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Mauvais oeil et le son mêlant enfin Orient et Occident

Le groupe Mauvais Œil qui vient tout récemment de sortir son mini-album pose une combinaison qu’on peut, pour résumer en raccourcissant la complexité de la chose, qualifier de rencontre entre l’Orient et l’Occident. « Afrita » et « Constantine » sont des titres qu’il faut impérativement découvrir, en étant forcément fasciné par le côté lancinant qui emporte telle une vague mélodique.

Ce mélange est extrêmement ardu à réaliser et il est ici somptueux. Il y a bien entendu énormément de rencontres musicales qui ont déjà été faites, notamment en France pour des raisons historiques. Mais le syncrétisme ou plus exactement la synthèse est extrêmement difficile à réaliser.

La raison en est la nature particulière de la musique orientale (la définition d’orientale étant ici extensive), avec son principe de plages, d’atmosphères. Un tel résumé est lui-même caricatural, mais on saisit la différence d’avec la base blues de la chanson qui s’est généralisée en Occident (et si on omet le folklore et ses refrains, tout comme le classique).

La synthèse n’a de ce fait, romantisme oblige, était tentée et réussie souvent que dans le milieu gothique / electro-industriel, l’Orient ayant une dimension puissamment romantique. En voici quelques exemple, par ailleurs des classiques au sens strict dans cette perspective musicale.

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De l’Allemagne (1813) par Madame de Staël : un romantisme de la raison

Madame de Staël est un auteur de grande envergure, avec ses contradictions et ses réalisations, elle est une figure de l’héritage national français propre à s’universaliser, qui a profondément marquée la littérature de notre pays. Elle représente un point d’aboutissement, sur la ligne de crête maximale atteinte par le mouvement rationaliste tel que porté par la bourgeoisie de notre pays sur le plan culturel avant que celui-ci ne bascule progressivement dans l’irrationnel et la décadence au cours du XIXe siècle.

caspar david friedrich - woman before going down sun

Toutes les contradictions de cet auteur tiennent bien sûr à ce qu’elle représente d’abord : la jonction entre l’esprit rationnel des Lumières et la période ambiguë du Romantisme qu’elle ouvre dans notre pays par une de ses œuvres majeures : De l’Allemagne, un essai publié en 1813, sous Napoléon Ier.

> Lire également : Adolphe de Benjamin Constant: «mon mouvement naturel est de fuir pour délibérer en paix»

Germaine de Staël découvre l’Allemagne lors d’un voyage en 1803-1804. À vrai dire, « l’Allemagne » n’existe pas alors sous la forme d’un État unifié. Formellement, le territoire allemand reste « le Saint Empire romain germanique » du Moyen Âge avec ses institutions féodales. Mais dans les faits, il est placé sous la tutelle de l’Empire d’Autriche au sud et de la Prusse au nord. La République française du Premier Consul Bonaparte (qui sera sacré empereur à la fin de l’année 1804) occupe toute la rive gauche du Rhin, où la féodalité a été abolie par le haut au profit de la mise en place de départements régis par la loi française et notamment le Code civil proclamé justement en 1804.

Madame de Staël est alors déjà plus en moins en exil en raison de son opposition à Napoléon Bonaparte qu’elle tient à juste titre pour un tyran ayant trahit les aspirations libérales des Lumières. Lors de son séjour, elle rencontre des auteurs aussi conséquents que Goethe ou Schiller. Elle prend même la peine d’apprendre l’allemand pour mieux s’imprégner de l’esprit de ces intellectuels exprimant la nation allemande sous une forme libérale, mais tournée vers le peuple et la sensibilité de la personne.

Ce qui va profondément la fasciner, c’est la reconnaissance de cette double dignité de la personne en tant qu’individu, de ses émotions et de sa sensibilité, comme base concrète et authentique pour exprimer le réel, et de celle du peuple comme abstraction collective définissant justement la personne et ses sens selon la logique de l’héritage. En revanche, elle ne perçoit pas, ou pas complètement, en raison de son appartenance de classe, que cette démarche est une unification par le haut de la nation allemande, traduisant une volonté que nous dirions aujourd’hui populiste et non populaire. Mais il faut aussi dire, qu’au moment où elle écrit, cette dimension n’est pas encore clairement établie en Allemagne, et qu’en France, cette démarche sera plus clairement affirmée par d’autres comme Chateaubriand ou plus tard et en pire Victor Hugo.

Quoi qu’il en soit, la rédaction de De l’Allemagne suivra donc cette expérience, mais avec un décalage de plusieurs années. La première version était prête en 1810, mais l’ouvrage ne sera publié qu’en 1813 à Londres. Il connaît un succès immédiat, et il est réédité dès l’année suivante. Il faudra attendre toutefois la chute de Napoléon en 1815 pour qu’il soit formellement autorisé à la publication en France.

Madame de Staël a donc rédigé cet ouvrage dans le cadre de son exil dans son domaine familial de Coppet, où elle animait une sorte de « Salon », c’est-à-dire un réseau international d’intellectuels libéraux entendant poursuivre l’élan rationnel des Lumières sous une forme qui se voudrait « démocratique », en tout cas tournée vers le progrès humain, le bien commun et la culture populaire. Mais cela sous une forme littéraire, abstraite et surtout et très concrètement coupée des masses.

Le succès littéraire de De l’Allemagne vient en fait de l’originalité et de l’audace de sa thèse qui attaque frontalement le formalisme néo-classique défendu officiellement par l’Empire de Napoléon Ier en matière littéraire et plus largement artistique. Ayant pris le temps de saisir et définir ce qu’elle appelle la « poésie germanique » elle propose ensuite de le constituer en un genre universel : la littérature romantique. Elle expose en quoi cette démarche consiste et en quoi elle s’oppose au néo-classicisme alors en vigueur en l’emportant sur ce dernier.

Voici comme madame de Staël pose sa thèse :

« La question pour nous n’est pas entre la poésie classique et la poésie romantique, mais entre l’imitation de l’une et l’inspiration de l’autre. La littérature des Anciens est chez les Modernes une littérature transplantée : la littérature romantique ou chevaleresque est chez nous indigène et c’est notre religion et nos institutions qui l’ont fait éclore. Les écrivains imitateurs des Anciens se sont soumis aux règles du goût les plus sévères ; car ne pouvant consulter ni leur propre nature, ni leurs propres souvenirs, il a fallu qu’ils se conformassent aux lois d’après lesquelles les œuvres des Anciens peuvent être adaptés à notre goût, bien que toutes les circonstances politiques et religieuses qui ont donné le jour à ces œuvres soient changées. Mais ces poésie d’après l’antique, quelque parfaites qu’elles soient, sont rarement populaires, parce qu’elles ne tiennent, dans le temps actuel à rien de national.

La littérature romantique est la seule qui puisse croître et se vivifier de nouveau ; elle exprime notre religion ; elle rappelle notre histoire : son origine est ancienne mais non antique (…) elle se sert de nos impressions personnelles pour nous émouvoir : le génie qui l’inspire s’adresse immédiatement à notre cœur et semble évoquer notre vie elle-même comme un fantôme le plus puissant et le plus terrible de tous. »

Madame de Staël pose ici les choses d’une manière particulièrement significative, on peut distinguer deux aspects dans sa position. D’une part, il faut commencer par voir ce qui est borné, dépassé par notre époque. Tout d’abord, Madame de Staël reste une intellectuelle libérale, propre à la bourgeoise, certes avancée et encore capable de proposer un élan progressiste, mais tout de même abstraite. Elle a le souci de produire une littérature moins soucieuse d’une esthétique aristocratique et vaniteuse que de se conformer à un esprit collectif, populaire et national, mais elle le fait sous une forme cédant au mysticisme, avec une certaine fascination pour la religion, l’idéalisation et même l’irrationnel. Même s’il faut reconnaître qu’elle reste tout de même sur ce plan loin du lyrisme possédé de son contemporain Chateaubriand, qui a déjà publié à cette époque son réactionnaire Génie du Christianisme. Surtout, elle le fait dans une forme qui reste avant tout individuelle, comme une exploration de soi.

> Lire égalementMadame de Staël : aux sources du féminisme libéral, borné et insuffisant

Toutes ces choses sont précisément ce qui borne aujourd’hui encore la bourgeoisie dans son rapport au réel et on perçoit déjà ces failles dans la démarche de Madame de Staël. Pour autant, celle-ci a aussi incontestablement une dimension progressiste et universelle, qui explique que malgré ce que cette œuvre représente pour notre héritage national, elle n’est cependant pas assumée par les nationalistes de notre époque.

Toute la démarche de Madame de Staël est en effet aussi une reconnaissance du mouvement de la matière en terme historique, même si elle l’exprime avec des termes emprunts d’idéalisme. L’idée même que sur le plan culturel il y ait des périodes qui se succèdent et que la nature d’une personne liée à une période ne procède pas d’une essence idéale mais de circonstances historiques, cela est une chose absolument déterminante. Madame de Staël assume la nécessité des ruptures et des progrès comme un principe même du mouvement historique. Et elle le fait sans rejeter l’héritage du passé en soi, mais comme dépassement nécessaire et inévitable.

