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L’appel de Benoît Hamon en faveur d’une votation citoyenne pour l’union de la Gauche

Génération.s a appelé hier à une « votation citoyenne » en faveur de l’union de la Gauche ; un site internet a été ouvert à ce sujet, votationcitoyenne.eu. L’idée est que les bases des organisations à Gauche court-circuitent les appareils.

Pour parler de la votation citoyenne proposée par Benoît Hamon, il faut prendre en compte un souci qui n’est pas anecdotique. Le site internet ouvert pour celle-ci a un lien vers une interview accordée par Benoît Hamon au journal Le Monde, où il explique le fond de sa pensée. Malheureusement, celle-ci est en accès réservé aux abonnés.

C’est pour le moins étrange, dommage ; cela reflète sans doute, voire certainement, le statut social de beaucoup de gens soutenant Benoît Hamon. Mais dans tous les cas, ce n’est pas comme cela qu’on touche tout le monde. Quoi qu’il en soit le tout début de l’interview est accessible et Benoît Hamon dit la chose suivante :

« Je fais un double constat. Le premier, c’est qu’on n’arrive pas à parler d’Europe, de cet enjeu fondamental. Il y a vraiment besoin de débattre de l’action de l’Union européenne, parce qu’on perçoit que le projet européen est menacé.

On trouve d’autant moins d’espace pour en discuter que le choix du président de la République et de la majorité actuelle est de refuser un débat démocratique sur ce qu’on pourrait faire de différent en Europe. Ils se sont choisi un adversaire, les nationalistes, et ont réduit le choix à ceux qui sont pour ou contre l’Europe. C’est extrêmement dangereux, parce qu’à force de faire monter [la présidente du Rassemblement national] Marine Le Pen comme seule opposition, on finira par avoir Le Pen en France. On a donc un débat européen escamoté par le chef de l’État, avec le grand débat national.

A cela s’ajoute une confusion née de la dispersion à gauche et chez les écologistes. Les différences entre les organisations justifient-elles de partir séparément ? Elles ne sont pas indépassables. Si on fait reposer l’unité sur les appareils, il n’y aura pas d’union. Cela doit passer par un vote citoyen. Le grand moment politique que vit la France depuis plusieurs semaines nous y invite. »

Heureusement, on dispose d’un communiqué de Génération.s à ce sujet. Le voici, présentant quatre idées, si l’on veut résumer :

– il faut une liste de Gauche, car sinon c’est la déroute ;

– il faut un « new deal vert » européen ;

– il faut que la base des structures de Gauche soit en révolte ouverte contre les appareils ;

– la liste aux élections serait le choix d’une sorte de vote à choix multiples.

 

Pour une Votation Citoyenne pour l’Union !

Donnons aux citoyen-ne-s le moyen de faire en un vote ce que des appareils inertes n’arrivent pas à réaliser.

Depuis trop de temps, les citoyens ont été exclus du projet européen. Le fossé démocratique de 2005 n’a jamais été comblé.

Aujourd’hui, Emmanuel Macron voudrait nous enfermer dans un faux débat. D’un côté, son libéralisme autoritaire ; de l’autre, des nationalistes ultralibéraux. Le référendum qu’il propose n’est qu’un étouffoir pour la démocratie européenne. Face à la confiscation du débat, il faut faire la place aux citoyen.nes.

La responsabilité de la gauche et des écologistes est immense. Nous seuls portons l’alternative au libéralisme destructeur comme au repli passéiste. Et pourtant nous offrons l’image de nos divisions et trop nombreux sont ceux qui abandonnent le terrain des idées.

Depuis des mois, Génération.s propose son projet avec le Printemps européen. Un New Deal vert européen, pour sauver l’Europe en préparant l’avenir. Une Constituante européenne pour refonder notre démocratie commune. Un ISF européen pour conquérir la justice fiscale.

Depuis des mois, Génération.s a fait beaucoup pour permettre l’unité. Interview après interview, discussion après discussion, nationalement et dans nos territoires, nous avons proposé de nous réunir sur une démarche commune. Nous avons reçu un millier de candidatures citoyennes.

Mais que nous propose-t-on ? Des réunions de sous-sol pour régler des problèmes de listes entre appareils. Cela ne débouchera sur aucune unité, et ne réglera aucun problème. Nous constatons que l’unité ne se fait pas alors que chacun sent qu’elle est nécessaire.

Nous proposons une ultime solution, que les citoyen-ne-s décident !

Donnons aux citoyen-ne-s le moyen de faire en un vote ce que des appareils inertes n’arrivent pas à réaliser.

Confrontons nos idées, débattons, imposons tous ensemble le débat européen qui manque aujourd’hui.

Aujourd’hui, nous demandons aux responsables politique de prendre leurs responsabilités comme nous le faisons : êtes-vous prêts à laisser les citoyen-ne-s décider ? Assumez ce qui apparaît comme un risque mais qui est en réalité l’opportunité de nous placer collectivement en tête le 26 mai. Avons nous des désaccords ? Oui. Pouvons-nous les dépasser et nous rassembler sur une orientation politique et une stratégie communes ? Oui aussi.

Organisons, d’ici au mois d’avril, une votation citoyenne pour l’union sur le principe du vote préférentiel.

Le jour de vote, chacun pourra choisir les 3 listes candidates qu’il préfère et leur attribuer trois, deux et un point. La liste désignée sera celle qui sera la plus choisie, et non celle qui aura éliminé toutes les autres. Le binôme paritaire qui la porte sera chargé de constituer une liste unitaire, en proportion des résultats obtenus.

Ce processus est inédit en France. C’est moderne, cela fait confiance, cela rassemble. Ce sera la votation citoyenne de l’avenir, la votation écologique et sociale, la votation démocratique.

Nous en appelons également à tous les citoyens et citoyennes qui s’engagent depuis des années pour l’unité. N’attendez pas les partis : c’est à vous de rendre le rassemblement possible. Dès maintenant, rendez-vous sur www.votationcitoyenne.eu pour soutenir la démarche.

Nous en appelons aux consciences morales de la gauche, (chercheur.se.s, intellectuel.le.s, personnes engagé.e.s…) : soyez les garants de l’unité !

Engagez-vous dans l’organisation indépendante de la votation.

Génération.s se met au service de l’avenir. Soyons au rendez-vous !

Cette histoire de listes ( lesquelles d’ailleurs ? ) avec des choix multiples n’est pas très claire et sans doute que Pierre Jouvet, un des porte-paroles du Parti socialiste, a résumé la perplexité de chacun en disant :

« Je n’ai pas exactement compris le système. Techniquement je ne vois pas comment il veut faire ça. »

Politiquement, on voit cependant de quoi il en retourne : il s’agit de provoquer une secousse pour avoir une alliance qui, en l’état, concernerait le PCF, Place publique et le Parti socialiste, même si Benoît Hamon ne veut pas de ce dernier. Europe Écologie Les Verts et La France insoumise ont quant à eux déjà refusé hier une telle initiative, même s’il est vrai que la base d’Europe Écologie Les Verts peut être réceptive à cette démarche de « primaires ».

Est-ce le type d’unité au-delà des structures politiques qui est souhaitable ? Peut-on se passer du débat d’idées et surtout du renouveau de la culture, de la politique, des principes à Gauche ? On va très vite savoir si c’est quelque chose de positif ou si au contraire c’est en décalage total avec la réalité.

Mais une chose est certaine : en prenant une initiative en faveur de l’unité de la Gauche, Benoît Hamon exprime le point de vue de la majorité des gens de Gauche.

 

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Politique

La crise du journal l’Humanité

Le journal l’Humanité a été un élément historique du mouvement ouvrier français. Il est depuis de nombreuses années en perte de vitesse et a été placé jeudi 7 février en redressement judiciaire avec poursuite d’activité par le tribunal de commerce de Bobigny.

La bourgeoisie en France a toujours disposé d’une presse de qualité et ce fut un enjeu majeur pour la classe ouvrière d’en disposer également. Le journal l’Humanité a rempli ce rôle très tôt dans l’Histoire, d’abord sous l’égide des socialistes et de Jean Jaurès puis directement du Parti communiste.

Alors qu’il tirait au mieux de son histoire à 400 000 exemplaires en 1945, le titre a enclenché un long déclin strictement parallèle à celui du PCF pour ne plus tirer qu’autour de 100 000 exemplaires dans les années 1980.

Il s’est déclaré en cessation de paiement le mois dernier et le tribunal de Bobigny le maintient maintenant sous tutelle pour une période de six mois. Deux administrateurs judiciaires ont été désignés et une « spécialiste » du sauvetage d’entreprises est chargée de redresser la barre.

Le tirage de l’Humanité a oscillé pour la période 2017/2018 entre 45 000 et 50 000 unités. De manière plus précise, il faut regarder sa diffusion payée qui a été pour cette période de 32 724 exemplaires quotidiens. Cela a représenté un recul de 6,24 % par rapport à la période 2016/2017, elle-même en recul par rapport à la période précédente.

À titre de comparaison, la diffusion payée du Figaro a été pour 2017/2018 de 308 953 exemplaires et celle du Monde de 283 678 exemplaires. Les diffusions payées des Échos, de La Croix et de Libération ont été respectivement de 128 573, 87 883 et 69 636 exemplaires.

Les chiffres de ventes de l’Humanité apparaissent donc comme relativement faibles, mais représentent tout de même quelque-chose de conséquent. Cela est possible grâce à une base liée au PCF tenant absolument à acheter « l’Huma » par tradition, refusant par exemple par principe toute offre de réduction. L’influence politique de l’Humanité est cependant très faible, quasiment nulle.

Son expression ne consiste globalement qu’en un para-syndicalisme vaguement antilibéral, faisant de ce journal bien plus celui de la CGT que du PCF. Sur le plan du style, des valeurs, de la culture, il n’y a absolument rien d’alternatif, de propre à la classe ouvrière, au point qu’une figure réactionnaire comme Natacha Polony a récemment appelé à « sauver l’Huma » sous prétexte de ses pages littéraires.

L’Humanité n’a pas, ou plus, été capable de proposer une expression organique pour le prolétariat, c’est-à-dire d’affirmer en même temps le besoin de civilisation et l’antagonisme vis-à-vis de la bourgeoisie. Cela fait que le journal ne correspond pas du tout à la vie quotidienne des masses, à leur réalité. Il n’a jamais rien été compris aux jeux-vidéos, au sport, à la musique techno ou métal, à la protection animale, au cinéma, à la mode ou encore à internet.

Le journal est surtout passé largement à côté de la marche du monde de ces trente dernières années. Cela fait que l’Humanité n’a jamais vraiment parlé d’écologie, si ce n’est de manière abstraite et très récemment, pour seulement coller à l’air du temps, comme l’a fait également la bourgeoisie (en mieux) dans ses propres journaux comme Le Figaro ou Le Monde.

Si l’Humanité n’a pas encore disparu, c’est qu’il est porté à bout de bras par une somme immense de subventions d’État et des souscriptions régulières. Sur le plan commercial, le titre n’est en fait absolument pas viable, se maintenant dans une illusion totale par rapport à ce qu’il est réellement. La taille de sa rédaction est disproportionnée par rapport à ses ventes et il est connu que les salaires y sont élevés pour la profession, avec quasiment que des gens ayant le statut de cadre.

Alors que le reste de la presse s’est réformé avec l’avènement du numérique, le site internet de l’Humanité est d’une pauvreté affligeante, ayant une existence très faible.

Il y a pourtant avec internet un outil formidable pour faire un quotidien de la classe ouvrière, avec des coûts de production plus faibles, ou en tous cas bien plus faibles qu’avec le papier et ses lourds réseaux de distribution, qui par ailleurs se dégradent.

Cette question d’internet n’est de toutes façons qu’un aspect, car en réalité la presse continue d’exister en grande proportion en France. Les quotidiens régionaux sont encore très lus dans les classes populaires. La diffusion payée de Ouest-France, le plus tiré, est par exemple de 659 681 exemplaires. Si l’on cumule les 53 quotidiens régionaux, cela donne un chiffre immense avec une diffusion totale payée de presque 4 millions d’exemplaires.

