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Dépêche

Ne pas s’étonner de s’étonner des événements en Ukraine

Beaucoup se demandent comment s’y retrouver dans les affres de ce conflit ukrainien qui n’en finit pas et qui est une source ininterrompue d’inquiétudes. Ce questionnement a un sens très profond, il exprime une angoisse saisissant le réel de manière paradoxalement adéquate. La guerre moderne ne se pose en effet pas de manière linéaire. Il n’y a pas deux blocs se faisant face mécaniquement et annonçant la couleur, comme dans un jeu vidéo ou dans une rencontre sportive. Ce n’est pas du tout comme cela que cela fonctionne.

La guerre moderne est en effet comme la crise : elle touche les questions militaires, mais également économique, politique, culturelle, psychologique, idéologique, sanitaire, informationnel… Tous les domaines sont concernés, même si à des degrés différents. C’est un savant dosage, très complexe, élaboré par des laboratoires militaires au moyen de multiples évaluations et scénarios, avec comme objectif de décontenancer, d’empêcher la lecture du processus mis en place.

Il ne faut donc pas s’étonner de s’étonner. C’est une bonne chose. Et c’est une chose encore meilleure d’étudier ce qui se passe avec le regard de la Gauche historique, comme nous le faisons. Ce n’est qu’ainsi qu’on n’est pas hors-sol, qu’on ne s’extasie pas devant telle ou telle manifestation corporatiste dans le pays, mais qu’on accorde toute son attention à la substance de son époque.

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Guerre

Fiasco de la journée ukrainienne de l’unité et pseudo-retrait russe des frontières

L’escalade continue.

La Russie a annoncé le 16 février 2022 la fin de manoeuvres en Crimée et les médias se sont empressés de parler de désescalade en général, comme la veille. Or, en pratique, le matériel et les troupes continuent d’arriver aux frontières de l’Ukraine, alors que des trois regroupements ayant quitté la Crimée, un part en Tchétchénie d’où il provient, les deux autres dans leurs bases… près de l’Ukraine.

La Russie joue ici beaucoup sur la volonté des gens des pays capitalistes de ne pas croire que quelque chose puisse vraiment arriver, qu’il puisse réellement y avoir, comme c’est le cas désormais, plus de 300 000 soldats surarmés et au poste de combat. C’est une tension extraordinaire qu’il y a en Ukraine en ce moment. C’est une partie de l’Histoire du monde qui est en train de se jouer. Les gens ne veulent pas le voir. Les rares médias de gauche ou d’extrême-gauche qui parlent de la situation en Ukraine ne saisissent rien à l’envergure de ce qui se passe – parce qu’ils ne le veulent pas. Ils sont corrompus, ils veulent vivre comme avant. Sauf que le monde court à l’abîme.

Symbole de cette tension, trois avions de chasse russes Su-35 ont intercepté de manière non-professionnelle selon la superpuissance américaine des avions patrouilleurs US Navy P-8A de celle-ci en Méditerranée, s’en rapprochant jusqu’à une distance de 1 mètre 50. C’est tout à fait expressif de la situation. Pour rappel, le 12 février, la Marine russe avait chassé par la force un sous-marin américain des eaux territoriales russes dans le Pacifique.

Symbole également de cette tension, la journée d’unité nationale appelée par le président ukrainien Volodymyr Zelensky a été un fiasco. Au niveau des institutions occidentales ou pro-occidentales, cela a été une énorme réussite, avec de nombreux bâtiments illuminés aux couleurs ukrainiennes, comme ici le ministère des affaires étrangères de l’Estonie.

Le régime avait toutefois demandé à la population de placer des drapeaux partout, et force est de reconnaître qu’il n’y a pas eu d’engouement populaire, de marches de millions d’Ukrainiens dans la rue. Il n’y a même rien eu du tout, et c’est logique vue la nature du régime ukrainien, corrompu, avec une oligarchie aussi ignoble qu’en Russie mais en plus une absence encore plus marquée de lois appliquées dans le pays, à quoi s’ajoutent les activités ininterrompues des nationalistes d’un côté, des pro-occidentaux de l’autre.

Cette absence de nature démocratique et populaire de l’Ukraine est d’ailleurs le grand espoir de la Russie pour annexer une bonne partie du pays : il est considéré que les gens ne se bougeront pas pour sauver un tel régime, un État en faillite. Pour donner un exemple de cela, il suffit de parler de la mésaventure qui vient d’arriver à Alina Pash.

Cette chanteuse née en 1992 devait représenter l’Ukraine à l’Eurovision avec sa chanson Les ombres des ancêtres oubliés, une chanson historico-patriotique racontant l’Ukraine dans une perspective romantique et pacifique, ayant comme référence le très célèbre film du même nom de 1965 du réalisateur soviétique arménien Sergei Parajanov, qui se fonde sur le roman au même titre de Mykhaïlo Kotsioubynsky. Le film comme le roman se passe dans les Carpates ukrainiennes d’où vient Alina Pash, et musicalement la chanson de cette dernière est dans la veine de Dakhabrakha et de ce formidable mélange musical à base folk.

Seulement voilà, le régime ukrainien est fanatique et Alina Pash a été victime d’une terrible campagne la forçant à abandonner le 16 février 2022 sa candidature à l’Eurovision. Elle a été accusée de plusieurs « crimes » en étant la cible d’une intense campagne nationaliste.

Primo, elle se dit constamment pour la « paix », ce qui ne correspond pas au discours officiel- une chanteuse comme Onuka qui prononce 50 fois le mot Ukraine par minute et assume l’orientation du régime est au contraire très appréciée, forcément. Secundo, elle a été à un anniversaire en Crimée en 2015 (conquise à l’Ukraine et annexée en 2014 par la Russie), en passant qui plus est par Moscou, ce dernier aspect étant illégal en Ukraine (elle-même a niée être passée par la Russie mais les garde-frontières ukrainiens n’ont pas trace de son passage).

Tertio, elle pose sur les réseaux sociaux à Moscou en 2017- tout en disant « Kyiv » (à l’ukrainienne) et non pas « Kiev » (à la russe), mais cela ne compte pas pour les fanatiques en Ukraine.

Et sur les réseaux sociaux, elle a posé aux couleurs russes, une chose inacceptable par définition pour le régime ukrainien, même si cela remonte à… 2012.

Et Il faut ajouter deux autres choses : en 2018, elle devait participer en Russie au festival musical organisé par la marque Bosco di Ciliegi, appartenant à Mikhail Kusnirovich, un proche de Vladimir Poutine. Elle et d’autres ont été obligés d’annuler in extremis en raison du « scandale » en Ukraine.

En 2019, lors de la journée de l’indépendance ukrainienne, alors qu’elle devait chanter l’hymne national avec d’autres artistes pour une séquence de huit minutes, elle a pris l’initiative de rapper des vers de sa propre composition au sujet de l’Ukraine.

Alina Pash a démissionné mais tous ces éléments faisaient qu’elle devait de toute façon être exclue par les organisateurs du concours. Celui qui a par contre un grand succès en Ukraine est l’ambassadeur ukrainien au Japon, Sergiy Korsunsky, qui pose en pseudo-samouraï pour défier la Russie, avec une iconographie patriarcale-nationaliste… Pathétique.

L’Ukraine est bien mal partie avec un tel régime, avec ses fanatiques, avec la superpuissance américaine et le Royaume-Uni (ainsi que d’autres) la poussant à la guerre. Les armements fournis par les Américains sont d’ailleurs déployés aux frontières avec le Donbass séparatiste désormais – la Russie n’attendant que leur emploi pour justifier son intervention.

Matériel anti-tank et anti-aérien récemment fourni :
FGM-148 Javelin, NLAW, M141, FIM-92 Stinger

La Russie dira : les pays occidentaux disent qu’on voulait envahir, mais on n’a rien envahi, tout est mensonge. Maria Zakharova, porte-parole du ministère russe des affaires étrangères – un ministère déversant des moqueries de manière ininterrompue sur les réseaux sociaux – a ainsi déclaré le 16 février 2022 :

« Je fais une demande particulière aux médias de désinformation britanniques et américains. Pouvez-vous annoncer le calendrier de nos invasions pour l’année à venir ? J’aimerais planifier des vacances. »

Mais dans la foulée, la Russie mentant sur sa propre escalade précise : toute cette propagande informationnelle contre nous a été un prétexte pour armer l’Ukraine contre le Donbass. Et c’est vrai, car l’Ukraine est poussée à la guerre par les pays occidentaux, qui y voient de la chair à canon.

Telle est la réelle actualité : les grandes puissances prêtes à tout pour diviser pour régner, pour diffuser la guerre, pour s’imposer dans la bataille pour le repartage du monde !

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Politique

Ukraine : Lutte Ouvrière ne critique pas la Russie

Seuls les Etats-Unis seraient fautifs.

Il n’est nullement étonnant que la « gauche » du PCF prenne partie pour la Russie dans le conflit ukrainien, c’est un positionnement qui se situe dans le prolongement d’un point de vue faisant de la Chine (souvent considéré comme « socialiste ») et de la Russie des Etats nationaux formant un contre-poids à l’impérialisme (résumé aux Etats-Unis). Mais alors voir Lutte Ouvrière dire exactement la même chose est plus que surprenant.

Il est vrai que Lutte Ouvrière se contorsionne depuis 1991 quant à la nature de la Russie, expliquant que tant qu’il y a des acquis de l’époque socialiste, cela reste une sorte d’Etat ouvrier dégénéré. Cependant, pour en arriver à nier que la Russie place 150 000 soldats armés jusqu’aux dents aux frontières d’une Ukraine considérée comme un appendice russe à récupérer…

Car l’article Crise ukrainienne : l’impérialisme américain à la manoeuvre du 16 février 2022 ne dit pas autre chose. Il est expliqué que les Etats-Unis ont annoncé une invasion russe pour le 16, qu’elle n’a pas eu lieu, que même il y a « la nouvelle du début de repli des troupes russes », que par conséquent tout cela a été un coup monté par les Américains. La Russie se contenterait de montrer sa force :

« Ainsi la Russie est présentée comme s’apprêtant à déclencher une guerre pour mettre la main sur l’Ukraine. Les manœuvres militaires organisées par l’armée russe ne signifiaient pourtant pas que Poutine avait décidé une invasion. Le dirigeant du Kremlin est engagé dans un bras de fer avec l’impérialisme américain, où chacun montre ses muscles. En juillet 2021, c’est l’OTAN qui a organisé des manœuvres militaires en mer Noire, impliquant des forces d’une trentaine de pays, dont l’Ukraine. »

Ce qu’on lit ici est ridicule de bout en bout et témoigne d’une profonde méconnaissance de la situation, et même d’une absence d’efforts devant ce qui forme un événement absolument catastrophique pour la paix en Europe. La Russie ne fait pas simplement des « manoeuvres », elle a amassé une majorité significative de son armée à la frontière avec l’Ukraine, avec absolument tout ce qu’il faut pour une invasion. Même si Lutte Ouvrière ne suit pas le conflit ukrainien depuis avril 2021 (comme le fait agauche.org), un peu d’études de la question permet facilement de voir que la Russie menace l’Ukraine et ne s’en cache pas puisqu’elle nie son existence (ce serait une « invention bolchevique » comme l’explique Vladimir Poutine).

Il est donc absolument faux de réduire la question de la guerre à une simple magouille électoraliste et machiavélique du président Joe Biden, tout en disant d’ailleurs que la guerre n’aura de toutes façons pas lieu. C’est là complètement rater la nature de la période actuelle, qui est celle de la bataille pour le repartage du monde.

« Depuis près de trois mois, l’administration de Washington se livre à une vaste manipulation de l’information, comme à chaque fois qu’il lui faut justifier une intervention quelque part dans le monde.

Avec cette opération, Biden veut certainement se donner une nouvelle stature vis-à-vis de son opinion publique alors que, depuis l’évacuation en catastrophe de l’Afghanistan, ses concurrents républicains, à commencer par ­Trump, ne cessent de le présenter comme un président faible. Alors que sa cote de popularité est au plus bas, qu’aucune des réformes sociales promises n’a vu le jour et que l’inflation a atteint des niveaux inégalés depuis 1982, le président démocrate peut aussi vouloir utiliser cette crise politique extérieure pour faire diversion et susciter un réflexe d’union nationale derrière lui.

