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Mobilisation du 16 janvier 2020: la course au néant

Non seulement la mobilisation contre la réforme des retraites a été encore plus faible que les fois précédentes, mais elle a été accompagnée d’actions parmi les plus stupides qui soient. C’est un gigantesque ratage historique.

La querelle des chiffres tourne toujours plus à l’absurde et il ne faut pas se voiler la face : les syndicats forcent tellement que cela ne ressemble plus à rien. Le ministère de l’Intérieur dit qu’il y a eu 187 000 manifestants dans les rues hier en France, la CGT en voit 250 000… rien que pour Paris. Pour cette ville, le ministère de l’Intérieur dit 23 000, le cabinet Occurrence 28 000. Même chose à Marseille où la CGT a vu 110 000 personnes et la Préfecture seulement 8000.

Reste le constat objectif : les personnes mobilisées sont déterminées, mais le reflux est là. La grève à la SNCF était de 10,1 % et moitié moins la veille. Les chiffres sont relativement les mêmes dans l’Éducation nationale.

En encadrant le mouvement, en empêchant l’émergence des assemblées générales comme démarche unitaire générale, les syndicats ont barricadé le mouvement, espérant que le soutien passif des gens suivrait pour une lutte par procuration. Évidemment, les syndicats prétendaient le contraire en appelant symboliquement à un élargissement… sans jamais contribuer à le chercher.

La lutte par procuration s’est donc révélée un substitutisme complet. Aux côté de professions libérales, tels les avocats ou le secteur paramédical, pour qui jamais un ouvrier ne se bougera, et avec raison.

C’est un gigantesque ratage historique et, forcément, sur le plan culturel cela tourne au lamentable.

En Corse, la CGT énergie a privé de courants une dizaine de radars surveillant les routes d’Ajaccio, de Balisaccia, de Bastia, d’Aleria et d’Alistro. Une action du niveau des gilets jaunes, avec le même populisme anti-État allant jusqu’à dénoncer les radars comme un complot pour se faire de l’argent sur le dos des petites gens. Alors que vu le comportement des automobilistes français, il faudrait plutôt mettre des radars partout.

Yannick Baudry, de la CGT Énergie, a une explication ahurissante :

« Plutôt que d’aller couper l’électricité des usagers ou de professionnels, on veut montrer qu’on est des gens responsables, on fait des coupures sur des radars de nuit, pas sur des usagers. »

Les chauffards peuvent lui dire merci. Mais dans la course au néant, il a de la concurrence. Des enseignants ont décidé en effet de se comporter comme les derniers des abrutis : ils ont jeté des manuels scolaires devant les rectorat de Caen, de Versailles et de Clermont-Ferrand, l’inspection académique de Saint-Lô. De telles actions avaient déjà été menées les jours précédents, comme à Lille.

À Caen, un mur a été fait avec les livres avant d’être jetés. Voici l’explication, là encore ahurissante, d’Anne Roascio, co-secrétaire départementale CGT Educ’action :

« Cet acte symbolique montre le ras-le-bol des enseignants. Nous avons eu du mal à faire cette action. Ce n’est pas rien de jeter des livres, c’est le savoir, la culture, ce qui est notre mission.

Cela montre vraiment que nous sommes à bout. Ce mur a été construit à partir de manuels scolaires rendus inutiles par toutes les réformes dans le premier comme dans le second degré. »

Anne Roascio assume donc parfaitement de jeter le livre, qui sont le savoir, la culture. Pour elle c’est justifiée. Rien d’autre ne serait possible ! Ah ben on ne va quand même pas se mettre à critiquer le capitalisme, à dénoncer la bourgeoisie, voire à exiger le socialisme… Mieux vaut se comporter symboliquement comme des criminels anti-culture, c’est mieux ! On ne va tout de même pas rassembler ces ouvrages pour les envoyer dans des pays francophones d’Afrique, où ils pourraient servir…

Le ministre de l’Éducation a eu évidemment toute latitude pour dénoncer un acte symbolique inqualifiable. S’en est suivi un communiqué pittoresque se voulant unanime et parlant d’action libératrice, cathartique.

Il ne faut pas chercher, la défaite est culturelle. On ne combat pas une classe dominante de haut niveau, avec un État ultra-moderne et de haut niveau administratif, en considérant qu’être là c’est suffisant. Cette image d’une vente de sandwich jambon ou fromage, d’un verre de vin ou d’une « bierre » suffit à expliquer pourquoi rien de tout cela ne peut faire rêver.

Des couches populaires n’ayant d’autres ambitions que de vivre comme avant, que de donner au capitalisme un visage humain, ne peuvent aller que de déceptions en déceptions, de défaites en déroutes.

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La CGT et la CGT–FO à la croisée des chemins

La Fédération nationale CGT des Ports et Docks est rentrée dans la bataille, avec un blocage des ports pour 72 heures. La CGT abat une nouvelle carte, avec l’appui de la CGT-FO. Tous deux jouent leur existence et le risque d’une déroute apparaît comme de plus en plus tangible.

Le Premier ministre Édouard Philippe étant auparavant maire du Havre, la ville est un symbole important dans la lutte contre la réforme des retraites. La Chambre de commerce et d’industrie (CCI) du Havre comptait organiser une soirée pour présenter ses « voeux », elle en a été empêchée par quelques centaines personnes, principalement des dockers.

L’initiative a été mouvementée ; barricadée à l’intérieur des locaux de la CCI, les forces de l’ordre ont en effet subi les lancers de fumigènes et de pétards. Un commissaire de police a eu la très mauvaise idée de ramasser un pétard, dont l’explosion lui a arraché un doigt.

Quelques jours auparavant, la mairie avait subi également l’interruption de ses vœux. Les manifestants en avaient profité, en pénétrant les lieux, pour s’approprier les petits fours et le champagne.

Tout cela est intéressant, indéniablement, si l’on regarde de manière abstraite. Car en pratique, cette lutte est une dernière tentative de relancer, par le forcing, un mouvement de lutte contre la réforme des retraites qui est en train d’agoniser du côté des cheminots et de la RATP.

Concrètement, c’est la fédération nationale CGT des Ports et Docks qui est rentrée dans la bataille, bloquant pour 72 heures différents ports (Le Havre, Marseille, La Rochelle, Bordeaux, Rouen, Dunkerque, Nantes-Saint-Nazaire).

Ce que cela veut dire, c’est qu’on a pas ici affaire à une lutte impliquant les travailleurs, par en bas, sur la base de leurs propres décisions. On est dans une intervention tactique de la CGT, qui en appelle à une fédération très forte pour ajouter du poids dans la balance. On est donc encore et toujours dans le principe de la lutte syndicale par procuration, dans le substitutisme.

Il est évident que cela ne peut aboutir à rien et que cela ne fait que renforcer l’image d’un conflit opposant la CGT au gouvernement. Il est d’ailleurs marquant que la CGT -Force Ouvrière est sur la même position que la CGT, alors que normalement ce sont des frères ennemis s’ignorant. Ce qui est en jeu, c’est vraiment la question historique de savoir s’il y aura demain la place pour une cohabitation, comme c’est le cas depuis les années 1960, du patronat et de syndicats apparemment combatifs, le tout se neutralisant dans des instances mises en place par l’État.

Il ne faut pas se leurrer. C’est toute la tradition de la CGT qui risque de passer à la trappe. Ce qui est en jeu, c’est l’idée de la CGT et de la CGT-FO d’un syndicat à la fois intransigeant mais négociant, arrachant des acquis au sein de négociations institutionnalisées, proposant des contre-projets.

Si la réforme des retraites passe, alors il n’y aura plus de place que pour le syndicalisme non plus de cogestion – ce que sont la CGT et la CGT-FO – mais d’accompagnement moderniste, ce qu’est la CFDT.

Les conséquences seraient bien entendu politiques également, car le Parti Communiste Français est l’expression de la CGT, alors que de toutes façons une bonne partie des restes de la Gauche politique – qu’on sait terriblement affaiblie – s’appuie sur le monde syndical.

Il est ainsi normal que les dirigeants syndicaux, comme ce mercredi 15 janvier dans un  live Mediapart, ne cessent d’expliquer qu’il se passe quelque chose dans tout le pays… mais qu’en même temps, il n’y pas de bouton pour forcer la grève générale. Tout cela est incohérent, mais il s’agit de tenir, en espérant que la lutte des classes reprenne suffisamment tôt pour sauver les syndicats.

Auparavant, l’État faisait tout pour justement pour les sauver, comme en mai 1968, alors qu’ils étaient dépassés. Mais le capitalisme français dans la rude bataille à l’échelle mondiale ne peut plus se permettre tout cela. Il faut moderniser à marche forcée… et l’objectif est clairement de faire de la CFDT le seul interlocuteur, et à terme le syndicat hégémonique, voire unique.

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Grèves: la faiblesse de la Gauche fait la force de l’extrême-Droite

La Gauche a refusé la politique et a laissé faire le syndicalisme pour mener la grève contre la réforme du système des retraites. Non seulement cela s’annonce de plus en plus comme un échec, malgré une forte tension à la base dans de nombreux secteurs, mais en plus cela a directement tracé un boulevard pour le Rassemblement national et son populisme nationaliste.

Marine Le Pen a lancé dimanche dernier la campagne du Rassemblement national pour les municipales en se tournant vers la Droite, car les réalités politiques dans les communes exigent de telles alliances. Dans le même temps, elle assume une position « sociale » très forte sur la question des retraites, profitant des faiblesses de la Gauche pour se présenter comme l’opposante numéro un au gouvernement.

Elle soutien le mouvement et demande même de « continuer cette contestation contre la réforme des retraites », en expliquant bien sûr qu’elle retirera la réforme si elle parvient au pouvoir.

La dirigeante du Rassemblement national torpille ici littéralement la Gauche sur son propre terrain, tout en assumant la Droite sur le plan des valeurs. Il ne faut pas s’y tromper : on a à faire ici à une démarche typiquement fasciste, consistant à critiquer la Gauche tout en assumant ses thèmes, mais avec des valeurs de droite.

C’est un rouleau compresseur qui se met en marche afin de proposer le nationalisme comme recours politico-culturel au libéralisme. La Gauche, en ayant laissé l’extrême-Droite s’emparer de la contestation sur les retraites, va se retrouver désemparer. Cela d’autant plus qu’elle a elle-même contribué à baisser le niveau en acceptant le populisme des gilets jaunes.

La situation sera d’autant plus catastrophique si la grève est un échec : le populisme nationaliste aura tout loisir d’attribuer cet échec à la Gauche, et pas au syndicalisme. Le populisme nationaliste de Marine Le Pen est d’ailleurs très clair sur ce point : il ne critique pas le syndicalisme. Au contraire, il propose au syndicalisme de se ranger derrière le nationalisme, qui serait plus à même de lui garantir des succès que la Gauche.

