Une nouvelle droite dure et nationaliste va se former.
En annonçant 100 000 personnes au Trocadéro à Paris pour son meeting, Eric Zemmour a parfaitement réussi son coup médiatico-politique. Ce qui compte pour lui en effet est de montrer qu’il y a un élan autour de lui et de ce qu’il représente, avec une proposition incontournable pour l’avenir.
Il ne faut pas être dupe de l’enjeu électoral lui-même, qui ne débouchera très probablement pas sur un séisme politique. Eric Zemmour sait très bien qu’il ne sera probablement pas au second tour dans quinze jours, dimanche 10 avril 2022, mais peu importe.
Ce qu’il faut voir surtout, c’est comment, en si peu de temps, sans aucun parti politique structuré initialement derrière lui, il réussit à peser autant sur l’élection, à réunir 100 000 personnes adhérentes à sa formation électorale Reconquête avec un discours très clivant, et plusieurs dizaines de milliers de personnes à son grand meeting de campagne à Paris.
L’élan est clairement là, la dynamique politico-culturelle est évidente. Et si, comme cela se profile, Marine Le Pen échoue à nouveau face à Emmanuel Macron au second tour de l’élection, avec également une Valérie Pécresse humiliée par un score très faible au premier tour, alors il y aura un immense boulevard pour la recomposition de la Droite, dans une forme conforme aux tumultes de l’époque, à la crise.
D’ailleurs, Eric Zemmour n’est ici probablement qu’un simple outil, un passeur pour aller d’une époque à une autre, et il s’effacera très vite, en tous cas idéologiquement (déjà qu’il ne représente pas grand-chose, hormis son populisme anti-immigrés). Il faut plutôt regarder du côté des Nicolas Bay, Guillaume Pelletier ou Marion Maréchal pour voir les visages de la Droite dure et nationaliste de demain.
Eric Zemmour pour sa part, c’est avant tout la nostalgie de la France d’avant, de l’après-guerre, avec un capitalisme triomphant et modernisant la société à vitesse grand V, sans pour autant chambouler sa base paysanne et petite-bourgeoise. En s’adressant aux « anciens » lors de son meeting, il a parfaitement exprimé cela :
« Vous avez connu la vie dans le plus beau pays du monde, vous avez connu l’école de l’exigence, vous avez connu la courtoisie dans la rue, la galanterie. Vous avez connu la fierté d’être Français. Vous ne reconnaissez plus le pays dans lequel vous avez vécu ? Vous ne comprenez pas ce qui vous a échappé ? Vous ne vouliez pas créer ce chaos, je le sais. Vous avez le pouvoir de faire basculer cette élection, de choisir le candidat qui vous dit : ‘Oui, vous avez raison d’avoir peur’. Choisissez le candidat qui vous dit : ‘Je veux que la France redevienne la France’. Je vous propose de redevenir jeunes, de retrouver l’optimisme de vos 20 ans ».
Mais plus encore, c’est en dévoilant ses références politiques lors du meeting qu’il montre en quoi il est dépassé culturellement, appartenant strictement au passé (quand bien même est-ce sous une forme mystifiée) :
« Nous sommes les seuls à être de droite dans cette campagne. Nous sommes les seuls héritiers d’une Droite qui aime la France, le peuple, le travail, l’ordre et l’identité. C’est la Droite qui était au RPR, la Droite de Charles Pasqua, la Droite de Philippe Séguin. Oui je suis le seul candidat de droite à cette élection. »
Au sens strict, ce genre de références en 2022 n’a aucun sens et ne devraient même pas réunir plus d’une centaine de personnes ; si Eric Zemmour galvanise autant avec un tel discours franchement ringard, c’est simplement de par ce qu’il représente comme perspective de bousculement politique, de recomposition de la Droite.
Ce qui compte n’est pas tant ce qu’il raconte, sur l’immigration, l’économie, etc. ou ce qu’il ne raconte pas, sur l’écologie, sur la Russie, etc. Ce qui compte surtout c’est qu’il explique qu’il faut tout recommencer à droite, réunir tout le monde pour partir sur de nouvelles bases dépassant les formations politiques actuelles à droite.
Les propos suivants tenus lors du meeting du Trocadéro ont une portée politique immense, qui serviront de base pour les dix années à venir à droite, c’est une évidence :
« J’ai choisi le Trocadéro car nous n’en pouvons plus des divisions des patriotes qui est la cause de nos défaites. J’aurai besoin de tout le monde : des gaullistes, des souverainistes, de tous les patriotes de la droite.
J’aurai besoin de tout le monde. J’aurai besoin de toutes les familles de la droite et de tous les patriotes. J’ai des amis aux Républicains et je les accueillerai. J’ai des amis au Rassemblement national, ils auront toute leur place à mes côtés. Oui j’ai besoin d’Eric Ciotti, applaudissez-le ! Oui j’aurai besoin de François-Xavier Bellamy, de Laurent Wauquiez, de Nadine Morano, de Jordan Bardella, applaudissez-les ! Car c’est l’idée que je me fais de l’union des Droites ».
Eric Zemmour, c’est ni plus ni moins que la jonction entre la droite classique et traditionnelle, bourgeoise et urbaine, représentée surtout par le RPR, puis l’UMP, puis LR, avec une droite provocatrice et populiste, puis social-nationaliste, représentée surtout par le Front national puis le Rassemblement national.
Pour l’instant, Eric Zemmour n’apporte aucun contenu véritable à cette union et recomposition de la Droite à venir. Il ne fait que recracher vaguement l’idée d’un néo-gaullisme indispensable à la bourgeoisie française, qui a déjà été formulé en long en large et en travers partout à droite durant les années 2010. Depuis Henri Guaino, qui était le conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, jusqu’à Marine Le Pen et toute la clique intellectuelle ayant formulé son programme depuis 2012.
Voilà donc la signification principale de la candidature Eric Zemmour : c’est d’en » appeler » à :
« ces électeurs des Républicains qui en ont assez de voir leurs idées trahies, à ces électeurs du Front national qui voient leurs idées végéter dans une opposition stérile depuis trop longtemps. »
Je vous tends la main, dit-il, et cette main tendue n’est autre que la possibilité d’une nouvelle formation à Droite en France, sur une ligne dure, nationaliste, néo-gaulliste évidemment, assumant la restructuration économique dans le cadre de la crise avec une bataille rude menée aux travailleurs, et assumant bientôt la question de la guerre dans le contexte mondial.
Eric Zemmour, en vérité, ne dit pas grand-chose dans le fond, car il n’a pas besoin de le faire. Ce qui compte par contre, c’est qu’il laisse la porte grande ouverte pour une nouvelle Droite prenant fermement le pouvoir en France.
C’est tellement vrai que Philippe de Villiers, ce nationaliste toujours apprécié à droite mais isolé, qui prône justement depuis des années et des années cette union des droites sur un mode dur, a confié avoir eu «les larmes aux yeux » en écoutant le meeting d’Éric Zemmour. C’est clairement une page qui se tourne pour la Droite française, une nouvelle époque qui s’annonce.
La Gauche en face doit se reconstruire et vite, pour ne pas voir les acquis démocratiques et toutes les conquêtes sociales du mouvement ouvrier se faire littéralement broyer par cette nouvelle vague de droite dure et nationaliste, et qui assumera d’aller vers la guerre.
C’est tellement urgent qu’il suffit de penser ne serait-ce qu’à dans quelques semaines avec les élections législatives… Cela va être un jeu de massacre pour la Gauche, ou ce qu’il en reste, et une formidable séance de répétitions pour la nouvelle droite qui se profile.