L’attitude de Biden va cependant au-delà de ces calculs à court terme. L’impérialisme américain a besoin que sa population soit prête à aller faire la guerre partout où les intérêts de ses capitalistes l’exigeront, comme il n’y a pas si longtemps en Irak et en Afghanistan.

Pour cela, il faut la mettre en condition, la convaincre qu’il y a face à elle des régimes menaçant la liberté et la démocratie qui sont le dernier des soucis des dirigeants américains d’un bout à l’autre du monde, de l’Arabie saoudite à la Birmanie… Cette mise en condition s’étend aux populations d’autres pays occidentaux, comme la France dont les dirigeants, fût-ce avec quelques contorsions, s’alignent sur la diplomatie américaine.

Même si la guerre n’est pas pour ces jours-ci, les dirigeants occidentaux tiennent dès à présent à préparer leurs populations à la faire contre les méchants, russes ou chinois, tant ils sont conscients que la crise capitaliste les y poussera. Une guerre qui n’est en aucun cas dans l’intérêt des travailleurs.

Lutte Ouvrière se prend ici les pieds dans le tapis : elle n’a pas pris au sérieux le conflit ukrainien, considéré comme régional, relevant d’une lutte locale pour le contrôle du pays, sans envergure. Le conflit ukrainien est au contraire la boîte de Pandore des conflits modernes du capitalisme en crise, de la forme de la guerre dans les conditions du 21e siècle ; la conflagration est par nature (du capitalisme en crise) absolument inévitable et a d’ailleurs déjà commencé.

Au-delà de cette question essentielle et actuelle de la nature de la guerre moderne, qui n’a rien à voir avec celle des années 1960 ou 1990, il y a aussi la question nationale qui joue sur le plan de la théorie, de l’idéologie. Le trotskisme rejette les problématiques nationales et Lutte Ouvrière tout particulièrement. La question de l’indépendance nationale ukrainienne ne peut donc pas apparaître ici, alors que c’est l’existence même de la nation ukrainienne qui est en jeu. Impossible par conséquent pour Lutte Ouvrière de saisir le cadre du conflit, en plus de ses modalités.

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Guerre

Piratage informatique massif en Ukraine et appel du parlement russe à la reconnaissance du Donbass séparatiste

Le 15 février 2022 fut lourd de conséquences.

Alors que le chancelier allemand Olaf Scholz était à Moscou le 15 février 2022, après avoir été à Kiev la veille, le parlement russe a appelé le président russe Vladimir Poutine à reconnaître les « républiques populaires » de Donetzk et de Louhansk comme États indépendants. Cet appel direct au président permet de contourner diverses navettes entre différentes instances, notamment le ministère des affaires étrangères.

Vladimir Poutine a réagi de la manière suivante :

« La majorité des députés ont soutenu la résolution, qui a été présentée, en fait, par le parti d’opposition – le Parti Communiste de la Fédération de Russie. Je partirai du fait que nous devons tout faire pour résoudre les problèmes du Donbass, en premier lieu, sur la base des opportunités non pleinement réalisées pour la mise en œuvre des accords de Minsk. »

Il faut se rappeler que normalement, les accords de Minsk (signés par l’Ukraine et la Russie, la France et l’Allemagne) prévoient une réintégration progressive dans l’Ukraine du Donbass séparatiste, dans un cadre fédéral. Jusqu’à présent la Russie s’est toujours refusée à abandonner les accords de Minsk qu’elle a réussi à mettre en place en 2014 et qui forment un levier sur l’Ukraine.

Or, on voit ici avec ce que dit Vladimir Poutine que le discours de plus en plus officiel du côté russe est que l’Ukraine ne réalisera pas les accords de Minsk – il faut dire aussi que l’Ukraine ne s’en cache pas, sachant que la reconnaissance d’une nature fédérale à l’État ukrainien empêcherait le régime d’aller vers l’OTAN et l’Union européenne. Ce qui implique du côté russe qu’une reconnaissance du Donbass séparatiste doit, « logiquement », s’accompagner d’une intervention militaire de protection.

La seule autre possibilité est que la France et l’Allemagne aient assez de poids pour amener l’Ukraine à suivre les accords de Minsk – mais l’Ukraine est principalement un satellite américain, et les États-Unis veulent se servir de ce pays comme tête de pont dans sa conquête de l’Est allant jusqu’au bout, jusqu’à Moscou.

La Russie a d’ailleurs mené une vaste campagne de piratage informatique en Ukraine le 15 février 2022. Cela n’a bien entendu pas été revendiqué en tant que tel, mais c’est très clair. On parle ainsi de l’effondrement des sites ministériels (dont l’armée et les services secrets), ainsi que ceux des deux principales banques (Privatbank et Ochtchadbank) dont les activités ont été bloquées. Commencée au tout début d’après-midi, l’attaque de type DDOS (déni de service) s’est prolongée pendant au moins une dizaine d’heures.

Pour l’anecdote, un stream de l’agence Reuters montrant une place de Kharkiv [en fait de Kiev] a également vu plusieurs fois l’hymne russe émerger en fond sonore… On est là bien entendu dans une vaste opération à la fois technique et psychologique. D’ailleurs, officiellement, la Russie a annoncé qu’elle commençait à retirer des troupes de la frontière avec l’Ukraine, en raison de la fin des exercices. Le quotidien Le Monde indique ainsi que :

« La Russie a envoyé, mardi 15 février, les premiers signaux d’une détente dans la crise autour de l’Ukraine qui dure depuis la fin de l’année 2021. »

L’article précise bien que les occidentaux sont sceptiques, mais cela ne change rien au fait que l’ensemble des médias internationaux ont repris telle quelle cette information d’une désescalade russe n’ayant strictement aucune réalité.

Tout cela est très calculé du côté russe, tout comme le sont les différentes positions américaines et britanniques. Il y a toute une mise en place militaire et une narration orchestrée pour la justifier. Comme en 1914, chaque camp accusera l’autre d’avoir commencé.

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Ukraine : l’heure du basculement

Toutes les contradictions s’alignent sur la question ukrainienne et exigent une résolution.

Il y a désormais du côté russe pratiquement 70% de l’armée de terre aux frontières avec l’Ukraine, ainsi que la moitié des avions de l’armée de l’air, à quoi s’ajoute toute une flotte dans la Mer Noire et la Mer d’Azov. Et l’accroissement numérique est grandissant.

Même du côté allemand et français, deux pays cherchant à temporiser, il est clair que l’invasion russe est concrètement matériellement engagée. Elle peut être stoppée au dernier moment, cependant le processus est clairement enclenché. Et dans tous les cas, un camp – la Russie ou les pays capitalistes occidentaux – va être perdant, et l’Ukraine de toutes façons.

Le chancelier allemand Olaf Scholz était à Kiev le 14 février 2022, pour tenter d’arracher un compromis de la dernière chance, alors que le même jour le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a affirmé que:

« Y a-t-il tous les éléments pour que soit menée une offensive forte de la part des forces russes en Ukraine ? Oui c’est vrai, c’est possible là, c’est possible rapidement. C’est ce qui nous pend au nez. »

Le 15 et surtout le 16 février 2022 sont considérés par la superpuissance américaine comme les dates privilégiées de l’offensive ; l’ensemble du matériel informatique et technique de l’ambassade américaine à Kiev, déjà évacuée, a été détruit.

Ce qui n’empêche pas la superpuissance américaine d’en même temps prévoir un milliard de dollars de prêts à l’Ukraine, tout en continuant à envoyer des cargos d’armement. Voici d’ailleurs la liste « officielle » de ce qui a été envoyé depuis 2014, pour la somme de 800 millions de dollars environ : 75 postes Javelin avec 540 de leurs missiles guidés antichars, 276 véhicules HMMWV (106 blindés, 100 non blindés et 70 médicaux), 145 véhicules Toyota Land Cruiser, 57 véhicules Ford, 4 drones UAV RQ-11B Raven, 4 patrouilleurs de classe Island, 40 radars c/batterie AN/TPQ-48/49, 15 radars c/batterie AN/TPQ-36/37, 10 radars Sharp Eye, 4 251 radios, 185 mitrailleuses MG M240V, 5 173 AK-74 & 2 400 pistolets, 122 fusils de sniper M107A1, 48 systèmes de guerre électronique, 9 337 appareils de vision nocturne et viseurs, 16 mortiers M1982 de 120 mm (2B11).

La logique américaine est de continuer à renforcer la pression pour satelliser l’Ukraine, tout en menaçant la Russie de sanctions massives si elle intervient. La Russie compte jouer son propre jeu, aucun camp ne compte reculer. La conflagration se pose comme en 1914.

L’Ukraine continue toutefois étonnamment d’expliquer que la Russie n’a pas assez de forces pour une invasion, et le président ukrainien Volodymyr Zelensky a, en prétendant se moquer de la date d’invasion pour le 16 février , fait de cette date une journée de l’unité nationale, donc fériée, appelant à des rassemblements patriotiques dans une intervention télévisée de 8 mn le 14 février. L’armée serait forte, la plus forte armée d’Europe, il faut avoir confiance en elle, le pays a connu d’autres menaces de guerre, « Gloire à l’Ukraine », etc.

Les « experts » bourgeois sont ici dubitatifs et ne parviennent pas à savoir si Volodymyr Zelensky joue la comédie pour rassurer la population (il est initialement comédien de profession), ou bien s’il est dans le déni le plus complet. Il faut en fait surtout voir que le régime ne tient que par un discours ultra-nationaliste triomphaliste et qu’il est totalement auto-intoxiqué.

D’où, parallèlement, la multiplication d’initiations militaires plus ou moins fictives par les milices d’extrême-Droite, qui ont un très large écho dans certains médias, notamment anglophones, qui présentent cela comme une actualité. En réalité, les initiatives de ce type et les rassemblements nationalistes ne ramènent qu’un nombre très faible de gens, en ce sens le 16 février sera en quelque sorte un test pour le régime concernant sa capacité de mobilisation… Si la Russie lui en laisse le temps.

La Russie qui, d’ailleurs, nie quant à telle toute intention d’invasion, continuant sa narration comme quoi c’est de la paranoïa et de la propagande anglo-saxonne… Tout en expliquant qu’elle n’exclut pas une provocation occidentale précisément à ce moment-là pour l’accuser a posteriori. La narration russe consiste à répandre l’hypothèse, d’ailleurs pas absurde, d’une offensive ukrainienne contre le Donbass séparatiste, la Russie étant accusée en même temps.

Il faudrait alors que la Russie vienne évidemment sauver les Russes présents dans ces territoires. D’ailleurs, le ministère des affaires étrangères a publié le 14 février 2022, sur un réseau social, un rappel très opportun de la libération de la ville de Lugansk le 14 février 1943…

Narration contre narration visant à justifier intérêts de grande puissance contre intérêts de puissance, voilà l’enseignement de ce qui se passe avec comme visée l’expansion impériale dans la bataille pour le repartage du monde.

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L’espace aérien ukrainien désormais fermé

L’Ukraine est mise au pied du mur.

Un système mobile multicanal de missiles sol-air russe S-300V 9A83 TELAR à la frontière ukrainienne

Les compagnies d’assurances du secteur aérien ont arrêté leurs activités concernant l’Ukraine, par conséquent ce 14 février 2022 l’ensemble des compagnies aériennes cessent leurs activités en Ukraine. L’Ukraine se voit isolée, alors que de plus en plus de pays demandent à leurs ressortissants de quitter le pays. La France a demandé à ses ressortissants en Ukraine de stocker de l’eau et de la nourriture, et de faire le plein d’essence…

Le régime ukrainien a tenté de répondre à cette question aérienne en mettant 690 millions de dollars sur la table, mais c’est en pratique une simple goutte d’eau de par la dimension des sommes en jeu dans de tels contrats d’assurances. Et quelle compagnie acceptera la garantie financière d’un régime qui peut ne plus être en place quelques jours après?

Car si officiellement le régime dit toujours qu’il n’y a pas de menace russe, en interne les voix disant franchement le contraire se généralisent, la pression étant de plus en plus intenable. Les oligarques et les plus riches Ukrainiens ont d’ailleurs pris en catastrophe l’avion à Kiev le 13 février 2022 dans divers charters et avions privés, pour s’éloigner du point d’impact qui semble être de plus en plus une très large partie du pays.

C’est à l’étranglement d’une nation auquel on est en train d’assister.

