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L’appel de Benoît Hamon en faveur d’une votation citoyenne pour l’union de la Gauche

Génération.s a appelé hier à une « votation citoyenne » en faveur de l’union de la Gauche ; un site internet a été ouvert à ce sujet, votationcitoyenne.eu. L’idée est que les bases des organisations à Gauche court-circuitent les appareils.

Pour parler de la votation citoyenne proposée par Benoît Hamon, il faut prendre en compte un souci qui n’est pas anecdotique. Le site internet ouvert pour celle-ci a un lien vers une interview accordée par Benoît Hamon au journal Le Monde, où il explique le fond de sa pensée. Malheureusement, celle-ci est en accès réservé aux abonnés.

C’est pour le moins étrange, dommage ; cela reflète sans doute, voire certainement, le statut social de beaucoup de gens soutenant Benoît Hamon. Mais dans tous les cas, ce n’est pas comme cela qu’on touche tout le monde. Quoi qu’il en soit le tout début de l’interview est accessible et Benoît Hamon dit la chose suivante :

« Je fais un double constat. Le premier, c’est qu’on n’arrive pas à parler d’Europe, de cet enjeu fondamental. Il y a vraiment besoin de débattre de l’action de l’Union européenne, parce qu’on perçoit que le projet européen est menacé.

On trouve d’autant moins d’espace pour en discuter que le choix du président de la République et de la majorité actuelle est de refuser un débat démocratique sur ce qu’on pourrait faire de différent en Europe. Ils se sont choisi un adversaire, les nationalistes, et ont réduit le choix à ceux qui sont pour ou contre l’Europe. C’est extrêmement dangereux, parce qu’à force de faire monter [la présidente du Rassemblement national] Marine Le Pen comme seule opposition, on finira par avoir Le Pen en France. On a donc un débat européen escamoté par le chef de l’État, avec le grand débat national.

A cela s’ajoute une confusion née de la dispersion à gauche et chez les écologistes. Les différences entre les organisations justifient-elles de partir séparément ? Elles ne sont pas indépassables. Si on fait reposer l’unité sur les appareils, il n’y aura pas d’union. Cela doit passer par un vote citoyen. Le grand moment politique que vit la France depuis plusieurs semaines nous y invite. »

Heureusement, on dispose d’un communiqué de Génération.s à ce sujet. Le voici, présentant quatre idées, si l’on veut résumer :

– il faut une liste de Gauche, car sinon c’est la déroute ;

– il faut un « new deal vert » européen ;

– il faut que la base des structures de Gauche soit en révolte ouverte contre les appareils ;

– la liste aux élections serait le choix d’une sorte de vote à choix multiples.

 

Pour une Votation Citoyenne pour l’Union !

Donnons aux citoyen-ne-s le moyen de faire en un vote ce que des appareils inertes n’arrivent pas à réaliser.

Depuis trop de temps, les citoyens ont été exclus du projet européen. Le fossé démocratique de 2005 n’a jamais été comblé.

Aujourd’hui, Emmanuel Macron voudrait nous enfermer dans un faux débat. D’un côté, son libéralisme autoritaire ; de l’autre, des nationalistes ultralibéraux. Le référendum qu’il propose n’est qu’un étouffoir pour la démocratie européenne. Face à la confiscation du débat, il faut faire la place aux citoyen.nes.

La responsabilité de la gauche et des écologistes est immense. Nous seuls portons l’alternative au libéralisme destructeur comme au repli passéiste. Et pourtant nous offrons l’image de nos divisions et trop nombreux sont ceux qui abandonnent le terrain des idées.

Depuis des mois, Génération.s propose son projet avec le Printemps européen. Un New Deal vert européen, pour sauver l’Europe en préparant l’avenir. Une Constituante européenne pour refonder notre démocratie commune. Un ISF européen pour conquérir la justice fiscale.

Depuis des mois, Génération.s a fait beaucoup pour permettre l’unité. Interview après interview, discussion après discussion, nationalement et dans nos territoires, nous avons proposé de nous réunir sur une démarche commune. Nous avons reçu un millier de candidatures citoyennes.

Mais que nous propose-t-on ? Des réunions de sous-sol pour régler des problèmes de listes entre appareils. Cela ne débouchera sur aucune unité, et ne réglera aucun problème. Nous constatons que l’unité ne se fait pas alors que chacun sent qu’elle est nécessaire.

Nous proposons une ultime solution, que les citoyen-ne-s décident !

Donnons aux citoyen-ne-s le moyen de faire en un vote ce que des appareils inertes n’arrivent pas à réaliser.

Confrontons nos idées, débattons, imposons tous ensemble le débat européen qui manque aujourd’hui.

Aujourd’hui, nous demandons aux responsables politique de prendre leurs responsabilités comme nous le faisons : êtes-vous prêts à laisser les citoyen-ne-s décider ? Assumez ce qui apparaît comme un risque mais qui est en réalité l’opportunité de nous placer collectivement en tête le 26 mai. Avons nous des désaccords ? Oui. Pouvons-nous les dépasser et nous rassembler sur une orientation politique et une stratégie communes ? Oui aussi.

Organisons, d’ici au mois d’avril, une votation citoyenne pour l’union sur le principe du vote préférentiel.

Le jour de vote, chacun pourra choisir les 3 listes candidates qu’il préfère et leur attribuer trois, deux et un point. La liste désignée sera celle qui sera la plus choisie, et non celle qui aura éliminé toutes les autres. Le binôme paritaire qui la porte sera chargé de constituer une liste unitaire, en proportion des résultats obtenus.

Ce processus est inédit en France. C’est moderne, cela fait confiance, cela rassemble. Ce sera la votation citoyenne de l’avenir, la votation écologique et sociale, la votation démocratique.

Nous en appelons également à tous les citoyens et citoyennes qui s’engagent depuis des années pour l’unité. N’attendez pas les partis : c’est à vous de rendre le rassemblement possible. Dès maintenant, rendez-vous sur www.votationcitoyenne.eu pour soutenir la démarche.

Nous en appelons aux consciences morales de la gauche, (chercheur.se.s, intellectuel.le.s, personnes engagé.e.s…) : soyez les garants de l’unité !

Engagez-vous dans l’organisation indépendante de la votation.

Génération.s se met au service de l’avenir. Soyons au rendez-vous !

Cette histoire de listes ( lesquelles d’ailleurs ? ) avec des choix multiples n’est pas très claire et sans doute que Pierre Jouvet, un des porte-paroles du Parti socialiste, a résumé la perplexité de chacun en disant :

« Je n’ai pas exactement compris le système. Techniquement je ne vois pas comment il veut faire ça. »

Politiquement, on voit cependant de quoi il en retourne : il s’agit de provoquer une secousse pour avoir une alliance qui, en l’état, concernerait le PCF, Place publique et le Parti socialiste, même si Benoît Hamon ne veut pas de ce dernier. Europe Écologie Les Verts et La France insoumise ont quant à eux déjà refusé hier une telle initiative, même s’il est vrai que la base d’Europe Écologie Les Verts peut être réceptive à cette démarche de « primaires ».

Est-ce le type d’unité au-delà des structures politiques qui est souhaitable ? Peut-on se passer du débat d’idées et surtout du renouveau de la culture, de la politique, des principes à Gauche ? On va très vite savoir si c’est quelque chose de positif ou si au contraire c’est en décalage total avec la réalité.

Mais une chose est certaine : en prenant une initiative en faveur de l’unité de la Gauche, Benoît Hamon exprime le point de vue de la majorité des gens de Gauche.

 

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La crise du journal l’Humanité

Le journal l’Humanité a été un élément historique du mouvement ouvrier français. Il est depuis de nombreuses années en perte de vitesse et a été placé jeudi 7 février en redressement judiciaire avec poursuite d’activité par le tribunal de commerce de Bobigny.

La bourgeoisie en France a toujours disposé d’une presse de qualité et ce fut un enjeu majeur pour la classe ouvrière d’en disposer également. Le journal l’Humanité a rempli ce rôle très tôt dans l’Histoire, d’abord sous l’égide des socialistes et de Jean Jaurès puis directement du Parti communiste.

Alors qu’il tirait au mieux de son histoire à 400 000 exemplaires en 1945, le titre a enclenché un long déclin strictement parallèle à celui du PCF pour ne plus tirer qu’autour de 100 000 exemplaires dans les années 1980.

Il s’est déclaré en cessation de paiement le mois dernier et le tribunal de Bobigny le maintient maintenant sous tutelle pour une période de six mois. Deux administrateurs judiciaires ont été désignés et une « spécialiste » du sauvetage d’entreprises est chargée de redresser la barre.

Le tirage de l’Humanité a oscillé pour la période 2017/2018 entre 45 000 et 50 000 unités. De manière plus précise, il faut regarder sa diffusion payée qui a été pour cette période de 32 724 exemplaires quotidiens. Cela a représenté un recul de 6,24 % par rapport à la période 2016/2017, elle-même en recul par rapport à la période précédente.

À titre de comparaison, la diffusion payée du Figaro a été pour 2017/2018 de 308 953 exemplaires et celle du Monde de 283 678 exemplaires. Les diffusions payées des Échos, de La Croix et de Libération ont été respectivement de 128 573, 87 883 et 69 636 exemplaires.

Les chiffres de ventes de l’Humanité apparaissent donc comme relativement faibles, mais représentent tout de même quelque-chose de conséquent. Cela est possible grâce à une base liée au PCF tenant absolument à acheter « l’Huma » par tradition, refusant par exemple par principe toute offre de réduction. L’influence politique de l’Humanité est cependant très faible, quasiment nulle.

Son expression ne consiste globalement qu’en un para-syndicalisme vaguement antilibéral, faisant de ce journal bien plus celui de la CGT que du PCF. Sur le plan du style, des valeurs, de la culture, il n’y a absolument rien d’alternatif, de propre à la classe ouvrière, au point qu’une figure réactionnaire comme Natacha Polony a récemment appelé à « sauver l’Huma » sous prétexte de ses pages littéraires.

L’Humanité n’a pas, ou plus, été capable de proposer une expression organique pour le prolétariat, c’est-à-dire d’affirmer en même temps le besoin de civilisation et l’antagonisme vis-à-vis de la bourgeoisie. Cela fait que le journal ne correspond pas du tout à la vie quotidienne des masses, à leur réalité. Il n’a jamais rien été compris aux jeux-vidéos, au sport, à la musique techno ou métal, à la protection animale, au cinéma, à la mode ou encore à internet.

Le journal est surtout passé largement à côté de la marche du monde de ces trente dernières années. Cela fait que l’Humanité n’a jamais vraiment parlé d’écologie, si ce n’est de manière abstraite et très récemment, pour seulement coller à l’air du temps, comme l’a fait également la bourgeoisie (en mieux) dans ses propres journaux comme Le Figaro ou Le Monde.

Si l’Humanité n’a pas encore disparu, c’est qu’il est porté à bout de bras par une somme immense de subventions d’État et des souscriptions régulières. Sur le plan commercial, le titre n’est en fait absolument pas viable, se maintenant dans une illusion totale par rapport à ce qu’il est réellement. La taille de sa rédaction est disproportionnée par rapport à ses ventes et il est connu que les salaires y sont élevés pour la profession, avec quasiment que des gens ayant le statut de cadre.

Alors que le reste de la presse s’est réformé avec l’avènement du numérique, le site internet de l’Humanité est d’une pauvreté affligeante, ayant une existence très faible.

Il y a pourtant avec internet un outil formidable pour faire un quotidien de la classe ouvrière, avec des coûts de production plus faibles, ou en tous cas bien plus faibles qu’avec le papier et ses lourds réseaux de distribution, qui par ailleurs se dégradent.

Cette question d’internet n’est de toutes façons qu’un aspect, car en réalité la presse continue d’exister en grande proportion en France. Les quotidiens régionaux sont encore très lus dans les classes populaires. La diffusion payée de Ouest-France, le plus tiré, est par exemple de 659 681 exemplaires. Si l’on cumule les 53 quotidiens régionaux, cela donne un chiffre immense avec une diffusion totale payée de presque 4 millions d’exemplaires.

Il y a là un potentiel énorme, et la Gauche devrait absolument se soucier d’arracher des milliers de prolétaires de la lecture de ces quotidiens horribles, lisses, faisant des faits-divers leur fonds de commerce et des simplifications leur moyen d’expression. Mais ce n’est pas ici que regarde « l’Huma », préférant organiser une grande soirée parisienne pour bobos à La Bellevilloise le 22 février. Qu’il soit mit en avant en tête d’affiche de cette soirée le peintre d’art contemporain Hervé Di Rosa en dit long sur les aspirations de ses organisateurs. On sait pourtant très bien qu’il n’y a aucun rapport, ni de près ni de loin, entre ce genre d’artiste abstrait et les classes populaires.

