plus poussés.

Pour autant, le ralliement des pays de l’Union européenne n’est pas là non plus garanti, avec la France notamment, qui entretient d’importantes forces navales et aériennes dans le secteur, aux Émirats et à Djibouti en particulier, ne se montre pas favorable à un conflit ouvert et reste pour le moment alignée sur l’Allemagne.

C’est cet arrière-plan général qui aide à comprendre la pression qui s’exerce sur les pays de la Transcaucasie, en particulier l’Arménie et l’Azerbaïdjan, et dans une moindre mesure la Géorgie.

Parce que, effectivement, toute cette partie du monde a été transformé en poudrière.

C’est vrai en particulier pour une Transcaucasie qui participe avec engouement à cette vaste confrontation, dont les intérêts la dépasse, mais qui appuie localement les régimes ou les tendances militaristes et nationalistes chauvines, constituant plus largement des factions ralliées à tel ou tel bloc impérialiste, et pensant ainsi en profiter pour « tirer les marrons du feu ».

L’Azerbaïdjan est ici le pivôt de ces enjeux tragiques. Son régime corrompu, tenu par le clan Aliev, l’entraîne à toutes les compromissions et toutes les aventures.

De fait, l’Azerbaïdjan est poussé à la fuite en avant nationaliste. Le pays a bien tenté ces derniers mois d’exister sur la scène internationale par les compétitions sportives en mode démagogique : grand prix de F1 à Bakou, tenue de matchs de la coupe d’Europe de football, participation aux championnats d’échecs, etc… mais aucune de ces tentatives n’a suscité d’entrain populaire.

Les réseaux sociaux azéris, plus libres que les médias en termes de contrôle de la parole, ont vu fleurir ces derniers mois les critiques acerbes contre la corruption du régime et son caractère cosmopolite décadent, au point même que la presse arménienne a pu largement contribuer à diffuser toutes les nouvelles permettant de discréditer le régime.

Bien sûr, cela se heurte au fait que le plus grand titre de gloire d’Ilham Aliev est l’écrasante victoire obtenue sur l’Arménie, en particulier la reconquête symbolique de Chouchi/Shusha.

Bloqué sur toutes les autres voies, le régime ne cesse ainsi de radicaliser sa position face à l’Arménie et multiplie les provocations et les tentatives d’intimidation contre son voisin. Malgré la position officielle, qui voudrait que la question du Karabagh serait réglée pour Bakou, la propagande chauvine et raciste anti-arménienne ne cesse ainsi de gagner en ampleur.

Et les accrochages meurtriers à la frontière Arménie-Azerbaïdjan ont été nombreux.

De l’autre côté, en Arménie, Nikol Pashinyan est parvenu à se maintenir au pouvoir malgré la défaite, sur la même ligne nationale-libérale. Il faut voir que l’ancien régime militariste pro-russe est très largement déconsidérée dans la population, notamment la jeunesse, mais aussi que Nikol Pashinyan a révisé ses positions en partie.

D’un côté, il s’est aligné officiellement sur Moscou, réclamant même que les frontières avec l’Azerbaïdjan soient désormais gardées par l’armée russe, comme le sont déjà les frontières avec la Turquie. C’est là quelque chose de très clair.

La position militaire de la Russie dans le secteur n’a pour cette raison jamais été aussi forte.

Mais de l’autre, il poursuit néanmoins sa politique pro-européenne : multipliant les accords avec l’Allemagne, notamment en terme de liaison aérienne, et avec la France, en terme de coopération militaire. L’immense ambassade des États-Unis à Yerevan se fait aussi plus active.

En résumé, on a donc un Azerbaïdjan puissant, grand acheteur d’armements et où s’ouvre d’immenses chantiers délirants en terme de BTP financés à coup de pétrodollars, avec tout un projet devant faire de Chouchi/Shusha une ville moderne à l’équipement complet en terme d’infrastructures.

La Turquie notamment cherche à s’y faire une place, voire à satelliser l’Azerbaïdjan, mais elle est dépassée en terme de capitaux par les moyens de l’Allemagne et de ses alliés, notamment la Suisse et l’Autriche, soucieux de renforcer leurs positions dans ce pays.

La Suisse est de fait un élément clef de toutes les finances d’Azerbaïdjan, qui vient d’ailleurs d’ouvrir un bureau commercial en Israël.

L’Arménie de son côté n’est qu’une bonne affaire que chacun soutient en vue de faire pression sur Bakou afin de pousser le régime à toujours plus de dépendance, de militairisme et de corruption, entraînant l’Arménie sur la même pente.

Mais avec la confrontation ouverte qui se dessine entre le bloc britannico-américain et les pays favorables à Pékin, Russie et Iran notamment, la situation risque bien de virer du tragique à l’apocalyptique.

L’Iran a annoncé la semaine passée sa volonté d’intervenir au Karabagh pour assurer la paix, afin d’éviter que l’Azerbaïdjan ne bascule trop nettement dans le camp occidental, ou du moins afin de verrouiller la situation, là aussi en instrumentalisant l’Arménie contre Bakou.

Il faut voir que pour Téhéran il y a là une question essentielle : tout le nord du pays autour de Tabriz consiste en une zone turcophone traditionnellement instable, voire hostile, qui est d’ailleurs l’Azerbaïdjan historique, le pays nommé aujourd’hui « Azerbaïdjan » n’en étant que le prolongement Transcaucasien.

Il faut également souligner que l’Afghanistan, en proie à un désastre depuis sa conquête par la superpuissance soviétique en 1979, est en train de tomber de nouveau aux mains des Talibans, avec pour le coup cette fois un appui chinois.

Toute offensive ouverte dans le Golfe persique contre l’Iran aura donc nécessairement des répercussions dramatiques en Transcaucasie d’un côté, vers l’Afghanistan de l’autre, et dans tous les cas notamment sur l’Arménie, dont l’existence ne tient de plus en plus qu’aux intérêts instables et aux manœuvres machiavéliques des puissances engagées dans ces conflits.

Il n’y a là pourtant aucun « plan » justement, c’est littéralement le sac de nœuds et l’issue, c’est la guerre et le déchirement de la région, tout cela pour satisfaire les intérêts des grandes puissances.

Et la clef, ce qui décide de la tendance générale, c’est l’affrontement entre la superpuissance américaine et son challenger chinois.

Les autres affrontements sont ce même affrontement, indirect et oblique, avec comme objectif de « bloquer » l’influence de la Chine et de ses soutiens plus ou moins alignés sur un front coupant le Proche-Orient sur cet axe mer Noire-Golfe Persique d’une part et d’autre part dans le Pacifique.

Le long de ces « fronts » la superpuissance américaine et ses alliés allument des foyers de tensions visant à multiplier les crises et à fragiliser toujours plus Pékin, alors que la Mer de Chine devient un point névralgique. L’Allemagne vient d’ailleurs d’y envoyer une frégate d’attaque et l’Inde envoie elle quatre navires de guerre de première ligne.

Le dispositif de guerre, avec des visées impériales, s’installe de manière plus forte, plus complexe, et comme avant 1914, les masses sont aveugles encore… d’où la nécessité, comme à l’époque, d’assumer les fondements de la Gauche historique et de présenter cette actualité, de la dénoncer, de la combattre!

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L’Allemagne choisit la Russie, les Etats-Unis cèdent sur l’Ukraine

L’Allemagne a réussi à revenir au centre du jeu dans le conflit Russie-Ukraine.

Test le 19 juillet 2021 du missile de croisière hypersonique russe Tsirkon

« Trahison » : voici comment le journal Kyiv Post – un média fondé aux États-Unis traitant de tout ce qui concerne l’Ukraine avec une ligne pro-occidentale agressive – résume la visite de la chancelière allemande Angela Merkel aux États-Unis. En effet, le président américain Joe Biden a fini, contrairement à certaines attentes, par céder et à accepter l’existence du Nord Stream 2, un gazoduc germano-russe passant par la mer Baltique, doublant le Nord Stream 1 déjà existant.

Or, la principale conséquence est que les gazoducs venant de Russie passaient jusqu’ici principalement par l’Ukraine, et perdent leur importance. L’un des éléments importants donnant de la valeur à l’intégrité territoriale ukrainienne aux yeux des pays européens disparaît.

Les gazoducs provenant de Russie

Les 1200 km du gazoduc Nord Stream 2 étaient en passe d’être terminés, mais les États-Unis avaient bien insisté pour dire que ce n’était pas une raison et qu’il était encore temps de l’arrêter. L’objectif américain était d’isoler la Russie ; stopper Nord Stream 2 quasiment terminé, c’était établir une détermination sans faille contre la Russie, réaliser un vrai bloc européen.

L’opération a échoué. En Allemagne la bataille interne, très remuante, a tourné à la victoire des tenants de l’affirmation hégémonique, contre une soumission – intégration aux États-Unis. Le choix a été fait d’exiger la mise en place de Nord Stream 2. Comme le constate l’éditorial du Monde du 23 juillet 2021, c’est toute la diplomatie européenne dans son opposition à la Russie qui tombe à l’eau.

Le désarroi ukrainien est, de fait, très grand. Il y a peu le pays était sur des charbons ardents, gonflé à bloc, prêt à en découdre avec la Russie en s’estimant soutenu par toute l’Union européenne et les États-Unis. Fin juillet, le pays se retrouve clairement comme un pion qui a été plus ou moins abandonné.

Officiellement, bien sûr, ce n’est pas le cas. Victoria Nuland, la numéro trois du département d’État américain, a résumé comme suit l’accord germano-américain du 21 juillet 2021 :

« Si la Russie devait tenter d’utiliser l’énergie comme une arme ou commettre d’autres actes agressifs à l’égard de l’Ukraine, l’Allemagne s’engage, dans cet accord avec nous, à prendre des mesures au niveau national, et à faire pression pour des mesures efficaces au niveau européen, y compris des sanctions pour limiter les capacités d’exportation russes vers l’Europe dans le secteur énergétique. »

Si les choses se passent rapidement sur le terrain, un tel engagement ne signifie pourtant pas grand chose, l’Ukraine le sait bien.

De toutes façons, l’Allemagne, la principale puissance européenne, décidera comme elle l’entend. C’est d’autant plus vrai que toute l’Europe de l’Est et du Sud dépend du gaz russe. L’Allemagne et son satellite autrichien ont donc vite fait de prendre partie.

Et si l’accord russo-ukrainien sur le transit du gaz finit en 2024 et si l’accord germano-américain prévoit que l’Allemagne soutienne la reconduite du contrat pour dix ans, cela veut simplement dire que l’Allemagne compte passer à l’offensive pour littéralement faire passer sous sa coupe toute cette région du monde, en partenariat avec la Russie.

On peut ainsi constater ici que la vaste offensive de l’OTAN contre la Russie, si puissante il y a quelques jours, quelques semaines, vient de se voir mettre en échec par les contradictions germano-américaines. On a ici un moment clef avec une affirmation profondément agressive de l’Allemagne comme grande puissance avec des visées hégémoniques.

La Russie a accompagné ce processus de manière prononcée.