La Russie prétend bien entendu de son côté qu’elle ne veut pas envahir l’Ukraine, que tout est de la propagande de part des « Anglo-Saxons » qui ont besoin de la guerre. La « gauche » du PCF converge ou s’aligne totalement sur ce discours.

Mais en même temps la Russie monte en puissance pour dire que l’Ukraine va attaquer le Donbass… Ce qui sous-tend qu’elle sera « obligée » d’intervenir… et qu’elle a la « chance » de justement mener de grandes manœuvres non loin ! Le « hasard » fait bien les choses… Tel est le scénario qui se profile, alors qu’en plus le régime ukrainien amasse vraiment des troupes près du Donbass séparatiste. Ayant réfuté l’orientation démocratique et populaire, le régime ukrainien ne peut en effet avoir en vue qu’une sortie : frapper si fort le Donbass séparatiste que cela provoque un sursaut nationaliste et rendre impossible une invasion russe visant à annexer pratiquement tout le pays sauf la partie ouest revenue à l’Ukraine en 1945.

Tout cela est catastrophique et on aurait bien tort de penser qu’il n’y aurait pas un impact immédiat en France. Le mouvement d’Eric Zemmour, « Reconquête », vient en effet de passer la barre des 100 000 adhérents. Le 100 000e membre viendrait des Républicains et Eric Zemmour compte l’accueillir lui-même, alors que Stéphane Ravier, soutien de Marine Le Pen à Marseille, vient de le rejoindre.

Or, qu’est-ce que cela change ? Eh bien si Eric Zemmour disposait de 20 000 adhérents encore seulement et d’une perspective bouchée, son soutien à la Russie en cas de conflit en Ukraine l’isolerait relativement dans un panorama où la Droite traditionnelle est pro-américaine. Il serait le Jean-Luc Mélenchon de la Droite. Là c’est différent, il y aurait en cas de victoire russe la mise en place d’une caisse de résonance très forte à celle-ci, et c’est indéniablement un objectif russe également.

Le conflit ukrainien va provoquer un enchaînement comme aux dominos. Et d’ailleurs il provoque déjà cet enchaînement, il n’y a même pas la guerre que le remue-ménage « impérial » est déjà partout. Ou, alors, plutôt, il y a déjà la guerre. Car la pandémie a ouvert la voie à la bataille pour le repartage du monde comme tentative du capitalisme de s’arracher à sa crise.

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La « gauche » du PCF prend partie pour la Russie dans le conflit ukrainien

La Russie et la Chine seraient des vecteurs d’anti-impérialisme.

Il a déjà été parlé ici de la tendance d’une partie de la Gauche française, celle liée au PCF dans une rupture avec lui à partir des années 1990, et qui a pris une position clairement favorable à la Chine et à la Russie (« Qui menace la paix en Ukraine ? » Pas la Russie ?). Dans le prolongement d’Echanges communistes qui rassemble les documents de cette tendance au sujet de l’Union Européenne, il y a un nouveau document commun au sujet de la situation en Ukraine (mais sans le Parti Communiste Révolutionnaire de France, sur le même ligne cependant).

On parle ici du Pôle de Renaissance Communiste en France (PRCF) et des Jeunes pour la Renaissance Communiste en France (JRCF), du Rassemblement Communiste (RC), de l’Association Nationale des Communistes (ANC), du Comité Internationaliste de Solidarité de Classe (CISC).

Tout en feignant, sans nullement convaincre, de prendre des distances avec les régimes chinois et russe, il y a une dénonciation unilatérale des pays capitalistes occidentaux, en « oubliant » donc que c’est tout de même la Russie qui rassemble une armada d’environ 150 000 soldats armés jusqu’aux dents autour d’une Ukraine dont l’existence est niée ! Quant à expliquer que le régime chinois n’est pas agressif… c’est tellement invraisemblable, alors que dire !

De plus, ce qu’on a ici n’aboutit pas une position cohérente, car si on admet tout ce qui est affirmé de manière unilatérale, que « l’impérialisme euro-atlantique » précipite le monde « dans une guerre potentiellement mondiale et exterminatrice », alors pourquoi conclure qu’il suffirait de lutter contre l’austérité ?

C’est là soit une réponse réformiste à la guerre qui n’est pas à la hauteur, soit un positionnement qui montre qu’il n’est pas vraiment cru en la tendance à la guerre, même de la part des pays capitalistes occidentaux.

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Guerre

Le conflit en Ukraine devient la première actualité mondiale

Le monde est comme suspendu mais les gens sont déconnectés.

Le 12 février 2022, un sous-marin américain rentré dans les eaux territoriales de la Russie dans l’Océan Pacifique, au niveau de l’archipel des îles Kouriles (dont le tiers est revendiqué par le Japon). Il s’agit d’un sous-marin américain de la classe Virginia, soit un sous-marin nucléaire d’attaque à plus de 2 milliards de dollars. La flotte russe l’a intercepté et exigé qu’il fasse surface ; devant son refus des « moyens » ont été employés et le sous-marin a quitté les lieux à grande vitesse. L’attaché militaire américain à Moscou a été convoqué par le ministère russe des Affaires Étrangères.

C’est là indéniablement marquant. C’est quelque chose de très grave. C’est cependant conforme à la tendance historique, alors cela laisse indifférent. C’est dans l’ordre des choses, très exactement. Un ordre des choses de plus en plus terrifiant.

Le 12 février 2022, le président américain Joe Biden a appelé le président Vladimir Poutine pendant une heure… et le président français Emmanuel Macron a lui aussi appelé le président russe Vladimir Poutine pendant une heure, et il a appelé également le président américain Joe Biden, le chancelier allemand Olaf Scholz et le président ukrainien Volodymyr Zelensky.

Et alors que le 11 février a été marqué par le début de la généralisation de l’évacuation des ressortissants étrangers d’Ukraine, le 12 février s’est situé dans son prolongement direct : la compagnie KLM a suspendu ses vols vers l’Ukraine; les États allemand, belge, italien, suédois, tchèque et d’autres ont demandé à leurs ressortissants de quitter l’Ukraine, le Canada a fermé son ambassade à Kiev…

L’ordre mondial vacille au milieu d’une ambiance d’autant plus délétère que celle-ci émerge dans un monde rendu comateux par trente années d’expansion capitaliste déchaînée.

Et la seule chose qu’éprouve les gens, c’est la nostalgie de ces trente années !

Tel est le niveau de déconnexion : la réalité dans ses fondements n’apparaît aux gens qu’éminemment lointaine, abstraite, avec qui plus est un grand fatalisme dans l’approche générale. Les gens du peuple comprennent que les puissants manigancent pour l’expansion de leur domination, mais il en a toujours été ainsi… Les petits-bourgeois ne croient en rien et oscillent dans toutes les directions, ce qui leur donne l’impression d’avoir toujours raison. Les classes dominantes basculent dans le cynisme le plus complet, au nom du « réalisme ».

Quant au niveau intellectuel, il est à zéro, la décadence capitaliste amenant les subjectivismes à suinter de partout. Le risque d’invasion russe de l’Ukraine a ainsi fait la une du journal télévisé de France 2 le 12 février 2022, et on pouvait facilement voir qu’il y avait une tentative vraiment pathétique, partant de très loin, d’essayer de comprendre et de raconter ce qui se passe. Cela a concrètement donné le correspondant français aux États-Unis délirant sur des soldats américains qui chercheraient possiblement des citoyens américains en pleine Ukraine envahie afin de les sauver, se faisant tirer dessus, ripostant, provoquant une escalade majeure.

On est là dans l’imagination débordante de gens n’y connaissant rien et découvrant les choses telles qu’elles font surface. Pour prendre un autre exemple, la chaîne publique d’informations en continu France info a publié un court article le 12 février 2022, au sujet du point de vue des ressortissants français à Kiev, qui ne croient pas en une situation de tension. On y lit :

« Le ressenti est le même dans le restaurant français le plus huppé de Kiev. Robin, le chef déclare : « Si vraiment ça commence à péter, soit je reste en Ukraine, soit je rentre en France ». »

Voilà le niveau d’information. Le point de vue donné au journaliste est absurde, le réel est totalement perdu de vu. Ce genre de choses est inévitable et ne peut que s’amplifier dans une société de consommation où règne la superficialité et l’éphémère.

Le conflit en Ukraine n’est pas seulement une expression du capitalisme en crise allant à la guerre. Dans ses modalités mêmes, il reflète une situation où le rapport à la réalité est perdu en général. C’est littéralement la fin d’une civilisation.

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Guerre

Le début de la généralisation de l’évacuation des ressortissants étrangers d’Ukraine

L’Inquiétude est désormais ouvertement palpable.

C’est tout à fait exemplaire de la double rhétorique des grandes puissances. D’un côté, la Russie maintient fermement qu’elle n’a aucunement l’intention d’envahir l’Ukraine, que c’est une « psychose » occidentale que de voir les choses ainsi, et que cela cache même une opération occidentale visant à faire agir militairement l’Ukraine !

Alors, en ce cas là, on le devine, la Russie serait obligée… d’envahir l’Ukraine. Ce que Denis Pouchiline, le dirigeant de la « République populaire » de Donetzk, a résumé comme suit lors d’une conférence de presse le 11 février 2022 :

« Nous sommes des gens sensés qui pensent que les générations à venir aimeraient bien sûr voir l’Ukraine dans le cadre de l’État de l’Union avec la Russie et la Biélorussie. 

Cela devrait être ainsi. Seulement ce ne sera plus l’État ukrainien, ce sera déjà une entité légèrement différente qui pourrait apparaître après une éventuelle opération offensive de l’Ukraine. »

De l’autre, on a la superpuissance américaine, qui a annoncé que tout en n’étant pas certaine à 100%, l’invasion russe aurait lieu le 14 ou le 16 février 2022, et que Kiev serait visée. C’est à la fois une analyse réelle et une orchestration littéralement cinématographique, avec la mise en place le 11 février d’un appel individualisé des 30 000 ressortissants américains en Ukraine pour savoir où ils en sont niveau évacuation.

Une liste significative de pays s’est d’ailleurs ajouté et demandent désormais à leurs ressortissants de quitter l’Ukraine les Etats-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, la Finlande, le Monténégro, la Norvège, la Lettonie, Israël, le Japon, la Corée du Sud, l’Estonie, les Pays-Bas, la Nouvelle-Zélande, la question n’étant pas clair pour les fonctionnaires de l’Union Européenne, et alors que le Royaume-Uni a carrément décidé de fermer son ambassade.

La superpuissance américaine a également déplacé le 11 février des avions F-16 d’Allemagne pour les envoyer en Roumanie, tout en envoyant 3 000 soldats de plus en Pologne. Le même jour, le chef d’État-Major des armées des États-Unis Mark Milley a de son côté appelé ses homologues russe, biélorusse, français, allemand, canadien, italien, britannique, etc.

Le président américain Joe Biden a demandé à avoir le président russe Vladimir Poutine dès le 12 février au téléphone (et non lundi comme avaient proposé en réponse les diplomates russes), alors que d’autres appels entre dirigeants sont prévus le même jour.

Enfin, appelant au chapitre III du Document de Vienne de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), il y a un appel à se justifier pour les exercices militaires de la part de l’Estonie, de la Lituanie et de la Lettonie auprès de la Biélorussie, et de l’Ukraine auprès de la Russie.

On est là dans un imbroglio militaire montrant toute la précarité de la situation. Et il est faux de dire que cette situation a plusieurs années, que tout est « géopolitique » et autres explications qui n’en sont pas. La vérité c’est que depuis 2020 le capitalisme est en crise et qu’il se précipite dans la guerre. Qui ne veut pas voir cela rate la substance du déroulement des choses.

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Guerre

Le drame ukrainien est entré dans son dernier acte

C’est la semaine fatidique.

Le drame ukrainien est entré dans son dernier acte. Le 10 février 2022 ont ainsi commencé les manœuvres communes biélorusses et russes, pour un durée de dix jours. Il faudra donc qu’à leur fin, les troupes repartent, étant donné qu’il n’y a pas d’installations pour elles là où elles sont. Qu’elles repartent, ou qu’elles traversent les frontières avec l’Ukraine…

D’autant plus que de nombreuses troupes ne sont pas du tout là où il doit y avoir des manœuvres ! Qu’il y a un flux continu de troupes, de matériel, d’approvisionnement… Et qu’il y a une masse de navires militaires dans la Mer d’Azov, qui vont mener d’opportunes manœuvres bloquant la zone et permettant d’avoir le champ libre pour un débarquement sur le flanc sud de l’Ukraine.

