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Fiasco de la « grève nationale » de la CGT du 5 février 2019

Malgré le fol espoir en les gilets jaunes, la « grève nationale » n’aura finalement concerné qu’entre 137 000 et et 300 000 manifestants, principalement issus du secteur public et sans aucun impact sur l’économie. La prochaine initiative du même type étant pour la mi-mars, on voit aisément que le fiasco est reconnu par la CGT elle-même, au-delà des discours triomphaux usuels.

Hier a eu lieu la « grève nationale » organisée par la CGT : il faut mettre des guillemets, car comme c’est la règle, les travailleurs du secteur privé ne sont pas de la partie. Il ne faut jamais oublier cet aspect essentiel : les discours sur les travailleurs ne sont pas les discours des travailleurs ; ceux-ci ne sont engagés dans leur écrasante majorité ni dans les grèves, ni dans les cortèges, ni dans les syndicats, ni dans les partis de Gauche.

Et, comme on le sait, ce qui est d’autant plus grave, l’extrême-droite a un écho très fort chez eux. Il faut donc enfin du réalisme quand on parle de tout cela, il faut cesser toute auto-intoxication. Car il y a auto-intoxication : de la part des syndicats en général, mais surtout de la CGT, de l’ultra-gauche, des populistes. Leur idée est pratiquement de raconter comme quoi il y aurait quelque chose qui se passe, afin qu’il se passe quelque chose, comme une sorte de prophétie autoréalisatrice, ou plus précisément de mythe mobilisateur.

C’est donc du théâtre, avec peu d’impact. La grève n’a en rien touché l’économie, ni paralysé quoi que ce soit. 5% seulement des enseignants étaient en grève, alors que la RATP n’a à Paris pas connu de perturbations. Le nombre de manifestants est restreint et traditionnel, ce qui contredit la thèse selon laquelle les gilets jaunes auraient révolutionné la France. Il y a eu environ 25 000 personnes à Paris, 10 000 à Toulouse, 6000 au Havre, 5 000 à Marseille, 4 000 à Lyon, 2000 à Caen, Lille et Clermont-Ferrand, 1500 à Strasbourg et à Nîmes, 1000 à Tours, 800 à Beauvais, 500 à Rennes, 400 à Amiens, etc.

Cela ne pèse pas lourd, cela n’apporte rien de nouveau, mais pour correspondre à cet esprit théâtral, le dirigeant Philippe Martinez a affirmé :

« Aujourd’hui c’est un succès qui en appelle d’autres. »

La preuve qu’il ment et qu’il le sait, est que la CGT a appelé à une nouvelle mobilisation… pour la mi-mars. Comme on bat le fer quand il est chaud, autant dire que rien n’est un chaud et que c’est plutôt un fiasco. L’appel pour la mi-mars est là pour sauver la face d’un syndicalisme CGT qui va de défaite en défaite.

Et pourtant, outre le soutien ouvert (et vraiment très forcé dans le ton) aux gilets jaunes, la CGT avait fourni une liste de revendications tapant le plus large possible, au point que le dirigeant de la CFDT, Laurent Berger, l’a qualifié de « liste à la Prévert ». Les voici et on peut facilement voir que c’est une sorte de très vaste et très réformiste dénominateur commun à toute la Gauche :

• une augmentation du Smic de 20% (1800 euros brut), du point d’indice, de tous les salaires et pensions ainsi que des minima sociaux ;
• l’égalité salariale entre les femmes et les hommes ;
• une réforme de la fiscalité par un impôt sur le revenu plus progressif et une TVA allégée sur les produits de première nécessité, le rétablissement de l’ISF et une imposition plus forte des plus hauts revenus et de la détention de capital ;
• le contrôle et la conditionnalité des aides publiques aux grandes entreprises ;
• le développement des services publics ;
• le respect des libertés publiques, tel que le droit de manifester remis en cause par le gouvernement ;
• le renforcement des droits et garanties collectives, des droits au chômage, de la sécurité sociale, notamment de la retraite ;
• une transition écologique juste et solidaire.

Il n’est d’ailleurs pas difficile de voir qu’au sens strict, ces revendications ne relèvent pas du syndicalisme, qui se veut une lutte d’entreprises, de secteurs professionnels. Ici, on a des propositions de type social, des exigences de réformes économiques, qui relèvent de la politique. Quand la CGT parle par exemple du développement des secteurs publics ou de transition écologique juste et solidaire, elle dépasse largement le cadre des revendications directement syndicales. D’un côté, tant mieux ! Mais tout d’abord c’est trop tard, et ensuite c’est traditionnel avant des élections et on a ainsi, à très grands traits, le programme de La France Insoumise et du PCF.

On sait cependant que la CGT est liée au PCF et La France Insoumise a pour cette raison été obligée de la jouer subtil, et même très subtil. On a ainsi vu réapparaître… le Parti de Gauche, disparu totalement des radars depuis que la « marque » La France Insoumise est devenue la norme. L’occasion a été celui d’un communiqué commun paru la veille de la grève dans la revue de gauche Politis, signé également par certaines structures à la même volonté de profiter des gilets jaunes (Groupe parlementaire France Insoumise, Génération.s, Nouveau parti anticapitaliste, Ensemble, Gauche républicaine et socialiste, Fondation Copernic, Alternative libertaire, Solidaires, Sud PTT, Gauche démocratique et sociale, ATTAC, Union départementale CGT 75, Parti ouvrier indépendant…).

On y lit que :

« Pour la première fois depuis le début de la mobilisation, les gilets jaunes ont décidé de se joindre à une grève annoncée par les syndicats le 5 février 2019.

Nous voyons dans cette convergence une possibilité de victoire sociale majeure, en permettant un mouvement d’ensemble durable et reconductible incluant l’ensemble des salarié-es, la population des quartiers populaires et la jeunesse. Nous souhaitons que la grève et les manifestations soient les plus massives possible afin de faire aboutir ces revendications légitimes. C’est pourquoi nous apportons tout notre soutien à cette date. »

Mouvement d’ensemble ? Victoire sociale majeure ? Union des salariés, des quartiers populaires et de la jeunesse ? On est ici dans une fiction complète.

Il faut voir la réalité en face. Toutes les valeurs de la Gauche sont démantelées, l’agitation sociale a une expression patriotique exacerbée, l’extrême-droite a un socle électoral populaire et même ouvrier, l’antisémitisme a contaminé des pans entiers de la société, la fachosphère pullule d’activités depuis des années, l’extrême-gauche est devenue une ultra-gauche post-moderne, le rempli nationaliste est une tendance de fond à l’échelle internationale.

Nous sommes en train d’assister à un véritable suicide politique, alors que l’ombre du Fascisme s’avance sur la France.

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L’inévitable prochaine montée de l’antisémitisme

L’antisémitisme, cette infamie, est profondément enraciné dans la société française. Après les gilets jaunes, il connaîtra une inévitable progression, tant quantitative que qualitative. Et autant par la droite que par une « gauche » coupée de la Gauche historique.

Manifestation pro palestinienne à Sarcelles, juillet 2014

L’antisémitisme ne s’est pas exprimé, à part de manière extrêmement marginale, lors des gilets jaunes. C’est logique : l’antisémitisme sert historiquement de paratonnerre, de fiction anticapitaliste. Quand la crise l’emporte malgré tout, cette fiction perd son sens. La dimension sociale réelle l’emporte. Mais comme rien ne sortira des gilets jaunes, l’antisémitisme reprendra forcément sa fonction. Et avec la crise sociale approfondie, il réapparaîtra de manière bien plus renforcée.

Il y a ici quelque chose de fondamentalement mécanique. L’antisémitisme est consubstantiel aux pays marqués par une idéologie religieuse chrétienne où le moyen âge a fait de certains Juifs des banquiers, le prêt à intérêt étant interdit entre coreligionnaires. L’antisémitisme médiéval s’est maintenu par la suite, notamment dans tout le milieu monarchiste, avec son anticapitalisme romantique idéalisant le moyen âge. Et il s’est modernisé, devenant le leitmotiv de tous les communautarismes, religieux comme nationaliste ou « anticapitaliste ».

La situation en France va donc être mauvaise, elle aurait pu pourtant être bonne si la loi Gayssot avait été appliquée. Mais l’État a laissé faire tous les foyers d’antisémitisme, avec leur propagande, leurs innombrables publications, leurs activités culturelles et politiques. Que Dieudonné ne soit pas en prison est une absurdité historique, et il en va de même pour Alain Soral. Cela montre bien que l’État est dans les mains de gens non pas incapables, mais totalement vendus aux couches dominantes, qui se désintéressent de tout ce qui n’est pas eux.

Ce qui est malheureux, avec cet antisémitisme, c’est que les Juifs réagissent, là aussi c’est mécanique, en se repliant sur eux-mêmes. Le sionisme ne prend pas : au-delà d’une sympathie certaine pour Israël, il n’y a aucune vague de départ réelle et les Juifs se sentent dans notre pays français avant tout. Même ceux qui partent sont considérés par les Israéliens irrémédiablement français dans leur style, leur culture, leur attitude.

Cependant, il y a un repli communautaire avec la religion servant de romantisme. Les prénoms donnés ne sont souvent plus des prénoms juifs, même pas des prénoms israéliens ; ce sont des prénoms bibliques jamais employés jusqu’à présent. Cela alors qu’auparavant, c’était des prénoms français qui étaient choisis de manière quasi systématique !

Ce repli, regrettable, critiquable, est évidemment secondaire et sans importance par rapport à l’antisémitisme, ce véritable danger, cette barbarie arrachant aux esprits tout ce qu’il peut y avoir de dignité, de rationalité, d’humanité. Et ce qui est terrifiant, c’est vraiment le terme, c’est que l’antisémitisme profite de larges appuis dans une « gauche » qui n’est plus la Gauche historique. Les populistes et les « ultras », ayant rejeté les principes et traditions de la Gauche, vivent en cercle fermé intellectuellement parlant, dans un romantisme forcené, avec un antisémitisme rampant à l’arrière-plan.

Il y a ici une convergence avec l’utilisation d’un argumentaire « social » dans le camp nationaliste. Comme dans les années 1920 en Italie et dans les années 1930 en Allemagne, on a le refus de la Gauche historique, au profit d’une sorte de spontanéisme populiste, sans principes autre que le succès pragmatique, avec des raisonnements à court terme.

La clef de tout cela, c’est bien entendu la destruction de la culture, qui se généralise. La destruction de la culture musicale, de la culture historique, de la culture littéraire, de la culture cinématographique, de la culture des idées. L’antisémitisme apparaît ici comme une anti-culture, comme une idéologie ayant l’apparence d’une culture, comme un véritable prêt à porter intellectuel. C’est là où réside son terrible danger.

On n’en pas a fini avec cet horrible défi que représente l’antisémitisme, tant sur le plan de son ancrage que de sa diffusion. On peut même dire qu’on ne fait que commencer avec ce problème, tellement rien n’a été fait de manière solide, durable, malgré l’épisode positivement marquant de « Je suis Charlie », qui a fragilisé et freiné la vague antisémite d’alors.

Il appartient à la Gauche de ne pas se contenter de postures ou de positions, mais bien de mener un travail de fond pour analyser et extirper les racines de l’antisémitisme. Les morts de la destruction des Juifs d’Europe nous avertissent du danger !

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Décadence ou inversion des valeurs ?

A moins de penser que tout va pour le mieux ou d’être nihiliste, il y a deux manières de considérer les choses. Soit on assume le point de vue de la Gauche qui avait bien compris dans les années 1920 qu’il y avait une décadence des valeurs, car les riches ne pensent qu’à se goinfrer et ont jeté la culture par-dessus bord. Soit on adopte le point de vue de l’extrême-droite comme quoi les valeurs auraient été inversées.

Illustrataion Phèdre (Jean Racine), Acte V

Le grand discours de la « fachosphère » depuis une décennie est qu’il y aurait une inversion des valeurs. Les criminels seraient mieux traités que les victimes, les femmes adopteraient un patriarcat inversé, les élèves compteraient davantage que les professeurs, etc. La France aurait été prise d’assaut et il y aurait eu un retournement de la hiérarchie de ce qui compte vraiment. Il faudrait donc un retour aux sources.

Certains prônent donc un retour à la France des années 1960, avec un racisme marqué, mais d’autres ont une autre approche. La grande idée d’Alain Soral et de Dieudonné est ainsi de s’appuyer sur une partie des gens issus de l’immigration pour prôner ce « retour aux valeurs », en s’appuyant sur leurs préjugés religieux, leurs valeurs patriarcales, leur romantisme anticapitaliste. Cela a donné une forme « populaire » à ce discours de la « fachosphère ». Alain Soral a eu de très grands succès de ventes avec ses écrits complotistes.

Et il est impossible de ne pas remarquer que les gilets jaunes sont ici en partie les successeurs des tenants de la quenelle de Dieudonné. Il y a le même populisme, le même rejet des « élites », la considération selon laquelle les politiques sont « tous pourris », une obsession petite-bourgeoisie pour l’État, etc. Avec la « quenelle », Dieudonné a popularisé avec un très grand succès un certain style rentre-dedans, revendicatif, sur la base de valeurs anticapitalistes romantiques.

