Le béton de la ville ne suffisait pas.
Quoi de plus naturel et positif que la randonnée ? On se dit que forcément, les gens qui aiment marcher sont des gens qui ont au moins compris quelque-chose à la vie. Rien que parce que cela demande un effort prolongé et un minimum de préparation, la randonnée est à contre-courant de l’époque. Pourtant, là aussi le capitalisme a pénétré, avec son esprit de conquête et de consommation.
Alors bien sûr, ce n’est pas nouveau qu’il existe tout un business autour de la randonnée, avec des gens achetant des souliers hors de prix pour ne marcher que cinq heures par an. Ou encore l’explosion des bâtons de marches, qui en plus d’être inutiles dans beaucoup de cas, causent d’énormes soucis de destruction des sols. Mais bon, il y a malgré tout à la base une démarche rationnelle, avec l’idée de faire les choses bien. Dialectiquement, l’action participe au changement positif de l’humanité, qui cherche à développer un rapport de plus en plus élaboré à la nature.
Tel n’est pas le cas de cette horrible mode des « cairns » qui sévit sur les chemins de plus en plus chaque année. C’est là quelque-chose de tout à fait négatif, reflétant parfaitement le problème de l’humanité à l’époque de l’écocide.
Il s’agit de tas de cailloux disposés à plat, du plus large en dessous au plus fin au sommet, en général à des intersections. A l’origine, c’est censé être une habitude de randonneurs pour tracer les chemins. Le mot aurait une racine celtique, à partir de »karn » signifiant « tas de pierres ». Pourquoi pas, bien que cela soit ridicule au 21e siècle, à l’époque du GPS et des cartes accessibles facilement.
Le problème, c’est qu’on trouve maintenant ces tas de cailloux partout, faits par n’importe qui. Dans l’imagerie collective, cela renvoie surtout à la haute montagne et à la « conquête » des sommets et glaciers.
Maintenant, c’est devenu clairement un objet de consommation. Des gens marchant 1h, 2h, 3h, à la montagne, s’imaginent être des aventuriers et devoir absolument marquer le chemin de leur empreinte. Littéralement, ils apportent leur pierre à l’édifice et en général ils prennent une photo pour « partager » cette émotion consommée. Et donc, pas seulement en montagne, mais absolument partout, depuis les petits chemins isolés d’Auvergne, jusqu’aux côtes bretonnes ou provençales, on retrouve ces amas de cailloux. Et pas qu’en France d’ailleurs.
Sur le plan de l’écologie, c’est zéro, cela va sans dire. Forcément cela n’est pas anodin de déplacer des cailloux. La nature n’est pas une carte postale, mais une réalité concrète et complexe, en mouvement, où la vie s’établit en permanence. Même un cailloux à l’apparence anodine intègre et produit un écosystème.
Mais surtout, il s’agit là d’état d’esprit. Normalement, le randonneur a à l’esprit que déjà sa trace sur le chemin a un impact, et il veux réduire celle-ci le plus possible en ne sortant surtout pas des sentiers tracés. C’est précisément pour cela que les chemins sont balisés discrètement à la peinture et qu’il faut les suivre rigoureusement. La mode des « cairns » consiste exactement en l’inverse.
Il faut donc marquer son passage, il faut conquérir l’espace. La marche, la vue, le vent, les odeurs, le calme, cela ne suffit pas à ces gens. Cela se vie, mais il n’y a rien à montrer, alors il faut obstinément poser des cailloux pour « faire » quelque-chose.
On est là au même niveau que la masse d’imbéciles jetant des pièces dans les fontaines italiennes en imaginant que cela est romantique. Où ceux attachant des cadenas aux ponts parisiens, qui s’effondrent de ce poids. Quel désastre…
C’est tellement un désastre qu’on trouve maintenant des panneaux pour tenter d’expliquer aux gens que les « cairns » sont nuisibles. Ou encore, sur la presqu’île de Crozon à la pointe du Van, il y a même un espace dédié avec un tas de cailloux à disposition, pour éviter d’en faire ailleurs !
Le Parc national des Calanques à Marseille, qui déjà est sur-fréquenté, est lui aussi littéralement pollué par cette horrible mode. Il a donc été communiqué là-dessus, pour tenter d’éduquer, de rattraper le retard. Voici un extrait de la communication, qui est intelligente dans sa formulation, mais qui est bien trop défensive et ne servira malheureusement à rien :
« Les cairns, ça craint. On vous explique pourquoi.
Cette pratique est loin d’être anodine pour le milieu naturel. Dans le Parc national des Calanques, les cairns illustrent parfaitement l’impact d’un geste, qui semble inoffensif, répété par des milliers de personnes. Il aboutit à la création d’amas de pierres géants et informes, qui n’ont d’ailleurs plus rien de photogénique. Pire, la formation de ces cairns engendre plusieurs impacts néfastes sur le milieu naturel :
– En prélevant des pierres le long d’un sentier, le sol se retrouve à nu et cela entraine une forte érosion, jusqu’à atteindre la roche mère.
– En prélevant des pierres dans un éboulis, on impacte une végétation spécialisée comme la très rare Sabline de Provence, espèce protégée et endémique de la Provence calcaire.
– Le prélèvement de pierres porte atteinte à tout un cortège d’espèces comme le scorpion à pattes jaunes, le cloporte, la tarente de Maurétanie ou l’hémidactyle verruqueux.
Une fois que le cairn atteint une taille importante, les usagers doivent le contourner, ce qui provoque un élargissement du sentier par le piétinement de la végétation arbustive.
A plusieurs reprises, les agents du Parc national ont procédé à leur surpression comme dans les photos ci-dessous, le long du sentier panoramique au-dessus de la calanque d’En-Vau, avec l’aide des élèves du Lycée des Calanques. Plus anciennement, l’association MBF avait aussi prêtée main forte pour supprimer ces cairns.
Ne pas laisser de traces
Il y a fort à parier que la majorité de auteurs de cairns ignorent l’impact qu’ils ont sur l’environnement et n’ont aucune mauvaise intention. Avec cet article, nous espérons porter à la connaissance de nos visiteurs ces impacts. Mais nous rappelons également que la réalisation de cairn au sein d’un Parc national est passible d’une contravention de 135 € car elle constitue une atteinte au milieu naturel. La seule exception à cette règle est accordée aux grimpeurs qui les utilisent avec parcimonie, pour marquer ponctuellement les accès aux voies d’escalade. Le Parc national autorise ces cairns de très faible hauteur (30-40 cm) qui sont mis en œuvre exclusivement par la FFME et le CAF.
Alors, plutôt que de poster la 100 002ème photo de cairn sur Instagram, et si nous changions notre rapport à la nature en l’appréciant telle quelle ? Le panorama depuis le mont Puget sur l’archipel de Riou n’est-il pas suffisamment beau, pour avoir à lui ajouter un tas informe de pierres ?
Il n’est nul besoin de laisser une trace de notre passage dans la nature. Et si vous êtes sensible à la protection du Parc national des Calanques comme de tous les espaces naturels, il est d’autres hashtags à faire monter comme puissance, comme #stopcairns, #nocairn, #leaveonlyfootprints ou #leavenotrace. »
Mais c’est déjà trop tard. D’ailleurs, si le parc naturel des Calanques était à la hauteur, il assumerait : il faut interdire l’accès au public, au moins l’été. C’est inévitable si on veut vraiment d’un parc naturel qui ne soit pas Disneyland. Les mentalités usées et pourries par le capitalisme ne changerons pas, à moins d’un grand bouleversement, à moins d’une révolution !