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Le sens de la polémique quant à « Star Wars, épisode VIII : Les Derniers Jedi »

Star Wars, épisode VIII : Les Derniers Jedi a été un très grand succès du box-office en France, dépassant les quatre millions de vues. Cependant, il a révélé un immense conflit d’interprétation.

La presse internationale a considéré que le film était une réussite dans la forme, même si l’on pouvait aussi regretter que le scénario est particulièrement redondant, puisant aux autres épisodes. Le public, par contre, a considéré qu’il connaissait un outrage. La pétition lancée aux États-Unis et demandant le retrait de l’épisode VII du « canon » de la saga a rassemblé 75 000 signatures.

Interpréter cette différence d’interprétation révèle beaucoup de choses et la première, c’est que désormais Star Wars relève de l’univers Disney, dans la forme et dans son contenu. Cet univers est profondément de culture protestante, avec la question du doute généralisé et angoissant, de l’engagement moral avec le choix entre le bien et le mal, avec des personnages révélant une certaine faiblesse par rapport à des événements plus forts qu’eux.

Bien entendu, il ne faut pas ici s’attendre à un questionnement intellectuel, mais à une déviation du protestantisme sur un mode commercial de masse, avec tout le côté caricatural qui va avec.

Or, Star Wars appartient historiquement à une lecture relevant du fantastique, sous la forme du Space Opera. On a donc une combinaison de culte de la supériorité « naturelle » et de la magie, dont les jedis, avec leur spécificité dans le sang, sont les grands représentants.

Le public a donc reproché à Disney d’avoir sabordé cette dimension fantastique au profit de sa propre lecture et le grand symbole de cela, c’est le sort réservé à Luke Skywalker.

Son côté faible et son refus de la tradition jedi, associés au caractère « fort » de personnages secondaires, a heurté de plein fouet le culte de la « supériorité ». Le rôle secondaire, voire inexistant de la « force » a totalement perturbé.

L’humour régulièrement présent a été considéré comme une insulte à la dimension épique. Le petit passage où Chewbacca veut manger un Porg rôti devant d’autres Porgs, pour finalement ne pas le faire en raison de son sentiment de culpabilité, a également choqué.

Toutes ces critiques sont à la fois naïves et fausses. D’abord, parce que Star Wars est un produit commercial de bout en bout et que le principe de la force relève du mysticisme le plus complet. Vouloir donc une continuité rationnelle pour Star Wars n’a donc aucun sens : tout dépend des choix subjectifs des studios, ainsi que de l’imagination délirante des scénaristes.

Ensuite, parce qu’il y a une dimension nostalgique foncièrement régressive qui s’exprime. Les épisodes IV-V-VI relèvent du Space Opera, mais les épisodes I-II-III sont remplis d’éléments simplistes, enfantins, aberrants, etc.

Cela fait bien longtemps qu’il n’y a plus cette dimension « mystique » sérieuse et finalement on retrouve dans l’attitude des fans de Star Wars le même comportement irrationnel que chez les fans de Dune ou du Seigneur des anneaux.

Il y a une telle fuite dans un monde imaginaire totalement coupé de la réalité que les réactions sont exacerbées, les vanités hypertrophiées, le sentiment de trahison complet dès qu’il y a la perte des habitudes, des repères traditionnels.

Tout cela montre bien le formidable niveau d’aliénation qui existe dans la « société de consommation »: on vend du rêve et une fois ce rêve se révélant faux, on éprouve une nostalgie régressive, sans remettre tout à plat, sans rien remettre en cause.

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Deux scènes marquantes du « Dictateur » de Charlie Chaplin

Avec le film Le dictateur, Charlie Chaplin dénonce en 1940 le national-socialisme allemand et le fascisme italien, l’expansionnisme et le militarisme. Deux scènes sont particulièrement marquantes.
La première est la scène du globe. Le dictateur, lui-même brun, veut anéantir tous ceux qui sont bruns, fantasmant de conquérir le monde. Il prend alors un globe terrestre, s’imaginant pouvoir jouer avec comme bon lui semble…

 La conclusion de la scène est prémonitoire de l’échec complet des plans des conquérants. La seconde scène, très connue également, est celle du discours de Charlie Chaplin.
Cette fois, il n’est plus le dictateur, mais un barbier juif qui, au cours d’un quiproquo et en raison de sa ressemblance, est pris pour le dictateur. Amené à faire un discours, il fait alors un éloge de la paix, du partage général, de l’universalisme le plus complet…

Je suis désolé, mais je ne veux pas être empereur, ce n’est pas mon affaire.
Je ne veux ni conquérir, ni diriger personne.Je voudrais aider tout le monde dans la mesure du possible, juifs, chrétiens, païens, blancs et noirs. Nous voudrions tous nous aider si nous le pouvions,
les êtres humains sont ainsi faits.Nous voulons donner le bonheur à notre prochain, pas lui donner le malheur.
Nous ne voulons pas haïr ni humilier personne.Chacun de nous a sa place et notre terre est bien assez riche, elle peut nourrir tous les êtres humains.