Elle a donc refusé de critiquer la grève, malgré la tradition anti-grève de l’extrême-Droite française, expliquant tout simplement que :

« Les syndicats sont dans leur rôle, nous les partis politiques nous sommes dans le nôtre. »

De manière très habile cependant, elle fait en sorte de critiquer la direction de la CGT, en fustigeant son secrétaire national Philippe Martinez, qu’« on a toutes les raisons de détester » car il est « sectaire, odieux, il refuse le processus démocratique ».

Ce n’est pas tout. Pour être certain que tout le monde ait bien compris son positionnement, pour couper l’herbe sous le pied à l’argument faisant de l’extrême-Droite une force d’appuis aux syndicats « jaunes » (le surnoms des casseurs de grève), elle précise dans Le Parisien :

« Les syndicats réformistes sont les idiots utiles du macronisme »

Elle en appelle même à la base de ces syndicats, en l’occurrence surtout de la CFDT, première organisation syndicale représentative dans le privé, les opposant à leurs directions :

« Ils devront en répondre auprès de leur base qui n’est probablement pas dupe. »

Cet appel du pied de l’extrême-Droite au syndicalisme est un tournant historique, ou plutôt un « retour » historique, car c’est là l’essence du fascisme. La Gauche, quand elle a été forte, politique, ancrée dans les classes populaires, a été le meilleure rempart au nationalisme.

Maintenant qu’elle est faible, isolées dans les centre-villes et soumise au syndicalisme, elle laisse un boulevard au populisme nationaliste. Et ce n’est pas Philippe Martinez qui sauvera la Gauche, car il n’a absolument rien à dire contre le nationalisme. Sa critique du Rassemblement national est totalement à côté de la plaque :

« Les solutions de gens qui sont racistes ne sont pas les bienvenues dans les mouvements sociaux »

Cela n’a aucun rapport, puisque Marine Le Pen ne mobilise absolument pas avec le racisme, mais avec le nationalisme. Alors, quand Philippe Martinez défend ensuite l’immigration en s’imaginant que cela soit utile pour combattre l’extrême-Droite (« le problème dans notre pays ce n’est pas l’immigration, c’est le partage des richesses »), il ne fait que contribuer au grand lessivage nationaliste à venir… À moins que la lutte de classe s’affirme réellement et mette à bas le populisme nationaliste de Marine Le Pen !

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Réflexions

Les Français s’ennuient

Les Français s’ennuient. Mais ils ont trop le sens de l’envergure pour ne pas le savoir. Ils sont corrompus et donc l’acceptent. Jusqu’à une génération en rupture, qui en a simplement assez, qui sature.

Ce qui caractérise actuellement notre vie publique, c’est l’ennui. Les Français s’ennuient. Ils ne participent ni de près ni de loin aux grandes convulsions qui secouent le monde. Le réchauffement climatique les émeut, certes, mais elle ne les touche pas vraiment. Sur le plan de la vie quotidienne, ils restent fidèles à eux-mêmes et donc à leurs habitudes. L’élection de Donald Trump aux États-Unis et de Bolsonaro au Brésil a bien troublé les esprits, provoquant des sentiments violents et des opinions tranchés, puis on est vite passé à autre chose.

L’explosion récente de la pauvreté la plus sombre en Argentine, frappant désormais le tiers de la population, n’a pas été remarqué. Il en va de même pour les très violentes manifestations au Chili à la suite de l’augmentation du ticket de transport dans la capitale de 30 pesos (1 euro fait 848 pesos), faisant au moins 26 morts et pratiquement 3000 blessés. Ni même les mobilisations massives en Colombie, en Iran, en Irak, en Algérie… Seul le mouvement à Hong Kong a été remarqué, parce que les médias en ont parlé comme c’est une mobilisation pro-occidentale.

C’est que l’Europe est en paix et les dirigeants, Emmanuel Macron en tête, ne cessent de dire que c’est fait pour durer. De toutes façons, on n’est plus concerné : les États-Unis et la Chine décident de tout de par leur poids, alors pourquoi changer, ou même faire des efforts ? Tout peut continuer comme avant et rien n’atteint le train train de la vie quotidienne.

Mais la jeunesse s’ennuie. Nés après 2000, les jeunes n’ont pas les préjugés des anciens et ils profitent de la modernité sous la forme d’accès à ce qui forme le goût le plus immédiat : les habits, la musique, le style. Ils sont individualistes et tête en l’air, mais savent en même temps qu’ils sont en rupture complète avec le passé. On les méprise : eux répondent en ignorant ce qu’il y avait avant.

Ils sont une force tranquille, à rebours des gilets jaunes, ces mis de côté qui refusent la modernité au lieu de s’en saisir. Les gilets jaunes veulent geler la France, la faire retourner dans le passé, et les syndicats sont la même posture culturelle avec leur ligne purement défensive, nostalgique des droits acquis hier. Cela ne parle pas à la jeunesse. Comment pourrait-il en être autrement ?

Dans son article du Monde du 15 mars 1968, Quand la France s’ennuie, Pierre Viansson-Ponté constatait la même ambiance étrange où la France semblait en décalage avec tout, même avec elle-même. Et il notait :

« Cet état de mélancolie devrait normalement servir l’opposition. Les Français ont souvent montré qu’ils aimaient le changement pour le changement, quoi qu’il puisse leur en coûter. »

Cela ne semblait alors pas le cas, puisqu’il ne se passait rien. Alors vint mai 1968 juste après, comme expression de la contradiction massive entre une France enkystée dans les vieilles habitudes et une jeunesse en total décalage dans sa manière de concevoir les choses. Il va en être de même pour la France d’aujourd’hui.

Car les Français sont trop éduqués, trop conscients des rapports d’oppression, d’exploitation, trop culturels, trop fiers de leur héritage contestataire, pour ne rien faire. Et s’ils consomment jusqu’au bout, s’ils pratiquent l’individualisme jusqu’au bout, c’est pour bien être certain d’avoir essayé jusqu’au bout de rien faire. Cela aussi, c’est très français. La certitude de l’impossibilité de continuer comme avant acquise, de manière cartésienne à leurs yeux, ils vont alors rentrer dans le jeu historique.

Et cela n’aura, bien sûr, rien à voir avec la tragi-comédie des gilets jaunes. Lorsque se mettent en mouvement les jeunes et les ouvriers – car ils seront là – tout change. Le contenu sera alors ce qui compte. Car c’est toujours ce qui compte, tels les fleurs, les animaux, le bleu du ciel, le bruit de la musique, tout quoi !

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Politique

La mobilisation du 11 janvier 2020 contre la réforme des retraites

Les rassemblements du samedi 11 janvier devaient profiter du week-end pour prolonger en mieux ceux du jeudi précédent. C’est un échec très net, accompagné par le passage de la CFDT dans le camp de la réforme. Alors que la lutte des classes doit précisément se lancer maintenant, elle est tétanisée.

Le grand souci actuel, c’est que les gens qui luttent s’imaginent que parce qu’ils se mettent enfin à faire quelque chose, ils vont vaincre sans péril. Ils ne comprennent pas que leur lutte est encore embryonnaire, faible culturellement, inexistante politiquement. Ils ne voient pas qu’ils ne sont pas en avance et le fer de lance d’une révolte, mais carrément en retard et l’arrière-garde réagissant à un écrasement individualiste de la société.

Les gens mobilisés croient ainsi commencer à gagner… Alors que la lutte réelle ne fait que commencer. Le décalage est total. Et le prix à payer se lit dans l’incapacité à mobiliser au-delà de la base mobilisée.

Il y a eu 149 000 personnes dans les rues le 11 janvier selon le ministère de l’Intérieur, 500 000 d’après la CGT. Dans tous les cas, cela veut dire qu’une partie significative des gens jeudi ne sont pas revenus – rappelons que la CGT avait compté 1,7 million de manifestants jeudi 9 janvier. Cela veut dire aussi que les gens qui ne se sont pas en grève ne se sont pas mobilisés en profitant du week-end.

S’il y avait réellement un élan, il y aurait plus de monde, et surtout une certaine tension sociale. Or, si la majorité du pays refuse la réforme des retraites, il n’y a simplement pas de confiance en les syndicats, CGT y compris. Donc les gens ne sont pas venus, donc les gens ne se mobilisent pas. La base de la lutte, c’est la mouvance syndicale et on ne sort toujours pas de là. Et on n’en sortira pas, car seule la Gauche, dans ses valeurs historiques, peut porter un mouvement de masse, certainement pas « les syndicats ».

Ceux-ci sont pour cette raison obligés de toujours plus basculer dans le syndicalisme révolutionnaire, c’est-à-dire le substitutisme d’une minorité luttant par procuration pour les autres. Voici ce que le dit le communiqué commun CGT – FO – FSU – Solidaires – CFE CGC – MNL – UNEF – UNL :

« Les 9, 10 et 11 janvier les mobilisations auront été d’une grande force. Ce samedi 11 janvier elles ont pris de l’ampleur avec un caractère interprofessionnel et transgénérationnel marqué. »

C’est du syndicalisme révolutionnaire, parce que l’idée est qu’à force de mettre en avant un « mythe mobilisateur », il est espéré que les choses s’auto-réalisent. On dit que la jeunesse est mobilisée aux côtés des plus anciens, que de larges secteurs du monde du travail s’impliquent. On le dit pour faire en sorte que cela arrive, comme par magie. Et on s’auto-intoxique jusqu’à croire à ses mensonges.

Seulement là, le contexte est totalement différent et les syndicats jouent pratiquement à quitte ou double. C’est d’autant plus vrai que l’État, rompu à la gestion des conflits sociaux dans notre pays, a mis en branle le processus d’intégration. La CFDT considère déjà qu’elle a gagné avec la mise de côté de l’âge pivot du projet de loi – une mise de côté pourtant présentée par le gouvernement comme « provisoire ». De plus, comme cet âge pivot pourra être modelé comme le gouvernement l’entend en jouant sur la valeur des « points » accumulés lors du parcours individuel dans le monde du travail.

La vraie question n’est toutefois pas là. Le problème de fond, c’est que les syndicats font partie des institutions depuis cinquante ans et qu’on voit leurs limites : ils ne peuvent rien proposer dépassant le cadre posé par le gouvernement. Ils ne le peuvent pas, ils ne le veulent pas. Ils ne parviennent pas – même quand ils le veulent, c’est flagrant pour les secteurs les plus offensifs de la CGT – à proposer quelque chose de positif.

On est enfermé dans un mode revendicatif rétif à toute politisation, à toute valeur politique, hostile à toute politisation même. On en revient aux mêmes travers des gilets jaunes : l’État est considéré comme les grand gestionnaire de portefeuille de la nation et doit payer, les droits sont considérés comme un privilège individuel et non des conquêtes sociales.