Les manœuvres navales russes autour de la Crimée

La Russie a fait exactement tout ce qu’il fallait pour mener une invasion. Le Parlement russe doit se prononcer le 14 février sur une éventuelle reconnaissance des « républiques populaires » de Donetzk et Louhansk, alors que la réunion germano-franco-russo-ukrainienne du 10 février quant aux accords de Minsk a très mal tourné, se prolongeant de plusieurs heures (neuf en tout au lieu de trois), la Russie accusant l’Ukraine de ne pas les respecter, ce qui est vrai, l’Ukraine accusant la Russie de se servir des « républiques populaires » comme de son bras armé, ce qui est vrai aussi.

Il suffira d’une étincelle dans les dix jours, d’un prétexte, et tout s’enclenchera.

Il faut ajouter à cela la tentative d’intimidation britannique. La ministre britannique des affaires étrangères, Liz Truss, s’est rendu à Moscou le 10 février et a été d’une fermeté d’une grande arrogance. Le ministre russe des affaires étrangères, Sergeï Lavrov, a expliqué lors de la conférence de presse qui a suivi que la discussion avait été comme celle d’un muet avec un sourd.

Liz Truss et Sergeï Lavrov

Un propos posé devant elle, à la Sergeï Lavrov, mêlant cruauté diplomatique et un style fantasque comme les Russes savent l’être, le personnage étant connu pour cela. Il a également diffusé une anecdote confirmée par la suite. Liz Truss a expliqué que les troupes russes devaient partir, Sergeï Lavrov a répondu qu’elles étaient en Russie et il a demandé si la Russie était souveraine sur Voronej et Rostov. Liz Truss a expliqué que jamais le Royaume-Uni ne reconnaîtrait cette souveraineté, forçant l’ambassadrice britannique en Russie, Deborah Bronnert, à repréciser les choses.

Du côté ukrainien, il y a deux positions. Officiellement, il est dit qu’il n’y a pas de menace d’invasion (ce que Jean-Luc Mélenchon feint de prendre au sérieux dans une vidéo à ce sujet). En pratique, il y a une évacuation de documents vers l’Ouest du pays, un conseil de sécurité qui se tiendra à Kharkiv à l’Est du pays, l’envoi massif de miliciens et de matériel militaire à l’Est, pour se défendre, mais également clairement pour lancer une opération contre les « talibans » du Donbass séparatiste.

Le régime ukrainien se croit très fort, il est intoxiqué par le nationalisme et les soutiens américano-britanniques, ainsi que ceux de l’OTAN et de l’Union Européenne. Il a même décidé d’organiser des manœuvres aux frontières avec la Biélorussie ! L’Ukraine est une nation totalement défigurée par l’affrontement entre les grandes puissances. Pour l’anecdote, le ministre ukrainien des affaires étrangères, Dmytri Kuleba, s’est permis de raconter qu’il avait pu serrer la main à Emmanuel Macron lors de son passage à Kiev, que celui-ci avait une forte poigne… Mais pas suffisante pour tordre le bras à l’Ukraine !

Cela alors qu’Emmanuel Macron, aussi hypocrite qu’il soit car il représente les intérêts français, auraient pu être au moins un peu moyen d’aider à essayer de se sortir de l’affrontement. Mais le régime ukrainien préfère viser à une sorte de vaste « purge », rompant définitivement avec tout ce qui est « russe », quitte à ce que soit l’affrontement généralisé.

La folie furieuse l’emporte, portée par la crise du capitalisme se précipitant dans la guerre.

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Société

Les « Indigènes de la République » ont été remplacés par Eric Zemmour

Le côté pile a remplacé le côté face.

C’est quelque chose d’absolument flagrant : Eric Zemmour est arrivé sur la scène politique française au moment où les « Indigènes de la République » en sortait. Et c’est d’autant plus marquant que le discours d’Eric Zemmour est exactement l’inverse de celui des « Indigènes de la République ». Voilà qui est lourd de sens !

Eric Zemmour dit que la France est par « essence » une bonne chose, tout comme les « Indigènes de la République » expliquait qu’elle était par « essence » une mauvaise chose. Eric Zemmour veut « refranciser » tout comme les « Indigènes de la République » voulaient « décoloniser ». Eric Zemmour pare de toutes les vertus le « Français de souche » abhorré par les « Indigènes de la République », tout comme Eric Zemmour a une obsession en mal des « Arabo-africains » que les « Indigènes de la République » voyaient comme la lumière du monde.

Le parallélisme est indéniable et c’est au fond le même communautarisme, le même rejet de la lutte des classes, la même haine de la Gauche historique. Cela va même encore plus loin, car l’un a remplacé l’autre. Les « Indigènes de la République » sont un mouvement né dans les années 2000 et qui ont connu un énorme succès dans les milieux anarchistes et trotskistes, obtenant une reconnaissance complète au point de contribuer à la naissance d’un nouveau milieu militant, une sorte d’étrange milieu mêlant anarchisme, théorie du genre, « décolonialisme » communautariste, fascination pour l’Islam comme religion des opprimés, haine de la police, culte du virilisme « militant ».

C’est la raison pour laquelle Houria Bouteldja, figure de proue du mouvement, a quitté le mouvement en octobre 2020 pour annoncer un an plus tard… son soutien à Jean-Luc Mélenchon pour la présidentielle 2022, alors qu’effectivement La France Insoumise a été largement touchée par l’irruption de ce nouveau milieu activiste. C’est une convergence logique puisque La France Insoumise ne se revendique plus de la Gauche mais du « populisme », opposant abstraitement un haut et un bas de la société.

Les « Indigènes de la République » avaient jusque-là souvent défrayé la chronique avec leurs thèses post-modernes provocatrices et communautaristes. Et une fois disparu, ils sont remplacés par quelqu’un tenant le même discours qu’eux, mais inversé, Eric Zemmour ! Nul hasard à cela. Leur conception du monde a essaimé, leurs idées anti-universalistes, anti-métissage, anti-collectiviste se sont répandues.

C’est qu’elles sont dans l’air du temps. Les « Indigènes de la République » ont été l’expression petite-bourgeoise d’immigrés cherchant à s’élever socialement en France, Eric Zemmour est l’expression de la bourgeoisie française cherchent à s’élever socialement dans le monde. C’est « moi d’abord », et comme il n’y a aucun mérite, il faut en inventer un, et c’est là qu’on trouve comme dans les années 1920-1930 le thème de la nation, de la « race », de la nation « prolétaire », de la « race » supérieure de parce qu’elle véhicule.

Tout cela est évident pour qui regarde les choses du point de vue de la Gauche historique – à rebours des anarchistes, des trotskistes et de leurs variantes désormais « post-modernes » hantant les universités et le « militantisme » dans les grandes villes.

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Guerre

Emmanuel Macron à Kiev alors que la guerre est un thème officiel

Personne ne peut nier la gravité de la situation.

Emmanuel Macron était à Kiev le 8 février 2022, après avoir été la veille à Moscou. Il a affirmé qu’il avait trouvé une voie pour que cesse l’escalade. Le souci est que cette voie n’est pas présentée nulle part, et pour cause. La seule possibilité est que l’Ukraine ne rejoigne pas l’OTAN et réintègre les « républiques séparatistes » en leur accordant une autonomie, ce dernier point étant prévu par les accords de Minsk de 2014 entre l’Ukraine, la Russie, l’Allemagne et la France.

Seulement, le régime ukrainien a désormais inscrit dans sa constitution qu’il allait dans le sens de rejoindre l’OTAN et l’Union Européenne ; il considère les révoltés des régions séparatistes comme des « soldats de l’armée russe », alors qu’ils sont régulièrement qualifiés de « talibans ». De plus, la loi ukrainienne supprime la langue russe de manière systématique, comme toute référence positive de quelque manière que ce soit au passé soviétique.

Partant de là, il n’existe aucune possibilité de la réalisation d’un compromis du côté ukrainien, dans un pays où règne le fanatisme dans les couches dirigeantes et les milieux nationalistes extrêmement actifs et violents. La Russie n’en veut de toutes façons pas non plus.

Alors il ne reste que la guerre et si on lit la presse depuis quelques jours, on peut voir que celle-ci est devenue un thème tout à fait installé. Il est clair que l’invasion russe de l’Ukraine est une possibilité, une menace. C’est dit aussi simplement que cela – sans qu’il y ait pour autant de réaction de la population française ou des mouvements de Gauche. C’est dramatique.

Et ce d’autant plus que cela veut dire que la compétition pour le repartage du monde est installée, officialisée. Que désormais il ne reste qu’à savoir sous quelle forme elle va s’exprimer, par quel jeu d’alliances. Ainsi, on a déjà la catastrophe, parce qu’il y a en ce moment un intense changement de mentalités des équipes dirigeantes de tous les pays d’Europe. Il y a l’intégration du fait qu’on est dans un contexte brûlant où ce qui compte c’est de se placer au mieux.

Autrement dit, on vit un moment historique, qui passe cependant inaperçu, parce qu’il n’y a aucun recul de la part de personne, en raison du poids immense du capitalisme sur les mentalités. La tendance à la guerre s’est installée dans les esprits des dirigeants européens : voilà ce qu’on dira dans quelques années lorsqu’on regardera a posteriori les événéments.

Espérons qu’on dira aussi que les partisans de la Gauche historique ont su être à la hauteur pour promouvoir la ligne de « guerre à la guerre », d’affirmation internationaliste prolétarienne du refus de l’affrontement militaire entre les peuples. C’est là un véritable défi historique, qui ne concerne pas que la séquence sur l’Ukraine, mais bien toute la période qu’on connaît.

La tendance à la guerre est l’aspect principal, c’est de là qu’il faut s’orienter, le reste étant secondaire, car le moteur général des transformations sociales, historiques, culturelles, économiques, politiques… c’est la bataille pour le repartage du monde.

Qui ne le voit pas n’est pas capable de tirer le fil pour arriver à transformer la réalité dans le bon sens, celui du Socialisme.

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Guerre

Ukraine : ballet diplomatique franco-allemand à Kiev, Moscou et Washington

La France et l’Allemagne espèrent parvenir à se placer.

La photographie officielle de la rencontre le 7 février 2022 entre le président russe Vladimir Poutine et le président français Emmanuel Macron à Moscou ne laissera pas d’étonner en raison de la longueur de la table. Il ne faut pas y voir malice : lorsque le premier ministre hongrois Viktor Orbán est venu à Moscou le 1er février 2022, il a trinqué avec Vladimir Poutine à plusieurs mètres de distance. C’est pour souligner la nécessité de la distanciation physique, dans un pays où le régime a du mal à faire vacciner.

D’ailleurs, la Russie est toujours très polie avec la France. Les médias et le ministère des affaires étrangères n’attaquent jamais la France, alors qu’ils ne se gênent pas pour se moquer des Etats-Unis, du Royaume-Uni, etc., et ce de manière parfois grotesque. Lorsque des navires russes se font « accompagner » par la marine française parce qu’ils passent proche de la France, le ton entre les interlocuteurs est toujours fort courtois également.

La Russie souligne absolument toujours que la France est dans l’OTAN, mais qu’elle n’est jamais agressive avec la Russie et qu’elle a des tendances à l’indépendance… Rappelons ici que trois candidats majeurs à la présidentielle de 2022 sont d’ailleurs ouvertement tournés vers la Russie et non l’OTAN : Marine Le Pen, Eric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon.

Rappelons aussi que si le Français moyen prend les Russes pour des alcooliques ou des call-girls, les gens éduqués ont un respect extrêmement profond pour la Russie, connue pour être un pays d’une grande histoire, d’une grande culture, d’un grand intellect. On ne peut pas s’intéresser à la littérature, la musique, la physique, les mathématiques, le cinéma, le théâtre, la danse, la peinture… sans savoir qu’il y a un énorme apport russe, sans compter que dans bien d’autres domaines la Russie préserve ses connaissances (notamment en chimie et en biologie).