Hervé Di Rosa est d’ailleurs très engagé dans le soutien, comme le rapporte le site internet du Parisien :

« Je n’ai jamais eu ma carte, mais j’ai une longue histoire avec ce journal. Mon père était à la CGT à la SNCF. L’une de mes filles est communiste. Quand il y a une crise, je réponds présent, même si moi, je suis catholique. Le PCF est un parti qui a accueilli tellement d’artistes, de Picasso à Fernand Léger. Cette époque est révolue, mais le journal reste très intéressant, avec des points de vue différents qu’on ne lit pas ailleurs, y compris sur l’art. Si ça s’arrêtait, ce serait quand même terrible. »

On peut citer également le soutient de Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre de la Culture de Jacques Chirac, qui a présidé le Château de Versailles :

« Même si vous n’êtes pas toujours d’accord avec ce journal, comment imaginer l’humanité sans L’Humanité ? Personne ne peut rester insensible à ce titre créé par Jaurès, toujours de qualité, et que je continue de lire presque chaque jour. Il représente une grande famille de pensée à la gauche de la gauche. Dans le débat politique, il est nécessaire. »

Dis-moi qui te soutient et je te dirai qui tu es, pourrait-on dire. Et manifestement, l’Humanité n’est pas l’organe de presse de la classe ouvrière organisée, de la Gauche historique, de l’alternative au capitalisme.

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Génération.s et l’Europe : un soutien unilatéral

Benoît Hamon porte une ligne résolument pro-européenne. Le souci est qu’on a beau chercher, on n’y voit guère de différence avec ce que dit Emmanuel Macron. C’est un peu plus radical, avec un peu plus d’écriture inclusive, mais le fond est le même.

Génération.s se met en branle pour les élections européennes et voici comment le mouvement de Benoît Hamon présente ce qui est sa ligne :

« Face aux nationalistes et aux libéraux qui détruisent l’Europe, Génération.s s’engage avec détermination dans la campagne des élections européennes.

L’enjeu des ces élections européennes est de taille, mais il n’y a pas de fatalité ! L’Espoir et le Printemps Européen sont entre nos mains !

Génération.s propose des solutions positives et concrètes pour la justice sociale, pour l’écologie et pour le respect de tous les citoyens européens. »

Lee refus des nationalistes et des libéraux est bien un dénominateur commun des gens à Gauche, cela est évident. Mais il y a un souci dans ce qui est dit : l’Europe a toujours été le grand thème des libéraux. C’est l’UDF de Giscard, de Simone Veil, etc. qui a toujours dit que l’Europe en élargissant le marché, en le libéralisant, allait améliorer la société française. L’expression « Printemps Européen » est exactement ce dont ils auraient pu parler, de par son côté vague et romantique.

Si donc Génération.s veut une autre Union Européenne, de laquelle parle-t-il ? Parce que personne en Europe n’a, à Gauche, formulé d’alternatives. Même en admettant que Benoît Hamon ait raison, il faudrait qu’il l’explique, et qu’ensuite il présente des alliés dans toute l’Europe. Ce n’est pas le cas.

Il faut également appeler un chat un chat. Dire qu’on est pour « la justice sociale, pour l’écologie et pour le respect de tous les citoyens européens », cela ne veut rien dire : à peu près tout le monde peut le dire. Ce n’est même pas que cela dit tant quelque chose de valable pour tous, c’est surtout que cela ne veut rien dire du tout. Les pro-nucléaires peuvent se dire écologistes car le nucléaire exige moins de Co2 que le charbon en apparence, la Droite peut se dire pour la justice sociale par l’ouverture à la concurrence au profit soi-disant des consommateurs, quant au respect de tous les citoyens européens c’est une règle posée d’office dans le cadre de l’Union Européenne.

Dernier souci et non des moindres de tout cela : Génération.s n’est pas anti-libéral. Génération.s revendique de s’opposer au libéralisme dans le domaine économique. Génération.s assume par contre entièrement le libéralisme dans les domaines politique et culturel, avec une revendication très forte de libéralisme dans le domaine migratoire. Il n’y a donc pas le rejet des « libéraux » en général, seulement de certains libéraux.

Ce qui ramène directement à ce que porte Emmanuel Macron, puisqu’on est pas ici dans une perspective de la Gauche historique, mais celle d’une bourgeoisie moderne, branchée, celle de l’art contemporain et des start ups, à l’aise dans toutes les très grandes villes du monde, favorable à la remise en cause de toutes les règles, de la déconstruction générale de toutes les valeurs sociales.

Génération.s a-t-il alors réellement un espace, alors qu’Emmanuel Macron porte en quelque sorte la plupart de ses valeurs politiques et culturelles ?

Si Benoît Hamon a véritablement une densité suffisante le distinguant historiquement d’Emmanuel Macron, alors Génération.s trouvera un espace. Mais sinon, les élections européennes rendront sa situation intenable.

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Fondation du nouveau parti « Gauche républicaine et socialiste »

La gauche du Parti socialiste qui a quitté celui-ci sans avoir rejoint Benoît Hamon a décidé de finalement passer sous la coupe de la France insoumise. Elle en sera une composante lors des prochaines élections européennes.

Ce week-end s’est tenu à Valence un congrès constitutif d’une nouvelle organisation à gauche, ayant pris comme dénomination « Gauche républicaine et socialiste ». Au sens strict, ce n’est pas quelque chose de nouveau, car il s’agit de l’organisation de Marie-Noëlle Lienemann et Emmanuel Maurel, « Aprés », qui change de nom, abandonnant sa tentative d’exister de manière autonome. Marie-Noëlle Lienemann a exprimé ses regrets de la manière suivante :

« J’en veux à la gauche française, nous avions une trame idéologique potentielle pour résister à l’ultra-liberalisme; il faut créer de nouvelles formes politiques. Nous sommes dans une phase de décomposition. »

Il est apparu en effet soit qu’il n’y avait pas d’espace à gauche du Parti socialiste alors qu’il y avait déjà Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon, soit qu’il n’y avait pas les cadres pour développer une organisation aux contours bien délimités, selon comment on voit les choses. Le manque de temps ou de confiance en ses propres idées (ou moyens) a donc abouti à un changement radical d’orientation.

Marie-Noëlle Lienemann et Emmanuel Maurel, qui étaient depuis plusieurs mois alliés au Mouvement Républicain et Citoyen (MRC), ont fondé une nouvelle structure et rejoints Jean-Luc Mélenchon. La présence de l’ancien MRC dans la nouvelle organisation est un gage auprès de Jean-Luc Mélenchon, car c’est une structure « souverainiste » de gauche, fondé par Jean-Pierre Chevènement qui a toujours tenu une orientation qu’on peut qualifier comme « patriote » ou nationaliste de gauche.

De manière surprenante, ce positionnement souverainiste a été ouvertement assumé et exprimé par Emmanuel Maurel :

« La question de la souveraineté est essentielle. Souveraineté des peuples, reprise en main pour défendre les biens communs contre les intérêts privés. Cela passe par des ruptures radicales ! »

Il est, quoiqu’on pense de l’importance, de la validité de la question, toujours inquiétant de voir annoncer une « rupture radicale » au sujet d’une question nationale. La forme ici employée ne peut que choquer la Gauche. C’est cependant le prix à payer pour le passage dans le camp de la France insoumise.

Il ne s’agit par ailleurs pas d’une remarque dispersée, mais bien d’une approche générale ; en voici quelques exemples qui ont dits pendant le week-end de fondation :

« La politique de dumping, de casse sociale et la désindustrialisation en France et la politique « austéritaire » Bruxelloise sont les deux faces du même euro. »

« Le traité franco-allemand, c’est Merkel qui dit à Macron : « Donne-moi ta montre, je te donnerai l’heure. » »

Dans un même ordre d’idée, les gilets jaunes sont considérés comme quelque chose non seulement de très bien, mais même de nouveau. On l’a deviné, c’est le prétexte employé pour passer sur la ligne « populiste » de La France Insoumise. Gael Brustier a pour sa part considéré que « les gilets jaunes donnent une opportunité incroyable pour la gauche telle qu’elle n’en avait jamais eu depuis trois décennies » et Marion Beauvalet a expliqué que ce qui est intéressant c’est que c’est « un mouvement au-delà des clivages gauche/droite [qui] oppose le peuple et l’élite ».

> Lire également : Emmanuel Maurel et le mouvement ouvrier

On remarquera l’incohérence qu’il y a à parler de gauche d’un côté, de dépassement du clivage droite/gauche de l’autre, mais on devine que jeu de va et vient entre affirmation de la gauche et populisme va être incessant pour la Gauche républicaine et socialiste. Ce n’est qu’un début et on voit mal comment il va être continué à parler de Front populaire alors que La France insoumise a coupé les ponts avec l’histoire de la Gauche.

Emmanuel Maurel a pour sa part affirmé au sujet des gilets jaunes que :

« Il y a trop d’ambiguïté d’une partie de la gauche sur les gilets jaunes. Nous les soutenons ! »

Ce soutien est donc à ajouter à celui, tout récent, de la CGT, alors que pareillement l’ultra-gauche est désormais dithyrambique au sujet des gilets jaunes. Il y a là une véritable orientation nouvelle, résolument populiste ; on a d’ailleurs droit la semaine dernière à Marie-Noëlle Lienemann expliquant que l’émission de Cyrille Hanouna avait été quelque chose de positif au résultat conforme aux idées de gauche.

La base de la Gauche républicaine et socialiste est-elle d’accord avec tout cela ? Dans tous les cas elle va devoir s’y habituer, ou bien revenir dans le giron de la Gauche historique, qui reste à recomposer. Elle compte surtout sur son nombre, 2 538 personnes sont annoncées comme ayant participé au vote pour le choix du nom, pour pouvoir à un moment faire pencher la balance.

Le problème est que déjà que la rupture avec le Parti socialiste s’est déroulée de manière non démocratique, quoiqu’on pense du parti socialiste, aller rejoindre La France insoumise c’est franchement se lancer dans l’aventure.

On devine au fond qu’il est espéré que la formation de Jean-Luc Mélenchon n’est qu’une étape vers quelque chose de nouveau. Mais outre que c’est là du machiavélisme, que c’est là jouer avec le feu, comment espérer que la négation de la Gauche puisse aboutir à son renforcement ?

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Gilets jaunes, actes 12 : vers un dénouement accompagné par la CGT

Le mouvement des gilets jaunes touche à sa fin, il s’essouffle, se survivant à lui-même en cultivant sa propre image de lui-même. Et il est rejoint par l’ultra-gauche et la CGT, qui y voient le moment pour appeler à la grève générale. Il n’y a pas à dire : la France est un pays étrange où la rationalité semble avoir disparu, tout autant que la culture politique.

Il est toujours étonnant de voir des gens confondre le début de la fin avec la fin du début. Il n’y a pour ainsi dire presque plus personne sur les fameux rond-points et de moins en moins de monde le samedi – près de 60 000 hier selon le Ministère de l’intérieur. Les gilets jaunes se ratatinent à chaque fois davantage et au moment où cela chute sérieusement, il y a toute une vague d’opportunistes ou de naïfs, on ne sait trop, qui interviennent dans l’histoire. Espèrent-ils tirer les marrons du feu ? N’ont-ils rien d’autre de mieux à faire ? Ou bien voient-ils un tournant réel, un moment historique ?

On a ainsi un « Journal des gilets jaunes » qui existe désormais, publié par un groupe de presse côté en bourse, Lafont-Presse, qui entend se faire un peu d’argent facile. Il y a aussi des professeurs, des « stylos rouges », qui persévèrent dans la mode colorée et protestataire. Ils étaient une cinquantaine seulement hier non loin du ministère de l’éducation nationale, avec des revendications qui sont d’une pauvreté affligeante pour des gens censés instruire les jeunes. On a aussi l’ultra-gauche, désormais lyrique sur les gilets jaunes, qui s’imagine que si les choses continuent, elles ne peuvent que déborder, et qu’elle en profitera.

Et il y a les syndicalistes cégétistes qui se sont décidés à entrer en scène, avec l’intention de prendre les gilets jaunes d’assaut et faire de la grève du 5 février le levier pour que cela marche. Avec l’idée de pouvoir relancer un syndicalisme au point mort niveau victoire, alors qu’en plus la CFDT est passée devant la CGT au niveau national.

Ainsi, alors que la CGT a sciemment refusé les gilets jaunes au début – soit par volonté de se conserver son monopole protestataire, soit par véritable esprit de Gauche refusant le style plébéien – elle est désormais totalement en leur faveur :

« Depuis de nombreux mois, les salarié-es, les retraité-es, les privé-es d’emploi et la jeunesse se mobilisent dans notre pays. Depuis la fin de l’année 2018, le mouvement dit des Gilets jaunes mobilise les attentions et révèle un regain de confiance en l’action collective.