Le 16 juillet 2021, à Tachkent en Ouzbékistan, les ministres des affaires étrangères chinois et russe, Wang Yi et Sergueï Lavrov, se sont rencontrés, soulignant l’entente sino-russe et son opposition à une « stratégie indo-pacifique » emplie d’une « mentalité de Guerre froide ». Sergueï Lavrov a mis en valeur que :

« Les relations sino-russes sont à leur meilleur niveau dans l’histoire et elles ne constituent pas une alliance militaro-politique similaire à celles forgées pendant la période de la Guerre froide, mais un nouveau type de relations bilatérales. »

Le 19 juillet s’est tenue une réunion sur le développement stratégique russe et le premier vice-Premier ministre russe Andreï Belousov a affirmé que le transit maritime par l’Arctique passerait de 1,3 million de tonnes en 2020 à 30 millions de tonnes en 2030.

Le même jour a eu lieu le test d’un nouveau missile hypersonique, Tsirkon, lancé depuis la frégate Admiral Gorshkov contre une cible de surface à 350 km. Tsirkon a atteint Mach 7. Ce missile de croisière, dont la vitesse maximale est Mach 8 (10.780 km/h), peut parcourir 600 kilomètres à une moyenne de 6 000 km/h ; il doit équiper tous les sous-marins et tous les navires de surface de l’armée russe.

L’armée russe a également mis en place l’étude systématique par son personnel de l’article sur l’Ukraine du président russe Vladimir Poutine. Rappelons que l’existence de l’Ukraine comme nation indépendante y est niée.

Et lors du Salon international aérospatial MAKS 2021, s’ouvrant le 20 juillet 2021, l’armée russe a présenté le Soukhoï Su-75, surnommé Checkmate. Ce chasseur de haute qualité, sorte d’équivalent low cost du Rafale français, doit être produit à partir de 2025 pour être exporté. C’est un élément essentiel dans une politique hégémonique que d’être capable de fournir du matériel de guerre à ses satellites.

Le Soukhoï Su-75

La Russie a donc réussi à échapper à une offensive de l’OTAN et à renverser la partie par l’intermédiaire de l’Allemagne. Désormais, elle redevient la menace principale dans la région, avec clairement un risque pour l’unité territoriale ukrainienne.

Et la tension principale se déplace. Il est évident que les États-Unis entendent éviter deux fronts. Une seconde réunion au sommet américano-russe a d’ailleurs été mis en place en urgence et doit se tenir dans quelques jours ; comme celle du 16 juin 2021, elle se tiendra à Genève.

Il faut donc désormais porter une attention significative à la mer de Chine, puisque l’affrontement sino-américain direct redevient, comme sous Donald Trump, l’aspect principal. Et déjà le 20 juillet le Royaume-Uni a annoncé le déploiement permanent de deux navires de guerre en mer de Chine…

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Le chef d’état-major des armées nomme les ennemis: Turquie, Iran, Russie, Chine

C’est une véritable agression idéologique et diplomatique.

Le Figaro Magazine a interviewé le général Lecointre, dans son numéro du week-end du 16-17 juillet 2021.

C’est que chef d’état-major des armées (Cema) depuis 2017, le général Lecointre a en fait choisi de partir afin de ne pas avoir un mandat qui corresponde à celui du président de la République Emmanuel Macron. C’est bien entendu un acte d’indépendance, sous-entendu : l’armée obéit au chef de l’Etat mais ne se confond pas avec lui ni avec sa personne. On doit littéralement parler de défiance d’ailleurs, car en France la dimension « personnelle » du président de la République est fondamentale.

Pour donner un exemple de cela, dans l’interview, le général Lecointre se permet une pique, pour souligner qu’Emmanuel Macron ne parle pas le « langage » de l’armée. C’est anecdotique, mais très révélateur :

« Pour annoncer la fin de Barkhane, le président Macron dit : « Notre présence sous forme d’opération extérieure n’est plus adaptée à la réalité des combats. » Qu’est-ce que cela signifie ?

Sa phrase a suscité une certaine interrogation dans les armées parce que l’expression « opération extérieure » correspond à un statut. Cet encadrement juridique est essentiel et il protège nos soldats engagés à l’extérieur de nos frontières.

En fait, ce que le chef de l’État a voulu dire, c’est qu’il ne fallait plus que la France combatte seule face à un ennemi identifié susceptible de conquérir tout le pays, comme ce fut le cas au déclenchement de Serval. On passe de cette logique-là à une autre dans laquelle l’armée française ne doit plus être en première ligne. »

La réponse n’a pas satisfaite le Figaro, du moins en apparence puisque on peut être certain que les questions avaient l’accord du général, en fonction des messages à faire passer. Et, donc, en rapport avec la réponse précédente, il est bien entendu parler de la Russie et de la Chine, puisque c’est la vraie raison de la fin de Barkhane :

« Les coups d’État successifs au Mali ont-ils changé la donne ?

La légitimité de notre engagement repose sur le fait d’opposer une vision de stabilisation et de développement de l’Afrique fondée sur l’état de droit et la démocratie à celle des islamistes tenants d’un État religieux dur.

Notre conception s’oppose également à celles portées par la Russie ou la Chine qui sont dans une logique de prédation et se désintéressent de la légitimité du pouvoir en place et du respect de l’état de droit.

Ces valeurs universelles donnent un sens à la mission de nos soldats et j’y tiens beaucoup. »

C’est là le coup classique du « bon » conquérant par rapport au mauvais. Au-delà, il y a le fait de nommer de manière ouverte des « ennemis ». Le général Lecointre en nomme d’autre encore, en mentionnant de nouveau la Russie :

« Les confrontations avec des acteurs régionaux – Turquie, Iran, Russie – vont être de plus en plus dures et de plus en plus fortes.

Elles se rapprochent de nous. La France ne peut imaginer qu’elle va rester à l’écart comme dans une bulle protégée. »

On peut dire que, pour la première fois, un général français, le numéro 1 même (ou 2 si on place le président de la République avant, administrativement parlant), nomme de manière ouverte les protagonistes ou plus exactement les ennemis de la guerre que va mener la France.

C’est historique.

Mentionnons pour conclure, car c’est d’un grand intérêt, l’élan lyrique du général qui parvient à résumer de manière parfaite la mentalité militaire française. C’est là un tour de force, car l’idéologie de l’armée française est tellement existentialiste qu’elle est complexe à définir. Le général Lecointre y arrive très bien :

« Le militaire s’isole dans la société?

Je ne crois pas. Il est différent. Et sa différence peut provoquer une incompréhension. Une incompréhension à sens unique. Le militaire comprend la société dont il est issu mais le civil, qui ignore souvent comment les armées transforment les hommes, ne comprend pas le militaire.

Antoine de Saint-Exupéry a écrit (il ouvre un vieux cahier où il note des citations depuis qu’il était élève d’hypokhâgne) : « Il n’y a qu’un problème, un seul de par le monde : rendre aux hommes une signification spirituelle des inquiétudes spirituelles. »

Les armées, parce qu’elles ont cette communauté de vie et cette proximité avec la perspective de la mort, sont naturellement enclines à des inquiétudes spirituelles. »

C’est vraiment très bien tourné. On ne peut absolument pas comprendre l’armée française si on ne comprend pas que son moteur idéologique est l’inquiétude quant à une transcendance, d’où le fait qu’elle se permette d’intervenir au nom d’une exigence morale « supérieure ». Le coup d’Etat de 1958, celui de 1961, mais c’est vrai également avant… ne relèvent pas tant d’une logique « militariste » que d’une sorte d’impulsion idéologique spiritualiste découlant en militarisme.

Si on ne comprend pas cela, on ne peut pas saisir les ressorts de l’armée française ni comprendre le sens de la « mission » que s’est donné le général de Villiers… Ni comprendre la fascination d’une large partie de la population française pour l’armée comme garante des valeurs, réelle éducatrice, lieu de fraternité au-delà de la souffrance et de la mort, etc.

C’est littéralement du socialisme inversé en communautarisme autoritaire et le fascisme français, historiquement totalement spiritualiste, a ici un bastion inexpugnable.

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Avertissement russe au Royaume-Uni et grand ménage intérieur ukrainien

Les plaques tectoniques continuent de se mouvoir.

Le 14 juillet 2021, Mikhail Popov, secrétaire député du Conseil de Sécurité de la Russie, a abordé la question de l’incident avec le navire de guerre britannique HMS Defender, en Mer Noire, dans les eaux de la Crimée (conquis à l’Ukraine par la Russie et annexée). Dans une interview accordée à la Rossiiyskaya Gazeta, un média institutionnel, il a donné un grand avertissement :

« Des actions similaires seront contrecarrées à l’avenir par les méthodes les plus dures de la part de la Russie, quelle que soit l’allégeance étatique du contrevenant. Nous suggérons à nos opposants de bien réfléchir à la pertinence d’organiser de telles provocations compte tenu des capacités des forces armées russes. »

Il a spécifiquement nommé deux figures institutionnelles britanniques, le premier ministre Boris Johnson et le secrétaire d’État aux affaires étrangères Dominic Raab, abordant ouvertement le sort des soldats britanniques :

« Ce ne sont pas les membres du gouvernement britannique qui seront à bord des navires et navires utilisés à des fins de provocation. Et c’est dans ce contexte que je veux poser une question aux mêmes Boris Johnson et Dominic Raab – que diront-ils aux familles des marins britanniques qui seront blessés au nom de si « grandes » idées? »

C’est là un avertissement très clair.

Du côté ukrainien, il y a eu un événement capital, puisque le ministre de l’Intérieur Arsen Avakov  a été débarqué. Il faut s’imaginer ce que cela peut représenter, en prenant compte les faits suivants au sujet de Arsen Avakov :

– il était ministre de l’Intérieur depuis 2014 ;

– il a été nommé dans le gouvernement provisoire issu de la révolte de l’Euromaïdan ;

– il a survécu à des dizaines de scandales, de protestations contre lui ;

– la Garde Nationale de 60 000 hommes et des dizaines de bataillons de volontaires mis en place étaient sous sa direction directe, notamment le fameux bataillon Azov, lui-même étant lié au dirigeant nationaliste Andriy Biletsky ;

– il accompagnait souvent l’actuel président ukrainien Volodymyr Zelensky au début de sa présidence et jouait un rôle essentiel dans la politique ukrainienne comme représentant de la ligne offensive anti-russe.

On peut pratiquement parler de coup d’État, dans le prolongement de l’exigence américaine de mettre au pas les oligarques. La grande question actuellement en Ukraine est de connaître le prochain rôle d’Arsen Avakov.

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Les discours de rupture Russie-Ukraine

Chaque pays dénie l’existence de son voisin, servant la guerre.

C’est secondaire en ce qui concerne la menace internationale de guerre, mais il est important de se pencher sur les discours servant à légitimer la guerre. La Russie et l’Ukraine, depuis quelques semaines, développent un discours fanatique. Aux yeux de la Russie, l’Ukraine n’existe pas, ce sont de vagues paysans russes en périphérie. Pour l’Ukraine, la Russie est un monstre avec laquelle elle n’aurait jamais eu de rapport. Ce sont des visions fantasmagoriques, intenables heureusement pour les populations russe et ukrainienne. C’est cependant un véritable danger.

Le 12 juillet 2021, le président russe Vladimir Poutine a publié un long article intitulé « Sur l’unité historique des Russes et des Ukrainiens ». Initialement, il constate bien que les Ukrainiens n’ont pas choisi de s’aligner sur la Pologne devenant catholique, qu’ils sont restés dans le style slave orthodoxe, dans la perspective russe historique, d’ailleurs née à Kiev, la capitale de l’Ukraine actuelle.