Il y a là un potentiel énorme, et la Gauche devrait absolument se soucier d’arracher des milliers de prolétaires de la lecture de ces quotidiens horribles, lisses, faisant des faits-divers leur fonds de commerce et des simplifications leur moyen d’expression. Mais ce n’est pas ici que regarde « l’Huma », préférant organiser une grande soirée parisienne pour bobos à La Bellevilloise le 22 février. Qu’il soit mit en avant en tête d’affiche de cette soirée le peintre d’art contemporain Hervé Di Rosa en dit long sur les aspirations de ses organisateurs. On sait pourtant très bien qu’il n’y a aucun rapport, ni de près ni de loin, entre ce genre d’artiste abstrait et les classes populaires.

Hervé Di Rosa est d’ailleurs très engagé dans le soutien, comme le rapporte le site internet du Parisien :

« Je n’ai jamais eu ma carte, mais j’ai une longue histoire avec ce journal. Mon père était à la CGT à la SNCF. L’une de mes filles est communiste. Quand il y a une crise, je réponds présent, même si moi, je suis catholique. Le PCF est un parti qui a accueilli tellement d’artistes, de Picasso à Fernand Léger. Cette époque est révolue, mais le journal reste très intéressant, avec des points de vue différents qu’on ne lit pas ailleurs, y compris sur l’art. Si ça s’arrêtait, ce serait quand même terrible. »

On peut citer également le soutient de Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre de la Culture de Jacques Chirac, qui a présidé le Château de Versailles :

« Même si vous n’êtes pas toujours d’accord avec ce journal, comment imaginer l’humanité sans L’Humanité ? Personne ne peut rester insensible à ce titre créé par Jaurès, toujours de qualité, et que je continue de lire presque chaque jour. Il représente une grande famille de pensée à la gauche de la gauche. Dans le débat politique, il est nécessaire. »

Dis-moi qui te soutient et je te dirai qui tu es, pourrait-on dire. Et manifestement, l’Humanité n’est pas l’organe de presse de la classe ouvrière organisée, de la Gauche historique, de l’alternative au capitalisme.

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Politique

Génération.s et l’Europe : un soutien unilatéral

Benoît Hamon porte une ligne résolument pro-européenne. Le souci est qu’on a beau chercher, on n’y voit guère de différence avec ce que dit Emmanuel Macron. C’est un peu plus radical, avec un peu plus d’écriture inclusive, mais le fond est le même.

Génération.s se met en branle pour les élections européennes et voici comment le mouvement de Benoît Hamon présente ce qui est sa ligne :

« Face aux nationalistes et aux libéraux qui détruisent l’Europe, Génération.s s’engage avec détermination dans la campagne des élections européennes.

L’enjeu des ces élections européennes est de taille, mais il n’y a pas de fatalité ! L’Espoir et le Printemps Européen sont entre nos mains !

Génération.s propose des solutions positives et concrètes pour la justice sociale, pour l’écologie et pour le respect de tous les citoyens européens. »

Lee refus des nationalistes et des libéraux est bien un dénominateur commun des gens à Gauche, cela est évident. Mais il y a un souci dans ce qui est dit : l’Europe a toujours été le grand thème des libéraux. C’est l’UDF de Giscard, de Simone Veil, etc. qui a toujours dit que l’Europe en élargissant le marché, en le libéralisant, allait améliorer la société française. L’expression « Printemps Européen » est exactement ce dont ils auraient pu parler, de par son côté vague et romantique.

Si donc Génération.s veut une autre Union Européenne, de laquelle parle-t-il ? Parce que personne en Europe n’a, à Gauche, formulé d’alternatives. Même en admettant que Benoît Hamon ait raison, il faudrait qu’il l’explique, et qu’ensuite il présente des alliés dans toute l’Europe. Ce n’est pas le cas.

Il faut également appeler un chat un chat. Dire qu’on est pour « la justice sociale, pour l’écologie et pour le respect de tous les citoyens européens », cela ne veut rien dire : à peu près tout le monde peut le dire. Ce n’est même pas que cela dit tant quelque chose de valable pour tous, c’est surtout que cela ne veut rien dire du tout. Les pro-nucléaires peuvent se dire écologistes car le nucléaire exige moins de Co2 que le charbon en apparence, la Droite peut se dire pour la justice sociale par l’ouverture à la concurrence au profit soi-disant des consommateurs, quant au respect de tous les citoyens européens c’est une règle posée d’office dans le cadre de l’Union Européenne.

Dernier souci et non des moindres de tout cela : Génération.s n’est pas anti-libéral. Génération.s revendique de s’opposer au libéralisme dans le domaine économique. Génération.s assume par contre entièrement le libéralisme dans les domaines politique et culturel, avec une revendication très forte de libéralisme dans le domaine migratoire. Il n’y a donc pas le rejet des « libéraux » en général, seulement de certains libéraux.

Ce qui ramène directement à ce que porte Emmanuel Macron, puisqu’on est pas ici dans une perspective de la Gauche historique, mais celle d’une bourgeoisie moderne, branchée, celle de l’art contemporain et des start ups, à l’aise dans toutes les très grandes villes du monde, favorable à la remise en cause de toutes les règles, de la déconstruction générale de toutes les valeurs sociales.

Génération.s a-t-il alors réellement un espace, alors qu’Emmanuel Macron porte en quelque sorte la plupart de ses valeurs politiques et culturelles ?

Si Benoît Hamon a véritablement une densité suffisante le distinguant historiquement d’Emmanuel Macron, alors Génération.s trouvera un espace. Mais sinon, les élections européennes rendront sa situation intenable.

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Culture

Cris et chuchotements, d’Ingmar Bergman

En présentant la vie intérieure de quatre femmes dans un moment-clef de la vie marquée par une souffrance extrême de l’une d’entre elles, Ingmar Bergman met à nu la densité psychologique féminine, niant tout simplisme et réduction à la femme-enfant. En conséquence de quoi, le film est d’une violence sans pareille.

cris et chuchotements

Très grand classique du cinéma datant de 1972, Cris et chuchotements est connu surtout en France pour être pratiquement un véritable crashtest : passer les premières minutes est considéré comme un exploit, voir le film en entier comme héroïque, savoir comment l’apprécier une chose réservée aux cinéphiles. Les complications ressenties pour le supporter comme pour le décrire sont dans tous les cas attribuées à l’approche existentielle – esthétique d’Ingmar Bergman.

En réalité, c’est que c’est avant tout un film d’adulte, d’abord, et un film qui traite des femmes, surtout. Cela fait deux obstacles très importants, car il faut déjà avoir un certain âge, un certain vécu pour saisir la question de la fragilité de la vie, de l’importance symbolique que peut avoir tel objet, telle montre avec son tic-tac inlassable. Cela demande une conscience posée, une dimension littéraire pour ainsi dire, et c’est donc avant tout un film pour qui est capable de retour en arrière sur sa propre vie, sur sa propre personnalité dans ce qu’elle a vécu de manière authentique.

De plus, en présentant l’agonie d’une femme dans un manoir, le réalisateur a surtout osé présenter un huis-clos sur la vie intérieure de femmes (ici Harriet Andersson, Kari Sylwan, Ingrid Thulin, Liv Ullmann), avec leur formidable richesse intérieure, mais également donc leur extrême violence due à des situations les aliénant, estompant leurs personnalités, leurs désirs, leur être tout entier. L’affirmation féminine est totalement exigée dans ce film qui montre justement comment en son absence, cela cause de terribles dégâts.

Le maître-mot est d’ailleurs la violence féminine, avec la femme présentée comme porteuse du sens de la vie ; les cris et chuchotements auxquels on échappe en apparence dans la vie quotidienne quand on prétend être « stable » sont ici présentés comme une expression inévitable d’une vie qu’on a mis de côté et qu’on a donc mutilé. Le film a cette mutilation de la vie comme obsession, avec tout l’arrière-plan luthérien incessamment présent pour soutenir cette perspective, au point par ailleurs que, religion oblige, la souffrance et l’extase se combinent dans un espoir d’absolu.

Cela n’empêche nullement le film de s’ancrer dans le concret et de traiter avant tout de l’existence comme réalité physique, sociale et naturelle. En ce sens, Cris et chuchotements est avant tout un film sur les femmes ayant l’exigence d’être avant tout elles-mêmes, le film osant présenter leur densité formidable par rapport à la simplicité stupide, bornée, patriarcale des hommes. Le fait que le film se déroule à la fin du 19e siècle accentue la démonstration critique de l’inanité du rapport maître-valet en général, la servante ayant un rôle central, portant la grâce, la rédemption, la miséricorde, tout en faisant face à l’injustice et l’indifférence.

Il est intéressant de savoir qu’Ingmar Bergman a mis toute une partie de ses économies pour pouvoir produire le film, que les actrices elles-mêmes et le directeur de photographie (qui reçut un oscar pour ce film) rendirent leurs salaires sous la forme de prêt à la production, pour qu’il puisse être tourné. On est ici dans un engagement artistique total et on ne sera pas étonné que Liv Ullmann raconte que le jeu des actrices fut bon justement en raison de leur rejet du système de Stanislavski utilisé par l’Actor’s Studio, avec tout son formalisme où l’acteur doit « mimer », « devenir » le personnage.

Elle souligne la dimension naturelle, ainsi qu’un aspect essentiel : pour réaliser ce film en couleurs, ce qui est une exception chez lui, Ingmar Bergman et le directeur de la photographie Sven Nykvist ont profité de la lumière naturelle surtout, notant tous les jeux de lumières dans le manoir pour jouer les scènes en fonction, au bon moment. Cela donne une dimension très particulière aux couleurs, le rouge étant présent systématiquement et de manière quasi agressive, côtoyant principalement seulement du noir et du blanc.

Cris et chuchotements est un film incontournable ; il est souvent associé à deux autres films d’Ingmar Bergman, Le silence et Persona, pour sa présentation de la densité psychologique des femmes, pour l’affirmation du caractère complet de leur existence intérieure.

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Société

L’Union Européenne refuse la fusion d’Alstom et de Siemens Mobility

En refusant la fusion de deux grandes entreprises du ferroviaire, l’Union Européenne s’oppose à la concentration économique, qui est en même temps une norme à l’échelle mondiale. Cela va donc provoquer des tensions immenses entre les nations et l’Union Européenne.

La commissaire européenne à la Concurrence, Margrethe Vestager, a annoncé hier le refus par son institution de la fusion d’Alstom et Siemens Mobility pour former un géant de l’industrie ferroviaire et de la signalisation. C’est là un épisode très important de la vie économique dans l’Union Européenne.

Deux points de vue semblent s’opposer. Margrethe Vestager a affirmé dans une conférence de presse, avant même son refus, que :

« Notre écosystème est plus fort s’il ne dépend pas entièrement d’une ou de quelques entreprises géantes. »

C’est là en l’apparence la défense de la libre-entreprise contre les monopoles, dans une optique de défense de l’initiative capitaliste et des consommateurs. C’est le principe selon lequel un capitalisme n’est sain que s’il est concurrentiel, tandis que le capitalisme ayant atteint des formes monopolistiques dérègle le système.

L’autre point de vue se veut quant à lui pragmatique. Jeo Kaeser, le dirigeant de Siemens, a justifié la fusion de par l’existence d’une concurrence mondiale :

« La protection des intérêts des consommateurs ne doit pas empêcher l’Europe d’affronter sur un pied d’égalité la Chine et les États-Unis. »

On a donc en apparence une opposition entre des entreprises ayant un besoin de se renforcer au niveau mondial et une Union Européenne garante des droits des petites entreprises et des consommateurs. Margrethe Vestager a particulièrement insisté à ce sujet hier, disant par exemple que :

« En l’absence de mesures compensatoires suffisantes, cette concentration aurait entraîné une hausse des prix pour les systèmes de signalisation qui assurent la sécurité des passagers et pour les futures générations de trains à très grande vitesse. »

Tout cela n’est cependant qu’une apparence, car les choses sont bien plus compliquées que cela. Car, depuis 1989, la commission européenne à la à Concurrence a approuvé 6 000 fusions et n’en a bloqué qu’une trentaine. On ne peut donc pas vraiment dire que l’Union Européenne est un frein au capitalisme de type monopolistique. Elle est un frein à certaines formes capitalistes monopolistiques.