Plus encore, le fait qu’elle affirme que la culture soit déterminée par une dimension collective, exprimée par la sensibilité, les impressions, les émotions, comme reflet de la vie réelle, donnant toute sa dignité à un peuple et à ce qu’elle appelle son « génie » national donne à sa démarche une capacité universelle, exprimant la dignité du réel sans céder au chauvinisme, ce que traduit le titre en lui-même à sa manière.

En raison de cela, par ce qu’elle parvient à exprimer et par les perspectives qu’elle ouvre, Madame de Staël reste une référence, une figure pour l’histoire de la Gauche au plan intellectuel et culturel dans notre pays. Cela en considérant bien sûr ses insuffisances et la nécessité justement de dépasser ce qu’elle représente, en affirmant le réalisme dans la littérature, la nécessité de refléter la vie réelle, la vie populaire dans son existence concrète et ses expériences variées et de le faire sur une base rationnelle, dans une perspective d’ouverture, de fusion toujours plus poussée.

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Mc Circulaire et Patrick 51, des expressions prolétaires des campagnes

En juin 2018, le rappeur Kamini produisait « Eul’Vraie France » revenant sur la situation d’isolement et de délabrement des zones rurales. Quelques mois plus tard, c’est Mc Circulaire, le père du « rap de plouc », qui sortait « France éternelle » sur la même thématique. Ces titres expriment la contradiction entre la ville et la campagne, que le mouvement des gilets jaunes a été incapable de résoudre de par son incapacité à s’organiser sur le plan politique et idéologique.

Lorsqu’on écoute ses morceaux de rap, on comprend vite que Mc Circulaire n’est pas là pour faire du buzz, pour s’attirer la lumière. Avec plus de 3 millions de vues, le titre « Demain c’est trop tard » est au prolétariat des campagnes ce que « Demain c’est loin » d’I am a été au prolétaires des périphéries urbaines.

Ce rap respire une vie authentique, celle de la misère sociale et culturelle des campagnes françaises. Que Mc Circulaire soit originaire de Vendée ne change rien à la nature de sa musique : quiconque vivant l’ennui, la morosité et l’arriération culturelle des campagnes s’y reconnaît.

Dans la même démarche, il y a aussi Patrick 51 (que l’on peut voir dans le clip « France éternelle »). Usine, chômage, quotidien ennuyeux, alcool, les grands sujets de la vie prolétaire sont abordés avec réalisme. Des paroles à la production, « Campagne shit » reflète parfaitement cette ambiance au ralenti des campagnes, cette impression que tout tourne en rond.

Il serait bien erroné de penser qu’il y a là une valorisation unilatérale de l’alcool et des drogues car « quand tu voudrais être à New-York et qu’t’es dans la cambrousse, faut d’l’imagination et un pack de 12 ». C’est une volonté de transcrire fidèlement le réel pris dans une fuite en avant alors que toute la richesse sociale et culturelle est spoliée par la ville, la grande métropole.

Des paroles au « blase » de ces rappeurs, il y a une approche typiquement populaire de la franchise, de la rigolade, de ne pas trop « se prendre au sérieux ». Si ce style n’aide pas toujours à élever le niveau culturel, laissant une porte ouverte à la passivité, il reste un puissant rempart à la corruption mentale du business et de son esprit aseptisé.

C’est ainsi que Mc Circulaire a toujours refusé les grands majors du disque, les plateaux de TV, la démarche commerciale. Dans une récente interview, il déclare :

« Moi je fais ce business, enfin ce business, je fais ce taff pour faire des morceaux qui déchirent et faire des concerts. Le reste j’en ai rien à foutre, j’ai rien à vendre, j’ai jamais eu besoin de Hip Hop pour grailler tu vois »

Fidélité populaire disons : le délaissement des campagnes ne méritent pas d’être vendue, la situation ne doit pas être un tremplin à la promotion individuelle. Ces morceaux respirent la dignité, l’authenticité, la sincérité comme l’illustre si bien la tourmente existentielle de la mort avec « Pierre Tombale », ou cet ennui terrible que toute personne en campagne a vécu ce « jour de pluie ».

Il est finalement peu étonnant que ces « légendes rurales » soit originaires d’Île-et-Vilaine et de Vendée. La paysannerie y était encore forte dans les années 1960-1970 et a été brutalement prolétarisée au cours des années 1980-1990. Ce sont deux départements qui ont vu la paysannerie fondre comme neige au soleil et par conséquent les rares endroits en France qui ont connu une forte hausse du nombre d’ouvriers depuis 1968.

Mais cette prolétarisation s’accompagne nécessairement de l’accentuation de la contradiction entre une ville captant tout et une campagne se renfermant sur le quotidien « voiture, boulot, dodo ». La campagne française, c’est culturellement les années 1970, mais socialement l’usine moderne, l’individualisme des pavillons et des routes, avec l’alcool et le shit comme pacification sociale se substituant à une religion en perte de vitesse.

On est bien désemparé quand on reprend les paroles si justes et parallèles de NTM dans « qu’est-ce qu’on attend ? » en 1995 :

« Voilà pourquoi cela finira dans le désarroi
Désarroi déjà roi, le monde rural en est l’exemple
Désarroi déjà roi, vous subirez la même pente, l’agonie lente
C’est pourquoi j’en attente aux putains de politiques incompétentes
Ce qui a diminué la France
Donc l’heure n’est plus à l’indulgence, mais aux faits, par le feu
Ce qui à mes yeux semble être le mieux
Pour qu’on nous prenne un peu plus, un peu plus au sérieux »

Car finalement, avec une même substance sociale, ni la révolte de novembre 2005, ni celle de novembre 2018, n’ont été en mesure de résoudre ce grand problème de la contradiction ville/campagne. Il faut écouter et ré-écouter Mc Circulaire et Patrick 51 car la pente à remonter va être longue et sinueuse, avec une Gauche post-moderne aliénée aux grandes métropoles qui favorise l’emprise de l’extrême-Droite…

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Playlist électronique feutrée et mélodique, avec un zeste d’esprit rétro

À l’occasion de la sortie du nouvel album de Chromatics, voici une petite playlist de musique électronique, feutrée et mélodique, avec un zeste d’esprit rétro.

Pour une lecture automatique, la playlist liste est disponible via le lecteur habituel dans la colonne de droite (version web) ou en bas de page (version mobile). Nous la proposons également ici sous formes de vidéos, pour apprécier les clips :

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Adolphe de Benjamin Constant: «mon mouvement naturel est de fuir pour délibérer en paix»

Adolphe de Benjamin Constant est aujourd’hui au mieux une œuvre connue pour ses citations. Mais c’est aussi un classique de la littérature française qui parallèlement à l’œuvre de Mme de Staël, marque la transition dans notre pays entre l’élan progressiste des Lumières et les doutes du Romantisme naissant sur le plan de la culture. Notre époque ne peut qu’être sensible à l’écho de ce qui s’y exprime : la nécessité pour chacun de conserver les principes et les valeurs face aux limites du libéralisme.

Benjamin Constant (1767-1830) est une figure centrale du libéralisme français sur le plan littéraire et politique. On lui doit en effet des œuvres politiques analysant le déroulement et les suites de la Révolution de 1789 sous l’Empire et la Restauration. Il sera lors de cette dernière période (1815-1830) un des principaux opposants au régime réactionnaire de la monarchie rétablie des Bourbons, en particulier suite à son élection comme député en 1818. C’est justement à cette époque qu’il rédige sa principale œuvre politique : De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes, en 1819.

Dans le domaine littéraire, Benjamin Constant a été un des principaux auteurs avec Mme de Staël constituant le passage des Lumières à celui du Romantisme. Il était d’ailleurs lié à cette dernière par une relation amoureuse tumultueuse et par sa participation au « Groupe de Coppet », une sorte de salon international qu’animait Mme de Staël dans sa propriété suisse, au temps de leur commune opposition au régime tyrannique de Napoléon Ier.

C’est au terme de cette période qu’il rédige son roman le plus célèbre : Adolphe, en 1816. L’œuvre s’inscrit d’abord à la suite des romans libertins typiques du XVIIIe siècle français, avec un héros qui sous l’apparence des passions et des sentiments est en réalité une personne froide, calculatrice mais aussi mélancoliquement vide.

Le style, concis et maîtrisé, est encore celui dans l’époque dans laquelle Benjamin Constant a été formé, ce qui va de pair avec la dimension autobiographique du roman qui met en scène un jeune homme de 22 ans au moment où l’auteur approche lui-même la cinquantaine. En ce sens, on peut considérer l’œuvre comme une sorte de confession, un roman d’analyse annonçant les romans psychologiques du XIXe siècle et plus loin, le goût si marqué dans notre pays de psychologiser sur soi.