Puis, il affirme que la Russie a été volée par les bolcheviks, qui ont arraché l’Ukraine pour en faire une entité fictive. Il faut se rappeler ici que l’ukrainisation organisée par les bolcheviks est la base même de l’affirmation nationale ukrainienne, étant donné que le pays était auparavant totalement réprimé par le Tsar. La reconnaissance nationale de l’Ukraine par les bolcheviks est inacceptable pour Vladimir Poutine qui regrette clairement l’ancien tsar.

« Dans les années 1920 et 1930, les bolcheviks ont activement promu la politique d' »indigénisation », qui a été menée en RSS d’Ukraine sous le nom d’ukrainisation. Il est symbolique que dans le cadre de cette politique, avec l’assentiment des autorités soviétiques, M [ykhaïlo]. Hrushevsky, l’ancien président de la Central Rada, l’un des idéologues du nationalisme ukrainien, qui a jadis bénéficié du soutien de l’Autriche-Hongrie , est retourné en URSS et a été élu membre de l’Académie des sciences.

« L’indigénisation » a incontestablement joué un grand rôle dans le développement et le renforcement de la culture, de la langue et de l’identité ukrainiennes. Dans le même temps, sous couvert de combattre le soi-disant chauvinisme des grandes puissances russes, l’ukrainisation était souvent imposée à ceux qui ne se considéraient pas comme Ukrainiens. 

C’est la politique nationale soviétique – au lieu d’une grande nation russe, un peuple trinitaire composé de Grands Russes, de Petits Russes et de Biélorusses – qui a consolidé la disposition sur trois peuples slaves distincts au niveau de l’État : russe, ukrainien et biélorusse.

En 1939, les terres précédemment saisies par la Pologne sont restituées à l’URSS. Une partie importante d’entre eux est annexée à l’Ukraine soviétique. En 1940, une partie de la Bessarabie, occupée par la Roumanie en 1918, et le nord de la Bucovine sont entrés dans la RSS d’Ukraine. En 1948 – l’île aux serpents sur la mer Noire. En 1954, la région de Crimée de la RSFSR a été transférée à la RSS d’Ukraine – en violation flagrante des normes juridiques en vigueur à l’époque.

Je parlerai séparément du sort de la Russie subcarpatique, qui, après l’effondrement de l’Autriche-Hongrie, s’est retrouvée en Tchécoslovaquie. Une partie importante des résidents locaux étaient des Rusynes. On se souvient peu de cela maintenant, mais après la libération de la Transcarpatie par les troupes soviétiques, le congrès de la population orthodoxe de la région a appelé à l’inclusion de la Rus subcarpatique dans la RSFSR ou directement dans l’URSS – en tant que république distincte des Carpates. Mais cette opinion des gens a été ignorée. 

Et à l’été 1945, il a été annoncé – comme l’écrit le journal « Pravda » – l’acte historique de la réunification de l’Ukraine transcarpathique « avec sa patrie de longue date – l’Ukraine ».

Ainsi, l’Ukraine moderne est entièrement le fruit de l’ère soviétique. Nous savons et nous nous souvenons qu’il a été créé dans une large mesure aux dépens de la Russie historique. Il suffit de comparer quelles terres ont été réunies à l’État russe au XVIIe siècle et avec quels territoires la RSS d’Ukraine a quitté l’Union soviétique.

Les bolcheviks considéraient le peuple russe comme un matériau inépuisable d’expérimentations sociales. Ils rêvaient d’une révolution mondiale qui, à leur avis, abolirait complètement les États-nations. Par conséquent, les frontières ont été arbitrairement coupées et de généreux « cadeaux » territoriaux ont été distribués.

 En fin de compte, ce qui a guidé exactement les dirigeants des bolcheviks, coupant le pays, n’a plus d’importance. Vous pouvez discuter des détails, du contexte et de la logique de certaines décisions. Une chose est claire : la Russie a en fait été volée. »

Conclusion : l’Ukraine doit revenir à la Russie et Vladimir Poutine donne comme exemple de rapport… celui des États-Unis et du Canada modèle, celui de l’Allemagne et de l’Autriche. C’est ni plus ni moins qu’un appel à une satellisation, à une pseudo-indépendance.

Du côté ukrainien, on n’est pas en reste. Le ministre de la réintégration des territoires temporairement occupés d’Ukraine, Oleksiy Reznikov, a affirmé que 500 000 Russes se sont installés en Crimée depuis l’annexion en Russie : ils seront expulsées par la force une fois le territoire repris. On peut comprendre la logique de la démarche, cependant l’approche est uniquement militariste : il s’agit de faire de la Crimée une sorte de vaste base militaire anti-russe.

D’où la nouvelle loi sur les minorités nationales, plus précisément sur les peuples indigènes d’Ukraine. On parle ici des Tatars de Crimée, des Karaïtes et des Krymchaks. Il s’agit de trois communautés turcophones de Crimée, les deux dernières consistant en des petites communautés juives de moins de deux mille personnes. Voici un exemple de ce que donne culturellement les Krymchaks.

La reconnaissance des cultures est une bonne chose, si elle vise à l’échange, à la fusion, mais malheureusement l’Ukraine fait clairement cela pour s’allier à la Turquie et lancer une opération commune de récupération de la Crimée. C’est la reprise de ce qu’avaient tenté avec un certain succès l’Allemagne nazie (puis la Turquie pro-américaine juste après 1945), aboutissant à la déportation de 180 000 Tatars de Crimée à l’intérieur de l’Union Soviétique.

L’Ukraine fait ainsi d’une pierre deux coups. La loi sur les indigènes permet d’accentuer le rapprochement avec la Turquie.

Et la loi sur les indigènes n’intègre pas les Russes du pays et ne protège donc pas leur langue, visant à casser tout lien avec la Russie. La langue russe est désormais chassée de l’éducation, des médias et des entreprises. Cela ne peut pas être unilatéral bien sûr de par le poids du russe à travers le pays, principalement dans la partie orientale (d’ailleurs le buteur de l’euro Artem Dovbyk s’est fait réprimandé pour avoir répondu en russe à une interview lors de l’euro 2020 cet été 2021).

On notera qu’il y a également ici une question slave qui est en jeu. Après la scission silencieuse tchèque-slovaque, l’affrontement meurtrier croate-serbe, la cassure entre la Russie et l’Ukraine marquerait la destruction définitive d’une aire culturelle.

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Hypothèse d’engagement majeur: la France double le budget de la Défense

La crise implique inéluctablement la guerre.

C’est une information relayée ici et là par les médias français, à la suite de la traduction par Courrier International d’un article de The Economist, un magazine britannique. C’est intéressant comme parcours, car cela montre comment cette information est originellement passée sous silence, et pour cause ! Elle est trop claire dans ses fondements. C’est tout le militarisme français qui s’expose, impudemment.

Voici comment Valeurs Actuelles, l’hebdomadaire ultra-conservateur, résume cela, sans fards.

« L’état-major français a même lancé, en janvier 2021, dix groupes d’études « chargés d’analyser la capacité du pays à faire face » à ce type de « HEM » – comprendre, « hypothèse d’engagement majeur ». Parmi les sujets traités par ces groupes de recherche, déterminer si les Français sont « prêts à accepter un niveau de pertes inconnu depuis la Seconde guerre mondiale » (…).

« Les opérations futures pourraient impliquer des brigades, ou une division, soit entre 8 000 et 25 000 soldats », explique The Economist. D’ici là, il s’agit de moderniser l’équipement, via le programme Scorpion – budgété à hauteur de 5,7 milliards d’euros. Concrètement, l’état-major entend remplacer « tous les engins blindés et motorisés de première ligne » (…).

Un gigantesque entraînement devrait avoir lieu en Champagne-Ardenne en 2023. Sous le nom de code « Opération Orion », 10 000 soldats français [en fait peut-être jusqu’à 25 000] devraient y participer à des exercices de simulation, incluant opérations de déploiement et tirs à balles réelles.

Concomitamment, précise le magazine britannique, le budget attribué à la Défense par l’Etat va quasiment doubler : d’ici à 2025, il devrait atteindre 50 milliards par an, soit une augmentation de 46% par rapport à 2018. »

Voilà qui est tout à fait clair. Et on notera que le média russe Spoutnik présente directement cette question en la reliant à la question de la guerre de l’OTAN contre la Russie, dans son article Les faiblesses de l’armée française en cas de conflit entre l’Otan et la Russie inquiètent aux USA faisant référence à une évaluation de l’armée française par un très important think tank américain.

Est-ce juste ? Oui et non, car le conflit entre l’OTAN et la Russie, à travers la question ukrainienne, est déjà brûlant. Mais c’est tendanciellement vrai, parce que les choses changent très rapidement, au point que le sens d’un exercice militaire change de mois en mois, même de semaine en semaine. C’est le principe même du militarisme que d’être à la fois très concret matériellement et particulièrement volatile dans sa substance. Alliances, retournements d’alliances, pauses, accélérations… Comme avant 1914, tout cela se déroule sur un fond de crise.

On avait ainsi les États-Unis de Donald Trump désireux de pratiquer l’isolationnisme et de se focaliser sur la Chine uniquement, alors qu’avec Joe Biden la ligne est interventionniste avec l’OTAN et vise la Russie en priorité… La France et l’Allemagne sont proches de la Russie et en même temps pas du tout…

L’important, pour chaque militarisme, c’est d’élever le niveau, d’être prêt à la confrontation. Et, d’ailleurs, ces exercices relèvent eux-mêmes de la confrontation. Le général Lecointre, chef d’état-major des Armées, l’exprime de manière très franche.

Nous prévoyons […] d’organiser en 2023 un exercice, dénommé Orion, qui sera multi-milieux, interarmées, interallié, de niveau divisionnaire et qui impliquera 17’000 à 20’000 hommes et 500 véhicules de l’armée de Terre, deux porte-hélicoptères amphibies, le porte-avions Charles-de-Gaulle pour la Marine et 40 avions de l’armée de l’Air et de l’Espace (…).

Les exercices que cette préparation nous amène à réaliser constituent, en eux-mêmes, une forme de démonstration de puissance, donc de confrontation.

La France va à la guerre, c’est une évidence. Qui ne fait pas du thème de la guerre un sujet récurrent n’a pas saisi le cours de l’Histoire.

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Mer Noire : Poutine accuse les États-Unis et lance un avertissement dans un regain de tension

Le président russe a été très diplomate sur la forme, ultra-violent sur le fond.

Ce sont d’impressionnantes photos que le ministère de la Défense des Pays-Bas a diffusé à la toute fin juin 2021. On y voit de vraiment très près des chasseurs russes, pour ce qui s’est déroulé parallèlement à l’affaire du HMS Defender, un navire britannique ayant provoqué la Russie sur la côte de Crimée.

En fait, de la même manière, le même jour, la frégate néerlandaise HNLMS Evertsen a navigué au sud-est de la Crimée et a subi pendant cinq heures des passages multiples d’avions russes. Le ministère de la Défense des Pays-Bas a affirmé que les avions avaient même feint des attaques.