Nous pouvons tous avoir une vie belle et libre mais nous l’avons oublié.

L’envie a empoisonné l’esprit des hommes, a barricadé le monde avec la haine,
nous a fait sombrer dans la misère et les effusions de sang.Nous avons développé la vitesse pour nous enfermer en nous-mêmes.
Les machines qui nous apportent l’abondance nous laissent dans l’insatisfaction. Notre savoir nous a fait devenir cyniques.Nous sommes inhumains à force d’intelligence,nous pensons beaucoup trop et nous ne ressentons pas assez.

Nous sommes trop mécanisés et nous manquons d’humanité.

Nous sommes trop cultivés et nous manquons de tendresse et de gentillesse.

Sans ces qualités humaines, la vie n’est plus que violence et tout est perdu.

Les avions, la radio nous ont rapprochés les uns des autres,
ces inventions ne trouveront leur vrai sens que dans la bonté de l’être humain,
que dans la fraternité, l’amitié et l’unité de tous les hommes.

En ce moment même, ma voix atteint des millions de gens à travers le monde, des millions d’hommes, de femmes, d’enfants désespérés,
victimes d’un système qui torture les faibles et emprisonne des innocents.Je dis à tous ceux qui m’entendent:Ne désespérez pas !Le malheur qui est sur nous n’est que le produit éphémère
de l’habilité,de l’amertume de ceux qui ont peur
des progrès qu’accomplit l’Humanité.

Mais la haine finira par disparaître et les dictateurs mourront,
et le pouvoir qu’ils avaient pris aux peuples va retourner aux peuples.

Et tant que des hommes mourront pour elle, la liberté ne pourra pas périr.

Soldats, ne vous donnez pas à ces brutes,
à une minorité qui vous méprise et qui fait de vous des esclaves,
enrégimente toute votre vie et qui vous dit tout ce qu’il faut faire
et ce qu’il faut penser, qui vous dirige, vous manoeuvre,
se sert de vous comme chair à canons et qui vous traite comme du bétail.

Ne donnez pas votre vie à ces êtres inhumains,

ces hommes-machines avec une machine à la place de la tête
et une machine dans le coeur.

Vous n’êtes pas des machines !

Vous n’êtes pas des esclaves !

Vous êtes des hommes !

des hommes avec tout l’amour du monde dans le coeur.
Vous n’avez pas de haine, sinon pour ce qui est inhumain,
ce qui n’est pas fait d’amour.

Soldats ne vous battez pas pour l’esclavage mais pour la liberté.

Il est écrit dans l’Evangile selon Saint Luc
« Le Royaume de Dieu est dans l’être humain »,
pas dans un seul humain ni dans un groupe humain,
mais dans tous les humains, mais en vous,
en vous le peuple qui avez le pouvoir.
Le pouvoir de créer les machines,
le pouvoir de créer le bonheur.
Vous, le peuple, vous avez le pouvoir.
Le pouvoir de rendre la vie belle et libre,
le pouvoir de faire de cette vie une merveilleuse aventure.

Alors au nom même de la Démocratie,
utilisons ce pouvoir.
Il faut tous nous unir,
il faut tous nous battre pour un monde nouveau,
un monde humain qui donnera à chacun l’occasion de travailler,
qui apportera un avenir à la jeunesse et à la vieillesse la sécurité.

Ces brutes vous ont promis toutes ces choses
pour que vous leur donniez le pouvoir : ils mentaient.
Ils n’ont pas tenu leurs merveilleuses promesses ; jamais ils ne le feront.
Les dictateurs s’affranchissent en prenant le pouvoir
mais ils font un esclave du peuple.

Alors, il faut nous battre pour accomplir toutes leurs promesses.

Il faut nous battre pour libérer le monde,
pour renverser les frontières et les barrières raciales,
pour en finir avec l’avidité, avec la haine et l’intolérance.