Et les syndicats fonctionnent comme fin en soi ; ils ne se veulent pas vecteurs de la lutte, mais le lieu de la lutte, le lieu d’absolument tout. Voilà pourquoi la démagogie d’extrême-Droite peut continuer à dénoncer la réforme des retraites, alors qu’un mouvement sur une base de Gauche rendrait cela impossible. Les choses vont se décanter… dans un sens ou dans un autre. Rien ne peut rester tel quel.

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Retraites: la «victoire» revendiquée par la CFDT

La CFDT considère qu’elle a obtenu du gouvernement le « retrait de l’âge pivot » et que cela constitue une victoire, conduisant à cesser le mouvement et à se mettre autour de la table pour organiser avec le gouvernement la réforme de la retraite.

On est ici loin de l’esprit de la CFDT qui dans les dix années ayant suivies le mouvement de mai et juin 1968 s’est posée comme une véritable organisation « démocratique » et « représentative » des travailleurs. Ils s’agissait à l’époque d’arriver en quelque sorte au socialisme depuis l’intérieur du capitalisme, via l’autogestion.

C’était alors alors perçu comme un radicalisme dans un contexte où l’extrême-Gauche était forte. La CFDT apparaissant comme une sorte de gauche de la très rigide CGT, organiquement liée au lui-même très rigide PCF, totalement débordé par « mai 68 ». La CFDT revendiquait alors la retraite à 60 ans. Une campagne d’action commune avait par exemple été lancée en ce sens avec la CGT le 1er avril 1971, la revendication n’aboutissant qu’une dizaine d’année plus tard avec l’élection de François Mitterrand.

La CFDT « autogestionnaire » des années 1970 a ensuite opéré un tournant en devenant de plus en plus « réaliste » dans ses revendications. Pour le dire autrement, puisque la norme était l’intégration des travailleurs au capitalisme, via les institutions, il s’agissait d’être les « meilleurs » sur ce plan là. Il s’est agit d’obtenir des choses « concrètes », en jouant la carte de la non-opposition systématique.

Cela a conduit l’organisation à adopter le plan Juppé (qui concernait en partie les retraites) en 1995 puis à signer la réforme des retraites de 2003. En 2020, cela amène la CFDT à se mettre à la table du gouvernement, après en être parti temporairement, en affirmant avoir obtenu quelque-chose d’important.

Voici le communiqué de la CFDT publié hier samedi 11 janvier 2020 suite à une décision du gouvernement :

« La CFDT a obtenu le retrait de l’âge pivot et poursuit son action pour un système de retraite plus juste

La CFDT a pris connaissance du courrier envoyé aujourd’hui par le Premier ministre. Elle salue le retrait de l’âge pivot du projet de loi, retrait qui marque la volonté de compromis du gouvernement.
Dans cet esprit, la CFDT va poursuivre les discussions dans le cadre proposé pour répondre aux interrogations qui demeurent sur le futur régime universel.

La CFDT s’engage pour porter ses revendications : meilleure prise en compte de la pénibilité, de la situation des femmes, sécurisation des transitions, notamment dans la fonction publique, amélioration du minimum contributif, développement de la retraite progressive et amélioration des fins de carrière.

La CFDT s’inscrira également dans la conférence de financement dont elle a proposé le principe. Elle le fera avec l’esprit de responsabilité qui a toujours été le sien et avec l’exigence de justice sociale et de solidarité qui a toujours guidé son action. Elle le fera sans exclure aucun sujet, mais avec le souci de défendre les intérêts des travailleurs et des retraités. »

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Une mobilisation du 9 janvier 2020 sans perspective

Demi-succès, la mobilisation a témoigné d’un engagement certain, mais pas d’un élargissement. Il n’y a ainsi de place pour aucune perspective à part simplement tenir. Comme la lutte des classes avance ou recule mais ne connaît pas de surplace, l’État s’empresse de fermer la parenthèse, avec les matraques et la négociation.

La mobilisation du 9 janvier était très attendue : annoncée bien en amont, elle devait permettre non pas simplement de jauger les forces, mais bien de provoquer un élargissement du mouvement contre la réforme gouvernementale des retraites. Du côté gouvernemental, on espérait un pourrissement.

Les deux camps en sont pour leurs frais. Car d’un côté, les syndicats CGT, FO, CFE-CGC, FSU et Solidaires restent mobilisés, alors que les deux syndicats prêts à négocier, la CFDT et l’Unsa, sont encore de la partie d’une manière ou d’une autre. Il y a eu 200 cortèges dans le pays, 452 000 personnes dans les rues selon le gouvernement et 1,3 million selon les syndicats, la CGT y allant comme d’habitude de la « mobilisation historique » etc. etc. Les chiffres syndicaux sont irréalistes, reste qu’il y avait du monde.

A la SNCF le mouvement a été soutenu au 36e jour de grève, avec 44,2% de grévistes (dont 38,5% au matériel 31,7% à la sûreté, 34,5% au transport, 56,5% au contrôle, 27,8% à l’équipement, 65% à la traction, 35,8% a la circulation). La RATP est restée très perturbée, l’Éducation nationale voit un mouvement important se maintenir, il se passe donc bien quelque chose encore. Surtout que la CGT Energie s’est vraiment lancée et qu’hier le mouvement a bloqué l’équivalent de la consommation électrique de l’Ile de France.

Seulement, il n’y aucune étincelle sociale ou culturelle et aucun mai 1968 à l’horizon. La France continue d’ailleurs de tourner. Seule la région parisienne voit sa vie quotidienne franchement bousculée pour aller et retourner au travail, et encore aucunement la bourgeoisie avec les moyens qu’elle dispose (depuis Uber jusqu’aux trottinettes électriques).

Tout se raidit donc, à défaut de durcir. Les exemples sont significatifs ces derniers jours. Au Havre des pompiers ont arrosé la mairie (d’où vient le premier ministre), alors qu’à Bordeaux, le courant a été coupé au commissariat central après l’arrestation d’un militant de la CGT énergie. A Radio France, la PDG Sibyle Veil tenait un discours de vœux pour la nouvelle année qui a été interrompu par le choeur de la radio entonnant le chant des esclaves dans l’opéra de Verdi Nabucco.

C’est là chercher à bousculer les choses. Seulement, le régime ne se contente désormais plus de contenir. Il sait qu’en l’absence d’avancée, le mouvement se tasse et donc perd en énergie populaire. Les forcings de type « syndicaliste révolutionnaire » cherchent justement à compenser cela et personne n’est dupe.

Lors du 9 janvier à Paris, les gilets jaunes, qui s’étaient placé en tête de cortège, devant les syndicats, en compagnie des libertaires, se sont ainsi littéralement fait manger par une charge policière allant directement à l’assaut. Dans une même idée, le dépôt bus Belliard à Paris a vu les bloqueurs chassé à coups de gazage à bout portant.

Il y avait par le passé des accrochages de ce type, mais le changement est qualitatif. Le côté ponctuel de l’agressivité s’efface désormais devant une véritable stratégie. La grève n’ayant pas progressé, elle est de plus en plus encerclée, la répression véritable peut s’installer, au moyen d’une police française parmi des plus hautes professionnelles du monde, avec une tradition de plus de 150 ans !

Ceux qui ont parlé de violence policière et d’État policier il y a encore peu vont regretter leur démagogie, et cela d’autant plus à l’horizon des prochaines élections municipales. L’esprit de dépression générale se maintient en France, la Gauche ne l’a pas rompu et il va falloir faire face à l’extrême-Droite en embuscade.

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L’affrontement politique entre Philippe Martinez et Laurent Brun

En apparence, on a deux figures syndicalistes qui n’ont rien à voir avec la politique, qu’ils récusent au nom de la charte d’Amiens. Et pourtant, le mouvement contre la réforme des retraites a passé un cap et vient de rentrer dans une seconde phase. Ces deux dirigeants syndicaux en synthétisent la nature politique.

Ils sont issus de la même culture, celle du PCF. Il ne faut donc pas chercher d’éléments culturels relevant de la gauche alternative, cherchant à modifier la vie quotidienne, dénonçant le capitalisme dans sa dimension culturelle. On est dans une logique syndicale dure, dont le parti politique, en l’occurrence le PCF, ne peut être que le prolongement.

Il y a toutefois une profonde différence entre le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, et le secrétaire Général de la Fédération CGT des Cheminots, Laurent Brun. Cette différence est la grande actualité politique des derniers jours, comme conséquence de la persistance de la grève. Cette différence provoque même des soubresauts relançant la grève.

L’Histoire avance, mais passe donc par un drôle de chemin ! Ce qui se passe est toutefois assez simple. On a d’un côté une partie de la CGT qui dit que, désormais, tout a changé, qu’il ne peut au mieux y avoir qu’un PCF social et accompagnateur de la modernité. C’est la ligne de la nouvelle génération ayant pris le pouvoir et dont Ian Brossat est le meilleur représentant (la victoire de la ligne portée par André Chassaigne au dernier congrès n’ayant pas changé grand chose à l’affaire).

Philippe Martinez reste davantage ancré dans l’histoire ouvrière, mais il est d’accord avec cette tendance. Il veut une CGT de combat, mais dans une perspective constructive.

Laurent Brun a un profil tout à fait différent. C’est un nostalgique du style du PCF des années 1980, en mode dénonciation de la soumission du travail au capital, Cuba comme référence romantique, des références à Marx pour revendiquer une identité ouvrière historique.

Concrètement, qu’est-ce que cela veut dire par rapport à la grève contre la réforme des retraites ? Cela signifie que :

→ pour Philippe Martinez, c’est une lutte sociale, devant également aider à renforcer la CGT, d’où la mise en avant de sa signature de la fameuse pétition du Journal du Dimanche portée par la gauche institutionnelle.

→ pour Laurent Brun, c’est une lutte de classe par procuration où les cheminots sont le héraut de l’ensemble des couches populaires.

Comme on le voit, c’est bien différent et depuis quelques jours, l’antagonisme entre les deux tendances s’est cristallisée de manière historique. Philippe Martinez l’avait bien senti depuis le départ, d’où sa volonté de temporiser et sa fameuse absence d’annonce à part la mobilisation du 9 janvier, il y a deux semaines.

Inversement, la Fédération CGT des Mines et de l’Énergie (dont l’héritage direct est la puissante CGT de l’ancien bastion EDF-GDF) explique par exemple le 6 janvier que pour elle la lutte doit rester interprofessionnelle et qu’elle « refuse » – le terme est même inscrit en rouge dans cette phrase elle-même en gras – « toute rencontre avec les ministères et/ou employeurs ».

Philippe Martinez aimerait clairement en terminer avec tout ça, en mode « il faut trouver une solution le plus rapidement possible », alors que les tenants de la ligne de Laurent Brun se disent que c’est précisément maintenant que tout commence.