La démultiplication des mobilisations s’oppose à la profonde injustice sociale et exige une autre répartition des richesses créées par le travail.

Cependant, plus le temps passe, plus le patronat et le gouvernement méprisent les revendications pour les détourner en détruisant les solidarités, plus les revendications sociales débordent.

Parti de la hausse des carburants, le mouvement des gilets jaunes a évolué. Des exigences nouvelles rejoignent désormais celles exprimées par les salarié-es, les retraité-es, les privé-es d’emploi, avec la CGT. C’est pourquoi, partout où cela est possible, la CGT continuera à travailler les convergences avec les Gilets jaunes. »

On remarquera l’écriture inclusive, preuve de la déconnexion avec les travailleurs et leur réalité. Quoi qu’il en soit, c’est, pour dire les choses franchement, un peu l’intervention commune des « losers », pour utiliser un terme passéiste mais assez évocateur.

Cela n’intéresse d’ailleurs vraiment ce qui reste des gilets jaunes, qui vivent dans leur monde et qui n’ont qu’un seul objectif : faire en sorte de présenter leur mouvement comme étant d’une grande actualité. On reste dans la démarche des classes moyennes cherchant à faire vivre la fiction comme quoi elles sont au centre de la vie sociale française.

Une des expressions de cela a été la « grande marche des blessés » à Paris, qui a exigé que soit mis un terme à l’utilisation des grenades de désencerclement GLI-F4 et GMD et des lanceurs de balle de défense (LBD). Pas moins de 20 personnes ont été blessées grièvement à un œil par LBD, avec la plupart du temps la perte de cet œil. Cependant, il ne faut pas être naïf et croire que les gilets jaunes s’intéressent à la question de la violence inhérente à l’État tel qu’il existe sous une forme bureaucratique, avec des hauts fonctionnaires inamovibles, des préfets, des responsables militarisés, etc.

Leur position rejoint la victimisation de type anarchiste, avec le fantasme petit-bourgeois d’un État terroriste, spoliateur, qui surveille tout le monde, etc. C’est une manière pour les gilets jaunes de chercher à retourner en leur faveur la situation après leur grande vague d’ultra-violence anti-politique à leur début, qui a considérablement ému une partie de l’opinion, et profondément choqué toute une partie de la Gauche, qui a reconnu là l’ombre de la plèbe fasciste.

Les échauffourées restent d’ailleurs la norme, comme hier lors des cortèges à Paris (14 000 personnes) et Valence (6 000), alors qu’il y avait également plusieurs milliers de personnes à Bordeaux, ainsi qu’à Strasbourg et Toulouse, 2 000 à Marseille, 1500 à Nantes, 1 000 à Montpellier, moins encore à Nice, au Mans, à Angers, à Dijon et à Cherbourg. La préfecture a également prétendu qu’à Valence, aux points de contrôle, une centaine d’armes blanches, dont des haches, des sabres, des couteaux, des machettes et des gourdins, auraient été saisies.

Comment résumer tout cela, alors ? Comme le dénouement des gilets jaunes, avec une auto-intoxication particulièrement brutale. C’est tellement énorme même qu’on ne peut pas ne pas se dire que ces gens ne le sachent pas. Ils appliquent forcément, tout au moins pour une partie d’entre eux, le principe sorélien du « mythe mobilisateur ».

Il est en tout cas très clair, du point de vue d’une Gauche qui s’assume, que ces enfants du populisme de Marine Le Pen et de l’ultra-gauche, de la CNT et d’Alain Soral, de la quenelle de Dieudonné et de Johnny Hallyday, de toute la propagande anti-politique, anti-Gauche, ne peuvent pas réaliser quelque chose de bénéfique pour l’Histoire.

La CGT, en embrayant sur les gilets jaunes, assume de sortir entièrement du champ de la Gauche politique : c’est une erreur complète, aux conséquences qui vont s’avérer catastrophiques pour elle.

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Réflexions

Le capitalisme remplace la solennité par le conventionnel

La distinction entre les concepts de solennité et de conventionnel est très importante. Il y a le risque sinon, en effet, de ne pas saisir les exigences de gens d’une perspective de civilisation. Et le capitalisme en crise saborde cette perspective.

Blow, Blow Thou Winter Wind, 1892, John Everett Millais

Pour former les esprits, il faut qu’il y ait des moments de solennité pour souligner ce qui est important. Or, rien ne peut être important au sens strict dans une société capitaliste, car tout dépend des individus et est par conséquent relatif. La loi du marché, qui célèbre le particulier, rentre inlassablement en conflit avec la civilisation, qui présuppose l’universel.

C’est pour cela que des événements comme le 14 juillet, le 11 novembre, qui auparavant se voulaient des moments emprunts de solennité, ne sont désormais pris que comme des conventions incontournables qu’il faut respecter, parce qu’il en est ainsi. L’idéologie dominante n’est plus en mesure de proposer du contenu, elle ne peut que justifier un cadre en disant qu’après tout cela pourrait être pire, et qu’en plus cela peut être mieux.

Il y a ici un aspect important sur le plan de l’histoire des idées, un changement profond qu’il faut bien évaluer à sa juste mesure, car cela ne peut pas en rester ainsi. Si l’on prend les années 1920-1930, l’extrême-droite prétendait affirmer une nouvelle solennité.

Aujourd’hui, elle ne le fait plus du tout, elle a abandonné toute prétention « totalitaire » pour se cantonner dans des dénonciations populistes.

Si l’on prend la Gauche des années 1920-1930, on peut s’apercevoir qu’elle aussi affirmait la solennité. Pas la même que l’extrême-droite bien sûr, mais une solennité quand même, celle du Socialisme, de la classe ouvrière, du Parti de la classe ouvrière. Or, aujourd’hui la Gauche se cantonne dans l’affirmation de conventions « modernisées », voire la philosophie de la remise perpétuelle en question des conventions. C’est la « Gauche » version turbocapitaliste, de philosophie post-industrielle, post-moderne.

Or, si le capitalisme qui relativise tout ne tourne plus, alors sa pression va céder d’autant. Ce qui signifie qu’il y aura, en conséquence, une réaffirmation de la solennité. Marion Maréchal Le Pen est ainsi bien plus dangereuse que Marine Le Pen, car si cette dernière est une populiste opportuniste, elle est en ce qui la concerne une véritable conservatrice révolutionnaire, ayant la solennité en ligne de mire.

Face à cela, seule une autre solennité pourra être mise en avant. Parce que c’est une question de civilisation, et que si le capitalisme ne tourne plus, alors tout s’effondre et les gens ne veulent pas que tout s’effondre. Le Fascisme proposera une nouvelle solennité, et par conséquent la Gauche devra en faire de même, qu’elle le veuille ou non.

Cela signifie que ni la gauche version post-moderne ni les anarchistes ne pourront être des alliés de la vraie Gauche. Car leur ligne est la déconstruction, la déstructuration, le refus des conventions. C’est la même philosophie « progressiste » que La République En Marche et Emmanuel Macron.

S’imagine-t-on, alors que le capitalisme est en crise, aller voir les gens et dire que ce n’est pas grave et que ce qui compte, c’est de faire sauter les conventions ? Personne ne comprendrait. Les gens attendront une proposition d’ordre, de valeurs, de construction, de perspective. Ils voudront que soit proposée une orientation allant dans le sens de la civilisation. Ils savent qu’il faut des moments de solennité – et cela, les ouvriers le savent.

Le fascisme, s’il faut définir sa substance, consiste justement en une tentative de hold-up de cette quête de solennité. C’est pour cela qu’il a besoin de mises en scène théâtrales, d’une esthétique « monumentaliste » sans contenu autre que symbolique, de mots d’ordre volontaristes, etc.

À la Gauche d’assumer ses propres valeurs jusqu’au bout et d’être capable de proposer des perspectives de maintien et de développement de la civilisation. Sans cela, non seulement elle ne sera pas elle-même, mais, en plus, ce sera la défaite face au Fascisme !

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Les gilets jaunes ou la France comme terrain vague

Les gilets jaunes sont l’expression d’une France devenue un terrain vague où l’on construit n’importe où et n’importe comment, où chacun considère qu’il peut faire comme il l’entend. Si les gilets jaunes veulent vivre comme avant, ils n’en représentent pas moins une modernité rejetant tout héritage culturel et historique.

gilets jaunes

Chaque pays dispose d’un patrimoine d’idées et de luttes, sans parler de certains goûts, de certains centres d’intérêt. Cela n’a de sens cependant que si l’on se place dans un cadre collectif et qu’on ne se réduit pas soi-même au rang de simple individu. Les gilets jaunes récusent cela de manière explicite : ils ne se battent pas pour tous, disent-ils, mais pour chacun. Leur « ennemi » n’est d’ailleurs lui-même pas collectif, mais diffus : ce sont les « taxes ». L’État lui-même n’existe que telle une abstraction et se voit réduit aux « politiques », présentés comme tous corrompus.

C’est là l’expression de la conception de la France comme terrain vague. Les entreprises et ceux qui se considèrent comme de simples individus envisagent comme un droit la capacité à réaliser des projets bancaires, industriels, architecturaux, commerciaux, etc. Ce serait un droit de construire un pavillon où on le peut si on en a les moyens financiers, ce serait un droit de vendre tel ou tel produit s’il y a des clients, même si c’est du cannabis.

C’est le triomphe du principe du contrat et l’un des exemples les plus absurdes de ce principe est le « remplacement » des zones humides. On peut en France détruire une zone humide… si on la « remplace », ce qui évidemment est totalement abstrait et correspond à une mentalité d’apprenti sorcier. Une telle démarche est pourtant cohérente du point de vue de la France comme terrain vague : il y a de la place pour tous dans un terrain vague et tout est possible.

Cela est vrai naturellement pour la culture. Aucune personne de cultivée ne laisserait jamais un gilet jaune devenir ministre de la culture, il y aurait trop la peur que les musées soient fermés car leur entretien est trop cher ou bien que le patrimoine soit vendu à la découpe ! Il n’y a aucune exagération à dire cela : il suffit de voir que les gilets jaunes se prétendent un mouvement radicalement nouveau, sans exemple. Ils agissent également comme si rien n’avait jamais existé avant eux.

C’est vrai d’ailleurs de tous les « révoltés », qu’ils soient à La France Insoumise ou à Génération-s, qu’ils soient anarchistes ou d’ultra-gauche. Il y a eu un grand lessivage, où au maximum on peut s’inspirer ! Mais jamais apprendre, jamais devenir l’élève de quelque chose du passé, jamais prendre des modèles. Un tel lessivage correspond à l’esprit consommateur de l’ultra-libéralisme, avec le « droit » de piocher comme on l’entend et ce dans n’importe quelle situation. La France comme terrain vague, c’est ainsi la France comme supermarché, où les idées relèvent du prêt-à-porter.

Certains disent que c’est une tendance historique inévitable, que c’est une bonne chose, qu’au « dogmatisme » a succédé un esprit de participation, un populisme qui correspondrait enfin au peuple dans sa diversité, pour des initiatives les plus diffuses.

C’est pourtant là la mort de la Gauche et que voit-on justement ? Que plus ce populisme a avancé, plus la Gauche a reculé. Il suffit de voir l’impact dévastateur sur la Gauche de l’ouverture de la prise de décision aux sympathisants et non plus aux adhérents. C’était là l’ouverture au populisme et on sait qu’une fois qu’on lui a ouvert la porte, il ne repart plus, il s’installe. Les gilets jaunes sont aussi le produit de l’existence de « primaires » organisées par le Parti socialiste pour les élections présidentielles.

La Gauche ne peut exister que dans l’opposition à la conception de la France comme terrain vague. Elle doit valoriser le patrimoine historique des luttes, mais aussi le patrimoine sur le plan de l’organisation. Cela ne peut se faire que si les situations locales sont étudiées et connues, si la Gauche est présente concrètement, ancrée dans la population, ainsi que dans son vécu. C’est tout un travail de fond, invisible bien souvent, ingrat parfois, prolongé dans tous les cas, qu’il est nécessaire de mener.

Ce travail est inévitable et aucune « recette », méthode ou technique magique ne pourra le remplacer. Les succès rapides sont éphémères et ne jouent pas sur la société, sur l’histoire. La Gauche a un immense travail de fond à mener.

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« Mon européenne » de Saez, une contribution très utile

La chanson « Mon Européenne » (mars 2017) du chanteur alternatif Saez exprime très bien l’état d’esprit des gens de gauche à propos de l’Europe. C’est une contribution très utile, alors que les élections européennes qui auront lieu fin mai 2019 posent un vrai problème à cause du nationalisme.