Pourquoi le ministère de la Défense des Pays-Bas ne donne-t-il l’information qu’une semaine après? Tout simplement parce que, depuis l’échec de la Russie dans sa tentative de montée de la tension avec l’Ukraine, la pression de l’OTAN est énorme. Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne poussent à la guerre face à un ennemi qui s’est raté et chaque jour apporte son lot de contribution à une guerre psychologique pour faciliter la mise en place de la guerre.

D’ailleurs, lors du sommet de l’Union Européenne, le 25 juin 2021 à Bruxelles, la chancelière allemande Angela Merkel (appuyée par le chancelier autrichien Sebastian Kurz) et le président français Emmanuel Macron ont bien tenté de proposer une rencontre avec le président russe Vladimir Poutine, mais ils se sont fait rejeter. Les 27 pays de l’Union Européenne sont très largement passés sous le contrôle de l’OTAN et de sa ligne anti-russe.

La Russie s’est prise les pieds dans le tapis face à l’Ukraine, elle connaît une terrible crise sanitaire en raison de la pandémie, l’Ukraine peut servir de chair à canon… Il y a toutes les raisons pour pousser à la guerre de la part de toute une série de pays, Etats-Unis et Grande-Bretagne en tête.

Le président russe Vladimir Poutine a donc remis de l’huile sur le feu le 30 juin 2021, lors d’une grande interview à la télévision russe. Il a expliqué que ce qu’a fait la Grande-Bretagne avait été une provocation. Il a ajouté que cette provocation avait été manigancée en commun avec les Etats-Unis. Et il a ouvertement parlé de couler le navire britannique, expliquant que cela n’aboutirait pas à une guerre, qui serait totale et qui par conséquent n’aurait pas lieu.

C’est une banalisation ouverte d’un conflit armé, en présentant les choses comme si de toutes façons il serait limité. C’est pratiquement une invitation, même.

«Vous avez dit que le monde était au bord d’une guerre mondiale. Bien sûr que non.

Même si nous avions coulé ce navire, il serait encore difficile d’imaginer que le monde serait au bord d’une Troisième Guerre mondiale, parce que ceux qui le font savent qu’ils ne peuvent pas sortir victorieux de cette guerre. C’est une chose très importante.  

Je ne pense pas que nous serions contents du développement des événements dont vous parlez, mais au moins nous savons pour quoi nous nous battons.

Nous nous battons pour nous-mêmes, pour notre avenir sur notre territoire.

Ce n’est pas nous qui sommes venus vers eux à des milliers de kilomètres, qui sommes venus par les airs ou par la mer.

Ce sont eux qui se sont approchés de nos frontières et ont violé nos eaux territoriales.

Voici le passage où Vladimir Poutine explique cela, mis en ligne par le média russe Spoutnik, qui déverse une propagande pro-russe de manière ininterrompue, avec comme public un extrême-Droite viriliste, « occidentaliste », etc.

Vladimir Poutine a alors tenté de développer une théorie en faveur de l’expansionnisme russe, de la manière suivante. La Russie aurait eu le malheur de faire des manœuvres militaires à côté de l’Ukraine, ce qui aurait fait peur et donc celles-ci auraient été stoppées. Mais l’OTAN en voudrait toujours plus et a comme réponse d’ailleurs de mener des manœuvres militaires en Mer Noire.

Au passage, il a d’ailleurs expliqué.

«À quoi bon rencontrer Zelensky, s’il a abandonné son pays à un contrôle total depuis l’étranger? Les questions clés, vitales pour l’Ukraine, ne sont pas résolues à Kiev mais à Washington. Et dans une certaine mesure à Paris et Berlin.

Cela est tout à fait vrai, mais les manœuvres militaires russes – littéralement les préparatifs d’une invasion – ont largement contribué à cette soumission aux Etats-Unis et à l’OTAN. Et Vladimir Poutine parle de la Crimée comme russe, alors que sur le plan du droit international, c’est un territoire ukrainien.

Tant l’expansionnisme russe que l’OTAN sont ici de sacrés monstres. Tous deux expriment un militarisme provoqué par une crise mondiale qui, loin de se terminer, prolonge ses ramifications dans tous les domaines.

Et ici, en fait, l’expansionnisme russe par l’intermédiaire de Vladimir Poutine dit ouvertement qu’il est prêt à faire la guerre pour conserver la Crimée… Qu’un affrontement localisé serait sans conséquences mondiales. Que, donc, les hostilités peuvent bientôt commencer…

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Il y a trente ans mourait la Yougoslavie

La haine et le meurtre l’emportèrent.

Il y a trente ans, le 26 juin 1991, le gouvernement yougoslave d’Ante Marković prenait la décision d’envoyer l’Armée populaire yougoslave en Slovénie pour assurer les frontières territoriales du pays, alors que la veille le gouvernement slovène avait affirmé l’indépendance du pays et la prise de contrôle de l’administration. La Croatie avait le même jour affirmé son indépendance elle aussi.

Cette initiative sécessionniste fut immédiatement appuyée de manière forcenée par l’Allemagne et l’Autriche. Les ministres des affaires étrangères de ces pays, Hans Dietrich Genscher et Alois Mock, reçurent à ce titre dans la foulée la plus grande décoration de la Slovénie devenue indépendante.

En apparence, cette initiative expansionniste allemande et autrichienne ne faisait qu’appuyer des référendums en faveur de l’indépendance (88% pour l’indépendance avec 94% de participation en Slovénie le 23 décembre 1990, 93,24% en faveur d’une Croatie indépendante dans une Confédération avec 83,56% de participation le 19 mai 1991).

Mais c’était simplement que la fièvre nationaliste avait emporté les Balkans, au grand dam de la minorité de démocrates tel Djordje Balasevic.

L’Armée populaire yougoslave tenta de contrôler les frontières slovènes, alors que de son côté l’Autriche militarisait sa frontière avec la Slovénie. L’aéroport de Ljubljana fut bombardé, l’intervention de l’Etat central fit 80 morts, mais surtout cela enclencha le début d’une guerre civile à l’échelle du pays.

Après un moment de pause, avec notamment l’intervention des pays occidentaux comme médiateurs, la question slovène céda la place à un affrontement meurtrier, fratricide, entre Croates et Serbes, avec les Bosniaques prisonniers au milieu, dans un endroit du monde où les peuples vivaient côte à côte sans répartition territoriale homogène. La Yougoslavie, en 1990, c’est 23 millions de personnes avec 36 % de Serbes, 20 % de Croates, 9 % de Musulmans (en tant que nationalité, pas en tant que minorité religieuse), 8 % de Slovènes, 8 % d’Albanais, 6 % de Macédoniens, 13 % de gens d’autres nationalités.

La situation des nations yougoslaves en 1990

On doit en fait considérer la guerre en Yougoslavie comme une guerre de purification ethnique. Le pays avait tenu initialement comme promesse d’unité slave puis comme bloc appuyé par les Etats-Unis pour faire contrepoids à l’URSS. Avec l’effondrement de l’URSS les nationalismes l’emportèrent, mais comme il y avait des zones peuplés par les uns et les autres, ce fut un déferlement de haine sanglante. Jusqu’au aujourd’hui le nationalisme hante la région, dans la démesure de la fascination pour la destruction.

La Serbie a notamment basculé dans le fanatisme, et ce malgré un pays aujourd’hui à l’agonie, satellisé en partie par la Chine, avec un Serbe sur trois vivant à l’étranger pour des raisons économiques. En soutenant la Croatie à la finale de la coupe du monde de football 2018, le joueur de tennis serbe Novak Djokovic a pratiquement fait acte d’héroïsme.

Ce fut donc la Bosnie-Herzégovine qui fut le cœur de l’affrontement (et ce jusqu’à aujourd’hui).

Les religions en Bosnie-Herzégovine en 2013, reflétant un découpage national-ethnique suivant la guerre (source Wikipédia), avec les Serbes orthodoxes, les Croates catholiques, les Musulmans musulmans (le terme de Musulman désignant en Yougoslavie initialement une nationalité)

La guerre a fait 120 000 morts, plus de deux millions de réfugiés, alors que les crimes de guerre ont été la norme dans une orgie nationaliste particulièrement patriarcale, avec notamment des viols de masse. Les forces armées serbes ont été ici particulièrement atroces et les Musulmans particulièrement ciblés.

La Yougoslavie a été décomposée. Et, depuis le départ, les forces occidentales ont été aux premières loges pour contribuer à transformer la zone en confettis politiques, afin de diviser pour régner. La Yougoslavie a donné naissance à une série de petits Etats nationalistes se haïssant les uns les autres, totalement satellisés par les pays occidentaux voire la Chine : la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, le Kosovo, la Macédoine du Nord, le Monténégro, la Serbie, la Slovénie.

C’est un exemple de repartage du monde à la suite de l’effondrement de la superpuissance soviétique ayant échoué dans sa tentative de prendre la place de la superpuissance américaine hégémonique.

La division de la Yougoslavie (source wikipédia)
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Incident militaire russo-britannique en Mer Noire

La tension continue de monter en vue de la prochaine crise russo-ukrainienne.

Au milieu juin il y a eu, en Suisse à Genève, une rencontre entre les présidents américain et russe, Joe Biden et Vladimir Poutine. L’escalade en cours est donc passée par un protagoniste très actif du militarisme mondial, le Royaume-Uni, à l’offensive depuis le Brexit.

Le 23 juin 2021, le destroyer britannique HMS Defender s’est ainsi rapproché de la Crimée, annexée par la Russie. Cette dernière considère, selon les critères internationaux, que l’espace maritime de 12 miles nautiques de large depuis la côte est son territoire national. Or, le HMS Defender s’est placé à dix miles nautiques, soit 18,5 km.

La Russie a averti le destroyer, puis procédé à des tirs de semonce au moyen des navires garde-côtes, puis a envoyé dix minutes plus tard un avion Su-24M afin de larguer quatre bombes à fragmentation hautement explosives de 250 mm le long du parcours du destroyer.

L’ambassadeur britannique à Moscou a été convoqué. De leur côté, les forces britanniques nient d’avoir pénétré l’espace maritime de la Crimée, tout comme d’avoir été pris à partie par la marine militaire russe, parlant d’exercices d’artillerie russe se déroulant au même moment.

On notera les couleurs LGBT du Ministère britannique de la Défense

Cet incident se produit alors que le Royaume-Uni est très actif pour fournir à l’Ukraine des navires militaires ainsi qu’une aide pour construire deux bases navales (une en Mer Noire et l’autre en Mer d’Azov). Il s’agit de la pointe d’une tendance générale, puisque du 28 juin au 10 juillet se déroule en Mer Noire militaires Sea Breeze 2021, des manœuvres militaires avec l’Ukraine et l’OTAN.

L’OTAN vise très clairement à faire de l’Ukraine un élément central dans son dispositif d’affrontement avec la Russie. Le peuple ukrainien doit servir de chair à canon et le pays de zone tampon. En ce sens, les survols des avions-espions de l’OTAN sont ininterrompus (ici le parcours du Usaf Boeing RC-135V Rivet Joint le 23 juin 2021).

La grande opération de militarisation de sa frontière par la Russie s’est ainsi avérée un échec. L’Ukraine a tenu le choc, ne permettant pas une offensive russe, amenant même inversement un soutien militaire massif des Etats-Unis et du Royaume-Uni, avec le renforcement de la perspective de l’intégration de l’Ukraine dans l’OTAN (si ce n’est formellement, du moins techniquement).