Les grands thèmes du personnage romantique sont donc aussi repérables : mélancolie, sentiment d’impuissance et de solitude, vanité de l’existence. On sent ici toute l’influence, toute la fascination, de la littérature allemande qui pèse sur Benjamin Constant, comme sur sa compagne Mme de Staël.

Le personnage principal, Adolphe, est d’ailleurs un jeune allemand, ayant fini ses études à l’université de Göttingen. Il faut saisir que cette référence est en soi profondément significative pour un libéral de l’époque de l’auteur. L’université en question ayant été un bastion des Lumières allemandes et encore plus du romantisme naissant, avec par exemple la « Ligue du Bosquet » (Göttinger Hainbund), cercle d’auteurs qui appuyèrent notamment la participation de femmes de leur milieu aux études et aux carrières scientifiques dans l’enseignement supérieur.

On peut donc voir cette œuvre comme un récit des tourments amoureux et de la vie sentimentale compliquée entre l’auteur et Mme de Staël, projeté dans les personnages de Adolphe et d’Ellénore, sa maîtresse de dix ans son aîné. L’histoire tient à une base très simple, Adolphe par désœuvrement et amour-propre séduit Ellénore, maîtresse officielle d’un personnage abstrait nommé le Comte de P.

Très vite, il se trouve prisonnier de cette relation en ce qu’il aimerait y mettre fin sans pouvoir y parvenir en raison du fait qu’Ellénore l’aime sincèrement. Cette dernière finit par découvrir la vérité et meurt de chagrin, laissant Adolphe face à ses faiblesses et ses remords.

Plus profondément, Benjamin Constant a voulu donner une portée générale à son roman, pour exprimer tout le trouble des figures intellectuelles du libéralisme propre à son époque, ainsi qu’il le présente lui-même :

« J’ai voulu peindre une des principales maladies morales de notre siècle : cette fatigue, cette incertitude, cette analyse perpétuelle qui place une arrière-pensée à côté de tous les sentiments, et qui les corrompt dès la naissance. »

C’est cette dimension, ce trouble, qui donne à ce roman toute sa valeur significative. Celle d’un jeune être sensible mais qui ne parvient pas à exprimer de manière authentique sa soif existentielle, et qui face à la corruption de son époque, se retranche dans les rêveries et les tortures de l’amour impossible. Voici comment Benjamin Constant exprime toute cette mélancolie, avec une profondeur qui trouve forcément un écho dans notre époque :

« De là une certaine absence d’abandon qu’aujourd’hui encore mes amis me reprochent, et une difficulté de causer sérieusement que j’ai toujours peine à surmonter. Il en résulta en même temps un désir ardent d’indépendance, une grande impatience des liens dont j’étais environné, une terreur invincible d’en former de nouveaux. Je ne me trouver à mon aise que tout seul, et tel est même à présent l’effet de cette disposition d’âme que, dans les circonstances les moins importantes, quand je dois choisir entre deux partis, la figure humaine me trouble, et mon mouvement naturel est de fuir pour délibérer en paix.

Je n’avais point cependant la profondeur d’égoïsme qu’un tel caractère paraît annoncer : tout en ne s’intéressant qu’à moi, je m’intéressais faiblement à moi-même. Je portais au fond de mon cœur un besoin de sensibilité dont je ne m’apercevais pas, mais qui ne trouvant point à se satisfaire, me détachait successivement de tous les objets qui tour à tour formait ma curiosité. »

C’est là la grande force de ce récit, que de dépeindre la mélancolie sans céder néanmoins sur les valeurs, sans briser par le nihilisme ou le cynisme la sensibilité naturelle. C’est une manière d’exprimer la dignité et de soutenir la vie. Mais cependant de manière isolée et pessimiste et cela est aussi la limite de la perspective ici mise en avant. Au bout du compte, Adolphe finit par capituler, il ne trouve pas de voie pour transformer sa mélancolie en espoir.

Non que cela soit impossible en soi, mais c’est précisément son horizon libéral, sa nature bourgeoise pour tout dire, qui le borne et le ratatine finalement. Ce n’est par exemple pas un hasard si l’âge du personnage au moment de l’intrigue est précisément celui de l’auteur au moment de la Révolution de 1789. C’est ici le tournant où se brise l’élan progressiste du libéralisme, non encore définitivement, mais Benjamin Constant sent déjà que l’horizon est borné, qu’une limite est atteinte au-delà de laquelle il ne parvient pas à saisir un élan.

Le repli individuel et mélancolique sur soi est alors le seul refuge de ses aspirations face aux déceptions, aux contradictions du monde, pour tout dire au mouvement même de la matière que l’auteur saisit, mais face auquel il capitule au lieu d’avancer, de chercher à dépasser les contradictions et trouver la voie pour exprimer ses hautes valeurs et sa sensibilité.

Le dénouement de l’intrigue est donc forcément tragique, mais une tragédie sans tristesse en fait, une tragédie d’isolement, le repli sur soi aboutissant à la rupture de tout lien social, ici sous la forme de l’amour. Cet aboutissement traverse le récit du début à la fin, on le voit venir, on l’attend, on y assiste avec une sorte de fatalité pessimiste :

« Ce n’était pas les regrets de l’amour, c’était un sentiment plus sombre et plus triste. L’amour s’identifie tellement à l’objet aimé que dans son désespoir même il y a quelque charme. Il lutte contre la réalité, contre la destinée : l’ardeur de son désir le trompe sur ses forces, et l’exalte au milieu de la douleur. (…) Je n’espérais point mourir avec Ellénore, j’allais vivre sans elle dans ce désert du monde, que j’avais souhaité tant de fois traverser indépendant. J’avais brisé l’être qui m’aimait. (…) J’étais déjà seul sur la terre, je ne vivais plus dans cette atmosphère d’amour qu’elle répandait autour de moi. L’air que je respirais me paraissait plus rude, les visages des hommes que je rencontrais plus indifférents, toute la nature semblait me dire que j’allais à jamais cesser d’être aimé. »

La dimension profondément racinienne de ce dénouement impose donc de considérer cette œuvre comme se rattachant aussi au courant néo-stoïcien si caractéristique de l’esprit national français dans ce qu’il a produit de meilleur : la place centrale qui joue le personnage féminin, Ellénore, qui incarne tout ce qui manifeste la vie, l’élan positif, la profondeur et l’authenticité des sentiments, la nécessité d’être à la hauteur des valeurs et des principes, même face à l’échec, donnant une dimension majestueuse à la tristesse et aux passions.

Benjamin Constant était tout à fait conscient de ce rapport, de ce lien avec l’œuvre de Jean Racine, qu’il entend poursuivre en l’augmentant pour ainsi dire, par un tableau assumant davantage l’individu comme espace d’expression de la sensibilité, sur le modèle la littérature allemande ou britannique de son époque.
En ce sens, cette œuvre constitue une articulation majeure entre l’héritage classique français et l’esprit des Lumières d’une part et l’époque du Romantisme et au bout du compte de la décadence bourgeoise d’autre part.

Cette position confère à Benjamin Constant une place particulière dans le dispositif culturel de la bourgeoisie de notre époque. On propose ainsi encore quelques (courts) extraits de son œuvre aux lycéens, essentiellement de ses œuvres politiques, comme illustration positive du libéralisme. Adolphe en revanche, ne peut plus aisément être lu par la bourgeoisie, il reflète trop nettement à la fois les doutes du libéralisme au moment où il cesse de pouvoir porter le progrès, et en même temps, l’exigence de maintenir les valeurs, de ne pas céder au cynisme ou au nihilisme.

Alors, et comme toute chose, le réel intérêt que la bourgeoisie d’aujourd’hui peut porter à cette œuvre, c’est sa valeur marchande. Les éditions anciennes d’Adolphe sont cotées au Marché Drouot pour des sommes délirantes, où ne sont mises en avant que les « citations » de l’œuvre, évitant sa lecture méditative, la concentration nécessaire pour mettre en relief toutes les dimensions de cette œuvre concise mais profonde, au profit du goût superficiel de la punchline si typique de ce qui reste de la culture bourgeoise, si tant est que l’on puisse encore parler de culture à ce niveau.

Il faut donc retrouver une lecture de progressiste de ce texte, qui s’inscrit dans l’histoire de la Gauche et de la culture de notre pays et qui reflète à la fois le rôle historique de la bourgeoisie libérale française pour porter cet élan, avant son épuisement et sa décadence jusqu’à notre époque, qui nous impose non de fuir, mais de nous rassembler pour délibérer, avancer de manière collective et rationnelle pour affirmer la culture et la sensibilité.

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Nouvelle playlist: «Et j’traîne seul sur Paname»

Voici une nouvelle playlist consistant en des chansons sur « Paname », une ville autrefois populaire en grande partie, riche en culture et en vécu.