L’antisémitisme virulent, le complotisme délirant, les fascinations pour les élites manipulatrices, etc., tout cela correspond à la mentalité comme quoi les choses auraient été déréglées, que des forces « obscures » auraient procédé à une inversion des valeurs. Comme ce qui devrait compter ne compte pas, on s’imagine qu’elles ne comptent plus, car n’est-il pas logique qu’elles aient compté par le passé, puisqu’elles doivent compter ?

On retrouve ici la logique de nombreux gilets jaunes, qui s’aperçoivent qu’ils sont exploités et pauvres, mais qui ne conçoivent pas que cela soit possible. Ils imaginent donc qu’avant ils n’étaient ni exploités, ni pauvres, alors qu’ils l’étaient également, mais qu’il y avait un peu plus de marge, et que donc ils ne le saisissaient pas… Ils idéalisent alors le passé, au lieu de s’assumer comme pauvres. C’est très étrange que cela : on a des pauvres ne voulant pas être pauvres, mais refusant le fait de s’assumer pauvres. Comme si c’était une honte et qu’il fallait, plutôt que de s’assumer prolétaire, toujours en revenir à la classe moyenne, cette forme sociale idyllique, au-delà du bien et du mal (c’est-à-dire des bourgeois et des ouvriers).

Ce qui saute aux yeux bien sûr, c’est que chez les tenants de l’inversion des valeurs comme processus « sabotant » la France, la culture est un thème qui n’existe pas. On est dans un style violemment beauf, avec une négation brutale de toute réflexion fondée sur la culture. Il n’y aucune référence en termes de romans, films, sculptures, monuments, peintures, pièces de théâtre, etc. On est dans un mouvement « élémentaire », brut de décoffrage, et qui s’assume comme tel. D’où tous les raccourcis, la paranoïa, le complotisme, la rage éparpillée, etc.

Il est important de voir cela, parce que cela montre que la fachosphère ne prône justement pas de réelles valeurs. La question de l’art contemporain est ici un très bon exemple. La fachosphère explique qu’il est scandaleux que l’art contemporain s’impose autant. Cependant, elle ne propose rien en remplacement. Le discours de la fachosphère consiste uniquement à parler d’une inversion des valeurs, pour mettre en avant des valeurs réactionnaires, mais de manière floue. Il ne faut pas croire que la fachosphère mette en avant Raphaël, Donatello, Michel-Angelo ou Leonardo de Vinci.

La fachosphère ne consiste pas à dire que Racine c’est autre chose maître Gims ou Molière autre chose que Booba ; la fachosphère n’est que du ressentiment. La culture n’y existe pas et pour cause : l’extrême-droite n’est que le produit de la décadence de la société française. Une décadence qui a une source simple : les couches sociales dominantes se goinfrent, de manière barbare, ayant abandonné ou abandonnant toujours plus la moindre valeur culturelle. L’ultra-consommation sur un mode nouveau riche devient la règle. On se moque beaucoup des oligarques russes et des millionnaires chinois consommant de manière ostensible et sans réel goût, mais croit-on vraiment que les riches français soient différents ?

La France va mal, elle est en crise, mais ce n’est pas qu’une crise sociale : c’est une crise morale, culturelle, idéologique. C’en est fini de la bourgeoisie hyper éduquée, extrêmement posée, techniquement efficace des années 1960. La bourgeoisie nouvelle est libérale, seulement libérale, et ne peut plus assumer son rôle de dirigeante de la société. D’où la décadence.

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Fondation du nouveau parti « Gauche républicaine et socialiste »

La gauche du Parti socialiste qui a quitté celui-ci sans avoir rejoint Benoît Hamon a décidé de finalement passer sous la coupe de la France insoumise. Elle en sera une composante lors des prochaines élections européennes.

Ce week-end s’est tenu à Valence un congrès constitutif d’une nouvelle organisation à gauche, ayant pris comme dénomination « Gauche républicaine et socialiste ». Au sens strict, ce n’est pas quelque chose de nouveau, car il s’agit de l’organisation de Marie-Noëlle Lienemann et Emmanuel Maurel, « Aprés », qui change de nom, abandonnant sa tentative d’exister de manière autonome. Marie-Noëlle Lienemann a exprimé ses regrets de la manière suivante :

« J’en veux à la gauche française, nous avions une trame idéologique potentielle pour résister à l’ultra-liberalisme; il faut créer de nouvelles formes politiques. Nous sommes dans une phase de décomposition. »

Il est apparu en effet soit qu’il n’y avait pas d’espace à gauche du Parti socialiste alors qu’il y avait déjà Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon, soit qu’il n’y avait pas les cadres pour développer une organisation aux contours bien délimités, selon comment on voit les choses. Le manque de temps ou de confiance en ses propres idées (ou moyens) a donc abouti à un changement radical d’orientation.

Marie-Noëlle Lienemann et Emmanuel Maurel, qui étaient depuis plusieurs mois alliés au Mouvement Républicain et Citoyen (MRC), ont fondé une nouvelle structure et rejoints Jean-Luc Mélenchon. La présence de l’ancien MRC dans la nouvelle organisation est un gage auprès de Jean-Luc Mélenchon, car c’est une structure « souverainiste » de gauche, fondé par Jean-Pierre Chevènement qui a toujours tenu une orientation qu’on peut qualifier comme « patriote » ou nationaliste de gauche.

De manière surprenante, ce positionnement souverainiste a été ouvertement assumé et exprimé par Emmanuel Maurel :

« La question de la souveraineté est essentielle. Souveraineté des peuples, reprise en main pour défendre les biens communs contre les intérêts privés. Cela passe par des ruptures radicales ! »

Il est, quoiqu’on pense de l’importance, de la validité de la question, toujours inquiétant de voir annoncer une « rupture radicale » au sujet d’une question nationale. La forme ici employée ne peut que choquer la Gauche. C’est cependant le prix à payer pour le passage dans le camp de la France insoumise.

Il ne s’agit par ailleurs pas d’une remarque dispersée, mais bien d’une approche générale ; en voici quelques exemples qui ont dits pendant le week-end de fondation :

« La politique de dumping, de casse sociale et la désindustrialisation en France et la politique « austéritaire » Bruxelloise sont les deux faces du même euro. »

« Le traité franco-allemand, c’est Merkel qui dit à Macron : « Donne-moi ta montre, je te donnerai l’heure. » »

Dans un même ordre d’idée, les gilets jaunes sont considérés comme quelque chose non seulement de très bien, mais même de nouveau. On l’a deviné, c’est le prétexte employé pour passer sur la ligne « populiste » de La France Insoumise. Gael Brustier a pour sa part considéré que « les gilets jaunes donnent une opportunité incroyable pour la gauche telle qu’elle n’en avait jamais eu depuis trois décennies » et Marion Beauvalet a expliqué que ce qui est intéressant c’est que c’est « un mouvement au-delà des clivages gauche/droite [qui] oppose le peuple et l’élite ».

> Lire également : Emmanuel Maurel et le mouvement ouvrier

On remarquera l’incohérence qu’il y a à parler de gauche d’un côté, de dépassement du clivage droite/gauche de l’autre, mais on devine que jeu de va et vient entre affirmation de la gauche et populisme va être incessant pour la Gauche républicaine et socialiste. Ce n’est qu’un début et on voit mal comment il va être continué à parler de Front populaire alors que La France insoumise a coupé les ponts avec l’histoire de la Gauche.

Emmanuel Maurel a pour sa part affirmé au sujet des gilets jaunes que :

« Il y a trop d’ambiguïté d’une partie de la gauche sur les gilets jaunes. Nous les soutenons ! »

Ce soutien est donc à ajouter à celui, tout récent, de la CGT, alors que pareillement l’ultra-gauche est désormais dithyrambique au sujet des gilets jaunes. Il y a là une véritable orientation nouvelle, résolument populiste ; on a d’ailleurs droit la semaine dernière à Marie-Noëlle Lienemann expliquant que l’émission de Cyrille Hanouna avait été quelque chose de positif au résultat conforme aux idées de gauche.

La base de la Gauche républicaine et socialiste est-elle d’accord avec tout cela ? Dans tous les cas elle va devoir s’y habituer, ou bien revenir dans le giron de la Gauche historique, qui reste à recomposer. Elle compte surtout sur son nombre, 2 538 personnes sont annoncées comme ayant participé au vote pour le choix du nom, pour pouvoir à un moment faire pencher la balance.

Le problème est que déjà que la rupture avec le Parti socialiste s’est déroulée de manière non démocratique, quoiqu’on pense du parti socialiste, aller rejoindre La France insoumise c’est franchement se lancer dans l’aventure.

On devine au fond qu’il est espéré que la formation de Jean-Luc Mélenchon n’est qu’une étape vers quelque chose de nouveau. Mais outre que c’est là du machiavélisme, que c’est là jouer avec le feu, comment espérer que la négation de la Gauche puisse aboutir à son renforcement ?

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Gilets jaunes, actes 12 : vers un dénouement accompagné par la CGT

Le mouvement des gilets jaunes touche à sa fin, il s’essouffle, se survivant à lui-même en cultivant sa propre image de lui-même. Et il est rejoint par l’ultra-gauche et la CGT, qui y voient le moment pour appeler à la grève générale. Il n’y a pas à dire : la France est un pays étrange où la rationalité semble avoir disparu, tout autant que la culture politique.

Il est toujours étonnant de voir des gens confondre le début de la fin avec la fin du début. Il n’y a pour ainsi dire presque plus personne sur les fameux rond-points et de moins en moins de monde le samedi – près de 60 000 hier selon le Ministère de l’intérieur. Les gilets jaunes se ratatinent à chaque fois davantage et au moment où cela chute sérieusement, il y a toute une vague d’opportunistes ou de naïfs, on ne sait trop, qui interviennent dans l’histoire. Espèrent-ils tirer les marrons du feu ? N’ont-ils rien d’autre de mieux à faire ? Ou bien voient-ils un tournant réel, un moment historique ?

On a ainsi un « Journal des gilets jaunes » qui existe désormais, publié par un groupe de presse côté en bourse, Lafont-Presse, qui entend se faire un peu d’argent facile. Il y a aussi des professeurs, des « stylos rouges », qui persévèrent dans la mode colorée et protestataire. Ils étaient une cinquantaine seulement hier non loin du ministère de l’éducation nationale, avec des revendications qui sont d’une pauvreté affligeante pour des gens censés instruire les jeunes. On a aussi l’ultra-gauche, désormais lyrique sur les gilets jaunes, qui s’imagine que si les choses continuent, elles ne peuvent que déborder, et qu’elle en profitera.

Et il y a les syndicalistes cégétistes qui se sont décidés à entrer en scène, avec l’intention de prendre les gilets jaunes d’assaut et faire de la grève du 5 février le levier pour que cela marche. Avec l’idée de pouvoir relancer un syndicalisme au point mort niveau victoire, alors qu’en plus la CFDT est passée devant la CGT au niveau national.

Ainsi, alors que la CGT a sciemment refusé les gilets jaunes au début – soit par volonté de se conserver son monopole protestataire, soit par véritable esprit de Gauche refusant le style plébéien – elle est désormais totalement en leur faveur :

« Depuis de nombreux mois, les salarié-es, les retraité-es, les privé-es d’emploi et la jeunesse se mobilisent dans notre pays. Depuis la fin de l’année 2018, le mouvement dit des Gilets jaunes mobilise les attentions et révèle un regain de confiance en l’action collective.

La démultiplication des mobilisations s’oppose à la profonde injustice sociale et exige une autre répartition des richesses créées par le travail.

Cependant, plus le temps passe, plus le patronat et le gouvernement méprisent les revendications pour les détourner en détruisant les solidarités, plus les revendications sociales débordent.

Parti de la hausse des carburants, le mouvement des gilets jaunes a évolué. Des exigences nouvelles rejoignent désormais celles exprimées par les salarié-es, les retraité-es, les privé-es d’emploi, avec la CGT. C’est pourquoi, partout où cela est possible, la CGT continuera à travailler les convergences avec les Gilets jaunes. »

On remarquera l’écriture inclusive, preuve de la déconnexion avec les travailleurs et leur réalité. Quoi qu’il en soit, c’est, pour dire les choses franchement, un peu l’intervention commune des « losers », pour utiliser un terme passéiste mais assez évocateur.

Cela n’intéresse d’ailleurs vraiment ce qui reste des gilets jaunes, qui vivent dans leur monde et qui n’ont qu’un seul objectif : faire en sorte de présenter leur mouvement comme étant d’une grande actualité. On reste dans la démarche des classes moyennes cherchant à faire vivre la fiction comme quoi elles sont au centre de la vie sociale française.

Une des expressions de cela a été la « grande marche des blessés » à Paris, qui a exigé que soit mis un terme à l’utilisation des grenades de désencerclement GLI-F4 et GMD et des lanceurs de balle de défense (LBD). Pas moins de 20 personnes ont été blessées grièvement à un œil par LBD, avec la plupart du temps la perte de cet œil. Cependant, il ne faut pas être naïf et croire que les gilets jaunes s’intéressent à la question de la violence inhérente à l’État tel qu’il existe sous une forme bureaucratique, avec des hauts fonctionnaires inamovibles, des préfets, des responsables militarisés, etc.

Leur position rejoint la victimisation de type anarchiste, avec le fantasme petit-bourgeois d’un État terroriste, spoliateur, qui surveille tout le monde, etc. C’est une manière pour les gilets jaunes de chercher à retourner en leur faveur la situation après leur grande vague d’ultra-violence anti-politique à leur début, qui a considérablement ému une partie de l’opinion, et profondément choqué toute une partie de la Gauche, qui a reconnu là l’ombre de la plèbe fasciste.