Si la Russie était la plus agressive à l’origine, ce sont désormais très clairement les forces américano-britanniques qui poussent pour profiter d’une situation jouant en leur faveur, alors que le nationalisme le plus fantasmatique se déverse en Ukraine.

C’est une preuve de la tendance à la guerre toujours davantage prédominante dans les rapports internationaux ; la crise russo-ukrainienne n’a pas disparu, son affaiblissement relatif ne correspond qu’à une vague nouvelle, plus haute que la précédente, alors que désormais la Biélorussie est totalement isolée par les pays occidentaux en raison de l’affaire de l’avion détourné.

L’élan en ce sens est d’autant plus violent qu’il s’agit à terme pour la superpuissance américaine de se confronter à la Chine. Or l’effondrement du régime russe est un objectif qui doit être réalisé auparavant, afin d’isoler encore plus la Chine, de renforcer le bloc occidental en faisant en sorte que l’Allemagne sorte renforcée et accepte de se placer dans le giron américain, etc.

La guerre est le seul horizon concret du capitalisme en crise.

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Centrafrique, Mali : la France sort un peu, la Russie entre beaucoup

La bataille pour le repartage du monde fait rage.

Le président français Emmanuel Macron a annoncé la fin de l’opération Barkhane, l’opération militaire menée au Sahel et au Sahara par l’Armée française. L’opération vise les terroristes islamistes, ainsi qu’à maintenir l’hégémonie politico-militaire sur la région. Tout comme l’OTAN a dans de nombreux pays le rôle d’exercer une intimidation étouffant toute vélléité de contestation généralisée (comme en Italie ou en Allemagne avec ses bases), les forces militaires françaises au Mali servent d’outil préventif et, éventuellement, offensif.

Il y a eu principalement deux interprétations à l’annonce du retrait. La première a consisté à accepter la version officielle d’une passation de relais aux Européens et aux Nations Unies. La seconde tient à affirmer que la France est hypocrite et conserve en réalité ses soldats sur place.

La réalité est bien plus complexe, ou plus simple, ce qui revient en même. Concrètement, la France reste, tout en partant, car c’est la Russie qui a désormais acquis une place significative au Mali. Cela ne veut pas dire que la France sorte entièrement. Cependant, elle cède une bonne partie de sa place.

C’est là le fruit d’un intense conflit. D’ailleurs, au sens strict, s’il a beaucoup été parlé du Mali en France ces derniers temps, c’est justement parce que la France et la Russie lançaient des campagnes à ce sujet. Certains gens de Gauche en France découvrant le Mali au Printemps 2021 ont simplement été les relais de la campagne russe… alors que faux comptes maliens mis en place par la Russie ont d’ailleurs été fermés par Facebook.

Mais ce n’est pas tout : en décembre 2020 Facebook avait fermé de faux comptes maliens mis en branle par l’armée française! Ces faux comptes concernaient d’ailleurs non seulement le Mali, mais également la Centrafrique, le Niger, le Burkina Faso, l’Algérie, la Côte d’Ivoire et le Tchad…

Et justement, le 8 juin 2021, la France cessait toute coopération militaire et aides économiques à la Centrafrique, en raison de son passage dans l’orbite russe. Voici comment Challenges présente la situation dans ce pays.

Une mission partiellement réussie en République centrafricaine, pays emblématique de la Françafrique qui accueillait autrefois deux bases militaires à Bouar et à Bangui. La Russie a déboulé dès 2016 concomitamment au retrait de la force Sangaris en s’appuyant sur son porte-voix: le groupe Wagner (ChVK).

Fondée par Evgueni Prigojine, un intime de Vladimir Poutine, cette société paramilitaire déploie plusieurs centaines de mercenaires sur le terrain pour contenir les multiples groupes armés. Durant la présidentielle de décembre 2020 ces hommes, appuyés par des éléments rwandais et les Forces armées centrafricaines (Faca), ont empêché l’incursion de rebelles dans la capitale.

Ils sécurisent par ailleurs les institutions (Assemblée nationale, ministères…) et forment la garde rapprochée de Faustin-Archange Touadéra. Sur toutes les questions sécuritaires le chef de l’Etat centrafricain est d’ailleurs conseillé par Valéry Zakharov.

Cet ancien membre du renseignement russe dispose d’un bureau attitré au palais de la Renaissance, siège de la présidence.

La cessation de l’opération Barkhane se situe dans la même perspective. Cela suit directement la décision en mai 2021 du président de la « transition » suivant le coup d’Etat au Mali, Assimi Goïta, de nommer comme nouveau Premier ministre Choguel Maiga, issu de la coalition M5-RFP partisane de chasser la France, et ayant suivi des études de télécommunications en Russie. Emmanuel Macron a alors parlé de « coup d’État dans le coup d’État inacceptable ».

La Russie a tout simplement réussi son opération.

Pour en rajouter à la compréhension de cette poudrière, il faut savoir que l’Algérie fait en sorte d’autoriser l’intervention militaire légale à l’étranger au moyen d’une réforme de la constitution, alors qu’en 2020 le Maroc a augmenté son budget militaire de 30%, se procurant notamment des hélicoptères Apache AH-64E dernier cri, au grand dam de l’Espagne y voyant un avantage tactique massif déstabilisant encore plus les rapports de force, puisqu’il y a également l’acquisition de chasseurs F-16, de chasseurs F-35, du système de défense aérienne Patriot, de missiles air-air AMRAAM de Raytheon AIM-120, de drones MQ-9 Reaper, de chars de combat M1 Abrams…

L’Arabie Saoudite et les États-Unis sont ici derrière le Maroc. Car il ne faut jamais perdre de vue l’arrière-plan principal : l’affrontement entre la superpuissance américaine et son challenger chinois. Aux États-Unis, John Biden a mis en place un budget militaire américain record pour 2022, avec 753 milliards de dollars, dont 112 milliards de dollars pour la recherche et le développement.

Le général Mark Milley, le chef d’état-major interarmées, a expliqué à la toute fin mai 2021 à la sous-commission de la Défense de la commission des crédits de la Chambre, que :

La Chine est notre premier défi géostratégique en matière de sécurité.

La Chine remet en question le statu quo de paix dans le Pacifique et a l’intention de réviser l’ordre international mondial d’ici le milieu du siècle. La Chine mène des exercices à grande échelle dans la région, en mettant l’accent sur les débarquements amphibies, les feux conjoints et les scénarios de frappe maritime.

Ces actions menacent l’autonomie de nos alliés et partenaires, mettent en péril la liberté de navigation, de survol et les autres utilisations légales de la mer, et compromettent la paix et la stabilité régionales. En bref, la Chine a développé d’importantes capacités militaires nucléaires, spatiales, cybernétiques, terrestres, aériennes et maritimes et continue de le faire (…).

Les États-Unis, en tant que nation, ont toujours eu l’avantage et le temps d’un long renforcement militaire avant le début des hostilités. L’environnement opérationnel de l’avenir ne nous offrira probablement pas le luxe du temps nécessaire à la projection de la force. Alors, le fait de disposer de forces modernisées, suffisamment importantes et prêtes, sera la clé du maintien de la dissuasion et de la paix et, si la dissuasion échoue, du combat et de la victoire.

La guerre s’affirme chaque jour davantage. La bataille pour le repartage du monde prend toujours plus le dessus sur toute autre considération.

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L’OTAN annonce l’affrontement avec la Chine et la Russie

C’est littéralement une annonce guerrière.

La réunion du Conseil de l’Atlantique Nord tenue à Bruxelles le 14 juin 2021 a été, comme l’a annoncé son secrétaire Jens Stoltenberg, un « moment charnière ». Pour donner le ton, les dirigeants des 30 pays membres de l’OTAN ont assisté à une cérémonie d’ouverture ayant en son cœur des images figurant l’agenda OTAN 2030. C’est que les années d’ici 2030 ont comme mise en perspective l’affrontement avec la Chine et la Russie, avec l’écrasement de la Russie d’abord. C’est la ligne américaine, qui s’est imposée dans l’OTAN, même si l’Allemagne et son satellite autrichien sont des opposants sur ce point.

Il n’empêche que le communiqué du sommet de Bruxelles est tout à fait clair, reflétant une tendance générale, celle à se placer dans le giron de la superpuissance américaine dans sa guerre programmée avec son challenger chinois. Voici ce qu’on lit notamment, avec certains points mis en gras pour faciliter la lecture. On notera que l’extrait est long, tout en ne représentant qu’une petite partie du document de l’OTAN ; ce qui est ici cité est tellement essentiel qu’il faut vraiment s’y attarder.

On peut d’ailleurs se demander, à la lecture de cela, si en fait la Russie n’a pas échoué dans son opération militaire à la frontière ukrainienne. Les armes américaines continuent de se déverser sur l’Ukraine et la tension est désormais totalement favorable à l’OTAN qui multiplie les initiatives, annonçant ici clairement que l’Ukraine sera intégrée dans son dispositif. Le texte prône littéralement de faire basculer le régime russe, présenté ouvertement comme un « Etat-voyou », justifiant idéologiquement l’affrontement.

Les actions agressives de la Russie constituent une menace pour la sécurité euro-atlantique ; le terrorisme sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations demeure une menace persistante pour nous tous. Des acteurs étatiques et non étatiques mettent à mal l’ordre international fondé sur des règles et cherchent à fragiliser la démocratie dans le monde.

L’instabilité observée au-delà de nos frontières favorise aussi la migration irrégulière et la traite des êtres humains. L’influence croissante et les politiques internationales de la Chine peuvent présenter des défis, auxquels nous devons répondre ensemble, en tant qu’Alliance. Nous interagirons avec la Chine en vue de défendre les intérêts de l’Alliance en matière de sécurité (…).

À notre réunion de décembre 2019, à Londres, nous avons demandé au secrétaire général de mener un processus de réflexion prospective en vue de renforcer encore la dimension politique de l’OTAN, y compris les consultations. Nous prenons acte de l’importante contribution apportée par le groupe indépendant que le secrétaire général a constitué à l’appui de l’initiative OTAN 2030. En conséquence, nous approuvons aujourd’hui, dans le cadre d’OTAN 2030, un agenda transatlantique pour l’avenir (…).

Nous fixer pour but que l’OTAN devienne l’organisation internationale de référence s’agissant de comprendre les incidences du changement climatique sur la sécurité et de s’y adapter (…).

Depuis plus de vingt-cinq ans, l’OTAN s’emploie à bâtir un partenariat avec la Russie, notamment au travers du Conseil OTAN-Russie (COR). Alors que l’OTAN respecte ses engagements internationaux, la Russie continue de porter atteinte aux valeurs, aux principes, à la confiance et aux engagements qui font la substance des documents agréés sur lesquels repose la relation OTAN-Russie.

Nous réaffirmons les décisions que nous avons prises concernant la Russie au sommet du pays de Galles, en 2014, et lors de toutes nos réunions suivantes dans le cadre de l’OTAN. Nous avons suspendu toute coopération pratique, tant civile que militaire, avec la Russie, tout en restant ouverts au dialogue politique. Tant que la Russie ne montre pas qu’elle respecte le droit international et qu’elle honore ses obligations et responsabilités internationales, il ne peut y avoir de retour à la normale.