Cela peut inspirer plein de questions, de réflexions. Qu’est-ce qui va commencer ? Est-ce de la lutte de classes ou bien la lutte des classes utilisant indirectement les partisans du courant de Laurent Brun ? Tout ce discours de combat serait-il en réalité simplement du verbiage radical masquant les intérêts corporatistes des cheminots, voire de la CGT nostalgique d’une certaine prédominance dans le monde du travail dans le passé ?

Laurent Brun est-il le vecteur d’un esprit de lutte réelle ou bien un simple acteur « syndicaliste révolutionnaire » à la française ? Le monde du travail verra-t-il vraiment un moyen d’épauler sa propre lutte dans tout cela ?

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La pétition du 5 janvier 2019: le tournant politique de la grève

Le Journal du Dimanche a publié une tribune appelant le gouvernement à stopper la réforme des retraites et à négocier avec les syndicats. C’est que la grève se prolongeant, tout risque de commencer à être bousculé socialement et d’ouvrir la porte aux révoltes. C’est hors de question pour la direction de la CGT et la gauche institutionnelle, tous deux à l’origine de la tribune. C’est une opération de récupération et surtout d’évitement de la lutte des classes, qui cherche à torpiller la gauche du mouvement de grève.

La grève continuant, les choses deviennent politiques, comme prévues. Qu’on le veuille ou non, on est dans une opposition entre des syndicats et le gouvernement, ce qui pose la question de la légalité, de la légitimité, donc de l’État.

C’est là ouvrir une porte à ce que la société française soit ébranlée. Tant mieux ! dit-on si on est de Gauche et qu’on espère enfin qu’en France, il y ait un mouvement populaire. Hors de question ! dit-on si on considère que tout doit rester dans le cadre institutionnel.

La tribune publiée dans le Journal du Dimanche du 5 janvier 2019 est ainsi très brève. En quelques lignes, on a un « appel au calme » signé des principales figures politiques classées à gauche, tels Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise), Olivier Faure (PS), Fabien Roussel (PCF), Julien Bayou (EELV), à quoi s’ajoute Philippe Martinez, le dirigeant de la CGT.

On a également parmi les signataires Gérard Filoche de la Gauche démocratique et sociale, Guillaume Balas de Génération-S, Raphaël Glucksmann de Place publique, Marie-Noëlle Lienemann de la Gauche républicaine et socialiste, Olivier Besancenot et Philippe Poutou du Nouveau Parti anticapitaliste.

De plus, pour faire bien, la liste comprend des comédiens, des historiens, etc. et dispose d’un site où signer la tribune-pétition.

« Une majorité de citoyennes et de citoyens le demandent : retrait de la réforme Macron !

Depuis le 5 décembre, des millions d’hommes et de femmes se retrouvent dans les grèves, dont beaucoup en reconductible, et les manifestations à l’appel des organisations syndicales.

Ils et elles rejettent la réforme du système de retraites que veulent leur imposer le président de la République et son gouvernement.

Ce projet n’est pas acceptable, car il est porteur de régression des droits de chacune et chacun : toutes les hypothétiques avancées proposées par le gouvernement devraient être financées par des baisses de pensions ou par l’allongement de la durée de la vie au travail. D’autres choix sont pourtant possibles.

C’est pourquoi nous demandons le retrait du projet présenté par le Premier ministre, afin que soient ouvertes sans délai de vraies négociations avec les organisations syndicales, pour un système de retraites pleinement juste et solidaire, porteur de progrès pour toutes et tous, sans allongement de la durée de la vie au travail. »

Tout est ici très compréhensible, voire logique même si l’on veut, s’il n’y avait pas le dernier paragraphe. Car s’il y a retrait du projet de réforme des retraites, qu’y a-t-il à négocier ?

C’est là qu’on comprend que cette tribune-pétition a comme cible toute la gauche du mouvement de grève, pour qui cette grève porte sur bien plus que la question des retraites. La pétition-tribune, très largement diffusée dans les milieux syndicaux, est une manière de limiter la question aux retraites, d’exiger une porte de sortie rapide à la crise.

C’est doublement criminel.

Déjà, car il s’agit de demander à Emmanuel Macron de réactiver la gauche institutionnel et la CGT, sur le dos de la grève.

Ensuite, car c’est espérer quelque chose d’un gouvernement fer de lance du capitalisme sur le plan des privatisations, ce qui est absurde.

À l’arrière-plan, la chose s’explique comme suit : Philippe Martinez, le dirigeant de la CGT, veut couper l’herbe sous le pied du syndicalisme dur à la CGT, et empêcher à tout prix que s’ouvre une nouvelle séquence de lutte, bien plus dure et généralisée.

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Jean-François Cirelli, serviteur du capitalisme promu officier de la Légion d’honneur

La promotion au rang d’officier de la Légion d’honneur de Jean-François Cirelli a crée beaucoup d’émois car il représente la branche française de BlackRock, puissant groupe américain spécialisé dans la gestion d’actifs financiers qui n’a jamais caché son intérêt pour le marché de l’épargne retraite en France, à l’instar de ses concurrents.

Si Jean-François Cirelli a été promu, par le Président Emmanuel Macron sur proposition du Premier ministre Édouard Philippe, c’est parce qu’ils partagent la même vision du monde : le capitalisme est une bonne chose, il faut élargir ses bases et encourager les investissements.

Ce nouvel officier de la Légion d’honneur est loin d’être un inconnu en France. Il est au contraire un des meilleurs représentants de la bourgeoisie et sa promotion est tout à fait légitime de ce point de vue. Il fait partie d’une liste regroupant d’autres membres de la bourgeoisie comme Grégoire Chertok (Rothschild), Serge Weinberg (Sanofi), Christian Dargnat (BNP Paribas Asset Management) ou encore Jean-David Chamboredon (fonds d’investissement Isai).

Ancien de l’ENA (de la même promotion que Patrick Strzoda, le directeur de cabinet du président de la République), Jean-François Cirelli a été conseiller économique du Président Jacques Chirac puis directeur de cabinet du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, époque à laquelle il contribue à la réforme des retraites portée par François Fillon en 2003.

Il a travaillé à la direction du Trésor (chargé en quelque sorte de l’analyse économique pour l’État), il a représenté la France au FMI, il a été coopté au conseil de surveillance de Vallourec (puissant groupe français coté à Wall-Street), il a dirigé Gaz de France puis codirigé GDF Suez, avant de revenir au sein du groupe Engie en 2015. Notons au passage que l’ancien président d’Engie, Gérard Mestrallet, est déjà commandeur de la légion d’honneur, ce qui est un rang supérieur à celui d’officier.

En plus de tout cela, Jean-François Cirelli a été membre du Comité action publique 2022 chargé par le Premier ministre de proposer un certain nombre de réformes, entre autres sur les retraites. Il y a donc ici une convergence idéologique et pratique évidente entre des gens voulant élargir les bases du capitalisme en France.

Les retraites constituent de ce point de vue un secteur important pour les gestionnaires d’actifs financiers comme BlackRock. C’est dans la nature même d’un tel groupe, qui ne s’en est d’ailleurs jamais caché.

Son ancien directeur général pour la France expliquait en 2013 à la télévision que les retraites sont pour lui un « thème clef ». Plus récemment, le groupe a produit une note en juin 2019 expliquant pourquoi la réforme de l’épargne-retraite entrée en vigueur par la loi Pacte était une bonne chose. Il formulait même des recommandations concernant le dispositifs destinées au pouvoir public, ce qui du reste est une habitude pour ce type de groupe.

D’autres société du secteurs, françaises, sont bien plus implantées dans les institutions et milieux politique que BlackRock et formulent elles aussi directement leurs recommandations pour favoriser les systèmes de retraite par capitalisation.

Le deuxième plus gros gestionnaire d’actif français, Natixis, est dirigé par un ancien inspecteur général des finances et conseiller de l’Elysée à la réforme de l’Etat et aux finances publiques et va régulièrement dans ce sens. C’est la même chose pour le numéro un français Amundi dont le PDG Yves Perrier expliquait dans un rapport :

« Sans prétendre régler le problème des retraites, le développement de l’épargne longue peut en partie compenser la baisse anticipée des taux de remplacement. (…) Les produits d’épargne retraite permettent de compléter les régimes de retraite obligatoires.

De nombreux produits existent déjà pour les actifs du secteur public et du secteur privé. Leur développement doit être fortement encouragé pour qu’une partie significative de l’épargne longue des Français puisse être utilisée à la constitution de compléments de retraite. »

En effet, ce genre de produits financiers, amenés à se généraliser, existent déjà en France en complément du régime général par répartition. Que cela soit un plan d’épargne retraite populaire (Perp) ou un contrat Madelin (qui seront bientôt remplacés par un nouveau système), ou encore des contrats spécifiques à certaines profession, ils concernent déjà pas moins de 12,5 millions de personnes en France.

La capitalisation ne représente toutefois pour l’instant qu’une petite partie des sommes versée dans les cadre des retraites, soit 6,6 milliards d’euros contre 325 milliards d’euros pour l’ensemble des pensions en 2018. La Loi Pacte élargit déjà cette base en écartant du régime générale les gros salaires (plus de 10 000 euros par mois, soit 300 000 personnes), les obligeants ainsi à se tourner vers la capitalisation (et privant au passage le régime général de ces grosses cotisations).

Les gestionnaires d’actifs comme BlackRock, Natixis ou Amundi sont ensuite amenés à gérer ces fonds, versés via des banques, assureurs ou fonds de pensions.

Notons au passage que les syndicats eux-mêmes sont liés à la capitalisation, puisqu’ils cogèrent la Préfon, caisse complémentaire (facultative) destinée aux fonctionnaires qui est un régime par point et par capitalisation.

La réforme des retraites proposée par le gouvernement, en affaiblissant le régime actuel, encourage l’élargissement des systèmes de retraites complémentaires par capitalisation.

L’instauration d’un système par point (qui existe déjà pour nombre de complémentaires, même sans capitalisation) est quant à elle une première étape vers un système par capitalisation. Avec ce système, le futur retraité doit en effet se constituer un capital, de manière individuelle et dans une perspective de carrière individuelle.

Si le système par répartition est conservé pour l’instant, les gestionnaires d’actifs et leurs « sous-traitants » proposant les produits financiers sont à l’affût en arrière-plan, car il sauront faire miroitier une capitalisation plus intéressante individuellement que le système actuel.

> Lire également : Le système universel de retraite d’Édouard Philippe en quatre points

Jean-François Cirelli représente précisément cette perspective, en tant que grand bourgeois français impliqué aujourd’hui dans la gestion d’actif et récompensé par le Président, qui représente la même classe sociale et le même intérêt pour l’élargissement du capitalisme.