Lesquelles ? Cela dépend tout simplement des rapports de force. Là, si la fusion a été refusée, c’est tout simplement parce que cela formerait un monstre franco-allemand, qui deviendrait une entreprise monopolistique jouant un rôle-clef dans le moteur franco-allemand. Beaucoup de pays de l’Union Européenne ne veulent pas se soumettre à ce moteur franco-allemand : ils font donc un blocage de tout processus allant en ce sens.

Évidemment, les responsables français et allemand sont fous de rage. Ils annoncent déjà qu’ils feront en sorte de modifier le cadre légal de la commission européenne à la Concurrence, pour la soumettre aux États et aux gouvernements concernés. En clair, la France et l’Allemagne disent : nous sommes les plus forts, vous serez obligés de nous suivre.

Il y a ainsi une initiative commune immédiate du ministres français de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire et de Peter Altmaier le ministre allemand de l’Économie. Voici ce que le Français a dit de son côté :

« Je propose qu’on retienne comme marché pertinent, celui où on analyse la concurrence, le monde entier et pas que l’Europe (…). Je propose en deuxième lieu que le Conseil européen c’est-à-dire les chefs d’État puisse s’exprimer sur la décision européenne en matière de concurrence. »

Voici ce qu’a dit entre autres l’Allemand :

« N’y a-t-il pas des domaines tels que l’aviation, les chemins de fer, les banques où vous devez prendre le marché mondial comme référence plutôt que l’européen? »

De telles affirmations sont une provocation directe pour les institutions de l’Union Européenne, qui se voient ici directement remises en cause. Les deux ministres de l’économie des deux plus puissants pays annoncent ouvertement qu’ils comptent remettre en cause les règles dérangeant leurs propres intérêts.

Ils affirment également ouvertement que l’Europe n’est qu’un tremplin pour le monde, et pas une valeur en soi. Le projet européen se voit réduit à une fonction utilitaire pour les capitalismes nationaux.

À vrai dire, il n’a jamais été autre chose, malgré tel ou tel aspect concret obtenu dans une période de croissance où il y a l’illusion que le projet européen devenait autonome et concret, qu’il était un objectif atteignable, des États-Unis d’Europe.

La vraie conséquence de tout cela, surtout, cela va être que les forces nationalistes de France et d’Allemagne vont être d’autant plus renforcées, car elles vont dire que l’Union Européenne bloque l’affirmation de l’économie nationale et qu’elle n’est pas réformable, puisque même Angela Merkel et Emmanuel Macron ne parviennent pas à organiser les choses de manière adéquate.

Les propriétaires d’Alstom et de Siemens Mobility ne vont évidemment pas rester passifs, ils vont renforcer le nationalisme, la dimension « indépendante » des décisions allemandes par rapport à l’Union Européenne. Et cela sera pareil pour tous les industriels et financiers ayant « tiré la leçon » de cette histoire.

C’est là la contradiction essentielle d’un capitalisme qui s’appuie sur des entrepreneurs, mais qui aboutit à des monopoles, de manière inéluctable de par la concurrence. Et comme la concurrence est mondiale et que l’Union Européenne n’est pas une structure réelle mais « flotte » au-dessus des pays, la situation ne peut être marquée que par une explosion des instabilités, des troubles, des remises en cause, des affirmations unilatérales des égoïsmes nationaux.

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Guerre

L’Armée française a frappé plusieurs fois au Tchad depuis dimanche

Des avions de chasse de l’Armée française ont frappé depuis dimanche à plusieurs reprises sur le sol tchadien. Ils visaient une colonne d’une cinquantaine de pick-up armés d’un groupe d’opposition au pouvoir en place, montrant l’ingérence de la France dans les affaires locales.

Conformément à la Constitution, le Premier ministre Édouard Philippe a informé hier les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat que des frappes aériennes ont été menées au Nord du Tchad les 3, 5 et 6 février, « contre des groupes armés venus de Libye ». Celles-ci sont pourtant menées en toute confidentialité, cachées à la population française, pour masquer le fait que le pays agit toujours de manière coloniale en Afrique.

L’état-major français a expliqué dans un communiqué que « l’action des Mirage 2000, engagés depuis la base de N’Djamena, appuyés par un drone Reaper, a permis au total de mettre hors de combat une vingtaine de pick-up ».

Il est précisé que « ces interventions, menées à la demande des autorités tchadiennes, ont été conduites de façon proportionnée, graduée et précise », ne précisant pas qu’elles ont fait, logiquement, de nombreux morts. Quiconque à Gauche n’a aucune illusion sur la prétendue souveraineté de cette « demande » tchadienne, tant on sait que les pays de l’Afrique sont largement sous la domination des grandes puissances mondiales. Les régimes sont constitués d’élites corrompues, formées souvent dans les grandes universités françaises, anglaises, américaines et aimant les grandes avenues parisiennes ou les quartiers chics de Londres ou Manhattan.

Que l’Armée française ait une base à N’Djamena est déjà en soit une offense à l’indépendance nationale Tchadienne, une survivance du colonialisme. C’est pour cela que les partis d’opposition tchadiens sont obligé de critiquer cette intervention militaire en déclarant à l’AFP qu’elle est « inappropriée » et qu’elle « viole le droit international ».

Il s’agit effectivement ici de l’ingérence de la France dans les affaires tchadiennes. Les véhicules et troupes frappées étaient de l’Union des forces de la résistance (UFR), un groupe armé ayant tenté de prendre le pouvoir en 2008, mais qui fut stoppé par l’intervention française. Le porte-parole en exil de l’UFR avait déclaré plus tôt dans la semaine que leur colonne avançait vers la frontière du Soudan, dans l’Ennedi, mais l’état-major français a considéré que « le raid de cette colonne armée dans la profondeur du territoire tchadien était de nature à déstabiliser ce pays ».

Ce groupe dont l’ambition affichée est de former « un gouvernement de transition réunissant toutes les forces vives du pays » et « d’organiser des élections », considère évidemment que « le peuple tchadien répondra, [que] cela peut passer par manifester une hostilité à l’encontre des Français » et que « Paris est devenue une force hostile au peuple tchadien ».

On a là, on l’aura compris, un pays profondément déchiré, déstabilisé, avec un chef de l’État Idriss Déby quasiment mis en place directement par la France en 1990, qui est opposé à son propre neveu, Timane Erdimi, membre de la même ethnie des Zaghawa, originaire du nord-est du pays.

Les grandes puissances comme la France ont directement intérêt à diviser les pays d’Afrique, les maintenir dans la guerre, l’émigration et le sous-développement. La Gauche en France ne peut pas accepter cela et elle se renie elle-même en fermant les yeux sur ces interventions, ces ingérences relevant d’une forme moderne de colonialisme.

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Politique

Fiasco de la « grève nationale » de la CGT du 5 février 2019

Malgré le fol espoir en les gilets jaunes, la « grève nationale » n’aura finalement concerné qu’entre 137 000 et et 300 000 manifestants, principalement issus du secteur public et sans aucun impact sur l’économie. La prochaine initiative du même type étant pour la mi-mars, on voit aisément que le fiasco est reconnu par la CGT elle-même, au-delà des discours triomphaux usuels.

Hier a eu lieu la « grève nationale » organisée par la CGT : il faut mettre des guillemets, car comme c’est la règle, les travailleurs du secteur privé ne sont pas de la partie. Il ne faut jamais oublier cet aspect essentiel : les discours sur les travailleurs ne sont pas les discours des travailleurs ; ceux-ci ne sont engagés dans leur écrasante majorité ni dans les grèves, ni dans les cortèges, ni dans les syndicats, ni dans les partis de Gauche.

Et, comme on le sait, ce qui est d’autant plus grave, l’extrême-droite a un écho très fort chez eux. Il faut donc enfin du réalisme quand on parle de tout cela, il faut cesser toute auto-intoxication. Car il y a auto-intoxication : de la part des syndicats en général, mais surtout de la CGT, de l’ultra-gauche, des populistes. Leur idée est pratiquement de raconter comme quoi il y aurait quelque chose qui se passe, afin qu’il se passe quelque chose, comme une sorte de prophétie autoréalisatrice, ou plus précisément de mythe mobilisateur.

C’est donc du théâtre, avec peu d’impact. La grève n’a en rien touché l’économie, ni paralysé quoi que ce soit. 5% seulement des enseignants étaient en grève, alors que la RATP n’a à Paris pas connu de perturbations. Le nombre de manifestants est restreint et traditionnel, ce qui contredit la thèse selon laquelle les gilets jaunes auraient révolutionné la France. Il y a eu environ 25 000 personnes à Paris, 10 000 à Toulouse, 6000 au Havre, 5 000 à Marseille, 4 000 à Lyon, 2000 à Caen, Lille et Clermont-Ferrand, 1500 à Strasbourg et à Nîmes, 1000 à Tours, 800 à Beauvais, 500 à Rennes, 400 à Amiens, etc.

Cela ne pèse pas lourd, cela n’apporte rien de nouveau, mais pour correspondre à cet esprit théâtral, le dirigeant Philippe Martinez a affirmé :

« Aujourd’hui c’est un succès qui en appelle d’autres. »

La preuve qu’il ment et qu’il le sait, est que la CGT a appelé à une nouvelle mobilisation… pour la mi-mars. Comme on bat le fer quand il est chaud, autant dire que rien n’est un chaud et que c’est plutôt un fiasco. L’appel pour la mi-mars est là pour sauver la face d’un syndicalisme CGT qui va de défaite en défaite.

Et pourtant, outre le soutien ouvert (et vraiment très forcé dans le ton) aux gilets jaunes, la CGT avait fourni une liste de revendications tapant le plus large possible, au point que le dirigeant de la CFDT, Laurent Berger, l’a qualifié de « liste à la Prévert ». Les voici et on peut facilement voir que c’est une sorte de très vaste et très réformiste dénominateur commun à toute la Gauche :

• une augmentation du Smic de 20% (1800 euros brut), du point d’indice, de tous les salaires et pensions ainsi que des minima sociaux ;
• l’égalité salariale entre les femmes et les hommes ;
• une réforme de la fiscalité par un impôt sur le revenu plus progressif et une TVA allégée sur les produits de première nécessité, le rétablissement de l’ISF et une imposition plus forte des plus hauts revenus et de la détention de capital ;
• le contrôle et la conditionnalité des aides publiques aux grandes entreprises ;
• le développement des services publics ;
• le respect des libertés publiques, tel que le droit de manifester remis en cause par le gouvernement ;
• le renforcement des droits et garanties collectives, des droits au chômage, de la sécurité sociale, notamment de la retraite ;
• une transition écologique juste et solidaire.

Il n’est d’ailleurs pas difficile de voir qu’au sens strict, ces revendications ne relèvent pas du syndicalisme, qui se veut une lutte d’entreprises, de secteurs professionnels. Ici, on a des propositions de type social, des exigences de réformes économiques, qui relèvent de la politique. Quand la CGT parle par exemple du développement des secteurs publics ou de transition écologique juste et solidaire, elle dépasse largement le cadre des revendications directement syndicales. D’un côté, tant mieux ! Mais tout d’abord c’est trop tard, et ensuite c’est traditionnel avant des élections et on a ainsi, à très grands traits, le programme de La France Insoumise et du PCF.

On sait cependant que la CGT est liée au PCF et La France Insoumise a pour cette raison été obligée de la jouer subtil, et même très subtil. On a ainsi vu réapparaître… le Parti de Gauche, disparu totalement des radars depuis que la « marque » La France Insoumise est devenue la norme. L’occasion a été celui d’un communiqué commun paru la veille de la grève dans la revue de gauche Politis, signé également par certaines structures à la même volonté de profiter des gilets jaunes (Groupe parlementaire France Insoumise, Génération.s, Nouveau parti anticapitaliste, Ensemble, Gauche républicaine et socialiste, Fondation Copernic, Alternative libertaire, Solidaires, Sud PTT, Gauche démocratique et sociale, ATTAC, Union départementale CGT 75, Parti ouvrier indépendant…).