Lorsque Dmytro Kuleba, le ministre ukrainien des affaires étrangères, écrit une tribune dans le Figaro le 17 janvier 2022 (« Pour résister à Poutine, l’Ukraine a besoin de la France« ), il est ainsi obligé de prendre malgré sa haine de la Russie des précautions oratoires extrêmes :

« Je suis bien conscient qu’une partie de l’élite intellectuelle française a encore des attachements particuliers à la Russie.

Certains sont charmés par la culture russe, de Tolstoï au ballet du Bolchoï. D’autres sont américano-sceptiques et considèrent la relation avec la Russie comme une alternative. D’autres encore proposent un pari géopolitique: s’engager davantage avec la Russie pour l’empêcher de se rapprocher de la Chine.

Je ne veux décevoir personne. Mais la Russie d’aujourd’hui n’est pas un contrepoids entre les Etats-Unis et la Chine. Et elle a aussi bien peu à voir avec le ballet et la littérature russes. A la frontière ukrainienne aujourd’hui, on ne voit ni ballerines ni poètes ! »

Par contre, pour en revenir plus directement à la rencontre, Emmanuel Macron n’a pas échappé au style de Vladimir Poutine qui est de préférer ce qui n’est pas matinal. La discussion a eu lieu pendant cinq heures et la conférence de presse commune a commencé autour de 23 heures en France, soit 1 heure du matin à Moscou. Mais enfin, tout a été cordial, constructif comme on dit en diplomatie, ce que Vladimir Poutine a joliment tourné de la manière suivante en disant d’Emmanuel Macron :

« Je crois que certaines de ses idées, certaines propositions dont il est trop tôt encore de parler, peuvent servir de base pour nos démarches communes ultérieures. »

On en saura pas plus, alors que par contre Emmanuel Macron est parti directement pour Kiev pour discuter de ces dites propositions avec le président ukrainien Volodymir Zelensky. Pour quel résultat, là est la question, mais on comprend tout lorsqu’on sait que le 7 février il y a eu également le chancelier allemand Olaf Scholf à Washington pour rencontrer le président Joe Biden, rencontre qui avait été repoussée jusque-là du côté allemand. Et le même jour encore, la ministre allemande des affaires étrangères Annalena Baerbock était à Kiev. Elle n’a pas pu rencontrer le président ukrainien, qui avait un agenda trop chargé officiellement ; en réalité, l’Allemagne a mauvaise presse en Ukraine de par son rôle de « médiateur ».

Car l’Allemagne n’a pas seulement besoin du gaz russe et donc du gazoduc Nord Stream 2. L’Allemagne, qui est la 4e puissance économique mondiale (derrière les Etats-Unis, la Chine et le Japon),  a besoin de la Russie comme alliée pour faire contrepoids à la superpuissance américaine et son appendice qu’est le Royaume-Uni, ainsi qu’à la Chine.

Il y a la même tentation de beaucoup en France, bien que ces derniers mois Emmanuel Macron et le gouvernement français aient été entièrement pro-américain, avant ces derniers jours et une sorte de recentrage. C’est là très important, car cela va être un aspect important voire principal pour l’élection présidentielle à venir. La tendance à la guerre l’emporte partout.

En effet, depuis 2014, l’Union Européenne a fourni 17 milliards d’euros à l’Ukraine, dont 90% en prêt. Depuis six mois, la superpuissance américaine et quelques autres ont fourni… mille tonnes de matériel militaire, pour un total de 1,5 milliards de dollars. L’Ukraine est devenue une sorte de colonie occidentale.

Autrement dit, la superpuissance américaine a donné naissance à un mouvement d’entraînement à une conquête de l’Est passant aussi par le prisme de l’Union Européenne et de l’OTAN, deux entités désormais s’assimilant l’une à l’autre, l’Ukraine étant une nouvelle tête de pont pour l’objectif final : faire tomber la Russie.

Cette dernière, n’ayant pas la capacité d’avoir une proposition générale par manque de puissance, pratique donc comme la Chine une stratégie visant à bousculer très grandement les choses. Comme dit fort justement (dans le numéro 18 de Crise), les Etats-Unis visent l’asphyxie, les challengers chinois et russe visent au délitement pour s’affirmer.

La France et l’Allemagne aimeraient bien pouvoir se placer dans tout cela, mais comment faire au mieux du point de vue de l’expansion capitaliste? Conquérir le butin russe est tentant mais subordonne à la superpuissance américaine, au Royaume-Uni (qui vise clairement le port d’Odessa sur la Mer Noire d’ailleurs), inversement choisir la Russie impliquerait une rupture avec la superpuissance américaine lourde de conséquences…

En même temps, une guerre en Ukraine aurait des conséquences dévastatrices sur le plan de l’instabilité régionale, ainsi qu’un impact ravageur sur l’économie.

Tel est le capitalisme en crise : ce qui a l’air solide peut s’avérer plus que fragile par un retournement rapide de situation, tout devient précaire dans ses fondements, c’est la course permanente…

Et ce n’est que le début d’un processus catastrophique. Qui se déroule, soulignons le encore une fois, dans l’indifférence la plus générale en France, y compris des gens ayant un certain niveau de conscience sociale. Le poison de la vie quotidienne capitaliste a anéanti pratiquement tous les esprits, pour ne pas dire tous. Le réveil de ce sommeil hypnotique par le bruit de la guerre va s’avérer particulièrement brutal.

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Guerre

Les éléments de l’alliance Chine – Russie

Vladimir Poutine s’est rendu à Pékin à l’occasion des Jeux Olympiques d’Hiver 2022.

Les Jeux Olympiques d’Hiver 2022 se sont ouverts le 4 février et les pays occidentaux ont pratiqué leur boycott diplomatique, permettant aux présidents chinois Xi Jinping et russe Vladimir Poutine d’occuper le terrain. Ils en ont profité pour publier un long texte commun consistant en une alliance stratégique, le titre étant évocateur : Déclaration conjointe de la Fédération de Russie et de la République populaire de Chine sur les relations internationales entrant dans une nouvelle ère et le développement durable mondial.

Le document est explicite sur le plan de l’unité dans le cadre du conflit en Ukraine et de l’opposition à l’OTAN.

« Les parties sont gravement préoccupées par la création par les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie (AUKUS) d’un « partenariat de sécurité triangulaire », qui prévoit un approfondissement de la coopération entre ses participants dans des domaines affectant la stabilité stratégique, en particulier leur décision d’entamer une coopération dans le domaine des sous-marins nucléaires. 

La Russie et la Chine estiment que de telles actions vont à l’encontre des objectifs d’assurer la sécurité et le développement durable de la région Asie-Pacifique, augmentent le risque de déclencher une course aux armements dans la région et créent de graves risques de prolifération nucléaire. 

Les parties condamnent fermement de telles mesures et appellent les participants à AUKUS à remplir fidèlement leurs obligations en matière de non-prolifération nucléaire et de missiles, ensemble pour protéger la paix, la stabilité et le développement dans la région (…).

Les parties estiment que le retrait des États-Unis du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI), l’accélération des études et du développement de missiles à portée intermédiaire et à courte portée basés au sol et la volonté de les déployer en Asie-Pacifique et en Europe, ainsi que de les transférer à leurs alliés, entraînent une augmentation des tensions et de la méfiance, augmentent les risques pour la sécurité internationale et régionale, conduisent à un affaiblissement du système international de non-prolifération et de maîtrise des armements, et compromettent la stabilité stratégique mondiale.

La partie chinoise comprend et soutient les propositions avancées par la Fédération de Russie sur l’établissement de garanties de sécurité juridiquement contraignantes à long terme en Europe (…).

La partie russe note la signification positive du concept de la partie chinoise de construire une « communauté avec un destin commun pour l’humanité » afin de renforcer la solidarité de la communauté mondiale et d’unir les efforts pour répondre aux défis communs. La partie chinoise note la signification positive des efforts de la partie russe pour former un système multipolaire équitable des relations internationales.

Les parties ont l’intention de défendre fermement l’inviolabilité des résultats de la Seconde Guerre mondiale et de l’ordre mondial établi d’après-guerre, de défendre l’autorité de l’ONU et de la justice dans les relations internationales, et de résister aux tentatives de nier, de déformer et de falsifier l’histoire de la Seconde Guerre mondiale.

Afin d’éviter une répétition de la tragédie de la guerre mondiale, les Parties condamneront résolument les actions visant à niveler la responsabilité des atrocités des agresseurs fascistes, des envahisseurs militaristes et de leurs complices, souiller et ternir l’honneur des pays vainqueurs .

Les parties défendent la formation d’un nouveau type de relations entre les puissances mondiales fondées sur le respect mutuel, la coexistence pacifique et la coopération mutuellement bénéfique. Ils confirment que les relations interétatiques russo-chinoises d’un nouveau type sont supérieures aux alliances militaro-politiques de l’ère de la guerre froide. »

Vladimir Poutine a également pour l’occasion écrit un article intitulé La Russie et la Chine : un partenariat stratégique tourné vers l’avenir. On y lit un grand descriptif des initiatives communes russo-chinoises.

« A la veille de ma prochaine visite en Chine, j’ai le plaisir de communiquer directement avec le public chinois et étranger de Xinhua, la plus grande agence de presse.

Nos deux pays sont de proches voisins liés par des traditions séculaires d’amitié et de confiance. Nous apprécions hautement le fait que le partenariat de coordination stratégique globale Russie-Chine, qui est entré dans une nouvelle ère, a atteint un niveau sans précédent et est devenu un modèle d’efficacité, de responsabilité et d’aspiration pour l’avenir.

L’an dernier, nous avons célébré le 20e anniversaire du Traité sino-russe de bon voisinage et de coopération amicale. Les principes fondamentaux et les lignes directrices du travail commun ont été définis par nos deux pays dans ce traité. Il s’agit avant tout d’égalité, de prise en compte des intérêts de l’autre, d’absence de circonstances politiques et idéologiques, ainsi que des vestiges du passé (…).

Fin 2021, le volume des échanges mutuels a augmenté de plus d’un tiers, dépassant le niveau record de 140 milliards de dollars. Nous sommes en bonne voie pour atteindre notre objectif de porter le volume commercial à 200 milliards de dollars par an. Un certain nombre d’initiatives importantes sont mises en oeuvre dans les secteurs de l’investissement, de la manufacture, de l’industrie et de l’agriculture.

En particulier, le portefeuille de la Commission intergouvernementale sur la coopération en matière d’investissements comprend 65 projets d’une valeur de plus de 120 milliards de dollars. Il s’agit d’une collaboration dans une série de domaines tels que l’exploitation minière et le traitement des minéraux, la construction d’infrastructures et l’agriculture.

Nous ne cessons d’étendre les règlements en devises nationales et de créer des mécanismes pour compenser l’impact négatif des sanctions unilatérales. Un jalon important à cet égard a été la signature en 2019 d’un accord entre les gouvernements de la Russie et de la Chine sur les paiements et les règlements.

Un partenariat énergétique mutuellement bénéfique est en train de se former entre nos deux pays. Avec l’approvisionnement à long terme de la Chine en pétrole et en gaz, nous prévoyons de mettre en oeuvre un certain nombre de projets conjoints de grande envergure.

La construction depuis l’an dernier de quatre nouvelles unités d’énergie dans des centrales nucléaires chinoises, avec la participation de la compagnie nucléaire publique russe Rosatom, en est un exemple. Tout cela renforce considérablement la sécurité énergétique de la Chine et de la région asiatique dans son ensemble.

Nous voyons toute une série d’opportunités dans le développement des partenariats en matière de technologies de l’information et de la communication, de médecine, d’exploration spatiale, y compris l’utilisation de systèmes de navigation nationaux et le projet de station de recherche lunaire internationale. Une forte impulsion au renforcement des liens bilatéraux a été donnée aux Années croisées d’innovation scientifique et technologique russo-chinoises en 2020 et 2021.

Nous sommes reconnaissants à nos collègues chinois pour leur aide au lancement de la production des vaccins russes Spoutnik V et Spoutnik Light en Chine et pour la fourniture en temps voulu d’équipements de protection à notre pays. Nous espérons que cette coopération se développera et se consolidera.

L’un des objectifs stratégiques de la Russie est d’accélérer le développement socio-économique de la Sibérie et de l’Extrême-Orient russe. Ces territoires se trouvent dans le voisinage immédiat de la Chine. Nous avons également l’intention de développer activement la coopération infranationale. Ainsi, la modernisation de ligne ferroviaire Baïkal-Amour et du Transsibérien a été engagée.