Saez est un chanteur très sympathique qui produit depuis de nombreuses années un rock alternatif de qualité, tantôt punk rock, guitare sèche ou piano/voix. Il connaît un grand succès mais n’a jamais renié ses principes et ne s’est soumis aux circuits commerciaux.

Il chante systématiquement la jeunesse et la classe ouvrière, défend l’humanité universelle sans renier l’héritage culturel français, hait le racisme et la bêtise humaine sans jamais tomber dans la mièvrerie catho ou les bons sentiments bourgeois. Il assume « notre mère la Terre » et fais part d’une grande sensibilité, comme avec son très saisissant et progressiste « Les enfants du Paradis » qui pleure les attentats de novembre 2015 à Paris.

Son « Européenne » porte quelque chose de populaire qu’on apprécie forcément quand on veut changer la vie sans se résigner à la société de consommation. Elle est « j’t’emmerde avec ta thune », « c’est pas la Bruxelles », « elle est ouvrière licenciée, non c’est pas la fille du progrès ».

Ce n’est clairement pas l’Union Européenne, car forcément quand on a des exigences sociales, on n’aime pas ce grand marché commun capitaliste. Cependant, on apprécie l’ouverture culturelle ; les populistes faisant du rejet de l’Union Européenne un thème mobilisateur font donc froid dans le dos.

C’est pour cela que l’« Européenne » de Saez ne veut pas du nationalisme :

« Elle a pas vraiment de frontières
Son corps c’est la planète entière
N’en déplaise au peuple bourgeois
Tu sais mon Européenne à moi »

Mais ce n’est pas non-plus un cosmopolitisme libéral, celui d’un Raphaël Glucksmann qui a eu, si l’on peut dire, le mérite d’assumer cet horrible fait : « Quand je vais à New-York ou à Berlin, je me sens plus chez moi, a priori, culturellement, que quand je me rends en Picardie ».

Au contraire, l’« Européenne » de Saez est ancrée dans l’histoire :

« Elle est accordéon sanglot
Elle est accorde-moi un tango
Elle est destin des origines
Elle est racine gréco-latine »

« Elle a des airs de statue grecque
Elle a des airs des Italies
Qu’on dirait Paris à Venise
Qu’on dirait Namur aux Marquises
C’est Gauguin qui peint la terre
Comme un pinceau vous dit mon frère »

De manière générale, jusqu’à récemment, il suffisait pour les gens à Gauche de critiquer les traités libéraux de l’Union Européenne tout en appréciant l’ouverture des frontières et la facilité des échanges culturels. C’était facile, consommateur, opportuniste, et finalement tout à fait conforme au libéralisme instigué par les classes dirigeantes ayant lancé ce grand marché commun.

Le problème est que les populistes ont, qu’on le veuille ou non, mis ce problème du libéralisme sur la table. Ils l’ont bien-sûr fait dans un sens nationaliste, prônant le repli comme avec le Brexit qui n’est qu’un moyen pour la bourgeoisie britannique d’emmener avec elle le peuple vers la guerre.

Le rejet populiste de l’Union Européenne est donc un piège et il s’agit de ne pas tomber dedans.

Faut-il à rebours, pour éviter ce piège, défendre unilatéralement l’Union Européenne, comme le fait un Ian Brossat du PCF ou encore le mouvement de Benoît Hamon dont une cadre députée européenne peut expliquer en réunion publique qu’elle est pour la dilution de la France dans un État européen ?

On imagine que non, car ce serait là suicidaire, impossible à assumer pour la classe ouvrière. Mais il faut en tous cas avoir une position, et pour cela il faut une vision, des valeurs claires. La chanson « Mon Européenne » de Saez n’est bien évidemment pas une position politique, mais c’est une vision du monde, utile pour essayer d’y voir clair et d’élaborer une position, alors que les élections européennes vont être un moment très compliqué pour les personnes progressistes, pour la Gauche.

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La Lettre au président de la République de Benoît Hamon

À l’occasion du grand débat national lancé par Emmanuel Macron et en réponse à sa lettre aux français, Benoît Hamon a écrit une lettre ouverte à Emmanuel Macron pour y exposer son point de vue quant à la situation actuelle.

Benoît Hamon

Cher.e.s ami.e.s, vous trouverez ci-dessous la lettre que j’ai envoyée aujourd’hui au président de la République. N’hésitez pas à la partager autour de vous.

Amitiés.

Benoît Hamon

Lettre au président de la République

Paris, le 17 janvier 2019

Monsieur le président de la République,

Le contraire de la connaissance, ce n’est pas l’ignorance, c’est la certitude. Vous avez trop de certitudes.

J’ai lu la lettre que vous avez adressée à tous les Français. Vous leur proposez un débat mais c’est vous qui fixez la teneur des questions, leur nombre et leur champ restrictif. Ce débat public commence mal quand les membres du gouvernement passent plus de temps à énoncer la liste des questions interdites plutôt que de laisser nos concitoyens exprimer sans entrave leurs doléances.

Je vois dans votre méthode, une nouvelle manifestation de la méfiance intrinsèque de votre quinquennat à l’égard du peuple. Comme si les Français étaient en retard sur leurs élites, comme s’ils n’étaient pas les meilleurs experts de leur propre vie. Et pourtant, nous avons tant besoin de retrouver une communauté de destin.

La planète n’est plus assez grande pour héberger la civilisation vorace et productiviste dont vous êtes un des derniers apôtres. Les buts de cette civilisation, posséder, produire, consommer, exploiter la nature sans limite, ne sont plus soutenables et pourtant, en dépit du cri d’alarme des scientifiques relayé par des millions de citoyens signataires de la pétition pour l’affaire du siècle, en dépit des dizaines de millions de femmes et d’hommes jetés sur les routes de l’exil par la pauvreté et le dérèglement climatique, en dépit de la colère qui monte partout en réponse à l’accaparement de la richesse par une minorité d’ultra-riches, vous continuez à fixer comme but à notre civilisation, la croissance du PIB et d’indexer le bonheur des êtres humains sur la seule richesse matérielle.

Jamais vous ne dites à nos concitoyens qu’il faudrait radicalement changer de cap, trier et choisir dans nos modes de vie « ce dont nous ne pouvons et dont nous ne voulons pas nous passer » pour engager sereinement et démocratiquement les transitions indispensables.

La crise que nous vivons, n’est pas un épisode social parmi d’autres, c’est une crise sur l’essence même et les buts de notre civilisation.

A force d’injustices, votre présidence est devenue celle du désordre. A force d’inégalités, votre quinquennat est désormais celui de la révolte des Français. Le mouvement des Gilets jaunes vous a contraint à écouter le désespoir qui gagne, chaque jour davantage, notre peuple. Une écoute contrainte, à défaut, hélas, d’être attentive car à la question de la redistribution des richesses, vous répondez par une charité financée par les Français eux-mêmes ; à la question démocratique, vous apportez une réponse sécuritaire ; à la question écologique, votre réponse est une politique minée par vos liens avec les lobbies les plus polluants et votre gabegie fiscale au profit des plus fortunés.

Il est urgent, Monsieur le Président de la République, de vous hisser enfin à la hauteur des fonctions que nos concitoyens vous ont confiées. Elu face à l’extrême-droite grâce à l’esprit responsable de républicains de toutes convictions, vous n’avez eu de cesse d’abîmer cette concorde pour appliquer sans discernement ni retenue un programme au service exclusif d’une minorité privilégiée.

Notre pays a besoin de retrouver l’espoir et les voies d’un dialogue national apaisé. Notre nation doit être mobilisée vers notre avenir collectif autour d’un grand projet de société à la fois écologique, social et profondément démocratique. Les Français ne demandent qu’à partager une communauté de destin dont votre politique de division les prive. La situation grave de notre pays appelle en effet un grand débat démocratique. Mais celui-ci ne peut se résumer à un artifice de communication de la part d’un pouvoir qui a continûment méprisé les corps intermédiaires, le Parlement et, par vos excès de langage récurrents, les citoyens eux-mêmes.

Soyez pour une fois, humble devant la clairvoyance des Français à vous dire ce qui est bon pour eux, pour notre pays, pour notre destin, quelles sont les bonnes questions et les bonnes réponses.

Je porte au nom de Génération.s, les propositions suivantes :

Je vous demande que ce débat national ouvre un processus constituant. La Vème République connait à l’évidence son crépuscule. Mais dans cette interminable agonie, le risque le plus grand est qu’elle emporte avec elle notre liberté. Les Français veulent respirer l’air d’une démocratie qui ne soit plus vicié par les lobbies privés ou la technocratie. Il faut renouer avec l’ambition de la « démocratie constante » chère à Pierre Mendès-France. Je vous demande donc de vous engager en faveur de la création d’une assemblée constituante qui au terme du débat national engagera la rédaction de la constitution d’une VIème République soumise à l’approbation du peuple français par referendum.

Je vous demande que ce débat national permette une nouvelle répartition des richesses. Si les salaires et les pensions sont si bas, si les entreprises licencient et multiplient les contrats précaires, si la souffrance au travail augmente, si les services publics désertent la France rurale, si l’hôpital public se tiermondise, si les associations mettent la clé sous la porte, si l’école ne parvient plus à enrayer les inégalités sociales, c’est en raison d’une richesse qui se concentre entre les mains d’une toute petite minorité plutôt que de servir l’intérêt général. Vous deviez être le Président de tous les Français mais c’est à cette minorité privilégiée que vous avez réservé toutes vos bontés. Il est l’heure d’un choc positif pour le revenu des Français grâce à l’expérimentation du revenu universel d’existence, au rétablissement de l’indexation des retraites sur les prix, à la hausse du SMIC et l’ouverture d’une négociation sur l’augmentation des salaires dans le secteur privé comme dans la fonction publique. Il faut aussi éradiquer la pauvreté qui est une honte pour un pays aussi riche que le nôtre grâce à la taxation massive des contrats précaires, des résidences secondaires inoccupées et des logements insalubres. Pour cela, il faudra mieux redistribuer la richesse grâce au rétablissement immédiat de l’ISF, à la taxation des GAFA, à la montée en puissance d’une véritable taxe sur les transactions financières ou à élargissement de l’assiette des cotisations sociales patronales à la valeur ajoutée, c’est à dire la mise en place d’une taxe sur les robots pour financer les retraites.
Je vous demande enfin d’engager un changement de notre modèle de développement. L’économiste américain, Kenneth E.Boulding, prétendait que « celui qui croit qu’une croissance exponentielle peut continuer indéfiniment dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste ». Epargnez à nos enfants de devoir un jour vous infliger le jugement tragique de l’Histoire parce que vous n’auriez pas été capable d’engager la nation dans la mutation de ses modes de production et de consommation. Vous avez opposé justice sociale et transition écologique. Comment pouvez-vous ignorer que les premières victimes de la malbouffe, ceux qui respirent l’air le plus pollué à proximité des grands axes routiers, ceux qui vivent dans des passoires énergétiques, ceux dont la santé est menacée, sont les Français les plus modestes. Les inégalités environnementales sont des inégalités sociales. Quelle responsabilité grave, avez-vous pris vis-à-vis des générations futures, de nos enfants et de ceux qu’ils feront, en retardant l’engagement total de la France dans la lutte contre le réchauffement climatique, pour la biodiversité et l’amélioration de la qualité de l’air.

Il faut une opération « mains propres », et tant pis si cela doit frapper d’abord ces grandes entreprises qui dissimulent leur impact négatif sur le climat derrière les parades sans lendemain de vos grand-messes environnementales. Je vous demande la taxation intégrale des profits des banques issus de leur soutien aux énergies fossiles, de la création d’une contribution financière des entreprises qui exploitent les biens communs de l’humanité (eau, ressources fossiles, axes de communication, information, etc…) et la fin du droit à polluer gratuitement alloué aux grandes entreprises. Il vous revient aussi de mettre un terme à l’impunité des évadés fiscaux qui spolient la France de ses ressources.

Monsieur le Président de la République, à vous observer résister par tous les moyens de l’Etat, parmi lesquels une répression de plus en plus brutale, à l’irruption du peuple dans l’histoire de notre pays, je pense à Albert Camus qui disait qu’il revenait à sa génération, une tâche plus grande encore que celle de refaire le monde, qui consistait à empêcher que le monde ne se défasse. Depuis le mois de mai 2017, vous défaites la France et ce qui fait la modernité de ses valeurs. Les Français vous ont stoppé dans votre œuvre de démolition.

Je vous demande de considérer sérieusement les demandes de justice sociale et de démocratie exprimées par les Français. En respectant le peuple, vous respecterez davantage l’éminente fonction que vous occupez.