On y lit que :

« Pour la première fois depuis le début de la mobilisation, les gilets jaunes ont décidé de se joindre à une grève annoncée par les syndicats le 5 février 2019.

Nous voyons dans cette convergence une possibilité de victoire sociale majeure, en permettant un mouvement d’ensemble durable et reconductible incluant l’ensemble des salarié-es, la population des quartiers populaires et la jeunesse. Nous souhaitons que la grève et les manifestations soient les plus massives possible afin de faire aboutir ces revendications légitimes. C’est pourquoi nous apportons tout notre soutien à cette date. »

Mouvement d’ensemble ? Victoire sociale majeure ? Union des salariés, des quartiers populaires et de la jeunesse ? On est ici dans une fiction complète.

Il faut voir la réalité en face. Toutes les valeurs de la Gauche sont démantelées, l’agitation sociale a une expression patriotique exacerbée, l’extrême-droite a un socle électoral populaire et même ouvrier, l’antisémitisme a contaminé des pans entiers de la société, la fachosphère pullule d’activités depuis des années, l’extrême-gauche est devenue une ultra-gauche post-moderne, le rempli nationaliste est une tendance de fond à l’échelle internationale.

Nous sommes en train d’assister à un véritable suicide politique, alors que l’ombre du Fascisme s’avance sur la France.

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Réflexions

Portrait critique du Français

Le Français ne comprendra jamais une chose : pourquoi les autres ne sont pas français. Comment peut-on ne pas être français ? Il est pourtant logique d’être français.

Palais du Luxembourg

Le Français est un fin connaisseur de la vie, du moins s’imagine-t-il, aussi privilégie-t-il la posture du sceptique souriant, prenant toute chose avec assez de hauteur pour ne pas s’y attacher. Être modéré en tout, même dans la modération, voilà ce qui semble parfait au Français, ainsi prompt à l’hypocrisie jésuitique pour à la fois pratiquer et critiquer quelque chose.

Cela impose une certaine légèreté : le Français adore badiner, flirter, batifoler, compter fleurette, s’empêtrer dans une multitude de situations qui n’auront ni suite, ni lendemain. L’ancêtre du Français aimait flâner, le Français apprécie désormais de traîner et il se traîne dans sa vie, cherchant à écrire ses prochains jours comme un dessinateur d’une bande dessinée essaie de prévoir la prochaine case.

C’est que le Français est sensible, mais il a bien plus d’imagination encore et celle-ci doit permettre la formation d’une belle apparence. Ce qui se pense bien s’énonce bien et présente bien, et inversement. Aussi le Français préfère avoir l’air amoureux que tendre, et l’air galant qu’amoureux. Mais cette galanterie est donc plus forme que fond.

Car rien ne porte à conséquence chez le Français et aussi voit-il en le principe d’organisation une perpétuelle épée de Damoclès toujours prête à lui tomber dessus. L’État, la famille, le couple, le syndicat, le parti, les transports en commun, l’avion, le train, tout cela est insupportable au Français qui exige la simplicité d’une terrasse de café, d’un comptoir où il peut, au choix, rester ou s’en aller, commander de nouveau ou bien ne pas le faire, commander la même chose ou bien autre chose, etc.

Il appréhende, autant qu’il les déteste et est fasciné par eux, l’Anglais et l’Allemand. La premier a trop d’opiniâtreté dans son caractère, le second trop de cohérence dans sa fiabilité. Cela fait deux qualités fortes que le Français ne peut que vouloir démolir, par souci de maintenir avant tout ce qu’il considère comme de l’esprit.

L’esprit avant toute chose est sa devise et, prolongeant Descartes, il refuse d’aller trop profondément au fond des choses, ne voulant pas risquer de ne pas pouvoir envoyer tout balader, d’un coup, dans un acte de panache étant la marque du grand esprit.

Le Français est ainsi parfaitement commode et il se considère même comme le seul réellement vivable au monde. Comment peut-on être Kényan, Indien ou Suédois ? La vie n’est heureuse que si l’on est français ! Seuls les peuples latins échappent à son regard sourcilleux sur les mœurs des autres pays du monde qui, par ailleurs, selon lui, devraient tous savoir parler français.

Il est donc plaisant, agréable, jamais hostile ; il sait se tenir. C’est toute une philosophie de la vie : chaque Français sait qu’il est en quelque sorte un représentant commercial de Chanel, Dior, Louis Vuitton, Longchamp et Hermès. Il sait donc mimer les bonnes manières, en toutes situations, ou au moins faire que cela ressemble à cela. Tel est l’avantage de son image que peu importe la manière dont il se comporte, on se dit que cela relève d’un certain sens de la correction.

Pour garder toute cette constance, le Français sait être railleur à l’occasion, en quoi il révèle un côté franchement mauvais, mesquin, tenace dans son fiel. Malheur à qui par trop raisonne, malheur à qui penche vers ce mot ignoble, haï par lui : sys-té-ma-tique. Car l’enfer, pour lui, c’est le bout des choses.

Cela n’arrive pas souvent, heureusement, et le Français sait surtout être routinier : un peu de politique et d’aventure dans la jeunesse, rien de tout cela celle-ci passée. Beaucoup de bière au départ de la vie, un peu de vin à son arrivée ; la quête de grandes choses pour soi à l’initial, puis finalement les petits riens sont si plaisants quand même.

Le Français, et c’est là selon lui une de ses grandes qualités, est un adepte du consensus avant tout, y compris avec lui-même. Toute forme pondérée apparaît lui correspondre et se présente à lui comme une véritable sagesse, bien loin du bouddhiste vietnamien, du bolchevik russe, du hippie américain ou du marabout d’Afrique noire. Car le Français procède vite à la caricature quand il parle de l’Orient, et pour lui l’Orient, c’est tout ce qui entoure la France, c’est tout qui n’est, non pas français, mais pas encore français.

Selon lui, tout le monde sait, même sans vouloir l’assumer. Tout le monde veut aller en France, tout le monde rêverait d’être français. Et, parfois, dans le brouhaha d’une fin de soirée, dans des rues fortement éclairées après un repas copieux, le Français regrette lui-même de ne pas pouvoir faire cette chose si grande, si forte, si unique : devenir français. Qui sait ? Après tout, Napoléon ne disait-il pas qu’impossible n’est pas français ?

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Politique

L’inévitable prochaine montée de l’antisémitisme

L’antisémitisme, cette infamie, est profondément enraciné dans la société française. Après les gilets jaunes, il connaîtra une inévitable progression, tant quantitative que qualitative. Et autant par la droite que par une « gauche » coupée de la Gauche historique.

Manifestation pro palestinienne à Sarcelles, juillet 2014

L’antisémitisme ne s’est pas exprimé, à part de manière extrêmement marginale, lors des gilets jaunes. C’est logique : l’antisémitisme sert historiquement de paratonnerre, de fiction anticapitaliste. Quand la crise l’emporte malgré tout, cette fiction perd son sens. La dimension sociale réelle l’emporte. Mais comme rien ne sortira des gilets jaunes, l’antisémitisme reprendra forcément sa fonction. Et avec la crise sociale approfondie, il réapparaîtra de manière bien plus renforcée.

Il y a ici quelque chose de fondamentalement mécanique. L’antisémitisme est consubstantiel aux pays marqués par une idéologie religieuse chrétienne où le moyen âge a fait de certains Juifs des banquiers, le prêt à intérêt étant interdit entre coreligionnaires. L’antisémitisme médiéval s’est maintenu par la suite, notamment dans tout le milieu monarchiste, avec son anticapitalisme romantique idéalisant le moyen âge. Et il s’est modernisé, devenant le leitmotiv de tous les communautarismes, religieux comme nationaliste ou « anticapitaliste ».

La situation en France va donc être mauvaise, elle aurait pu pourtant être bonne si la loi Gayssot avait été appliquée. Mais l’État a laissé faire tous les foyers d’antisémitisme, avec leur propagande, leurs innombrables publications, leurs activités culturelles et politiques. Que Dieudonné ne soit pas en prison est une absurdité historique, et il en va de même pour Alain Soral. Cela montre bien que l’État est dans les mains de gens non pas incapables, mais totalement vendus aux couches dominantes, qui se désintéressent de tout ce qui n’est pas eux.

Ce qui est malheureux, avec cet antisémitisme, c’est que les Juifs réagissent, là aussi c’est mécanique, en se repliant sur eux-mêmes. Le sionisme ne prend pas : au-delà d’une sympathie certaine pour Israël, il n’y a aucune vague de départ réelle et les Juifs se sentent dans notre pays français avant tout. Même ceux qui partent sont considérés par les Israéliens irrémédiablement français dans leur style, leur culture, leur attitude.

Cependant, il y a un repli communautaire avec la religion servant de romantisme. Les prénoms donnés ne sont souvent plus des prénoms juifs, même pas des prénoms israéliens ; ce sont des prénoms bibliques jamais employés jusqu’à présent. Cela alors qu’auparavant, c’était des prénoms français qui étaient choisis de manière quasi systématique !

Ce repli, regrettable, critiquable, est évidemment secondaire et sans importance par rapport à l’antisémitisme, ce véritable danger, cette barbarie arrachant aux esprits tout ce qu’il peut y avoir de dignité, de rationalité, d’humanité. Et ce qui est terrifiant, c’est vraiment le terme, c’est que l’antisémitisme profite de larges appuis dans une « gauche » qui n’est plus la Gauche historique. Les populistes et les « ultras », ayant rejeté les principes et traditions de la Gauche, vivent en cercle fermé intellectuellement parlant, dans un romantisme forcené, avec un antisémitisme rampant à l’arrière-plan.

Il y a ici une convergence avec l’utilisation d’un argumentaire « social » dans le camp nationaliste. Comme dans les années 1920 en Italie et dans les années 1930 en Allemagne, on a le refus de la Gauche historique, au profit d’une sorte de spontanéisme populiste, sans principes autre que le succès pragmatique, avec des raisonnements à court terme.

La clef de tout cela, c’est bien entendu la destruction de la culture, qui se généralise. La destruction de la culture musicale, de la culture historique, de la culture littéraire, de la culture cinématographique, de la culture des idées. L’antisémitisme apparaît ici comme une anti-culture, comme une idéologie ayant l’apparence d’une culture, comme un véritable prêt à porter intellectuel. C’est là où réside son terrible danger.

On n’en pas a fini avec cet horrible défi que représente l’antisémitisme, tant sur le plan de son ancrage que de sa diffusion. On peut même dire qu’on ne fait que commencer avec ce problème, tellement rien n’a été fait de manière solide, durable, malgré l’épisode positivement marquant de « Je suis Charlie », qui a fragilisé et freiné la vague antisémite d’alors.

Il appartient à la Gauche de ne pas se contenter de postures ou de positions, mais bien de mener un travail de fond pour analyser et extirper les racines de l’antisémitisme. Les morts de la destruction des Juifs d’Europe nous avertissent du danger !

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Politique

Décadence ou inversion des valeurs ?

A moins de penser que tout va pour le mieux ou d’être nihiliste, il y a deux manières de considérer les choses. Soit on assume le point de vue de la Gauche qui avait bien compris dans les années 1920 qu’il y avait une décadence des valeurs, car les riches ne pensent qu’à se goinfrer et ont jeté la culture par-dessus bord. Soit on adopte le point de vue de l’extrême-droite comme quoi les valeurs auraient été inversées.

Illustrataion Phèdre (Jean Racine), Acte V

Le grand discours de la « fachosphère » depuis une décennie est qu’il y aurait une inversion des valeurs. Les criminels seraient mieux traités que les victimes, les femmes adopteraient un patriarcat inversé, les élèves compteraient davantage que les professeurs, etc. La France aurait été prise d’assaut et il y aurait eu un retournement de la hiérarchie de ce qui compte vraiment. Il faudrait donc un retour aux sources.