D’ici 2024, leur capacité sera multipliée par 1,5 grâce à l’augmentation du volume de fret en transit et à la réduction du temps de transport. Les infrastructures portuaires de l’Extrême-Orient russe se développent. Tout cela devrait consolider la complémentarité des économies russe et chinoise. »

Dans une interview du président russe Vladimir Poutine au président de China Media Group, Shen Haixiong, il est également précisé que :

« Le « Traité de bon voisinage et de coopération amicale Russie-Chine » a été signé il y a plus de 20 ans. Il s’agit d’un document politique fondateur, qui a établi le cadre juridique pour un développement cohérent et à long terme du partenariat global et d’interaction stratégique sino-russe. C’est pourquoi, le 28 juin dernier, j’ai décidé, avec le président Xi Jinping, de le prolonger de cinq ans.

Le document est très riche en matière d’idées, nombre de ses dispositions étant redécouvertes dans le contexte international d’aujourd’hui, qui évolue relativement rapidement.

Les relations entre la Russie et la Chine se développent sur une base égalitaire et sans idéologie. Notre partenariat est durable, intrinsèquement précieux. Il n’est pas affecté par le climat politique et n’est pas dirigé contre qui que ce soit. Il repose sur le respect, la considération des intérêts fondamentaux de chacun, l’adhésion au droit international et à la Charte des Nations Unies.

L’atmosphère de confiance politique qui a été créée, partiellement grâce à ce traité, a permis à nos deux pays d’établir une structure de coopération interétatique à multiples facettes, les rencontres des deux dirigeants y jouant un rôle clé.

La Chine reste ancrée en tête de liste des partenaires commerciaux de la Russie. Selon des données préliminaires, l’année dernière, y compris avec les restrictions liées à la pandémie, le commerce bilatéral a atteint un sommet historique en totalisant 140 milliards de dollars.

La Chine est notre partenaire stratégique sur la scène internationale. Nos approches sur la plupart des questions relatives à l’agenda mondial sont concordantes, ou très proches. Nous sommes engagés dans une étroite coordination au sein de nombreuses organisations et plateformes multilatérales de premier plan, à l’instar de l’ONU, des BRICS, de l’OCS, du G20, de l’APEC et de l’EAS. Et cela a un effet stabilisant sur la situation mondiale actuelle, qui reste difficile.

Pour résumer, je voudrais réitérer que les concepts énoncés dans le « Traité de bon voisinage et de coopération amicale Russie-Chine » ont permis à nos pays d’atteindre un niveau de partenariat sans précédent, qu’ils ont fondamentalement changé son caractère et sa portée, et créé les conditions pour nous permettre d’avancer ensemble. »

Voici donc les éléments de l’alliance russo-chinoise, ce bloc qui fait face au bloc occidental ayant l’OTAN comme centre et la superpuissance américaine… Dans le cadre de la bataille pour le repartage du monde.

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Guerre

Message du ministre russe des affaires étrangères Sergeï Lavrov

Ce document résume la position diplomatique russe par rapport à l’OTAN.

Ce message est en date du premier février 2022 et a été rendu public par la suite ; il concerne « l’indivisibilité de la sécurité » et il est destiné aux « ministres des affaires étrangères des États-Unis, du Canada et de plusieurs autres pays ».

Il est impératif de documenter un tel document afin de disposer d’un aperçu historique adéquat dans ce monstrueux processus de tendance à la guerre qui s’impose.

« Vous n’êtes pas sans savoir que la Russie est sérieusement préoccupée par l’aggravation des tensions politico-militaires aux abords immédiats de ses frontières occidentales.

Afin d’éviter toute nouvelle escalade, la partie russe a présenté le 15 décembre 2021 les projets de deux documents juridiques internationaux interconnectés – un Traité entre la Fédération de Russie et les États-Unis d’Amérique sur les garanties de sécurité et un Accord sur des mesures visant à assurer la sécurité de la Fédération de Russie et des États membres de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord.

Les réponses des États-Unis et de l’OTAN à nos propositions reçues le 26 janvier 2022 démontrent de sérieuses différences dans la compréhension du principe de sécurité égale et indivisible qui est fondamental pour l’ensemble de l’architecture de sécurité européenne.

Nous pensons qu’il est nécessaire de clarifier immédiatement cette question, car elle déterminera les perspectives d’un dialogue futur.

La Charte de sécurité européenne signée lors du Sommet de l’OSCE à Istanbul en novembre 1999 énonçait les principaux droits et obligations des États participants de l’OSCE en matière d’indivisibilité de la sécurité. Elle a souligné le droit de chaque État participant d’être libre de choisir ou de modifier ses accords de sécurité, y compris les traités d’alliances, en fonction de leur évolution, ainsi que le droit de chaque État à la neutralité.

Le même paragraphe de la Charte conditionne directement ces droits à l’obligation de chaque État de ne pas renforcer sa sécurité au détriment de la sécurité des autres États. Il précise en outre qu’aucun État, groupe d’États ou organisation ne peut avoir la responsabilité prééminente du maintien de la paix et de la stabilité dans l’espace de l’OSCE ou ne peut considérer aucune partie de l’espace de l’OSCE comme sa sphère d’influence.

Lors du Sommet de l’OSCE à Astana en décembre 2010, les dirigeants de nos nations ont approuvé une déclaration qui réaffirme cet ensemble complet d’obligations interconnectées.

Cependant, les pays occidentaux continuent à n’en retenir que les éléments qui leur conviennent, à savoir le droit des États à être libres de choisir des alliances pour assurer exclusivement leur propre sécurité.

Les mots « en fonction de leur évolution » sont impudemment omis, car cette disposition faisait également partie intégrante de la compréhension de la « sécurité indivisible », et plus particulièrement dans le sens où les alliances militaires doivent abandonner leur fonction initiale de dissuasion et s’intégrer dans l’architecture paneuropéenne sur la base d’approches collectives plutôt qu’en groupes étroits.

Le principe de sécurité indivisible est interprété de manière sélective comme une justification de la course en cours vers un élargissement irresponsable de l’OTAN.

Il est révélateur que les représentants occidentaux, tout en se déclarant prêts à engager un dialogue sur l’architecture de sécurité européenne, évitent délibérément de faire référence à la Charte de sécurité européenne et à la Déclaration d’Astana dans leurs commentaires.

Ils ne mentionnent que des documents antérieurs de l’OSCE, particulièrement la Charte de Paris de 1990 pour une nouvelle Europe qui ne contient pas l’obligation de plus en plus « gênante » de ne pas renforcer sa propre sécurité au détriment de la sécurité des autres États.

Les capitales occidentales tentent également d’ignorer un document clé de l’OSCE, le Code de conduite de 1994 sur les aspects politico-militaires de la sécurité, qui dit clairement que les États choisiront leurs arrangements de sécurité, y compris l’adhésion à des alliances, en gardant à l’esprit les préoccupations légitimes de sécurité des autres États. »

Cela ne fonctionnera pas de cette façon.

L’essence même des accords sur la sécurité indivisible est que soit il y a sécurité pour tous, soit il n’y a de sécurité pour personne.

La Charte d’Istanbul prévoit que chaque État participant de l’OSCE a un droit égal à la sécurité, et pas seulement les pays de l’OTAN qui interprètent ce droit comme un privilège exceptionnel d’appartenance au club « exclusif » de l’Atlantique Nord.

Je ne commenterai pas d’autres directives et actions de l’OTAN qui reflètent l’aspiration du bloc « défensif » à la suprématie militaire et à l’utilisation de la force en contournant les prérogatives du Conseil de sécurité de l’ONU.

Qu’il suffise de dire que de telles actions contreviennent aux obligations fondamentales paneuropéennes, y compris les engagements pris en vertu des documents susmentionnés de ne maintenir que des capacités militaires proportionnées aux besoins de sécurité individuels ou collectifs, compte tenu des obligations découlant du droit international, ainsi que des intérêts légitimes de sécurité d’autres États.

Évoquant la situation actuelle en Europe, nos collègues des États-Unis, de l’OTAN et de l’Union européenne lancent des appels constants à la « désescalade » et appellent la Russie à « choisir la voie de la diplomatie ».

Nous tenons à rappeler que nous avançons sur cette voie depuis des décennies. Les étapes clés, telles que les documents des sommets d’Istanbul et d’Astana, sont exactement le résultat direct de la diplomatie.

Le fait même que l’Occident essaie maintenant de réviser à son avantage ces réalisations diplomatiques des dirigeants de tous les pays de l’OSCE suscite de vives inquiétudes. La situation exige une franche clarification des positions.

Nous voulons recevoir une réponse claire à la question de savoir comment nos partenaires comprennent leur obligation de ne pas renforcer leur propre sécurité aux dépens de la sécurité des autres États sur la base de l’attachement au principe de sécurité indivisible.

Concrètement, comment votre gouvernement entend-il s’acquitter dans ses pratiques de cette obligation dans les circonstances actuelles?

Si vous renoncez à cette obligation, nous vous demandons de l’indiquer clairement.

Sans une clarté totale sur cette question clé liée à l’interconnexion des droits et obligations approuvée au plus haut niveau, il est impossible d’assurer l’équilibre des intérêts incarnés dans les instruments des sommets d’Istanbul et d’Astana.

Votre réponse permettra de mieux comprendre l’étendue de la capacité de nos partenaires à rester fidèles à leurs engagements, ainsi que les perspectives d’avancées communes vers la diminution des tensions et le renforcement de la sécurité européenne.

Nous sommes dans l’attente de votre réponse rapide. Elle ne devrait pas prendre de temps, car il s’agit de clarifier l’accord sur la base duquel Votre Président/Premier Ministre a signé les obligations correspondantes.

Nous espérons également que la réponse à cette lettre sera donnée à titre national, car les engagements susmentionnés ont été pris par chacun de nos États individuellement et non au sein d’un bloc ou au nom de celui-ci. »

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Guerre

Ukraine : l’OTAN accentue la pression, la Russie tergiverse sur trois scénarios

Faire la guerre ou reculer, telle est l’alternative russe.

Le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian parle d’une « situation grave, voire très grave » pour ce qui se passe en Ukraine et Emmanuel Macron a expliqué qu’il ne pouvait pas annoncer sa candidature dans un tel contexte, affirmant :

« Vladimir Poutine et les Américains eux-mêmes considèrent que les prochains jours seront des jours d’extrême incandescence. Tant que le dialogue est là, il faut l’entretenir. La situation n’a jamais été aussi tendue qu’elle ne l’est aujourd’hui. Les heures que nous vivons sont décisives pour la sécurité de toute la région. »

De fait, la presse internationale a compris que la situation était gravissime, Le Figaro proposant même « En trois cartes, les scénarios possibles d’une attaque de l’Ukraine par la Russie », afin de chercher à éduquer ses lecteurs pour qu’ils arrivent à suivre.

Du côté de la Gauche, par contre, il n’y a rien. A part agauche.org, on chercherait en vain un suivi de la situation ou ne serait-ce qu’un début d’affirmation anti-guerre ayant une envergure politique. Autrement dit, c’est la passivité totale et le suivisme le plus total des événements.

Cette position passive converge avec l’offensive de l’OTAN pour faire plier la Russie. Alors que le matériel militaire russe continue de se déverser aux frontières avec l’Ukraine (tant en Russie qu’en Biélorussie), l’OTAN accentue la pression de manière particulièrement nette. La Russie est très clairement repoussée au sens où il y a un véritable bloc unifié contre elle, rendant le dénouement bientôt inéluctable. Et cela se déroule dans un contexte de tension énorme.

Voici le nombre d’alertes à la bombe qu’a connu l’Ukraine en janvier 2022, selon le régime ukrainien. Dans le Donbass séparatiste, de telles alertes ont été entre 2 et 3 par jour.

La superpuissance américaine, dans le cadre de l’OTAN, envoie en ce sens en Roumanie mille soldats basés en Allemagne, et en envoie 2700 depuis les États-Unis pour aller en Allemagne et en Pologne. En soi, c’est peu de soldats et ils ne vont pas aller se battre pour l’Ukraine. Mais c’est une indication du renforcement militaire américain en Europe mis en perspective. La superpuissance américaine a également indiqué à la Russie qu’elle était prête à discuter de la question des missiles placés en Pologne… à condition que la Russie se retire de la Transnistrie, de la Crimée, de l’Abkhazie et de l’Ossétie du sud.