Paris est désormais le bastion halluciné au niveau des prix d’une bourgeoisie poseuse et sans âme, cosmopolite et arrogante. Il reste toutefois des poches où lumpen et petit-bourgeois rejoignent quelques couches populaires pour essayer de vivre malgré tout des choses marquantes, souvent sources de cicatrices physiques ou psychologiques, preuve toutefois qu’au moins on a vécu.

La playlist liste est disponible ici en lecture automatique :

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Dugudus et l’affiche de la fête de l’Huma de 2019

L’affiche de la fête de l’Huma est tout à fait représentative de la nouvelle identité PCF : très lisse, très neutre, avec quelques détails restreints comme signes de reconnaissance. Son créateur, le graphiste Dugudus, est d’ailleurs entièrement un produit de cette démarche post-ouvrière, post-nationale, post-industrielle, post-moderne.

Le graphiste Dugudus se veut influencé par les affiches polonaises, cubaines et de mai 1968 ; il a même étudié le graphisme à Cuba après avoir milité dans les jeunesses du PCF. De manière plus concrète, on comprend qu’il a une démarche de simple publicitaire « progressiste », ce qu’on comprend tout à fait quand il parle de toucher « à l’inconscient collectif à travers des symboles ».

On n’est pas ici dans la culture, mais dans la pub ; on n’est pas dans les valeurs, mais dans le mythe mobilisateur. Dugudus est d’ailleurs passé par Nuit Debout.

Un simple regard sur ses affiches montre bien qu’il ne relève en rien des exigences culturelles de la Gauche historique, qui assume la conscience, la politique. On est dans la référence symbolique à la fois dans un style pétillant-pop rondement mené, mais pseudo-poétique et sciemment sans contenu déterminé.

C’est une démarche très fête de l’Huma des années 1990, avec le principe de ne pas choquer, de dépolitiser au maximum, de donner une image très lisse, sans aucune aspérité, avec une tonalité plutôt naïve censée être un gage de sincérité.

L’affiche en faveur de la PMA est tout à fait exemplaire d’une telle approche démagogique, de ce fameux progressisme ayant produit le triomphe d’Emmanuel Macron. L’affiche de la fête de l’Huma de cette année est du même acabit, si l’on s’intéresse aux détails.

La référence de l’image, c’est bien sûr Élévation du drapeau sur Iwo Jima, une photographie montrant des soldats américains sur une île japonaise en 1945. Toute la pose des personnages est ouvertement empruntée à cette photo de propagande américaine.

Les symboles censés toucher le pseudo inconscient collectif sont tous placés dans une partie très réduite de l’image.

Dressons la liste de ces symboles.

On a le keffieh palestinien, référence à un peuple opprimé mais surtout, pour de nombreux secteurs de la Gauche française, un symbole pop pour apparaître comme solidaire et engagé en surfant sur l’ambiguïté d’un prétendu anticapitalisme de nature antisémite. Le keffieh est très clairement l’outil post-moderne pour jeter le drapeau rouge aux oubliettes.

On a une étoile rouge, savamment placée sur une chaussure de type Converse, qui a justement une étoile. C’est une allusion, sans prétention.

On a deux badges, objet très années 1970-1980 : un avec le symbole de la paix, l’autre avec le symbole féministe. Là encore, c’est une référence pop, pas une affirmation politique, d’ailleurs tout est trop petit pour être clair.

On a deux drapeaux : celui de Cuba, celui symbolisant la démarche LGBT. Là encore, un pur symbole sans contours déterminés, laissant libre cours à une interprétation totalement romantique, sans rapport avec la réalité.

Sur le côté, on a le drapeau de la Seconde République espagnole, là encore une démarche symbolique, allusion aux années 1930 et à l’antifascisme, puisque le PCF n’assume plus le renversement de la monarchie espagnole depuis bien longtemps.

Comment Dugudus en est-il arrivé là? Très simplement en se posant la question : comment faire une image pour avoir l’air de Gauche, mais sans montrer, et ce à tout prix, les ouvriers, le drapeau rouge, le marteau et la faucille ?

C’est la Gauche de l’apparence, la Gauche de la critique sociale sans contenu, s’appuyant sur des références symboliques pour surtout nier tout rapport avec l’Histoire et les valeurs de la Gauche historique.

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Once Upon a Time in Hollywood de Quentin Tarantino : encore de l’ultra-violence

Once Upon a Time in Hollywood, le nouveau film de Quentin Tarantino est encore une fois accueilli avec ferveur par la critique. Toutefois, on peut légitimement être très sceptique quant au message délivré par ce film.

Quentin Tarantino est devenu une icône de la culture populaire moderne pour ses films « cool », dans lesquels s’entremêlent B.O mythique, violence esthétisée et références à différents cinémas de genre très populaires (film de kung fu, western, film de guerre, etc.) Dans ses films, la technique est au service d’un scénario souvent minime, au profit d’une œuvre esthétique qui fonctionne sur la citation et la parodie.

Once Upon a Time in Hollywood se déroule en 1969, une époque hautement symbolique durant laquelle la contestation sociale et politique est particulièrement intense à travers le monde : les États-Unis sont quant à eux déchirés par la guerre du Vietnam.

Quentin Tarantino choisit volontairement de placer son film à cette période, dans un Hollywood fantasmé et totalement coupé des réalités sociales et politiques du monde. Certains diront qu’on ne peut lui faire de procès d’intention, le titre, écrit à la manière d’un conte assume cette déréalisation. C’est justement le cœur du problème. Le réalisateur nous livre là un de ses films les plus réactionnaires.

Comme à son habitude, il utilise la réalité historique pour y placer ses obsessions. L’épicentre mondiale de l’industrie du divertissement de masse est filmé avec nostalgie, la nostalgie d’une époque révolue : celle de la pseudo insouciance des sixties, avec ses voitures de sports, ses fast-foods et ses soirées débridées dans le manoir Playboy. Une période que Quentin Tarantino semble regretter lorsqu’il se perd dans de longs plans descriptifs faisant la part belle aux grosses cylindrées et à l’industrie du spectacle hollywoodien.

Comme à son habitude il s’applique à rendre cool et à sublimer une certaine « culture populaire » et ses représentations, à travers ce haut lieu symbolique qu’est Hollywood. Son cri d’amour à cette période révolue résonne aujourd’hui comme particulièrement anachronique et réactionnaire. Toute l’effusion sociale et politique de l’époque est gommée : il ne reste que le portrait de la ville aux illusions et ses symboles, voiture, virilité, consommation. Tout ce dont nos sociétés ont besoin de se libérer.

Un des personnages principaux joué par Brad Pitt, héros ultra-violent, incarnation de la virilité la plus rétrograde, est accusé d’avoir tué sa femme. Le film joue sur l’ambiguïté du personnage, sans jamais questionner sa violence. Au contraire, tout est fait pour le sublimer et le rendre attrayant.

La place des femmes, comme souvent dans ses films, est hautement problématique. Dans Once Upon A Time In Hollywood, il n’y a que trois types de femmes : les femmes légères du Playboy mansion, la femme fétichisée (Sharon Tate) et les épouvantables femmes de la communauté de Charles Manson.

1969, dans la mémoire collective idéaliste, c’est la période qui marque la fin des illusions, la fin de l’insouciance de l’après guerre. Ici, la transition est symbolisée par le massacre de Sharon Tate par la « famille » de Charles Manson. C’est cette charnière que Quentin Tarantino veut représenter et comme à son habitude, il utilise un procédé habituel de ses longs métrages : la déréalisation. Comme dans Inglorious Basterds ou Django Unchained, il s’affranchit volontairement de toute vraisemblance historique pour représenter l’histoire telle qu’il la fantasme.

Une fois encore, le procédé est abject, puisque toute l’intrigue du film conduit à cette ultime scène d’ultra-violence : véritable défouloir et apologie de la vengeance et de la justice par soi-même, qui réécrit l’histoire comme le réalisateur l’aurait aimé. C’est du pur subjectivisme, qui aide simplement la société à se reproduire dans ses caractères les plus violents et social-darwinistes.

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L’événement qu’est le nouvel album de Tool

C’est l’un des groupes de musique les plus importants de ces trente dernières années et pour autant sa reconnaissance populaire est nulle. La sortie du nouvel album du groupe américain Tool vient contrebalancer cette situation incohérente, grâce à son succès lui ouvrant enfin de nouvelles portes. Culturellement, c’est un événement incontournable.

Tool est un groupe américain né au tout début des années 1990 et n’ayant sorti en tout que cinq albums. Fear inoculum, le dernier, vient de sortir après une absence de treize ans et aux États-Unis il y a un engouement massif en sa faveur.

C’est que Tool, c’est Nirvana en version métal progressif, avec des longs morceaux obsédants et terriblement expressifs, dans une atmosphère à la fois sourde et tordue. On est pris dans un donjon de sons prégnants et lancinants, largement enveloppant et envoûtant si on entend le tout avec un son relativement fort.