Veuillez agréer Monsieur le Président de la République, l’expression de mon profond respect.

Benoît Hamon
Co-fondateur de Génération·s

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Certains doivent regretter d’avoir soutenu les gilets jaunes

Toute une gauche opportuniste s’est empressée de prendre le train en marche et de soutenir les gilets jaunes. Cela dans l’espoir d’en profiter quand tout sera fini. Le souci est que les gilets jaunes continuent et embarquent donc cette gauche opportuniste avec elle dans le populisme.

gilets jaunes

Les gilets jaunes correspondent à un moment de crise, pas à un « mouvement social » dans le cadre d’une situation pacifiée. Pour avoir confondu l’un avec l’autre, toute une gauche opportuniste se retrouve coincé.

Elle pensait que les gilets jaunes disparaîtraient et que sur les décombres il y aurait moyen d’en tirer quelque chose. Pour cela, il fallait donc hurler le plus fort, pour apparaître comme le plus radical aux yeux de ceux qui restent après cette lutte.

C’est cela qui explique la surenchère systématique, notamment de la part de l’ultra-gauche. On se situe ici entièrement dans la tradition de la tactique élaborée par Léon Trotski. Selon lui, il faut pratiquer la surenchère afin de dépasser les réformistes bloquant la révolution qui serait permanente. Cette conception a été élaborée dans Le programme de transition et correspondait à sa thèse selon laquelle le fond du problème est la « direction » de tout mouvement de lutte.

Tout cela est délirant, car il y a bien sûr des moments différents, des étapes dans toute prise de conscience, de plus le problème de fond n’est pas la « direction » mais bien la nature de la base. Avec les gilets jaunes, de par la matrice de leur mouvement, on ne peut pas diffuser des thèses rationnelles, des principes d’organisation, des valeurs socialistes.

Il s’avère donc que les gilets jaunes, en continuant sur leur lancée, vont entraîner avec eux toute une partie d’une gauche opportuniste dans le populisme le plus vil.

Naturellement, il va y avoir des retournements de veste : il va être dit qu’il ne s’agit pas des mêmes gilets jaunes, ou bien d’une minorité de gilets jaunes, etc. Il peut aussi être inventé que les gilets jaunes se divisent en deux tendances.

Mais c’est trop tard. La densité des gilets jaunes a été surestimée et le prix à payer est inévitable : tous ceux qui se sont reliés à eux vont être entraînés vers le fond. On ne joue pas impunément avec le feu. En politique, tout est une question de valeurs et le populisme est un piège terrible sur ce plan.

Il y a quelque chose d’inévitable qui plus est dans cela. La France Insoumise n’a cessé de dire que la Gauche classique était dépassée. On a pu voir une alliance parisienne entre l’ultra-gauche et la CGT lors de nombreuses manifestations. Cette même ultra-gauche a même revendiqué le soutien de Marcel Campion pour organiser des blocages, ce « roi des forains » qui est un grand soutien de Philippot.

A force, cette course vers l’apparence de radicalité s’est ouvertement transformée en course vers le néant. Ces gens s’imaginaient les protagonistes de quelque chose, ils n’ont été que l’avant-garde… des gilets jaunes. Autant dire que ce n’est pas gratifiant.

Et on peut même remonter plus loin. Lorsque la CNT, le syndicat à la pratique anarcho-syndicaliste, syndicaliste révolutionnaire, émerge en France dans les années 1990, avec un pic en 2000, que dit-elle ? Finalement la même chose que les gilets jaunes : pas de politique, pas de parlement, pas de partis, tous pourris, les gens doivent décider…

Cette simplification à outrance, ce relent de proudhonisme, ce culte de la spontanéité à la Bergson et à la Sorel, ces valeurs horriblement françaises, tout cela était déjà là.

Pour qui s’intéresse à l’histoire des idées, des démarches concrètes, il y a là plus qu’un parallèle : c’est bien une ligne droite. C’est une vague de dénonciation de la Gauche… mais pas pour aller à gauche, pour basculer vers la Droite.

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Européennes : la liste de Benoît Hamon est-elle vraiment « la seule de gauche » ?

Benoît Hamon a déclaré sur France Inter que seule la liste de Génération-s devrait être considérée comme de gauche aux prochaines élections Européennes. C’est là doublement faux : d’abord, parce que ce n’est pas là aller dans une démarche unitaire à Gauche… Ensuite, parce que Génération-s est tout aussi postindustriel, postmoderne que La France Insoumise.

Ce que les gens de Gauche doivent comprendre, c’est qu’il faut arrêter de faire les malins. Aux prochaines élections Européennes, on sait déjà que l’extrême-droite va frapper fort, en surfant logiquement sur le populisme des gilets jaunes. Quand à la Gauche, elle risque de se faire démolir, et ce n’est pas une bonne nouvelle. Même si on n’apprécie pas la Gauche participant aux élections, il n’est pas nécessaire d’être devin pour comprendre les conséquences que cela aurait.

Rappelons que les sondages donnent pour l’instant 2,5 % à Génération-s, autant au PCF, 6,5 % à Europe Écologie Les Verts, 4 % au PS et 9,5% à La France Insoumise. Même si l’on ajoute le NPA et Lutte Ouvrière, cela ne fait pas lourd, surtout si Marine Le Pen fait autant que tout le monde à elle toute seule.

Benoît Hamon a donc tort d’appeler à voter Génération-s en disant que c’est la seule liste de gauche. Même si c’était vrai, il aurait tort, car c’est l’unité qui doit primer, afin de faire revivre les réseaux de Gauche, qu’il y ait un renouveau d’idées, d’actions. Dire plusieurs mois avant les élections qu’il n’y a que soi, dans un contexte comme le nôtre, ce n’est pas une bonne chose.

On peut d’ailleurs prêter des arrières-pensées à Benoît Hamon à ce sujet. Car s’il est sympathique, il n’en a pas moins été formé à la technique éprouvée des « coups tactiques » de l’aile droite du Parti Socialiste dont il est issu, les « rockys » (pour rocardiens). Et en accusant les autres de manière opportune, il se dédouane de ses propres turpitudes.

Voici ce qu’il a dit en effet hier sur France Inter :

« La liste que je porterai sera la seule liste de gauche. »

« Aujourd’hui, avec les citoyens qui se retrouvent dans cette liste, nous reprenons le drapeau de la Gauche qui est à terre, il a été suffisamment piétiné. »

« Qui peut se revendiquer aujourd’hui comme une liste de gauche ? Les socialistes ? Ils proposent de continuer la coalition avec la droite européenne, cette coalition qui a amené à ce que l’Europe soit dans l’impasse. Jean-Luc Mélenchon ? Il renonce à l’idée même de Gauche au nom d’une stratégie qui vise à unifier le peuple contre l’oligarchie. Les Verts ? Ils reviennent aux thèses qu’on a connues il y a quelques décennies du ni Droite ni Gauche. »

« Si vous êtes de gauche, écologiste et européen, vous aurez une liste pour laquelle voter entre les libéraux et les souverainistes ou nationalistes de tout poil. »

« Nous ne serons pas seuls et j’espère bien que de l’écologie, du communisme, du socialisme, d’autres nous rejoindront. »

Benoît Hamon maintient le clivage droite-gauche : tant mieux. Mais pourquoi appeler les gens de l’écologie, du communisme, du socialisme, à le rejoindre, au lieu d’appeler à l’unité, ou bien inversement de les rejoindre ? Et rien qu’en utilisant le terme de « socialiste », le PS n’est-il pas finalement plus ancré à Gauche que Benoît Hamon ?

La Gauche dispose bien en effet de grands principes, au-delà des (grandes) différences : la référence au mouvement ouvrier, à la social-démocratie de la fin du 19e siècle et aux luttes syndicales, au Front Populaire, à la Résistance.

> Lire également : Benoît Hamon : Johnny Hallyday ou les Sisters of mercy?

On ne trouve rien de tout cela chez Génération-s, pour qui le mot socialiste est tabou et dont le seul projet social revendiqué est l’Union Européenne dans une version sociale et écologiste. Le résultat en est que le seul thème où Génération-s est hyperactif est celui des migrants, avec un soutien total à l’ultra-libéralisme politique sur ce thème. La base sociale des gens de Génération-s, dont les adhérents peuvent être tout à fait sympathiques au demeurant, est d’ailleurs entièrement étrangère aux couches populaires.

Benoît Hamon a donc doublement tort : tort de ne pas vouloir l’unité, tort de s’imaginer qu’il a catalysé toutes les valeurs de la Gauche dans son mouvement. Être sectaire quand on a raison est dommageable, même s’il y a une part de vérité. Mais être sectaire quand on a tort qui plus est, est contre-productif.

Et au-delà, vu l’état des forces, c’est irréaliste. Il faut être conscient d’une chose qui va être évidente : s’il y a dispersion, alors c’est le Parti socialiste qui seul s’en sortira, de par ses réseaux d’élus, ses cadres, son incrustation dans les institutions. Il ne faudra pas alors pleurer qu’on n’a quasiment pas de Gauche et que la seule qu’on ait c’est le PS !

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Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht, assassinés il y a cent ans

Il y a cent ans, le 15 janvier 1919, Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht étaient tués en raison de leur rôle de dirigeants dans la révolution spartakiste en Allemagne. Le fait que les socialistes soient à la tête de la répression d’un insurrection de socialistes devenus communistes allait avoir des conséquences historiques dramatiques en Allemagne.

Karl Liebknecht, Rosa Luxembourg

Rosa Luxembourg est une figure relativement connue en France, et souvent très appréciée par les gens de Gauche. Ils y voient une figure historique de premier ordre, avec il est vrai souvent beaucoup de romantisme. Ils négligent souvent le fait qu’elle a été une des principales figures du mouvement ouvrier allemand, en tant que l’une des dirigeantes de la social-démocratie.

Ce qu’on retient surtout d’elle, c’est son opposition à la guerre de 1914, puis son soutien à la révolution russe. On sait aussi qu’elle a formé un Parti Communiste « spartakiste » et que les événements ont été terribles pour elle, puisqu’elle a été assassinée par des regroupements paramilitaires d’extrême-droite, les corps-francs, sur ordre des socialistes à la tête de la république venant d’être fondée, Philipp Scheidemann, Friedrich Ebert, Gustav Noske.

Ce dernier est connu pour avoir déclaré, après avoir dirigé l’écrasement des spartakistes à Berlin :

« Il faut que quelqu’un fasse le chien sanguinaire : je n’ai pas peur des responsabilités. »

Rosa Luxembourg est donc un symbole d’engagement et de fidélité à ses idéaux, et c’est bien pour cela que les communistes ont voué une haine farouche à la direction du parti socialiste allemand, le SPD, qui d’ailleurs le lui rendait bien.

Le problème est que cette confrontation produisait le blocage de l’unité des socialistes et des communistes face à la menace fasciste. Les socialistes et les communistes connurent alors bien souvent les camps nazis, et ce n’est qu’à partir de 1935-1936 qu’un esprit d’unité réapparaît, du côté communiste d’abord. Cela ira jusqu’à la fusion des socialistes et des communistes en Allemagne de l’Est après 1945, les communistes se faisant rapidement interdire à l’ouest.

Il faut rappeler ici que la particularité des socialistes allemands (ou autrichiens) alors, était qu’ils assumaient de vouloir le socialisme tout autant que les communistes, qu’ils se revendiquaient encore du marxisme. De plus, les socialistes étaient encore soutenus par une large partie des ouvriers. C’était un débat à l’intérieur du mouvement ouvrier.

Et il y a beaucoup d’actualité, somme toute, dans cette problématique, ce conflit entre les pragmatiques ou « réalistes » d’un côté, les purs et les durs de l’autre, qui se veulent tout aussi réalistes d’ailleurs. Il est vrai que François Hollande n’a pas écrasé d’insurrection et que Benoît Hamon n’est pas Rosa Luxembourg, et que si on a beaucoup de gens pragmatiques à gauche (quand ils ne sont pas passés chez Emmanuel Macron), on a peu de révolutionnaires.

Toutefois, la question de l’unité de la Gauche dans son ensemble est la même que de par le passé. Comment concilier la Gauche disant qu’il faut influer sur les mesures gouvernementales et la Gauche disant que sans affrontement rien n’est possible ? On connaît la réponse de Jean Jaurès : dire oui à tout, quitte à faire semblant. François Mitterrand a fait de même. Le résultat a toujours été l’amertume et l’effondrement de la Gauche face aux valeurs hégémoniques de la Droite.

On peut dire qu’une telle conciliation n’est pas possible dans le cadre d’un capitalisme disposant d’un État très fort, car dans ce cas-là, la récupération par le système est inéluctable. La fusion des socialistes et communistes après 1945 en Allemagne, ainsi que dans d’autres pays, n’a pu avoir lieu que parce que l’État s’était effondré, il fallait repartir sur une base saine. Or, quand il y a le capitalisme et qu’il y a un État à son service, rien n’est sain, naturellement.