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«Serons-nous débarrassés de Macron ou de la CGT?»

Il est un article sans intérêt de la revue de droite Causeur dont le titre dit par contre beaucoup de choses. Si la grève contre la réforme des retraites échoue, la CGT va profondément reculer et c’est un coup symbolique contre le « communisme ». Si Emmanuel Macron recule, il part perdant aux prochaines élections présidentielles et c’est un boulevard pour l’alliance Droite/extrême-Droite.

L’article de Causeur, en date du 31 décembre, reflète parfaitement les espoirs de la Droite et de l’extrême-Droite. Une partie importante de la bourgeoisie s’est rangée derrière Emmanuel Macron le progressiste, le moderniste. S’il échoue dans ses réformes, il perd sa crédibilité et cela laisse de la place pour une nouvelle proposition stratégique, celle d’une remise à plat sous la forme d’un tournant à la fois militariste et nationaliste.

Cela est d’autant plus vrai qu’une large partie de la Gauche ayant soutenu Emmanuel Macron au second tour de la présidentielle, au nom du rejet de l’extrême-Droite, dit ouvertement aujourd’hui qu’elle ne le refera pas, que Marine Le Pen n’aurait pas fait pire, etc. C’est une position absurde, mais malheureusement de plus en plus partagée.

On retrouve ici l’illusion selon laquelle il faudrait la terre brûlée et tout reprendre à zéro. Comme si l’extrême-Droite allait attendre que la Gauche se reconstitue ! Il faut ici avoir conscience que le barrage à toute avancée de l’extrême-Droite est primordiale. Croire qu’un basculement dans une alliance Droite/extrême-Droite ne changerait rien, voire aiderait à reconstituer la Gauche, cela s’appelle une pensée suicidaire !

Il faut être réaliste et bien voir que l’échec de la grève contre la réforme des retraites implique un profond élan populiste. Inversement, la victoire de la grève implique un passage à la lutte de classes que les syndicats ne veulent pas. Les syndicats ne posent aucune question selon un agenda politique de gauche ; ce qui les intéresse, c’est leur insertion dans les rapports sociaux, comme leviers pour les négociations. Il n’en ressort donc rien.

L’incohérence est particulièrement marquée du côté de la CGT. Le 1er janvier, le secrétaire général de la CGT Philippe Martinez était invité sur BFM TV et la radio RMC, et il a appelé à mener « des grèves partout, dans le public, dans le privé ». Cependant, cela ne se décrète pas et encore moins plusieurs semaines après le début du mouvement. Et jusqu’à présent, la CGT a toujours cherché à maintenir la chape de plomb syndicale, s’opposant de fait à l’affirmation du principe des assemblées générales au-delà des syndicats.

> Lire également : Assemblée générale et non intersyndicale ou gilets jaunes

La Gauche est donc coincée, car elle dépend d’une CGT qui refuse la politique, sans parler de Force Ouvrière qui est très violemment anti-politique et a toujours été opposé de la manière la plus farouche à l’hégémonie de la Gauche politique (ce qui n’est pas étonnant pour un syndicat ouvertement né avec l’appui de la CIA juste après la Seconde Guerre mondiale, afin de faire barrage à toute union de la Gauche en France).

Et la Gauche est aussi bloquée par l’immense faiblesse de ses forces, qui plus est éparpillée. Cela laisse peu de perspectives à part un intense travail de fond, qui accapare les énergies et qui est moqué par l’ultra-gauche s’imaginant la France au bord du grand soir, alors qu’on est bien plus proche de l’instauration d’un État autoritaire assumé, au nom de l’unité nationale.

Déjà Emmanuel Macron y est allé de sa petite phrase, lors de ses « vœux présidentiels » :

« 2020 doit ouvrir la décennie de l’unité retrouvée de la Nation.

Je vois trop de divisions au nom des origines, des religions, des intérêts. Je lutterai avec détermination contre les forces qui minent l’unité nationale et dans les prochaines semaines je prendrai de nouvelles décisions sur ce sujet. »

Emmanuel Macron a joué ici les mystérieux, mais l’on sait ce que cela signifie : la crispation militariste et nationaliste de l’État, parallèlement à celle du pays.

Seule la lutte de classes peut débloquer la situation. Et cela ne passe pas par la CGT, mais par son dépassement démocratique à la base, dans un élan populaire politique reconstituant la Gauche culturellement et politiquement.

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Grève à la fin décembre 2019: la fuite en avant de la CGT

Contrairement au discours entièrement triomphalistes des syndicats, la grève de décembre s’enlise en raison des comportements individualistes des grévistes eux-mêmes. Chassez le naturel d’une vie façonnée par le capitalisme, il revient au galop. La CGT a donc décidé de jouer le tout pour le tout avec le blocage des raffineries annoncé pour la semaine prochaine pour trois jours, avec possibilité de grève générale.

La CGT a publié une vidéo à l’occasion d’un petit message pour Noël, le 24. C’est une catastrophe mal ficelée avec un début beauf (le tintement provoqué par des « boules ») et en seconde partie l’insupportable rock festif tant affectionné en France du côté de la ringardise populiste « de gauche ».

Ce qui est révélateur, c’est le nombre de visionnages en une semaine, puisqu’on dépasse à peine les 2 000 vues. C’est une marginalisation typique de la Gauche actuelle dans notre pays malheureusement, mais pour un syndicat se voulant un mouvement de masse, c’est simplement terrible.

 

Cela reflète une situation culturelle catastrophique et, de manière typique du syndicalisme français, il y a une compensation par la fuite en avant. Au lieu de conquérir les mentalités, les esprits, il y a cette idée de forcer les choses.

C’est la raison des coupures d’électricité menées ponctuellement lors de la grève, comme lors des matchs de rugby Agen-Toulouse et Castres-Lyon le 21 décembre. C’est l’idée qu’une intervention volontariste peut apporter suffisamment de nuisance pour forcer le cours des choses.

C’est en ce sens qu’il faut comprendre la déclaration de Thierry Defresne, délégué central de la CGT chez Total, annonçant le blocage de toutes les raffineries de France du 7 au 10 janvier 2020. Jusqu’à présent, seule celle de Grandpuits (Seine-et-Marne) l’était depuis le départ, aux côtés de celle de La Mède et d’une troisième par moment.

Le délégué CGT, qui a fait l’annonce sur France info, a évidemment menacé du « grand soir » :

« Ce sera un blocage total. A l’issue de ces 96 heures de grève on se posera la question de savoir si l’on passe à l’étape de l’arrêt des installations. »

C’est évidemment là un bluff, car pour bloquer les carburants à l’échelle du pays, il faudrait une CGT aussi rude ou solide, selon ce qu’on voudra, que celle du début des années 1950. Qui peut croire que ce syndicat aux mains de bureaucrates au mode de vie relevant littéralement de l’aristocratie ouvrière vont chercher à soulever le pays ?

Mais la question fondamentale n’est en fait pas là. Car en annonçant une bataille du 7 au 9 janvier, alors que la prochaine manifestation a lieu le 9 justement, il y a l’idée d’apporter du sang frais à la grève actuelle – surtout voire seulement des cheminots et à la RATP – qui s’enlise de par le manque de solidité de la base, d’organisation.

Il y a la détermination d’une frange du mouvement, mais rien de galvanisé, rien de structuré, le volontarisme compensant tout pour l’instant, jusqu’au moment justement où cela ne suffira pas. La CGT espère compenser les manques… avec un autre volontarisme. C’est une fuite en avant.

Et à lire la folie furieuse de l’ultra-gauche parlant d’une grève victorieuse pour l’instant, se généralisant, etc. on comprend que concrètement il a toute une vielle Gauche syndicaliste d’un côté, l’ultra-gauche de l’autre, qui cherchent à sauver leur existence dans une France ayant profondément changé.

L’idée est de tenir coûte que coûte pour ne pas disparaître, jusqu’à ce qu’il y ait un mouvement populaire pour permettre de reprendre des forces. Sauf que les gens ne sont pas dupes et ne vont pas se lancer dans la bataille de leur vie pour la CGT et les cheminots.

On assiste donc à une séquence historiquement très importante, puisqu’il y a les élections municipales en mars. On risque donc d’avoir, comme en Italie au début des années 1920, un mouvement social économiste sans débouché politique ni perspective, une Droite aux aguets par peur de la lutte des classes et une extrême-Droite récupérant la déception.

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36 jours de grève au 9 janvier 2020

Le 9 janvier 2020, cela ferait 36 jours de grève de la part des cheminots, car dans l’Éducation nationale on est en vacances et qu’il n’y a pas vraiment autre chose en mouvement, si ce n’est la RATP. Alors, la chose est simple à comprendre. Soit les cheminots sont devenus des travailleurs assumant la lutte de classe de manière déterminée, donc politique, se montrant capables de mener la plus grande grève de l’histoire de la SNCF. Soit cela va être la défaite.

La grève a commencé le 5 décembre et en disant que la prochaine mobilisation aura lieu le 9, l’intersyndicale a visé haut… ou plutôt très bas. Car il faut être bien naïf pour croire que les syndicats veulent et peuvent mener une lutte politique. À un moment donné en effet, les choses tournent politique qu’on le veuille ou non. Et les syndicats français sont une fin en soi.

Il faut bien le dire tout de même ! C’est tout de même fou que les anarchistes, qui font n’importe quoi mais sont parfois des garde-fous, courent derrière les syndicats, alors qu’ils sont censés être contre l’État et que l’État en France ne se conçoit pas sans syndicat, et inversement.

Alors évidemment, il y a la fiction comme quoi les syndicats sont indépendants, que l’État ne fait qu’encadrer les rapports patronat-syndicat, etc. C’est toutefois une fiction bien pratique pour tout le monde, mais dans les faits c’est ridicule. Le vaste secteur public est un levier puissant de corruption des syndicats et d’arrimage à l’État, transformant les syndicats dans les entreprises – quand ils y existent, ce qui est rare – en un simple prolongement.

Tout le monde sait bien que les hauts responsables syndicaux sont des bureaucrates et des beaufs, des gens rêvant de cogérer l’État ou bien de gérer en bon bourgeois leur vie privée. La mentalité de ces gens-là est étriquée, ils s’imaginent que parce qu’ils servent un peu les gens tout leur est permis à côté.

Outrancier ? Il suffit pourtant de regarder : est-ce que les gens suivent les syndicats ? Non. Ils disent : la cause est juste. Ils ne bougent pas pour autant. Personne ne veut être à la remorque des syndicats, car tout le monde les connaît… ou bien personne ne veut les connaître. Le cœur des syndicats, ce sont donc les secteurs et les grosses entreprises où les syndicats jouent un rôle d’encadrement particulièrement avancé des travailleurs.