Les échauffourées restent d’ailleurs la norme, comme hier lors des cortèges à Paris (14 000 personnes) et Valence (6 000), alors qu’il y avait également plusieurs milliers de personnes à Bordeaux, ainsi qu’à Strasbourg et Toulouse, 2 000 à Marseille, 1500 à Nantes, 1 000 à Montpellier, moins encore à Nice, au Mans, à Angers, à Dijon et à Cherbourg. La préfecture a également prétendu qu’à Valence, aux points de contrôle, une centaine d’armes blanches, dont des haches, des sabres, des couteaux, des machettes et des gourdins, auraient été saisies.

Comment résumer tout cela, alors ? Comme le dénouement des gilets jaunes, avec une auto-intoxication particulièrement brutale. C’est tellement énorme même qu’on ne peut pas ne pas se dire que ces gens ne le sachent pas. Ils appliquent forcément, tout au moins pour une partie d’entre eux, le principe sorélien du « mythe mobilisateur ».

Il est en tout cas très clair, du point de vue d’une Gauche qui s’assume, que ces enfants du populisme de Marine Le Pen et de l’ultra-gauche, de la CNT et d’Alain Soral, de la quenelle de Dieudonné et de Johnny Hallyday, de toute la propagande anti-politique, anti-Gauche, ne peuvent pas réaliser quelque chose de bénéfique pour l’Histoire.

La CGT, en embrayant sur les gilets jaunes, assume de sortir entièrement du champ de la Gauche politique : c’est une erreur complète, aux conséquences qui vont s’avérer catastrophiques pour elle.

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Les gilets jaunes ou la France comme terrain vague

Les gilets jaunes sont l’expression d’une France devenue un terrain vague où l’on construit n’importe où et n’importe comment, où chacun considère qu’il peut faire comme il l’entend. Si les gilets jaunes veulent vivre comme avant, ils n’en représentent pas moins une modernité rejetant tout héritage culturel et historique.

gilets jaunes

Chaque pays dispose d’un patrimoine d’idées et de luttes, sans parler de certains goûts, de certains centres d’intérêt. Cela n’a de sens cependant que si l’on se place dans un cadre collectif et qu’on ne se réduit pas soi-même au rang de simple individu. Les gilets jaunes récusent cela de manière explicite : ils ne se battent pas pour tous, disent-ils, mais pour chacun. Leur « ennemi » n’est d’ailleurs lui-même pas collectif, mais diffus : ce sont les « taxes ». L’État lui-même n’existe que telle une abstraction et se voit réduit aux « politiques », présentés comme tous corrompus.

C’est là l’expression de la conception de la France comme terrain vague. Les entreprises et ceux qui se considèrent comme de simples individus envisagent comme un droit la capacité à réaliser des projets bancaires, industriels, architecturaux, commerciaux, etc. Ce serait un droit de construire un pavillon où on le peut si on en a les moyens financiers, ce serait un droit de vendre tel ou tel produit s’il y a des clients, même si c’est du cannabis.

C’est le triomphe du principe du contrat et l’un des exemples les plus absurdes de ce principe est le « remplacement » des zones humides. On peut en France détruire une zone humide… si on la « remplace », ce qui évidemment est totalement abstrait et correspond à une mentalité d’apprenti sorcier. Une telle démarche est pourtant cohérente du point de vue de la France comme terrain vague : il y a de la place pour tous dans un terrain vague et tout est possible.

Cela est vrai naturellement pour la culture. Aucune personne de cultivée ne laisserait jamais un gilet jaune devenir ministre de la culture, il y aurait trop la peur que les musées soient fermés car leur entretien est trop cher ou bien que le patrimoine soit vendu à la découpe ! Il n’y a aucune exagération à dire cela : il suffit de voir que les gilets jaunes se prétendent un mouvement radicalement nouveau, sans exemple. Ils agissent également comme si rien n’avait jamais existé avant eux.

C’est vrai d’ailleurs de tous les « révoltés », qu’ils soient à La France Insoumise ou à Génération-s, qu’ils soient anarchistes ou d’ultra-gauche. Il y a eu un grand lessivage, où au maximum on peut s’inspirer ! Mais jamais apprendre, jamais devenir l’élève de quelque chose du passé, jamais prendre des modèles. Un tel lessivage correspond à l’esprit consommateur de l’ultra-libéralisme, avec le « droit » de piocher comme on l’entend et ce dans n’importe quelle situation. La France comme terrain vague, c’est ainsi la France comme supermarché, où les idées relèvent du prêt-à-porter.

Certains disent que c’est une tendance historique inévitable, que c’est une bonne chose, qu’au « dogmatisme » a succédé un esprit de participation, un populisme qui correspondrait enfin au peuple dans sa diversité, pour des initiatives les plus diffuses.

C’est pourtant là la mort de la Gauche et que voit-on justement ? Que plus ce populisme a avancé, plus la Gauche a reculé. Il suffit de voir l’impact dévastateur sur la Gauche de l’ouverture de la prise de décision aux sympathisants et non plus aux adhérents. C’était là l’ouverture au populisme et on sait qu’une fois qu’on lui a ouvert la porte, il ne repart plus, il s’installe. Les gilets jaunes sont aussi le produit de l’existence de « primaires » organisées par le Parti socialiste pour les élections présidentielles.

La Gauche ne peut exister que dans l’opposition à la conception de la France comme terrain vague. Elle doit valoriser le patrimoine historique des luttes, mais aussi le patrimoine sur le plan de l’organisation. Cela ne peut se faire que si les situations locales sont étudiées et connues, si la Gauche est présente concrètement, ancrée dans la population, ainsi que dans son vécu. C’est tout un travail de fond, invisible bien souvent, ingrat parfois, prolongé dans tous les cas, qu’il est nécessaire de mener.

Ce travail est inévitable et aucune « recette », méthode ou technique magique ne pourra le remplacer. Les succès rapides sont éphémères et ne jouent pas sur la société, sur l’histoire. La Gauche a un immense travail de fond à mener.

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Ce que montre le chaos du Brexit sur le capitalisme

Loin d’être quelque chose d’organisé, le capitalisme est profondément chaotique. Les crises sanitaires, sociales, économiques, etc. sont le pendant inévitable d’un système fondé sur une compétition acharnée. L’expansion du capitalisme se ralentissant, ces crises vont s’exprimer de manière plus abrupte, mais les gens seront-ils en mesure de les interpréter correctement ?

« Vote Leave », Londres, 7 juin 2016

En Grande-Bretagne, les personnes avec des maladies chroniques ont été très inquiètes du fait que certains médicaments risquent de ne plus être disponibles. C’est en effet possible, mais aucune administration n’est capable d’évaluer cela, pas plus que les entreprises. Cette absence de maîtrise d’une chose aussi importante est très grave. Elle montre cependant une chose très importante : le capitalisme ne contrôle rien du tout.

Cela pose un double problème. D’abord, il y a le fait que les gens ont pris l’habitude de pouvoir consommer comme ils l’entendent, dans le cadre d’une société de consommation où une forme d’abondance est la règle. Si jamais il y a des manques, des choses devenant inaccessibles, les gens vont très mal le prendre. Ils ne vont pas se dire que le capitalisme est dépassé, ils vont simplement se dire qu’il y a du sabotage, des gens empêchant le capitalisme d’être lui-même. Les gilets jaunes ne disent pas autre chose, même si chez eux ce n’est pas le chaos du marché, mais l’affaiblissement du pouvoir d’achat qui joue.

Ensuite, il faut voir que cela implique des crises sévères, dont la nature ne peut pas être déterminée à l’avance. Il y a l’exemple de la crise des lasagnes produites illégalement avec de la viande de cheval, celle de la crise des pestes aviaire, porcine… celle des déchets plastiques dans l’océan, des déchets dans l’espace… Il y a le réchauffement climatique, les couches pour bébés contenant des produits dangereux… Le capitalisme s’occupant de tous les aspects de la vie, tous les aspects de la vie sont menacés.

Certains en ont conscience et disent, à l’instar du PCF ou de Benoît Hamon, qu’il faut renforcer l’État, les institutions européennes, les institutions internationales. Cela présuppose deux choses : tout d’abord que ces forces aient la capacité de rectifier le capitalisme, ensuite qu’elles aient le moyen de comprendre ce qui se passe pour organiser de telles rectifications. Or, bien malin celui qui est capable d’entrevoir un semblant de logique dans le chaos général qui se profile de plus en plus. Rien que l’incapacité à faire face au Brexit montre qu’une telle chose n’est pas possible. Si les meilleurs cadres d’un État moderne comme le Royaume-Uni ne parviennent pas à gérer une chose si importante, qui peut prétendre le faire à l’échelle mondiale ?

Et, de toutes façons, le capitalisme met toujours devant le fait accompli. Prenons l’exemple du chantier de l’EPR de Flamanville. Il fait partie de quelque chose de très surveillé, puisque le domaine du nucléaire exige beaucoup de sécurité. L’administration est donc aux aguets, surtout que le nucléaire fait partie des exportations « à la française ». Or, que voit-on ? Que le chantier, qui a débuté en 2007, va être prêt en 2020, ce qui l’amène à avoir… dix ans de retard. Une centrale nucléaire avec dix ans de retard, alors que les ingénieurs, les techniciens, l’État, etc., y accordent une attention extrême, sont censés tout planifier à la virgule près ? C’est dire le problème.

Dans tous les cas, de toute façon, la vérification, la surveillance, la supervision… demandent des moyens, et il n’y en a pas. Les États tout comme les grandes institutions sont en faillite. Dans de nombreux milieux d’ultra-gauche on fantasme sur un État de surveillance totale : non seulement ce n’est pas encore réalisable techniquement, mais surtout cela coûterait trop cher, alors que les États ont déjà des dettes gigantesques. Il faudrait un doublement, un triplement de l’activité économique et ce pendant des années pour que les États renflouent leurs caisses, et encore.

Il n’y a donc pas 36 solutions. Soit on rationalise à la hache ce qui relève du chaos, soit on se fait déborder par lui, en espérant que cela passe sans trop de casse. Il faut ici noter cette chose terrifiante quand on y pense : la société britannique attend de manière totalement passive de voir ce que va donner le Brexit. Elle ne manifeste nullement son mécontentement, son inquiétude ; elle attend sans rien faire, ne dépassant pas les murmures. C’est quelque chose de très grave, témoignant d’un déficit démocratique total.

Cela doit inquiéter, car quand on est de Gauche, on est démocratique, et donc on veut que la rationalisation soit faite par le peuple. Mais s’il n’y a pas de peuple à la hauteur pour prendre les choses en main ? Eh bien en ce cas, on a le grand risque que l’on connaît par le passé : la rationalisation se fait par une minorité démagogique s’appuyant sur le nationalisme pour rationaliser dans le sens du protectionnisme et de la guerre. Cela s’appelle le fascisme, qui au moyen du « corporatisme », du « socialisme » national… remet le capitalisme « en ordre », au moyen de « plans » qui ne sont que l’établissement d’une industrie au service de la guerre.

Il est d’autant plus dommage qu’à Gauche, beaucoup de gens aient abandonné la conception selon laquelle le capitalisme, c’est le chaos. Ils pensent surtout que le capitalisme est quelque chose d’organisé, mais dans un sens mauvais. Tout serait une question d’organisation « différente ». Ce n’est pas le cas du tout ; cela ne peut pas être le cas dans une forme sociale fondée sur la compétition, la concurrence. Et cela aboutit à l’illusion comme quoi le capitalisme obéirait aux lois, voire disposerait d’une certaine morale, de certains principes, ce qui est très grave, comme totalement illusoire.

Le capitalisme est chaos et si cela ne se voit pas lors de son expansion, car les déséquilibres ne durent pas longtemps, cela va être de plus en plus flagrant. Ne pas assumer son dépassement, ce serait laisser le champ libre au fascisme comme « réorganisation », « rétablissement », « rationalisation » en apparence du capitalisme, pour en faire une machine de guerre.

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Les défections de la liste électorale des gilets jaunes conduite par Ingrid Levavasseur

Cinq jours après avoir annoncé qu’il en serait le directeur de campagne, le gilet jaune Hayk Shahinyan a finalement quitté la liste électorale conduite par Ingrid Levavasseur pour les élections Européennes. Cette grande confusion montre l’absence de rationalité et de perspective historique d’un mouvement qui n’est qu’une agitation hystérique des classes moyenne en perte de vitesse.

Ingrid Levasseur est une figure médiatique depuis le début du mouvement des gilets jaunes, mais elle est opposée à d’autres figures comme Priscillia Ludosky ou Eric Drouet.

Ces derniers ont un positionnement plus radical, imaginant plutôt un soulèvement insurrectionnel pour faire plier les institutions. Au contraire, la liste « gilets jaunes » s’imagine pouvoir changer les institutions en s’y intégrant.

Le nom de la liste est ouvertement populiste puisqu’il reprend l’anagramme du référendum d’initiative populaire (RIC) pour devenir «Rassemblement d’initiative citoyenne». Il n’y a pas de contenu, simplement un état d’esprit « gilet jaune » avec l’idée de surfer sur la vague du mouvement en rassemblant « des gens qui ont fait cette mobilisation depuis le début sur les ronds-points ».