C’est une musique intelligente et non commerciale, savamment construite mais accessible. Seule une petite avant-garde en a saisi la dimension, parfois d’ailleurs sans la saisir dans tous ses aspects, exactement comme pour le grunge en général. C’est tout le mal civilisationnel qui s’exprime avec force.

C’est tout le reflet d’une époque, dont les rares vidéos sont particulièrement marquantes de par leur dimension tourmentée, torturée.

La sortie du nouvel album a de l’impact, car c’est une réussite. Tool ne s’est pas vendu et reste une rencontre des Melvins avec King Crimson, deux de leurs principales références. Les sept chansons, pour un total de 79 minutes, reste dans l’optique de départ.

Les limites sont évidemment patentes : on est dans l’esthétisation, dans un style s’auto-nourrissant, dans une fascination pour le sordide. Tout cela est par ailleurs propre au grunge. Cependant, c’est réellement authentique et cela possède une véritable profondeur, un haut niveau musical. PNL est, en quelque sorte, la caricature française de Tool, si l’on veut.

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Le très agréable pop-rap de Blry dans l’album «Rêves, pt. 1»

Il est convenu de dire que le rap français est devenu une forme de variété, mais cela ne date pas d’aujourd’hui car I am ou encore Mc Solarr relevaient déjà de cela en leur temps. Ce qui est nouveau par contre, c’est qu’il existe à côté des artistes les plus mainstream tout une scène de rappeurs indépendants assumant une sorte de pop-rap très positif, beaucoup plus confidentiel dans l’approche et la démarche, mais bien plus authentique.

C’est exactement là que se situe le dernier album de Blry (prononcez Blurry), « Rêves, pt. 1 » sorti ce 6 septembre 2019.

Avec sa voix lancinante, le jeune vendéen déroule à travers les huit titres de l’album un style très cohérent, absolument moderne dans sa forme. On y retrouve toute l’attitude détachée et (en apparence) nonchalante de la jeunesse d’aujourd’hui.

Le thème récurrent est celui de la recherche d’authenticité, tant dans les rapports aux autres que dans sa propre vie, avec un rejet vigoureux du pessimisme. La production est minimale, comme le chant qui est très basique, presque naïf. Le texte est au contraire très puissant, parfois saisissant comme sur « Hellboy » où il est question de dépendance aux anxiolytiques, ce terrible mal.

On reconnaît aisément les références assumées par Blry, de l’américain Juice WRLD à Columbine en passant par Lil Peep (qui avait enregistré Falling Down avec XXXTentacion avant leur décès), mais avec une touche bien spécifique, très identifiable. Ce jeune artiste d’à peine 20 ans nous propose avec « Rêves, pt. 1 » quelque-chose de très réjouissant, encore plus abouti que son album « Pensée » paru en début d’année, qui était déjà très intéressant.

https://www.youtube.com/watch?v=MCir6wA7bp0

> Écouter l’album : blry.fr/reves

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Quand Niska fait un «freestyle» sur France inter

Le rappeur Niska a produit un « freestyle » sur France inter qui a été mis en avant sur le site et les réseaux de la radio. Cet artiste porte pourtant un style et des valeurs aux antipodes de ceux que prétendent incarner les gens de France inter.

« Niska en freestyle » sur France inter, quoi de plus baroque ? Son style ne correspond pas du tout à « l’esprit » de cette radio. France inter, c’est un esprit intello-bobo « de gauche », très lisse, offusqué par la Droite, bien que ne rejetant pas pour autant le confort bourgeois. Elle vise un public de gens s’imaginant cultivés, surtout des « profs » dit-on, qui n’aiment pas les fachos et les bourgeois roulant des mécaniques à la Sarkozy, mais qui aiment quand-même le confort de beaux quartiers urbains ou des grandes maisons à la campagne. Cela n’a en tout cas absolument rien à voir avec le genre d’attitude et de préoccupations d’un artiste comme Niska.

Voici son « freestyle » :

Ce genre de propos, chantés sur France inter, sont vraiment mémorables :

– ne me demande pas combien d’oseille (d’argent) j’ai mangé cette année, je veski (j’esquive) les impôts ;

– demande-moi combien de bitch (« salope ») j’ai vu se faire tourner dans les escaliers ;

– oh my god (oh mon dieu), sa sœur elle fait la timp’ (la putain), mais comment je vais le dire à mon pote ? Mais comment je vais le dire à mon pote que sa feumeu (femme) veut que je la fuck (« baise ») ?

– des 10 sur 10 en cours, c’est ce que maman m’avait dit, le million à 25 ans, mon prof de math ne l’a pas prédit.

Voici qui est très patriarcal, grossier, complètement fasciné par l’argent. C’est, pour tout dire, un état d’esprit littéralement de droite. C’est du Nicolas Sarkoy, mais à la manière prolétaire immigré aliéné de banlieue plutôt qu’Auteuil-Neuilly-Passy !

La vidéo qui accompagne l’article, le clip de « Du lundi au lundi », est encore plus poussée dans cet état d’esprit de droite anti-ouvrier. Il y est chanté que c’est mieux « d’augmenter les délits » plutôt que d’« aller à l’intérim », car ce qui compte c’est l’argent facile, le tout après avoir montré une panthère noire tenue en laisse. Rien que cette scène d’ailleurs est inacceptable pour qui a un minimum de valeurs morales.

Seulement voilà, les intello-bobo « de gauche » de France inter ne sont aucunement à Gauche. Ils ne connaissent rien à la culture populaire et aux classes populaires, dont ils ne partagent pas les valeurs, ni la culture.

Leurs offuscations récurrentes contre les fachos, la Droite, les « réacs », ne sont que du cinéma qui ne correspond à rien d’authentique. Et ils s’imaginent que Niska est acceptable seulement parce qu’il est d’origine immigré et qu’il vient de banlieue. Jamais de tels propos ne seraient ainsi mis en avant sinon.

Un artiste comme Niska, dont le dernier album ne parle quasiment que de trafic de drogue et d’argent sans travail, correspond tout à fait aux clichés qu’ont ces gens à propos de la banlieue et qui parfois effectivement sont un portrait caractéristique de toute une décadence.

France Inter ne propose rien d’autre que d’accompagner une telle décadence. C’est une faillite intellectuelle et culturelle. C’est là encore un signe de l’appauvrissement moral généralisé de la bourgeoisie, qui sombre corps et âmes avec le capitalisme triomphant, allant donc droit dans le mur et aboutissant à une époque où il faudra tout changer en long, en large et en travers.

Le Socialisme ne récupérera que le meilleur et se débarrassera de tout ce vide culturel, de toute cette décadence individualiste opportuniste.

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Nouvelle playlist dream pop / shoegaze sur fond de post-punk

Voici une nouvelle playlist, davantage tournée vers le vaste monde de la pop dite « indé ». Elle est composée essentiellement de morceaux récents, d’artistes la plupart eux aussi assez récents. Non pas que le passé n’ait pas d’intérêt, loin de là ! Simplement une question de sons, d’ambiance générale.

fazerdaze

Pour introduire cette playlist, commençons par les influences qui ressortent : les Cure, période Disintegration sans aucun doute (comment ne pas être influencé d’une manière ou d’une autre par ce chef d’oeuvre ? ), les Smiths pour ceux qui s’accrochent davantage à un son plus terre-à-terre, plus classique et plus tard les approches plus aériennes de groupes comme Slowdive et ceux que l’on qualifiera de shoegaze.

La playlist commence avec trois morceaux au tempo plus élevé, avec des lignes mélodiques post-punk et une côté éthéré, aérien, un peu rêveur…

Mumrunner est groupe originaire de Tampere en Finlande, le morceau Cascais est tiré de leur EP Gentle slopes, sorti en 2016. Si le morceau est bien réussi, il a le défaut de se reposer un peu trop sur une alternance classique couplet/refrain. La formule marche, mais on tiendrait difficilement tout un album. Arrive ensuite DIIV, un groupe américain originaire de New York, avec le morceau Doused tiré de leur premier album Oshin, sorti en 2012. Et il faut bien reconnaître que le niveau est monté d’un cran : tous les instruments remplissent leur rôle à merveille, personne ne se met à l’écart. Le résultat est un morceau dense et riche. On peut ne pas accrocher, ou regretter que le groupe n’ait pas poussé le morceau un peu plus loin, mais on ne peut dire que celui-ci est creux. Enfin, Wildhoney arrive avec Horror movie, morceau tiré de la compilation Continental Drift, sortie en 2016.

Les morceaux suivants commencent à moins jouer sur les sonorités et les mélodies aériennes. Certains morceaux sont davantage dans une ligne pop indé que l’on serait tenté de qualifier de classique comme Gone home de the Spook school, groupe écossais, ou Adult diversion de Alvvays. De son côté, Castlebeat avec le morceau I follow se démarque de leurs voisins de playlist avec une approche plus minimaliste et une certaine originalité dans la partie rythmique. Seapony, groupe américain originaire de Seattle, font partie de ces groupes qui sont loin de révolutionner un genre musical, mais qui savent faire les choses bien. Leur morceau Where we go, est issu de leur premier album : Go with me, sorti en 2011.