Certains prônent donc un retour à la France des années 1960, avec un racisme marqué, mais d’autres ont une autre approche. La grande idée d’Alain Soral et de Dieudonné est ainsi de s’appuyer sur une partie des gens issus de l’immigration pour prôner ce « retour aux valeurs », en s’appuyant sur leurs préjugés religieux, leurs valeurs patriarcales, leur romantisme anticapitaliste. Cela a donné une forme « populaire » à ce discours de la « fachosphère ». Alain Soral a eu de très grands succès de ventes avec ses écrits complotistes.

Et il est impossible de ne pas remarquer que les gilets jaunes sont ici en partie les successeurs des tenants de la quenelle de Dieudonné. Il y a le même populisme, le même rejet des « élites », la considération selon laquelle les politiques sont « tous pourris », une obsession petite-bourgeoisie pour l’État, etc. Avec la « quenelle », Dieudonné a popularisé avec un très grand succès un certain style rentre-dedans, revendicatif, sur la base de valeurs anticapitalistes romantiques.

L’antisémitisme virulent, le complotisme délirant, les fascinations pour les élites manipulatrices, etc., tout cela correspond à la mentalité comme quoi les choses auraient été déréglées, que des forces « obscures » auraient procédé à une inversion des valeurs. Comme ce qui devrait compter ne compte pas, on s’imagine qu’elles ne comptent plus, car n’est-il pas logique qu’elles aient compté par le passé, puisqu’elles doivent compter ?

On retrouve ici la logique de nombreux gilets jaunes, qui s’aperçoivent qu’ils sont exploités et pauvres, mais qui ne conçoivent pas que cela soit possible. Ils imaginent donc qu’avant ils n’étaient ni exploités, ni pauvres, alors qu’ils l’étaient également, mais qu’il y avait un peu plus de marge, et que donc ils ne le saisissaient pas… Ils idéalisent alors le passé, au lieu de s’assumer comme pauvres. C’est très étrange que cela : on a des pauvres ne voulant pas être pauvres, mais refusant le fait de s’assumer pauvres. Comme si c’était une honte et qu’il fallait, plutôt que de s’assumer prolétaire, toujours en revenir à la classe moyenne, cette forme sociale idyllique, au-delà du bien et du mal (c’est-à-dire des bourgeois et des ouvriers).

Ce qui saute aux yeux bien sûr, c’est que chez les tenants de l’inversion des valeurs comme processus « sabotant » la France, la culture est un thème qui n’existe pas. On est dans un style violemment beauf, avec une négation brutale de toute réflexion fondée sur la culture. Il n’y aucune référence en termes de romans, films, sculptures, monuments, peintures, pièces de théâtre, etc. On est dans un mouvement « élémentaire », brut de décoffrage, et qui s’assume comme tel. D’où tous les raccourcis, la paranoïa, le complotisme, la rage éparpillée, etc.

Il est important de voir cela, parce que cela montre que la fachosphère ne prône justement pas de réelles valeurs. La question de l’art contemporain est ici un très bon exemple. La fachosphère explique qu’il est scandaleux que l’art contemporain s’impose autant. Cependant, elle ne propose rien en remplacement. Le discours de la fachosphère consiste uniquement à parler d’une inversion des valeurs, pour mettre en avant des valeurs réactionnaires, mais de manière floue. Il ne faut pas croire que la fachosphère mette en avant Raphaël, Donatello, Michel-Angelo ou Leonardo de Vinci.

La fachosphère ne consiste pas à dire que Racine c’est autre chose maître Gims ou Molière autre chose que Booba ; la fachosphère n’est que du ressentiment. La culture n’y existe pas et pour cause : l’extrême-droite n’est que le produit de la décadence de la société française. Une décadence qui a une source simple : les couches sociales dominantes se goinfrent, de manière barbare, ayant abandonné ou abandonnant toujours plus la moindre valeur culturelle. L’ultra-consommation sur un mode nouveau riche devient la règle. On se moque beaucoup des oligarques russes et des millionnaires chinois consommant de manière ostensible et sans réel goût, mais croit-on vraiment que les riches français soient différents ?

La France va mal, elle est en crise, mais ce n’est pas qu’une crise sociale : c’est une crise morale, culturelle, idéologique. C’en est fini de la bourgeoisie hyper éduquée, extrêmement posée, techniquement efficace des années 1960. La bourgeoisie nouvelle est libérale, seulement libérale, et ne peut plus assumer son rôle de dirigeante de la société. D’où la décadence.

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Politique

Fondation du nouveau parti « Gauche républicaine et socialiste »

La gauche du Parti socialiste qui a quitté celui-ci sans avoir rejoint Benoît Hamon a décidé de finalement passer sous la coupe de la France insoumise. Elle en sera une composante lors des prochaines élections européennes.

Ce week-end s’est tenu à Valence un congrès constitutif d’une nouvelle organisation à gauche, ayant pris comme dénomination « Gauche républicaine et socialiste ». Au sens strict, ce n’est pas quelque chose de nouveau, car il s’agit de l’organisation de Marie-Noëlle Lienemann et Emmanuel Maurel, « Aprés », qui change de nom, abandonnant sa tentative d’exister de manière autonome. Marie-Noëlle Lienemann a exprimé ses regrets de la manière suivante :

« J’en veux à la gauche française, nous avions une trame idéologique potentielle pour résister à l’ultra-liberalisme; il faut créer de nouvelles formes politiques. Nous sommes dans une phase de décomposition. »

Il est apparu en effet soit qu’il n’y avait pas d’espace à gauche du Parti socialiste alors qu’il y avait déjà Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon, soit qu’il n’y avait pas les cadres pour développer une organisation aux contours bien délimités, selon comment on voit les choses. Le manque de temps ou de confiance en ses propres idées (ou moyens) a donc abouti à un changement radical d’orientation.

Marie-Noëlle Lienemann et Emmanuel Maurel, qui étaient depuis plusieurs mois alliés au Mouvement Républicain et Citoyen (MRC), ont fondé une nouvelle structure et rejoints Jean-Luc Mélenchon. La présence de l’ancien MRC dans la nouvelle organisation est un gage auprès de Jean-Luc Mélenchon, car c’est une structure « souverainiste » de gauche, fondé par Jean-Pierre Chevènement qui a toujours tenu une orientation qu’on peut qualifier comme « patriote » ou nationaliste de gauche.

De manière surprenante, ce positionnement souverainiste a été ouvertement assumé et exprimé par Emmanuel Maurel :

« La question de la souveraineté est essentielle. Souveraineté des peuples, reprise en main pour défendre les biens communs contre les intérêts privés. Cela passe par des ruptures radicales ! »

Il est, quoiqu’on pense de l’importance, de la validité de la question, toujours inquiétant de voir annoncer une « rupture radicale » au sujet d’une question nationale. La forme ici employée ne peut que choquer la Gauche. C’est cependant le prix à payer pour le passage dans le camp de la France insoumise.

Il ne s’agit par ailleurs pas d’une remarque dispersée, mais bien d’une approche générale ; en voici quelques exemples qui ont dits pendant le week-end de fondation :

« La politique de dumping, de casse sociale et la désindustrialisation en France et la politique « austéritaire » Bruxelloise sont les deux faces du même euro. »

« Le traité franco-allemand, c’est Merkel qui dit à Macron : « Donne-moi ta montre, je te donnerai l’heure. » »

Dans un même ordre d’idée, les gilets jaunes sont considérés comme quelque chose non seulement de très bien, mais même de nouveau. On l’a deviné, c’est le prétexte employé pour passer sur la ligne « populiste » de La France Insoumise. Gael Brustier a pour sa part considéré que « les gilets jaunes donnent une opportunité incroyable pour la gauche telle qu’elle n’en avait jamais eu depuis trois décennies » et Marion Beauvalet a expliqué que ce qui est intéressant c’est que c’est « un mouvement au-delà des clivages gauche/droite [qui] oppose le peuple et l’élite ».

> Lire également : Emmanuel Maurel et le mouvement ouvrier

On remarquera l’incohérence qu’il y a à parler de gauche d’un côté, de dépassement du clivage droite/gauche de l’autre, mais on devine que jeu de va et vient entre affirmation de la gauche et populisme va être incessant pour la Gauche républicaine et socialiste. Ce n’est qu’un début et on voit mal comment il va être continué à parler de Front populaire alors que La France insoumise a coupé les ponts avec l’histoire de la Gauche.

Emmanuel Maurel a pour sa part affirmé au sujet des gilets jaunes que :

« Il y a trop d’ambiguïté d’une partie de la gauche sur les gilets jaunes. Nous les soutenons ! »

Ce soutien est donc à ajouter à celui, tout récent, de la CGT, alors que pareillement l’ultra-gauche est désormais dithyrambique au sujet des gilets jaunes. Il y a là une véritable orientation nouvelle, résolument populiste ; on a d’ailleurs droit la semaine dernière à Marie-Noëlle Lienemann expliquant que l’émission de Cyrille Hanouna avait été quelque chose de positif au résultat conforme aux idées de gauche.

La base de la Gauche républicaine et socialiste est-elle d’accord avec tout cela ? Dans tous les cas elle va devoir s’y habituer, ou bien revenir dans le giron de la Gauche historique, qui reste à recomposer. Elle compte surtout sur son nombre, 2 538 personnes sont annoncées comme ayant participé au vote pour le choix du nom, pour pouvoir à un moment faire pencher la balance.

Le problème est que déjà que la rupture avec le Parti socialiste s’est déroulée de manière non démocratique, quoiqu’on pense du parti socialiste, aller rejoindre La France insoumise c’est franchement se lancer dans l’aventure.

On devine au fond qu’il est espéré que la formation de Jean-Luc Mélenchon n’est qu’une étape vers quelque chose de nouveau. Mais outre que c’est là du machiavélisme, que c’est là jouer avec le feu, comment espérer que la négation de la Gauche puisse aboutir à son renforcement ?

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Culture

La mort a pondu un oeuf, de Giulio Questi (1968)

La mort a pondu un oeuf (La morte ha fatto l’uovo en italien) est un film de Giulio Questi sorti en 1968. Il s’agit d’un film à part dans l’histoire du cinéma italien, comme l’est par ailleurs son réalisateur, et politiquement et culturellement très intéressant.

La mort a pondu un oeuf, de Giulio Questi (1968)

Giulio Questi est en effet né en 1924 en Lombardie, dans l’Italie du Nord, d’une grande famille petite bourgeoise. En 1943, il prend le maquis pour rejoindre la résistance antifasciste et adhère au Parti communiste italien. Son histoire et son engagement seront au cœur de ses seuls trois longs métrages de fiction.

Après quelques documentaires, collaborations comme scénaristes, et réalisations de segments dans des films à sketches, il fait la rencontre de Franco Arcalli, avec qui il co-écrira ses trois films et à qui il en confiera le montage. Leur premier film, Tire encore si tu peux (Se sei vivo spara), sorti en 1967, est un western spaghetti extrêmement violent, lourde charge contre le capitalisme et écho de son combat contre le fascisme.

Le troisième film, Arcana, très peu connu, est sorti en 1972. Il s’agit un film d’horreur italien, plus particulièrement un film de sorcière prenant place dans une cité HLM qui va être amené à se révolter contre l’ordre établi. Dans ces deux films Giulio Questi utilise le cinéma de genre, très répandu en Ialie, pour développer des thèmes et une vision du monde clairement de gauche.

Dans son second long métrage de fiction, La mort a pondu un oeuf, Questi utilise les codes d’un autre genre extrêmement populaire dans l’Italie des années 60 et qui le sera plus encore dans les années 70 : le giallo.

Le terme giallo a pour origine une maison d’édition italienne qui, à partir des années 30, a publié de nombreux romans policiers de type whodunit (où un des intérêts majeurs est de chercher à démasquer le coupable avant la fin du récit) dans des éditions de couleur jaune (giallo en italien), si bien que la couleur est devenu le terme commun pour désigner ces récits.