Mais quand le capitalisme connaît une crise au point qu’il est terriblement agressif, que l’État à son service devient Fascisme, alors là il y a une ouverture pour l’unité générale de la Gauche. Ce serait cependant terrible de dire qu’il faille une telle expérience pour en arriver là, surtout que l’Histoire a déjà enseigné cela. Mais malheureusement, la Gauche française est si peu structurée, si faible, que les leçons risquent d’être à réapprendre…

Rosa Luxembourg

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Politique

Gilets jaunes : la France coincée entre Emmanuel Macron et les populistes

Le huitième samedi des gilets jaunes a mobilisé 50 000 personnes et souligne bien une chose : la France va se retrouver coincée entre des pro-Européens regroupés autour d’Emmanuel Macron et une vague populiste portée par l’extrême-droite et soutenue par l’ultra-gauche.

La raison s’évapore, la rationalité disparaît ; le nihilisme triomphe, la confusion nationale et sociale s’impose et Emmanuel Macron cherche à se placer comme seul recours.

La « gauche » qui a soutenu les gilets jaunes s’est d’ailleurs littéralement suicidée : c’était prévisible, désormais c’est acté. Il est désormais flagrant que les gilets jaunes véhiculent un style, une démarche, une perspective, pour ne pas dire une idéologie, totalement opposé aux valeurs de la Gauche.

Le huitième samedi des gilets jaunes a d’ailleurs connu quelques épisodes assez typiques du genre, dans une sorte de mélange de révolte brouillonne et de radicalité diffuse, propre à la panique face au déclassement. On a pu voir un boxeur professionnel, ancien champion de France, boxer des policiers à visage découvert, un acte d’une naïveté terrible amenant directement à la case prison.

On a pu également voir des gilets jaunes détournent un engin de chantier à Paris pour aller défoncer l’entrée des locaux du porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux. C’est là pour le coup tellement énorme qu’on a du mal à y croire : aucun État moderne ne peut avoir de tels problèmes de maintien de l’ordre, surtout avec quelques milliers de personnes seulement défilant à Paris.

Il en va de même pour l’attaque par 30 personnes d’une caserne à Dijon. Trente personnes dégradant soixante mètres de grillage, pénétrant dans la caserne, lançant des panneaux de signalisation et des barres de fer, avec un gendarme blessé à la tête de manière grave, perdant plusieurs dents… cela serait impossible si l’État avait décidé une répression réelle.

On devine ainsi qu’en réalité, le régime laisse faire et table sur un pourrissement du mouvement, il compte sur la lassitude des gens, et il sait très bien que les classes populaires ne participent pas, regardant cela de loin. Le but d’Emmanuel Macron est de se présenter comme recours pro-européen face aux populistes, il joue donc ouvertement avec le feu en laissant ceux-ci s’agiter.

Ce n’est là pas sans ressemblance avec l’Italie des années 1920 et l’Allemagne des années 1930, avec les forces libérales, s’imaginant incontournables face au populisme, laissant celui-ci se développer par opportunisme, pour apparaître comme incontournable. Cela ne veut pas dire qu’il ne faille pas préférer le libéralisme au fascisme, et les vrais gens de Gauche ont voté Emmanuel Macron pour barrer la route à Marine Le Pen. C’était autant de temps de gagné.

Mais il faut bien prendre conscience du caractère terrible de la situation. Les gilets jaunes expriment une hantise du déclassement, de la part de gens ne voulant surtout pas du socialisme, de la révolution ou de quoi que ce soit de Gauche. Ils veulent vivre comme avant, ils veulent la France du passé.

Ils ne veulent ni politique, ni rationalité ; ils ne portent que l’antiparlementarisme, le populisme comme solution aux problèmes. Ils refusent catégoriquement de viser les riches, les bourgeois, ils font comme si ceux-ci n’existaient pas. Il y aurait une sorte d’oligarchie, et l’État serait le seul souci. On a là un confusionnisme malsain et totalement idéaliste, qui ne sait que retrouver dans le bleu-blanc-rouge une identité.

C’est là une catastrophe intellectuelle et morale, tant sur le plan des exigences de l’Histoire en ce qui concerne le dépassement du capitalisme que sur celui de l’écologie, avec la lutte nécessaire contre le réchauffement climatique.

Les gens de Gauche peuvent le voir maintenant aisément et l’angoisse les saisit. L’ombre du fascisme s’agrandit désormais chaque samedi et pétrifie les espoirs d’un monde nouveau. Nous sommes censés apprécier l’ordre présent ou bien lui préférer l’ordre du passé, d’il y a quelques années… Un choix inacceptable !

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Société

Le nivellement par le bas imposé par le capitalisme

La Gauche s’est faite engloutir par les « progressistes » qui ont renouvelé les thèses du positivisme : on irait forcément vers quelque chose de mieux, inéluctablement. Elle ne se rétablira qu’en reprenant sa propre thèse de la décadence de la société liée à la chute du capitalisme.

Sleep and his Half-brother Death (John William Waterhouse, 1874)

Le nivellement par le bas est une chose très discutée au sein des couches intellectuelles. Certains voient le niveau s’effondrer au lycée, par exemple en mathématiques ou en français, tandis que d’autres considèrent que somme toute il n’y a pas de grand changement. Et comme grosso modo le système éducatif tourne, fabriquant encore et toujours des cadres passés par Sciences Po, Polytechnique, HEC, les mines, etc., il est établi par les experts qu’il y a peut-être un changement mais qu’il ne touche pas la substance des choses.

Les deux ont tort et raison. Car c’est là un des grands paradoxes du capitalisme, qu’il y ait d’un côté il y ait une grande accumulation de connaissances, et que de l’autre tout soit particulièrement chaotique, bureaucratique, coulé par les opportunistes et les magouilleurs, récupéré dans des directions mercantiles.

On a beaucoup plus de moyens scientifiques qu’auparavant, grâce au développement des moyens productifs. Le matériel est incomparablement plus performant qu’avant, bien plus aisément accessible. En France, chaque personne peut disposer d’un ordinateur, d’internet, sauf à être profondément désocialisé. Mais en même temps les connaissances sont dispersées, incompréhensibles au grand nombre, gérées de manière inorganisée par un capitalisme qui se saisit de ce qu’il peut comme il peut.

Le capitalisme impose le nivellement par le bas en exigeant que lui soit soumis dès qu’il y a complexité. Les choses simples n’ont pas besoin de se soumettre : elles répondent simplement, automatiquement, aux lois du marché. Le capitalisme n’est donc pas inquiet de ce côté là. Ce qui l’inquiète, c’est plus des tendances le contrecarrant, qui porterait à la fois un haut niveau intellectuel et technique, combiné à la formulation d’une socialisation universelle.

Dans l’ordre des choses par exemple, les vétérinaires devraient se révolter contre la condition faite aux animaux, et exiger une compassion universelle. Ce serait un danger formidable pour le capitalisme. Mais cela n’arrive pas, pas plus qu’une révolte générale des médecins contre ce qui nuit à la santé dans le mode de vie propre au capitalisme. En fait, si on vivait dans un monde rationnel, même les policiers devraient devenir fondamentalement de Gauche et dire que le capitalisme laisse sciemment vivre les mafias.

Seul le prolétariat peut cependant porter cette dimension universelle, et malheureusement pour l’instant il est très loin d’avoir un haut niveau intellectuel et technique, même si en fait c’est déjà en partie le cas de par son expérience, de par sa réalité. C’est le nivellement par en bas qui le gangrène, le capitalisme l’entraîne dans sa chute, ce qui est normal, car le prolétariat appartient au capitalisme dans sa nature même. C’est ce qu’il porte en lui qui est intéressant et cela ne ressort pas encore de manière authentique, parce que le mauvais côté l’emporte.

Dans tous les moments historiques où le prolétariat a pris les choses en main, il a combattu pour élever son niveau de conscience, d’organisation ; ses comportements et attitudes étaient entièrement différents de ce qu’il fait en ce moment en France. Aujourd’hui, il dort encore, mais hier il s’organisait de manière très solide, tout à fait consciente, après la tentative de coup d’État de février 1934. Il en va de même pour la période 1943-1947, un moment très important de confrontation avec les couches dominantes.

Les mois de mai et juin 1968 ont également été marqués par un degré d’organisation relativement important. Cela n’a rien à voir avec des marches syndicales où des cortèges traînent leurs savates avec des slogans fatigués et une morale usée, avec à l’arrivée l’odeur de graillon des merguez et alors qu’il a déjà été trinqué. Les prolétaires ne sont eux-mêmes que lorsqu’ils sont carrés ; toute autre attitude n’est qu’une dégradation, le fruit d’un nivellement par le bas.

Il va falloir qu’ils s’arrachent, qu’intellectuellement ils se lancent dans un travail de grande envergure, que sur le plan pratique ils se déconnectent de comportements beaufs. Quiconque ne souligne pas cela n’est qu’un vain populiste, qui se rabaisse au niveau des gilets jaunes.

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Politique

Benoît Hamon : les gilets jaunes comme « Printemps arabe »

Dans une interview au journal Le Monde, Benoît Hamon pose enfin une vision claire de comment il voit les choses. Le mouvement des gilets jaunes lui a évidemment forcé la main.

Benoît Hamon

Benoît Hamon, qui a fondé Génération-s afin de donner un nouvel élan à la Gauche, se retrouve dans une situation difficile de par la faiblesse de celle-ci, la faiblesse de son mouvement, l’émergence d’un concurrent direct (Place publique) et encore plus avec les ambiguïtés (au minimum) et l’ampleur d’un mouvement comme les gilets jaunes.

Il a tenu jeudi dernier un meeting à Paris, qui a été présenté comme un succès avec tout au plus 2 000 personnes, afin de se lancer en prévision des élections européennes. Dans le même temps, c’est part une longue interview au Monde qu’il a exposé quelques traits généraux de son orientation.

Enfin, pourrait-on dire, tellement Benoît Hamon oscillait entre un discours assez dur avec un retour aux sources, utilisant parfois même le terme de bourgeoisie, et une démarche ouvertement postmoderne, postindustrielle, avec des appels incessants à soutenir les migrants.

Aujourd’hui, une telle oscillation n’est plus possible. S’il était très prudent en effet auparavant, ne voulant se fermer aucune option, Benoît Hamon n’est plus en mesure de tergiverser. Il faut poser les choses.

Au Monde, Benoît Hamon ose donc enfin. Cela donne les choses suivantes. Il y a déjà les gilets jaunes : « cela marque le réveil du peuple français », c’est une « convulsion profonde de la société française ».

S’il dit qu’on ne sait pas si cela donnera plus de libertés ou un régime autoritaire, il évacue de la manière suivante la nature des gilets jaunes, au nom de ce qu’on peut appeler le « mouvementisme » :

« Ce qui me fascine, c’est la tétanie et la peur d’une grande partie des élites politiques par rapport à ce mouvement social.

Certains y voient de l’égoïsme, des gens qui préfèrent leur plein de diesel à l’avenir de leurs enfants. D’autres ne voient que les groupuscules fascistes ou insurrectionnels ; d’autres encore, que les racistes et antidémocratiques. Cela existe. Mais ce qui réunit les 80 % de Français qui soutiennent ce mouvement, c’est la volonté de transformer une société inégalitaire qui a perdu le sens de l’intérêt général et de la justice sociale (…).

Peu importe l’étincelle qui déclenche le mouvement actuel, il a un double moteur qui parle à tous les Français : les inégalités et le sentiment d’être pris pour quantité négligeable. A certains égards, ce mouvement qui mêle demandes sociales et démocratiques, ressemble aux « printemps arabes ». »

C’est là assez opportuniste, dans la mesure où Benoît Hamon se détourne de se confronter à la réalité en tant que telle des gilets jaunes. La référence aux « printemps arabes » est qui plus est extrêmement floue, puisque ceux-ci ont eu des formes difficilement saisissables, sans parler du rôle essentiel du média Al Jazira et des Frères Musulmans.

Mais, de manière intéressante sur le plan des idées, d’autres font pareillement référence aux « printemps arabes » au sujet des gilets jaunes, précisément dans toute la sphère intellectuelle voyant les choses en termes de « société postindustrielle ». Il s’agit des intellectuels s’inspirant de « l’autonomie italienne » et appréciant la « spontanéité » des mouvements sociaux « postindustriels ».

On est là dans la croyance. Il y aurait une sorte de mouvement flottant au-dessus des classes et surtout de l’État – qui transporterait une force citoyenne établissant des rapports sociaux meilleurs. Cette conception est très exactement celle de Michel Foucault, qui l’a très longuement exposé dans son analyse très positive de la révolution iranienne.