Cela est donc fait à la va vite, sans véritablement de sérieux dans la forme elle-même. Rien que la question pourtant primordiale du financement n’est pas réglée puisqu’il a été proposé un « crowdfunding », alors que cela n’est pas vraiment autorisé par le code électoral.

Mais, plus significatif, il y a cette démission du directeur de campagne cinq jours après l’annonce de la liste. Hayk Shahinyan a en fait cédé à la pression des gilets jaunes qui ne supportent pas cette initiative. Ses justifications en disent long sur le caractère velléitaire des gilets jaunes, qui vont loin dans la prétention mais ne sont capables de rien assumer concrètement.

Voici ce qu’il dit pour se dédouaner, avec une prétention assez hallucinante pour quelqu’un qui abandonne ses comparses en plein vol :

« Ce que l’on reproche toujours à ceux qui nous « dirigent » c’est de ne jamais reconnaître leurs erreurs, être incapables par un égo surdimensionné de faire un pas en arrière pour corriger le tir et avancer mieux, penser avec arrogance que leurs certitudes incarnent la vérité.

Penser que le « doute » est réservé aux Hommes faibles.

J’ai toujours pensé que douter, à une dose raisonnable, est un signe de sagesse et d’intelligence, se poser des questions, se remettre en question, corriger ce qui doit être corrigé.

La précipitation avec laquelle je me suis laissé emporter dans une configuration différente de ce que je prônais depuis des semaines, suivie de la blessure grave de Jérôme que je connais et pour qui j’ai beaucoup de respect et l’accumulation des blessés graves, l’approche de la grève générale illimitée dont l’appel fut lancé, la certitude que quelque chose de structuré doit pourtant naître de tout cela, sous une forme ou sous une autre, l’approche d’une échéance électorale qui peut constituer une opportunité si elle est préparée de manière intelligente, la sortie prochaine de la période hivernale qui pourrait voir la mobilisation s’intensifier d’avantage, la fin du grand débat et les déceptions évidentes qui vont suivre et pourraient renforcer la mobilisation, et bien d’autres paramètres encore créent le doute.

Celles et ceux qui affirment avec certitude détenir LA solution, je m’en méfie toujours, je préfère ceux qui réfléchissent objectivement et calmement sans crier des affirmations en permanence.

J’ai pris la décision de me retirer de toutes mes activités, revenir à Lyon, et prendre une semaine pour analyser, réfléchir, préparer des propositions, et prendre du recul.

J’ai toujours été et je serai toujours un homme libre, que cela plaise ou non.

Je ne lâcherai pas le combat. Jamais.
Mais je dois retrouver du recul. »

Ces propos sont lamentables tellement ce n’est pas sérieux. On a là quelqu’un qui devait cinq jours avant diriger la campagne d’une liste promise à un grand écho médiatique, qui explique en fait que tout cela a été fait dans la précipitation et que peut-être bien qu’il va se passer autre chose de mieux autrement ! Il parle d’ailleurs d’une hypothétique grande grève générale, un mythe typiquement syndicaliste, alors que la liste qu’il devait diriger a en quatrième position un chef d’entreprise, ce qui est complètement antinomique.

Ce chef d’entreprise d’ailleurs, Frederic Mestdjian, qui reste sur la liste, le défend pourtant malgré sa défection. Il explique que « Hayk a besoin d’un peu de temps pour lui», précisant qu’il avait tout laissé de côté sur le plan professionnel et qu’il a des « échéances administratives ».

Tout cela n’a aucun sens et en dit long sur cette grande catastrophe politico-culturelle qu’est le mouvement des gilets jaunes. Cela part dans tous les sens, tout et n’importe quoi y est raconté sans que cela n’ait aucune valeur.

Notons également la défection de celui qui devait être en huitième position sur la liste, Marc Doyer. Il part pour ne pas nuire au projet suite aux critiques à propos du fait qu’il avait été candidat à l’investiture La République en marche (LaREM) aux législatives de 2017. Ce gilet jaune est donc un « déçu » d’Emmanuel Macron, qui passe d’un bord à l’autre, d’un populisme à un autre, sans aucune constance, sans aucune cohérence.

C’est typique, absolument typique, et il faut bien comprendre de toute façon que le gouvernement d’Emmanuel Macron voit d’un très bon œil cette liste gilets jaunes, tant pour affaiblir son opposition que comme moyen d’empêcher toute expression rationnelle, toute critique s’inscrivant dans la lutte des classes.

La Gauche française a ici une grande responsabilité, car en se retrouvant isolée, divisée, affaiblie, elle offre un boulevard pour ce type de démarche et cette grande confusion sociale.

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Le référendum et le positivisme bourgeois

La critique du RIC (référendum d’initiative citoyenne) doit être comprise depuis le cadre même de ce que sont les institutions de la bourgeoisie dans notre pays.

De l’expérience de la Première République jusqu’aux juristes positivistes de la IIIe République, la bourgeoisie a fortement marqué la culture politique française en cherchant à affirmer une dimension faussement démocratique, bornée et restreinte, aux différents régimes républicains, jusqu’à notre propre époque. Loin d’être une mesure subversive ou même avant-gardiste, la question du référendum est précisément et ni plus ni moins qu’un des éléments de ce dispositif.

Une fois élancé le mouvement révolutionnaire de 1789, les différentes factions de la bourgeoisie ont passé l’essentiel de leur histoire à affronter d’une part la réaction et d’autre part à s’affronter les unes les autres pour le contrôle de l’État bourgeois en réprimant, souvent dans le sang de la classe ouvrière, les revendications démocratiques trop poussées qui les mettent dangereusement face à leurs contradictions. Cette lutte se poursuit jusqu’à nos jours, mais elle s’est organisée et institutionnalisée dans les formes que nous lui connaissons à partir de la IIIe République.

La volonté et la nécessité de maintenir l’élan populaire qui avait initialement appuyé la bourgeoisie dans ce cadre a donc poussé celle-ci à tenter de trouver des formes institutionnelles permettant d’aller vers la démocratie sans pouvoir en être capable au bout du compte. C’est en ce sens que les différents projets de Constitution suivant la déclaration de la République en 1792 prévoient tous en quelque sorte un prolongement du régime parlementaire de l’Assemblée (appelée dans un premier temps « Convention ») par différentes solutions permettant plus ou moins l’expression politique et la participation populaire : censure des actes législatifs de l’Assemblée par les citoyens, droit de pétition, ébauche de référendum… L’idée commune est de refuser les organisations collectives et durables du peuple en-dehors de l’Assemblée nationale. Les autres assemblées instituées à l’échelle des départements et des communes sont étroitement contrôlées et fortement limitées dans leurs prérogatives et leur composition. L’expérience des cahiers de doléances est donc purement et simplement balayée, l’engagement politique est renvoyé à la capacité individuelle de s’organiser dans une logique d’entreprise et de mobiliser un réseau plus ou moins volatile autour de quelque chose.

Ainsi s’est formée la double perception du peuple que la bourgeoisie entend mettre en avant et qui est aujourd’hui même, celle des populistes : un agrégats de citoyens reflétant la diversité de la nation en tant qu’individus d’une part. Et de l’autre, une entité politique collective mais abstraite unie par un sentiment national tel que défini par le régime qui ne peut se rassembler comme force qu’autour d’un « projet » précis et borné.

C’est précisément cette conception du peuple qu’il faut bien comprendre pour saisir concrètement en quoi le populisme n’est pas la démocratie : à l’idée d’un peuple abstrait et réduit à une somme d’individus particuliers tenus par la seule capacité de l’État bourgeois à incarner la nation, il faut opposer celle où le peuple en lui-même est la nation hors de toute incarnation institutionnelle.

A l’idée que la participation politique est pilotée par les fractions de la bourgeoisie et de ses agents, de ses figures, que le peuple par sa force collective doit appuyer à la demande, il faut opposer celle que c’est le peuple lui-même qui fait l’histoire et que celle-ci s’inscrit pleinement dans le cadre de la lutte des classes, dont la bourgeoisie est désormais la cible, le problème.

A l’idée d’une participation collective additionnant des individus « libres » et divers autour d’une question avant de s’évaporer, il faut opposer la nécessité de se rassembler collectivement et durablement, d’organiser des Assemblées populaires à la base pour mettre sur le tapis les contradictions et affirmer le bien commun, chercher des solutions.

Ce cadre étant posé, il est évident que ce que l’on appelle « référendum » relève entièrement de la conception historiquement bourgeoise de la démocratie. Dans notre pays, la bourgeoisie a notamment produit tout un arsenal juridique et idéologique poussé ayant particulièrement marqué notre culture politique. De la Première République de 1792 et ses tentatives jusqu’au triomphe de la domination bourgeoise avec la IIIe République notamment, la bourgeoisie libérale a imprimé fortement toute la conception de l’État et de la souveraineté, notamment par son positivisme.

Au bout du compte, il a été produit une distinction entre d’une part « souveraineté nationale » qui relève de la légitimité de l’Assemblée Nationale et du parlementarisme, ce que la bourgeoisie considère comme la « démocratie représentative ». Et d’autre part, la « souveraineté populaire » qui produirait donc une « démocratie directe » s’appuyant sur les citoyens sous la forme d’une participation pétitionnaire à la vie politique. L’une comme l’autre néanmoins relevant entièrement de l’État bourgeois et de son cadre.

Cette distinction et la question de leur articulation constitue pour la bourgeoisie française un débat prolongé sur ce qu’elle pense être la « démocratie », qui précisément représente pour la Gauche une borne culturelle à dépasser. Depuis la IIIe République (1870-1940), toute la question se résume à savoir comment tempérer le régime parlementaire, considéré comme un acquis indépassable et irrécusable par la bourgeoisie, en y admettant une forme de participation collective et populaire sans aller « trop loin » vers la démocratie, considérée au mieux comme impossible techniquement et au pire comme une menace anarchique.

Ce débat est en soi un des éléments constituants la vie politique de la « démocratie » libérale de notre pays de manière fondamentale et permanente. D’où son éternel retour à chaque contestation populaire, sous la forme d’une soupape de sécurité en quelque sorte qui permet de proposer faussement une perspective populaire et démocratique en réactivant la question de la « souveraineté populaire » et de toute sa cohorte de référendums et autres pétitions.

La figure essentielle à connaître ici est celle de Raymond Carré de Malberg (1861-1935), un juriste positiviste strasbourgeois ayant contribué à établir cette distinction des souverainetés dans le cadre de l’État bourgeois. Par « positivisme », il est question ici d’une conception du droit qui considère de manière libérale qu’il n’est pas un héritage figé pour toujours mais qu’il est le reflet du « contrat social » à un moment donné entre tous les individus composant l’État, qui en tant que personnalité juridique suprême est à la fois le garant et l’expression politique de toute la société.

Raymond Carré de Malberg n’est pas une figure populaire en France, mais il est un juriste de grande envergure à connaître pour saisir la nature de l’État bourgeois en France et la culture politique qu’il a produit. Raymond Carré de Malberg en particulier a réfléchi au seuil des années 1930 aux insuffisances du parlementarisme de la IIIe République. On lui doit une longue affirmation de l’État comme un genre d’arbitre au-dessus de la société en dehors duquel le droit ne peut être énoncé.

Cette idée d’un État au-dessus de la lutte des classes est en soi un marqueur justement du populisme actuel. Plus concrètement, il a formulé l’idée que le parlementarisme affaiblit l’État et donc par conséquence, endommage l’ordre social. Face à cela, il prône un renforcement de l’exécutif sur le pouvoir législatif qui sera précisément à la base des réformes de Vichy puis plus tard de la Ve République, renforçant cette idée d’un État fort incarnant la « souveraineté nationale » et son bon fonctionnement.

Enfin, Raymond Carré de Malberg réfléchit aussi sur la question de la participation populaire. Depuis les travaux de Maurice Hauriou (1856-1929), la bourgeoisie voit au mieux la « souveraineté populaire » comme accomplie dans la simple expression du suffrage universel acquis depuis 1848 pour les hommes en France. En particulier s’il permet d’élire le président de la République, qui incarne l’institution par excellence qu’est l’État, donc en pratique le « peuple » lui-même.

La bourgeoisie dispose donc dès lors de tout un arsenal idéologique et juridique en mesure d’imposer une définition bornée de la démocratie. Raymond Carré de Malberg vient le compléter en 1931 en proposant d’y ménager une place pour le référendum susceptible d’affirmer une dimension plus « démocratique » au parlementarisme républicain dans son ouvrage : Considérations théoriques sur la question de la combinaison du référendum avec le parlementarisme.

De l’expérience de la Révolution bourgeoise de 1789 jusqu’aux juristes de la IIIe République, on peut donc mesurer toute la profondeur de ce cadre républicain constitué progressivement autour de l’État bourgeois pour tenter de le faire incarner la « souveraineté nationale » ou dans une moindre mesure la « souveraineté populaire », c’est-à-dire de lui donner une dimension faussement démocratique.

Dans ce dispositif, le référendum ne peut donc pas rationnellement être saisi comme un moyen « neutre » ou pire comme une sorte de mesure en capacité d’imposer une évolution démocratique. Ce serait méconnaître la profondeur historique de la réflexion et des capacités de la bourgeoisie sur ce sujet et de toute façon s’inscrire d’emblée dans le cadre maîtrisé des institutions.

En raison d’une absence de conscience développée sur ce qu’est concrètement la lutte des classes dans notre pays, la revendication du RIC aujourd’hui illustre toutes ces illusions, toute la complète servitude à la culture bourgeoise, de ceux qui s’en réclament en imaginant proposer là une chose quasiment révolutionnaire.