Fazerdaze est un groupe composé d’une personne qui s’accompagne d’autres musiciens lors de ses tournées. Originaire de Nouvelle-Zélande, le morceau Lucky girl est de loin le morceau le plus connu de sa compositrice et celui qui lui a permis de connaître un certain succès. Cela tombe bien, le morceau est une réussite : preuve supplémentaire que la production artistique n’est pas qu’une question technique. Le morceau est à la fois simple et original, le résultat est très plaisant à écouter, ré-écouter encore et encore… Il provient de son premier album, Morningside sorti en 2017.

Vacations est un groupe australien, leur morceau Home est tiré de leur EP Days sorti en 2015.

Les deux derniers morceaux de la playlist ralentissent nettement le tempo. Men I trust se démarque des autres groupes avec des sonorités plus électroniques. Le morceau I hope to be around date de 2017 et le groupe est originaire du Québec, au Canada.

Enfin, le dernier morceau est composé par Dream, Ivory, groupe américain originaire de Californie.

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Ce que véhicule la série Rick & Morty

La saison 4 de la série à succès Rick & Morty va sortir en novembre 2019. C’est l’occasion de regarder plus en détail ce que véhicule culturellement cette série appréciée par la jeunesse, récompensée aux Emmy Awards et dont les trois premières saisons sont disponibles sur Netflix.

On aurait bien du mal à trouver pire, en terme de valeurs culturelles, intellectuelles, que ce dessin animé atroce où se côtoient nihilisme brutal, relativisme, anti-socialisme et même fascisme dans ses fondements mêmes. Encore pire que Game of Thrones, la série ne tarit pas de mises en scène divertissantes de meurtres, de manipulations… La science est abordée comme étant chaotique, nihiliste par essence, se suffisant à elle-même, comme une forme de magie « réelle » au travers du personnage du scientifique Rick, grand-père de Morty, revenu dans le girond familial après avoir abandonné sa fille durant l’enfance. La raison de son retour est simple : il cherche à profiter des enfants qu’a eu sa fille des années après son départ pour moins s’ennuyer, en les entraînant dans des « aventures », en fait prétextes pour assouvir ses pulsions destructrices et les corrompre, tout particulièrement Morty, qui dès le premier épisode se retrouve avec les jambes brisées dans l’indifférence totale de Rick pourtant responsable de la situation. Et c’est sans parler de l’objet de la mission : récupérer les graines d’un arbre et les faire passer à la douane en les enfonçant dans le rectum de Morty.

Rick incarne cette figure romantique fasciste par excellence du rebelle au dessus de la mêlée. Intellectuellement supérieur, le plus cool parmis les cools, son génie individuel ne saurait être contenu par aucune forme de loi, aucune forme de morale et le socialisme ne pourrait y avoir absolument aucune emprise, car il serait à lui seul trop intelligent pour avoir besoin d’une quelconque société. D’ailleurs, Rick exploite Morty et le manipule constamment pour arriver à ses fins. Morty est régulièrement enlevé à son éducation et à sa famille par Rick, qui en arrive à le considérer comme sa propriété, car la famille serait une structure artificielle sans aucun sens concret et l’école serait « une perte de temps » et ne serait pas un endroit pour les gens intelligents.

Ainsi, la série distille deux images du socialisme. La première est celle d’une bureaucratie écrasante et barbante, avec la citadelle des Ricks dans laquelle s’organisent tous les Ricks et les Mortys de toutes les dimensions possibles, établissant des règles, un code, que le Rick le plus pur rejette et considère comme n’étant qu’une forme de gouvernement limitant sa liberté individuelle.

La deuxième est celle d’un monstre alien dont on ne connait pas l’apparence physique du nom de Unity, vomissant dans la bouche d’individus malchanceux et systématiquement présentés comme étant des criminels avant d’être assimilés pour en prendre le contrôle mental et former, avec tous ses esclaves, une conscience collective qui pourra s’étendre dans l’univers et construire une société contrôlée par une pensée unique émanant d’un être unique. Il est très clair que ce sont les idées même du socialisme et de la démocratie populaire qui sont ici frontalement attaquées.

Est opposée à cette vision déformée du socialisme, de l’unité, l’individualisme et le relativisme les plus brutaux. Dans un épisode se déroulant sur une planète étrangère, au sein d’une société dont les technologies en sont restées au stade féodal et qui pratique la purge une fois par an comme dans le film American Nightmare (une nuit durant laquelle les lois sont abolies et où chacun peut laisser libre cours à ses envies de meurtre, de viol, de torture, de pillage… sans être inquiété le lendemain afin de préserver la paix le reste de l’année), Rick parvient à corrompre totalement Morty et à lui faire accepter l’idée et la pratique du meurtre. Rick s’emploie d’ailleurs à chaque aventure à détruire Morty psychologiquement et l’encourage dans tous les vices possibles et imaginables, comme lorsqu’il lui achète un robot sexuel alors qu’il n’a que 14 ans.

L’épisode de la purge est une véritable apologie du social-darwinisme. Les faibles doivent mourir et sont pris pour cible en priorité, la soif de sang est considérée comme une pulsion naturelle de l’homme, une force libératrice qui permet de se délester de sa rage intérieure… Les armes futuristes et ballistiques (comme des armures similaires à celle de Iron Man) sont utilisées dans un véritable bain de sang par Rick et Morty comme avantage extrême sur les armes primitives de la population locale. Selon Rick, se livrer à une telle activité sur cette planète est moralement acceptable, puisqu’il s’agit d’une pratique courante, contrairement à d’autres endroits où les gens, plus «coincés», construisent des sociétés refusant d’assumer cette nature humaine. La série se contredit d’ailleurs, puisqu’il se trouve que cette purge n’est pas une pratique voulue par la population, mais qu’elle est imposée par une élite aristocrate riche à l’échelle planétaire, qui profite de cette division et de cette violence pour mener une vie de luxe sans être menacée par une révolte. Elle n’a donc rien de moral, mais cela, les auteurs de la série ne peuvent pas le voir, engoncés qu’ils sont dans le relativisme et la mise en valeur de la barbarie.

L’aristocratie finit par être massacrée à la fin. C’est là un remake du film Hunger Games, avec une charge anticapitaliste romantique forte, à ceci près que les personnages principaux y prennent du plaisir et s’en amusent jusqu’à l’écoeurement, Rick finissant par vomir devant tant de violence. Une manière de glorifier un style de vie intense et consommateur jusqu’à l’indigestion dans le néant politique et moral absolu.

D’ailleurs, tous les rapports sociaux dans cette série sont pervertis par le social-darwinisme. Ils ne sont envisagés qu’au travers du prisme de la domination : un épisode en est la représentation parfaite, avec une thérapie de couple entre les parents de Morty, Jerry et Beth, où l’image qu’ils ont l’un de l’autre est matérialisée en monstres, qui finissent par collaborer car complémentaires, afin de détruire le centre de thérapie. L’image que Jerry a de Beth est celle d’un gigantesque monstre insectoïde dominateur et l’image qu’a Beth de Jerry est celle d’un vers de terre qui se fond en flaque visqueuse à la moindre confrontation. Ainsi, une personnalité dominatrice, prolongement de la mentalité de propriétaire dans une société capitaliste, est donc présentée comme complémentaire avec une personnalité de soumis et ferait qu’un couple adoptant ce modèle serait finalement plus efficace et fonctionnel qu’un couple traditionnel et démocratique basé sur la romance. Le fait que Jerry, bien qu’étant un lâche, reste le personnage le plus humain de la série est d’ailleurs le signe évident du social-darwinisme porté par la série : il n’est pas aussi insensible que les autres, il est donc représenté comme un faible, émotif, et donc un loser inutile à la société…

Cette série est finalement ce que la société capitaliste peut produire de pire en matière de divertissement qui se consomme dans la passivité intellectuelle la plus totale. Seuls les plus corrompus par le capitalisme peuvent y trouver une forme divertissement. Même l’usage de la drogue y est romancé et sert de prétexte à l’attitude atroce du personnage ultra-fasciste Rick, comme dans une tentative de le dédouaner aux yeux des spectateurs, qui peuvent alors le prendre en pitié et se dire qu’au fond, ce n’est pas de sa faute. Le dessin animé défend contre vents et marées l’individu absolument subjectif et nihiliste comme seul horizon pour le développement personnel. Les auteurs de cette oeuvre profondément fasciste utilisent le fait qu’elle soit classée pour adultes comme excuse pour plonger dans ce qui peut se faire de plus révoltant sur les plans culturel et intellectuel… Sans considération aucune quant au fait qu’étant un dessin animé, la série est forcément regardée par un public majoritairement jeune.