Le genre cinématographique giallo reprend cet aspect policier, souvent whodunit, et y ajoute une ambiance teintée d’horreur et d’érotisme, et des meurtres souvent très visuels.

Mario Bava, qui peut être considéré, au coté de Dario Argento, comme le plus célèbre représentant du genre, en a réalisé les deux oeuvres fondatrices : La Fille qui en savait trop (La ragazza che sapeva troppo, 1963) et Six femmes pour l’assassin (Sei donne per l’assassino, 1964).

Giulio Questi et Franco Arcalli en reprennent un certains nombres de codes : le meurtrier aux gants de cuir, l’ambiance à la fois sensuelle et pleine de tension, mais ils les utilisent pour mieux les prendre à contre pied.

L’histoire prend place dans un élevage de poules en pleine mécanisation, puisqu’on comprend que juste avant le début du film quasiment tous les ouvriers ont été licencié pour être remplacé par des machines. Au sein de l’usine se trouve également un laboratoire expérimentale de modification génétique.

L’élevage appartient à Anna (interprété par Gina Lollobrigida) et est en partie géré par son mari Marco (Jean-Louis Trintignant) que l’on découvre dès le début du film dans le rôle d’assassin de prostitués. Habite avec eux Gabri (Ewa Aulin), leur jeune cousine orpheline que le couple a recueillie et qui est l’héritière directe.

Ce cadre bourgeois, associé à des scènes au sein du comité d’entreprise, et du Syndicat des éleveurs, va être l’occasion pour Giulio Questi de dénoncer cette bourgeoisie et le capitalisme industrielle.

Le cynisme du capitalisme y est frontalement attaqué : la vie, qu’elle soit humaine (les ouvriers) ou animale (les poules), n’a plus de valeur face à la recherche de rentabilité, surtout en temps de crise.

L’absence de toute morale se répercute ainsi dans la science ici mise au service des intérêts de l’industrie agroalimentaire avec la création par modification génétique de monstruosité : des poules sans ailes ni tête, où tout peut être consommé pour une rentabilité maximale.

Questi s’en prends également au moeurs décadent de cette bourgeoisie, notamment lors de la mise en scène d’une soirée où une pièce est vidée de tous ses éléments pouvant rappeler un quelconque passé et où vont s’y enfermer tour à tour des « couples » d’un soir pour vivre une expérience inédite.

Il est à noter que le film, lors de sa sortie, a très rapidement été amputé d’une vingtaine de minutes pour coller au format télévisuel de l’heure et demi. Ainsi des scènes mettant en scène un ami de Marco, devenu amnésique en raison d’électrochoc, ont été supprimé.

La restauration du film il y a quelques années a permis de rajouter certaines de ces scènes où le passé, cherché inlassablement par ce personnage pour pouvoir se reconstruire, prend une place importante dans les thèmes du film. Il n’existe ni présent ni futur sans passé. C’est par le personnage de Marco que l’on découvre toutes ces scènes, qui semble le mener à sombrer peu à peu dans la folie.

Sentiment renforcé par le montage et la bande-son du film très expérimental, saccadé, stridente, malaisante, où l’on perd parfois la notion de ce qui relève de la réalité ou du rêve.

Le visionnage du film est d’ailleurs parfois compliqué, comme il est compliqué pour Marco de faire face à cette réalité. Notamment lors de cette scène horrible à l’usine où il se retrouve face aux massacres des poules que l’on pourrait croire tout droit sorti d’un documentaire sur l’exploitation animale… Ou lorsqu’il découvre l’horreur des modifications génétiques.

De tout cela se dégage une ambiance malsaine et décadente avec de nombreuses images fortes comme celle de Anna posant pour un photographe avec un poule morte et déplumé.

Tout ceci ne peut mener qu’à la déshumanisation et c’est justement le propos de Questi. Il voulait d’ailleurs que la violence de son film soit suffisamment forte pour choquer et faire céder le cynisme.

Le tout se retrouve étonnamment contrasté par quelques rare séquences poétiques, se déroulant à la campagne, dans la nature, où l’amour tente de survivre au milieu de tout cela, où Marco tente d’échapper à ce monde. Le film n’en reste pas moins évidemment très noir et désespéré, sans réelle lueur d’espoir.

C’est ainsi un film intéressant par son propos, mais aussi par son positionnement purement formel, puisqu’il s’appuie sur les bases d’un cinéma d’exploitation, pour en faire une œuvre puissante, qui prend le contre pied du genre dans un superbe twist final, le tout enrobé par une mise en scène et un montage que l’on peut rapprocher des expérimentations d’un Jean Luc Godard de la Nouvelle Vague.

Si l’on va plus loin que la question de la forme, et qu’on part d’une mise en perspective sur une base positive, artistique, il va de soi que l’orientation générale du film tend à l’expressionnisme, au pessimisme, au nihilisme, et qu’il reste ainsi totalement lié à l’Italie de l’époque, annonçant des œuvres comme la bande dessinée Ranxerox.

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Politique

Gilets jaunes, actes 12 : vers un dénouement accompagné par la CGT

Le mouvement des gilets jaunes touche à sa fin, il s’essouffle, se survivant à lui-même en cultivant sa propre image de lui-même. Et il est rejoint par l’ultra-gauche et la CGT, qui y voient le moment pour appeler à la grève générale. Il n’y a pas à dire : la France est un pays étrange où la rationalité semble avoir disparu, tout autant que la culture politique.

Il est toujours étonnant de voir des gens confondre le début de la fin avec la fin du début. Il n’y a pour ainsi dire presque plus personne sur les fameux rond-points et de moins en moins de monde le samedi – près de 60 000 hier selon le Ministère de l’intérieur. Les gilets jaunes se ratatinent à chaque fois davantage et au moment où cela chute sérieusement, il y a toute une vague d’opportunistes ou de naïfs, on ne sait trop, qui interviennent dans l’histoire. Espèrent-ils tirer les marrons du feu ? N’ont-ils rien d’autre de mieux à faire ? Ou bien voient-ils un tournant réel, un moment historique ?

On a ainsi un « Journal des gilets jaunes » qui existe désormais, publié par un groupe de presse côté en bourse, Lafont-Presse, qui entend se faire un peu d’argent facile. Il y a aussi des professeurs, des « stylos rouges », qui persévèrent dans la mode colorée et protestataire. Ils étaient une cinquantaine seulement hier non loin du ministère de l’éducation nationale, avec des revendications qui sont d’une pauvreté affligeante pour des gens censés instruire les jeunes. On a aussi l’ultra-gauche, désormais lyrique sur les gilets jaunes, qui s’imagine que si les choses continuent, elles ne peuvent que déborder, et qu’elle en profitera.

Et il y a les syndicalistes cégétistes qui se sont décidés à entrer en scène, avec l’intention de prendre les gilets jaunes d’assaut et faire de la grève du 5 février le levier pour que cela marche. Avec l’idée de pouvoir relancer un syndicalisme au point mort niveau victoire, alors qu’en plus la CFDT est passée devant la CGT au niveau national.

Ainsi, alors que la CGT a sciemment refusé les gilets jaunes au début – soit par volonté de se conserver son monopole protestataire, soit par véritable esprit de Gauche refusant le style plébéien – elle est désormais totalement en leur faveur :

« Depuis de nombreux mois, les salarié-es, les retraité-es, les privé-es d’emploi et la jeunesse se mobilisent dans notre pays. Depuis la fin de l’année 2018, le mouvement dit des Gilets jaunes mobilise les attentions et révèle un regain de confiance en l’action collective.

La démultiplication des mobilisations s’oppose à la profonde injustice sociale et exige une autre répartition des richesses créées par le travail.

Cependant, plus le temps passe, plus le patronat et le gouvernement méprisent les revendications pour les détourner en détruisant les solidarités, plus les revendications sociales débordent.

Parti de la hausse des carburants, le mouvement des gilets jaunes a évolué. Des exigences nouvelles rejoignent désormais celles exprimées par les salarié-es, les retraité-es, les privé-es d’emploi, avec la CGT. C’est pourquoi, partout où cela est possible, la CGT continuera à travailler les convergences avec les Gilets jaunes. »

On remarquera l’écriture inclusive, preuve de la déconnexion avec les travailleurs et leur réalité. Quoi qu’il en soit, c’est, pour dire les choses franchement, un peu l’intervention commune des « losers », pour utiliser un terme passéiste mais assez évocateur.

Cela n’intéresse d’ailleurs vraiment ce qui reste des gilets jaunes, qui vivent dans leur monde et qui n’ont qu’un seul objectif : faire en sorte de présenter leur mouvement comme étant d’une grande actualité. On reste dans la démarche des classes moyennes cherchant à faire vivre la fiction comme quoi elles sont au centre de la vie sociale française.

Une des expressions de cela a été la « grande marche des blessés » à Paris, qui a exigé que soit mis un terme à l’utilisation des grenades de désencerclement GLI-F4 et GMD et des lanceurs de balle de défense (LBD). Pas moins de 20 personnes ont été blessées grièvement à un œil par LBD, avec la plupart du temps la perte de cet œil. Cependant, il ne faut pas être naïf et croire que les gilets jaunes s’intéressent à la question de la violence inhérente à l’État tel qu’il existe sous une forme bureaucratique, avec des hauts fonctionnaires inamovibles, des préfets, des responsables militarisés, etc.

Leur position rejoint la victimisation de type anarchiste, avec le fantasme petit-bourgeois d’un État terroriste, spoliateur, qui surveille tout le monde, etc. C’est une manière pour les gilets jaunes de chercher à retourner en leur faveur la situation après leur grande vague d’ultra-violence anti-politique à leur début, qui a considérablement ému une partie de l’opinion, et profondément choqué toute une partie de la Gauche, qui a reconnu là l’ombre de la plèbe fasciste.

Les échauffourées restent d’ailleurs la norme, comme hier lors des cortèges à Paris (14 000 personnes) et Valence (6 000), alors qu’il y avait également plusieurs milliers de personnes à Bordeaux, ainsi qu’à Strasbourg et Toulouse, 2 000 à Marseille, 1500 à Nantes, 1 000 à Montpellier, moins encore à Nice, au Mans, à Angers, à Dijon et à Cherbourg. La préfecture a également prétendu qu’à Valence, aux points de contrôle, une centaine d’armes blanches, dont des haches, des sabres, des couteaux, des machettes et des gourdins, auraient été saisies.

Comment résumer tout cela, alors ? Comme le dénouement des gilets jaunes, avec une auto-intoxication particulièrement brutale. C’est tellement énorme même qu’on ne peut pas ne pas se dire que ces gens ne le sachent pas. Ils appliquent forcément, tout au moins pour une partie d’entre eux, le principe sorélien du « mythe mobilisateur ».

Il est en tout cas très clair, du point de vue d’une Gauche qui s’assume, que ces enfants du populisme de Marine Le Pen et de l’ultra-gauche, de la CNT et d’Alain Soral, de la quenelle de Dieudonné et de Johnny Hallyday, de toute la propagande anti-politique, anti-Gauche, ne peuvent pas réaliser quelque chose de bénéfique pour l’Histoire.

La CGT, en embrayant sur les gilets jaunes, assume de sortir entièrement du champ de la Gauche politique : c’est une erreur complète, aux conséquences qui vont s’avérer catastrophiques pour elle.

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Réflexions

Le capitalisme remplace la solennité par le conventionnel

La distinction entre les concepts de solennité et de conventionnel est très importante. Il y a le risque sinon, en effet, de ne pas saisir les exigences de gens d’une perspective de civilisation. Et le capitalisme en crise saborde cette perspective.

Blow, Blow Thou Winter Wind, 1892, John Everett Millais

Pour former les esprits, il faut qu’il y ait des moments de solennité pour souligner ce qui est important. Or, rien ne peut être important au sens strict dans une société capitaliste, car tout dépend des individus et est par conséquent relatif. La loi du marché, qui célèbre le particulier, rentre inlassablement en conflit avec la civilisation, qui présuppose l’universel.