La tâche culturelle de la Gauche est justement de replacer cette question dans sa juste dimension historique afin de pousser à chercher des solutions en réelle rupture avec les institutions et avec la culture politique de la bourgeoisie.

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L’interprétation des gilets jaunes par Lutte Ouvrière

Dans différents documents, l’organisation Lutte Ouvrière expose son point de vue approfondi à propos des gilets jaunes, ce qui est intéressant puisqu’il s’agit d’une des très rares structures de gauche à disposer de relais réels chez les ouvriers. Son point de vue est d’ailleurs formel : ceux-ci sont restés à l’écart.

Voici les extraits des passages les plus significatifs, avec les liens vers leurs sources. Pour reprendre la distinction faite pour la liste des positions de la Gauche sur les gilets jaunes, Lutte Ouvrière fait partie de la Gauche « des idées », des « cadres ».

> Lire également : Les points de vue de la Gauche sur les gilets jaunes

« Les gilets jaunes ont fait de Macron et de l’État leurs seules cibles, sans chercher à combattre, ni même à dénoncer, le grand patronat et sa responsabilité dans la situation. C’est une limite importante.

Le mouvement mêlait dans le même combat plusieurs catégories sociales aux intérêts divers, parfois opposés: des travailleurs, des chômeurs ou des retraités qui ne s’en sortent pas avec des salaires ou des pensions trop faibles; mais aussi des artisans, des agriculteurs ou des petits patrons, eux aussi victimes de la crise économique et du grand capital mais qui sont plus prompts à dénoncer ce qu’ils appellent les taxes. Pour assurer l’unité du mouvement, les gilets jaunes ont banni de leurs revendications ce qui était source de désaccords.

C’est pourquoi les intérêts spécifiques et les revendications de classe des travailleurs, c’est-à-dire celles qui opposent les salariés au grand patronat, ne se sont pas exprimés clairement. »

Brochure « Contre le grand capital, le camp des travailleurs »

« Notre conviction de marxistes est qu’il ne peut pas y avoir d’issue positive pour le monde du travail si la classe ouvrière n’intervient pas sur la base de ses intérêts de classe et surtout sur la base de ses perspectives de classe. Le prolétariat organisé dans les grandes entreprises est le seul à même de porter le combat contre la bourgeoisie et l’ordre capitaliste, à porter les perspectives révolutionnaires pour toute la société. Le paradoxe, c’est que les travailleurs qui peuvent le plus se battre sont, en ce moment, ceux qui le veulent le moins.

Mais les choses ne sont pas figées. Quand cela commence à bouger, bien des perspectives s’ouvrent non seulement pour ceux qui sont dans l’action mais aussi pour ceux qui regardent. Alors il nous faut tout à la fois nous adresser aux travailleurs des entreprises où nous militons et à ceux qui participent au mouvement des gilets jaunes.

Les gilets jaunes constituent un mouvement disparate par sa composition sociale, qui réunit le monde du travail de la France rurale ou périurbaine, comme on dit, c’est-à-dire des salariés, des retraités, des chômeurs et beaucoup d’artisans, d’autoentrepreneurs, d’indépendants, parfois des agriculteurs, sans compter cette catégorie qui a fait masse dans de nombreuses villes, les motards, qu’il est bien difficile de classer. Cette composition fluctue selon les régions, selon les villes et même selon les différents points de blocage près d’une même ville.

Quant au prolétariat présent, c’est un prolétariat de petites entreprises, dispersé, bien souvent non syndiqué, et très lié au monde artisan et commerçant : les uns et les autres appartiennent aux mêmes familles, se côtoient en permanence dans les associations diverses et variées et partagent souvent le même niveau de vie. Des coiffeuses, des fleuristes, des artisans du bâtiment, ne vivent parfois pas mieux que les salariés au smic ; et bien des autoentrepreneurs vivent encore plus difficilement.

Alors tous combattent ensemble. Mais nous, c’est à la partie prolétarienne de ce mouvement que nous voulons d’abord nous adresser et proposer une politique, pas au mouvement dans son ensemble. Car il serait vain et erroné de vouloir repeindre les gilets jaunes en… gilets rouges.

Nous militons pour que les travailleurs en gilets jaunes aient conscience de leurs intérêts de classe, pour qu’ils se rendent compte qu’ils ont leurs revendications propres, que leur salaire est leur seule richesse et qu’il faut se battre pour lui. Nous militons pour qu’ils soient conscients du fait que, s’ils se cantonnent à la fiscalité, ils risquent de donner un coup d’épée dans l’eau.

La plupart des gilets jaunes qui sont des travailleurs salariés ne se voient pas du tout se battre contre leur patron. Nombre d’entre eux estiment que leurs intérêts vont de pair et que le combat est à mener, non pas contre le grand capital, mais contre Macron et l’État. De fait, ils sont très éloignés des idées de lutte de classe, voire les rejettent.

Si l’augmentation du smic est une revendication qui est un peu reprise par les gilets jaunes, c’est aussi parce que, dans l’esprit du plus grand nombre, elle s’adresse au gouvernement et à Macron bien plus qu’aux patrons. Et comme l’a déclaré le dirigeant du Medef, il n’est pas contre une augmentation du smic, à condition que ce soit l’État qui la paye ! Et c’est un peu ça qu’il y a dans pas mal de têtes.

Autrement dit, nous n’appelons pas, comme le NPA, à « fédérer les colères », nous visons à les séparer. Nous visons à séparer les dynamiques de classe représentées d’un côté par les travailleurs exploités, et de l’autre par les petits patrons (…).

On connaît dans bien des entreprises des ouvriers qui, après le boulot, foncent sur tel ou tel barrage, ne serait-ce que pour y passer un peu de temps. Autant ils se posent le problème de participer aux gilets jaunes, autant mener la bagarre dans leur entreprise, contre leur patron, leur semble encore impossible. Nous ne savons pas si le mouvement des gilets jaunes peut, comme la révolte étudiante de 1968, déboucher sur une grève générale, mais il faut en défendre la nécessité auprès des travailleurs, qui prennent justement 1968 comme référence (…).

Et les gilets jaunes ont compris une chose, que les dirigeants syndicaux ont voulu faire oublier, c’est que l’essentiel est dans le rapport de force. Tout cela illustre ce que nous répétons souvent : les travailleurs ont des ressources extraordinaires, quand ils se mettent en branle, ils apprennent vite. Si le mouvement ouvrier organisé pouvait s’inspirer de tout cela, ce serait déjà bien ! »

Les révolutionnaires et le mouvement des Gilets jaunes

 

« Il est également dans la logique des choses qu’une explosion de colère comme celle qui a conduit au mouvement des gilets jaunes mélange des colères de catégories sociales diverses. Celles du monde du travail, des retraités qui peinent à survivre, des chômeurs sans espoir de trouver du travail dans leur région, des travailleurs qui n’en ont trouvé un qu’à des dizaines de kilomètres de leur lieu d’habitation et pour qui le prix du gazole est une composante vitale de leur pouvoir d’achat, des aides-soignantes, des mères seules, des jeunes qui galèrent d’embauches précaires en petits boulots, des ouvriers, employés, techniciens de petites entreprises.

Ces colères venant du monde des salariés se sont mélangées avec celles des couches petites bourgeoises qui ont le plus de mal à s’en sortir. La méfiance à l’égard des partis institutionnels, qui prend facilement la forme d’un apolitisme affiché, s’enracine dans le désir de préserver l’unité entre les différentes composantes du mouvement. Cette unité, et la fraternité forgée sur les ronds-points occupés et dans les actions menées en commun, semblent être le gage de la victoire.

De quelle victoire ? De qui et contre qui ? Le mouvement des gilets jaunes a d’autant plus de mal à répondre à ces questions et même à se les poser que, derrière l’unité dans la colère, les intérêts des uns et des autres divergent, tout comme aussi les voies pour exprimer cette colère. »

Les gilets jaunes : l’expression d’une colère, la recherche d’une perspective

 

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Des « foulards rouges » en réaction aux gilets jaunes

Les gilets jaunes n’ont pas ébranlé l’ordre social, mais ils ont révélé des failles et ce moment de crise est considéré comme très stressant par des couches sociales éduquées et socialement parfaitement intégrées. C’est le début d’un remue-ménage digne des années 1930.

foulards rouges

La manifestation parisienne de dix mille personnes sous la bannière des « foulards rouges » n’est pas du tout quelque chose d’anecdotique. Cette « marche républicaine des libertés » montre au contraire qu’il y a une grande expérience politique en France, même si le niveau idéologique et culturel en rapport avec la politique est au plus bas. Pour dire le niveau, d’ailleurs, ces foulards rouges sont… une allusion aux fêtes de Bayonne.

C’est que les gilets jaunes ont révélé les faiblesses structurelles de la France, une grande puissance en perte de vitesse. Ils ne représentent pas une lutte de classes quelconque, mais sont une expression du ralentissement de la France, de la crise. Et forcément cela inquiète, beaucoup de couches sociales se remuent, agissent, se mettent en branle. Malheureusement pas les ouvriers, évidemment, pas encore.

En l’occurrence, les foulards rouges sont une expression ultra-minoritaire mais très hautement symbolique de couches petites-bourgeoises et bourgeoises éduquées, socialement intégrées, particulièrement posées dans leur style de vie. Forcément, elles sont profondément inquiètes du remue-ménage causé par les gilets jaunes. Ce qui cause des troubles les dérange, les agace, leur rappelle qu’on ne vit pas dans une bulle dont la construction européenne serait l’apogée.

Il faut également prendre en compte que ce qui se passe en France avec les gilets jaunes a attiré l’attention de l’opinion publique mondiale, qui se dit que vraiment les Français ont des mœurs étranges pour laisser un tel chaos se développer, jusqu’aux Champs-Élysées. Cette tolérance, voire ce goût pour la contestation exprimée de manière véhémente surprend, surtout somme toute pour des perspectives extrêmement floues. Ces couches sociales éduquées, mais hors sol, voient les choses de la même manière.

Du côté de l’État et de la haute bourgeoisie, on sait évidemment que les gilets jaunes, la casse, le petit chaos, etc. relève davantage du folklore symbolique qu’autre chose. C’est du théâtre ; cela fait des années que cela existe, c’est une manière de contenir les tensions, d’empêcher une politisation, etc. Ce n’est tout de même pas pour rien que la police laisse la casse se mener régulièrement, par exemple dans le centre-ville de Nantes.

Cependant, du côté des couches petites-bourgeoises et bourgeoises moyennes, urbaines, tout cela est considéré comme très mauvais, très dérangeant. Surtout quand les choses durent. Ces couches sociales, qui sont somme toute le public de Benoît Hamon, d’EELV, et bien évidemment d’Emmanuel Macron. Et elles ne l’ont pas soutenu dès le départ, pour se retrouver dans une telle situation !

Sur Europe 1, l’un des initiateurs des « foulards rouges », Théo Poulard, a très bien résumé cet état d’esprit :

« On n’est pas contre les ‘gilets jaunes’. On est contre les casseurs, les pilleurs et les extrêmes. »

La France n’est évidemment nullement aux mains des casseurs, des pilleurs ; quant aux extrêmes, il n’y a que l’extrême-droite. Mais ce rejet des extrêmes correspond au fonds de commerce de couches sociales républicaines, prêtes à du social, éduquées et intégrées, détestant tout ce qui menace par contre ses intérêts ou semble les menacer. Elles font toujours des efforts pour être dans la tendance à la stabilité : il faut bien se souvenir ici qu’elles ont joué un rôle important dans le cadre du Front populaire. Les radicaux de gauche alliés aux socialistes et aux communistes, ce sont précisément ces couches sociales. Il va de soi qu’en 1981, elles ont joué un rôle essentiel pour la victoire socialiste.

Elles sont donc toujours légitimistes, détestent les confrontations sociales, sans pour autant être réactionnaires. D’où les t-shirts avec inscrits « Stop aux violences » et « J’aime ma République », la banderole « Stop la violence La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale », les slogans « Non, non non à la révolution. Oui, oui, oui à la démocratie », les pancartes « On veut rester libres », « Non à l’intolérance ».

Il va de soi que gagner ces couches sociales sera dans tous les cas une des difficiles tâches de tout mouvement de Gauche cherchant à changer profondément les choses. Cependant, il faut bien voir qu’elles sont déboussolées ; elles voient bien qu’Emmanuel Macron les a plus utilisées qu’autre chose. Leur éloge d’Emmanuel Macron lors de la manifestation d’hier est surtout un appel à ce qu’il revienne dans « leur » camp.

C’est cependant trop tard et c’est bien pour cela que seulement une quinzaine de députés et cinq sénateurs de La République en marche ont participé à la manifestation. Emmanuel Macron représente la bourgeoisie moderniste prête à la marche forcée dans le sens de l’ultra-libéralisme, le contenu « républicain » ne l’intéresse pas du tout. Il suffit d’ailleurs de voir son soutien total aux chasseurs, à la chasse à courre, son arrogance liée à son parcours.

Ces couches sociales vont donc continuer à être ébranlées et les propositions d’une utopie européenne, comme le font EELV et Benoît Hamon, ne les satisferont pas. A la Gauche d’être en mesure de calibrer un rapport productif avec elles, en s’appuyant sur leur rejet des monopoles et leur conscience écologique.