Quelques revendications sont satisfaites, cela s’arrête là. Est-il besoin de se rappeler de la position des syndicats en mai 1968 ? Ils étaient tous contre ! Cela veut tout de même tout dire. Les syndicalistes sont incrustés dans le capitalisme. Leur hargne actuelle tient surtout à leur peur de perdre une certaine présence aidée par les régimes spéciaux.

Donc les grévistes de la SNCF vont dans le mur à moins d’un électro-choc. La problématique est un paradoxe : si la grève de la SNCF tenait 36 jours, ce serait de la lutte de classe. Mais il faudrait que ce soit de la lutte de classe pour tenir 36 jours !

Dans l’état actuel, les grévistes sont donc partis pour se faire poignarder dans le dos et avec la date du 9 janvier, c’est un simple constat qui est déjà fait par certains. Parce que bon, 36 jours de grève, cela demande une combativité que les gens n’ont pas, tout simplement. 36 jours de grève, même sur une base discutable, c’est de toutes façons de la lutte des classes.

Cela demande une organisation énorme, une détermination politique. Que les grévistes n’ont pas pour l’instant, qui prétend le contraire ment, en cherchant à former un mythe mobilisateur, typique du syndicalisme français. Il y a d’ailleurs un article intéressant du Monde, dont le titre veut tout dire :

« Je soutiens la mobilisation contre la réforme des retraites, mais faire grève ne pénaliserait que moi »

L’une des personnes interrogées dit la chose suivante :

« En théorie, tout le monde a le droit de grève en France mais, en pratique, les gens qui ont la possibilité de faire grève sont de plus en plus rares »

Cette phrase, rigoureusement pathétique, est ridicule : comme si les innombrables grèves qui ont eu lieu en France, à la fin du 19e siècle et dans les années 1920-1930, auraient été évidentes, à une époque sans sécurité sociale, de répression brutale et de conditions de vie générales autrement bien plus ardues !

Et comme elle est ridicule, elle est criminelle, de par ses conséquences. Un peuple qui n’assume pas le combat pour ses droits, qui n’assume pas la Démocratie, est un peuple prêt à se livrer au fascisme. Un peuple qui n’est prêt à aucun sacrifice n’est qu’un assemblage d’individus repliés sur eux-mêmes, prêts à tout opportunisme.

Pour l’instant, la grève n’est qu’un assemblage de gens aux intérêts communs, de type corporatiste. Si le tout ne se transcende pas et ne parvient pas à la lutte des classes, ce sera le désenchantement.

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Un 9 janvier choisi par des Ponce Pilate

Jeudi 19 décembre 2019 avait lieu auprès du Premier ministre une réunion avec les principales organisations syndicales et patronales. À la sortie, le dirigeant de la CGT Philippe Martinez avait été particulièrement bref en conférence de presse, annonçant une mobilisation le 9 janvier. Quelles allaient être les réactions le lendemain, alors que la grève dure déjà depuis seize jours et que le 9 janvier, c’est dans trois semaines ? On a pu voir que la base affirme que la lutte continue, mais en reflétant pour beaucoup l’état d’esprit anti-politique des syndicalistes.

Ce qui se passe est très simple à comprendre : d’un côté, les syndicats font monter la pression dans les négociations avec le gouvernement. De l’autre, les syndicats ont toujours accepté les négociations avec le gouvernement. Ils ne se conçoivent jamais comme pouvant agir d’en-dehors du système bien rôdé des négociations, de la reconnaissance institutionnelle.

On voit donc ici très bien l’hypocrisie de la direction de la CGT et de la CGT-FO, qui participent à une réunion avec le Premier ministre, alors qu’ils sont censés représenter la ligne d’un « non » catégorique. Ils auraient dû dire : on ne vient pas, on est contre, cela ne se discute pas.

Les dirigeants de la CGT et de la CGT-FO ont donc été très malins en refilant la patate chaude à la base en grève, en disant : maintenant, on se mobilise le 9 janvier. Car, entre temps, que va-t-il se passer ? En ne disant rien, les dirigeants de la CGT et de la CGT-FO n’assument rien, ni le choix d’une éventuelle « trêve », ni l’échec vers lequel on va.

Ils remettent à la base les responsabilités concrètes, tout en faisant du 9 janvier une date mythique comme le syndicalisme sait en produire. Ils se lavent les mains. Et quand on dit « la base », il faudrait plutôt dire « les cadres syndicaux », car il n’existe aucun élan démocratique à la base. Il y a des assemblées de type syndicaliste, avec beaucoup d’entrain, mais aussi beaucoup de prétentions.

De plus, le front syndical est sérieusement fissuré avec les jeux en solitaires de l’UNSA et de la CFDT. Le syndicalisme est particulièrement faible et en plus émietté, comment espère-t-on alors la victoire ? Sans unité, la défaite est assurée et elle est mal partie pour passer par les syndicats : seules des assemblées générales à la base peuvent la réaliser.

Les syndicalistes vivent dans leur bulle. Ils sont incapables de s’adresser à la population, de par leur tradition de rejet de la politique. Ils ne cherchent pas à convaincre le peuple, ils ont des attitudes simplistes de négociateurs et des réflexes corporatistes, ils n’ont aucune analyse des enjeux sociaux, politiques, culturels.

Il suffit de voir un syndicaliste et de l’écouter parler pour se dire : cette personne serait incapable de devenir ministre. Or, le peuple ne va certainement pas se mettre en branle pour d’aussi mauvais chefs, dont les intérêts primordiaux, et ce de manière assumée, sont les secteurs avec des retraites au régime spécial.

Il faudrait clairement que les syndicalistes passent la main à la Gauche politique, mais il ne le veulent pas. D’un côté il s’adressent au gouvernement, de l’autre ils ne veulent pas de politique ! C’est la tradition syndicaliste française, d’origine syndicaliste révolutionnaire. On court donc à la catastrophe.

Ceux qui vont profiter de l’affaire, ce seront les populistes, surtout d’extrême-Droite, qui commencent déjà à accuser les fonds de pension américain d’être à la manœuvre. Les populistes « de gauche » sont évidemment de la partie. C’est inévitable : refusant de reconnaître la bourgeoisie, tous ces gens doivent trouver un ennemi imaginaire. C’est aujourd’hui le capital financier américain, demain ce sera le capital financier américano-juif.

Voilà ce que va amener ce qu’on doit appeler, en parallèle avec le crétinisme parlementaire des opportunistes, le crétinisme syndicaliste. Les Ponce Pilate ne torpillent pas que la grève actuelle, mais également les avancées de la Gauche politique. Leur crétinisme syndicaliste détruit la politique et appuie les populismes.

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Mouvement de décembre 2019: les Français ne veulent pas le changement

On l’avait déjà vu avec les gilets jaunes, un mouvement anti-politique exigeant que tout revienne comme avant. On a la même chose avec le mouvement contre la réforme des retraites : les Français sont tournés vers le passé. Leur désir d’utopie est absolument nul. Et on le voit bien : culturellement, les syndicalistes sont profondément réactionnaires. Non seulement, tout cela est improductif, mais cela va produire un romantisme d’extrême-Droite, un « conservatisme révolutionnaire ».

Du point de vue de la Gauche, tout le monde sait qu’il y a une grogne sociale extrêmement profonde en France. On sait que cela va exploser et il y avait une sacrée chance pour que le mouvement de décembre contre la réforme des retraites en soit le déclencheur.

On a tout de suite vu que ce ne serait pas le cas. Seuls les secteurs concernés par les retraites spéciales devant disparaître se sont mobilisés en tant que tels, appuyés par quelques îlots syndicaux ailleurs. Mais il n’y a pas eu l’étincelle et, surtout, encore moins la flamme.

Les anarchistes cherchent à forcer les choses comme d’habitude, avec de la casse et des « blocages », mais cela ne fait qu’un contraste très fort avec des cortèges syndicaux littéralement sans âme. D’ailleurs, pour la manifestation du 17 décembre la police a quadrillé le terrain et anéantit les possibilités de casse à Nantes et à Paris… montrant bien que, dans les autres cas, il y a une mansuétude complète.

C’est qu’un régime cherchant à développer encore plus le libéralisme comprend bien que des ennemis comme les syndicalistes à la française et les anarchistes à la française, cela ne pèse pas lourd. Car les syndicats sont intégrés aux institutions et accepteront toujours finalement de négocier, alors que les anarchistes ne peuvent, par définition, rien proposer qui ait une dimension politique.

Si on ajoute à cela le côté fondamentalement ringard des Français – à part de la jeunesse qui connaît elle une véritable révolution sur le plan de la modernité, en décalage total donc – alors il ne peut rien se passer. En fait, on se demande même si c’est le même peuple qui a pu faire mai 1968 quand on voit le tableau actuel.

Il ne faut pas oublier ici que ces vingt dernières années, nombre de gens qu’on va dire « alternatifs » se sont exilés dans d’autres pays, ou ont mené un exil intérieur dans un isolement social prononcé. Des forces vives significatives ont été perdues, lassées du refus catégorique de la France de laisser émerger des démarches alternatives, en rupture avec le triptyque travail – famille – patrie.

Emmanuel Macron a pu, pour cette raison, apparaître comme un moderne, alors qu’il est simplement de la Droite libérale comme le fut Simone Veil. On a d’ailleurs toute une mouvance à l’américaine diffusant l’ultra-libéralisme en faisant passer cela pour du « progressisme » de gauche (PMA, GPA, LMGBTIQ+, légalisation du cannabis, droit au suicide, prostituées comme « travailleuses du sexe », écriture inclusive, théorie du genre, etc.)

Cette situation est puissamment corrosive et cela se lit dans les énormes succès de l’extrême-Droite dans les zones populaires. Ce phénomène est international par ailleurs, comme on le voit avec Donald Trump. Il y a une liquidation de toutes les valeurs du mouvement ouvrier sous les coups de boutoirs d’une petite-bourgeoisie universitaire « progressiste » – même les communiqués officiels centraux de la CGT utilisent en partie l’écriture inclusive, ce qui fait bien rire tellement les ouvriers sont, à juste titre, rétifs à une telle démarche idéaliste.

Ce qu’il faut craindre, si l’ennui syndicaliste et la vanité anarchiste se perpétuent à travers une situation de crise comme actuellement, c’est l’émergence structurée d’un romantisme « anticapitaliste » porté par l’extrême-Droite, qui profite de nombreux laboratoires d’idées pour échafauder des concepts, des styles, des « perspectives », etc.

Il faut le dire : on est dans le même cas de figure que l’Italie du début des années 1920, avec des libéraux, des syndicalistes sans utopie, une extrême-Droite « romantique » prête à se lancer. On va tout droit à la catastrophe.