Et pour bien faire passer le message, il y a une nouvelle ambassadrice américaine en Ukraine, Bridget Brink. Auparavant ambassadrice dans la Slovaquie voisine, elle travaillait comme conseillère politique à l’ambassadrice de Belgrade au moment où l’OTAN était intervenu en Yougoslavie en 1999 avec plus de 37 000 sorties d’avions procédant à des bombardements, en 78 jours. Elle fut également chef en politique et en économie à l’ambassade américaine à Tbilissi lorsque la Géorgie tenta de reprendre l’Ossétie du Sud séparatiste pro-russe.

Le Premier ministre britannique Boris Johnson était quant à lui à Kiev le premier février 2022, pour oeuvre à ce qui est désormais officiel : un partenariat Ukraine – Pologne – Royaume-Uni dénommé « trilatérale ». Et il a eu Vladimir Poutine au téléphone le 2 février, pour continuer ses avertissements de sanctions en cas d’invasion. L’ambassadeur adjoint russe à l’ONU Dmitry Polyanskiy a expliqué de son côté qu’au niveau diplomatique il n’était aucunement possible de faire confiance aux Britanniques.

Le ministre néerlandais des Affaires étrangères Wopke Hoekstra était également à Kiev le 2 février, le parlement ukrainien a vu être pavoisé de drapeaux des pays ayant affirmé leur soutien, etc.

La Russie doit donc passer en force ou céder. Et la situation est capitale, selon le Club Valdai, qu’on peut considérer comme le principal think tank russe, celui qui est le plus proche du pouvoir et dont chaque intervention est très lourde de sens.

Timofei Bordachev, un de ses dirigeants, parle d’une situation classiquement révolutionnaire où une des grandes puissances voit l’ordre international lui échapper. La Russie doit essayer de trouver sa place. Et selon Ivan Timofeev, un autre directeur de programme, il y a trois scénarios possibles. Ces deux analyses datent de ce début février : c’est ni plus ni moins que la diplomatie russe qui parle, il faut bien le comprendre.

Le premier scénario est le suivant : l’Ukraine cherchant entièrement à se rapprocher de l’OTAN, la Russie doit intervenir pour assurer sa sécurité à long terme. La victoire militaire sur l’Ukraine est facile, le pays connaît un nouveau régime ou au pire est coupé en deux. La Russie connaît un blocus économique de la part des pays occidentaux et devient une sorte de Corée du Nord avec de meilleurs perspectives, d’autant plus que le monde occidental est en déclin, avec un effondrement imminent. Le soutien chinois est assuré dans le cadre d’une alliance.

Le second scénario est le suivant : il ne sert à rien d’occuper l’Ukraine car les pays occidentaux vont déverser des moyens pour fomenter des révoltes, notamment armées, rien ne sera stable et cela provoquera même une stagnation de l’économie russe aboutissant à un mécontentement. Le soutien chinois n’est qui plus est même pas assuré. Mieux vaut maintenir un certain degré de tension avec les pays occidentaux, partout dans le monde, pour conserver un certain degré de rivalité, donc de statu quo.

Le troisième scénario est le suivant : l’Ukraine est un bourbier de corruption et d’arriération économique, autant laisser une telle réalité toxique à l’Ouest. De toutes façons, la Russie a des moyens autres que nucléaires pour faire face à toute menace militaire à son encontre y compris à ses frontières. Mieux vaut préserver le développement économique, par les échanges internationaux. Il faut une rivalité, mais à bas niveau.

Pour traduire ces scénarios :

– le premier représente la vision du complexe militaro-industriel ;

– le troisième représente la vision de l’oligarchie ;

– le second est le compromis entre le complexe militaro-industriel et l’oligarchie.

On va très vite savoir ce qu’il en est de qui est aux commandes du régime russe.

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Réflexions

« Dieu, la science, les preuves » : effectivement le big bang mène à Dieu

Partant de là, si on rejette Dieu…

« Durant trois jours, à l’isolement sur sa paillasse humide, Fock n’a pas eu la moindre miette à avaler. Juste un carafon d’eau à demi croupie. Au soir du quatrième jour, le voilà traîné devant l’un de ses geôliers.

Affaibli par son jeûne forcé, il flageole sur ses jambes. Mais, calfeutré dans son uniforme grisâtre, le personnage qui fait office de chef de la troisième sous-section du NKVD lui ordonne de rester debout. À coups de bâton sur ses reins, là où le choc fait le plus mal.

D’une voix mauvaise, le chef lui apprend qu’il fait partie des conjurés de Poulkovo. Ceux-là qui, traîtres à l’État, profèrent que l’Univers a connu un commencement, des milliards d’années en arrière.

Fock devine alors que l’un de ses tortionnaires doit être l’idéologue de la troupe. Car ce dernier se laisse couler dans un bloc de colère refroidie, portée par une voix déréglée dans les aigus.

Selon cette voix, le matérialisme dialectique couronne le triomphe de la raison. L’Univers est là depuis toujours. Et pour toujours. »

« Dieu, la science, les preuves »

« Dieu, la science, les preuves« , de Michel-Yves Bolloré (ingénieur en informatique, maître ès sciences et docteur en gestion des affaires de l’Université Paris Dauphine) et Olivier Bonnassies (entrepreneur ancien élève de l’École Polytechnique, diplômé de l’Institut HEC start up et de l’Institut Catholique de Paris) épaulés par une vingtaine de personnes, est un ouvrage de 577 pages best-seller en France, avec plus de 100 000 exemplaires vendus en trois mois. Les médias en ont énormément parlé, soulignant son impact sur le plan des idées au sein de la société alors qu’il y a également des conférences à ce sujet.

Il a été publié aux éditions Guy Trédaniel, une maison d’édition ne publiant que des horreurs psychologisantes, mystiques, etc., du genre « Découvrez le chemin de votre âme grâce aux Mémoires Akashiques », « Se libérer du sentiment d’abandon et des angoisses de séparation », « Les nombres boussoles », « Le grand livre des 12 libérations énergétiques », « La nouvelle science de la conscience », « La numérologie en action (Un problème = Une solution) », « L’Oracle à Haute Vibration », etc.

Ces éditions avaient déjà publié en 2014 Trois minutes pour comprendre le Big Bang des frères Bogdanoff, récemment décédés du COVID-19 et qui d’ailleurs ont également participé à « Dieu, la science, les preuves », car l’approche est exactement la même bien que là on a quelque chose de bien plus sérieux.

Michel-Yves Bolloré et Olivier Bonnassies tirent en effet à l’artillerie lourde avec de très nombreuses références, menant une grande bataille cosmologique, d’une manière qu’on ne peut que considérer comme tout à fait cohérente. Pourquoi cela ?

Tout simplement parce que la théorie du big bang est une conception se présentant comme scientifique et développée par un abbé, astronome et physicien, Georges Lemaître. Son principe est bien connu. Or, en France, 99,9% des gens se voulant athée ou anti-religieux s’en revendiquent, considérant que cela s’oppose à la religion et au créationnisme. Sauf que pas du tout, puisque cela relève de l’idéologie catholique romaine visant à intégrer un discours pseudo-scientifique. Le monde serait le produit d’un « dessein intelligent », la Bible utiliserait des allégories, le big bang serait le moyen employé par Dieu pour donner naissance au monde.

Tel est très exactement le contenu de « Dieu, la science, les preuves ».

Cinquante années d’intense propagande sur le big bang ont de fait été particulièrement efficaces et maintenant la religion en récolte les fruits, jetant les athées et les anti-religieux comme des fétus de paille pour avoir été fainéants intellectuellement. Il suffit en effet aux auteurs de dire : tout le monde reconnaît l’existence du big bang, donc si l’on veut être scientifique alors on l’accepte, donc si on est scientifique on doit croire en Dieu.

C’est implacable. Et c’est juste.

Car, par fainéantise, les athées et les non-religieux s’imaginent que Dieu, ce n’est que de la superstition. Or, c’est inexact. Dieu c’est aussi un moyen d’expliquer les choses. Si l’on raisonne en termes de cause et de conséquence, il faut bien une cause ! Même Aristote, anti-religieux, a dû faire la théorie d’un « Dieu » n’ayant que comme simple fonction d’être un « premier moteur ». Il en va de même pour les déistes des Lumières, comme Rousseau et Voltaire, anti-religieux, mais ayant besoin d’un « grand horloger » afin de justifier que le monde fonctionne.

Ce n’est pas tout ! En raison de l’offensive post-moderne, notamment LGBT, le matérialisme est combattu de l’intérieur par les ultra-individualistes rejetant toutes les normes et, par conséquent, hostiles au concept de « Nature ». Or, si on rejette la Nature, alors le monde est matériel mais relève du hasard. Il est alors très facile pour les religieux d’arriver et de dire que le monde ne relève pas du hasard, qu’il y a une cohérence dans l’ensemble. Qu’il faut donc un principe organisateur, qui vient forcément de Dieu.

« Dieu, la science, les preuves » est à ce titre un ouvrage extrêmement intéressant, car il retrace de manière très lisible la théorie du big bang, il montre comment il y a cinquante ans, les matérialistes s’y opposaient tous, comme il est ainsi relaté :

En 1963 encore, Alexandre Dauvillier, le titulaire de la chaire de cosmologie au Collège de France à Paris, aurait dit, à propos du Big Bang : « C’est de la foutaise. L’Univers n’a pas de début, car penser que l’Univers a un début, ce n’est plus de la physique, c’est de la métaphysique . »

Ce qui est fou, c’est qu’aujourd’hui le big bang est considéré comme « physique » justement ; concrètement seul le PCF(mlm) le réfute au nom du matérialisme dialectique. Ce qui est idéologique-dogmatique, car cela revient à dire : les preuves du big bang s’appuient seulement sur des données qui sont interprétées en un sens particulier. Au nom de l’idéologie (communiste), il faut considérer comme partielles ces données qui remettant en cause la vision communiste du monde et combattre les interprétations pro-religieuses.

C’est dogmatique car cela fait donc triompher l’idéologie. Mais en même temps, n’y a-t-il justement pas ici une idéologie à l’oeuvre avec le big bang?

Toute la question est bien là. « Dieu, la science, les preuves » n’est pas un récupération de la théorie du big bang, c’est un ouvrage bien fait, résumant bien le développement de la conception du big bang et ses implications. Et en même temps c’est normal que cela se retrouve chez les éditions Guy Trédaniel, parce que la tendance est la même : promouvoir l’irrationalisme.

Une preuve de cela, c’est que « Dieu, la science, les preuves » vise justement explicitement le matérialisme dialectique, présenté comme ennemi à abattre. Karl Marx et Friedrich Engels voient leur conception de l’éternité de la Nature évidemment attaquée frontalement et on trouve une très longue dénonciation particulièrement romancée du combat soviétique, à l’époque de Staline, contre la conception du big bang et ses partisans. L’ouvrage est ouvertement idéologique.

D’ailleurs, pour bien faire, il y a également une longue dénonciation des nazis qui auraient pareillement rejeté le big bang. Cela ne s’étaie ici sur strictement rien, à part sur quelques illuminés à la marge du régime, et d’ailleurs les soldats allemands de la seconde guerre mondiale avaient sur leurs ceinturons la devise « Gott mit uns », Dieu avec nous. Mais on a compris le sens de la démarche qui est d’assimiler le matérialisme dialectique au nazisme, comme formes « matérialistes » hostiles à Dieu.

L’ouvrage est concrètement un véritable manuel de propagande, tout en étant une excellente introduction à qui veut découvrir le monde de la cosmologie, car Il est très pédagogique et en même temps totalement à charge, ce qui permet d’élever son niveau, à condition d’être athée et de saisir les véritables enjeux.

Mais, athée, qui l’est vraiment, d’ailleurs, aujourd’hui en France ? L’ouvrage propose une citation aidant à savoir si on l’est:

« Au XVIIIe siècle, Diderot et d’autres penseurs postulèrent que la matière elle-même était vivante : « Tout animal est plus ou moins homme ; tout minéral est plus ou moins plante ; toute plante est plus ou moins animal. »

Être athée, comme Diderot, c’est considérer que la matière est sensible en elle-même, avec différents degrés d’organisation. Si on ne l’admet pas, si on considère qu’il y a quelque chose « en plus », alors il faut trouver une origine à cela – et c’est Dieu, que celui-ci soit un petit pois, des spaghettis, Allah, ou le Christ.