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L’acte XI des gilets jaunes : un mouvement désormais cristallisé

Après la fin de l’explosivité sociale propre à des couches moyennes ayant la hantise de la prolétarisation, on a donc désormais les gilets jaunes comme mouvement structuré. Ultra-minoritaire, ils restent cependant en phase avec le populisme si fort en France, continuant eux-mêmes à empoisonner les esprits.

gilets jaunes

Le mot d’ordre le plus représentatif de ce onzième samedi des gilets jaunes, c’est bien sûr la « nuit jaune ». On a déjà vu que le mouvement des gilets avait changé de nature, perdant de son explosivité, cessant d’être un moment de crise sociale de couches moyennes saisissant avec effroi le risque de déclassement social. Il est désormais porté par une frange très clairement petite-bourgeoise, avec des lubies ultra-démocratiques, complotistes, anti-politiques, populistes, etc. D’où fort logiquement la tendance à revenir à « Nuit debout », comme la vaine tentative hier place de la Bastille à Paris.

Une vaine tentative montée par Eric Drouet, par ailleurs à l’origine d’un rassemblement à part à l’est de Paris avant de rejoindre le cortège général… Et qui s’inscrit dans le schéma général de cristallisation des gilets jaunes comme mouvement indépendant, structuré, avec une identité propre, même si évidemment diffuse. Il faut ainsi ajouter les deux listes pour les Européennes en train de se monter, une mise en place par la très médiatique aide soignante Ingrid Levavasseur, sous le nom de « Ralliement d’initiative citoyenne », l’autre par le chanteur Francis Lalanne.

De manière concomitante à ce changement de forme, et cela malgré le battage médiatique, le nombre de gilets jaunes se stabilise, en étant à autour de 70 000 hier, avec notamment 1 500 à Lyon, 4 000 à Paris, 5 000 à Bordeaux, 1 500 à Lille, 2 500 à Dijon, 1 500 à Montpellier, 2 000 à Nantes, 300 à Strasbourg, 90 à Coutances (dans la Manche), 4000 à Marseille… Avec les inévitables petits accrochages avec la police et des choses débiles et folkloriques comme un lâcher de lampions sur une plage à Saint-Laurent-du-Var pour essayer vainement (et heureusement) de perturber l’aéroport de Nice !

On notera qu’à Marseille, la CGT a participé au cortège, ce qui reflète toute une grosse problématique chez les syndicats. L’échec complet de la grève des cheminots a été un coup très rude pour eux et l’émergence d’un mouvement populiste comme les gilets jaunes risque d’autant plus de leur être fatal. La première victime des gilets jaunes, ce ne sera pas en effet Emmanuel Macron, qui est bien installé dans un régime lui-même parfaitement ancré, ce sera les syndicats, minoritaires dans le pays depuis toujours, porté par une logique de minorité activiste qui ne marche plus et qui plus est désormais remplacé par les gilets jaunes !

Les syndicalistes n’ont qu’un seul moyen de reprendre l’initiative : balancer par dessus bord la charte d’Amiens et enfin assumer la politisation à gauche. S’ils ne le font pas, ils seront balayés. Les gilets jaunes, avec leur ultra-populisme, leur démagogie sociale sans bornes, leurs propositions relevant du mythe mobilisateur comme le « référendum d’initiative citoyenne », ne feront qu’une bouchée d’eux. Il n’y a d’avenir syndicaliste que dans la liaison étroite avec les valeurs de gauche et cela de manière assumée. Il faut mettre un terme à la démarche française du syndicat au-dessus de la politique et assumer le modèle allemand du syndicat comme expression syndicale d’une orientation politique.

On sait à quel point les syndicalistes ne veulent pas de cela, cependant étant donné que la convergence des gilets jaunes avec l’extrême-droite est évidente, il faudra bien, à un moment donné, assumer dans un sens comme dans un autre.

De toutes manières, l’Histoire a fait son œuvre et on sait désormais que la vraie Gauche consiste en ceux et celles n’ayant pas cédé aux sirènes des gilets jaunes.

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L’insupportable émission « La parole aux français » de Cyril Hanouna et Marlène Schiappa

L’émission spéciale « grand débat national » avec Cyril Hanouna et Marlène Schiappa a tenu toutes ses promesses. On a eu le droit à ce grand étalage de populisme et de raccourcis insupportables, avec en face deux portes-paroles d’Emmanuel Macron venues expliquer qu’il fallait être raisonnable mais que beaucoup de choses étaient déjà faites par le gouvernement.

Intitulée « La parole aux français », l’édition spéciale de l’émission « Balance ton post » avait lieu en direct. Le secrétaire d’État Mounir Mahjoubi a parlé d’un « beau moment de démocratie ». Les auteurs des Lumières doivent se retourner dans leurs tombes ! La démocratie est ici réduite à une sorte de quête d’une formule magique populiste, qui emporterait l’adhésion au cours d’une émission de télévision racoleuse, où l’on vote sur twitter !

Voici comment Le Figaro raconte le principe qui a été mis en place hier :

« Face à la secrétaire d’État, plusieurs personnes issues de la société civile étaient venues pour exposer leurs propositions dans le cadre du «grand débat national». Ainsi, un agriculteur, une retraitée, un millionnaire qui porte les idées des «gilets jaunes», une auto-entrepreneuse ou un sans-emploi étaient présents.

À chaque proposition, les invités devaient écrire leur proposition sur le paperboard. L’objectif: mettre en place un «atelier interactif», selon les mots de Marlène Schiappa. Ensuite, après un débat entre les invités, Marlène Schiappa écrivait à son tour, en rouge, la proposition remodelée qui sera retenue. Les téléspectateurs étaient, dans le même temps, appelés à voter pour ou contre sur le compte Twitter de  Balance ton post! La plupart des propositions avaient recueilli, en quelques minutes, plus de 10.000 votes. La première concernait, par exemple, un taux de TVA à 0% sur les produits de première nécessité. »

Le fait que Le Figaro raconte cela de manière aussi simple, sans critique, dans un article publié alors que l’émission n’était même pas finie, reflète bien l’incroyable décadence générale que connaît la France. On est ici dans un cinéma grotesque, une animation pitoyable, une véritable insulte générale à la Raison. L’animateur « baba », qui dit sans cesse « mon chéri, je t’adore » à des gens qu’il ne connaît même pas, a trouvé en Marlène Schiappa un strict équivalent politique, avec ses airs de potiche voulant mettre tout le monde d’accord avec des phrases volontairement simplistes.

C’est d’ailleurs elle qui lui a suggéré l’émission, et on a bien compris comment celle-ci est censée servir le plan d’Emmanuel Macron pour apparaître comme le recours raisonnable face au populisme non raisonnable. Les ficelles étaient d’ailleurs très grosses avec à plusieurs reprises un intervenant soulevant un problème puis la Ministre ou sa comparse députée LREM expliquant que cela était déjà en cours d’être résolu par le gouvernement.

Sur le fond, tout est fait pour engluer la pensée dans des considérations sans réflexions, sans envergure, sans enjeu. Tout est fait, disons-le plus simplement, plus directement, pour masquer la bourgeoisie, qui n’existe tout simplement plus dans un panorama où, d’ailleurs, le capitalisme lui-même n’existe plus.

On n’a même pas une critique du néo-libéralisme, ce qui ne voulait rien dire mais au moins disposait d’une certaine dignité. On a juste droit à la logique du « on veut vivre mieux », ce qui a l’air concret de prime abord, mais n’aboutit à rien à part aux gesticulations populistes et aux jugements à l’emporte-pièce. Le twitter de l’émission n’y est pas allé de main-morte d’ailleurs :

Il faut dire que depuis le début des gilets jaunes, la nouvelle émission de Cyril Hanouna « Balance ton post » a fait la part belle au mouvement. Ceux-ci vont totalement dans son sens, et inversement. Ce qui prédomine, c’est une démarche superficielle, refusant la complexité des choses, assumant les raccourcis et les postures grotesques.

Les quasiment quinze minutes d’autosatisfaction au lancement de l’émission ont donné le ton de cette grande insulte à l’intelligence populaire et au pouvoir démocratique. Le grand spectacle du direct et de l’authentique a ensuite été joué jusqu’au bout avec à la fin un pseudo vote à la manière d’un jeu TV pour sept propositions.

C’est lamentable, c’est honteux, et cela mène la société française droit à la catastrophe.

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Crime contre la culture : Cyril Hanouna – Marlène Schiappa pour le « grand débat national »

Pour toute personne cultivée, Cyril Hanouna est un cauchemar. Le fait qu’il soit au cœur d’une émission spéciale « grand débat national », sur C8, en dit long sur le niveau de populisme et de stupidité de la France. La présence de Marlène Schiappa comme co-animatrice, alors qu’elle est membre du gouvernement, montre bien qu’on a touché le fond.

Depuis plusieurs mois, la secrétaire d’État à l’Égalité entre les femmes et les hommes Marlène Schiappa se veut une porte-parole de la cause des femmes, n’hésitant pas à intervenir souvent et avec un grand relais dans les médias. Tout cela ne correspond qu’à un féminisme comme simple levier afin d’augmenter l’esprit de compétition entre les travailleurs, pas du tout à un vrai féminisme. On en a la simple preuve au fait qu’elle, pourtant membre du gouvernement, se retrouve comme co-animatrice d’une émission avec Cyril Hanouna.

Peut-on croire une seule seconde que Cyril Hanouna soit en adéquation, dans son style beauf, avec les exigences d’un véritable féminisme ? Absolument pas, bien entendu. L’ennemi des femmes, c’est avant tout les beaufs. Ceux-ci récusent tout changement et toute réflexion, or la cause des femmes implique une participation des hommes à leur rééducation morale et psychologique, par l’abandon du style patriarcal.

Cyril Hanouna correspond à un tel style et Marlène Schiappa montre que son féminisme est un simple opportunisme. Il y a ici une absence totale de dignité, un véritable jeu de massacre de la dignité des idées et de la vie politique. Ce n’est même plus ici de la dégradation, c’est de la destruction pure et simple. Il faut d’ailleurs rappeler ici le jeu sombrement infâme de Cyril Hanouna dans le cadre d’un populisme télévisuel débridé.

Avant le début des gilets jaunes, des infirmiers en colère étaient venus à la sortie des studios à Boulogne-Billancourt pour demander à Cyril Hanouna de les aider, et il les a invités à son émission. C’est pour cela que le 19 novembre des gilets jaunes ont fait pareil, et qu’il les a invités à « Touche pas à mon poste ». Une phrase prononcée à Cyril Hanouna par un gilet jaune le 19 novembre et largement soulignée par les médias alors résume tout:

« On veut que tu dises à Macron que le peuple souffre. »

Il y a un mot très simple et très compliqué pour résumer cela : le fascisme. Non pas qu’on soit dans le fascisme ou que ces gens soient fascistes, mais c’est le fascisme qui s’exprime à travers cette situation.

Car quand on en arrive au point où des gens opprimés ne parviennent même plus à se relier à la classe des travailleurs, qu’ils en arrivent à quémander un animateur télé pour qu’il demande au président de l’aide, c’est que tout est perdu. On en est au point où l’individualisme est complet, le niveau culturel à zéro. La société est aseptisée et est mûre pour basculer dans la quête d’un sauveur venant « rétablir » la justice.

Ce grand moment de télévision qui nous est promis avec Cyril Hanouna et Marlène Schiappa est une catastrophe culturelle, une insulte à la France des Lumières et à l’histoire des luttes de classes de ce pays. Ce n’est pas même une farce, c’est un crime contre la culture.

Voir des siècles de vie politique française réduits à un débat avec des demandeurs d’emploi, des retraités et des commerçants organisé par l’animateur Cyril « les nouilles dans le slip » Hanouna et un membre du gouvernement… ce n’est même plus de l’aberration, c’est de la folie pure et simple.

Ou, plus précisément, l’expression d’une décadence générale de la société française, littéralement anéantie culturellement par le libéralisme économique, politique et culturel.

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« Mon européenne » de Saez, une contribution très utile

La chanson « Mon Européenne » (mars 2017) du chanteur alternatif Saez exprime très bien l’état d’esprit des gens de gauche à propos de l’Europe. C’est une contribution très utile, alors que les élections européennes qui auront lieu fin mai 2019 posent un vrai problème à cause du nationalisme.

Saez est un chanteur très sympathique qui produit depuis de nombreuses années un rock alternatif de qualité, tantôt punk rock, guitare sèche ou piano/voix. Il connaît un grand succès mais n’a jamais renié ses principes et ne s’est soumis aux circuits commerciaux.

Il chante systématiquement la jeunesse et la classe ouvrière, défend l’humanité universelle sans renier l’héritage culturel français, hait le racisme et la bêtise humaine sans jamais tomber dans la mièvrerie catho ou les bons sentiments bourgeois. Il assume « notre mère la Terre » et fais part d’une grande sensibilité, comme avec son très saisissant et progressiste « Les enfants du Paradis » qui pleure les attentats de novembre 2015 à Paris.

Son « Européenne » porte quelque chose de populaire qu’on apprécie forcément quand on veut changer la vie sans se résigner à la société de consommation. Elle est « j’t’emmerde avec ta thune », « c’est pas la Bruxelles », « elle est ouvrière licenciée, non c’est pas la fille du progrès ».