Il faut nous battre pour construire un monde de raison,
un monde où la science et le progrès mèneront tous les hommes vers le bonheur.

Soldats, au nom de la Démocratie, unissons-nous tous !

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Le film « Stalker » d’Andrei Tarkovski (1979)

Stalker est, dans l’histoire du cinéma, considéré comme l’un des plus grands chefs d’œuvre du 20e siècle.

Son grand paradoxe est de présenter une action extrêmement lente combinée à une capacité de capter l’attention avec un magnétisme d’une très grande puissance, avec une vigueur graphique de la plus haute qualité, et servi par la musique profonde d’Edouard Artemiev.

Il y a de quoi désarçonner par cette esthétique résolument étrangère, très oppressante. C’est d’autant plus dépaysant, si l’on peut dire, que la base même de cette capacité à saisir l’intégralité de l’esprit des spectateurs repose sur la perspective « cosmique » propre à la culture slave, plus particulièrement la culture nationale russe.

L’environnement ne peut être compris que comme totalité, comme cosmos ; c’est la raison pour laquelle la Russie a produit au même moment, outre Lénine (1870-1924), le théoricien du voyage spatial Constantin Tsiolkovski (1857-1935) et le théoricien de la planète comme Biosphère Vladimir Vernadsky (1863-1945).

On est dans une sorte de spinozisme modernisé et Stalker est une sorte d’avatar extrêmement captivant et dérangeant en même temps.

Le scénario, on s’en doute, est particulièrement tortueux, afin de justifier la progression du film et d’acteurs particulièrement déroutants.

Dans Stalker, réalisé en 1979 en URSS, Andrei Tarkovski reprend la trame du roman Pique-nique au bord du chemin, de Boris et Arkadi Strougatsky, tout en effaçant cependant l’aspect science-fiction.

Ainsi, au lieu d’avoir une « zone » marquée par des phénomènes étranges en raison des restes d’une pause faite sur terre par des extra-terrestres lors de leur voyage, on a une allégorie de l’univers comme ayant une dimension complexe, où tout est relié.

Stalker se situe ainsi dans le prolongement direct des questionnements cosmiques propres à l’URSS des années 1930-1950, dans la perspective ouverte en Russie à la fin du 19e siècle.

Mais, en même temps, il rompt avec cela dans une partie significative ; de par les conditions propres à l’URSS alors, le film bascule dans un existentialisme pessimiste absolument typique de l’esprit du « dégel » ayant suivi la mort de Staline.

La tendance à la réflexion métaphysique devient alors le grand leitmotiv du film, la véritable obsession des personnages.

Le film, aux images d’un niveau éblouissant sur le plan photographique, se focalise donc sur les affres intellectuelles et spirituelles d’un écrivain et d’un professeur guidés dans la « zone » par un Stalker, c’est-à-dire un passeur, être ultra-sensible rompant avec les valeurs dominantes d’un monde indifférent et cynique.

C’est également car il possède une charge critique virulente : la critique de la situation soviétique d’alors est patente et juste, exposée d’ailleurs par une alternance entre le noir et blanc (le monde hors de la zone) et la couleur (celle de la zone, qui est la nature elle-même, en opposition au monde abîmé).

La pollution, la militarisation de la police, l’oppression du secteur militaro-industriel en général, notamment avec le nucléaire, sont dénoncés de manière indirecte mais flagrante.

L’URSS des années 1970 est présentée comme une sorte d’État policier et d’organisation spatiale particulièrement sordide, entre béton, chaos et profonde laideur.

Le film culmine de ce fait dans un appel romantique, reprenant un poème du très important poète russe Fiodor Tiouttchev (1803-1873) : « J’aime tes yeux mon ami. J’aime les flammes qui y jouent quand tu les lèves soudain et que, telle la foudre, tu embrasses tout de ton regard. Mais plus puissant encore est leur charme quand, baissés comme pour se prosterner, au moment de l’étreinte passionnée, au travers des cils, j’entrevois le feu sombre et terne du désir ».

Cela en fait un film difficile d’accès, si l’on cherche une vue d’ensemble. Si l’on omet de comprendre le caractère fondamentalement russe de Stalker, on sombre dans une interprétation unilatéralement mystico-philosophique d’un film, dont le filigrane est en réalité le panthéisme cosmique dans son approche slave.

Derrière les références à Lao Tseu et au Christ, aux considérations métaphysiques, se retrouve la question de saisir un monde unifié, naturel et tourné vers la bonté. En ce sens, c’est un film particulièrement sombre, mais plein d’espoir.