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17 décembre 2019: une grève qui s’installe, mais qui ne s’élargit pas

La troisième journée du grève contre la réforme des retraites ce mardi 17 décembre a été similaire à celle du 5 décembre dans sa composition et son amplitude. Si la mobilisation est conséquente, la grève ne dépasse globalement pas le cadre restreints des syndicats de certaines grandes entreprises, entraînés par les secteurs les plus directement concernés par la réforme que sont les enseignants, la SNCF, la RATP et EDF.

La grève à la SNCF et à la RATP est le cœur du mouvement de contestation contre le projet gouvernemental concernant les retraites. Notamment à Paris, la grève y est importante depuis 12 jours, avec des assemblées de grévistes, des piquets des grève, des coordinations entre dépôts, gares, ateliers et, lors de la manifestation parisienne d’hier, un cortège de gréviste en tête de la manifestation, sans apparition syndicale.

Cela a permit d’entraîner du monde, avec un taux de gréviste annoncé hier pour la SNCF de 32,8 % (contre 11 %, lundi) et 75,8 % en ce qui concerne les conducteurs (contre 61% lundi). Il n’y a pas de chiffre pour la RATP, mais les constatations des grévistes et la situation quasiment à l’arrêt du réseau illustre une gréve très suivie.

Il faut ajouter à cela les 8 raffineries françaises, où la CGT est très présente et très puissante, avec des grèves au moins significatives (par exemple 90 % de grévistes à la raffinerie Total de La Mède), au point que le syndicat annonce une pénurie d’essence imminente.

Cela est néanmoins à peu près tout. La grève est sporadique ailleurs, ne concernant que la journée, et ne dépassant pas l’influence molle et bornée des syndicats. Dans un bastion CGT comme EDF, cela donne forcément une grève conséquente, mais pas massive. S’ils étaient le 5 décembre 41% de grévistes selon la direction (et 50% à 60% selon la CGT), ils n’étaient plus que 26% hier selon la direction. Les agents grévistes sont néanmoins déterminés, tant dans leur attitude en manifestation que par le mode d’action d’une partie d’entre eux qui a coupé le courant dans de nombreuses villes hier (quoi que l’on puisse penser de ce genre d’action par ailleurs).

On peut en dire de même chez les enseignants où les syndicats sont significatifs et les grèves habituelles : la grève a été importante pour la journée d’hier (50% dans le primaire et 60% dans le secondaire selon les syndicats, respectivement 25% et 23% selon le gouvernement).

À cela s’ajoute donc des effectifs de grévistes d’une journée, liés principalement à la CGT ou à FO, chez les dockers, dans beaucoup de grandes usines, dans les personnels de l’administration publique (17% selon le ministère), chez les agents municipaux, les pompiers, les aiguilleurs du ciel ou encore à la poste. La mobilisation a été importante également dans les hôpitaux, qui connaissent en fait déjà depuis plusieurs mois un mouvement de grande ampleur et très organisé, mais qui ne peut pas prendre la forme d’une véritable grève de par la nature du travail effectué.

Il y a donc eu, comme le 5 décembre dernier, de nombreuses manifestations très importantes partout en France, y compris dans des villes petites ou moyennes. Cette carte de la CGT recensant toutes les manifestations donne une idée de l’ampleur du mouvement : mobilisations-en-france.cgt.fr/news/map

En faisant l’addition, la CGT annonce un chiffre de 1,8 millions de manifestants, ce qui serait donc plus que les 1,5 millions annoncés le 5 décembre dernier. De son côté, le gouvernement, annonce des chiffres moindres, mais surtout en recul : 615 000 manifestants contre 806 000 le 5 décembre dernier.

Les différents titres de presse locaux font très souvent leurs propres estimations, avec des chiffres globalement équivalent au 5 décembre, souvent à mi-chemin entre ceux des syndicats et des préfectures (sauf à Paris où le « cabinet occurrence » annonce 72 500 manifestants contre 76 000 pour la préfecture). La CGT annonce de son côté pas moins que 350 000 personnes à Paris.

On a également à Marseille la traditionnelle extrapolation locale, avec une amplitude incroyable entres deux chiffres, qui ne semblent pas plus crédibles l’un que l’autre : seulement 20 000 manifestant selon la police, carrément 200 000 selon la CGT !

Dans tous les cas, cela donne des manifestations importantes, comparables à celles du 5 décembre, mais sans que l’on puisse voir apparaître l’essentiel : la généralisation de la grève en dehors des cercles syndicaux et la multiplication de véritables assemblées générales ouvrières.

L’intersyndicale CGT, FO, FSU et Solidaires réunit hier soir n’a d’ailleurs pas fixé de nouvelle date de mobilisation nationale, mais a annoncé des « actions locales le 19 et jusque fin décembre », en affirmant qu’il n’y aura « pas de trêve jusqu’au retrait ». Par ailleurs, l’Unsa, la CGT, la CFTC, la CFDT, FO et la CFE-CGC seront reçus demain par le Premier ministre.

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Démission de Jean-Paul Delevoye: l’amateurisme au sommet de l’État

Jean-Paul Delevoye, le haut-commissaire chargé de piloter la réforme du système des retraites a démissionné ce lundi 16 décembre après de multiples révélations sur les mandats qu’il n’avait pas déclaré à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique ainsi qu’un cumul illégal de rémunération. C’est le marqueur d’une grande régression au sommet de l’État, avec des classes dirigeantes d’une grande médiocrité, incapables de procéder à quelque chose d’aussi élémentaire que la vérification des antécédents d’une personne avant de la mettre sous le feu des projecteurs.

Ce n’est pas comme si il n’y avait pas eu ces derniers années de nombreuses affaires en France impliquant des personnalités politiques sur la question de leur probité, ou en tous cas au moins de la transparence de leurs activités présentes ou passées. On aurait donc pu imaginer qu’un homme ayant la prétention de remettre à plat le système des retraites français, sachant qu’il se retrouverait confronté à une opposition conséquente, prenne un minimum de précautions.

On aurait pu penser aussi que le gouvernement d’Emmanuel Macron, qui s’est prétendu l’incarnation de la modernité libérale contre « l’ancien monde » politique, aurait tout anticipé pour une réforme aussi importante et emblématique du quinquennat.

Tel n’est donc pas le cas puisque Jean-Paul Delevoye avait rempli à la volée (avec même de nombreuses fautes de frappe) sa déclaration à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique en s’imaginant que rien ne puisse se passer, que rien ne puisse lui arriver. Quel amateurisme, quelle décadence !

Il a d’ailleurs eu le culot de prétendre que ce serait en fait à cause de sa femme, car monsieur ne gère pas ce genre de banalités du quotidien :

« J’avoue, autant je suis rigoureux sur les budgets publics, autant c’est ma femme qui s’occupe de tout ce qui est l’administratif de la maison Delevoye. »

Jean-Paul Delevoye est de ces figures bourgeoises typiques, venant de la Droite, qui cumulent les mandats en ayant pour ainsi dire le nez partout, en s’assumant pleinement comme une figure de la classe dirigeante.

Il a été maire, conseiller général, député, sénateur, Ministre de la fonction publique (gouvernement de Jean-Pierre Raffarin), président de l’Association des maires de France, Médiateur de la République ou encore président du Conseil économique, social et environnemental, dont nous avons parlé justement récemment à propos de la réforme des retraites de par l’importance essentielle de cette institution.

Lors de son mandat de député (de 1986 à 1988), sa fiche le désignait comme « Chef d’entreprise agroalimentaire ». Plus récemment, il a été ou est encore membre du conseil d’administration de la Fondation SNCF, de la Fondation du Crédit agricole Nord de France, président d’une fondation gérant un monastère, ambassadeur et administrateur du comité stratégique de la Fédération française des diabétiques, président de l’Association des orchestres nationaux de France et la Chartreuse de Neuville, président de l’Observatoire régional de la commande publique des Hauts-de-France ou encore membre du conseil d’orientation de l’Institut de recherche et débat sur la gouvernance (IRG).

Ce qui a posé problème, c’est qu’il n’avait pas inscrit dans sa déclaration sa fonction de représentant au conseil d’administration de l’Institut de la formation de l’assurance pour le groupe IGS. Cette omission est une faute pénale, notamment car il y a un lien direct entre les secteurs de l’assurance et la réforme du système des retraites, qui irait dans le sens des entreprises de l’assurance.

D’autre part, son mandat de président du think tank Parallax, qu’il avait déclaré, était rémunéré en plus de sa rémunération par le gouvernement, ce qui est complètement illégal. Notons qu’il touchait en plus de cela sa retraite du régime général ainsi que sa retraite complémentaire comme ancien élu local.

Tout cela fait beaucoup pour une personne chargée d’expliquer qu’il faut absolument changer le système actuel des retraite. Laisser mener la réforme par cette personne était un risque inconsidéré, une négligence incroyable. Sa démission, en plein mouvement social contre la réforme qu’il menait, est ici un grand désaveu pour le gouvernement et le terrible reflet de la décadence des couches sociales dominantes.

Une figure du commentaire politique qu’est Christophe Barbier expliquait d’ailleurs lundi matin, quelques heures avant sa démission :

« Il va quitter le gouvernement. Mais pas tout de suite, parce qu’il a été sauvé par Philippe Martinez qui, la semaine dernière faisait l’éloge de l’homme de dialogue qu’était Jean-Paul Delevoye et qui là a tourné casaque et réclame sa démission. Or, évidemment, en pleine crise quand l’adversaire réclame le scalp du ministre, on ne lui donne pas. »

Cet amateurisme de la part de l’exécutif français en dit très long sur la décrépitude de la bourgeoisie française, totalement déconnectée des réalités. Cependant, comme il n’y a pas de Gauche politique, seulement une opposition syndicale-corporatiste, le grand risque est une modification du régime par en-haut, au moyen d’un remue-ménage épaulé par l’armée.

Cela afin de laisser libre-cours à la pleine participation de la France dans la bataille pour le repartage du monde, avec en toile de fond l’affrontement inéluctablement militaire entre les États-Unis et la Chine.

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Politique

«La CGT appelle à participer massivement aux grèves du 17 décembre»

Voici le communiqué de la CGT appelant « l’ensemble des salarié-e-s, précaires, privés d’emploi, retraité-e-s » à participer massivement aux grèves de demain mardi 17 décembre 2019, contre la réforme du système des retraites.

« Le président et le gouvernement encouragent l’affrontement et la durée du conflit !

On nous avait promis les explications et la clarté après l’intervention du Premier ministre sur le projet de réforme des retraites. Mais, non seulement, il n’a pas levé les doutes, les inquiétudes ou la colère des grévistes et des citoyens en général mais il a élargi le front des mécontents.