Ce n’est clairement pas l’Union Européenne, car forcément quand on a des exigences sociales, on n’aime pas ce grand marché commun capitaliste. Cependant, on apprécie l’ouverture culturelle ; les populistes faisant du rejet de l’Union Européenne un thème mobilisateur font donc froid dans le dos.

C’est pour cela que l’« Européenne » de Saez ne veut pas du nationalisme :

« Elle a pas vraiment de frontières
Son corps c’est la planète entière
N’en déplaise au peuple bourgeois
Tu sais mon Européenne à moi »

Mais ce n’est pas non-plus un cosmopolitisme libéral, celui d’un Raphaël Glucksmann qui a eu, si l’on peut dire, le mérite d’assumer cet horrible fait : « Quand je vais à New-York ou à Berlin, je me sens plus chez moi, a priori, culturellement, que quand je me rends en Picardie ».

Au contraire, l’« Européenne » de Saez est ancrée dans l’histoire :

« Elle est accordéon sanglot
Elle est accorde-moi un tango
Elle est destin des origines
Elle est racine gréco-latine »

« Elle a des airs de statue grecque
Elle a des airs des Italies
Qu’on dirait Paris à Venise
Qu’on dirait Namur aux Marquises
C’est Gauguin qui peint la terre
Comme un pinceau vous dit mon frère »

De manière générale, jusqu’à récemment, il suffisait pour les gens à Gauche de critiquer les traités libéraux de l’Union Européenne tout en appréciant l’ouverture des frontières et la facilité des échanges culturels. C’était facile, consommateur, opportuniste, et finalement tout à fait conforme au libéralisme instigué par les classes dirigeantes ayant lancé ce grand marché commun.

Le problème est que les populistes ont, qu’on le veuille ou non, mis ce problème du libéralisme sur la table. Ils l’ont bien-sûr fait dans un sens nationaliste, prônant le repli comme avec le Brexit qui n’est qu’un moyen pour la bourgeoisie britannique d’emmener avec elle le peuple vers la guerre.

Le rejet populiste de l’Union Européenne est donc un piège et il s’agit de ne pas tomber dedans.

Faut-il à rebours, pour éviter ce piège, défendre unilatéralement l’Union Européenne, comme le fait un Ian Brossat du PCF ou encore le mouvement de Benoît Hamon dont une cadre députée européenne peut expliquer en réunion publique qu’elle est pour la dilution de la France dans un État européen ?

On imagine que non, car ce serait là suicidaire, impossible à assumer pour la classe ouvrière. Mais il faut en tous cas avoir une position, et pour cela il faut une vision, des valeurs claires. La chanson « Mon Européenne » de Saez n’est bien évidemment pas une position politique, mais c’est une vision du monde, utile pour essayer d’y voir clair et d’élaborer une position, alors que les élections européennes vont être un moment très compliqué pour les personnes progressistes, pour la Gauche.

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Un accord franco-allemand d’Aix-la-Chapelle sans grande valeur historique

Emmanuel Macron a signé hier avec Angela Merkel, la chancelière allemande, un nouvel accord franco-allemand. Contrairement à ce qui avait annoncé, il n’y a rien de bien nouveau et certainement pas le moteur franco-allemand assumé et organisé au plus haut niveau. C’est une preuve de plus de la décomposition des accords internationaux et du retour général à l’égoïsme national, positionnement considéré comme nécessaire dans le repartage du monde tant attendu.

Le Monde est fou de rage contre Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan ; l’éditorial du quotidien est assassin avec eux. Ils sont accusés de propagation de fausses nouvelles et de « polémique fallacieuse », pour avoir affirmé que, grosso modo comme le quotidien le résume, le nouveau traité franco-allemand aboutissait « à vendre l’Alsace et la Lorraine à l’Allemagne, à partager avec cette dernière le siège permanent de la France au Conseil de sécurité de l’ONU, voire notre puissance nucléaire ».

Il ne faut pas prendre davantage au sérieux Le Monde que Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan : ici, tout le monde joue sa petite mélodie conforme à son approche, libérale-européenne ici, souverainiste-nationaliste là. C’est que la signature d’un nouveau traité franco-allemand ne pouvait pas laisser indifférent, même si à vrai dire l’État allemand s’en moque un peu. Emmanuel Macron est d’ailleurs dépité, car lui espérait vraiment un accord de tandem franco-allemand.

Seulement l’Allemagne n’a pas ce sens de l’urgence de la France, grande puissance en perte de vitesse. Son économie est puissante et tourne très bien, en profitant largement de l’Europe de l’Est ; elle n’a pas les besoins d’une France à vocation impériale mais, comme toujours, sans vrai moyen pour ses fins. Ici d’ailleurs tout le monde en politique est d’accord sur le fait que la France doit rester une grande puissance, avec une armée d’envergure, une influence mondiale. Les désaccords portent sur comment y parvenir. Seule ? Avec l’Allemagne ? Avec l’Union Européenne ? Avec la Russie ?

Cela veut dire qu’il n’y a pas de Gauche, car s’il y avait une Gauche il y aurait une dénonciation de l’expansionnisme, de la tendance à la guerre, une vraie critique de l’armée, des manipulations à haut niveau surtout en Afrique, etc. Au lieu de cela, on a des discours hyper-patriotiques dans une gauche devenue social-patriote, dans une apparence allant tellement loin d’ailleurs qu’elle aurait été intolérable à tous les gens de Gauche en 1980, ou même avant. Le recul est terrible.

Ainsi, les gens de Gauche sont coincés entre les pro-Europe voyant dans le libéralisme culturel le vecteur du progrès individuel, et les anti-Europe dont le chauvinisme ne se masque pratiquement pas, quand il n’est pas ouvertement agressif. Et cela en France, dans le pays malade de l’Europe, avec les gilets jaunes comme symptôme d’un très profond malaise et d’une impression de perte de prestige. On voit mal comment cela ne peut pas mal tourner, avec un mouvement patriotique social soulevant la population pour faire « revenir la France ».

Le spectre d’un Donald Trump français hante la France. On sait déjà que sa couleur préférée est le jaune.

Beaucoup espèrent que l’Europe, comme principe, est un moyen d’empêcher cela ; c’est le cas par exemple de Benoît Hamon ou d’EELV, ou même du PS. Même si on part du principe qu’ils ont raison, les accords signés par le président français et la chancelière allemande hier à Aix-la-Chapelle hier douchent leurs espoirs. Pour que l’Union Européenne avance, surtout avec le Brexit britannique, il faut une volonté forte d’unité. Un simple texte de « de coopération et d’intégration » signé par la France et l’Allemagne ne va pas en ce sens.

Le traité veut harmoniser le droit des affaires des deux pays et former une « culture commune » entre les deux armées ? Cela fait des années qu’on en parle et que rien n’avance. Et rien ne peut avancer : les égoïsmes capitalistes sont trop forts, aucun effort culturel n’est fait à aucun niveau. Un simple sondage montrerait aisément que la très grande majorité des Français serait incapable de citer un écrivain allemand, et encore heureusement y a-t-il Bach et Beethoven.

Le nouveau traité franco-allemand n’est que le prolongement de l’accord signé il y a 56 ans, dont il dit finalement la même chose. Sauf que la situation est totalement différente d’il y a 56 ans. Et on voit que seuls les égoïsmes nationaux sont à la hauteur.

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L’Union Européenne à la croisée des chemins

Les prochaines élections européennes vont refléter un grand tournant pour l’Union Européenne, car l’idée d’unité européenne apparaît comme coincée entre une vision transnationale utopique et un retour offensif des nationalismes.

Parlement européen - wikipedia

Dans les années 1990, les Français pensaient dans leur majorité que dans les vingt années suivantes, il y aurait un passeport européen, des États-Unis d’Europe. Cela apparaissait comme la conclusion logique de l’effondrement du bloc de l’Est et de la montée des échanges entre les pays, le tout dans une ambiance utopique de paix, de commerce et de citoyenneté.

Aujourd’hui, plus personne n’y croit et le parlement européen de Bruxelles est compris, à juste titre, comme une sorte d’entité transnationale instaurant des réglementations visant à la fois la sécurité mais aussi surtout la libéralisation, les nouveaux règlements renforçant la compétition économique de par les exigences nouvelles.

Ces règlements ne sont pas forcément appliqués d’ailleurs, selon les situations et les pays. Paris ne se résoudra pas à fermer son métro, alors que normalement il devrait afin de faire des travaux pour le rendre accessible aux handicapés. De la même manière, la sécurité sociale française n’applique pas vraiment les principes européens de la carte de séjour nécessaire au-delà de trois mois pour les citoyens européens, ayant une politique d’immigration très ouverte.

C’est que les intérêts nationaux priment tout de même, malgré tout et c’est cela qui a ruiné le projet européen. Ce projet n’était d’ailleurs pas autre chose au début qu’une tentative de renforcer le capitalisme, dans le prolongement du plan Marshall et avec l’appui des États-Unis.

L’idée d’une unité politique, comme utopie pacifique, est finalement assez récente et n’a jamais correspondu à quoi que ce soit de concret. Ce n’était qu’un discours mis en avant par la démocratie-chrétienne des différents pays, pour justifier le renforcement du libéralisme, qui est pour le coup la véritable utopie de ces gens.

Certains, comme Benoît Hamon, EELV ou le PCF, pensent à Gauche qu’il est nécessaire de reprendre cette utopie d’unité et d’en faire l’étendard des valeurs à exiger : le refus du nationalisme, l’ouverture aux autres, la coopération internationale, l’opposition au militarisme.

Cela est évidemment très sympathique comme idée, le souci est que les gens qui la soutiennent ne sont rien d’autre que sympathiques. Ils sont de milieux sociaux urbains et cultivés, ouverts sur le monde mais en même temps totalement déconnectés du monde « d’en bas ». L’idée même de crise économique ou sociale les dépasse et ils n’envisagent même pas que la classe ouvrière ait une histoire, une identité.

D’autres pensent qu’il faut faire de la rupture ou d’un certain type de rupture avec l’Union Européenne le point de départ de toute initiative politique et sociale. C’est le cas de Jean-Luc Mélenchon et La France Insoumise, et des différentes organisations politiques issues de la gauche du PCF. A l’arrière-plan, il y a l’idée que seule la « République » peut permettre des conquêtes sociales, dans l’idée de Jean Jaurès. Naturellement, il n’est pas possible de nier certaines tendances « patriotiques », « souverainistes », nationalistes.

C’est un véritable conflit qui existe à Gauche, et dans le contexte d’une Union Européenne puissamment ébranlée par les montées du repli nationaliste, dans la perspective de la défense militariste des égoïsmes nationaux… c’est évidemment explosif.

Par conséquent, s’imaginer avec un tel arrière-plan qu’on peut être de Gauche et éviter la participation aux débats, le soutien à une nouvelle structuration de type politique, n’est tout simplement pas possible.

Le travail de fond sur des expériences positives, pouvant servir de moteurs ou de modèles, est la tâche contributive la plus importante ; dans tous les cas elle doit s’allier à une perspective visant un état d’esprit unitaire.

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La Lettre au président de la République de Benoît Hamon

À l’occasion du grand débat national lancé par Emmanuel Macron et en réponse à sa lettre aux français, Benoît Hamon a écrit une lettre ouverte à Emmanuel Macron pour y exposer son point de vue quant à la situation actuelle.

Benoît Hamon

Cher.e.s ami.e.s, vous trouverez ci-dessous la lettre que j’ai envoyée aujourd’hui au président de la République. N’hésitez pas à la partager autour de vous.

Amitiés.

Benoît Hamon

Lettre au président de la République

Paris, le 17 janvier 2019

Monsieur le président de la République,

Le contraire de la connaissance, ce n’est pas l’ignorance, c’est la certitude. Vous avez trop de certitudes.

J’ai lu la lettre que vous avez adressée à tous les Français. Vous leur proposez un débat mais c’est vous qui fixez la teneur des questions, leur nombre et leur champ restrictif. Ce débat public commence mal quand les membres du gouvernement passent plus de temps à énoncer la liste des questions interdites plutôt que de laisser nos concitoyens exprimer sans entrave leurs doléances.

Je vois dans votre méthode, une nouvelle manifestation de la méfiance intrinsèque de votre quinquennat à l’égard du peuple. Comme si les Français étaient en retard sur leurs élites, comme s’ils n’étaient pas les meilleurs experts de leur propre vie. Et pourtant, nous avons tant besoin de retrouver une communauté de destin.

La planète n’est plus assez grande pour héberger la civilisation vorace et productiviste dont vous êtes un des derniers apôtres. Les buts de cette civilisation, posséder, produire, consommer, exploiter la nature sans limite, ne sont plus soutenables et pourtant, en dépit du cri d’alarme des scientifiques relayé par des millions de citoyens signataires de la pétition pour l’affaire du siècle, en dépit des dizaines de millions de femmes et d’hommes jetés sur les routes de l’exil par la pauvreté et le dérèglement climatique, en dépit de la colère qui monte partout en réponse à l’accaparement de la richesse par une minorité d’ultra-riches, vous continuez à fixer comme but à notre civilisation, la croissance du PIB et d’indexer le bonheur des êtres humains sur la seule richesse matérielle.

Jamais vous ne dites à nos concitoyens qu’il faudrait radicalement changer de cap, trier et choisir dans nos modes de vie « ce dont nous ne pouvons et dont nous ne voulons pas nous passer » pour engager sereinement et démocratiquement les transitions indispensables.