Il va de soi qu’une société socialiste ne saura tolérer l’existence de telles oeuvres. Il serait temps de produire des choses belles, universelles, qui permettent l’éveille, le développement de la personnalité naturelle de chacun, plutôt que ce genre de bombes culturelles servant l’idéologie dominante de l’individualisme et du mépris envers la vie.

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Nouvelle playlist : bon mood d’été

Voici une deuxième compilation de l’été avec surtout des sons récents et français, tous très positifs dans leur esprit.

Du love, beaucoup de love sur cette playlist qui s’ouvre pourtant sur le dernier single d’Isaac Delusion demandant : « Emily, Are you trying to hurt me? ». Lockhart et Fischbach se répondent ensuite langoureusement dans une histoire d’amour estivale qui lance pleinement cette sélection musicale.

Les Québécois Les Louanges suivent, puis les Parisiens Monteresso avec un extrait de leur tout récent album, très parisien dans son style ultra sophistiqué et léger en même temps. L’excellent morceau des Pirouettes qui suit est issu de la réédition Deluxe de leur second album Monopolis.

Un peu plus de rythme ensuite avec Presque l’amour puis Einfach da sein de KOMPROMAT, le succès électo français de cet été 2019 dont l’album est présenté comme un hommage à la techno berlinoise des débuts.

On croirait les années 1960 ensuite avec La Chinoise, mais c’est en fait un groupe composé de tous jeunes gens, très peu connus pour l’instant, mais au grand talent. On adore.

On croirait cette fois les années 1980 avec les Français Velvet Condom, mais leur new-wave est en fait très récente. Un retour aux sources, en Angleterre et en 1983, s’impose alors avec cet excellentissime classique de New Order.

Un an après (en 1984) et de retour de notre côté de la manche avec ce très enthousiasmant son des Visiteurs du Soir, trouvé récemment sur une compil synth-wave  (rien à voir avec la « synthwave » électro de maintenant !)

La reprise de France Gall qui suit (composée par Serge Gainsbourg en 1964) par Suzanne a eu du succès l’été dernier et passe toujours aussi bien cette année !

Changement assez tranché de registre pour finir cette playlist par du rap. D’abord avec l’algérien Soolking, dans son style caractéristique et entraînant, puis deux morceaux des rennais Columbine (impossible de choisir, alors on a mis les deux ! ) Le rappeur Moussa, qui avait produit un unique et excellent titre en 2017, est de retour cette année et cela vaut vraiment la peine ! Pour tout dire, on voulait ouvrir la compilation avec ce son, tellement c’est fresh, tellement le bon mood de l’été !

On finit alors par Nekfeu, avec un refrain de la star japonaise Crystal Kay puis c’est Ok cool du rappeur autrichien Yung Hurn, qui a beaucoup de succès en Allemagne, qui fait office d’outro très aérienne pour rester dans cet état d’esprit estival positif !

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Le conflit entre Billy Bragg et Morrissey

Les passes d’armes intellectuelles actuelles entre les deux chanteurs Billy Bragg et Morrissey, anciennement chantres de la classe ouvrière anglaise, sont d’une importance culturelle énorme. Elles reflètent tous les problèmes de la Gauche depuis vingt ans.

D’un côté, Morrissey, un artiste à la réputation intouchable en Angleterre. Avec les Smiths, groupe incontournable aux splendides mélodies, il a dressé le portrait sensible d’une jeunesse ouvrière désabusée dans un pays socialement brisé. Son expression tourmentée est allée jusqu’à la dénonciation des conservatismes, dont la royauté, et l’affirmation du véganisme comme valeur essentielle (meat is murder), et ce alors que l’ALF multipliait les actions illégales. Par la suite, sa chanson où il racontait son rêve, qu’il espère devenir réalité, de Margaret Thatcher passant sur la guillotine, est devenue tout un symbole d’un style.

De l’autre, Billy Bragg qui, originellement simplement à la guitare, produisait de belles chansons engagées, très militantes, avec une très belle œuvre (« Workers playtime ») avant un tournant rock et postmoderne. Son impact fut bien plus confidentiel.

En l’absence de liens avec la Gauche historique, on devine ce qui arriva à ces deux chanteurs des années 1980. Billy Bragg s’est toujours plus enlisé dans la version postindustrielle, postmoderne de la Gauche, tandis que Morrissey a commencé à basculer dans le syndrome Brigitte Bardot, avec des diatribes misanthropes, des sortes de paranoïa racistes, etc.

Ces derniers mois, Morrissey a par exemple régulièrement porté un badge d’un groupe identitaire, « For Britain », à la télévision, ou diffusant récement une vidéo sur son site où sont mises en avant les thèses identitaires (le « grand remplacement », le multiculturalisme comme projet par en haut, etc.)

Et là Billy Bragg est scandalisé et a publié une longue critique.

Il note au passage qu’il est outré que personne ne proteste, notamment les groupes jouant avec Morrissey (Interpol, ainsi que The Killers, dont le chanteur Brandon Flowers a précisé que Morrissey « est toujours un roi »).

Ce faisant, il a réagi comme un bobo de gauche, car tout le monde sait que Morrissey est une sorte de révolutionnaire raté s’étant enlisé dans une posture et ne s’en sortant pas.

Même Nick Cave, se lançant dans la bataille, a souligné qu’une œuvre appartient à son public et que même si son auteur tombe dans des croyances régressives, cela n’en changeait pas la nature. Une manière de relativiser les énièmes conneries de Morrissey, dont tout le monde a l’habitude en Angleterre.

Personne ne peut en effet prendre au sérieux les élucubrations de Morrissey en 2019, alors que cela fait plus de quinze ans qu’il déraille. Il avait déjà dansé avec un drapeau britannique, insulté les « jaunes », etc. Il est l’ombre de lui-même et tout le monde trouve cela triste.

Billy Bragg montre donc ici concrètement les limites totales du « politiquement correct » de la gauche bobo, qui est incapable de subtilité, de nuance, de saisie des contradictions, des problèmes de fond. Il intervient de manière déconnectée de la réalité.

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Stranger Things saison 3, un mauvais recyclage de la pop-culture des années 1980

La série Stranger Things avait marqué il y a deux ans part son approche très pop-culture, mettant en scène la jeunesse populaire américaine dans un scénario typique des années 1980. La troisième saison sortie ce mois-ci montre à quel point cela n’est finalement que du mauvais recyclage de la part d’un capitalisme à bout de souffle, agonisant totalement sur le plan culturel.

Comment peut-on, en 2019 avec de tels moyens, produire quelque-chose d’aussi nul et niais que la troisième saison de la série Netflix Stranger Things ? Dix personnes sauvent une seconde fois le monde des forces maléfiques pendant que le reste de la planète ne se rend compte de rien… On peut bien-sûr ne pas aimer le fantastique et se dire que de toute façon, cela n’amène forcément rien de bon sur le plan culturel, contrairement à la science-fiction.

Mais c’est bien pire que cela. On se demande d’abord s’il ne s’agit pas d’une caricature, tellement le scénario est ridicule, à coup de bagarres sur-jouées, d’histoire d’amour cul-cul, de méchants soviétiques infiltrant l’Amérique et de monstres aussi sots que grotesques. Les épisodes s’enchaînent, sans aucune cohérence dans l’approche générale et ont comprend finalement que cela n’a absolument rien de critique, ni même de construit.

Les personnages ne sont pas développés, le contexte initial lié au jeu Dungeon & Dragons (l’« upside-down ») est à peine respecté, etc. Ce n’est qu’un copié-collé façon patchwork de tout ce qu’a pu produire Hollywood dans les années 1980, un zapping permanent sans l’arrière-plan culturel et populaire qu’il pouvait y avoir alors pour chacune de ces productions.

Le monstre de cette troisième saison par exemple, n’est qu’une copie ridicule du monstre de The Thing (La chose) de John Carpenter en 1982. Il est vidé de toute sa substance, de tout son rapport au réel. Celui de 1982 avait été compris par les cinéphiles, surtout après sa sortie en VHS, comme une allégorie du Sida, dans un contexte psychologisant recherché (quoi qu’on en pense par ailleurs).

John Carpenter avait d’ailleurs lui-même très bien critiqué la niaiserie de beaucoup des productions des années 1980 dans l’excellent They Lives (Invasion Los Angeles), en 1988. Il faut penser ici à cette fameuse scène de bagarre interminable, qui était d’une grande subtilité. En 2019, les scénaristes de Stranger Things n’ont toujours pas compris ce que leur a dit John Carpenter il y a 30 ans et resservent ces bagarres et ces monstres au premier degré.