Faut-il ici y voir une sorte de romantisme orientaliste ? En tout cas, on a la même perspective postindustrielle d’une révolution qui serait une sorte de révolte de la société contre l’État.

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Politique

Un discours d’Emmanuel Macron qui converge avec la montée du refus de la démocratie

Emmanuel Macron n’a pas compris le sens des gilets jaunes et propose des mesures sociales, accompagnées de propositions pour renouveler la gestion de l’État. C’est une démolition par en haut des principes démocratiques, les gilets jaunes agissant par en bas pour les détruire également. Cela forme un boulevard pour la démagogie fasciste.

 

Le discours « à la nation » d’Emmanuel Macron en réponse au mouvement des gilets jaunes a été d’une faiblesse ahurissante. On a immédiatement vu le fossé qui sépare quelqu’un comme lui, ou Nicolas Sarkozy, François Hollande, des véritables ténors politiques du passé comme François Mitterrand, Georges Pompidou ou Valéry Giscard d’Estaing.

Ses mesures sont de véritables recettes de cuisine sociale, consistant en des annonces censées étouffer les motivations sociales (annulation de la CSG pour les retraités gagnant moins de 2000 euros par mois, suppression des impôts et charges pour les heures supplémentaires dès 2019, augmentation du Smic de 100 euros par mois en 2019).

Il passe complètement à côté de la nature de la révolte des gilets jaunes, dont le noyau dur consiste en une petite-bourgeoisie prise de rage par les déséquilibres du capitalisme. Ce qu’elle veut ne peut pas être défini, conceptualisé, et donc a fortiori on ne peut y répondre autrement que par l’apparence de modifications du régime lui-même, au minimum.

Tout va donc encore plus rapidement qu’on ne pouvait le craindre. Emmanuel Macron a asphyxié Marine Le Pen lors de l’élection Présidentielle, ce qui était autant de temps de gagné, mais là on se retrouve déjà dans la période d’après, où son positionnement libéral se confronte à une immense secousse populiste.

Il est évident que c’est là non seulement le résultat d’une question française, mais aussi le produit de toute une situation internationale marquée par le Brexit, la victoire de Donald Trump et de Jair Bolsonaro, l’arrivée de l’extrême-droite au gouvernement en Autriche et en Italie, la montée de l’AFD en Allemagne, la poussée expansionniste de la Russie et son soutien aux courants ultra-nationalistes en Europe occidentale.

La machine capitaliste s’emballe et la Gauche est inexistante pour mobiliser et encadrer. Pire encore, la révolte se développe désormais de manière populiste, de manière soi-disant apolitique, donc nécessairement portée par des populistes, des cadres d’extrême-droite, des gens qui récusent le débat intellectuel et les questions démocratiques et ne raisonnent qu’en termes de référendum, de corporatisme « par en bas ».

C’est l’effondrement de la démocratie « à l’ancienne » et il y a désormais convergence avec ce qu’Emmanuel Macron représente justement : une « modernisation » servant de tremplin à la liquidation de la démocratie « à l’ancienne ».

Dans son discours, Emmanuel Macron a d’ailleurs souligné l’importance que des gens sans-partis soient présents dans les débats, que l’État cesse sa gestion « trop centralisée » car « depuis Paris », etc. C’est une contribution directe à la tendance à la négation de la démocratie comme principe général.

Il ne s’agit pas de dire qu’auparavant on était en démocratie, mais qu’il y avait au moins l’apparence de l’exigence de celle-ci. Là on est dans sa liquidation, par en bas et par en haut. Les couches supérieures de la société sont dans une gestion technocratique et avec les gilets jaune on a le vecteur direct des exigences du fascisme comme mouvement romantique en bas.

Comment dans un tel contexte la Gauche peut-elle exiger la raison, la réflexion, des principes, une discipline de parti autour d’un programme ? Il va de soi que cela va demander un vrai travail de fond, de la part des gens conscients que le mouvement ouvrier est social et démocrate, que le socialisme qu’on doit exiger s’appuie sur une forme d’organisation rationnelle, réfléchie, avec des principes bien déterminés.

Quiconque fantasme sur les gilets jaunes doit bien voir qu’en quatre semaines, il n’est jamais allé dans le sens des grèves, des assemblée générales, de la formation de conseils populaires. C’est pourtant le critère de base pour juger la nature démocratique, au sens révolutionnaire, d’un mouvement.

Il faut bien être conscient qu’en n’étant pas capable de canaliser les gilets jaunes comme révolte des « classes moyennes », Emmanuel Macron et le régime laissent le champ libre au fascisme comme mouvement romantique par en bas.

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Politique

Les points de vue de la Gauche sur les gilets jaunes

La Gauche a réagi de manière assez différente quant aux gilets jaunes, mais toujours autour de deux pôles. Selon la proximité pratique avec Jean-Luc Mélenchon, on est dans une lecture très positive, ou bien au contraire dans une appréhension très grande du tournant que risque de prendre les choses.

Gilets jaunes

Voici une liste de liens concernant la Gauche prise au sens le plus large, certainement en manquent-ils par ailleurs. On a cependant une représentativité assez grande d’une Gauche qui est somme toute divisée en deux camps.

Le premier camp a de manière très nette La France Insoumise comme centre de gravité. S’il est plus ou moins critique des gilets jaunes, il est en tout cas résolument optimiste quant au fait que cela va aller dans le sens d’une crise de régime, en penchant à gauche de la gauche.

C’est, si l’on veut, la Gauche qui se définit par les mouvements sociaux, les manifestations, les militants. On y retrouve notamment les courants liés au trotskysme ou à la gauche du PCF, dans l’idée de « déborder », d’aller plus loin, de provoquer la crise, etc.

Le second camp est nettement plus circonspect. Il voit en les gilets jaunes un noyau dur lié aux indépendant, artisans, commerçants, professions libérales, petits patrons, etc. Il a une grande méfiance quant aux mentalités des gilets jaunes et surtout quant à leur ouverture d’esprit éventuelle aux discours de la gauche « sérieuse », de la gauche des valeurs, de la gauche « programmatique ». Il appréhende de manière franche un puissant coup de barre à droite.

C’est, si l’on veut, la Gauche qui se définit par les écrits théoriques, les traditions politiques, les cadres. Et cela, quel que soit l’arrière-plan (communistes conseillistes du CCI, communistes maoïstes du PCF(MLM), groupes de la Fédération anarchiste, etc.).

Un troisième camp, mais il n’existe pas en tant que tel, oscillant entre les deux camps, est composé de ceux pour qui tout va trop vite. Le Parti socialiste ne publie qu’un communiqué sut twitter, d’autres ne disent rien du tout malgré tout un fond activiste (CNT, CNT – SO, CGA, CPS), les courants liés à « l’autonomie italienne » disent tout et son contraire (Lundi.am, agitation autonome, etc.).

Cette description sommaire ne peut bien entendu pas effacer les différences d’approches, de considérations des uns et des autres, ni même la liste prétendre à l’exhaustivité.

Alternative libertaire
Gilets jaunes : Qui sème la misère récolte la colère

APRÉS + MRC
« Gilets Jaunes : il y a urgence à agir »

Confédération Nationale du Travail – AIT
De l’écologisme et de sa contestation

Coordination Communiste 59/62
Gilets jaunes, gilets rouges: Unité dans la lutte contre la vie chère!

Courant communiste révolutionnaire du NPA
Gilets Jaunes. Quand les masses entrent en action

Europe écologie les verts
Discours de David Cormand au Conseil fédéral

Fédération anarchiste- Collectif Athéné Nyctalope
Le choix dangereux du confusionnisme. Soutenir les « gilets jaunes » c’est soutenir un mouvement de droite

Génération.s
Communiqué de presse de Benoît Hamon

Génération Écologie
Communiqué de presse

Groupe marxiste internationaliste
À bas Macron ! Manifestation nationale unie à l’Élysée !

La Commune – pour un parti des travailleurs
Soutien inconditionnel aux gilets jaunes

La France Insoumise « Fédérer »
édito de Matthias Tavel

La Riposte
Gilets Jaunes : une révolte à comprendre et à soutenir !

Lundi.am
Gilets jaunes : la classe moyenne peut-elle être révolutionnaire ?
Prochaine station : destitution

Lutte Ouvrière
Se dresser contre Macron… et contre ses maîtres capitalistes

NPA
Gilets jaunes : les enjeux d’une mobilisation populaire

NPA Jeunes
La colère éclate, ne restons pas sur le bord de la route !

Organisation Communiste Libertaire
Réflexions sur le mouvement des gilets jaunes

Organisation Communiste Marxiste-Léniniste Voie Prolétarienne
Que penser du mouvement des gilets jaunes ?

Parti Communiste Français
Pouvoir d’achat : Fabien Roussel s’adresse au Président de la République

Parti Communiste de France (marxiste-léniniste-maoïste)
La petite-bourgeoisie et la crise générale du capitalisme

Parti Communiste International (Gauche Communiste)
La France des Gilets Jaunes, une nouvelle impasse pour le prolétariat français

Parti Communiste International (Le Prolétaire)
«Gilets Jaunes» : L’interclassisme est contraire aux intérêts des prolétaires

Parti Communiste Révolutionnaire de France
Tous ensemble contre la politique de Macron, l’homme du capital financier !

Parti Communiste des Ouvriers de France
Mettre les exigences ouvrières et populaires au centre de nos mobilisations !

Parti Ouvrier Indépendant
Une colère légitime contre Macron

Parti révolutionnaire Communistes
Gilets jaunes

Parti socialiste
L’appel des socialistes avec Olivier Faure pour sortir le pays du blocage où l’a conduit le gouvernement

Place Publique
Gilets jaunes et pétro-impasse

Pôle de Renaissance Communiste en France
Seul le peuple est légitime : MACRON DEMISSION ! Appel Pétition #giletsjaunes

Révolution Internationale, Section du Courant Communiste International
Mouvement des « gilets jaunes » : contre les attaques de la bourgeoisie, le prolétariat doit riposter de façon autonome, sur son propre terrain de classe !

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Politique

Les Gilets jaunes ou l’absence de surface de la Gauche

La mobilisation des Gilets jaunes reflète la non-existence d’une base militante à Gauche. Il n’y a tout simplement plus de surface sociale et culturelle qui fasse écho à la Gauche politique ; tout au plus y a-t-il des réseaux syndicaux.

gilets jaunes

La Gauche est née comme mouvement ouvrier, c’est-à-dire comme mouvement politique se fondant sur les ouvriers et leurs intérêts, prenant le travail salarié comme base de son identité.

C’est le cas en France aussi, mais il est un mal qui a commencé dès le départ et qui a persisté : l’absence de surface. Le mouvement ouvrier a été d’une taille immense en Allemagne, en Angleterre, dans le Nord de l’Europe et à l’Est, voire même au Sud. Mais en France, il a toujours été minoritaire.

Les socialistes des années 1910 étaient insignifiants numériquement (mais pas du tout électoralement), la CGT était minoritaire. Il en va de même pour les socialistes et les communistes des années 1920 et s’il n’y avait eu le Front populaire, puis la Résistance, il en aurait été de même. Même mai 1968 n’a pas apporté de flux massif.

Aujourd’hui, les gains du Front populaire et de la Résistance – le PCF est le premier parti de France après la guerre – se sont évaporés. Il n’y a plus de regroupements socialistes et communistes dans les usines et les entreprises, il n’y a plus systématiquement de groupes locaux actifs et ancrés dans la population, il n’y a plus de base sympathisante relativement volontaire, il n’y a pareillement plus de syndicat étudiant de masse et militant dans les universités.

L’existence des Gilets jaunes témoignent de cette absence de surface. D’abord, parce que leur populisme montre bien que sur le plan des idées, les Français sont arriérés et bon pour le fascisme s’ils continuent comme cela. Fonctionner à coups de raccourcis et sur le mode du coup de gueule, dans le rejet de toute réflexion politique et de perspective à moyen terme, sans parler de la question d’envergure, ce n’est juste pas possible.

Politiquement, les Gilets jaunes, c’est Donald Trump sans les millions.

Et à l’inverse, les Gilets jaunes expriment aussi la libération d’une lutte sociale des carcans d’une Gauche qui a trahi la lutte sociale au nom du ministérialisme. Les Gilets jaunes sont le prix populaire à payer pour les trahisons institutionnelles de la base populaire.

Socialement, les Gilets jaunes, c’est la revanche sociale anarchiste sur les ministres.