La crise que nous vivons, n’est pas un épisode social parmi d’autres, c’est une crise sur l’essence même et les buts de notre civilisation.

A force d’injustices, votre présidence est devenue celle du désordre. A force d’inégalités, votre quinquennat est désormais celui de la révolte des Français. Le mouvement des Gilets jaunes vous a contraint à écouter le désespoir qui gagne, chaque jour davantage, notre peuple. Une écoute contrainte, à défaut, hélas, d’être attentive car à la question de la redistribution des richesses, vous répondez par une charité financée par les Français eux-mêmes ; à la question démocratique, vous apportez une réponse sécuritaire ; à la question écologique, votre réponse est une politique minée par vos liens avec les lobbies les plus polluants et votre gabegie fiscale au profit des plus fortunés.

Il est urgent, Monsieur le Président de la République, de vous hisser enfin à la hauteur des fonctions que nos concitoyens vous ont confiées. Elu face à l’extrême-droite grâce à l’esprit responsable de républicains de toutes convictions, vous n’avez eu de cesse d’abîmer cette concorde pour appliquer sans discernement ni retenue un programme au service exclusif d’une minorité privilégiée.

Notre pays a besoin de retrouver l’espoir et les voies d’un dialogue national apaisé. Notre nation doit être mobilisée vers notre avenir collectif autour d’un grand projet de société à la fois écologique, social et profondément démocratique. Les Français ne demandent qu’à partager une communauté de destin dont votre politique de division les prive. La situation grave de notre pays appelle en effet un grand débat démocratique. Mais celui-ci ne peut se résumer à un artifice de communication de la part d’un pouvoir qui a continûment méprisé les corps intermédiaires, le Parlement et, par vos excès de langage récurrents, les citoyens eux-mêmes.

Soyez pour une fois, humble devant la clairvoyance des Français à vous dire ce qui est bon pour eux, pour notre pays, pour notre destin, quelles sont les bonnes questions et les bonnes réponses.

Je porte au nom de Génération.s, les propositions suivantes :

Je vous demande que ce débat national ouvre un processus constituant. La Vème République connait à l’évidence son crépuscule. Mais dans cette interminable agonie, le risque le plus grand est qu’elle emporte avec elle notre liberté. Les Français veulent respirer l’air d’une démocratie qui ne soit plus vicié par les lobbies privés ou la technocratie. Il faut renouer avec l’ambition de la « démocratie constante » chère à Pierre Mendès-France. Je vous demande donc de vous engager en faveur de la création d’une assemblée constituante qui au terme du débat national engagera la rédaction de la constitution d’une VIème République soumise à l’approbation du peuple français par referendum.

Je vous demande que ce débat national permette une nouvelle répartition des richesses. Si les salaires et les pensions sont si bas, si les entreprises licencient et multiplient les contrats précaires, si la souffrance au travail augmente, si les services publics désertent la France rurale, si l’hôpital public se tiermondise, si les associations mettent la clé sous la porte, si l’école ne parvient plus à enrayer les inégalités sociales, c’est en raison d’une richesse qui se concentre entre les mains d’une toute petite minorité plutôt que de servir l’intérêt général. Vous deviez être le Président de tous les Français mais c’est à cette minorité privilégiée que vous avez réservé toutes vos bontés. Il est l’heure d’un choc positif pour le revenu des Français grâce à l’expérimentation du revenu universel d’existence, au rétablissement de l’indexation des retraites sur les prix, à la hausse du SMIC et l’ouverture d’une négociation sur l’augmentation des salaires dans le secteur privé comme dans la fonction publique. Il faut aussi éradiquer la pauvreté qui est une honte pour un pays aussi riche que le nôtre grâce à la taxation massive des contrats précaires, des résidences secondaires inoccupées et des logements insalubres. Pour cela, il faudra mieux redistribuer la richesse grâce au rétablissement immédiat de l’ISF, à la taxation des GAFA, à la montée en puissance d’une véritable taxe sur les transactions financières ou à élargissement de l’assiette des cotisations sociales patronales à la valeur ajoutée, c’est à dire la mise en place d’une taxe sur les robots pour financer les retraites.
Je vous demande enfin d’engager un changement de notre modèle de développement. L’économiste américain, Kenneth E.Boulding, prétendait que « celui qui croit qu’une croissance exponentielle peut continuer indéfiniment dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste ». Epargnez à nos enfants de devoir un jour vous infliger le jugement tragique de l’Histoire parce que vous n’auriez pas été capable d’engager la nation dans la mutation de ses modes de production et de consommation. Vous avez opposé justice sociale et transition écologique. Comment pouvez-vous ignorer que les premières victimes de la malbouffe, ceux qui respirent l’air le plus pollué à proximité des grands axes routiers, ceux qui vivent dans des passoires énergétiques, ceux dont la santé est menacée, sont les Français les plus modestes. Les inégalités environnementales sont des inégalités sociales. Quelle responsabilité grave, avez-vous pris vis-à-vis des générations futures, de nos enfants et de ceux qu’ils feront, en retardant l’engagement total de la France dans la lutte contre le réchauffement climatique, pour la biodiversité et l’amélioration de la qualité de l’air.

Il faut une opération « mains propres », et tant pis si cela doit frapper d’abord ces grandes entreprises qui dissimulent leur impact négatif sur le climat derrière les parades sans lendemain de vos grand-messes environnementales. Je vous demande la taxation intégrale des profits des banques issus de leur soutien aux énergies fossiles, de la création d’une contribution financière des entreprises qui exploitent les biens communs de l’humanité (eau, ressources fossiles, axes de communication, information, etc…) et la fin du droit à polluer gratuitement alloué aux grandes entreprises. Il vous revient aussi de mettre un terme à l’impunité des évadés fiscaux qui spolient la France de ses ressources.

Monsieur le Président de la République, à vous observer résister par tous les moyens de l’Etat, parmi lesquels une répression de plus en plus brutale, à l’irruption du peuple dans l’histoire de notre pays, je pense à Albert Camus qui disait qu’il revenait à sa génération, une tâche plus grande encore que celle de refaire le monde, qui consistait à empêcher que le monde ne se défasse. Depuis le mois de mai 2017, vous défaites la France et ce qui fait la modernité de ses valeurs. Les Français vous ont stoppé dans votre œuvre de démolition.

Je vous demande de considérer sérieusement les demandes de justice sociale et de démocratie exprimées par les Français. En respectant le peuple, vous respecterez davantage l’éminente fonction que vous occupez.

Veuillez agréer Monsieur le Président de la République, l’expression de mon profond respect.

Benoît Hamon
Co-fondateur de Génération·s

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Gilets jaunes : un acte X sans explosivité ni remise en cause de rien

Le dixième samedi de manifestation des gilet jaunes a été marqué par leur changement de nature. À l’explosivité de couches sociale intermédiaires faisant face à leur déclassement succède une mise en scène de contestation dans l’esprit de « nuit debout ».

Les gilets jaunes ont manifesté de nouveau hier, avec 84 000 personnes comptabilisée en France. Ils étaient 10 000 à Toulouse, le plus gros rassemblement, 7 000 à Paris, 4 000 à Bordeaux, 2 500 à Angers ou Rouen, 2 000 à Nancy, 1 700 à Toulon, 1 500 à Bergerac ou Lille, 1 000 à Foix et La Rochelle, 900 à Besançon, 400 à Bezier, 300 à Boulogne-sur-mer ou encore 200 à Châtellerault.

Ils ont toutefois changé de nature. Fini l’explosivité propre à des gens liés aux couches populaires, on a désormais le style plus feutré de membres des couches moyennes ayant des considérations politiques assez avancées et l’habitude de les exprimer.

Sans aucun doute, le slogan qui résume le plus parfaitement le dixième acte des gilets jaunes est donc :  « de Pompidou à Macron, 50 ans de paupérisation ». Il résume en effet tout à fait la vision des gilets jaunes actuels, et reflète parfaitement leur décalage total avec les faits.

Non seulement il y a la négation des acquis sociaux de 1981, mais il y a également le mensonge total sur la croissance économique que la France a connu depuis quarante années. À écouter les gilets jaunes actuels, la France serait un pays arriéré économiquement avec un niveau de vie relevant du tiers-monde. La police serait meurtrière, l’administration de l’État digne d’une république bananière.

À les écouter, il y aurait une situation quasi insurrectionnelle, on serait à deux doigts de la révolution ou d’un changement de régime et Macron aurait déjà un pied en prison !

Pourquoi les gilets jaunes masquent-ils comme cela la nature de la France, très grande puissance à l’échelle mondiale, jouant un rôle colonial modernisé de manière très marquée ? Simplement parce que leur but n’est pas du tout le Socialisme, ou la révolution, ou quoi ce soit s’en rapprochant. Leur objectif est juste d’avoir une plus grande part du gâteau.

La position des gilets jaunes actuels, bien moins « explosifs » que ceux d’avant, au sujet du « grand débat national » d’Emmanuel Macron, est d’ailleurs le refus, au nom du fait qu’ils veulent peser sur les décisions prises et pas seulement donner leur avis. Peser comment ? Dans quelle perspective ? Ils ne le savent pas et ils s’en moquent.

On est là dans un jeu de pression tout à fait typique des classes moyennes, avec des discours riches en lyrisme pour masquer le fait que somme toute, la France n’est pas du tout touchée dans ses fondements.

Pour que la société française soit en effet ébranlée, il faut que soit mis en mouvement l’un des deux pôles de sa réalité sociale et économique : les ouvriers et les bourgeois. Les gilets jaunes s’opposent tant aux uns qu’aux autres, ils veulent devenir comme les uns et pas comme les autres, mais en même temps ont besoin des uns contre les autres.

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Certains doivent regretter d’avoir soutenu les gilets jaunes

Toute une gauche opportuniste s’est empressée de prendre le train en marche et de soutenir les gilets jaunes. Cela dans l’espoir d’en profiter quand tout sera fini. Le souci est que les gilets jaunes continuent et embarquent donc cette gauche opportuniste avec elle dans le populisme.

gilets jaunes

Les gilets jaunes correspondent à un moment de crise, pas à un « mouvement social » dans le cadre d’une situation pacifiée. Pour avoir confondu l’un avec l’autre, toute une gauche opportuniste se retrouve coincé.

Elle pensait que les gilets jaunes disparaîtraient et que sur les décombres il y aurait moyen d’en tirer quelque chose. Pour cela, il fallait donc hurler le plus fort, pour apparaître comme le plus radical aux yeux de ceux qui restent après cette lutte.

C’est cela qui explique la surenchère systématique, notamment de la part de l’ultra-gauche. On se situe ici entièrement dans la tradition de la tactique élaborée par Léon Trotski. Selon lui, il faut pratiquer la surenchère afin de dépasser les réformistes bloquant la révolution qui serait permanente. Cette conception a été élaborée dans Le programme de transition et correspondait à sa thèse selon laquelle le fond du problème est la « direction » de tout mouvement de lutte.

Tout cela est délirant, car il y a bien sûr des moments différents, des étapes dans toute prise de conscience, de plus le problème de fond n’est pas la « direction » mais bien la nature de la base. Avec les gilets jaunes, de par la matrice de leur mouvement, on ne peut pas diffuser des thèses rationnelles, des principes d’organisation, des valeurs socialistes.

Il s’avère donc que les gilets jaunes, en continuant sur leur lancée, vont entraîner avec eux toute une partie d’une gauche opportuniste dans le populisme le plus vil.

Naturellement, il va y avoir des retournements de veste : il va être dit qu’il ne s’agit pas des mêmes gilets jaunes, ou bien d’une minorité de gilets jaunes, etc. Il peut aussi être inventé que les gilets jaunes se divisent en deux tendances.

Mais c’est trop tard. La densité des gilets jaunes a été surestimée et le prix à payer est inévitable : tous ceux qui se sont reliés à eux vont être entraînés vers le fond. On ne joue pas impunément avec le feu. En politique, tout est une question de valeurs et le populisme est un piège terrible sur ce plan.

Il y a quelque chose d’inévitable qui plus est dans cela. La France Insoumise n’a cessé de dire que la Gauche classique était dépassée. On a pu voir une alliance parisienne entre l’ultra-gauche et la CGT lors de nombreuses manifestations. Cette même ultra-gauche a même revendiqué le soutien de Marcel Campion pour organiser des blocages, ce « roi des forains » qui est un grand soutien de Philippot.

A force, cette course vers l’apparence de radicalité s’est ouvertement transformée en course vers le néant. Ces gens s’imaginaient les protagonistes de quelque chose, ils n’ont été que l’avant-garde… des gilets jaunes. Autant dire que ce n’est pas gratifiant.

Et on peut même remonter plus loin. Lorsque la CNT, le syndicat à la pratique anarcho-syndicaliste, syndicaliste révolutionnaire, émerge en France dans les années 1990, avec un pic en 2000, que dit-elle ? Finalement la même chose que les gilets jaunes : pas de politique, pas de parlement, pas de partis, tous pourris, les gens doivent décider…

Cette simplification à outrance, ce relent de proudhonisme, ce culte de la spontanéité à la Bergson et à la Sorel, ces valeurs horriblement françaises, tout cela était déjà là.

Pour qui s’intéresse à l’histoire des idées, des démarches concrètes, il y a là plus qu’un parallèle : c’est bien une ligne droite. C’est une vague de dénonciation de la Gauche… mais pas pour aller à gauche, pour basculer vers la Droite.