L’industrie du divertissement n’est en fait plus capable de rien, tellement elle a asséché la culture populaire. Elle n’a presque plus rien à récupérer de contemporain, alors elle se regarde le nombril, glorifiant son âge d’or avec de prétendues références qui ne sont que des copies sans âme. Elle est d’ailleurs en retard sur la société elle-même, car la mode est aux années 1990 et plus aux années 1980…

Tout cela est tellement lisse que chacun peu y picorer ce qu’il veut. Les populistes s’imagineront que la mise en scène du centre-commercial Starcourt est une critique de la société de consommation alors que les plus aliénés se satisferont au contraire d’un bel hommage à une époque bénie.

Tout au plus a t-on le droit à un « féminisme » racoleur, qui bien sûr a une origine démocratique dans le contexte des années 1980, mais qui dans cette saison de Stranger Things n’est là que pour flatter les égo et coller aux « thèmes » actuels.

Le tout, bien sûr, est le prétexte à énormément de placement de produits et de marques, avec ensuite un grand nombres de produits dérivés vendus à l’issue de la série. Ces produits ne sont en fait même pas vraiment « dérivés » puisqu’ils sont mis en place dès le début, dans le cadre d’une stratégie commerciale ultra-rodée.

Maintenant que le filon est lancé, on aura sûrement plusieurs saisons, qui battront probablement des records de médiocrité comme le laisse suggérer cet abominable teasing d’après le générique de fin de la saison…

Quel immense gâchis, se dit-on alors ! Le capitalisme, agonisant, se regarde lui-même en pourrissant sur-place, tellement il n’a plus rien de positif à apporter au monde. Les capacités de production culturelles sont pourtant immenses, comme le montre la qualité des décors de Stranger Things. Le problème est en fait que le niveau culturel général de la population n’a jamais été aussi élevé, mais qu’il est en même-temps d’une très grande faiblesse.

Quantitativement, beaucoup plus de gens ont un niveau culturel et des exigences culturelles, mais celles-ci sont bien plus faibles que celles de la bourgeoisie quand elle était presque la seule à posséder la culture (avec ce qui restait de l’aristocratie n’ayant pas encore sombré totalement dans la décadence).

> Lire également : Le succès de la série “Stranger Things”

Cela forme aujourd’hui une contradiction tellement grande, tellement explosive, qu’à un moment cela va finir pas exploser, justement ! Quand la jeunesse adolescente décidera qu’il est hors de question qu’on lui serve des produits culturels aussi vides et niais que Stranger Things saison 3, cela va faire des ravages !

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Debaser des Pixies

› Debaser a été enregistré en 1988 et est sorti sur l’album Doolittle. C’est un morceau du groupe de musique rock indé Pixies, principalement connu pour leur titre « Where is my mind ».

Debaser pourrait se traduire par « rabaisseur », « un snob ». La chanson parle d’un bourgeois qui tente d’impressionner une fille qui lui plaît en lui parlant d’un film surréaliste.

« Got me a movie                 Tu m’as donné/fait voir un film
I want you to know              Je veux que tu le saches
Slicing up eyeballs             Globes oculaires tranchés [référence à l’une des scènes de « un chien andalou »]
I want you to know              Je veux que tu le saches
Girlie so groovy                Jeune fille sensationnelle
I want you to know              Je veux que tu le saches
Don’t know about you            Je ne te connais pas
But I am un chien andalusia     Mais je suis un chien andalousie

Wanna grow up to be             Je veux grandir pour être
Be a debaser… »                être un rabaisseur…

Cette chanson est intéressante car elle joue véritablement avec le côté inutile du surréalisme et de l’attitude qui en découle. À première vu on se dit que c’est de l’art pour de l’art cette chanson, mais pas du tout !

Dans la manière dont est chanté la chanson, on ressent bien que c’est pour se moquer de la bourgeoisie qui se pense intellectuellement supérieure !

C’est donc un homme qui pour tenter de séduire une femme, fais le snob « je veux que tu le saches », se pose en faux appréciateur de l’art « mais je suis un chien d’andalousie » en référence au film surréaliste de Dali Un chien andalou.

Debaser se moque donc de l’esprit arrogant de la bourgeoisie appréciant l’art contemporain.

En moins de deux minutes, il y a une critique de l’esprit viriliste, de l’art contemporain et de son absurdité, de l’arrogance de la bourgeoisie « debaser .

En plus de cela, la musique est très entraînante.

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Aux Hésitants par l’auteur progressiste Bertolt Brecht

Bertolt Brecht est un poète, dramaturge, metteur en scène, écrivain allemand progressiste. Il est connu en France pour ses oeuvres Grand’Peur et misère du IIIe Reich, L’opéra de quat’sous et La mère.


Brecht a été un contemporain de la montée du fascisme, il voyait dans quelle direction allait les choses, après une analyse sérieuse de la situation. Nous vivons une chose semblable à celle qu’a vécu Bertolt Brecht dans les années 1920 et 1930, à la différence près qu’à l’époque la Gauche était sincère, assumait le Socialisme et que la jeunesse osait lutter.

C’est en 1933 que Brecht écrit le poème Aux hésitants (An den schwankenden).

C’est un véritable hymne à l’engagement, à l’optimisme mais aussi à la critique. Il essaie d’y expliquer l’échec de la lutte contre le fascisme en Allemagne de la sorte : le Front populaire ne s’est jamais réalisé en Allemagne…

« Aux Hésitants

Tu dis:
Pour nous les choses prennent un mauvais pli.
Les ténèbres montent. Les forces diminuent.
Maintenant, après toutes ces années de travail,
Nous sommes dans une situation plus difficile qu’au début.

Et l’ennemi se dresse plus fort qu’autrefois
On dirait que ses forces ont grandi. Il paraît désormais invincible.
Nous avons commis des erreurs, nous ne pouvons plus le nier.
Nous sommes moins nombreux.
Nos mots sont en désordre. Une partie de nos paroles
L’ennemi les a tordues jusqu’à les rendre méconnaissables.

Qu’est-ce qui est faux dans ce que nous avons dit,
Une partie ou bien le tout?
Sur qui pouvons-nous compter? Sommes-nous des rescapés, rejetés
d’un fleuve plein de vie? Serons-nous dépassés
ne comprenant plus le monde et n’étant plus compris de lui?

Aurons-nous besoin de chance?
Voilà ce que tu demandes. N’attends
pas d’autre réponse que la tienne.

(traduction d’Olivier Favier)

An den schwankenden

Du sagst:
Es steht schlecht um unsere Sache.
Die Finsternis nimmt zu. Die Kräfte nehmen ab.
Jetzt, nachdem wir so viele Jahre gearbeitet haben,
Sind wir in schwierigerer Lage als am Anfang.

Der Feind aber steht stärker da denn jemals.
Seine Kräfte scheinen gewachsen. Er hat ein unbesiegliches Aussehen angenommen.
Wir aber haben Fehler gemacht, es ist nicht mehr zu leugnen.
Unsere Zahl schwindet hin.
Unsere Parolen sind in Unordnung. Einen Teil unserer Wörter
Hat der Feind verdreht bis zur Unkenntlichkeit.

Was ist jetzt falsch von dem, was wir gesagt haben,
Einiges oder alles?
Auf wen rechnen wir noch? Sind wir Übriggebliebene, herausgeschleudert
Aus dem lebendigen Fluß? Werden wir zurückbleiben
Keinen mehr verstehend und von keinem verstanden?

Müssen wir Glück haben?

So fragst du. Erwarte
Keine andere Antwort als die deine. »

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Ça ira ça ira, le nouveau clip très frais des Pirouettes

C’est frais, c’est coloré, c’est positif ! Extrait de l’excellent album Monopolis.

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Presque l’Amour – Tu m’as trop menti (Chantal Goya cover)

Voici une reprise de « Tu m’as trop menti » de Chantal Goya par l’excellent groupe Presque l’Amour, originaire de Rouen. C’est une version électro-pop plus industrielle, une remise au goût du jour très bien vue de ce superbe titre.

https://www.youtube.com/watch?v=Py3_6bSxWfY

Chantal Goya est une chanteuse populaire française marquée à Droite depuis 1974, notamment en ayant soutenu le libéral Valéry Giscard d’Estaing en 1974 ou en étant contre la pénalisation des clients des prostitués.

Elle fut cependant proche de la Gauche et les textes qu’elles chantaient étaient sincères, comme « Tu m’as trop menti » qui prône la sincérité amoureuse.

C’est en particulier le cas de la bande-son du film Masculin Féminin de Jean-Luc Godard, où elle fait une grande partie de la musique et où elle joue aussi.

C’est sur le tournage de ce film qu’elle a rencontré l’homme qui a écrit les paroles de « Tu m’as trop menti », Jean-Jacques Debout, avec qui elle entamera une relation amoureuse.

Tant la version originale que la reprise de Presque l’Amour en 2015 ont une tonalité très française, so french, avec cette façon de dire l’amour de manière à la fois engagée et réservée, avec cette forme de retenue très sophistiquée dans la façon de chanter.

Voici la version originale du titre chanté par Chantal Goya :