Nous continuerons de répondre à la détérioration de l’environnement de sécurité en renforçant notre posture de dissuasion et de défense, y compris par une présence avancée dans la partie orientale de l’Alliance. L’OTAN ne cherche pas la confrontation et ne représente aucune menace pour la Russie. Les décisions que nous avons prises sont pleinement compatibles avec nos engagements internationaux, et elles ne sauraient en conséquence être considérées par quiconque comme étant en contradiction avec l’Acte fondateur OTAN­-Russie.

Nous appelons la Russie à révoquer la désignation de la République tchèque et des États-Unis comme « pays inamicaux » et à s’abstenir de toute autre mesure contraire à la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques.

Le renforcement multidomaine, par la Russie, de son dispositif militaire, sa posture plus affirmée, ses capacités militaires innovantes, et ses activités provocatrices, notamment à proximité des frontières de l’OTAN, ainsi que ses exercices d’alerte de grande envergure organisés sans préavis, la poursuite du renforcement de son dispositif militaire en Crimée, le déploiement à Kaliningrad de missiles modernes à double capacité, l’intégration militaire avec le Bélarus, et les violations répétées de l’espace aérien de pays membres de l’OTAN constituent une menace grandissante pour la sécurité de la zone euro-atlantique et contribuent à l’instabilité le long des frontières de l’OTAN et au-delà.

Outre ses activités militaires, la Russie a par ailleurs intensifié ses activités hybrides visant des pays membres ou partenaires de l’OTAN, y compris par l’intermédiaire d’acteurs agissant pour son compte. Il s’agit notamment de tentatives d’ingérence dans les élections et les processus démocratiques de pays de l’Alliance, de pressions et de pratiques d’intimidation sur les plans politique et économique, de vastes campagnes de désinformation, d’actes de cybermalveillance, et de sa complaisance à l’égard des cybercriminels qui sévissent depuis son territoire, y compris ceux qui prennent pour cible des infrastructures critiques, et en perturbent le fonctionnement, dans des pays de l’OTAN.

Il s’agit également d’activités illégales et destructrices menées par les services de renseignement russes sur le territoire de pays de l’Alliance, dont certaines ont causé la mort de concitoyens et engendré d’importants dégâts matériels. Nous sommes pleinement solidaires de la République tchèque et des autres Alliés qui ont été ainsi touchés.

La Russie a continué de diversifier son arsenal nucléaire, y compris par le déploiement d’une panoplie de systèmes de missiles à courte portée et à portée intermédiaire censés exercer une action coercitive sur l’OTAN. Elle a recapitalisé environ 80 % de ses forces nucléaires stratégiques, et elle développe ses capacités nucléaires en cherchant à se doter d’armes innovantes et déstabilisatrices ainsi que de toute une gamme de systèmes à double capacité.

La Russie continue de tenir un discours nucléaire agressif et irresponsable, et elle a accru l’importance qu’elle accordait déjà aux exercices conventionnels déstabilisateurs mettant en jeu des systèmes à double capacité. La stratégie nucléaire de la Russie ainsi que son programme complet de modernisation, de diversification et d’expansion de ses systèmes d’armes nucléaires – y compris l’augmentation du nombre de ses armes nucléaires non stratégiques et leur perfectionnement – contribuent toujours davantage à une posture d’intimidation stratégique se faisant plus agressive. Nous continuerons de collaborer étroitement pour faire face à l’ensemble des menaces et des défis que présente la Russie.

Nous réitérons notre soutien à l’intégrité territoriale et à la souveraineté de l’Ukraine, de la Géorgie et de la République de Moldova à l’intérieur de leurs frontières internationalement reconnues. Nous appelons la Russie à retirer, conformément aux engagements qu’elle a pris au niveau international, les forces qu’elle a stationnées dans ces trois pays sans leur consentement. Nous condamnons fermement, et ne reconnaîtrons pas, l’annexion, illégale et illégitime, de la Crimée par la Russie, et nous dénonçons son occupation temporaire.

Les violations des droits de la personne dont sont victimes les Tatars de Crimée et les membres d’autres communautés locales doivent cesser. Le renforcement massif de son dispositif militaire et les activités déstabilisatrices auxquels la Russie s’est récemment livrée en Ukraine et alentour ont davantage encore exacerbé les tensions et porté atteinte à la sécurité.

Nous appelons la Russie à mettre fin au renforcement de son dispositif militaire, ainsi qu’à cesser d’imposer des restrictions à la navigation dans certaines parties de la mer Noire. Nous appelons également la Russie à cesser d’entraver l’accès à la mer d’Azov et aux ports ukrainiens. Nous saluons la retenue et l’approche diplomatique de l’Ukraine dans ce contexte. Nous nous efforçons de contribuer à la désescalade.

Nous intensifions par ailleurs notre soutien à l’Ukraine. Nous appelons à la pleine application des accords de Minsk par toutes les parties, et nous soutenons les efforts entrepris dans le cadre du format Normandie et du Groupe de contact trilatéral. En tant que signataire des accords de Minsk, la Russie porte une responsabilité importante à cet égard. Nous appelons la Russie à cesser d’attiser le conflit en apportant comme elle le fait un soutien financier et militaire aux formations armées qu’elle appuie dans l’est de l’Ukraine. Nous réitérons notre plein soutien à la mission spéciale d’observation de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) en Ukraine.

Nous soulignons qu’il importe que soient assurés la sécurité et l’accès total et sans entrave de cette mission sur l’ensemble du territoire de l’Ukraine, y compris la Crimée et la frontière russo-ukrainienne, comme le prévoit son mandat. Nous appelons en outre la Russie à revenir sur sa décision de reconnaître les régions géorgiennes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud en tant qu’États indépendants, à appliquer l’accord de cessez-le-feu conclu en 2008 par l’entremise de l’UE, à mettre fin à la militarisation de ces régions, ainsi qu’aux tentatives de séparation forcée de celles-ci du reste de la Géorgie par la construction, qui se poursuit, d’obstacles s’apparentant à des frontières, et à mettre un terme aux violations des droits de la personne, aux détentions arbitraires et au harcèlement de citoyens géorgiens.

Nous réitérons notre ferme soutien en faveur des discussions internationales de Genève. Nous appelons également la Russie à prendre part de manière constructive au processus de règlement de la question de la Transnistrie. Nous sommes déterminés à soutenir les réformes démocratiques de la République de Moldova et à lui fournir une aide dans le cadre de notre initiative de renforcement des capacités de défense et des capacités de sécurité se rapportant à la défense.

Nous restons ouverts à un dialogue périodique, ciblé et substantiel avec une Russie qui soit disposée à mener des échanges au sein du COR sur la base de la réciprocité, en vue d’éviter les malentendus, les erreurs d’appréciation ou les escalades involontaires, et à accroître la transparence et la prévisibilité. Les réunions du COR nous ont aidés à communiquer clairement nos positions, et nous nous tenons prêts pour sa prochaine réunion. Nous continuerons d’axer notre dialogue avec la Russie sur les questions d’importance critique auxquelles nous sommes confrontés.

Le conflit en Ukraine et alentour est pour nous, dans les circonstances actuelles, le premier point à l’ordre du jour. L’OTAN reste déterminée à faire bon usage des lignes de communication militaires existant entre elle et la Russie afin de favoriser la prévisibilité et la transparence et de réduire les risques, et elle appelle la Russie à faire de même. Nous continuons d’aspirer à établir une relation constructive avec la Russie, lorsque ses actions le permettront (…).

Les dépenses de défense hors États-Unis ont augmenté en valeur réelle pendant sept années consécutives, ce qui vient appuyer notre responsabilité partagée de fournir des capacités à l’Alliance. Tous les Alliés ont accru leurs dépenses de défense en termes réels, et cette tendance est appelée à se poursuivre. D’ici à la fin de l’année, les Alliés européens et le Canada auront investi 260 milliards de dollars des États-Unis supplémentaires par rapport à 2014.

Par ailleurs, dix Alliés devraient consacrer cette année au moins 2 % de leur PIB à la défense. Environ deux tiers des Alliés prévoient d’atteindre ou de dépasser l’objectif des 2 % d’ici à 2024. En outre, 24 Alliés consacrent plus de 20 % de leurs dépenses de défense aux équipements majeurs, y compris la recherche et développement y afférente, et, selon leurs plans nationaux, 27 Alliés atteindront l’objectif des 20 % d’ici à 2024 (…).

Nous investissons dans nos capacités militaires afin de relever les défis nouveaux et persistants dans tous les milieux d’opérations. Nous continuons de mettre en place un éventail de capacités robustes et sophistiquées dans tous les milieux, y compris des forces et des capacités plus lourdes, davantage dans le haut du spectre, faisant appel aux technologies de pointe et mieux soutenues, au niveau de disponibilité opérationnelle requis. Nous continuerons d’améliorer et d’adapter la soutenabilité, la déployabilité et l’interopérabilité de nos capacités pour faire face à un environnement stratégique exigeant et pour mener des opérations du haut du spectre (…).

L’OTAN reste lucide quant aux défis que présente la Russie, y compris l’augmentation du nombre des armes nucléaires non stratégiques russes et leur perfectionnement (…).

Le maintien par la Russie d’une posture militaire agressive, son refus de respecter pleinement les obligations qui lui incombent en vertu du Traité sur le régime « Ciel ouvert », et le fait qu’elle applique encore de manière sélective le Document de Vienne et n’applique plus depuis longtemps le Traité sur les forces armées conventionnelles en Europe continuent de porter atteinte à la sécurité et à la stabilité de la zone euro-atlantique. Les Alliés appellent la Russie à revenir à la mise en œuvre intégrale et au respect, dans la lettre et l’esprit, de l’ensemble de ses obligations et engagements internationaux, ce qui est indispensable pour restaurer la confiance et la transparence militaire et pour accroître la prévisibilité dans la région euro-atlantique. Nous appelons en particulier la Russie à faire preuve d’ouverture et de transparence (…).

Les ambitions déclarées de la Chine et son assertivité présentent des défis systémiques pour l’ordre international fondé sur des règles et dans des domaines revêtant de l’importance pour la sécurité de l’Alliance. Nous sommes préoccupés par celles des politiques coercitives qui ne correspondent pas aux valeurs fondamentales inscrites dans le traité de Washington.

La Chine accroît rapidement son arsenal nucléaire, se dotant d’un plus grand nombre d’ogives et de vecteurs sophistiqués pour établir une triade nucléaire. Elle fait preuve d’opacité dans la mise en œuvre de la modernisation de son appareil militaire et dans celle de sa stratégie de fusion militaro-civile publiquement déclarée. Elle coopère par ailleurs avec la Russie dans le domaine militaire, notamment en participant à des exercices russes dans la zone euro-atlantique.

Nous restons préoccupés par le fait que la Chine manque souvent de transparence et a fréquemment recours à la désinformation. Nous appelons la Chine à respecter ses engagements internationaux et à agir de manière responsable au sein du système international, notamment dans les milieux spatial, cyber et maritime, en conformité avec son rôle de grande puissance (…).