Ceux qui accusaient les salarié-e-s et les syndicats d’agir avant de connaître le contenu du projet en sont pour leur frais. Le Premier ministre a bien confirmé que tout le monde allait travailler plus longtemps dans le secteur public et privé, que les inégalités allaient se creuser à la retraite et que les futures générations étaient sacrifiées au nom de la rigueur budgétaire et dans un souci d’économie sur le dos de celles et ceux qui possèdent le moins.
Le président de la République vient de le conforter en parlant de « réforme historique ».

L’ensemble des organisations syndicales de salariés, dans leur diversité, appellent à la mobilisation le mardi 17 décembre. Seul le patronat, notamment le Medef, approuve cette réforme avec un grand sourire. C’est un repère important pour le monde du travail quand le CAC 40 affiche un tel enthousiasme pour un projet de loi.

Stigmatiser les grévistes et les manifestants en les rendant responsables de la situation que connait le pays, c’est jeter de l’huile sur le feu et c’est attiser la haine et les colères.

Fort du soutien très majoritaire de l’opinion publique, la CGT appelle l’ensemble des salarié-e-s, précaires, privés d’emploi, retraité-e-s à participer massivement aux grèves du 17 décembre. Il s’agira de dire au président et au gouvernement :

  • écoutez et entendez les aspirations et les revendications des travailleurs et des travailleuses ;
  • retirez votre projet, reprenons les discussions et n’écartez, par dogmatisme, aucune proposition pour améliorer notre système de retraite qui est le meilleur au monde.

C’est le gouvernement qui, par son obstination, veut compromettre les congés et les fêtes de fin d’année.

Après la mobilisation exceptionnelle du 5 décembre qui a constitué un marqueur, il nous faut être plus nombreux et nombreuses en grève et dans les cortèges, le mardi 17 décembre prochain. Toutes et tous ensemble.

Montreuil, le 13 décembre 2019 »

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Le système universel de retraite d’Édouard Philippe en quatre points

Le projet de réforme du système des retraites a été présenté pour la première fois hier. Ce qui se joue, ce n’est pas qu’une remise en cause des régimes spéciaux, mais une mise en perspective du système des retraites, pour le mettre en adéquation avec l’individualisme forcené des Français qui acceptent leur atomisation dans le capitalisme.

Regardons quels sont les points essentiels présentés par le Premier ministre Édouard Philippe au « Conseil économique, social et environnemental » au sujet de son plan de réforme du système des retraites.

Le premier point, c’est que le système français des retraites est un puissant levier d’unification sociale et de stabilité. En effet, comme on dépend de ceux d’après pour remplir sa caisse de retraite, on a tout intérêt à prôner la stabilité, la reproduction de ce qui existe, etc. Il faut que la génération d’après soit conformistes, pour qu’elle paie ! Édouard Philippe utilise même une rhétorique anti-capitalisme financier littéralement démagogique.

« Ce système, beaucoup nous l’envient. Avec raison. Surtout dans un monde où le chacun pour soi et les logiques marchandes l’emportent souvent sur le reste. En France, on ne voit pas sa retraite partir en fumée à cause d’une crise financière ou parce qu’un fonds d’investissement a fait de mauvais choix. La retraite par répartition est un trésor national. »

Le second point, c’est que les individus sont atomisés et le capitalisme va à grande vitesse. Il y a de grands changements dans le type d’emploi, dans ce qui est produit et vendu, etc. Aucun corporatisme ne peut avoir de sens.

« Des filières disparaissent. De nouveaux métiers se créent. »

Pour bien comprendre cet aspect, lire également notre article : Le système universel de retraite d’Édouard Philippe et la transformation des institutions.

Troisième point, les individus atomisés circulent tels des marchandises dans toute la société capitaliste. Ils passent d’entreprises en entreprises comme une marchandise de main en main. Il faut donc assumer cette universalisation du capitalisme en accélération.

« Aujourd’hui, les travailleurs français changent plusieurs fois de carrière, voire de statuts durant leur vie active. Beaucoup d’actifs connaissent des périodes de chômage. Certains en sortent en devenant travailleur indépendant pendant un temps. Les parcours sont beaucoup plus fragmentés qu’il y a un demi-siècle. On peut le regretter, mais c’est la réalité et nous devons mieux protéger les Français contre ces aléas. »

Le quatrième point, essentiel, est que les mentalités sont totalement favorables à l’accumulation de richesses personnelles. Les Français ne sont en rien des hippies et ne voient pas de problème à « travailler plus pour gagner plus ».

« Depuis quelques années, l’idée de travailler plus longtemps n’est pourtant plus taboue. Ni pour la droite, ni pour la gauche. Et encore moins pour les Français, qui travaillent d’ores et déjà aujourd’hui plus longtemps que l’âge légal pour bénéficier d’une meilleure pension : au régime général, ils partent en moyenne à 63,5 ans ! En un sens, ils ont déjà un peu tranché le débat. »

Pour résumer :

– le système « la génération d’après paie pour celle d’avant » renforce le conformisme ;

– les métiers se modifient rapidement ;

– les gens changent rapidement d’entreprises ;

– tout le monde est capitaliste.

Il faut donc universaliser le travailleur atomisé et cesser tout corporatisme. Et il y a un levier pour faire travailler davantage, en élevant l’âge de la retraite au nom du fait qu’il faut bien de l’argent pour payer (si on ne fait pas payer la bourgeoisie). Les Français, individualistes, seront tout à fait d’accord s’ils en voient les effets sur le plan financier.

> Lire également : Le sens historique de la réforme des retraites de décembre 2019

C’est une programmatique qui tient la route et qui est tout à fait réaliste quant aux mentalités. Malheureusement ! Ce qui pourrait bloquer cela, c’est de dire : rien du tout ! Lutte des classes, le capital payera les retraites. Mais aucun syndicat n’est en rien prêt à dire cela… Et les travailleurs non plus. Pour l’instant.

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Politique

Le système universel de retraite d’Édouard Philippe et la transformation des institutions

Le Premier ministre a présenté hier son projet de réforme du système des retraites, faisant l’unanimité syndicale contre lui. Les masques tombent en fait, car les syndicats redoutent plus que tout la remise en cause du compromis historique qui depuis 1945 fait d’eux une composante des institutions. Leurs bastions se font laminer par l’atomisation individualiste.

C’est devant le « Conseil économique, social et environnemental » que le Premier ministre Édouard Philippe a présenté, sous la forme d’une allocution, son projet de réforme du système des retraites. Le président de ce conseil, Patrick Bernasconi, l’a chaudement remercié :

« Je vous souhaite la bienvenue pour cette séance plénière exceptionnelle du Conseil économique, social et environnemental.

Votre choix de venir au CESE afin de nous présenter votre projet de refondation du système de retraite des Françaises et des Français est un signe de l’importance que vous portez, à l’instar du Président de la République, à cette 3ème assemblée constitutionnelle, consultative, représentant la société civile organisée. »

Ce Conseil est en effet un simple organe consultatif avec des représentants du patronat d’un côté, des syndicats et d’association de l’autre. C’est une des expressions de la tendance à la cogestion patronat-syndicat, de la participation des organisations de travailleurs aux institutions.

Le processus a commencé dans les années 1920 et s’est systématisé après 1945 à tous les pays occidentaux, sauf bien entendu les États-Unis. Y participent alors en première ligne les socialistes, qui abandonnent de fait leur perspective marxiste initiale au nom du « monde libre », puis les Partis Communistes dans le cadre de la coexistence pacifique soviétique des années 1960 (bien que le processus commença parfois même avant).

Il faut bien saisir, malgré son rôle consultatif seulement, le caractère essentiel de ce Conseil. Si De Gaulle a démissionné en 1969, c’est précisément à cause de lui. De Gaulle avait en effet organisé un référendum où il proposait de mettre en place une sorte de régime à la Charles Maurras, ce théoricien de la monarchie moderne, combinant corporatisme et décentralisation. Le référendum devait permettre :

– la mise en place de régions puissantes avec une partie des élus issus de votes du patronat et des syndicats, le préfet servant de dirigeant ;

– la fusion du Sénat et du « Conseil économique, social et environnemental », dans un super-organe consultatif représentant de manière fragmentée la « société civile ».

C’est pratiquement l’Italie de Mussolini et cela a failli être mis en place, le référendum se soldant heureusement par 52,41 % de « non ».

Et nous voilà donc en 2019 à une « séance plénière exceptionnelle » du « Conseil économique, social et environnemental », qui devait pour De Gaulle devenir pas moins que le Sénat. Quel est le rapport ?

C’est très simple. Édouard Philippe a affirmé la chose suivante au sujet du choix de présenter au Conseil, en premier, sa réforme ?

« J’ai souhaité le faire ici, au Conseil Économique, Social et Environnemental. Parce que c’est une transformation qui va concerner tous ceux que vous représentez, à un titre ou à un autre. »

Comment faut-il comprendre cela ? En fait, Emmanuel Macron veut modifier les institutions. Le grand compromis historique entre patronat et syndicat ne l’intéresse pas. Pour lui, c’est du passé, le capitalisme aurait définitivement gagné et l’idée même de classes a disparu au profit de la toute puissance des individus.

Il peut donc y avoir une bourse des valeurs avec des unions d’individus, des « lobbys » en quelque sorte – comme les « motards en colère », L214, les gens favorables aux tournois ultra-violents de MMA, le lobby pro-cannabis, celui pro PMA, celui pro GPA, etc. Emmanuel Macron assume d’ailleurs publiquement d’être de mèche avec le lobby des chasseurs.

Mais il ne peut pas y avoir de corporations. Il ne peut pas y avoir de regroupements de métiers. Or, comme on le sait, les régimes spéciaux s’appuient justement sur des groupements sociaux agissant tendanciellement comme des castes. Les enseignants sont un très bon exemple : historiquement ils ont une mentalité bien à eux depuis 1945, avec une grosse tendance à être des enfants d’enseignants, à se marier entre enseignants. Mais c’est pareil pour les avocats, les policiers, les médecins, etc., qui tous vivent dans leur bulle.

Ce n’est pas tout : le syndicalisme s’est propagé en France précisément sous la forme de syndicats de branches, avec une mentalité corporatiste. Si l’on dynamite les régimes spéciaux, on fait vaciller ces corporations et donc les syndicats avec. Les syndicats défendent donc leur raison d’être.

Ce n’est pas vrai seulement de la CGT, qui dispose de bastions comme EDF, véritable petit royaume indépendant. C’est encore plus vrai pour Force Ouvrière, dont le syndicalisme par métiers est littéralement le fondement. Pour Force Ouvrière, le vrai problème c’est l’universalisation du système des retraites… Ce qu’elle aimerait, c’est sa division par branches !

> Lire également : Le système universel de retraite d’Édouard Philippe en quatre points

Ce à quoi on assiste donc, c’est à un affrontement dont l’arrière-plan est la réorganisation des institutions elles-mêmes. Le capitalisme a atomisé les individus et exige une bourse aux idées, et non plus une structuration par métiers.