Les Français ne veulent pas du Christ ou d’Allah, mais ils ne veulent pas reconnaître la Nature. Ils leur restent alors les petits poids ou les spaghettis. On comprend pourquoi la société française est en déchéance.

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Réflexions

« Le matérialisme dialectique et le big bang »

Une conception athée.

En relation avec le best-seller « Dieu, la science, les preuves », voici un avis très exactement contraire. Et il ne faut pas se voiler la face : de part et d’autre, on a un haut niveau de problématique cosmologique ; si l’on a pas l’habitude, la lecture peut être malaisée. Force est de reconnaître toutefois que tant l’ouvrage « Dieu, la science, les preuves » que ce texte (des textes « philosophiques » de materialisme-dialectique.com) se laisse appréhender.

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Guerre

Ukraine : dans l’attente du prétexte

Chaque camp veut déborder l’autre.

Il existe un concept militaire dénommé « false flag », faux drapeau. Il consiste à mener une action en prétendant que c’est l’ennemi qui l’a fait, afin d’avoir un justificatif pour agir militairement. De part et d’autre, on s’attend à une telle opération. Encore est-il quand on dit de part et d’autre qu’on parle des États-Unis, du Royaume-Uni, du Canada et de la plupart des pays occidentaux, et de la Russie et des « républiques populaires » séparatistes.

Car en Ukraine, il n’y a officiellement pas de menace d’invasion russe. Le président Volodymir Zelensky et le ministre des Affaires étrangères Dmytro Kuleba insistent pour dire que la menace n’est pas présente, que les occidentaux en font trop et servent la soupe à la propagande russe visant à la déstabilisation. En même temps, on devine qu’ils disent cela pour ne pas provoquer une vague de panique, puisque, en même temps, ils demandent des centaines de millions de dollars de matériel à l’OTAN. D’ailleurs, les Pays-Bas et le Danemark ont dit qu’ils fourniraient du matériel militaire à l’Ukraine, la Pologne proposant un nouveau partenariat également.

Cependant, l’huile sur le feu continue d’être déversé de manière assez nette.  Oleksiy Danilov, le secrétaire du Conseil de la sécurité nationale et de la défense de l’Ukraine, a tout simplement expliqué que la mise en œuvre des accords de Minsk signifierait la destruction de l’Ukraine. C’est ni plus ni moins dire que l’Ukraine récupérera par la force le Donbass séparatiste et expulsera, liquidera les opposants, qui forment la quasi totalité de la population… dont sa propre mère. Elle vit à Louhansk, lui-même ayant été le maire de la ville et ensuite le gouverneur de la région.

Toujours en verve pour semer le trouble, la superpuissance américaine a également convoqué une session du Conseil de sécurité, obtenue par 10 voix contre 15, avec l’ambassadrice américaine aux Nations unies Linda Thomas-Greenfield accusant directement la Russie de vouloir envahir l’Ukraine. L’ambassadeur russe aux Nations unies Vassily Nebenzia a accusé les États-Unis de chercher à « créer l’hystérie » et a affirmé que même l’Ukraine ne parlait pas de menace d’invasion.

Et, peut-être de manière plus significative, le Royaume-Uni a dit qu’il frapperait les intérêts des oligarques sur son territoire, alors que la porte-parole de la Maison Blanche Jen Psaki a dit que les États-Unis viseraient les intérêts économiques de tout le « premier cercle du Kremlin ».

Autrement dit, c’est une tentative occidentale d’intégrer les oligarques russes en leur disant : ne partez pas à l’aventure, laissez-nous avoir le dessus, c’est le moins pire pour vous il vous restera votre argent même si on prend le contrôle du pays dans vos mains.

C’est, pour le coup, opposer l’ordre capitaliste occidental tel qu’il existe, dont profite aussi la centaine de multi-milliardaires russes, à la tentative russe de forcer son expansion. Et c’est en même temps une sorte d’ultimatum pour forcer la Russie à la capitulation et à accepter la conquête de l’Est par la superpuissance américaine, l’OTAN et l’Union européenne.

On est là dans un degré de conflictualité historique. Et qui seront les victimes ? Le peuple, les animaux, la nature, tout ce qui vit. Et pour quoi ?

Si vous avez des sous, vous pouvez d’ailleurs soutenir l’association qui s’occupe des descendants des chiens abandonnés à la suite de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl (les gens évacués dans l’urgence n’ont pas eu le droit de les prendre et beaucoup ont ensuite été abattus par l’armée). Cela remue. Tout comme la vidéo d’un homme se précipitant à l’eau à Donetzk pour sauver un chien pris dans l’eau glacée, le 31 janvier 2022 (une action nullement rare en fait dans ces régions). Il y a tellement mieux à faire que la guerre!

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Culture

La figure anarchiste ukrainienne Nestor Makhno

Il s’est pensé un cosaque des temps modernes.

Lorsque se produit la révolution russe en Octobre 1917 avec Lénine et les bolcheviks, l’Ukraine est bien entendu concernée, en tant que pays faisant partie de l’empire russe et opprimé par celui-ci. La société se divise alors en deux camps. Les pro-bolcheviks fondent une République Socialiste Soviétique ukrainienne, dont la capitale est Kharkiv. Le camp qui n’est pas opposé au capitalisme fonde la République populaire d’Ukraine, dont la capitale est Kiev, le régime étant immédiatement reconnu et soutenu par la France et le Royaume-Uni.

Pavlo Skoropadsky

Or, la République populaire d’Ukraine ne dura pas : l’Allemagne et l’Austro-Hongrie soutinrent des forces faisant un coup d’État donnant naissance à « l’Etat ukrainien » avec à sa tête Pavlo Skoropadsky.

On a compris que les Français et les Britanniques visaient une bourgeoisie locale pour satelliser l’Ukraine et que l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie, pas encore défaits alors, avaient tenté une contre-manœuvre en leur faveur.

Mais comme la base du nouveau régime était bien trop étroite, il y eut un contre-coup d’État et ce fut le retour de la République populaire d’Ukraine avec un « directoire » à sa tête.

La situation était bien entendu particulièrement instable et deux figures vont au même moment prendre la tête de révoltes paysannes concernant toute la partie Sud – Sud-Est de l’Ukraine. La première (et principale) figure fut Nykyfor Hryhoriiv (vers 1885-1919), d’orientation socialiste-révolutionnaire. Il soutint initialement le directoire de la République populaire d’Ukraine, mais s’opposa à l’arrivée de troupes étrangères et organisa des forces pour les combattre en s’alignant sur les bolcheviks. Il finit par rompre avec ces derniers au nom du mot d’ordre de « soviets sans bolcheviks ».

Nestor Makhno

La seconde figure était Nestor Makhno (1888-1934). Très tôt acquis aux idées anarchistes, il fut arrêté pour des exécutions politiques et des expropriations, et condamné à mort. Sa peine fut commuée car il était encore mineur et il alla en prison à Moscou, de 1911 à 1917. Avec la révolution russe l’ayant libéré il retourna en Ukraine pour mettre en place des bandes paysannes avec notamment la tatchanka, un chariot muni d’une mitrailleuse.

Adepte du style cosaque, il fut surnommé bat’ko, soit père, comme c’est la tradition chez les cosaques zaporogues. Il oscillait pareillement entre les bolcheviks et le régime « national » ukrainien, cherchant à obtenir des armes des uns et des autres, s’alliant finalement aux bolcheviks pour faire face aux armées blanches pro-tsarisme.

En janvier 1919, les bandes de Nestor Makhno étaient fortes de 20 000 hommes, et au milieu de l’année elle aura même 80 000 hommes une fois que les troupes de Nykyfor Hryhoriiv les aient rejoints. Ce dernier avait réussi en effet à prendre la tête d’une vaste révolte paysanne au moyen de 20 000 personnes, plus de 50 canons, 700 mitrailleuses, 6 trains blindés.

Daniil Ilyich Terpilo

Dans le cadre de cette union, le socialiste-révolutionnaire Nykyfor Hryhoriiv était commandant de l’armée insurgée unie et l’anarchiste Nestor Makhno le président du Conseil militaire révolutionnaire. Ils étaient des représentants typiques du style patriarcal « cosaque » prônant une « égalité » de type communautaire-local. Il y en eut d’autres d’ailleurs, comme le socialiste-révolutionnaire Daniil Ilyich Terpilo, qui eut exactement le même parcours.

Nestor Makhno fit cependant pratiquement immédiatement exécuter Nykyfor Hryhoriiv qui prônait de s’allier aux armées blanches contre les bolcheviks. Il y avait également une accusation d’antisémitisme, les bandes paysannes pratiquant régulièrement des pogroms, ce à quoi Nestor Mahno s’opposait, mais pas du tout Nykyfor Hryhoriiv.

De fait, les bandes paysannes ukrainiennes représentaient une aventure communautaire-patriarcale pleine de préjugés, avec de pogroms réguliers, un individualisme borné, fantasmant sur les cosaques, etc., et ces « armées vertes » furent toutes balayées par l’armée rouge.

Le 28 août 1921, Nestor Makhno et les 83 membres restant de ses bandes passèrent alors en Roumanie, lui-même allant à Bucarest puis Varsovie. Il s’y fit arrêter pour alliance avec l’armée rouge, mais il fut acquitté en ayant affirmé que l’activité de ses bandes avait « sauvé » la Pologne des avancées de l’armée rouge alors qu’avait lieu la guerre soviéto-polonaise au même moment.

Nestor Mahno et l’anarchiste américain Alexander Berkman à Paris en 1927

Il s’installa alors à Paris où il mourut dans une misère noire en 1934, les anarchistes refusant catégoriquement de le soutenir. Ce furent des anarchistes étrangers, notamment américains, qui l’aidèrent. Aux yeux des anarchistes français, Nestor Makhno était en effet un « bolchevik ». C’est que Nestor Makhno avait adopté une ligne imposant une discipline, ce qui était inacceptable pour les anarchistes au sens strict. On aura compris que Nestor Makhno voyait les bandes comme un regroupement patriarcal unifié, à la cosaque.

L’anarchiste ukrainien Piotr Archinov théorisa cette conception « disciplinaire » de Nestor Makhno dans une « plate-forme » parue en 1926 ; lui-même décida finalement de rejoindre l’URSS, où il fut fusillé en 1938 pour avoir constitué une organisation anarchiste clandestine. Cela provoqua tout un remue-ménage chez les anarchistes alors, qui virent la naissance de deux courants opposés.

Le « plate-formisme » exige que les membres d’une organisation anarchiste se plient aux décisions de l’organisation : cela donnera naissance au courant (ultra-minoritaire) se revendiquant « communiste libertaire » (à distinguer de « communisme libertaire » ou « socialisme libertaire » employé par les anarcho-syndicalistes, notamment de la CNT espagnole au même moment).

Les anarchistes se revendiquent quant à eux du « synthétisme » : tous les courants doivent être acceptés dans une organisation anarchiste, chaque courant doit pouvoir garder ses spécificités et son autonomie, chaque interprétation de l’anarchisme doit être reconnu.

On notera que ce principe synthétiste est historiquement celui du Parti socialiste SFIO fondé en 1905 et du courant socialiste français en général (par opposition au courant historique de la social-démocratie allemande et autrichienne qui réfute le droit de tendance et exige la discipline). C’est au nom de ce principe synthétiste que lors du congrès de Tours en 1920 Léon Blum récusa le bolchevisme.

Le courant synthétiste a toujours totalement dominé l’anarchisme au niveau mondial, même s’il y a toujours eu des émergences de structures communistes libertaires durant rarement longtemps. La France fut toutefois un bastion de ce phénomène très marqué par le « marxisme libertaire », par l’intermédiaire de  l’Organisation révolutionnaire anarchiste né en 1967, qui se scinda en deux courants : un courant mouvementiste (qui sera très proche des autonomes) avec l’Organisation Communiste Libertaire, un courant pro-syndicaliste (qui sera extrêmement proche des trotskistes de la Ligue Communiste Révolutionnaire) avec l’Union des travailleurs communistes libertaires (qui deviendra Alternative Libertaire).

C’est un lointain écho d’une révolte paysanne ukrainienne patriarcale-communautaire, organisée et dirigée par des anarchistes et des socialistes-révolutionnaires adoptant le style des bandes cosaques…