Nous réitérons la décision prise en 2008 au sommet de Bucarest concernant l’Ukraine, à savoir que ce pays deviendra membre de l’Alliance, le plan d’action pour l’adhésion (MAP) faisant partie intégrante du processus ; nous réaffirmons tous les éléments de cette décision, ainsi que les décisions ultérieures, y compris celle qui prévoit que chaque partenaire sera jugé en fonction de ce qu’il aura accompli. Nous restons déterminés dans notre soutien au droit de l’Ukraine de décider librement de son avenir et de l’orientation de sa politique étrangère, sans ingérence extérieure (…).

Nous nous félicitons de la coopération qui s’exerce entre l’OTAN et l’Ukraine concernant la sécurité dans la région de la mer Noire (…).

Les Balkans occidentaux sont une région d’importance stratégique pour l’OTAN, comme l’attestent la coopération et les opérations que nous y menons de longue date (…). La coopération étroite et mutuellement bénéfique qu’entretient l’Alliance, en matière de sécurité, avec la Finlande et la Suède – partenaires bénéficiant du programme « nouvelles opportunités », qui partagent nos valeurs et qui contribuent aux opérations et missions dirigées par l’OTAN – s’est accrue dans un large éventail de domaines.

C’est la guerre qui s’annonce ici, ou plutôt qui est en train d’être mise en place. C’est la bataille pour le repartage du monde.

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La France veut renverser le régime biélorusse

La Gauche doit dénoncer cette agression.

La France, tout comme l’ensemble des pays de l’Union européenne, vise au renversement du régime biélorusse. Bien entendu celui-ci est intolérable, il n’est ni démocratique, ni populaire. C’est un régime où les expressions du peuple sont étouffées, quitte à le faire violemment afin d’intimider, de terroriser. Mais l’objectif de la France n’est pas une Biélorussie démocratique, une Biélorussie populaire. L’objectif de la France est une Biélorussie qui devienne demain un satellite de la France et de l’Allemagne, tout comme elle est aujourd’hui une satellite de la Russie.

C’est pour cela que la France et les pays de l’Union européenne subventionnent et soutiennent des « opposants » biélorusses qui sont en fait des activistes en faveur d’une grande puissance contre une autre, parfois sans même s’en apercevoir. C’est pour cela que de nombreuses associations et institutions poussent dans chaque pays en faveur d’un changement de régime en Biélorussie, avec un basculement en faveur de l’Union européenne et de l’OTAN.

Qui accepte cette intense propagande est objectivement l’allié des tentatives du capitalisme français d’élargir son périmètre de domination, aux dépens du peuple biélorusse. La Gauche doit par définition critiquer le régime biélorusse, mais de par sa position tout d’abord dénoncer la démarche française visant à intervenir dans les affaires biélorusses en appuyant une opposition façonnée de l’Union européenne et de l’OTAN. C’est essentiel non seulement pour ne pas dévoyer l’opposition biélorusse, même si c’est trop tard… et afin de ne pas converger avec les intérêts capitalistes cherchant à trouver de nouveaux terrains d’accumulation, par les coups d’État ou les guerres.

Tout comme la Gauche doit s’opposer aux guerres, elle doit s’opposer aux contributions aux coups d’État !

Naturellement, tout cela n’a en soi rien de nouveau, malheureusement, on sait comment la France décide directement de la direction étatique de plusieurs pays africains. Cependant, le contexte a totalement changé depuis l’irruption de la crise sanitaire, avec ses aspects économiques (et écologiques dans sa nature). Désormais, on est en pleine bataille pour le repartage du monde. La France vise ainsi un pays jamais visé jusque-là.

Dans les années 1930, la Roumanie était par exemple sous hégémonie française. Mais depuis 1945, la France n’a plus de réel impact dans l’Est européen, alors qu’après 1989 c’est l’Allemagne et l’Autriche qui ont développé leurs réseaux. Et là elle participe à une vaste campagne non pas simplement de déstabilisation, mais d’organisation d’un coup d’État, dans une capitale à plus de 1800 kilomètres de Paris.

Cela exprime un changement de perspective et cela montre bien d’ailleurs que l’actualité principale est devenue en France un double phénomène consistant en des restructurations d’un côté, la tendance à la guerre de l’autre. Tout le reste devient secondaire, s’efface devant ces deux marqueurs de l’ensemble de l’actualité politique. Le capitalisme a besoin de se moderniser et de s’étendre ; les partis politiques se positionnent différemment afin d’y contribuer, sauf la Gauche authentique, historique, qui doit se confronter à cela, en affirmant la démocratie et et le peuple !

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La Biélorussie isolée et sous pression de l’OTAN

Une pierre de plus à l’édifice monstrueux de la guerre.

La crise biélorusse est désormais entièrement superposée à la crise ukrainienne et on en a un triste exemple avec le passé de l’opposant biélorusse Roman Protassevitch, dont l’arrestation a été la motivation pour la Biélorussie du détournement d’un avion au motif qu’il y aurait eu une menace d’attentat. Le régime biélorusse a d’ailleurs fini par sortir du placard un communiqué de menace provenant… du Hamas palestinien, à travers la Suisse, envoyé après l’arraisonnement de l’avion. Cela ne tient pas du tout, naturellement.

Il semble donc, par contre, acquis que Roman Protassevitch ait été un membre, en 2015-2015, du bataillon néo-nazi Azov opérant au sein de l’armée ukrainienne (et devenu un régiment de la garde nationale directement supervisé par le ministre de l’Intérieur ukrainien). L’information a bien entendu été balancée par la Russie et après des dénégations initiales, un haut responsable du bataillon Azov a confirmé cela, en expliquant que Roman Protassevitch avait agi comme journaliste. Le problème, c’est que les images de lui en armes ou avec un t-shirt néo-nazi ne disent pas la même chose…

Tout comme l’Ukraine, la Biélorussie se retrouve ainsi coincée entre des forces pro-OTAN et des forces pro-russes, qui sont tous les deux hideuses. Cela fait deux cibles (très proches géographiquement) de la bataille pour le repartage du monde. Et cela se passe dans une tension extrême afin d’obtenir ou de maintenir l’hégémonie.

Depuis son arrestation, Roman Protassevitch apparaît ainsi dans une courte vidéo où il semble se « repentir », alors qu’il semble à peu près clair que les forces de répression biélorusses l’ont maltraité, tout comme le sont les 426 opposants déjà emprisonnés. Un jeune de 17 ans, Dima Stakhovsky, vient d’ailleurs de se suicider dans sa cellule ; il avait été condamné à quinze ans de prison pour émeute.

Et, après l’appel de l’Union européenne à isoler l’espace aérien biélorusse, ce qui n’est pas une obligation formelle pour les États membres, certains pays ont franchi le pas, tels la France, le Royaume-Uni, la Pologne, la Lituanie, la Lettonie, l’Estonie, la Suède, la République tchèque, l’Ukraine. On notera d’ailleurs que la France a mit cela le jeudi 27 mai 2021, seulement, sans crier gare, obligeant l’avion de la compagnie d’aviation biélorusse Belavia réalisant la liaison Minsk-Barcelone venant de décoller à tourner en rond pour vider son carburant et à retourner d’où il était parti.

Le président du Parlement européen David Sassoli a également proposé d’afficher la photo de Roman Protassevitch dans tous les aéroports de l’Union européenne, la Roumanie de renommer la rue de l’ambassade de Biélorussie à Bucarest du nom de Roman Protassevitch, Emmanuel Macron appelant à se confronter avec la Russie :

« Nous avons besoin de recadrer très profondément notre relation avec la Russie pour ne pas être simplement réactif mais définir une stratégie de court, moyen et long terme compte tenu du fait que l’espace de sécurité européen passe par une discussion exigeante avec la Russie. »

L’opposition est frontale et l’objectif des pays de l’OTAN très clair : il s’agit de parvenir à faire tomber le régime biélorusse, pour l’arracher à l’orbite russe. En ce sens, l’Union européenne compte prendre des mesures contre des entreprises et le secteur bancaire biélorusse. Heiko Maas, ministre allemand des Affaires étrangères, parle d’une « spirale de sanctions » qui va se mettre en place : l’Allemagne, qui a freiné tout soutien à l’Ukraine, espère par contre clairement avoir le dessus pour prendre le contrôle de la Biélorussie.

D’où la déclaration commune dans le cadre du G7 :

« Nous, les ministres des Affaires étrangères du G7, soit l’Allemagne, le Canada, les États-Unis d’Amérique, la France, l’Italie, le Japon et le Royaume-Uni, ainsi que le haut représentant de l’Union européenne, condamnons fermement l’acte sans précédent des autorités bélarusses, qui ont arrêté le journaliste indépendant Roman Protassevicht et sa compagne Sofia Sapéga après avoir forcé le vol FR4978 dans lequel ils se trouvaient à atterrir à Minsk le 23 mai.

Cet acte a mis en danger la sécurité des passagers et de l’équipage du vol. Il s’agissait également d’une atteinte grave aux règles régissant l’aviation civile. Nos pays, et nos citoyens, dépendent du fait que chaque État agit de manière responsable en remplissant ses obligations en vertu de la Convention de Chicago, afin que les avions civils puissent opérer en toute sécurité. Nous demandons à l’Organisation de l’aviation civile internationale de se pencher d’urgence sur ce manquement à ses règles et à ses normes.

Cet acte représente également une grave attaque contre la liberté de la presse. Nous demandons la libération immédiate et inconditionnelle de Roman Protassevicht, ainsi que de tous les autres journalistes et prisonniers politiques détenus au Bélarus. 

Nous renforcerons nos efforts, notamment par l’intermédiaire de nouvelles sanctions le cas échéant, afin de veiller à ce que les autorités bélarusses assument la responsabilité de leurs actes. »

L’OTAN est évidemment ouvertement de la partie, avec un communiqué où Roman Protassevitch est présenté comme un « journaliste » (les médias parlant même d’un simple blogueur!) :

« 1. Le Conseil de l’Atlantique Nord condamne fermement le détournement vers Minsk (Bélarus), le 23 mai, d’un vol de la compagnie Ryanair qui reliait Athènes à Vilnius, ainsi que le débarquement forcé et l’arrestation de Roman Protassevitch, éminent journaliste bélarussien qui se trouvait à bord, et de Sofia Sapega.

Cet acte inacceptable, qui a mis en danger la vie des passagers et membres d’équipage, constitue une violation grave des normes régissant l’aviation civile. Nous nous associons à ceux qui réclament en urgence une enquête indépendante, qui serait menée notamment par l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI). Nous approuvons les mesures prises par les Alliés, à titre individuel ou collectif, en réaction à cet incident.

2. La détention de M. Protassevitch est un affront aux principes de la liberté d’opinion politique et de la liberté de la presse. Le Bélarus doit relâcher M. Protassevitch et Mme Sapega immédiatement et sans condition.

Les pays de l’OTAN engagent le Belarus à respecter les libertés et droits fondamentaux de la personne et à se conformer aux règles qui fondent l’ordre international. Les Alliés sont solidaires de la Lettonie à la suite de l’expulsion injustifiée de diplomates lettons. »

La Biélorussie a par contre des appuis. Le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis a affirmé qu’il n’y avait aucune preuve que des agents secrets aient été à bord du vol Athènes-Vilnius. La Chine est du côté biélorusse, et la Turquie a fait en sorte que la déclaration de l’OTAN soit moins brutale qu’elle ne devait l’être initialement.