Nous voilà donc ramenés, en quelque sorte, à la fin du 19e siècle, à un moment où la Gauche n’existe pas, est d’une faiblesse inouïe, dispersée et incohérente. N’existe alors que des ministres progressistes élus sur une base de modernité laïque, et des courants anarchistes anti-ministérialistes, comme les syndicalistes et les bombistes (comme Ravachol, Emile Henry, etc.).

Aujourd’hui, on a à peu près pareil, avec d’un côté les ministres progressistes d’Emmanuel Macron présentant la modernité turbo-capitaliste comme le progrès, de l’autre des syndicalistes jouant la carte du forcing (comme avec les cheminots) et une frange anarchiste surfant sur l’esprit zadiste.

Mais il n’y a pas de Gauche politique, il n’y a pas de surface de la Gauche. Il y a des débris passant qui dans le camp postindustriel, qui dans le camp de l’Union Européenne, mais jamais dans celui de la classe ouvrière et de l’histoire du mouvement ouvrier.

Car il ne s’agit pas de reconstituer la Gauche d’il y a peu, ce n’est pas possible : il faut comprendre pourquoi à la base même – et la réponse est dans la prédominance des syndicats, leur indépendance – la Gauche politique n’a pas été capable en France d’avoir un véritable niveau idéologique et un véritable ancrage populaire dans tout le pays.

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Les Gilets Jaunes, aussi une réaffirmation de la centralité ouvrière

Si le mouvement des gilets jaunes a été déterminé par les artisans, commerçants indépendants, etc., il a charrié avec lui une vraie vigueur ouvrière. Cela correspond à toute une réaffirmation historique, replaçant la classe ouvrière comme élément central de toute orientation conséquente.

Gilets jaunes

Les Gilets Jaunes sont l’expression de la contradiction ville-campagne. C’est une crise objective du mode de vie de la population vivant et travaillant en dehors des grandes villes. En ce sens, si le mouvement est largement dirigé socialement et idéologiquement par la petite-bourgeoisie, notamment les commerçants, artisans, indépendants, etc., il est indéniable qu’une partie de la classe ouvrière a été absorbée dans la dynamique.

La naissance de la gauche moderne s’est faite avec la formation du mouvement ouvrier. À partir de 1789-1793, les courants de gauche puisent leur dynamique dans la mobilisation des classes populaires et c’est au XIXe siècle que la classe ouvrière, délimitée par un mode de vie précis, devient centrale pour la Gauche.

Des années 1930 aux années 1970, la classe ouvrière se trouvent à l’avant-poste de la contestation sociale et politique. La SFIC et la CGT-U (puis CGT) parviennent à organiser les parties les plus avancées de la classe dans des interventions historiques déterminantes.

Sans les ouvriers organisés, pas de conquêtes sociales en 1936. Sans les ouvriers organisés, pas de résistance armée en 1942-1944. Sans les ouvriers organisés, pas de lutte anti-coloniale dans les années 1950. Sans les ouvriers organisés, pas d’offensive réelle dans les années 1970.

En bref, la classe ouvrière est depuis l’avènement du capitalisme, la classe motrice de l’Histoire. Ce n’est pas une vue gauchiste de l’esprit mais un fait historique. Ce réalisme politique était tellement acquis dans les années 1968 que ce ne sont pas moins de 3 000 militants révolutionnaires d’extraction non ouvrière qui ont effectué une rupture sociale pour s’établir en « zone ouvrière ».

Mais cet acquis majeur de la Gauche depuis le XIXe siècle a toujours plus reflué à partir des années 1980. En cause, notamment, l’enfermement dans une logique syndicale des militants « établis » broyés sous le poids de la restructuration sociale et le grand lessivage idéologique des années Mitterrand.

Il s’en est suivi une grande période où la classe ouvrière fut qualifiée de « dépassée », voire au pire « morte ». La lutte des classes a bien évidemment continué, mais la Gauche, toujours plus aliénée dans les milieux universitaires et intellectuels des grandes villes, s’est séparé de la classe ouvrière. La stratégique « centralité ouvrière » a été jeté par dessus bords.

Cette transformation politique et idéologique explique d’ailleurs pourquoi l’extrême-gauche a loupé la grande rébellion de novembre 2005. Justement, cette grande rébellion a failli, entre autres, à cause de l’absence d’unité organique de la classe ouvrière et unifier le peuple c’est le rôle historique de la Gauche.

Avec ce mouvement des gilets jaunes, la Gauche se retrouve face à ses propres errements politiques et idéologiques depuis 30 ans. Elle s’aperçoit que la classe ouvrière existe toujours, mais elle la retrouve largement façonnée par le dernier cycle d’accumulation capitaliste, celui de l’industrialisation des campagnes, de la flexibilité sociale, de la production à flux-tendu avec ses zones industrielles éclatées, de l’accès des ouvriers à la propriété individuelle, etc.

C’est une classe ouvrière enfermée dans le rêve pavillonnaire, individualisée par la voiture et le supermarché, désabusée par l’ennui culturel des zones rurbaines. Le rond-point devient la cristallisation du mouvement, lieu représentatif du cycle capitaliste basé sur la centralité de la logistique routière, du flux-tendu. C’est une classe qui n’est plus dans la banlieue très proche, mais est concentrée dans la misère pavillonnaire à plusieurs dizaines de kilomètres de la ville.

En ce sens, et ce sens seulement, les gilets jaunes comportement un aspect positif. C’est le fait que les ouvriers se remettent au centre du processus politique mais non pas de manière passive comme vivier électoral (comme avec Sarkozy et son « travailler plus ») mais comme acteur collectif dans l’histoire.

Ce « retour » de la centralité ouvrière intervient toutefois dans un moment où il est « trop tard » pour que la Gauche puisse intervenir de manière constructive dans le mouvement.

Elle paye le prix de son éloignement social, spatial, et idéologique et faire une « auto-critique » ne peut se faire par un rattachement hâtif et opportuniste dans le mouvement.
Cette auto-critique, elle devait avoir lieu en novembre 2005, là où la jeunesse ouvrière de tout le pays s’est insurgée contre l’ordre établi mais s’est retrouvée isolée des zones pavillonnaires.

Or, entre novembre 2005 et novembre 2018, c’est une décennie d’inlassable montée du fascisme à laquelle nous avons assisté. C’est l’essor de la propagande de l’Internet avec l’extrême-droite qui a saisi le coche culturel lorsque l’extrême-gauche, par romantisme absurde, l’a rejeté au nom de la « vie réelle ». C’est la décennie de la « fachosphère ».

Pourtant la révolte des gilets Jaunes aurait dû être une étape nouvelle et supérieure de la rébellion de novembre 2005. La « centralité ouvrière » des années 1960-1970, principe essentiellement gauchiste, se retrouve dans les années 2010 sous hégémonie fasciste. Les gilets jaunes démontrent sans faille la mise en branle spontanée des masses populaires et rappellent à la Gauche ce qu’elle avait largement oublié : l’histoire est faite par les grandes forces populaires.

Il n’empêche pas que cela doit alerter les forces progressistes sincères de l’impasse de la gauche postmoderne, dépendante de la petite-bourgeoisie culturelle des grandes villes, tout autant que de l’absurdité du syndicalisme. La classe ouvrière montre ici qu’elle conserve une mémoire de classe comme en atteste les référence (erronées) à Mai 68 alors qu’il a été souvent dit que la mémoire ouvrière n’existait pas à propos de ce mouvement.

L’avenir appartient à la Gauche qui saisit cette centralité ouvrière dans toutes ses dimensions car l’hégémonie fasciste qui actuellement bloque tout n’est qu’un détour temporaire dans la bataille inéluctable pour le Socialisme.

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La filiation des gilets jaunes avec l’antiparlementarisme

Quand on regarde de près le mouvement des gilets jaunes, il y a des paradoxes qui sautent aux yeux. Le mouvement avance sur terrain éminemment politique mais se déclare en dehors des clivages politiques. Il refuse toute forme de représentation intermédiaire mais est pourtant dirigé par les couches sociales intermédiaires, les fameuses « classes moyennes ». Il s’affirme pour la révolution mais est enfermé dans les limites du mode de vie actuel.

Cette expression paradoxale des gilets jaunes tient à sa nature sociale et idéologique dans un contexte historique particulier. Toute personne de gauche sait bien que lors des périodes tumultueuses comme la nôtre, ce qu’il est convenu de nommer « fascisme » est toujours en embuscade pour parasiter toute expression autonome des luttes de classe.

En tant que projet de « Révolution nationale », le fascisme en France comporte plusieurs dynamiques idéologiques. De part son expérience historique, on retient souvent le racisme, l’antisémitisme ou l’exaltation nationaliste. On oublie pourtant un autre aspect central du fascisme, qui lui a d’ailleurs permis d’acquérir une dimension populaire de masse : l’antiparlementarisme.

Que ce soit le boulangisme, les ligues factieuses ou bien le poujadisme, tous ces mouvements d’extrême-droite ont développé une rhétorique et une vision du monde antiparlementaire. Le parlement serait ainsi la cause de tous les maux sociaux, avec ses députés qui se « gavent » sur le « dos du peuple » et s’égosillent dans des débats interminables et bien trop détachés de la vie concrète. Cet antiparlementarisme tient à la nature démagogique de mouvements dont les porte-paroles sont souvent issus des secteurs économiques de la petite-bourgeoisie des zones populaires.

Effrayée par le « déclassement », c’est-à-dire la prolétarisation, et donc relativement attirée par la condition de vie bourgeoise, la petite-bourgeoisie de ces zones développe une idéologie conforme à sa condition sociale. C’est une « idéologie anti-idéologie » qui refuse tout positionnement stable. L’idéologie intermédiaire est donc orientée contre toute forme de représentation et la source du malheur n’est pas la bourgeoisie propriétaire des moyens de production, mais le Parlement, les élus, les « voleurs » contre lesquels il faut opposer le peuple avec son « bon sens » et son « honnêteté ».

En ce sens, il est peu étonnant de voir circuler dans les groupes Facebook de gilets jaunes une vidéo de TV Libertés (média d’extrême droite) qui valorise la réussite individuelle dans l’entrepreneuriat contre la réussite scolaire avec le diplôme (symbole du parvenu politicien, du « politichien »). C’est typiquement l’idéologie de l’ancien ouvrier devenu petit indépendant : le pays contre la « farce politicienne », celui qui produit concrètement contre les agitateurs d’idées en dehors de la vie « réelle ».

Lorsqu’on voit la nature des gilets jaunes, on ne peut que penser à cette filiation avec ce courant particulier du fascisme. Largement dirigé par des auto-entrepreneurs et des artisans, les gilets jaunes s’inscrivent dans cette continuité antiparlementaire, à la suite du boulangisme, des ligues factieuses et du poujadisme. Il est d’ailleurs peu étonnant que c’est surtout dans les zones périurbaines et rurales que le mouvement puise sa force puisque c’est là que cette couche sociale intermédiaire, au plus proche du quotidien ouvrier, peut générer un mouvement populaire massif ; son ancrage dans les grandes villes la rapprochant bien trop de la bourgeoisie en tant que telle.

À  ce titre, Pierre Poujade était lui-même un petit libraire issu d’une petite ville du Lot, Saint-Ceré. De la même manière que les gilets jaunes, il proclamait déjà la « défaillance » du parlement et la convocation d’ « États généraux », vu comme une nouvelle forme républicaine. Le journal poujadiste Fraternité française disait « lorsque la patrie est en danger… il n’y a plus de politique, il ne doit rester que des citoyens » et demandait ainsi de baisser le nombre de députés, de supprimer l’indemnité parlementaire, de sanctionner sévèrement l’abstention, etc.

Le problème est que les gilets jaunes se heurtent à leur propre paradoxe, celui de l’organisation cohérente de leurs revendications et de leur représentation, comme le prouve les débats houleux sur les représentants à choisir. En ce sens, la composition ouvrière des gilets jaunes en dit long sur l’incapacité de la classe ouvrière à imposer une idéologie stable et conforme à ses intérêts de classe.

Si les gilets jaunes étaient sous hégémonie de la Gauche ouvrière, avec toute l’héritage historique qu’il comporte, il n’y aurait pas la diffusion d’un antiparlementarisme stérile. Il y aurait le développement d’une dynamique organisée autour de la formation de comités populaires qui éliraient de manière démocratique des délégués révocables. Car la Gauche, dans ses traditions socialistes et communistes, a toujours été claire : l’action parlementaire, légale, doit exister mais être subordonnée à l’agitation extra-parlementaire, extra-légale.

C’est là la grande différence entre un mouvement populaire extraparlementaire et un mouvement populiste antiparlementaire, l’un n’étant que le miroir négatif de l’autre. C’est le prix à payer pour toute une Gauche qui a renoncé à son héritage tout autant qu’à une extrême-gauche qui s’est enfermée dans l’anarchisme velléitaire.