C’est pour cela que des événements comme le 14 juillet, le 11 novembre, qui auparavant se voulaient des moments emprunts de solennité, ne sont désormais pris que comme des conventions incontournables qu’il faut respecter, parce qu’il en est ainsi. L’idéologie dominante n’est plus en mesure de proposer du contenu, elle ne peut que justifier un cadre en disant qu’après tout cela pourrait être pire, et qu’en plus cela peut être mieux.

Il y a ici un aspect important sur le plan de l’histoire des idées, un changement profond qu’il faut bien évaluer à sa juste mesure, car cela ne peut pas en rester ainsi. Si l’on prend les années 1920-1930, l’extrême-droite prétendait affirmer une nouvelle solennité.

Aujourd’hui, elle ne le fait plus du tout, elle a abandonné toute prétention « totalitaire » pour se cantonner dans des dénonciations populistes.

Si l’on prend la Gauche des années 1920-1930, on peut s’apercevoir qu’elle aussi affirmait la solennité. Pas la même que l’extrême-droite bien sûr, mais une solennité quand même, celle du Socialisme, de la classe ouvrière, du Parti de la classe ouvrière. Or, aujourd’hui la Gauche se cantonne dans l’affirmation de conventions « modernisées », voire la philosophie de la remise perpétuelle en question des conventions. C’est la « Gauche » version turbocapitaliste, de philosophie post-industrielle, post-moderne.

Or, si le capitalisme qui relativise tout ne tourne plus, alors sa pression va céder d’autant. Ce qui signifie qu’il y aura, en conséquence, une réaffirmation de la solennité. Marion Maréchal Le Pen est ainsi bien plus dangereuse que Marine Le Pen, car si cette dernière est une populiste opportuniste, elle est en ce qui la concerne une véritable conservatrice révolutionnaire, ayant la solennité en ligne de mire.

Face à cela, seule une autre solennité pourra être mise en avant. Parce que c’est une question de civilisation, et que si le capitalisme ne tourne plus, alors tout s’effondre et les gens ne veulent pas que tout s’effondre. Le Fascisme proposera une nouvelle solennité, et par conséquent la Gauche devra en faire de même, qu’elle le veuille ou non.

Cela signifie que ni la gauche version post-moderne ni les anarchistes ne pourront être des alliés de la vraie Gauche. Car leur ligne est la déconstruction, la déstructuration, le refus des conventions. C’est la même philosophie « progressiste » que La République En Marche et Emmanuel Macron.

S’imagine-t-on, alors que le capitalisme est en crise, aller voir les gens et dire que ce n’est pas grave et que ce qui compte, c’est de faire sauter les conventions ? Personne ne comprendrait. Les gens attendront une proposition d’ordre, de valeurs, de construction, de perspective. Ils voudront que soit proposée une orientation allant dans le sens de la civilisation. Ils savent qu’il faut des moments de solennité – et cela, les ouvriers le savent.

Le fascisme, s’il faut définir sa substance, consiste justement en une tentative de hold-up de cette quête de solennité. C’est pour cela qu’il a besoin de mises en scène théâtrales, d’une esthétique « monumentaliste » sans contenu autre que symbolique, de mots d’ordre volontaristes, etc.

À la Gauche d’assumer ses propres valeurs jusqu’au bout et d’être capable de proposer des perspectives de maintien et de développement de la civilisation. Sans cela, non seulement elle ne sera pas elle-même, mais, en plus, ce sera la défaite face au Fascisme !

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Politique

Les gilets jaunes ou la France comme terrain vague

Les gilets jaunes sont l’expression d’une France devenue un terrain vague où l’on construit n’importe où et n’importe comment, où chacun considère qu’il peut faire comme il l’entend. Si les gilets jaunes veulent vivre comme avant, ils n’en représentent pas moins une modernité rejetant tout héritage culturel et historique.

gilets jaunes

Chaque pays dispose d’un patrimoine d’idées et de luttes, sans parler de certains goûts, de certains centres d’intérêt. Cela n’a de sens cependant que si l’on se place dans un cadre collectif et qu’on ne se réduit pas soi-même au rang de simple individu. Les gilets jaunes récusent cela de manière explicite : ils ne se battent pas pour tous, disent-ils, mais pour chacun. Leur « ennemi » n’est d’ailleurs lui-même pas collectif, mais diffus : ce sont les « taxes ». L’État lui-même n’existe que telle une abstraction et se voit réduit aux « politiques », présentés comme tous corrompus.

C’est là l’expression de la conception de la France comme terrain vague. Les entreprises et ceux qui se considèrent comme de simples individus envisagent comme un droit la capacité à réaliser des projets bancaires, industriels, architecturaux, commerciaux, etc. Ce serait un droit de construire un pavillon où on le peut si on en a les moyens financiers, ce serait un droit de vendre tel ou tel produit s’il y a des clients, même si c’est du cannabis.

C’est le triomphe du principe du contrat et l’un des exemples les plus absurdes de ce principe est le « remplacement » des zones humides. On peut en France détruire une zone humide… si on la « remplace », ce qui évidemment est totalement abstrait et correspond à une mentalité d’apprenti sorcier. Une telle démarche est pourtant cohérente du point de vue de la France comme terrain vague : il y a de la place pour tous dans un terrain vague et tout est possible.

Cela est vrai naturellement pour la culture. Aucune personne de cultivée ne laisserait jamais un gilet jaune devenir ministre de la culture, il y aurait trop la peur que les musées soient fermés car leur entretien est trop cher ou bien que le patrimoine soit vendu à la découpe ! Il n’y a aucune exagération à dire cela : il suffit de voir que les gilets jaunes se prétendent un mouvement radicalement nouveau, sans exemple. Ils agissent également comme si rien n’avait jamais existé avant eux.

C’est vrai d’ailleurs de tous les « révoltés », qu’ils soient à La France Insoumise ou à Génération-s, qu’ils soient anarchistes ou d’ultra-gauche. Il y a eu un grand lessivage, où au maximum on peut s’inspirer ! Mais jamais apprendre, jamais devenir l’élève de quelque chose du passé, jamais prendre des modèles. Un tel lessivage correspond à l’esprit consommateur de l’ultra-libéralisme, avec le « droit » de piocher comme on l’entend et ce dans n’importe quelle situation. La France comme terrain vague, c’est ainsi la France comme supermarché, où les idées relèvent du prêt-à-porter.

Certains disent que c’est une tendance historique inévitable, que c’est une bonne chose, qu’au « dogmatisme » a succédé un esprit de participation, un populisme qui correspondrait enfin au peuple dans sa diversité, pour des initiatives les plus diffuses.

C’est pourtant là la mort de la Gauche et que voit-on justement ? Que plus ce populisme a avancé, plus la Gauche a reculé. Il suffit de voir l’impact dévastateur sur la Gauche de l’ouverture de la prise de décision aux sympathisants et non plus aux adhérents. C’était là l’ouverture au populisme et on sait qu’une fois qu’on lui a ouvert la porte, il ne repart plus, il s’installe. Les gilets jaunes sont aussi le produit de l’existence de « primaires » organisées par le Parti socialiste pour les élections présidentielles.

La Gauche ne peut exister que dans l’opposition à la conception de la France comme terrain vague. Elle doit valoriser le patrimoine historique des luttes, mais aussi le patrimoine sur le plan de l’organisation. Cela ne peut se faire que si les situations locales sont étudiées et connues, si la Gauche est présente concrètement, ancrée dans la population, ainsi que dans son vécu. C’est tout un travail de fond, invisible bien souvent, ingrat parfois, prolongé dans tous les cas, qu’il est nécessaire de mener.

Ce travail est inévitable et aucune « recette », méthode ou technique magique ne pourra le remplacer. Les succès rapides sont éphémères et ne jouent pas sur la société, sur l’histoire. La Gauche a un immense travail de fond à mener.

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Culture

L’esprit aristocratique de l’art contemporain

S’il fallait une preuve que l’art contemporain n’est qu’une lubie d’artiste déconnecté pour des riches en quête de métaphysique du vide, on la trouve dans la posture aristocratique qui l’accompagne. Les gens méprisent l’art contemporain ou bien s’en désintéressent, tout simplement. Cela ne dérange pas du tout les tenants de l’art contemporain.

« fontaine »

Il existe de très nombreux ouvrages sur l’art, les artistes et il est tout à fait nécessaire pour un appartement bourgeois, comme il faut, de disposer de deux choses : une bibliothèque avec des romans classiques ou bien à la mode, qui ne seront jamais lus, et des ouvrages épais sur l’art, disposés ici et là. C’est à cela qu’on reconnaît qu’on est chez des gens pour qui la culture serait établie.

Aussi paradoxal que cela soit, ces ouvrages d’art ne portent pas sur l’art contemporain, ils vont au maximum jusqu’à l’art moderne, s’arrêtant autour de Picasso, ou bien s’il va plus loin, en reste toujours à quelque chose de figuratif. Dans tous les cas, des ouvrages d’art sur l’architecture indienne, le peinture japonaise classique ou bien Van Gogh sont plus estimés que les ouvrages prenant les dernières expositions « contemporaines ». Dans tous les cas, et heureusement, il est reconnu que la couleur et surtout la représentation de quelque chose est ce qui a de la valeur, par rapport au vide de l’art contemporain.

Les artistes relevant de l’art contemporain s’en moquent totalement et c’est cela qui est intéressant, car foncièrement révélateur. Ils n’ont aucun esprit démocratique, aucune tendance à se lier à la culture de leur pays. Ils flottent dans un espèce de nuage cosmopolite propre aux très grandes villes et aux cartes de crédit des ultra-connectés. Plus leurs œuvres sont floues, plus elles obtiennent une aura métaphysique sur un marché valant des milliards d’euros, et c’est cela qui compte.

Les artistes de l’art contemporain ne cherchent même plus à se justifier par des écrits théoriques, des manifestes, d’ailleurs ils ne peuvent plus, car ils sont à la fois dans l’instinctif et dans l’ultra-individualisme. Même si Jeff Koons emploie un personnel très nombreux pour réaliser ses œuvres – il faudrait parler de méfaits -, jamais il n’aurait l’idée de concevoir son activité comme quelque chose de collectif. Avec l’art contemporain, ce n’est même pas le pays qui est remis en cause, c’est le principe même de collectivité. On se limite au prétendu goût de chacun, et chaque goût serait unique.

Comme on est loin ici des artistes du 19e siècle qui, même s’ils étaient parfois farfelus et hautains, n’en étaient pas moins des gens considérant que l’art devait être répandu. Même lorsqu’il y avait la considération que l’art était « pur », « céleste », « mystique » – qu’on pense au délire symboliste à Paris avec le Sâr Péladan et la mode des Rose-Croix à laquelle avait cédé le « tout Paris » – il y avait la considération qu’il était du devoir de chaque être éduqué d’y accéder.

Il n’y a rien de tout cela dans l’art contemporain qui, il faut le dire, s’en fout. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas des gens éduqués cherchant à faire passer la culture et à faire connaître l’art contemporain, mais ils doivent bien reconnaître que leur effort a un souci fondamental : l’absence totale d’aide de la part des artistes « contemporains » qui vivent dans leur bulle et méprisent ce qui n’en relève pas.

Cet esprit aristocratique de l’art contemporain n’est, au sens strict d’ailleurs, qu’un individualisme, puisque les artistes « contemporains » ne se veulent pas une élite, pas plus qu’ils n’aspirent qu’à guider ou diriger ou commander les gens. Mais on aurait tort de croire qu’un tel esprit aristocratique, propre à l’esclavagisme des temps passés ou au féodalisme, ne se soit pas transformé, modernisé, répondant à des besoins nouveaux.

Le mépris de l’artiste « contemporain », en effet, n’est que le pendant du mépris aristocratique authentique de couches sociales dominantes portant un regard métaphysique sur le monde, formant une sorte d’élite agressive et hautaine au possible, dédaignant le peuple non pas comme simplement arriéré ou stupide, mais comme inexistant, impalpable, abstrait.