Quant à la Russie, dont la Biélorussie est largement un satellite, elle refuse à ce que les avions allant chez elle évitent la Biélorussie, d’où des annulations pour Air France et Austrian Airlines.

La confrontation est ainsi très clairement posée et cette fois on n’est plus simplement dans un affrontement Ukraine-Russie, mais littéralement face à un incendie régional, voire européen.

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Crise ukrainienne: la Biélorussie déroute un vol aérien

Un acte de piraterie correspondant à l’ampleur de la crise.

Depuis les célébrations du 9 mai, très importants dans les pays de l’ex-Union Soviétique, il y a une immense propagande nationaliste en Ukraine, au point que même le président Volodymyr Zelenski est accusé d’être un serviteur masqué de la Russie ! En fait, ce sont les forces pro-américaines qui ont pris le dessus et toutes les digues ont cédé dans la démarche anti-russe, anti-communiste, anti-Gauche en général d’ailleurs. C’est une véritable chasse aux sorcières où toute une série de personnes sont dénoncées à tort ou à raison comme des relais de la Russie.

De l’autre côté, on n’est pas en reste, naturellement. La Russie, dans le prolongement de son déplacement massif de troupes à la frontière ukrainienne, accélère la livraison de passeports russes dans les « républiques » séparatistes de Donetzk et Louhansk, ainsi que la reconnaissance des diplômes universitaires, des associations sportives qui désormais concourent en Russie même, etc. La propagande anti-ukrainienne de ces « républiques » tourne à plein régime.

Quant à la Biélorussie, qui s’était intégrée à la crise Ukraine-Russie dans un second temps (à partir du 17 avril avec l’annonce qu’un coup d’Etat américano-polonais avait été déjoué), elle a procédé à une vague massive d’arrestations et de condamnations. Ce qui est marquant ici, c’est que les opposants au régime dictatorial biélorusse sont des gens comme tout le monde, pas vraiment politiques et par conséquent d’autant plus en panique devant une répression brutale. C’est extrêmement sordide, même si évidemment les opposants convergent de manière concrète avec les Etats-Unis qui cherchent à renverser le régime.

Et on a atteint cependant un certain cap avec l’initiative biélorusse du 23 mai 2021 de détourner un avion de la compagnie Ryanair. Il y avait à son bord un opposant biélorusse, Roman Protassevitch, avec sa femme.

La Lituanie se trouve au nord-ouest de la Biélorussie et sa capitale Vilnius étant à l’Est du pays, le trajet le plus court depuis Athènes passe au-dessus de la Biélorussie

Rappelons ici que la présidentielle biélorusse du 9 août 2020, gagnée par Alexandre Loukachenko au pouvoir depuis 1994, avait été prétexte à une révolte démocratique largement passée dans le giron des pays occidentaux. Roman Protassevitch, un opposant qui avait notamment travaillé pour l’organisme américain Radio Free Europe/Radio Liberty en version biélorusse, avait alors été le rédacteur en chef de la chaîne Nexta sur Telegram, qui appelait à se soulever contre le régime. Il opérait depuis la Pologne où il s’était installé, un pays ultra-agressif sur le plan de l’expansionnisme.

Lors du parcours du vol Athènes-Vilnius, au moment du passage au-dessus de la Biélorussie, quatre personnes de nationalité russe ont provoqué une bagarre et affirmé qu’il y avait une bombe à bord. Un avion militaire biélorusse, un Mig-29, a alors intercepté l’avion et l’a forcé à se poser… L’opposant et sa femme ont été arrêtés bien entendu, les espions ne reprenant pas l’avion.

Les États de l’Union européenne sont évidemment fous de rage devant ce qui relève d’un acte de piraterie. La présidente lituanienne Gitanas Nausėda a appelé l’OTAN à réagir, le premier ministre polonais Mateusz Morawiecki a parlé d’un « acte sans précédent de terrorisme d’État ». L’ambassadeur de Biélorussie à Paris a également été immédiatement convoqué au ministère français des Affaires étrangères, alors que le ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a affirmé de son côté que :

« Le détournement par les autorités biélorusses d’un vol de Ryanair est inacceptable. Une réponse ferme et unie des Européens est indispensable. »

Le Secrétaire d’État américain Anthony Blinken a publié un message de protestation où le soutien à un soulèvement est évident :

« Nous sommes avec le peuple biélorusse dans ses aspirations pour un avenir libre, démocratique et prospère, et soutenons leur appel pour ce que le régime respecte les droits humains et les libertés fondamentales. »

Et il faut noter l’appel fait en commun par les présidents des commissions parlementaires de plusieurs pays. On parle ici de la République tchèque, de l’Allemagne, de l’Irlande, de la Lituanie, de la Lettonie, de la Pologne, du Royaume-Uni et des Etats-Unis.

Il est demandé à ce que l’espace aérien biélorusse soit confiné, que l’OTAN et Interpol se mobilisent, que des élections libres supervisées de l’extérieur soient tenues en Biélorussie.

Hasard de calendrier… ou pas, le secrétaire britannique à la Défense Ben Wallace a déclaré que la Russie était « la menace numéro un » pour la Grande-Bretagne.

La Russie a quant à elle salué la « brillante opération spéciale » par l’intermédiaire du député russe Viatcheslav Lysakov, au nom de la Douma…

C’est là dans la continuité de la crise Ukraine-Russie qui a commencé et qui est l’expression de la tendance à la guerre dans le cadre de la crise sanitaire, économique, écologique… Le conflit n’a été repoussé que pour prendre davantage d’ampleur.

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Antonio Gramsci, « Je hais les indifférents »

 » Je hais les indifférents. Je crois comme Friedrich Hebbel que « vivre signifie être partisans ». Il ne peut exister seulement des hommes, des étrangers à la cité. Celui qui vit vraiment ne peut qu’être citoyen, et prendre parti. L’indifférence c’est l’aboulie, le parasitisme, la lâcheté, ce n’est pas la vie. C’est pourquoi je hais les indifférents.

L’indifférence est le poids mort de l’histoire. C’est le boulet de plomb pour le novateur, c’est la matière inerte où se noient souvent les enthousiasmes les plus resplendissants, c’est l’étang qui entoure la vieille ville et la défend mieux que les murs les plus solides, mieux que les poitrines de ses guerriers, parce qu’elle engloutit dans ses remous limoneux les assaillants, les décime et les décourage et quelquefois les fait renoncer à l’entreprise héroïque.

L’indifférence œuvre puissamment dans l’histoire. Elle œuvre passivement, mais elle œuvre. Elle est la fatalité; elle est ce sur quoi on ne peut pas compter; elle est ce qui bouleverse les programmes, ce qui renverse les plans les mieux établis; elle est la matière brute, rebelle à l’intelligence qu’elle étouffe.

Ce qui se produit, le mal qui s’abat sur tous, le possible bien qu’un acte héroïque (de valeur universelle) peut faire naître, n’est pas tant dû à l’initiative de quelques uns qui œuvrent, qu’à l’indifférence, l’absentéisme de beaucoup. Ce qui se produit, ne se produit pas tant parce que quelques uns veulent que cela se produise, mais parce que la masse des hommes abdique devant sa volonté, laisse faire, laisse s’accumuler les nœuds que seule l’épée pourra trancher, laisse promulguer des lois que seule la révolte fera abroger, laisse accéder au pouvoir des hommes que seule une mutinerie pourra renverser.

La fatalité qui semble dominer l’histoire n’est pas autre chose justement que l’apparence illusoire de cette indifférence, de cet absentéisme. Des faits mûrissent dans l’ombre, quelques mains, qu’aucun contrôle ne surveille, tissent la toile de la vie collective, et la masse ignore, parce qu’elle ne s’en soucie pas. Les destins d’une époque sont manipulés selon des visions étriquées, des buts immédiats, des ambitions et des passions personnelles de petits groupes actifs, et la masse des hommes ignore, parce qu’elle ne s’en soucie pas. Mais les faits qui ont mûri débouchent sur quelque chose ; mais la toile tissée dans l’ombre arrive à son accomplissement: et alors  il semble que ce soit la fatalité qui emporte tous et tout sur son passage, il semble que l’histoire ne soit rien d’autre qu’un énorme phénomène naturel, une éruption, un tremblement de terre dont nous tous serions les victimes, celui qui l’a voulu et celui qui ne l’a pas voulu, celui qui savait et celui qui ne le savait pas, qui avait agi et celui qui était indifférent. Et ce dernier se met en colère, il voudrait se soustraire aux conséquences, il voudrait qu’il apparaisse clairement qu’il n’a pas voulu lui, qu’il n’est pas responsable.

Certains pleurnichent pitoyablement, d’autres jurent avec obscénité, mais personne ou presque ne se demande: et si j’avais fait moi aussi mon devoir, si j’avais essayé de faire valoir ma volonté, mon conseil, serait-il arrivé ce qui est arrivé ? Mais personne ou presque ne se sent coupable de son indifférence, de son scepticisme, de ne pas avoir donné ses bras et son activité à ces groupes de citoyens qui, précisément pour éviter un tel mal, combattaient, et se proposaient de procurer un tel bien.

La plupart d’entre eux, au contraire, devant les faits accomplis, préfèrent parler d’idéaux qui s’effondrent, de programmes qui s’écroulent définitivement et autres plaisanteries du même genre. Ils recommencent ainsi à s’absenter de toute responsabilité. Non bien sûr qu’ils ne voient pas clairement les choses, et qu’ils ne soient pas quelquefois capables de présenter de très belles solutions aux problèmes les plus urgents, y compris ceux qui requièrent une vaste préparation et du temps. Mais pour être très belles, ces solutions demeurent tout aussi infécondes, et cette contribution à la vie collective n’est animée d’aucune lueur morale; il est le produit d’une curiosité intellectuelle, non d’un sens aigu d’une responsabilité historique qui veut l’activité de tous dans la vie, qui n’admet aucune forme d’agnosticisme et aucune forme d’indifférence.

Je hais les indifférents aussi parce que leurs pleurnicheries d’éternels innocents me fatiguent. Je demande à chacun d’eux de rendre compte de la façon dont il a rempli le devoir que la vie lui a donné et lui donne chaque jour, de ce qu’il a fait et spécialement de ce qu’il n’a pas fait. Et je sens que je peux être inexorable, que je n’ai pas à gaspiller ma pitié, que je n’ai pas à partager mes larmes. Je suis partisan, je vis, je sens dans les consciences viriles de mon bord battre déjà l’activité de la cité future que mon bord est en train de construire.

Et en elle la chaîne sociale ne pèse pas sur quelques uns, en elle chaque chose qui se produit n’est pas due au hasard, à la fatalité, mais elle est l’œuvre intelligente des citoyens. Il n’y a en elle personne pour rester à la fenêtre à regarder alors que quelques uns se sacrifient, disparaissent dans le sacrifice; et celui qui reste à la fenêtre, à guetter, veut profiter du peu de bien que procure l’activité de peu de gens et passe sa déception en s’en prenant à celui qui s’est sacrifié, à celui qui a disparu parce qu’il n’a pas réussi ce qu’il s’était donné pour but.

Je vis, je suis partisan. C’est pourquoi je hais qui ne prend pas parti. Je hais les indifférents.

Antonio Gramsci, 11 février 1917″