Il ne faut pas ici tomber dans le raccourci facile et y voir une « oligarchie », c’est toute la bourgeoisie qui apprécie l’art contemporain, même quand elle ne met pas dans son salon un Basquiat ou un tableau blanc sur blanc avec des liserés de blanc. Elle a même ici sa représentation dans la pièce de Yasmina Reza, Art, une pièce de théâtre avec des CSP++, destinée à des CSP++, avec comme morale que, qu’on aime l’art contemporain ou pas, il fait partie du paysage car chacun a ses goûts, comme le principe du libéralisme l’exige.

Ce qui correspond bien à la fonction de l’art contemporain : bien mettre les masses, avec leur attention sur le concret, le réel, de côté. Qu’on pense simplement au film Intouchables, où le riche bien élevé donne une véritable leçon de métaphysique au prolétaire inculte et pragmatique. C’est une scène qui se veut un portrait mais indique bien la fonction à l’arrière-plan de l’art contemporain, ce snobisme métaphysique pour des gens aisés déconnectés de la réalité et vivant dans une bulle d’aisance matérielle, pleine de vide intellectuelle, morale et culturelle.

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Politique

Ce que montre le chaos du Brexit sur le capitalisme

Loin d’être quelque chose d’organisé, le capitalisme est profondément chaotique. Les crises sanitaires, sociales, économiques, etc. sont le pendant inévitable d’un système fondé sur une compétition acharnée. L’expansion du capitalisme se ralentissant, ces crises vont s’exprimer de manière plus abrupte, mais les gens seront-ils en mesure de les interpréter correctement ?

« Vote Leave », Londres, 7 juin 2016

En Grande-Bretagne, les personnes avec des maladies chroniques ont été très inquiètes du fait que certains médicaments risquent de ne plus être disponibles. C’est en effet possible, mais aucune administration n’est capable d’évaluer cela, pas plus que les entreprises. Cette absence de maîtrise d’une chose aussi importante est très grave. Elle montre cependant une chose très importante : le capitalisme ne contrôle rien du tout.

Cela pose un double problème. D’abord, il y a le fait que les gens ont pris l’habitude de pouvoir consommer comme ils l’entendent, dans le cadre d’une société de consommation où une forme d’abondance est la règle. Si jamais il y a des manques, des choses devenant inaccessibles, les gens vont très mal le prendre. Ils ne vont pas se dire que le capitalisme est dépassé, ils vont simplement se dire qu’il y a du sabotage, des gens empêchant le capitalisme d’être lui-même. Les gilets jaunes ne disent pas autre chose, même si chez eux ce n’est pas le chaos du marché, mais l’affaiblissement du pouvoir d’achat qui joue.

Ensuite, il faut voir que cela implique des crises sévères, dont la nature ne peut pas être déterminée à l’avance. Il y a l’exemple de la crise des lasagnes produites illégalement avec de la viande de cheval, celle de la crise des pestes aviaire, porcine… celle des déchets plastiques dans l’océan, des déchets dans l’espace… Il y a le réchauffement climatique, les couches pour bébés contenant des produits dangereux… Le capitalisme s’occupant de tous les aspects de la vie, tous les aspects de la vie sont menacés.

Certains en ont conscience et disent, à l’instar du PCF ou de Benoît Hamon, qu’il faut renforcer l’État, les institutions européennes, les institutions internationales. Cela présuppose deux choses : tout d’abord que ces forces aient la capacité de rectifier le capitalisme, ensuite qu’elles aient le moyen de comprendre ce qui se passe pour organiser de telles rectifications. Or, bien malin celui qui est capable d’entrevoir un semblant de logique dans le chaos général qui se profile de plus en plus. Rien que l’incapacité à faire face au Brexit montre qu’une telle chose n’est pas possible. Si les meilleurs cadres d’un État moderne comme le Royaume-Uni ne parviennent pas à gérer une chose si importante, qui peut prétendre le faire à l’échelle mondiale ?

Et, de toutes façons, le capitalisme met toujours devant le fait accompli. Prenons l’exemple du chantier de l’EPR de Flamanville. Il fait partie de quelque chose de très surveillé, puisque le domaine du nucléaire exige beaucoup de sécurité. L’administration est donc aux aguets, surtout que le nucléaire fait partie des exportations « à la française ». Or, que voit-on ? Que le chantier, qui a débuté en 2007, va être prêt en 2020, ce qui l’amène à avoir… dix ans de retard. Une centrale nucléaire avec dix ans de retard, alors que les ingénieurs, les techniciens, l’État, etc., y accordent une attention extrême, sont censés tout planifier à la virgule près ? C’est dire le problème.

Dans tous les cas, de toute façon, la vérification, la surveillance, la supervision… demandent des moyens, et il n’y en a pas. Les États tout comme les grandes institutions sont en faillite. Dans de nombreux milieux d’ultra-gauche on fantasme sur un État de surveillance totale : non seulement ce n’est pas encore réalisable techniquement, mais surtout cela coûterait trop cher, alors que les États ont déjà des dettes gigantesques. Il faudrait un doublement, un triplement de l’activité économique et ce pendant des années pour que les États renflouent leurs caisses, et encore.

Il n’y a donc pas 36 solutions. Soit on rationalise à la hache ce qui relève du chaos, soit on se fait déborder par lui, en espérant que cela passe sans trop de casse. Il faut ici noter cette chose terrifiante quand on y pense : la société britannique attend de manière totalement passive de voir ce que va donner le Brexit. Elle ne manifeste nullement son mécontentement, son inquiétude ; elle attend sans rien faire, ne dépassant pas les murmures. C’est quelque chose de très grave, témoignant d’un déficit démocratique total.

Cela doit inquiéter, car quand on est de Gauche, on est démocratique, et donc on veut que la rationalisation soit faite par le peuple. Mais s’il n’y a pas de peuple à la hauteur pour prendre les choses en main ? Eh bien en ce cas, on a le grand risque que l’on connaît par le passé : la rationalisation se fait par une minorité démagogique s’appuyant sur le nationalisme pour rationaliser dans le sens du protectionnisme et de la guerre. Cela s’appelle le fascisme, qui au moyen du « corporatisme », du « socialisme » national… remet le capitalisme « en ordre », au moyen de « plans » qui ne sont que l’établissement d’une industrie au service de la guerre.

Il est d’autant plus dommage qu’à Gauche, beaucoup de gens aient abandonné la conception selon laquelle le capitalisme, c’est le chaos. Ils pensent surtout que le capitalisme est quelque chose d’organisé, mais dans un sens mauvais. Tout serait une question d’organisation « différente ». Ce n’est pas le cas du tout ; cela ne peut pas être le cas dans une forme sociale fondée sur la compétition, la concurrence. Et cela aboutit à l’illusion comme quoi le capitalisme obéirait aux lois, voire disposerait d’une certaine morale, de certains principes, ce qui est très grave, comme totalement illusoire.

Le capitalisme est chaos et si cela ne se voit pas lors de son expansion, car les déséquilibres ne durent pas longtemps, cela va être de plus en plus flagrant. Ne pas assumer son dépassement, ce serait laisser le champ libre au fascisme comme « réorganisation », « rétablissement », « rationalisation » en apparence du capitalisme, pour en faire une machine de guerre.

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Écologie

L’ignoble retour de la fourrure

Passée de mode à la suite d’intenses protestations dans les années 1990, la fourrure est revenue en force ces dernières années. Elle fait partie des panoplies de la mode contemporaine, se déclinant de multiples manières, tel un indice de chic. C’est simplement révoltant.

fourrure

La fourrure est un symbole d’un certain standing social ; elle relève du chic. Fort logiquement, tant qu’il y a des classes sociales aisées, celles-ci feront de la fourrure un élément de leur style, cela fait partie de leur patrimoine. Et tant qu’il y aura des gens aliénés pour être fascinés par ce style, par ce chic, la fourrure se développera au-delà des milieux aisés, avec différentes déclinaisons : le manteau entier n’a pas besoin d’être en fourrure, cela peut consister en quelques détails ici ou là.

Partant de là, on ne peut pas être de Gauche et tolérer la fourrure. Nous ne vivons pas en Russie et la température ne descend pas largement en-dessous de zéro. Il n’y a aucune raison valable d’en porter, à part un esprit passivement consommateur, aliéné sur le plan des valeurs. Porter de la fourrure, à part quand on est d’un milieu aisé, c’est uniquement chercher à imiter les riches. Quant aux riches, il faut être bien naïf pour s’imaginer qu’on peut les éduquer par la morale.

Car la fourrure est ignoble ; l’idée de scalper un animal simplement pour obtenir sa peau relève d’un tel état primitif de l’humanité ! Il ne faut d’ailleurs pas croire que cela se passe différemment. Désormais 140 millions d’animaux sont tués chaque année pour la fourrure. En Europe, cela se passe surtout en Pologne et au Danemark, alors que la Chine produit 70 % de l’ensemble. Et cela dans des conditions monstrueuses, dans un mélange d’artisanat assassin et de rythme turbo-capitaliste le plus élevé.

Les photos des animaux transformés génétiquement pour produire davantage de fourrure, comme le renard, ont également beaucoup choqués. Enfermés dans des petites cages, ils ne peuvent rien faire, écrasés par leur situation mais également par leur propre corps. On a là plus qu’une allégorie de l’enfer, c’est juste que ce dernier a conquis déjà des territoires entiers sur notre planète. Qu’y a-t-il de pire qu’un mélange de boucherie primitive et d’efficacité ultra-moderne ? C’est comme si le « style de travail » des SS avait triomphé dans l’industrie de la fourrure.

Il est étonnant d’ailleurs qu’avec un tel arrière-plan, il y ait encore des gens pour s’imaginer que les choses progressent et citant telle ou telle entreprise ayant abandonné la fourrure. Non seulement les chiffres généraux, mondiaux, montrent que la fourrure est revenue en force par rapport aux années 1990 où elle s’était pratiquement totalement effacée, mais surtout elle est une valeur qui n’est jamais partie. Les classes dominantes ont leur histoire, leur patrimoine, leurs valeurs. La fourrure est indissociable d’un certain style de vie, ainsi que d’une capacité à aligner des sous, beaucoup de sous !

Il est intéressant de voir d’ailleurs ce qui a brisé le marché de la fourrure dans les années 1990. L’épicentre a été l’Angleterre, où les fameux activistes cagoulés de l’ALF y ont amené la fin de la fourrure dans les magasins, à coups d’actions clandestines et, on le devine, foncièrement illégales. Ce qui est marquant, c’est que les limites de telles actions étaient parfaitement comprises par les gens qui les menaient, qui envisageaient pour cette raison les choses politiquement, cherchant à faire boule de neige, et boule de neige à gauche d’ailleurs. La confrontation entre le New Labour, qui avait assumé une partie des revendications de la protection animale, et Barry Horne, décédé d’une grève de la faim, est un moment clef de l’échec de cette « boule de neige ».

C’est une preuve que la question de la fourrure n’est pas une fin en soi, elle relève de tout un état d’esprit. Et on aurait tort de ne pas en voir le côté pratique, c’est-à-dire de vérifier si, soi-même, on ne porte pas de fourrure sans même le savoir. La fourrure est une question de la vie quotidienne, désormais, avec les petits éléments de fourrure qui peuvent se glisser dans n’importe quel vêtement, n’importe où. Il y a ici une exigence à adopter et une certaine discipline, pour ne pas terminer dans le cynisme ou dans la mentalité : « on verra cela après la révolution / quand les choses bougeront / quand le problème sera plus clair pour les gens ».

Une Gauche qui ne prend pas en compte la question de la fourrure rate l’essentiel. Et pour satisfaire tout le monde, révolutionnaire comme « réformiste », partons du principe que toute présence de fourrure amène une taxe du produit fini de 50 %, avec l’obligation d’une étiquette comme quoi ce produit contient de la fourrure. Mais existe-t-il vraiment en France un État capable d’appliquer un telle mesure ? Sans même parler de l’adopter ?